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09/10/1986 | CANADA | N°[1986]_2_R.C.S._147

Canada | Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147 (9 octobre 1986)


Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147

Central Trust Company Appelante

c.

Jack P. Rafuse et Franklyn W. Cordon Intimés

répertorié: central trust co. c. rafuse

No du greffe: 17753.

1984: 6 décembre; 1986: 9 octobre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Lamer, Wilson et Le Dain.

en appel de la cour d'appel de la nouvelle‑écosse

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse (1983), 57 N.S.R. (2d) 125, 120 A.P.R. 125, 147 D.L.R. (3d) 260, 28 R.P.R. 185, qui a re

jeté l'appel d'une décision du juge Hallett (1982), 53 N.S.R. (2d) 69, 109 A.P.R. 69, 139 D.L.R. 385, qui avait r...

Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147

Central Trust Company Appelante

c.

Jack P. Rafuse et Franklyn W. Cordon Intimés

répertorié: central trust co. c. rafuse

No du greffe: 17753.

1984: 6 décembre; 1986: 9 octobre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Lamer, Wilson et Le Dain.

en appel de la cour d'appel de la nouvelle‑écosse

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse (1983), 57 N.S.R. (2d) 125, 120 A.P.R. 125, 147 D.L.R. (3d) 260, 28 R.P.R. 185, qui a rejeté l'appel d'une décision du juge Hallett (1982), 53 N.S.R. (2d) 69, 109 A.P.R. 69, 139 D.L.R. 385, qui avait rejeté l'action de l'appelante. Pourvoi accueilli.

R. A. Cluney, c.r., et R. G. Belliveau, pour l'appelante.

Arthur R. Moreira, c.r., Alexander S. Beveridge et Colin D. Bryson, pour les intimés.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Le juge Le Dain—La question principale soulevée dans ce pourvoi est de savoir si un avocat a, envers le client qui a retenu ses services, une responsabilité délictuelle aussi bien que contractuelle pour le préjudice résultant de l'omission de satisfaire à la norme requise de diligence dans la prestation desdits services. La question qui en découle est de savoir si, dans l'hypothèse d'une telle omission, l'action intentée par l'appelante contre les intimés est frappée de prescription.

2. Le présent pourvoi, autorisé par la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, a été formé contre l'arrêt rendu le 30 mars 1983 par la Division d'appel qui a rejeté l'appel interjeté contre le jugement du 9 août 1982 dans lequel le juge Hallett de la Division de première instance avait débouté l'appelante de l'action en dommages‑intérêts qu'elle avait intentée contre les avocats intimés pour rupture de contrat et pour avoir fait preuve de négligence en n'informant pas leur cliente qu'une hypothèque pourrait, en cas de contestation, être déclarée nulle, comme l'a fait subséquemment cette Cour en raison d'une disposition législative interdisant à une société d'accorder une aide financière reliée à l'achat de ses propres actions.

I

3. La relation avocat‑client a pris naissance de la manière exposée ci‑après. Les avocats intimés agissaient pour le compte de personnes qui avaient convenu d'acheter pour le prix de 315 000 $ tout le capital‑actions de Stonehouse Motel and Restaurant Limited (ci‑après appelée "Stonehouse"). L'une des conditions de la promesse de vente portait que les acheteurs devraient obtenir un prêt hypothécaire d'au moins 225 000 $, garanti par la propriété de Stonehouse, qui serait versé au vendeur en paiement partiel du prix d'achat des actions. L'un des acheteurs, agissant pour le compte de Stonehouse, a présenté à Nova Scotia Trust Company une demande de prêt hypothécaire et, conformément à la pratique suivie dans de tels cas, la société de fiducie a retenu les services d'avocats, en l'occurrence les intimés, pour s'occuper des aspects juridiques de l'hypothèque. Dans une lettre en date du 12 décembre 1968 adressée par la société de fiducie à l'intimé Rafuse, qui confirmait l'approbation du prêt hypothécaire à Stonehouse, on disait ce qui suit: [TRADUCTION] "Par conséquent, auriez‑vous l'obligeance de faire une recherche de titres relativement au bien‑fonds en question afin de s'assurer qu'il s'agit d'un titre valable à nos fins, et de nous fournir un certificat attestant ce fait." Le prêt hypothécaire a été approuvé et les instructions données aux avocats intimés au nom de la société de fiducie émanaient de personnes possédant une formation juridique.

4. À la signature de la vente le 31 décembre 1968, les acheteurs des actions, en leur qualité de nouveaux dirigeants de Stonehouse, ont alors consenti une hypothèque de premier rang sur le bien‑fonds et un nantissement sur le matériel de la société en garantie d'un prêt de 225 000 $ accordé par la société de fiducie. L'intimé Cordon, représentant à la fois les acheteurs et la société de fiducie, a remis aux avocats du vendeur un chèque de 300 000 $, dont 225 000 $ provenaient du prêt hypothécaire, en paiement des actions. Le 17 janvier 1969, l'intimé Cordon, faisant rapport pour le compte de son cabinet à la société de fiducie concernant l'opération hypothécaire a dit: [TRADUCTION] "Nous certifions par les présentes que le titre du bien‑fonds susmentionné est libre de toute charge, que l'hypothèque consentie par Stone‑House Motel and Restaurant Limited constitue une charge de premier rang grevant le bien‑fonds et que tous les impôts ont été acquittés jusqu'au 31 décembre 1969."

5. L'appelante, Central Trust Company, est le successeur de Nova Scotia Trust Company. Le 21 avril 1977, elle a intenté contre Stonehouse une action en forclusion hypothécaire. Irving Oil Limited, une créancière de Stonehouse ayant des jugements inscrits contre elle, est intervenue pour s'opposer à l'action. Stonehouse et Irving ont toutes les deux invoqué comme moyen de défense la nullité de l'hypothèque pour le motif qu'elle enfreignait le par. 96(5) de la Companies Act de la Nouvelle‑Écosse, R.S.N.S. 1967, chap. 42, dont voici le texte:

[TRADUCTION] 96....

(5) Sous réserve du présent article, une compagnie ne peut légalement donner directement ou indirectement, soit par le moyen de prêt, garantie, nantissement, soit autrement, une aide financière aux fins ou à l'égard d'un achat d'actions de la compagnie effectué ou à effectuer par qui que ce soit.

6. Dans une décision rendue le 25 novembre 1977, intitulée Central and Eastern Trust Co. v. Stonehouse Motel and Restaurant Ltd. (1977), 81 D.L.R. (3d) 495, la Division de première instance de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (le juge Hart) a conclu que le par. 96(5) n'entraînait pas la nullité de l'hypothèque et a accordé une ordonnance de forclusion. Ce jugement a été porté en appel devant la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (les juges Coffin, Macdonald et Pace) qui, le 10 juillet 1978, dans l'arrêt Irving Oil Ltd. v. Central and Eastern Trust Co. (1978), 89 D.L.R. (3d) 374, a conclu à la nullité de l'hypothèque en raison du par. 96(5), sauf en ce qui avait trait au montant par lequel les obligations de Stonehouse devaient être réduites par l'utilisation du montant du prêt hypothécaire. Un pourvoi a été formé contre cet arrêt et, le 22 avril 1980, dans l'arrêt Central and Eastern Trust Co. c. Irving Oil Ltd., [1980] 2 R.C.S. 29, cette Cour a déclaré l'hypothèque nulle en totalité pour le motif qu'elle allait à l'encontre du par. 96(5).

7. Le 28 octobre 1980, à la suite de l'arrêt de cette Cour déclarant nulle l'hypothèque, l'appelante a intenté contre les intimés son action pour rupture de contrat et pour négligence. La négligence aurait consisté à ne pas se rendre compte que l'hypothèque risquait d'être déclarée nulle pour le motif qu'elle contrevenait au par. 96(5) de la Companies Act du fait qu'elle avait été consentie par Stonehouse pour fournir une aide financière reliée à l'achat de ses actions, et à ne pas avoir informé l'appelante de ce danger.

8. Pour leur défense les intimés ont fait valoir: a) que leur responsabilité, s'il y a lieu, ne pouvait qu'être contractuelle et non délictuelle, b) qu'ils n'avaient pas fait preuve de négligence, compte tenu particulièrement des opinions contradictoires exprimées par les tribunaux sur la question de la validité de l'hypothèque, c) qu'il y a eu faute de la part de Nova Scotia Trust Company, ou des personnes dont elle répondait, en raison de l'approbation du prêt hypothécaire et des instructions données aux intimés par des personnes possédant une formation juridique, d) que le contrat entre Nova Scotia Trust Company et les intimés, du fait qu'il portait sur une opération illégale, était lui‑même illégal et ne pouvait en conséquence justifier une action en dommages‑intérêts, et e) l'action de l'appelante était prescrite en vertu de The Statute of Limitations, R.S.N.S. 1967, chap. 168.

9. En Division de première instance (1982), 139 D.L.R. (3d) 385, le juge Hallett a rejeté l'action de l'appelante pour le motif que les intimés n'avaient pas fait preuve de négligence. Il n'a pas abordé les autres points soulevés.

10. La Division d'appel (les juges Cooper, Pace et Jones) (1983), 147 D.L.R. (3d) 260, a conclu que les intimés avaient fait preuve de négligence, mais a rejeté l'appel pour le motif que l'action était prescrite en vertu de The Statute of Limitations. La Cour d'appel était de cet avis peu importe que l'action de l'appelante puisse ou non être fondée aussi bien sur la responsabilité délictuelle que sur la responsabilité contractuelle, question sur laquelle elle ne s'est pas prononcée.

11. L'appelante a reconnu en cette Cour que, si la responsabilité des avocats intimés était purement contractuelle, son action serait prescrite. Voici en résumé les questions soulevées en l'espèce dans l'ordre dans lequel je me propose de les examiner dans la mesure où cela peut être nécessaire pour trancher le pourvoi:

1. Un avocat peut‑il avoir, envers le client qui a retenu ses services professionnels, une responsabilité délictuelle aussi bien que contractuelle pour avoir fait preuve de négligence dans la prestation desdits services?

2. Les avocats intimés ont‑ils fait preuve de négligence en réalisant l'opération hypothécaire pour Nova Scotia Trust Company?

3. Y a‑t‑il eu faute de la part de Nova Scotia Trust Company ou des personnes dont elle répondait?

4. L'action de l'appelante est‑elle irrecevable en raison de l'illégalité de l'hypothèque?

5. L'action de l'appelante est‑elle prescrite en vertu de The Statute of Limitations?

12. Les parties se sont entendues sur le montant des dommages‑intérêts à verser si jamais il y a responsabilité de la part des intimés. Le juge Hallett note ainsi les termes de leur accord dans ses motifs de jugement: [TRADUCTION] "Les défendeurs ont approuvé le montant réclamé par la demanderesse, lequel comprend 424 434,04 $ au titre de l'hypothèque (capital, intérêts et impôts) plus les intérêts courus après le 14 avril 1982 au taux de 156,93 $ par jour ainsi que des frais de justice de l'ordre de 56 759,46 $ engagés par la demanderesse pour tenter d'obtenir l'exécution de l'hypothèque." Cet accord quant au montant a été confirmé par les parties dans leurs mémoires en cette Cour.

II

13. La question de savoir si la négligence dans la prestation de services professionnels peut entraîner une responsabilité à la fois contractuelle et délictuelle a fait l'objet d'opinions contradictoires de la part des tribunaux et a été longuement discutée par les auteurs de doctrine dont une majorité écrasante s'est dite en faveur de la reconnaissance de l'existence d'une responsabilité concurrente dans un tel cas. D'importantes conséquences juridiques découlent des divergences quant aux règles applicables à la responsabilité contractuelle et à la responsabilité délictuelle. Les trois domaines les plus importants dans lesquels ces divergences se sont manifestées dans la jurisprudence portant sur la question de la responsabilité concurrente sont ceux de la prescription des actions, du calcul des dommages‑intérêts et du partage de la responsabilité. Bien que les tribunaux se montrent de plus en plus disposés à appliquer des règles semblables ou, tout au moins, à arriver à des résultats semblables relativement à ces questions, peu importe lequel des deux types de responsabilité est en cause, il subsistera probablement dans certains cas des différences de résultat découlant des différences inhérentes entre les domaines contractuel et délictuel. Même si on a préconisé comme solution possible au problème de la responsabilité concurrente l'assimilation des règles applicables aux deux types de responsabilités, ou de leurs résultats, il est peu probable que cette orientation très perceptible du droit dans ce domaine puisse rendre la question purement théorique. C'est cette différence importante sur le plan des résultats, particulièrement dans les trois domaines susmentionnés, qui a conféré à la question de la responsabilité concurrente son importance ou intérêt de principe dans les nombreuses opinions exprimées à ce propos par les juges et les auteurs de doctrine.

14. Au moins trois considérations majeures se dégagent de cet ensemble d'opinions. Il y a d'abord le point de vue des opposants à la responsabilité concurrente, selon lequel lorsqu'il existe des liens contractuels entre des personnes, leur responsabilité pour un acte ou pour une omission qui constitue une rupture de contrat doit être régie entièrement par le droit des contrats. Les liens qui n'auraient jamais existé sans le contrat ne doivent pas être considérés comme créant une obligation de diligence en common law. Il serait injuste d'ajouter une responsabilité délictuelle à la responsabilité contractuelle qui, on peut le supposer, a été envisagée par les parties. Ce point de vue semble reposer autant sur l'existence d'une intention contractuelle implicite que sur la portée de la responsabilité délictuelle. La deuxième considération qui ressort des opinions sur la question de la responsibilité concurrente est le point de vue des tenants de cette responsabilité, selon lequel certains types de liens, peu importe qu'ils tirent ou non leur origine d'un contrat, font naître une obligation de diligence en common law. Suivant ce point de vue, aucun arrêt de principe énonçant les circonstances dans lesquelles la common law impose une obligation de diligence ne laisse entendre que cette obligation se limite à des liens non contractuels. Tout en reconnaissant que la responsabilité délictuelle peut être limitée ou exclue expressément ou implicitement par un contrat, ce point de vue porte que rien ne justifie que chaque contrat soit interprété comme comportant une condition implicite selon laquelle la responsabilité doit être régie exclusivement par le droit des contrats. Ce point de vue constitue vraiment une déclaration de la portée de la responsabilité délictuelle, par rapport au point de vue opposé qui constitue une déclaration de la portée de l'intention des contractants. La troisième considération majeure qui ressort des opinions sur la question de la responsabilité concurrente est le point de vue, également partagé par les tenants de la responsabilité concurrente, selon lequel en ne reconnaissant pas qu'un avocat puisse avoir envers le client qui a retenu ses services professionnels une responsabilité aussi bien délictuelle que contractuelle pour avoir fait preuve de négligence dans la prestation desdits services, on crée une situation anormale en ce qui concerne la responsabilité de l'avocat envers son client et il en résulte une injustice. La question de la justice, sur laquelle insistent aussi bien ceux qui préconisent la responsabilité concurrente que ceux qui s'y opposent, n'est pas sans présenter une certaine ambiguïté ou ambivalence. Ce qui peut paraître juste aux yeux d'une partie peut être considéré comme injuste par l'autre. Prenons, par exemple, la prescription des actions qui est une mesure visant à protéger les parties défenderesses. évidemment, il y a des considérations de justice applicables aux deux parties. Il en va de même pour ce qui est du calcul des dommages‑intérêts. C'est peut‑être dans le domaine de la faute de la victime et du partage de la responsabilité que la question de la justice est la plus claire et la moins ambiguë; une personne qui n'est responsable qu'en partie ne doit pas être jugée entièrement responsable.

