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26/06/1986 | CANADA | N°[1986]_1_R.C.S._981

Canada | Carter c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 981 (26 juin 1986)


Carter c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 981

John Arthur Charles Carter Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

No du greffe: 18658.

1985: 24 avril; 1986: 26 juin.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1984), 11 C.C.C. (3d) 284, 8 D.L.R. (4th) 156, 9 C.R.R. 345, qui a confirmé le jugement du juge McKay (1983), 9 C.C.C. (3d) 173,

4 D.L.R. (4th) 746, faisant droit à la demande de certiorari du ministère public pour annuler la suspens...

Carter c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 981

John Arthur Charles Carter Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

No du greffe: 18658.

1985: 24 avril; 1986: 26 juin.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1984), 11 C.C.C. (3d) 284, 8 D.L.R. (4th) 156, 9 C.R.R. 345, qui a confirmé le jugement du juge McKay (1983), 9 C.C.C. (3d) 173, 4 D.L.R. (4th) 746, faisant droit à la demande de certiorari du ministère public pour annuler la suspension des procédures. Pourvoi rejeté.

M. R. V. Storrow, c.r., et Rhys Davies, pour l'appelant.

Robert H. Wright et Sharon Kenny, pour l'intimée.

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer, Le Dain et La Forest rendu par

1. Le Juge Lamer—Ce pourvoi soulève la question de savoir si on peut prendre en considération le délai antérieur à l'inculpation lorsqu'il s'agit de déterminer si une personne accusée d'une infraction a été jugée dans un délai raisonnable au sens de l'al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés (Loi constitutionnelle de 1982, adoptée par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982 (R.‑U.), chap. 11).

Les faits

2. Il est allégué que le 3 avril 1980 l'accusé a commis les infractions de viol, de sodomie, de grossière indécence et d'attentat à la pudeur. Le 4 avril 1980, L. H. a porté plainte auprès de la police de Vancouver relativement aux trois premières infractions et J. O. en a fait autant relativement à la quatrième. Au moment de l'ouverture de l'enquête policière le 7 avril 1980, la police n'a pas alors pu retrouver la plaignante L. H. qui avait quitté son domicile sans laisser d'adresse. Retrouvée en octobre 1982, la plaignante a été interrogée par la police le 29 novembre et les 1er et 7 décembre 1982.

3. Ce n'est que le 4 janvier 1983 que l'accusé a été informé de l'enquête. Le 28 janvier 1983, on a déposé contre lui une dénonciation portant sur chacune des quatre infractions susmentionnées. Il a comparu le même jour en Cour provinciale. Le 8 mars 1983, l'accusé, accompagné de son avocat, a comparu en personne et l'enquête préliminaire a été fixée aux 24, 25 et 26 mai 1983. À la demande de l'avocat de l'accusé, un argument constitutionnel devait être entendu le 5 avril 1983. Mais le 5 avril, la poursuite et l'avocat de la défense sont convenus de reporter au 25 avril 1983 l'audience sur l'argument constitutionnel. Le 25 avril, l'avocat de l'accusé n'a pu être présent et il y a eu un nouvel ajournement jusqu'au 6 mai 1983. Le 6 mai, le juge de la Cour provinciale a ordonné au ministère public de produire des témoins qui déposeraient relativement aux événements survenus entre la date des infractions alléguées (le 3 avril 1980) et la date du dépôt de la dénonciation (le 28 janvier 1983).

Les jugements

Cour provinciale

4. Le juge Craig de la Cour provinciale a conclu que les droits constitutionnels de l'accusé garantis par l'al. 11b) de la Charte avaient été violés et a ordonné une suspension d'instance. Selon le juge Craig, la police de Vancouver n'avait pas fait preuve de négligence en l'espèce, mais le laps de temps écoulé entre le 3 avril 1980 et le 28 janvier 1983 par suite de la disparition de la victime L. H. constituait un délai [TRADUCTION] "complètement déraisonnable". Le savant juge a en outre dit qu'il ne pouvait qu'être [TRADUCTION] "inquiet compte tenu du délai écoulé depuis la date de l'affaire", et c'est pourquoi, en déterminant si le délai antérieur au procès était raisonnable au sens de l'al. 11b), il a pris en considération aussi bien le délai antérieur à l'entrée en vigueur de la Charte que celui qui a précédé l'inculpation.