15. Voilà, semble‑t‑il, les considérations de principe majeures qui sous‑tendent la question de la responsabilité concurrente. L'examen de la jurisprudence relative à cette question doit commencer en cette Cour par les motifs qu'a rédigés le juge Pigeon au nom de la majorité dans l'affaire J. Nunes Diamonds Ltd. c. Dominion Electric Protection Co., [1972] R.C.S. 769, et ses motifs de dissidence dans l'arrêt Smith c. McInnis, [1978] 2 R.C.S. 1357.

16. Dans l'affaire Nunes Diamonds, la question relative à la responsabilité concurrente était de savoir si l'intimée, Dominion Electric Protection Company ("D.E.P."), qui s'était engagée à fournir au diamantaire appelant ("Nunes") un service d'alarme contre le cambriolage, avait une responsabilité délictuelle envers Nunes en raison de déclarations inexactes faites par négligence au sujet du fonctionnement du système d'alarme, et ce, malgré l'existence d'un contrat contenant une clause limitant la responsabilité. Le contrat portait que D.E.P. n'était pas un assureur, que les taux exigés étaient fondés sur la valeur probable du service d'alarme contre le cambriolage, et qu'en cas de perte résultant d'une omission de fournir le service en question, la responsabilité de D.E.P. serait limitée au versement de 50 $ à titre de dommages‑intérêts. Il prévoyait en outre qu'aucune condition, garantie ni déclaration n'avait été faite par D.E.P., ses employés, préposés ou agents, à part celles qui figuraient par écrit dans le contrat. Les déclarations supposément inexactes selon lesquelles le système d'alarme n'avait pas été déjoué ni ne pouvait l'être avaient été faites plusieurs mois après la passation du contrat, à la suite d'un cambriolage commis dans les locaux d'un autre diamantaire, qui se servait également du système d'alarme de D.E.P. Quelque temps après, un cambriolage a eu lieu chez Nunes et une quantité importante de diamants a été volée. Le système d'alarme ne s'est pas mis en marche parce qu'on l'avait déjoué. Nunes a poursuivi D.E.P. pour rupture de contrat et pour négligence. La cour de première instance, la Cour d'appel de l'Ontario et cette Cour ont toutes été d'avis qu'il n'y avait pas eu de rupture de contrat. La question était donc de savoir si des déclarations inexactes avaient été faites par négligence au sujet du fonctionnement du système d'alarme, de manière à engager la responsabilité délictuelle de D.E.P. en fonction du principe énoncé dans l'arrêt Hedley Byrne & Co. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465. La cour de première instance et la Cour d'appel ont conclu à l'absence de déclarations inexactes entraînant la responsabilité de D.E.P. Cette Cour à la majorité semble avoir partagé cet avis, mais a conclu que, même à supposer qu'il y ait eu déclarations inexactes, il ne pouvait y avoir de responsabilité délictuelle en raison de l'existence du contrat. Le juge Pigeon, à l'avis duquel ont souscrit les juges Martland et Judson, affirme aux pp. 777 et 778:

Le critère de responsabilité délictuelle étudié dans l'affaire Hedley Byrne ne peut pas s'appliquer lorsque les relations entre les parties sont régies par un contrat, à moins qu'il soit possible de considérer que la négligence imputée constitue un délit civil indépendant n'ayant aucun rapport avec l'exécution du contrat, comme on l'a dit dans la cause Elder, Dempster & Co. Ltd. v. Paterson, Zochonis & Co. Ltd. [[1924] A.C. 522], p. 548. En l'espèce, c'est là un point particulièrement important, à cause des dispositions contractuelles relatives à la nature des obligations assumées et l'exclusion virtuelle de toute responsabilité en cas de défaut de les remplir.

La Cour à la majorité semble avoir tenu pour acquis, à l'instar du juge de première instance, que la clause du contrat qui limitait la responsabilité en cas de perte à la somme de 50 $ ne s'appliquait pas à la négligence et aussi que la clause relative aux déclarations ne visait pas celles faites après la signature du contrat. Le juge Pigeon a affirmé que si, malgré la limitation de responsabilité prévue dans le contrat, D.E.P. devait avoir une responsabilité délictuelle, cela apporterait une modification fondamentale au contrat. Il a ajouté que les déclarations sur lesquelles reposait l'allégation de responsabilité délictuelle ne constituaient pas des actes indépendants des liens contractuels entre les parties parce qu'elles n'auraient pas été faites si ces dernières n'avaient pas été liées par un contrat. Le juge Spence, dont l'opinion dissidente a été partagée par le juge Laskin, alors juge puîné, a conclu que des déclarations inexactes avaient été faites par négligence au sujet du fonctionnement du système d'alarme contre le cambriolage, déclarations qui, suivant l'arrêt Hedley Byrne, entraînaient la responsabilité délictuelle de D.E.P. Quant à la question de savoir s'il pouvait y avoir responsabilité délictuelle dans un cas où il existait des liens contractuels, voici ce qu'il affirme aux pp. 810 et 811: "Je ne puis admettre que la simple existence d'un contrat antérieur ait empêché toute responsabilité délictuelle en vertu du principe énoncé dans la cause Hedley Byrne."

17. Dans l'arrêt Elder Dempster, que le juge Pigeon a invoqué à l'appui du critère d'un délit civil indépendant sans rapport avec l'exécution du contrat, la question était de savoir si la propriétaire d'un navire, qui, avec l'affréteur, avait été poursuivie pour les dommages causés à une cargaison, pouvait bénéficier d'une exclusion de responsabilité pour arrimage défectueux stipulée par le connaissement. La demanderesse, propriétaire de la cargaison, a allégué la responsabilité délictuelle de la propriétaire du navire par suite de la négligence du capitaine et a fait valoir que la propriétaire du navire ne pouvait invoquer la protection du connaissement parce qu'elle n'y était pas partie. La Chambre des lords a conclu que la propriétaire du navire était protégée par le connaissement, bien que les avis aient été partagés quant aux raisons pour lesquelles il lui était applicable (cf. Scruttons Ltd. v. Midland Silicones Ltd., [1962] A.C. 446). L'arrêt établissait essentiellement que, lorsque l'acte ou l'omission reprochés étaient reliés à l'exécution du contrat, on ne pouvait, au moyen d'une allégation de responsabilité délictuelle, contourner l'exclusion contractuelle de responsabilité pour arrimage défectueux prévue par le connaissement. C'est ce qui ressort des motifs du vicomte Finlay, cités par le juge Pigeon dans l'arrêt Nunes Diamonds. Abordant l'argument selon lequel la propriétaire du navire assumait une responsabilité délictuelle que n'écartait pas l'exclusion de responsabilité stipulée par le connaissement, le vicomte Finlay affirme à la p. 548:

[TRADUCTION] Cet argument me semble faire abstraction du fait que l'acte dont on se plaint a été accompli au cours de l'arrimage effectué en vertu du connaissement et que, selon ce connaissement, la propriétaire n'assume aucune responsabilité pour un arrimage défectueux. Si la faute dont on se plaint avait constitué un délit indépendant, sans lien avec l'exécution du contrat constaté par le connaissement, l'affaire aurait été différente. Mais, lorsque la faute intervient dans le cours des services mêmes qui sont rendus dans l'exécution du connaissement, la limitation de responsabilité qu'il contient doit jouer, quelle que soit la forme que prend l'action et que la poursuite soit engagée contre le propriétaire ou contre l'affréteur. Il serait absurde que le propriétaire des marchandises puisse contourner les clauses protectrices du connaissement relatives à tous les arrimages en poursuivant le propriétaire du navire en responsabilité délictuelle.

18. Toutefois, dans l'arrêt Smith c. McInnis, le juge Pigeon a qualifié le principe énoncé dans l'arrêt Nunes Diamonds de règle générale applicable à la question de la responsabilité concurrente. Dans cette affaire, la question liée à la responsabilité concurrente était de savoir s'il pouvait y avoir partage de responsabilité entre les avocats défendeurs et les avocats mis en cause à des fins de contribution, pour le préjudice causé par l'omission de déposer les preuves du sinistre et d'intenter, dans le délai imparti, une action fondée sur une police d'assurance contre l'incendie. Les services des avocats mis en cause avaient été retenus par les avocats défendeurs, avec l'approbation de leur cliente, pour les aider à préparer les preuves du sinistre. La question était de savoir si les avocats mis en cause avaient l'obligation d'informer les avocats défendeurs du délai imparti pour déposer les preuves du sinistre et pour intenter une action. La Cour à la majorité (le juge en chef Laskin et les juges Martland, Spence, Dickson et Estey) a conclu que les avocats mis en cause n'avaient aucune obligation du genre et que, par conséquent, il ne lui était pas nécessaire de déterminer s'il y aurait pu y avoir partage de la responsabilité dans l'hypothèse où ils auraient été responsables, ni d'examiner à cette fin, comme l'a dit le juge en chef Laskin, "si la responsabilité du procureur envers son client est délictuelle ou uniquement contractuelle". Selon le juge Pigeon, dissident, à l'avis duquel le juge Beetz a souscrit, les avocats mis en cause avaient manqué à l'obligation d'informer les avocats défendeurs du délai imparti pour déposer les preuves du sinistre. Le procureur des avocats mis en cause a soutenu que leur responsabilité, s'il y a lieu, était de nature contractuelle et que, par conséquent, rien dans la loi applicable en matière de contribution ne justifiait un partage de responsabilité. Le juge Pigeon a conclu que, selon les principes généraux régissant les contrats, il pouvait y avoir partage de responsabilité en cas de rupture de contrat, mais, il a commencé son étude de cette question en exprimant l'avis suivant concernant la nature de la responsabilité qu'a un avocat envers son client pour avoir fait preuve de négligence dans la prestation de ses services professionnels, à la p. 1377:

Je conviens que la responsabilité d'un avocat envers son client, pour avoir omis de lui donner un conseil, ou autrement, est purement contractuelle et non délictuelle. Je maintiens l'opinion que j'ai déjà exprimée dans d'autres affaires, savoir, que le manquement à une obligation peut constituer un délit civil uniquement si ce manquement est indépendant de tout contrat conclu avec le demandeur, "un délit civil indépendant", comme je l'ai dit dans Nunes Diamonds c. Dominion Electric Protection [[1972] R.C.S. 769], à la p. 777. Dans le cas d'un avocat dont les services ont été retenus pour donner des conseils, son obligation vient uniquement du contrat et je ne vois pas comment sa responsabilité peut avoir un fondement autre que contractuel, comme il a été décidé dans le cas d'un ingénieur consultant, dans Halvorson c. McLellan Co. [[1973] R.C.S. 65], à la p. 74. La violation du contrat semble être le principe en vertu duquel un procureur a été tenu responsable par la Chambre des lords dans Nocton v. Ashburton [[1914] A.C. 932], et par la Cour d'appel d'Angleterre dans Groom v. Crocker [[1939] 1 K.B. 194].

Cela m'amène à la jurisprudence invoquée par le juge Pigeon à l'appui de ce point de vue.

19. Dans l'arrêt Halvorson, il était question de la responsabilité d'ingénieurs‑conseils pour les dommages résultant de la négligence dont ils avaient fait preuve en apportant des modifications à un treuil qui devait servir à tirer des câbles en haut d'une montagne en vue de la construction d'un téléphérique. Après avoir indiqué le fondement des liens contractuels entre l'entrepreneuse demanderesse et les ingénieurs défendeurs, le juge Pigeon, qui a rédigé les motifs de la Cour, affirme à la p. 74: "Cela signifie aussi que la seule réclamation possible de Halvorson est contre McLellan & Co., pour négligence dans l'exécution de son contrat pour services de montage, et non pour délit, comme on l'a prétendu." La caractérisation appropriée de la cause d'action paraît avoir été simplement une question de plaidoiries et d'argumentation, qui ne comportait aucune conséquence pratique.