5. Précisant quels intérêts de l'accusé étaient mis en péril par le délai, le juge a fait les observations suivantes:

[TRADUCTION] Il faut qu'un accusé puisse se souvenir et faire appel à ses témoins et mener ses propres enquêtes. Selon moi, tout ceci lui a été refusé en l'espèce et, pour les raisons déjà exposées, je prononcerai la suspension d'instance.

Cour suprême de la Colombie‑Britannique

6. Sur demande du ministère public visant à obtenir un certiorari pour annuler la suspension d'instance et un mandamus pour obliger un juge de la Cour provinciale à procéder à l'enquête préliminaire ou à l'instruction des accusations, le juge McKay a conclu que, dans les circonstances, les droits de l'accusé garantis par l'al. 11b) n'avaient pas été violés. Par conséquent, il a rendu les ordonnances sollicitées de certiorari et de mandamus: (1983), 9 C.C.C. (3d) 173.

7. Sur la question du délai antérieur à l'inculpation, le juge McKay a dit, aux pp. 178 et 179:

[TRADUCTION] Je n'ai pas le moindre doute qu'il peut y avoir une réparation fondée sur l'al. 11d) ou sur l'art. 7, et peut‑être sur une conclusion d'abus de procédure, si l'on établit que tout délai antérieur au dépôt de la dénonciation ou à la présentation de l'acte d'accusation porterait grandement atteinte au droit de l'accusé à un procès équitable et si l'on établit que ce délai a été provoqué par la police ou par la poursuite pour atteindre quelque but indirect. On n'a pas besoin de déformer le sens clair de l'al. 11b) pour fournir une réparation dans le cas d'un délai antérieur au dépôt d'une dénonciation. Je ne veux toutefois pas dire par là qu'il y a lieu à une telle réparation en l'espèce.

8. Cependant, le juge McKay a ajouté qu'il se peut bien que l'existence d'un délai antérieur au dépôt de la dénonciation, par opposition aux motifs de ce délai, entre en ligne de compte relativement à un délai postérieur à la dénonciation au sens de l'al. 11b).

Cour d'appel

9. La Cour d'appel (1984), 11 C.C.C. (3d) 284, 8 D.L.R. (4th) 156, 9 C.R.R. 345 a confirmé la décision du juge McKay, disant qu'à une seule exception près, elle était d'accord avec ses motifs. En effet, la Cour a préféré ne pas exprimer d'opinion sur la déclaration du juge McKay qu'on peut tenir compte, en tant que fait, du délai antérieur au dépôt d'une dénonciation lorsqu'il s'agit d'examiner un délai postérieur au dépôt de la dénonciation.

Délai antérieur à l'inculpation

10. En l'espèce, l'accusé a été "inculpé" dès que lui a été signifiée une sommation par suite du dépôt de la dénonciation, c'est‑à‑dire le 28 janvier 1983.

11. Comme je l'ai souligné dans l'arrêt Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, rendu en même temps que le présent arrêt, en déterminant si un procès a eu lieu dans un délai généralement raisonnable, on ne doit tenir compte que du temps qui s'écoule à partir de l'inculpation. En passant, je puis ajouter que je dis "généralement" parce qu'il pourrait y avoir des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le délai pourrait courir avant le dépôt de l'accusation dont l'accusé aura à répondre. Par exemple, si la poursuite retire l'accusation pour la remplacer par une autre mais pour la même affaire, le calcul du délai pourrait bien commencer à partir de la première accusation. Ce n'est pas la question en l'espèce et je n'utilise cette situation que pour illustrer mon recours au mot "généralement". Il s'ensuit que la période du 3 avril 1980 au 28 janvier 1983 n'aurait pas dû être prise en considération pour déterminer le caractère raisonnable du délai au sens de l'al. 11b).