20. L'arrêt Nocton v. Lord Ashburton a été cité à l'appui de la responsabilité concurrente. Certes, il est difficile d'en dégager la raison précise qui a pu amener certains membres de la Chambre des lords à conclure à la responsabilité de l'avocat (cf. lord Devlin dans l'arrêt Hedley Byrne, à la p. 520), mais j'estime en toute déférence que l'arrêt n'appuie nullement la proposition selon laquelle la responsabilité qu'a un avocat envers son client pour avoir fait preuve de négligence est purement contractuelle. Au contraire, certaines des opinions incidentes exprimées dans cet arrêt ainsi que les répercussions générales de son raisonnement et de ses conclusions étayent le point de vue voulant qu'un avocat puisse, indépendamment de l'existence d'un contrat, être responsable envers son client pour avoir fait preuve de négligence dans la prestation de ses services professionnels. Dans cette affaire, le client a poursuivi l'avocat pour l'avoir conseillé d'affecter une partie de la sûreté d'une hypothèque à une autre hypothèque dans laquelle l'avocat avait un intérêt, par suite de quoi, contrairement à l'assurance donnée par l'avocat, la sûreté restante s'est révélée insuffisante. La question en litige était de savoir si les allégations contenues dans la déclaration justifiaient une responsabilité fondée sur autre chose que la supercherie, qui nécessitait qu'on prouve qu'il y a vraiment eu dol. La Chambre des lords à la majorité (le vicomte Haldane, lord chancelier, ainsi que lord Atkinson et lord Dunedin) a jugé l'avocat responsable en equity pour avoir manqué à une obligation de fiduciaire, responsabilité manifestement distincte de celle qui existe en common law pour rupture de contrat. Dans son examen des différents fondements possibles de la responsabilité d'un avocat envers son client, le vicomte Haldane affirme, à la p. 956: [TRADUCTION] "Vos Seigneuries, l'avocat s'engage à faire preuve de compétence et de diligence en agissant pour son client. S'il manque à son obligation, cela peut entraîner en common law une responsabilité contractuelle de sa part ou même une responsabilité délictuelle pour avoir fait preuve de négligence en ne s'acquittant pas d'une obligation qui lui incombait. En fait, dans les premiers temps de l'action en assumpsit, cette responsabilité était vraiment considérée comme délictuelle." Lord Dunedin a indiqué pour sa part (à la p. 965) que, même s'il s'accordait avec le vicomte Haldane pour dire qu'il y avait une responsabilité pour manquement à une obligation de fiduciaire, il aurait préféré que la responsabilité soit fondée sur la rupture de contrat et, à ce propos, il a parlé d'une [TRADUCTION] "action pour cause de négligence" (p. 964). Le vicomte Haldane, à l'avis duquel a souscrit lord Atkinson, a aussi indiqué en terminant (à la p. 958) qu'il existait en common law une responsabilité alternative pour rupture de contrat. Lord Parmoor a conclu à l'existence d'une responsabilité fondée sur la négligence et, à en juger par les termes qu'il a employés — [TRADUCTION] "responsabilité fondée sur la négligence pour manquement à ses obligations en tant qu'avocat du demandeur" (à la p. 973) et [TRADUCTION] "une accusation de négligence pour manquement aux obligations qui incombent à l'appelant à titre d'avocat" (à la p. 977) — il paraît avoir eu à l'esprit un manquement à l'obligation contractuelle de diligence qui incombe à l'avocat. Lord Shaw a conclu qu'il y avait responsabilité pour manquement à une obligation, laquelle responsabilité découlait de liens [TRADUCTION] "équivalant à des liens contractuels" (aux pp. 971 et 972) — c'est‑à‑dire des liens dans lesquels on présumait la responsabilité et on s'y fiait. En dépit, ou peut‑être à cause, de l'emploi de l'expression "équivalant à des liens contractuels", je présume que lord Shaw parlait d'une responsabilité délictuelle. Du moins, telle semble avoir été la perception que lord Devlin a eu de ces motifs dans l'arrêt Hedley Byrne, où celui‑ci a adopté le principe de la responsabilité posé par lord Shaw dans l'arrêt Nocton comme fondement de son propre énoncé du principe de la responsabilité délictuelle pour déclarations inexactes faites par négligence.

21. Par contre, l'arrêt Groom v. Crocker de la Cour d'appel a, pendant une quarantaine d'années, appuyé clairement la proposition selon laquelle la responsabilité qu'a un avocat envers son client pour avoir fait preuve de négligence dans la prestation de ses services est purement contractuelle. Toutefois, à l'époque où l'arrêt Smith c. McInnis a été rendu, l'arrêt Esso Petroleum Co. v. Mardon, [1976] Q.B. 801, également de la Cour d'appel, était venu affaiblir, voire anéantir, l'autorité de l'arrêt Groom v. Crocker. Dans cette dernière affaire, des avocats dont les services avaient été retenus par un assureur pour représenter l'assuré ont été poursuivis par ce dernier pour le préjudice que lui a causé un aveu de responsabilité. En concluant que la responsabilité d'un avocat envers son client n'est que contractuelle, la Cour d'appel a affirmé que l'obligation de diligence d'un avocat n'existe pas indépendamment des liens contractuels. L'arrêt Groom v. Crocker a été critiqué aussi bien à cause de la jurisprudence sur laquelle il est fondé qu'en raison de celle dont il n'a apparemment pas tenu compte. Les plus anciens des arrêts invoqués ont fait l'objet d'une analyse critique dans plusieurs jugements savants et articles érudits. Voir, par exemple, Midland Bank Trust Co. v. Hett, Stubbs & Kemp, [1979] Ch. 384, aux pp. 406 à 408; Aluminum Products (Qld.) Pty. Ltd. v. Hill, [1981] Qd.R. 33, aux pp. 41 et 42; Macpherson & Kelley v. Kevin J. Prunty & Associates, [1983] 1 V.R. 573, aux pp. 575 à 577; Dwyer, "Solicitor's Negligence — Tort or Contract?" (1982), 56 A.L.J. 524, à la p. 531; et French, "The Contract/Tort Dilemma" (1983), 5 Otago L.R. 236, aux pp. 262, 263, 294 et 296. À mon avis, il ne servirait à rien d'entreprendre ici une étude approfondie de cette question. Je me contente d'exprimer mon accord avec le point de vue selon lequel ni la décision Howell v. Young (1826), 5 B. & C. 259, 108 E.R. 97, ni les autres décisions mentionnées dans la décision Bean v. Wade (1885), 2 T.L.R. 157, n'appuient clairement la déclaration, faite dans cette dernière décision et invoquée dans l'arrêt Groom v. Crocker, portant que [TRADUCTION] "le droit d'action dans des affaires de ce genre était considéré comme découlant d'une rupture de contrat et non pas d'une négligence indépendante du contrat ou d'un manquement aux obligations de fiduciaire", quoique la décision Howell v. Young (et la décision Smith v. Fox (1848), 6 Hare 386, 67 E.R. 1216, qui l'a appliquée) ait clairement justifié la conclusion tirée dans la décision Bean v. Wade, savoir que le délai de prescription courait à partir de la date du manquement à l'obligation plutôt qu'à partir du moment de la découverte de ce manquement. D'aucuns ont prétendu qu'il découle nécessairement de cette conclusion dans la décision Howell v. Young, malgré la présence dans celle‑ci d'opinions incidentes qui paraissent reconnaître la possibilité d'une responsabilité concurrente, que la cour a dû estimer qu'il s'agissait d'une responsabilité purement contractuelle en raison de la distinction traditionnelle bien établie entre ce qui constitue une cause d'action contractuelle et une cause d'action délictuelle. Je préfère l'interprétation de la décision Howell v. Young, certes l'une parmi tant d'autres (voir French, op. cit., à la p. 263), selon laquelle la cour avait à l'esprit la situation ordinaire dans laquelle le manquement à l'obligation et le dommage se produisent en même temps. Somme toute, je partage l'avis que la jurisprudence ancienne sur laquelle on s'est appuyé dans l'arrêt Groom v. Crocker constitue un fondement douteux et plutôt chancelant pour la conclusion qu'on y a tiré sur la question de la responsabilité concurrente.

22. L'arrêt Groom v. Crocker repose en outre sur la décision Jarvis v. Moy, Davies, Smith, Vandervell & Co., [1936] 1 K.B. 399, qui fait partie d'une catégorie spéciale de décisions traitant de la distinction entre les domaines contractuel et délictuel établie à certaines fins dans les versions successives de la County Courts Act. Font également partie de cette catégorie les décisions suivantes: Kelly v. Metropolitan Railway Co., [1895] 1 Q.B. 944; Turner v. Stallibrass, [1898] 1 Q.B. 56; Sachs v. Henderson, [1902] 1 K.B. 612; Steljes v. Ingram (1903), 19 T.L.R. 534; Edwards v. Mallan, [1908] 1 K.B. 1002; et Jackson v. Mayfair Window Cleaning Co., [1952] 1 All E.R. 215. La question à trancher dans ces affaires, afin notamment de déterminer l'échelle des dépens applicable et l'opportunité de déférer à une cour de comté une cause soumise à la Haute Cour, était de savoir s'il s'agissait d'une action fondée sur un contrat ou d'une action fondée sur un délit civil au sens de la Loi. Aux fins de la Loi, les tribunaux étaient tenus de situer l'action dans l'une ou l'autre catégorie; ils ne pouvaient pas la traiter comme une action à la fois contractuelle et délictuelle. Or, le critère qu'on avait retenu à cette fin était celui de [TRADUCTION] "l'essence de l'affaire" (Steljes v. Ingram, aux pp. 535 et 536), c'est‑à‑dire qu'on devait déterminer si l'action était essentiellement fondée sur un contrat ou sur un délit civil, ce qu'on faisait en se demandant si le demandeur avait dû fonder son action sur les conditions du contrat. On répondait à cette question en faisant la distinction entre une cause d'action fondée sur le manquement à une obligation spéciale imposée expressément par un contrat (dit "contrat spécial") et une cause d'action fondée sur le manquement à une obligation résultant à la fois d'une condition implicite du contrat et des liens qui existent en common law (Edwards v. Mallan, à la p. 1005). Dans le premier cas, il s'agissait aux fins de la Loi d'une action fondée sur le contrat et, dans le second, d'une action fondée sur un délit civil. On suppose que c'est là ce qu'entendait le lord juge Greer quand il parlait, dans l'extrait ci‑après de la p. 405 de la décision Jarvis, d'une obligation qui prenait naissance indépendamment d'un contrat (voir, par exemple, la décision Midland Bank Trust, à la p. 410, et la décision Finlay v. Murtagh, [1979] I.R. 249, aux pp. 255 et 256):

[TRADUCTION] Selon le point de vue moderne, la distinction qu'on fait à cette fin entre un contrat et un délit civil est la suivante: lorsque le manquement à une prétendue obligation découle d'une responsabilité indépendamment de l'obligation personnelle assumée par contrat, ce manquement constitue un délit civil, et il peut en être ainsi quand même il y aurait un contrat entre les parties, si en fait l'obligation naît indépendamment de ce contrat.

On a laissé entendre qu'en raison de son contexte et de son caractère très spéciaux, cette catégorie particulière de jurisprudence ne s'applique pas à la question générale de la responsabilité concurrente. Voir la décision Macpherson & Kelley, à la p. 577. Il est vrai que, dans ces affaires, les tribunaux ne pouvaient conclure à la responsabilité concurrente aux fins des différentes versions de la County Courts Act, mais en décidant qu'une action pouvait avoir un fondement délictuel malgré l'existence d'un contrat, ces décisions appuient la reconnaissance d'une responsabilité concurrente dans d'autres contextes. Ce fut le cas de l'arrêt Edwards v. Mallan, dans lequel la Cour d'appel a jugé qu'une action intentée contre un dentiste, qu'on disait avoir été [TRADUCTION] "engagé moyennant rémunération", pour avoir fait preuve de négligence dans l'extraction d'une dent constituait une action délictuelle au sens de l'art. 66 de la County Courts Act, 1888, qui prévoyait qu'une action délictuelle introduite devant la Haute Cour devait être déférée à une cour de comté lorsque le demandeur n'aurait manifestement pas les moyens, au cas où il n'obtiendrait pas gain de cause, de payer les dépens du défendeur. Les tenants de la responsabilité concurrente dans le cas de personnes qui se prétendent compétentes dans une profession ont attaché une importance particulière à cet arrêt. Voir, par exemple, l'arrêt Dominion Chain Co. v. Eastern Construction Co. (1976), 68 D.L.R. (3d) 385, aux pp. 391 et 393, et la décision Midland Bank Trust, à la p. 410.

23. Une explication avancée pour le fait qu'avant l'arrêt Hedley Byrne on rejetait la notion d'une responsabilité délictuelle concurrente ou alternative dans la relation avocat‑client est qu'antérieurement à cet arrêt un préjudice purement financier occasionné par la négligence ne pouvait entraîner une responsabilité délictuelle, et c'était normalement ce type de préjudice qui résultait de la négligence d'un avocat. Toutefois, dans la décision Clark v. Kirby‑Smith, [1964] 1 Ch. 506, le juge Plowman a repoussé l'argument selon lequel l'avocat avait une responsabilité délictuelle concurrente en vertu de l'arrêt Hedley Byrne. À la page 510, le juge Plowman affirme: [TRADUCTION] "Un courant de jurisprudence qui remonte jusqu'à tout près de 150 ans démontre, à mon sens, que la cause d'action du client a un fondement contractuel et non pas délictuel: voir, par exemple, les décisions Howell v. Young et Groom v. Crocker...»

24. Les propos du lord juge Greer dans la décision Jarvis et ceux du juge Plowman dans la décision Clark ont été cités et approuvés par le lord juge Diplock dans son jugement qui a fait époque Bagot v. Stevens Scanlan & Co., [1966] 1 Q.B. 197, où en concluant qu'un architecte ne pouvait pas avoir une responsabilité délictuelle concurrente envers son client, il dit, à la p. 204:

[TRADUCTION] Il me semble qu'en l'espèce la relation qui a engendré l'obligation qu'ont les architectes envers leurs clients de faire preuve de compétence et de diligence raisonnables résultait du contrat et de rien d'autre. On leur reproche de ne pas avoir fait la chose même qu'ils se sont engagés à faire. Voilà la relation dont procédait l'obligation à laquelle on a manqué. Il s'agissait d'une relation contractuelle, d'une obligation contractuelle, et toute action intentée par suite de l'omission de s'acquitter de cette obligation est, à mon avis, une action fondée sur un contrat.

Cette déclaration a été largement invoquée par ceux qui ont conclu qu'il ne peut y avoir de responsabilité délictuelle concurrente pour un acte ou une omission constituant une rupture de contrat. Voir, par exemple, McLaren Maycroft & Co. v. Fletcher Development Co., [1973] 2 N.Z.L.R. 100, et les motifs de dissidence du juge Wilson, maintenant juge à la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Dominion Chain.