12. D'autre part, je rejette, avec égards, l'opinion du juge McKay qu'on peut, en examinant si un délai postérieur à l'inculpation est raisonnable, donner un certain poids au délai antérieur au dépôt de la dénonciation. Cela s'explique par le fait qu'avant l'inculpation, la liberté de l'individu en question n'aura pas été restreinte et celui‑ci ne sera pas encore considéré par la collectivité comme accusé d'un crime. Par conséquent, les aspects de la liberté et de la sécurité de la personne qui sont protégés par l'al. 11b) (par opposition aux aspects protégés par l'art. 7 et l'al. 11d)) n'auront pas été compromis antérieurement à l'introduction de poursuites judiciaires contre la personne en question. Donc, le délai antérieur à l'inculpation n'a aucune importance relativement à ces intérêts garantis par l'al. 11b).

13. Seule la période du 28 janvier 1983 au 6 mai 1983, date à laquelle a débuté l'enquête sur le caractère raisonnable du délai, peut à bon droit être retenue pour déterminer s'il y a eu violation de l'al. 11b). Or, il ne s'est écoulé que trois mois et demi et le requérant ne prétend pas que ce laps de temps constitue une violation de l'al. 11b). Il est d'ailleurs évident que le requérant se fonde sur le délai antérieur à l'inculpation; de toute façon, la majeure partie du délai postérieur à l'inculpation a eu lieu avec le consentement de l'accusé, à dire vrai pour une bonne part, à la demande de l'accusé lui‑même.

L'alinéa 11d) et l'emploi abusif des procédures

14. Rien n'indique de fourberie ou de malveillance, pas plus qu'une conduite de quelque manière abusive ou vexatoire de la part de la police. Il n'est donc pas question d'une conclusion d'emploi abusif des procédures. Cela étant, seule reste à trancher la question de savoir si, par suite du délai, l'accusé a été privé de son droit à un procès équitable, garanti par l'al. 11d).

15. L'appelant n'a pas invoqué l'al. 11d) en cette Cour. De toute façon, je ne vois dans la transcription des plaidoiries devant les juridictions d'instance inférieure aucune indication de la part du requérant exposant comment il a été privé de son droit à un procès équitable, si ce n'est par le simple passage du temps.

16. J'ajoute en dernier lieu que, compte tenu de ma conclusion dans l'arrêt Mills, le juge Craig de la Cour provinciale, siégeant à l'enquête préliminaire, n'avait pas compétence pour ordonner la suspension d'instance fondée sur une violation de l'al. 11b).

17. Pour les motifs que je viens d'exposer, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs rendus par

18. Le Juge Wilson—Je suis d'accord avec mon collègue le juge Lamer pour dire que le laps de temps à considérer pour déterminer si un accusé a été jugé dans un délai raisonnable au sens de l'al. 11b) commence à courir au moment de l'inculpation.

19. Toutefois, je ne partage pas son avis suivant lequel on ne peut pas tenir compte du délai antérieur au dépôt de l'inculpation (sauf circonstances exceptionnelles) pour évaluer le caractère raisonnable du délai au sens de l'al. 11b). Si le fondement du caractère déraisonnable allégué en vertu de l'al. 11b) n'est pas le délai postérieur à l'inculpation en soi, mais le fait que ce délai a porté atteinte au droit de l'inculpé d'opposer une réponse et une défense complètes à l'accusation, alors je crois que le délai antérieur à l'inculpation peut fort bien être pertinent à cet égard.