25. L'applicabilité de l'arrêt Groom v. Crocker quant à la question de la nature de la responsabilité pour cause de négligence qu'a un avocat envers son client a été confirmée par la Cour d'appel dans l'arrêt Cook v. Swinfen, [1967] 1 W.L.R. 457, et dans l'arrêt Heywood v. Wellers, [1976] 1 Q.B. 446, quoique lord Denning ait exprimé dans ce dernier arrêt certaines réserves qui laissaient présager son jugement dans Esso Petroleum Co. v. Mardon. Cet arrêt marque un tournant décisif dans la jurisprudence anglo‑canadienne portant sur la question de la responsabilité concurrente de personnes qui prétendent posséder des compétences sur lesquelles une autre personne peut raisonnablement se fier. Il y était question de la responsabilité d'une société pétrolière pour une déclaration inexacte que des employés expérimentés de la société, qui se faisaient passer pour des experts, ont fait par négligence au sujet du chiffre d'affaires possible d'une station‑service, au cours de négociations préalables à la passation d'un contrat. Cette déclaration a amené le demandeur Mardon, malgré ses propres doutes, à conclure un contrat de location de la station‑service; il a fini par subir des pertes lorsque les ventes se sont révélées bien en deçà de ce qu'on avait prévu. Dans une action en possession et en paiement des sommes dues et des profits retirés entre temps intentée par la société, Mardon a, dans une demande reconventionnelle, réclamé des dommages‑intérêts pour inobservation de garantie et pour déclaration inexacte faite par négligence. Le juge de première instance a conclu à l'inexistence d'une garantie mais, se fondant sur l'arrêt Hedley Byrne, il a fait droit à la demande reconventionnelle pour déclaration inexacte faite par négligence. La Cour d'appel a jugé qu'il y avait une responsabilité fondée soit sur l'inobservation de la garantie, soit sur la déclaration inexacte faite par négligence, reconnaissant ainsi l'existence d'une responsabilité concurrente ou alternative fondée à la fois sur un contrat et sur un délit civil. L'avocat de la société pétrolière a fait valoir, en citant la décision Clark v. Kirby‑Smith, que [TRADUCTION] "lorsque les négociations entre deux parties aboutissent à un contrat entre elles, c'est le droit des contrats et non pas le droit de la responsabilité délictuelle qui régit leurs droits et leurs obligations". En rejetant cet argument, le maître des rôles lord Denning a conclu que l'arrêt Groom v. Crocker et les décisions qui l'ont suivi, telles que Clark v. Kirby‑Smith et Bagot, étaient erronés parce qu'ils étaient incompatibles avec d'autres décisions [TRADUCTION] "émanant d'instances supérieures", dont ils ne semblaient pas avoir tenu compte et qui démontraient que [TRADUCTION] "dans le cas d'une personne qui exerce une profession libérale, l'obligation de faire preuve de diligence raisonnable ne découle pas uniquement du contrat, mais elle a aussi un fondement juridique indépendant du contrat et, en conséquence, peut faire l'objet d'une action délictuelle". Lord Denning a invoqué à l'appui de cette proposition la déclaration du juge en chef Tindal dans la décision Boorman v. Brown (1842), 3 Q.B. 511, aux pp. 525 et 526, concernant la reconnaissance de longue date de la responsabilité concurrente dans le cas des [TRADUCTION] "professions publiques" et des autres [TRADUCTION] "relations créatrices de statut", y compris différents métiers spécialisés; la déclaration de lord Campbell de la Chambre des lords dans la même affaire (Brown v. Boorman (1844), 11 Cl. & F. 1, à la p. 44), proposant pour le principe bien établi de la responsabilité concurrente une portée encore plus large qui engloberait toutes les relations découlant d'un contrat de travail; et l'opinion incidente exprimée par le vicomte Haldane, lord chancelier, dans l'arrêt Nocton v. Lord Ashburton au sujet de la responsabilité concurrente d'un avocat envers son client, opinion que j'ai déjà citée dans mon analyse de cet arrêt. Citant l'arrêt Lister v. Romford Ice and Cold Storage Co., [1957] A.C. 555, lord Radcliffe, à la p. 587, et l'arrêt Matthews v. Kuwait Bechtel Corp., [1959] 2 Q.B. 57, aux pp. 65 et 66, lord Denning a affirmé que la responsabilité concurrente d'une personne qui excerce une profession libérale est comparable à celle qui existe entre employeur et employé. Voici ce que dit le juge en chef Tindal dans la décision Boorman v. Brown:

[TRADUCTION] On ne conteste pas qu'il existe une grande catégorie d'affaires dans lesquelles l'action est fondée sur le lien contractuel entre les parties, mais dans lesquelles, néanmoins, la rupture ou l'inexécution ouvrent indifféremment un recours en assumpsit ou un recours délictuel. Tombent dans cette catégorie les actions intentées contre des avocats, des chirurgiens et d'autres hommes exerçant une profession libérale, pour incompétence ou pour manque de diligence raisonnable dans la prestation des services qu'ils s'engagent à rendre: les actions contre des transporteurs publics, les actions contre des propriétaires de navire fondées sur des connaissements, les actions contre différentes sortes de dépositaires ne sont que quelques exemples parmi tant d'autres où l'action peut, au choix du demandeur, avoir un fondement délictuel ou contractuel.

Lord Campbell se prononce ainsi:

[TRADUCTION] Mais chaque fois qu'il y a un contrat et qu'un acte quelconque doit être accompli dans l'exécution du travail qui fait l'objet du contrat, le demandeur peut, en cas de manquement aux obligations qui se rattachent à l'exécution de ce travail, poursuivre sur un fondement soit délictuel, soit contractuel.

26. La responsabilité délictuelle dans l'affaire Esso Petroleum reposait sur le principe énoncé dans l'arrêt Hedley Byrne, principe qui, a souligné lord Denning à la p. 820, renfermait, si on l'interprétait correctement, la proposition suivante: [TRADUCTION] "si un homme, qui possède ou qui prétend posséder des connaissances ou des compétences particulières, fait à une autre personne une déclaration basée sur cette connaissance ou compétence — qu'il s'agisse d'un conseil, d'un renseignement ou d'une opinion — dans le but d'amener cette personne à passer un contrat avec lui, il lui incombe de faire preuve de diligence raisonnable de manière à assurer que la déclaration soit exacte et que le conseil, le renseignement ou l'opinion soient fiables." Les autres juges dans l'affaire Esso Petroleum, savoir les lords juges Ormrod et Shaw, paraissent avoir été essentiellement d'accord avec le point de vue exprimé par lord Denning.

27. Les relations dites "créatrices de statut", y compris les "professions publiques", dont j'ai fait mention précédemment, ont joué un rôle de premier plan dans l'étude de la question de la responsabilité concurrente en ce qui a trait à divers métiers et professions spécialisés. On trouve une excellente analyse du sujet dans French, op. cit., aux pp. 273 et suiv. Comme elle l'indique, les historiens divergent d'opinions quant aux métiers qui relèvent de la catégorie des professions publiques. À la page 274, elle résume ainsi le "point de vue traditionnel":

[TRADUCTION] Selon l'opinion dominante qui se dégage de la doctrine, pour qu'une entreprise soit qualifiée de profession publique, il faut qu'elle présente deux caractéristiques. Les services doivent être offerts au grand public et son exploitation doit exiger des compétences. Si situent dans cette catégorie le voiturier, l'hôtelier, le chirurgien, l'apothicaire, l'avocat, le chirurgien vétérinaire, le forgeron et le coiffeur.

La décision Russell v. Palmer (1767), 2 Wils. K.B. 325, 95 E.R. 837, paraît être l'un des premiers exemples d'un cas où l'on a conclu à la responsabilité délictuelle d'un avocat pour cause de négligence dans une action où on alléguait l'existence de liens contractuels. Voir Fifoot, History and Sources of the Common Law: Tort and Contract, 1949, à la p. 157. La décision Godefroy v. Jay (1831), 7 Bing. 413, 131 E.R. 159, semble aller dans le même sens. Il s'agissait là d'une action délictuelle intentée contre un avocat pour avoir fait preuve de négligence dans la conduite d'une instance. Dans une déclaration instructive sur la nature et le fondement historique de la catégorie de responsabilité concurrente résultant des relations créatrices de statut, le juge Phillimore, à la p. 535 de la décision Steljes v. Ingram, affirme ce qui suit au sujet de l'extension de cette catégorie de manière à englober les personnes qui se prétendent compétentes dans une profession: [TRADUCTION] "On a avancé d'un autre pas quand il a été jugé que des contrats avec des hommes exerçant des professions libérales qui bénéficient de par la loi d'une protection et d'un traitement spéciaux, confèrent également un statut; et l'on a dit qu'un chirurgien ou un avocat peut faire l'objet d'une action délictuelle pour manquement aux obligations ordinaires d'un chirurgien ou d'un avocat ("Lanphier v. Phipos," 8 C. and P., 475)." C'est cette responsabilité concurrente de personnes se prétendant compétentes dans une profession qui est visée par Winfield on Tort (7th ed. 1963), à la p. 6, dans un passage qui a été cité à plusieurs reprises dans la jurisprudence:

[TRADUCTION] Il va sans dire qu'un dentiste qui passe avec moi un contrat pour l'extraction d'une dent est responsable envers moi pour rupture de contrat s'il m'inflige un préjudice corporel par suite de maladresse dans cette extraction. Mais il a aussi envers moi une responsabilité délictuelle fondée sur la négligence; car quiconque se prétend compétent dans une profession est légalement tenu, qu'il y ait ou non contrat, de faire montre d'un niveau de compétence raisonnable. Je ne puis obtenir deux fois des dommages‑intérêts, mais je peux bien présenter des demandes subsidiaires en dommages‑intérêts fondées sur différents chefs de responsabilité en droit.

28. Les tribunaux ont à maintes reprises dit des relations créatrices de statut qu'elles constituent une catégorie fermée ou figée de responsabilité concurrente, qui émane de circonstances historiques particulières et dont la portée ne doit pas être élargie de manière à englober les professions libérales modernes et d'autres métiers spécialisés. C'est ainsi qu'on a perçu le courtier en valeurs mobilières dans la décision Jarvis (p. 407), l'avocat dans l'arrêt Groom v. Crocker (p. 222) et l'architecte dans la décision Bagot (pp. 204 à 206). Ce point de vue a été critiqué, quoique, si je les comprends bien, dans aucune des décisions où l'on a conclu à la responsabilité concurrente de ceux qui exercent certaines professions, cette conclusion n'a été fondée en principe sur l'application ou l'extension de la catégorie des professions publiques. Comparer, par exemple, l'arrêt Dominion Chain, aux pp. 392 et 393, et la décision John Maryon International Ltd. v. New Brunswick Telephone Co. (1982), 141 D.L.R. (3d) 193, à la p. 232. Les professions publiques et les autres relations créatrices de statut, telles que les rapports entre employeur et employé, ont plutôt été invoquées à l'appui de deux arguments en faveur de la responsabilité concurrente: a) elles démontrent que la common law n'a accepté aucune exception de principe générale à la notion de la responsabilité concurrente, mais qu'au contraire elle a reconnu la responsabilité concurrente dans une grande variété de cas, et b) elles dénotent l'étendue de l'anomalie qui existerait si la responsabilité concurrente était écartée dans le cas de certaines relations professionnelles. L'arrêt Brown v. Boorman, que lord Denning invoque à l'appui de sa déclaration de principe générale dans l'arrêt Esso Petroleum, a dans l'ensemble été traité avec beaucoup de circonspection. Il semble y avoir deux raisons à cela, savoir: l'importance de ce qui y a été décidé en fait, par rapport aux opinions incidentes qui y sont exprimées, et une question quant à la justesse de la déclaration de lord Campbell. La question en litige, qui était une question de procédure écrite soulevée après qu'un verdict eut été rendu au sujet d'une requête en obtention d'un sursis à l'exécution du jugement, était de savoir si la déclaration alléguait suffisamment l'obligation contractuelle spéciale sur laquelle les demandeurs, broyeurs de graines de lin, devaient fonder leur cause d'action contre le courtier en huiles pour avoir livré de l'huile de lin à des acheteurs sans obtenir le paiement du prix. L'attitude établie des tribunaux devant une telle question a été indiquée par lord Brougham ((1844), 11 Cl. & F. 1, à la p. 38) dans le passage suivant: [TRADUCTION] "Il ressort de la jurisprudence qu'une fois le verdict rendu, il est sans importance que des termes techniques aient été utilisés ou non; s'il y a des termes clairs qui montrent que le défendeur a passé un tel contrat et l'a rompu, après le verdict tout ce qui peut être présumé pour étayer ce verdict le sera." Pour ce qui est de la déclaration de lord Campbell, on a parfois exprimé l'avis qu'elle va trop loin si on doit comprendre qu'elle signifie que tout manquement à une obligation contractuelle dans le contexte des relations entre employeur et employé relève aussi bien de la responsabilité délictuelle que du droit des contrats. Voir ce qu'en disent le lord juge Slesser à la p. 406 de la décision Jarvis, le juge Oliver à la p. 432 de la décision Midland Bank Trust, et French, op. cit., à la p. 290. De plus, selon le principe moderne de la responsabilité concurrente, ce n'est pas la rupture de contrat en tant que telle qui donne naissance à la responsabilité délictuelle, mais le manquement à une obligation de diligence en common law découlant des liens créés par le contrat.

29. L'arrêt Lister v. Romford Ice and Cold Storage Co., que lord Denning a cité, dans l'arrêt Esso Petroleum, au sujet de la responsabilité concurrente dans les relations entre employeur et employé, et en particulier les propos de lord Radcliffe auxquels il se réfère, exige aussi certains commentaires parce qu'il a été cité pour appuyer des points de vue opposés sur la question de la responsabilité concurrente. L'action que la société a intentée contre son employé en vue de recouvrer les dommages‑intérêts qu'elle avait été condamnée à payer au père de l'employé, qui, alors qu'il agissait comme assistant de son fils, avait subi un préjudice corporel par suite de la négligence de celui‑ci, était fondée sur le manquement à l'obligation contractuelle qu'a l'employé, envers son employeur, de faire preuve de diligence raisonnable en conduisant un véhicule dans l'exercice de ses fonctions. L'employé a aussi été poursuivi pour sa part de la faute en tant que coauteur du délit civil, mais il va sans dire que cette action était fondée sur la responsabilité délictuelle de l'employé et de l'employeur envers le tiers lésé, et non sur la nature de la responsabilité de l'employé envers son employeur. Dans les propos qu'ils ont tenus sur la nature de l'obligation de diligence qu'a l'employé envers l'employeur, les membres de la Chambre des lords soulignent essentiellement leur désaccord avec l'opinion exprimée par le lord juge Denning en Cour d'appel, [1956] 2 Q.B. 180, aux pp. 187 à 190, portant que l'obligation de diligence de l'employé, s'il en est, a un fondement purement délictuel. Voici ce que déclare le vicomte Simonds en affirmant l'existence d'une obligation contractuelle de diligence, à la p. 573: [TRADUCTION] "Il est bien établi en droit qu'un seul acte fautif peut donner lieu soit à une action délictuelle, soit à une action pour manquement à une condition expresse ou implicite d'un contrat. La négligence d'un employé dans l'exercice de ses fonctions en est un bon exemple"; puis lord Radcliffe affirme à la p. 587 (l'endroit cité par lord Denning dans l'arrêt Esso Petroleum): [TRADUCTION] "Dans notre droit, est‑il besoin de le rappeler, une même faute peut, au choix du demandeur, faire l'objet d'une action contractuelle ou d'une action délictuelle et, bien que le recours choisi puisse produire des conséquences secondaires que n'aurait pas entraînées l'autre recours, il est erroné de considérer les deux types de responsabilité comme devant nécessairement s'exclure mutuellement." Il est intéressant de noter qu'en raison de son insistance sur la nature contractuelle des relations entre employeur et employé, un autre passage tiré des motifs de lord Radcliffe à la même page a été cité par lord Scarman dans la décision Tai Hing Cotton Mill Ltd. v. Liu Chong Hing Bank Ltd., [1985] 2 All E.R. 947, à la p. 957, sur laquelle je reviendrai plus loin, à l'appui de son rejet de la responsabilité concurrente dans les relations entre banquier et client. Toutefois, il ne peut y avoir de doute que la reconnaissance de la responsabilité concurrente dans les relations entre employeur et employé est bien établie. Cela a été réaffirmé dans l'arrêt Matthews v. Kuwait Bechtel Corp., l'autre affaire citée par lord Denning dans l'arrêt Esso Petroleum. Là encore, il s'agissait d'une action pour rupture de contrat, cette fois‑ci intentée par un employé contre son employeur pour un préjudice corporel subi dans le cadre de son emploi, et la question était de savoir si la cause d'action était contractuelle, de manière à entraîner l'application de la règle relative à la signification hors du ressort, ou entièrement délictuelle, auquel cas la règle serait inapplicable. La Cour d'appel a conclu que le droit en matière de responsabilité délictuelle impose à l'employeur une obligation de diligence envers son employé, mais que cette obligation découle aussi de façon implicite du contrat de travail (l'arrêt Lister étant cité) et qu'en cas de préjudice l'employé peut, à son choix, poursuivre pour rupture de contrat ou intenter une action délictuelle.