20. Mon collègue reconnaît qu'un délai antérieur à l'inculpation peut entrer en ligne de compte en vertu de l'al. 11d) et relativement à une allégation d'abus de procédures, et je suis bien d'accord. Mon désaccord quant à sa pertinence en vertu de l'al. 11b) découle de la différence de vue que mon collègue et moi‑même avons exprimée dans l'arrêt Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863 (rendu en même temps que le présent arrêt), sur le point de savoir si le préjudice est pertinent relativement à l'évaluation du caractère raisonnable en vertu de l'al. 11b).

21. L'appelant en l'espèce n'a pas fait valoir que le délai de trois mois et demi postérieur à l'inculpation était déraisonnable en ce sens qu'il l'aurait gêné dans sa défense. Ainsi la question de savoir si le délai antérieur à l'inculpation a contribué ou accentué le préjudice découlant de ce que le procès n'a pas été tenu dans un délai raisonnable, ne se pose pas ici.

22. Je suis d'accord avec mon collègue que le juge Craig de la Cour provinciale qui a présidé l'enquête préliminaire n'était pas un tribunal compétent au sens du par. 24(1). Je suis d'accord avec mon collègue pour rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l'appelant: Davis & Company, Vancouver.

Procureur de l'intimée: Robert H. Wright, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : [1986] 1 R.C.S. 981 ?
Date de la décision : 26/06/1986
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Procès tenu dans un délai raisonnable - Pertinence ou non du délai antérieur à l'inculpation pour déterminer s'il y a eu violation du droit de l'accusé d'être jugé dans un délai raisonnable - Charte canadienne des droits et libertés, art. 11b).

Le 28 janvier 1983, l'accusé a été inculpé de plusieurs infractions d'ordre sexuel qui auraient toutes été commises le 3 avril 1980. En mai 1983, avant que l'accusé n'ait fait son choix, un juge de la Cour provinciale a statué que le droit de l'accusé d'être jugé dans un délai raisonnable en vertu de l'al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés avait été violé, et il a ordonné la suspension des procédures. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a accueilli la demande de certiorari présentée par le ministère public et a annulé la décision. Elle a statué que le juge de la Cour provinciale avait commis une erreur en tenant compte du délai antérieur à la dénonciation pour évaluer le caractère raisonnable du délai mis à tenir le procès au sens de l'al. 11b). La Cour d'appel a confirmé le jugement.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer, Le Dain et La Forest: Pour déterminer le caractère raisonnable du délai au sens de l'al. 11b), on ne doit pas tenir compte du délai antérieur à la dénonciation. Le laps de temps dont il faut tenir compte ne commence à courir qu'à partir de l'inculpation. Le délai antérieur à la dénonciation est également sans pertinence lorsqu'on examine si un délai postérieur à l'inculpation est raisonnable. Avant l'inculpation, la liberté de l'individu en question n'est soumise à aucune restriction et celui‑ci n'est pas encore considéré par la collectivité comme accusé d'un crime. Par conséquent, les aspects de la liberté et de la sécurité de la personne qui sont protégés par l'al. 11b) n'auront pas été compromis antérieurement à l'introduction de poursuites judiciaires contre cette personne.

Finalement, un juge de la Cour provinciale siégeant à l'enquête préliminaire ne constitue pas un tribunal compétent pour ordonner une suspension des procédures fondée sur une violation de l'al. 11b).

Le juge Wilson: Bien que le laps de temps dont il faut tenir compte pour déterminer si un accusé a été jugé dans un délai raisonnable au sens de l'al. 11b) commence à courir au moment de son inculpation, le délai antérieur à l'inculpation peut être pris en considération pour déterminer le caractère raisonnable du délai postérieur à l'inculpation au sens de l'al. 11b) si l'accusé se plaint de ce que ce dernier délai était déraisonnable parce qu'il a porté atteinte à son droit d'opposer une réponse et une défense complètes à l'accusation. Cette question ne se pose toutefois pas ici.


Parties
Demandeurs : Carter
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :

Jurisprudence
Arrêt suivi: Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11b), d).

Proposition de citation de la décision: Carter c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 981 (26 juin 1986)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1986-06-26;.1986..1.r.c.s..981 ?
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