30. L'autorité de l'arrêt Esso Petroleum sur la question de la responsabilité concurrente a été confirmée par la Cour d'appel dans l'arrêt Batty v. Metropolitan Property Realisations Ltd., [1978] Q.B. 554, portant sur la responsabilité d'une société de promotion immobilière pour inobservation de garantie et pour négligence, où on a conclu que les demandeurs pouvaient obtenir gain de cause aussi bien en ce qui concerne le délit civil de négligence que la rupture de contrat. Selon le lord juge Megaw, le principe de la responsabilité concurrente reconnu dans l'arrêt Esso Petroleum était de portée générale et ne se limitait pas aux professions publiques et aux métiers spécialisés. Dans l'arrêt Photo Production Ltd. v. Securicor Transport Ltd., [1978] 1 W.L.R. 856, où il était question de l'application d'une clause d'exonération de responsabilité dans un contrat de fourniture d'un service de patrouille de nuit pour l'usine de la demanderesse, lord Denning a parlé en termes généraux du principe de la responsabilité concurrente, affirmant à la p. 862: [TRADUCTION] "Mais, au cours des dernières années, il est devenu évident que, si les faits révèlent l'existence d'une même obligation de diligence ayant un fondement à la fois contractuel et délictuel, et s'ils révèlent en outre un manquement à cette obligation, le demandeur peut alors fonder son action sur le contrat ou sur le délit civil, à sa guise: voir l'arrêt Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon [1976] Q.B. 801, aux pp. 818 à 820, et l'arrêt Batty v. Metropolitan Properties Realisations Ltd. [1978] 2 W.L.R. 500."

31. Les arrêts Esso Petroleum et Hedley Byrne ont été appliqués dans la décision Midland Bank Trust Co. v. Hett, Stubbs & Kemp, où on a conclu que des avocats avaient une responsabilité aussi bien délictuelle que contractuelle envers un client pour avoir omis d'enregistrer une option d'achat. Il n'est pas possible dans les présents motifs de traiter à sa juste valeur le jugement du juge Oliver, qui demeure l'une des analyses les plus approfondies et perspicaces des précédents et des questions concernant la responsabilité concurrente, que l'on puisse trouver dans la jurisprudence. Dans son étude des arrêts, il a voulu essentiellement déterminer si l'arrêt Hedley Byrne permettait de conclure à la responsabilité délictuelle des avocats malgré l'existence de liens contractuels. Il a décidé, compte tenu de l'interprétation et de l'application données à l'arrêt Hedley Byrne dans l'arrêt Esso Petroleum et en se fondant sur sa propre analyse des propos tenus dans l'affaire Hedley Byrne, particulièrement ceux de lord Devlin (dont j'ai fait mention dans mon examen de l'arrêt Nocton v. Lord Ashburton), que le principe posé par l'arrêt Hedley Byrne s'appliquait à des rapports du genre dont il y était question, que ceux‑ci aient été créés ou non par un contrat. Le juge Oliver affirme, à la p. 413: [TRADUCTION] "Ce que le tribunal doit se demander c'est "quels sont les rapports entre le demandeur et le défendeur?" et non pas "comment les rapports, s'il en est, ont‑ils pris naissance?"" S'appuyant sur cette interprétation de l'arrêt Hedley Byrne, il a conclu que celui‑ci était incompatible avec la prémisse sur laquelle reposait l'arrêt Groom v. Crocker et les décisions subséquentes dans le même sens et qu'il lui était donc loisible de suivre l'arrêt Esso Petroleum sur la question de la responsabilité concurrente. De l'avis du juge Oliver, l'affaire Esso Petroleum représentait nettement un cas de responsabilité concurrente, en dépit du fait qu'il y avait eu déclaration inexacte faite par négligence au cours des négociations préalables à la passation du contrat. À ce propos, il souligne, à la p. 428: [TRADUCTION] "Le point saillant dans le présent contexte est que non seulement l'obligation contractuelle à laquelle a conclu la Cour d'appel avait‑elle la même portée que l'obligation découlant de relations spéciales du type dont il s'agissait dans l'arrêt Hedley Byrne, mais aussi, du point de vue pratique, elle était identique et assimilable à cette obligation." À la page 432, le juge Oliver ajoute: [TRADUCTION] "Selon moi, l'arrêt établit que l'existence d'une obligation contractuelle de diligence — obligation qui, dans cette affaire, résultait de la garantie reconnue par la cour — n'écarte pas la possibilité d'intenter une action délictuelle parallèle en vertu du principe énoncé dans l'arrêt Hedley Byrne."

32. La décision Midland Bank Trust du juge Oliver a reçu l'approbation du vice‑chancelier sir Robert Megarry dans l'affaire Ross v. Caunters, [1980] Ch. 297. Il s'agissait là d'une action en dommages‑intérêts intentée par le bénéficiaire nommé dans un testament contre les avocats du testateur pour avoir fait preuve de négligence en omettant de prévenir le testateur, quand ils lui ont envoyé le testament pour signature, que le conjoint d'un bénéficiaire ne devait pas servir de témoin. On a soutenu pour le compte des avocats que, puisque, suivant l'arrêt Groom v. Crocker et les décisions qui l'ont suivi, la responsabilité d'un avocat envers son client ne pouvait être délictuelle, il ne devait pas non plus être exposé à une responsabilité délictuelle envers une tierce personne pour avoir fait preuve de négligence dans la prestation de ses services audit client. En repoussant la prémisse sur laquelle reposait cet argument, le vice‑chancelier sir Robert Megarry a dit, au sujet de l'arrêt Groom v. Crocker et des décisions qui l'ont suivi quant à la nature de la responsabilité d'un avocat envers son client, qu'ils avaient été "rejetés" par l'arrêt Esso Petroleum et, au sujet de la décision Midland Bank Trust du juge Oliver, il fait les observations suivantes, à la p. 308: [TRADUCTION] "En fait, je tiens à exprimer mon approbation très respectueuse d'une étude à la fois exhaustive et convaincante d'un sujet complexe." Dans l'affaire Forster v. Outred & Co., [1982] 2 All E.R. 753, où l'on a reconnu aux fins des débats devant la Cour d'appel qu'un client qui avait retenu les services d'un avocat pouvait intenter contre celui‑ci une action aussi bien délictuelle que contractuelle pour des mauvais conseils donnés par négligence, lord juge Dunn affirme, à la p. 764, qu'il trouve [TRADUCTION] "tout à fait convaincant" le raisonnement du juge Oliver dans la décision Midland Bank Trust.

33. Je passe maintenant à un examen de l'effet de l'arrêt Esso Petroleum et de la décision Midland Bank Trust sur la jurisprudence canadienne relative à la question de la responsabilité concurrente. La façon dont les cours d'appel provinciales percevaient la responsabilité concurrente avant l'arrêt Esso Petroleum se dégage des arrêts Schwebel v. Telekes, [1967] 1 O.R. 541, et Sealand of the Pacific v. Robert C. McHaffie Ltd. (1974), 51 D.L.R. (3d) 702. Dans l'arrêt Schwebel, la question était de savoir si une action contre un notaire pour cause de négligence était prescrite. Le juge Laskin (plus tard Juge en chef du Canada), qui a rédigé les motifs de la Cour d'appel de l'Ontario, affirme à la p. 543: [TRADUCTION] "Le seul élément qui, en l'espèce, pouvait imposer au défendeur une obligation envers la demanderesse était le contrat que cette dernière avait passé pour obtenir l'aide du défendeur." Le juge Laskin, citant l'arrêt Groom v. Crocker et la décision Clark v. Kirby‑Smith, a ajouté que [TRADUCTION] "l'obligation de diligence découlait des liens contractuels et ne pouvait exister indépendamment de ceux‑ci". Il a dit que la décision Brown v. Boorman reflétait [TRADUCTION] "un courant de jurisprudence plus ancienne" sur la question de la responsabilité concurrente. Cependant, il a conclu, au sujet de la décision Howell v. Young et d'autres décisions dans le même sens, que le résultat aurait été identique si le notaire avait pu faire l'objet d'une action délictuelle aussi bien que contractuelle puisque le délai de prescription commençait à courir à partir du moment où s'est produit le manquement à l'obligation (ou le dommage) et non à partir du moment où il a été ou aurait dû être découvert. Dans l'arrêt Sealand, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a invoqué l'arrêt Nunes Diamonds pour appuyer le point de vue que l'arrêt Hedley Byrne ne pouvait jouer de manière à entraîner la responsabilité délictuelle d'architectes navals pour une déclaration inexacte faite par négligence dans l'exécution d'un contrat. À la page 705, le juge Seaton justifie ainsi le rejet de la responsabilité concurrente dans un tel cas: [TRADUCTION] "Si d'autres devoirs et responsabilités doivent être ajoutés, cela aura pour effet de changer le marché conclu entre les parties, ce qui ne siérait guère."

34. L'arrêt Esso Petroleum a été suivi par la Cour d'appel de l'Ontario à la majorité dans les arrêts Dominion Chain Co. v. Eastern Construction Co., et Dabous v. Zuliani (1976), 12 O.R. (2d) 230, où on a décidé qu'il pouvait y avoir de la part d'ingénieurs et d'architectes une responsabilité délictuelle pour cause de négligence dans l'exécution d'un contrat. La cour a conclu en outre qu'un entrepreneur ou un constructeur était assujetti à une responsabilité concurrente en pareil cas. Le juge Jessup, dont l'avis a été partagé par le juge Zuber, a abordé dans l'arrêt Dominion Chain la question de la responsabilité concurrente soulevée dans les deux appels. Au sujet de la responsabilité des ingénieurs dans l'affaire Dominion Chain et de celle de l'architecte dans l'affaire Dabous, le juge Jessup a dit que, par suite de l'arrêt Esso Petroleum, il était libre de suivre le "courant de jurisprudence plus ancienne" sur la question de la responsabilité concurrente, dont parle le juge Laskin dans l'arrêt Schwebel et qui est reflété, en ce qui concerne les personnes qui se prétendent compétentes dans une profession, dans l'énoncé de principe que l'on trouve dans Winfield on Tort (7th ed. 1963), à la p. 6, que j'ai déjà cité en traitant des relations créatrices de statut, et qui porte notamment que "quiconque se prétend compétent dans une profession est légalement tenu, qu'il y ait ou non contrat, de faire montre d'un niveau de compétence raisonnable". Le juge Jessup a indiqué la mesure dans laquelle il entendait adopter, en ce qui concerne la responsabilité des ingénieurs et de l'architecte, le principe de la responsabilité concurrente préconisé par le courant jurisprudentiel plus ancien. Affirmant que, dans l'arrêt Esso Petroleum, on avait approuvé la décision Brown v. Boorman dans la mesure où elle s'appliquait aux [TRADUCTION] "personnes exerçant une profession libérale" et citant un extrait de Winfield, il dit, aux pp. 392 et 393:

[TRADUCTION] Je limite mes observations à la nature des responsabilités de ceux qui prétendent posséder des compétences professionnelles en lesquelles un homme raisonnable aurait confiance, et je reporte à une autre occasion le cas des métiers non spécialisés. Toutefois, je ne connais aucun principe, aucune décision, ni aucune politique justifiant la tendance anglaise moderne, constatée par certains auteurs de doctrine, à fermer les catégories de professions auxquelles s'applique le principe énoncé par Winfield: par exemple, Millner, Negligence in Modern Law (1967), à la p. 131 et suiv. L'exemption anachronique de toute responsabilité délictuelle concurrente de la part des avocats a été abolie en Angleterre par l'arrêt Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon, qui rejette la jurisprudence moderne mentionnée dans l'arrêt Schwebel.

Le juge Jessup a fondé la responsabilité concurrente de l'entrepreneur dans l'affaire Dominion Chain et du constructeur dans l'affaire Dabous sur le principe de la responsabilité délictuelle énoncé dans l'arrêt Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562, duquel il a cité dans ses motifs l'opinion incidente suivante de lord Macmillan portant sur la responsabilité concurrente, à la p. 610:

[TRADUCTION] Le fait qu'il existe entre les parties des liens contractuels qui peuvent donner lieu à une action pour rupture de contrat n'empêche pas que ces mêmes parties aient en même temps un droit d'action fondé sur la négligence indépendamment du contrat, quoique ce droit d'action découle de la relation de fait créé par le contrat. La meilleure illustration de cela est le droit du voyageur qui a subi un préjudice corporel de poursuivre la compagnie ferroviaire soit pour cause de rupture du contrat de transport sans risque, soit pour cause de négligence dans le transport.

Les observations du juge Jessup concernant l'arrêt Nunes Diamonds et d'autres décisions qui ont appliqué l'arrêt Elder Dempster à la question de la responsabilité concurrente revêtaient une importance particulière pour son étude subséquente du principe établi par cette jurisprudence. Il fait mention de ce que, dans l'arrêt Hartman v. The Queen in right of Ontario (1973), 2 O.R. (2d) 244, à la p. 257, le juge Estey de la Cour d'appel cite la décision Hall v. Brooklands Auto Racing Club, [1933] 1 K.B. 205, à la p. 213, où lord juge Scrutton affirme: [TRADUCTION] "De plus, selon moi, lorsque le défendeur bénéficie d'une protection en vertu d'un contrat, on ne saurait faire abstraction de ce contrat et alléguer une responsabilité plus large fondée sur un délit civil: Elder, Dempster & Co. v. Paterson, Zochonis & Co." À la page 399 de l'arrêt Dominion Chain, le juge Jessup affirme que les arrêts Elder Dempster, Brooklands Auto Racing et Nunes Diamonds appuient la proposition selon laquelle un demandeur ne peut, en invoquant une responsabilité concurrente fondée sur un délit civil, éluder une exonération ou une limitation de responsabilité prévue, expressément ou implicitement, par un contrat. Le juge d'appel Wilson, dissidente dans les arrêts Dominion Chain et Dabous sur la question de la responsabilité concurrente, a estimé qu'en raison des conséquences juridiques différentes découlant de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle, la responsabilité concurrente ne devait pas être reconnue en dehors des catégories pour lesquelles cela était nettement justifié historiquement. Elle a fait mention notamment des arrêts Jarvis, Bagot, Schwebel et Nunes Diamonds, mais paraît s'être fondée particulièrement sur le raisonnement employé dans l'arrêt Bagot, comme l'indiquent les passages suivants de ses motifs tirés des pp. 408 et 414, respectivement:

[TRADUCTION] En d'autres termes, il semblerait que, si les actes ou les omissions reprochés par le demandeur sont reliés aux questions mêmes visées par le contrat, l'action du demandeur repose essentiellement sur le manquement à l'obligation contractuelle de diligence plutôt que sur le manquement à l'obligation générale de diligence envers son "prochain" qui existe en matière délictuelle;

...

Dans la présente instance, où la surveillance faite de manière négligente constitue l'essentiel de l'allégation et où la surveillance constitue la condition essentielle du contrat, c'est à juste titre, à ce qu'il me semble, que l'action est fondée sur le contrat.

Le juge Wilson semble avoir estimé que l'arrêt Esso Petroleum pouvait faire l'objet d'une distinction en ce qu'il y était question d'une déclaration faite au cours de négociations préalables au contrat.

35. Le pourvoi que les ingénieurs dans l'affaire Dominion Chain ont formé devant cette Cour contre le rejet de leur demande de contribution de l'entrepreneur a été rejeté dans l'arrêt Giffels Associates Ltd. c. Eastern Construction Co., [1978] 2 R.C.S. 1346, pour le motif que le droit à une contribution en vertu de l'art. 2 de The Negligence Act de l'Ontario comportait comme condition essentielle que la personne à qui la contribution était réclamée soit responsable envers le demandeur et, dans cette affaire, l'entrepreneur avait été déclaré non responsable envers la demanderesse parce que le contrat de construction contenait des clauses d'exonération ou de limitation de responsabilité. C'est pour cette raison que la Cour n'a pas jugé nécessaire de déterminer si l'entrepreneur et les ingénieurs pouvaient avoir envers la propriétaire une responsabilité aussi bien délictuelle que contractuelle. La Cour s'est dite d'avis, en supposant que l'entrepreneur pouvait avoir une responsabilité délictuelle, que les clauses d'exonération ou de limitation de responsabilité contenues dans le contrat de construction se seraient appliquées tant à la responsabilité délictuelle qu'à la responsabilité pour rupture de contrat. Comme l'a souligné le juge en chef Laskin, à la p. 1355: "Il s'agit en l'espèce de la même négligence, qu'elle soit considérée comme l'inexécution du contrat ou comme le fondement d'un recours délictuel distinct, qui a fait naître la demande de dommages‑intérêts par la demanderesse contre Eastern."

36. En 1978, après que l'arrêt Smith c. McInnis, eut été rendu, trois autres décisions portant sur la responsabilité d'un avocat envers son client ont été publiées au Canada. J'examinerai brièvement ces décisions dans l'ordre chronologique. Dans l'affaire Power v. Halley (1978), 88 D.L.R. (3d) 381, un avocat a été poursuivi par un client pour avoir manqué à l'obligation de s'assurer que ce client reçoive un titre valable sur un certain bien‑fonds et la question liée à celle de la responsabilité concurrente était l'application du délai de prescription. Le juge en chef Mifflin de la Division de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve, appliquant les arrêts Esso Petroleum et Dominion Chain, est arrivé à la conclusion suivante, à la p. 388: [TRADUCTION] "À mon avis, on peut dire en l'espèce que la réclamation du demandeur a un fondement également contractuel et délictuel; en conséquence, il lui est loisible d'invoquer le fondement qui, suivant la loi, lui est le plus avantageux." Dans la décision Royal Bank of Canada v. Clark and Watters (1978), 22 N.B.R. (2d) 693, 39 A.P.R. 693, des avocats ont été poursuivis par leur cliente, la banque, pour le préjudice résultant du fait que les fonds hypothécaires ont été mis à la disposition de l'emprunteur avant que l'acte constitutif de l'hypothèque ne soit signé et enregistré. Les avocats ont ainsi agi d'une manière contraire aux instructions qu'ils avaient reçues de la banque sur la formule intitulée [TRADUCTION] "Directives à l'avocat". Bien que la demanderesse ne paraisse pas avoir allégué une responsabilité concurrente ou alternative résultant d'un délit civil, la Division d'appel de la Cour suprême du Nouveau‑Brunswick, qui a fondé la responsabilité sur l'omission de l'avocat de suivre les instructions de sa cliente relativement à la remise des fonds hypothécaires, a qualifié de contractuelle la responsabilité d'un avocat envers son client. Le juge en chef Hughes, auteur des motifs de la Division d'appel, écrit, à la p. 700: [TRADUCTION] "La responsabilité d'un avocat envers son client pour négligence dans l'exercice de sa profession repose sur la violation des conditions auxquelles ses services ont été retenus; il s'agit donc d'une responsabilité de nature contractuelle: voir Schwebel v. Telekes, [1967] 1 O.R. 541, le juge d'appel Laskin, à la p. 543; Rowswell v. Pettit et al. (1968), 68 D.L.R. (2d) 202. C'est l'omission des défendeurs de suivre les instructions relatives au paiement des fonds en fiducie qui constituait la rupture de contrat et faisait que la banque avait droit à des dommages‑intérêts." Dans l'arrêt Messineo v. Beale (1978), 20 O.R. (2d) 49, la Cour d'appel de l'Ontario à la majorité (les juges Arnup et Martin) a conclu à la nature purement contractuelle de la responsabilité d'un avocat envers son client pour l'omission par négligence de découvrir qu'un vendeur n'avait pas de titre de propriété sur une partie importante du bien‑fonds que voulaient acheter ses clients. Le juge Arnup affirme, à la p. 52: [TRADUCTION] "Je suis également d'accord pour dire que la responsabilité de l'avocat défendeur est fondée sur la rupture de contrat. À cet égard, la jurisprudence paraît constante." Le juge Zuber, qui a souscrit à la conclusion — qui reposait sur le calcul des dommages‑intérêts — étant donné qu'elle n'aurait pas été différente si on avait conclu que la responsabilité de l'avocat était aussi bien délictuelle que contractuelle, n'a pas partagé l'avis de la majorité sur la question de la responsabilité concurrente. Citant les arrêts Esso Petroleum et Dominion Chain, le juge Zuber affirme, à la p. 54: [TRADUCTION] "Un avocat, étant une personne qui prétend posséder des compétences dans une profession, assume une responsabilité à la fois délictuelle et contractuelle s'il n'exerce pas ces compétences." À ces arrêts on peut ajouter l'affaire Jacobson Ford‑Mercury Sales Ltd. v. Sivertz (1979), 103 D.L.R. (3d) 480, dans laquelle un avocat a été poursuivi par un client pour avoir fait preuve de négligence dans la rédaction d'une option d'achat qui s'est révélée non exécutoire. La question liée à celle de la responsabilité concurrente était de savoir si l'action était prescrite. Le juge Kirke Smith de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a appliqué les décisions Esso Petroleum, Dominion Chain, Midland Bank Trust et Power pour conclure que la responsabilité de l'avocat était aussi bien délictuelle que contractuelle et que l'action n'était pas prescrite parce que le délai de prescription commençait à courir à partir du moment où le préjudice a été découvert ou aurait dû raisonnablement l'être, c'est‑à‑dire lorsque le client a essayé de lever l'option et s'est buté à l'objection du caractère non exécutoire de celle‑ci. Le juge Kirke Smith dit, à la p. 484:

[TRADUCTION] En définitive, je conclus que dans le cas d'une personne qui exerce une profession libérale, comme c'est le cas du défendeur, la réclamation du client demandeur peut avoir un fondement soit contractuel, soit délictuel, selon "le fondement qui, suivant la loi, lui est le plus avantageux", pour reprendre les termes utilisés par le juge en chef Mifflin (à la p. 388) dans l'affaire Power.

J'ai appris que le 27 mars 1980 on s'est désisté de l'appel interjeté dans l'affaire Jacobson.

37. Dans l'arrêt District of Surrey v. Carroll‑Hatch & Associates Ltd. (1979), 101 D.L.R. (3d) 218, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a conclu qu'un architecte avait une responsabilité à la fois délictuelle et contractuelle envers le propriétaire d'un édifice pour avoir omis de l'informer, comme lui avait conseillé de le faire un ingénieur dont il avait retenu les services, qu'il fallait procéder à une analyse adéquate du sol afin de déterminer sa capacité de charge. Il a été jugé que l'ingénieur, qui n'était pas lié par contrat avec le propriétaire, avait une responsabilité délictuelle envers ce dernier pour avoir fait par négligence une déclaration inexacte en omettant, au moment de remettre une lettre constituant une sorte de rapport sur le sol et un certificat de conformité avec le code national du bâtiment, d'informer le propriétaire qu'une analyse adéquate du sol n'avait pas été pratiquée et qu'à défaut d'une telle analyse, on ne pouvait procéder sans risque à la construction de l'édifice. La question liée à celle de la responsabilité concurrente de l'architecte était de savoir si la Contributory Negligence Act autorisait le partage de la responsabilité entre l'architecte et l'ingénieur. Le juge Hinkson, qui a rendu l'arrêt unanime de la Cour d'appel, a appliqué le principe de la responsabilité énoncé par lord Shaw dans l'arrêt Nocton v. Lord Ashburton pour conclure à la responsabilité délictuelle de l'architecte envers le propriétaire pour avoir omis de l'avertir du risque de procéder à la construction sur la foi d'une analyse inadéquate du sol. Il a jugé que l'arrêt Nunes Diamonds n'empêchait pas de conclure, en l'espèce, à l'existence d'une responsabilité concurrente ayant un fondement à la fois délictuel et contractuel puisque le contrat ne prévoyait aucune limitation de responsabilité et que la question générale de la responsabilité délictuelle concurrente dans une situation où il existe des liens contractuels était restée entière à la suite de l'opinion exprimée par cette Cour à la majorité dans l'arrêt Smith c. McInnis. Selon le juge Hinkson, aux pp. 236 et 237:

[TRADUCTION] L'arrêt J. Nunes Diamonds Ltd. c. Dominion Electric Protection Co., précité, n'empêche pas la cour de conclure dans les présentes circonstances à la responsabilité de Church aussi bien pour négligence que pour rupture de contrat. Dans l'affaire Nunes, les parties s'étaient entendues dans leur contrat sur l'étendue de la responsabilité de la défenderesse en cas de rupture de contrat. On a jugé que, dans cette situation, il ne serait guère approprié de modifier les termes du contrat entre les parties de manière à imposer une responsabilité plus lourde que celle convenue par ces dernières. Il est cependant clair qu'une partie à un contrat peut, en raison des liens que ce contrat crée entre les parties, assumer des obligations de common law en sus de celles imposées par le contrat. S'il y a un manquement à une telle obligation, la partie qui a fait preuve de négligence ne saurait alors tenter d'échapper aux conséquences de sa négligence en invoquant le contrat si celui‑ci ne comporte pas de clause limitant la responsabilité.

...

Selon une interprétation qu'on pourrait donner à l'arrêt Nunes, lorsque les parties sont liées par un contrat, une réclamation ne peut avoir d'autre fondement que le contrat. Toutefois, dans l'affaire récente Smith et al. c. McInnis et al. (1978), 91 D.L.R. (3d) 190, [1978] 2 R.C.S. 1357, 25 N.S.R. (2d) 272, sous le titre de Webb Real Estate Ltd. et al. v. McInnis et al., la Cour suprême du Canada, en examinant une réclamation contre un avocat, a laissé entière la question de savoir si la responsabilité d'un avocat envers son client est délictuelle ou purement contractuelle.

38. Dans l'affaire Canadian Western Natural Gas Co. v. Pathfinder Surveys Ltd. (1980), 12 Alta. L.R. (2d) 135, le principe de la responsabilité concurrente a été appliqué en faveur de la défenderesse. La société gazière demanderesse a intenté contre la société d'arpentage défenderesse une action pour rupture de contrat par suite du préjudice résultant d'une erreur d'arpentage et d'une erreur dans le jalonnement d'un gazoduc. La question liée à celle de la responsabilité concurrente était de savoir si la défenderesse pouvait, en vertu de The Contributory Negligence Act, opposer comme moyen de défense la faute de la victime. La Cour d'appel de l'Alberta à la majorité (les juges Prowse et Harradence) a conclu que la responsabilité de la défenderesse envers la demanderesse était aussi bien délictuelle que contractuelle et que la demanderesse ne pouvait, en fondant son action uniquement sur le contrat, priver la défenderesse du moyen de défense fondé sur la faute de la victime. Le juge Haddad, dissident, est arrivé à la conclusion qu'il n'y avait pas eu de faute de la part de la victime demanderesse. Le juge Prowse, qui a rédigé les motifs de la majorité, a formulé ainsi la question de la responsabilité concurrente, à la p. 151: [TRADUCTION] "La question à l'étude est de savoir si des faits qui établissent l'existence d'une rupture de contrat et qui résultent d'une négligence dans l'exécution du contrat peuvent être considérés comme constituant un manquement à l'obligation de diligence en common law énoncée dans l'arrêt Donoghue v. Stevenson et s'ils peuvent donner lieu à une action délictuelle entre les parties au contrat." Après avoir examiné la portée du principe de la responsabilité délictuelle posé dans cet arrêt et dans l'arrêt Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728, et après avoir procédé à une étude approfondie de la jurisprudence portant sur la responsabilité concurrente, dont les arrêts Nunes Diamonds, Esso Petroleum, Midland Bank Trust et Dominion Chain, le juge Prowse a conclu qu'une obligation de diligence en common law découlait des rapports étroits qui existaient entre les parties indépendamment du contrat. À la page 152, il affirme ce qui suit:

[TRADUCTION] L'obligation qui découle en common law est sans lien juridique avec le contrat. Celui‑ci ne revêt qu'un intérêt historique et l'existence ou l'inexistence d'un contrat n'est pas le critère qui permet de déterminer s'il y a une telle obligation. Cela est déterminé en établissant si les rapports étroits nécessaires sont présents, car ces rapports subsistent même pour une partie à un contrat, à moins que le contrat ne supprime l'obligation.

Le juge Prowse a conclu que la cour devait considérer l'action de la demanderesse comme fondée essentiellement sur un délit civil, de sorte que la défenderesse pouvait, en vertu de The Contributory Negligence Act, invoquer la faute de la victime comme moyen de défense, parce que c'est en qualifiant ainsi l'action qu'on allait s'assurer que justice soit rendue.

39. Dans l'affaire John Maryon International Ltd. v. New Brunswick Telephone Co., la société de téléphone intimée a poursuivi la société d'ingénieurs appelante pour rupture de contrat et pour négligence dans la conception d'une tour. Le juge de première instance a conclu à la responsabilité des ingénieurs pour rupture de contrat, mais il a jugé qu'ils ne pouvaient en même temps avoir une responsabilité délictuelle. En appel devant la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick, la question liée à celle de la responsabilité concurrente était de savoir quand la cause d'action avait pris naissance aux fins de déterminer quelle disposition législative s'appliquait relativement à la compétence pour accorder des intérêts. La Cour d'appel a décidé que la cause d'action avait un fondement non seulement contractuel mais aussi délictuel et qu'en conséquence il y avait compétence pour accorder des intérêts. Dans son analyse très fouillée de la jurisprudence et des questions concernant la responsabilité concurrente, le juge La Forest (maintenant juge à la Cour suprême du Canada), qui a rendu l'arrêt unanime de la Cour d'appel, souligne deux points qui figurent aussi dans les décisions plus anciennes dont j'ai parlé. Selon le premier point, sur lequel on a insisté dans les arrêts Esso Petroleum et Midland Bank Trust, il serait anormal qu'une personne qui a engagé sa responsabilité à titre gracieux ait à supporter les conséquences juridiques de la responsabilité délictuelle pour un acte ou une omission donnés alors qu'il n'en va pas de même d'une personne qui a assumé cette responsabilité par voie contractuelle. Le second point, qui se dégage des arrêts Dominion Chain et District of Surrey, est que l'arrêt Nunes Diamonds appuie la proposition selon laquelle [TRADUCTION] "on ne saurait se servir du droit en matière de négligence pour accorder à une personne un redressement pour une rupture de contrat dont elle ne peut être tenue responsable aux termes du contrat". Le juge La Forest a décidé de fonder la responsabilité délictuelle concurrente ou alternative des ingénieurs sur le principe général de la responsabilité délictuelle applicable à leurs relations avec la propriétaire plutôt que sur une extension de la catégorie de la responsabilité concurrente englobant les professions publiques et les métiers spécialisés, de manière à inclure la profession d'ingénieur. Quant à la question de la responsabilité concurrente, le juge La Forest conclut, aux pp. 232 et 233:

[TRADUCTION] Compte tenu de ce qui précède, j'estime que N.B. Tel pouvait à bon droit intenter une action ayant un fondement à la fois délictuel et contractuel, même si, comme le souligne Winfield, elle ne peut évidemment pas se faire indemniser deux fois pour le même dommage. La tentative qu'on a fait au XIXe siècle d'ériger une barrière entre les domaines délictuel et contractuel allait à l'encontre de l'esprit de la common law qui permettait d'intenter différents types d'actions relativement aux mêmes faits. C'était là un des moyens d'assurer l'évolution de la common law. Il en était de même de la tendance à à accroître les catégories qui relevaient d'un type d'action, tendance qu'on a pendant un certain temps essayé de renverser dans ce contexte. Mais en Angleterre du moins, on ne pouvait indéfiniment résister à cette tendance ni échapper à la portée générale du principe de rationalisation énoncé dans l'arrêt Donoghue v. Stevenson. Les obligations précises que le droit reconnaissait jadis ne sont plus maintenant que de simples applications de l'obligation de diligence envers son "prochain".

Pour ces raisons, bien qu'il soit possible de trancher cette affaire par la simple addition de la profession d'ingénieur des charpentes à la liste des professions publiques et des métiers spécialisés, je préfère fonder mon jugement sur le délit civil général de négligence: dans ce contexte, voir les arrêts Dominion Chain et Canadian Western. Je suis renforcé dans ma conclusion par le fait qu'elle paraît concorder aussi avec le droit en vigueur aux États‑Unis ainsi qu'en Angleterre (voir Brian Morgan, "The Negligent Contract‑Breaker", 58 R. du B. can. 299 (1980)). De plus, ce point de vue jouit d'un appui massif de la part des juristes. Voici, par exemple, ce que dit Fleming dans The Law of Torts, 5th ed. (1977), aux pp. 176 et 177, concernant la situation antérieure aux arrêts Esso Petroleum et Batty:

Chose curieuse, la jurisprudence tient généralement pour acquis qu'un ensemble de faits donnés ne peut donner naissance qu'à une seule obligation, soit délictuelle, soit contractuelle: d'où la recherche de l'"essence" ou du "fondement" de l'action, indépendamment de la forme des procédures. Cela va certainement à l'encontre de la tradition des anciennes formes d'action et de la politique moderne en matière de procédure qui permet à un demandeur de cumuler les causes d'action ou, à tout le moins, de choisir celle qui lui est la plus avantageuse.

40. L'opinion qu'a exprimée le juge d'appel La Forest sur la question de la responsabilité concurrente dans l'arrêt John Maryon a été citée, approuvée et appliquée par la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse dans l'arrêt Attorney‑General of Nova Scotia v. Aza Avramovitch Associates Ltd. (1984), 11 D.L.R. (4th) 588, et par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Consumers Glass Co. v. Foundation Co. of Canada/Compagnie Foundation du Canada (1985), 20 D.L.R. (4th) 126. Dans l'affaire Avramovitch, où il était question du droit à une contribution en vertu de la Tortfeasors Act, on a jugé qu'un architecte avait une responsabilité aussi bien délictuelle que contractuelle envers le propriétaire d'un édifice pour avoir fait preuve de négligence dans le choix d'un emplacement pour un système d'égouts. Dans l'affaire Consumers Glass, où il s'agissait de déterminer si l'action était prescrite, on a conclu qu'un entrepreneur et des ingénieurs avaient envers la propriétaire d'un hangar pour l'entreposage de marchandises une responsabilité à la fois délictuelle et contractuelle pour les dommages causés par l'effondrement du toit. Toutefois, la Cour d'appel a conclu également que le critère à appliquer en matière de prescription était le même, que la responsabilité fût contractuelle ou délictuelle: la cause d'action n'a pris naissance qu'au moment où la demanderesse a découvert ou aurait dû raisonnablement découvrir les faits à l'égard desquels elle demandait réparation.

41. Avant d'entreprendre un examen des décisions d'autres ressorts de common law portant sur la question de la responsabilité concurrente, il convient de mentionner, en raison de leur effet sur cette question, les opinions exprimées récemment par les tribunaux anglais dans les affaires Leigh and Sillivan Ltd. v. Aliakmon Shipping Co., [1985] 2 W.L.R. 289 (C.A.), et Tai Hing Cotton Mill Ltd. v. Liu Chong Hing Bank. Dans l'affaire Leigh and Sillivan, il était question de l'effet que pouvait avoir sur le droit d'un tiers d'intenter une action délictuelle la limitation de responsabilité stipulée par le contrat à l'origine des prétendus rapports étroits. L'acheteuse de marchandises en vertu d'un contrat de coût et fret a poursuivi la propriétaire d'un navire faisant l'objet d'un affrètement à terme pour les pertes résultant des avaries causées aux marchandises par suite d'un arrimage défectueux. La Cour d'appel a jugé que l'acheteuse n'avait pas le droit d'intenter contre la propriétaire du navire une action fondée sur le contrat parce que le titre de propriété n'avait pas été transmis à l'acheteuse comme l'exigeait l'art. 1 de la Bills of Lading Act, 1855 et qu'il n'existait avec la propriétaire du navire aucun contrat implicite découlant de ce que l'acheteuse avait pris livraison des marchandises à la présentation du connaissement, puisqu'elle l'avait fait en tant que mandataire des vendeurs conformément à son entente avec ces derniers. La cour à la majorité (le maître des rôles sir John Donaldson et le juge Oliver) a conclu, en appliquant la décision Margarine Union G.m.b.H. v. Cambay Prince Steamship Co. (The “Wear Breeze”), [1969] 1 Q.B. 219, que l'acheteuse n'avait pas le droit d'intenter une action délictuelle contre la propriétaire du navire parce que, au moment où les avaries sont survenues, elle n'avait ni la propriété des marchandises ni un droit à leur possession immédiate. La cour à la majorité a justifié en outre son application de la décision The “Wear Breeze” en disant qu'admettre l'existence d'une responsabilité délictuelle dans un tel cas reviendrait à imposer à la propriétaire du navire une responsabilité plus lourde que celle que, suivant les Règles de La Haye, lui imposait le contrat de transport qui énonçait les conditions auxquelles elle avait accepté de transporter les marchandises. La Cour à la majorité a estimé que, dans un tel cas, aucun principe de droit ne permettait qu'une obligation de diligence en matière délictuelle soit assujettie aux clauses du contrat limitant la responsabilité. Sir John Donaldson s'exprime ainsi, à la p. 301:

[TRADUCTION] Bien entendu, je me suis penché sur la question de savoir si une obligation de diligence en matière délictuelle envers l'acheteur pourrait de quelque manière être assimilée à l'obligation contractuelle de diligence envers l'expéditeur, mais je ne vois pas comment cela pourrait se faire. La forme la plus courante du contrat de transport par mer est celui qui reprend les stipulations des Règles de La Haye. Mais ces règles comportent un mélange complexe de responsabilités et d'obligations (article III), de droits et d'exemptions (article IV), de restrictions quant au montant des dommages‑intérêts qu'on peut toucher (article IV, règle 5), de délais de prescription (article III, règle 6), de dispositions en matière de preuve, (article III, règles 4 et 6), de clauses d'indemnisation (article III, règle 5, et article IV, règle 6) et de libertés (article IV, règles 4 et 6). Je ne vois pas du tout comment ces éléments peuvent être synthétisés en une norme de diligence.

Le lord juge Robert Goff s'est dit d'avis que, contrairement à ce qu'on disait dans la décision The “Wear Breeze”, laquelle, selon lui, devait être rejetée, un acheteur en vertu d'un contrat de coût et fret devrait pouvoir intenter une action délictuelle directe contre le propriétaire d'un navire pour les avaries causées à des marchandises en transit, mais que la responsabilité du propriétaire du navire devrait être et serait assujettie à toute exonération ou limitation stipulée par le connaissement. Il a souligné que, dans l'hypothèse où cela se révèlerait impossible, il ne serait pas prêt à reconnaître à l'acheteur un droit d'action délictuelle directe. À son avis, dans l'affaire dont il se trouvait saisi, la propriétaire du navire n'avait aucune responsabilité délictuelle pour les avaries résultant de l'arrimage défectueux parce que l'arrimage était la responsabilité des affréteurs à terme.

42. Dans l'affaire Tai Hing, la question liée à la responsabilité concurrente était de savoir si un client avait envers sa banque une obligation de diligence en matière délictuelle, pour ce qui était de prendre certaines mesures relativement à l'utilisation de son compte courant afin d'empêcher et de découvrir toute falsification de ses chèques. La question précise était de savoir si, à supposer que l'obligation du client découlant des conditions implicites de son contrat avec la banque ait consisté uniquement à tirer ses chèques de manière à rendre difficile la fraude ou le faux et à aviser sa banque, dès qu'il en avait connaissance, de tout chèque non autorisé tiré sur son compte, ses rapports étroits avec la banque lui imposaient la responsabilité plus large en matière délictuelle de prendre des précautions raisonnables dans la gestion de ses affaires de manière à empêcher le faux, et de vérifier ses relevés bancaires mensuels pour pouvoir informer la banque de toute irrégularité. La Cour d'appel de Hong Kong, [1984] 1 Lloyd's L.R. 555, a conclu que cette obligation plus large existait à la fois en tant que condition implicite du contrat et en tant qu'obligation de diligence en common law fondée sur le principe posé dans l'arrêt Anns v. Merton London Borough Council. Le juge Hunter s'est aussi référé à l'arrêt Esso Petroleum et à la décision Midland Bank Trust. Le Comité judiciaire du Conseil privé a conclu que l'obligation du client, qu'il s'agisse d'une obligation contractuelle ou délictuelle, était celle de portée plus étroite susmentionnée. Lord Scarman, qui a prononcé l'arrêt du Comité judiciaire, a préconisé comme principe général le rejet de la responsabilité concurrente, mais il a conclu, sans décider si le client avait une obligation aussi bien délictuelle que contractuelle, qu'en tout état de cause l'obligation en matière délictuelle ne pouvait pas être plus lourde que celle imposée par les termes implicites du contrat. Après avoir souligné que, selon leurs Seigneuries, il était [TRADUCTION] "correct en principe et nécessaire pour éviter la confusion dans le droit de souscrire à l'analyse contractuelle: en principe, parce qu'il s'agit de relations dans lesquelles les parties ont, sous réserve de quelques exceptions, le droit de déterminer leurs obligations mutuelles, et pour éviter la confusion, parce que différentes conséquences s'ensuivent selon que la responsabilité a un fondement contractuel ou délictuel, comme par exemple, en matière de prescription" (citant à l'appui de cette proposition certains propos tenus par lord Radcliffe dans l'arrêt Lister v. Romford Ice and Cold Storage Co., à la p. 587), lord Scarman ajoute, à la p. 957:

[TRADUCTION] Par conséquent, leurs Seigneuries n'entendent pas examiner si, dans les relations entre banquier et client, il est possible de considérer les obligations d'une partie envers l'autre comme ayant un fondement non seulement contractuel mais aussi délictuel. Leurs Seigneuries écartent toutefois l'idée que les obligations mutuelles des parties en matière délictuelle peuvent être plus lourdes que celles qui découlent expressément ou implicitement de leur contrat. Si, en conséquence, comme l'ont conclu leurs Seigneuries, on ne saurait, à défaut de stipulations expresses dans ce sens, conclure que le contrat bancaire prévoit implicitement une obligation de portée plus large que celle reconnue dans les décisions Macmillan et Greenwood, les banques intimées ne peuvent invoquer le droit en matière de responsabilité délictuelle pour obtenir une protection plus grande que celle stipulée par le contrat.

43. Je passe maintenant à l'examen de la jurisprudence d'autres ressorts de common law sur la question de la responsabilité concurrente. Dans l'arrêt Finlay v. Murtagh, la Cour suprême d'Irlande (le juge en chef O'Higgins et les juges Henchy, Griffin, Kenny et Parke), qui se trouvait saisie d'un appel interjeté contre une décision de la Haute Cour, a conclu que l'avocat d'un client qui avait retenu ses services pour le représenter dans une demande de dommages‑intérêts pour lésions corporelles avait envers ce client une responsabilité aussi bien délictuelle que contractuelle pour l'omission d'intenter une action dans le délai imparti. La cour a appliqué la distinction, qui ressort du critère énoncé par le lord juge Greer dans la décision Jarvis, Moy, Davies, Smith, Vandervell & Co., à la p. 405, que j'ai reproduit plus haut, entre une cause d'action fondée sur une obligation spéciale imposée expressément dans le mandat confié à l'avocat (appelé parfois "contrat spécial") et une cause d'action fondée sur une condition implicite du mandat, portant obligation de faire preuve de diligence et de compétence raisonnables, ainsi que sur une obligation de diligence de même étendue en common law. La cour a fondé la responsabilité délictuelle de l'avocat sur le principe énoncé dans l'arrêt Hedley Byrne, disant que ce principe s'applique à une personne qui [TRADUCTION] "s'engage à faire preuve de diligence et de compétence professionnelles envers une personne dont on peut s'attendre qu'elle se fie à cette diligence et à cette compétence et qui le fait effectivement", et elle a conclu que l'application du principe posé par l'arrêt Hedley Byrne, comme l'indiquent les propos de la Chambre des lords dans cette affaire, ne se limitait pas à des liens non contractuels. La cour a jugé que, puisqu'un avocat peut avoir une responsabilité délictuelle envers des personnes avec qui il n'est pas lié par contrat (comme, par exemple, une personne pour laquelle il agit gratuitement ou encore une tierce personne lésée par suite de sa négligence), il n'y a aucune raison de principe pour laquelle la même faute ne devrait pas engager sa responsabilité délictuelle envers un client avec lequel il a des liens contractuels. Comme le dit le juge Henchy, à la p. 257, sous réserve de l'exception applicable au cas où la cause d'action est nécessairement fondée sur une obligation contractuelle spéciale qui échappe à la portée de l'obligation de diligence en common law, [TRADUCTION] "Une même faute doit donner lieu à une même cause d'action." La cour a invoqué les décisions Midland Bank Trust, Batty et Photo Production en concluant à l'existence d'une responsabilité concurrente.

44. La position néo‑zélandaise, qui s'oppose à la responsabilité concurrente pour négligence professionnelle, a été adoptée en 1972 dans l'arrêt McLaren Maycroft & Co. v. Fletcher Development Co., où la Cour d'appel a conclu à la nature purement contractuelle de la responsabilité d'ingénieurs pour l'omission de faire preuve de la diligence et de la compétence professionnelles requises dans la surveillance de l'exécution d'un contrat de terrassement. La cour a suivi la décision Bagot dont elle a cité l'extrait déjà reproduit des motifs du lord juge Diplock. Dans l'arrêt Rowe v. Turner Hopkins & Partners, [1982] 1 N.Z.L.R. 178, où l'on a conclu qu'un avocat n'avait pas fait preuve de négligence, les juges Cooke et Roper de la Cour d'appel ont exprimé l'avis qu'il y avait lieu de réviser l'arrêt McLaren Maycroft en fonction de certaines décisions anglaises subséquentes, telles que Midland Bank Trust, portant sur la question de la responsabilité concurrente. Autant que je sache, la Cour d'appel ne l'a pas fait encore. On trouve une analyse très détaillée de l'arrêt McLaren Maycroft et de son effet sur la jurisprudence néo‑zélandaise, dans French, précité, où, aux pp. 314 et 315, l'auteur se prononce en faveur de la responsabilité concurrente.

45. La position australienne sur la responsabilité concurrente se dégage des arrêts Aluminum Products (Qld.) Pty. Ltd. v. Hill et Macpherson & Kelley v. Kevin J. Prunty & Associates. Dans l'affaire Aluminum Products, la Cour suprême du Queensland siégeant au complet se trouvait saisie d'une procédure par voie d'exposé de cause. La cour à la majorité (les juges Douglas et Campbell), le juge Connolly étant dissident, a suivi les décisions Midland Bank Trust et Ross v. Caunters pour conclure que la responsabilité que peut avoir un avocat envers son client pour avoir libéré des fonds hypothécaires en échange d'une hypothèque consentie par une société inexistante, est aussi bien délictuelle que contractuelle. Dans ses motifs de dissidence, le juge Connolly s'est dit d'avis que l'arrêt Groom v. Crocker était juste et que l'arrêt Hedley Byrne ne s'appliquait pas à des liens contractuels. Dans l'affaire Macpherson & Kelley, la Cour suprême de Victoria siégeant au complet a, à la majorité (les juges Lush et Beach), le juge Murphy étant dissident, suivi la décision Midland Bank Trust et l'arrêt Aluminum Products pour conclure qu'un avocat avait envers un client qui avait retenu ses services une responsabilité non seulement contractuelle mais aussi délictuelle pour ne pas avoir intenté une action dans le délai imparti. Dans ses motifs de dissidence où il mentionne l'arrêt McLaren Maycroft, le juge Murphy affirme à la p. 587: [TRADUCTION] "Je crois qu'il est incontestable que, lorsqu'il y a un contrat, ce n'est qu'en fonction de ce contrat et de tout ce qui en découle expressément et implicitement que doivent être déterminées les obligations respectives des parties. Quel que soit le fondement de l'action, le demandeur ne peut obtenir du défendeur plus que ce qu'il était tenu d'exécuter en raison de ses obligations contractuelles."

46. La responsabilité délictuelle pour manquement à l'obligation de diligence qui résulte de liens créés par un contrat, y compris les relations entre avocat et client, est une chose bien établie aux États‑Unis. Voir Prosser, Handbook of the Law of Torts (4th ed. 1971), à la p. 617, où l'on dit: [TRADUCTION] "Le principe qui semble s'être dégagé de la jurisprudence aux États‑Unis est que la mauvaise exécution d'un contrat entraîne la responsabilité délictuelle chaque fois qu'il y aurait responsabilité pour exécution à titre gracieux en l'absence d'un contrat." Une décision de principe, souvent citée, est Flint & Walling Mfg. Co. v. Beckett, 79 N.E. 503 (Ind. 1906), dans laquelle le principe ou le raisonnement qui sous‑tend une telle responsabilité est énoncé ainsi à la p. 505:

[TRADUCTION] Il est vrai, bien entendu, que ce n'est pas toute rupture de contrat qui peut être considérée comme un délit civil, et on peut également tenir pour acquis que, si la passation d'un contrat ne crée pas entre les parties des liens qui font naître une obligation en common law, l'omission de bien exécuter le contrat ne peut donner lieu à une action ayant un fondement délictuel. Toutefois, il ne s'ensuit pas du tout que cette obligation en common law ne peut pas tirer son origine d'un contrat. Si un défendeur peut, de par la loi, indépendamment de tout contrat, être déclaré responsable du manquement à une obligation qui lui incombe, a fortiori sa responsabilité doit être engagée quand une obligation de faire preuve de diligence lui est imposée par suite d'un engagement fondé sur une contrepartie. Lorsque l'obligation procède d'un contrat, l'engagement de faire preuve de diligence raisonnable peut être déduite des liens entre les intéressés, et, dans l'hypothèse où l'inexécution de l'entente constituerait également une omission de faire preuve de diligence qui équivaudrait à un délit civil, le demandeur peut, suivant la common law, choisir entre une action pour atteinte indirecte ou "in assumpsit".

La jurisprudence cite également l'énoncé suivant du principe, tiré de 38 Am. Jur., Negligence § 20:

[TRADUCTION] Normalement, la rupture de contrat n'est pas un délit civil, mais un contrat peut créer une situation qui fournit l'occasion de commettre un délit civil. Les liens dont l'existence est essentielle pour qu'il y ait obligation de faire preuve de diligence peuvent naître d'un contrat exprès ou implicite. Chaque contrat comporte une obligation en common law de faire preuve de diligence, de compétence, de promptitude raisonnable et de fidélité dans l'exécution de l'objet du contrat, et l'omission par négligence d'observer l'une quelconque de ces conditions constitue un délit civil en plus d'une rupture de contrat. En pareil cas, le contrat n'est qu'une incitation créant la situation qui fournit l'occasion de commettre le délit civil. En d'autres termes, le contrat fait naître les liens dont découle l'obligation de diligence.

Là où il n'y a ni clarté ni constance c'est dans la façon dont les tribunaux abordent le choix d'une règle ou d'un résultat dans un litige où l'action peut être qualifiée comme ayant un fondement à la fois contractuel et délictuel et où des conséquences juridiques différentes découlent des deux types de responsabilité. Cette question fait l'objet d'un examen très approfondi dans Prosser, "The Borderland of Tort and Contract", dans Selected Topics on the Law of Torts (1953), où, dans sa conclusion aux pp. 450 et 451, l'auteur résume ainsi l'état du droit:

[TRADUCTION] Si l'on prend New York comme un ressort typique et si l'on prend le préjudice causé à un passager par un transporteur comme cas typique, l'action peut, avec une facilité qui ferait l'envie d'un caméléon, prendre une apparence soit délictuelle, soit contractuelle. Du point de vue de la compétence, de l'attribution d'intérêts, de la recevabilité de l'action, de l'effet d'une clause restrictive contenue dans le contrat et de l'application des règles du droit international privé en matière contractuelle, l'action revêt un caractère contractuel. Elle devient toutefois délictuelle aux fins de la prescription, du calcul des dommages‑intérêts, de l'obtention d'une indemnité en cas de décès causé par la faute d'autrui et de la cessibilité de la cause d'action. Par ailleurs, si on se trouvait dans un autre état ou s'il s'agissait d'un dommage causé à des marchandises, les conséquences seraient différentes à bien des égards. Parfois il est permis au demandeur de choisir sa cause d'action; parfois la cause d'action lui est imposée; tantôt on lui dit que la cause d'action doit être contractuelle, tantôt qu'elle doit être délictuelle.

La situation est ainsi décrite dans Prosser, Wade et Schwartz, Cases and Materials on Torts (6th ed. 1976), aux pp. 457 et 458:

[TRADUCTION] Dans ces situations, les tribunaux ont adopté deux lignes de conduite différentes. L'une consiste à permettre au demandeur de choisir le fondement théorique de son action et la question précise en litige est tranchée en conséquence ...

D'autre part, certains tribunaux n'accordent pas cette latitude au demandeur. En effet, c'est plutôt le tribunal qui décidera du "fondement" ou de l'"essence" de l'action, c'est‑à‑dire des faits essentiels sur lesquels repose la réclamation du demandeur ...

Comme l'indiquent ces décisions, la jurisprudence, même celle d'un même état, est loin d'être constante; bien que, pour s'aider à faire la détermination qui s'impose, un bon nombre de tribunaux aient eu tendance à prendre en considération la politique générale sous‑tendant la règle de droit ou la loi qu'il s'agissait précisément d'appliquer.

47. Soulignons en outre que, du moins du point de vue de la politique générale, cette Cour a appliqué le principe de la responsabilité concurrente ou alternative au droit civil québécois dans l'arrêt Wabasso Ltd. c. National Drying Machinery Co., [1981] 1 R.C.S. 578. Dans cette affaire, on avait soulevé une exception déclinatoire et la question était de savoir si la Cour supérieure du district de Trois‑Rivières avait compétence à l'égard d'une action en dommages‑intérêts pour une faute commise dans l'installation à Trois‑Rivières d'une machine destinée au traitement de fibres de polyester, vendue en vertu d'un contrat conclu à Philadelphie. La faute reprochée, qui aurait causé la destruction de l'usine de la demanderesse par un incendie, consistait en l'omission des techniciens de la fabricante au moment de l'installation d'avertir les employés de la demanderesse du danger de feu si la partie supérieure de la machine n'était pas nettoyée. La question de la responsabilité concurrente ou alternative était de savoir si la demanderesse pouvait, malgré l'existence du contrat, fonder son action sur la responsabilité délictuelle (ce qui aurait donné compétence à la Cour supérieure du district de Trois‑Rivières). La Cour a conclu que l'art. 1053 du Code civil du Québec autorisait la demanderesse à fonder son action sur la responsabilité délictuelle, même si la faute reprochée avait été commise dans l'exécution du contrat. Après avoir passé en revue la doctrine et la jurisprudence en droit civil sur les questions tant controversées du "cumul des régimes de responsabilité contractuelle et délictuelle et de l'option par le créancier en faveur de l'un ou l'autre régime", le juge Chouinard, qui a prononcé l'arrêt unanime de la Cour, conclut, à la p. 590:

Je conclus qu'un même fait peut constituer à la fois une faute contractuelle et une faute délictuelle et que l'existence de relations contractuelles entre les parties ne prive pas la victime du droit de fonder son recours sur la faute délictuelle.

Le juge Chouinard a cité en l'approuvant un extrait des motifs de jugement du juge Paré de la Cour d'appel du Québec, dans lequel il dit: "Il faut donc que la faute commise à l'intérieur du contrat soit en elle‑même une faute que sanctionnerait l'article 1053 C.C., même en l'absence d'un contrat."

48. Je dois maintenant essayer de tirer des conclusions de ce qui, je le crains, a été une étude bien trop longue des opinions des tribunaux sur la question de la responsabilité concurrente. Mes conclusions concernant l'opinion que je partage, avec beaucoup d'égards, sur les différents points sous‑tendant cette question peuvent être résumées ainsi:

49. 1. L'obligation de diligence en common law qui, conformément au principe général énoncé par lord Wilberforce dans l'arrêt Anns v. Merton London Borough Council, résulte de l'existence de rapports suffisamment étroits entre les intéressés, ne se limite pas aux relations qui ne tirent pas leur origine d'un contrat. Bien que les liens dont il s'agissait dans les arrêts Donoghue v. Stevenson, Hedley Byrne et Anns aient été de nature non contractuelle et que l'on ait nécessairement parlé dans les jugements d'une obligation de diligence qui existe indépendamment d'un contrat, je ne vois rien dans les énoncés d'un principe général dans ces arrêts qui laisse entendre que l'application du principe devait se limiter à des liens qui prenaient naissance indépendamment d'un contrat. En fait, l'opinion incidente que lord Macmillan, dans l'arrêt Donoghue v. Stevenson, a exprimée sur la responsabilité concurrente et que j'ai déjà citée, indique clairement le contraire. J'estime en outre que cette conclusion est solidement appuyée, particulièrement à l'égard de l'arrêt Hedley Byrne, par les motifs du juge Oliver dans la décision Midland Bank Trust. Comme il le laisse entendre, la question est de savoir s'il existe des rapports suffisamment étroits, et non pas de savoir comment ils ont pris naissance. Pour des raisons d'intérêt public, le principe de la responsabilité délictuelle est général. Voir l'arrêt Arenson v. Casson Beckman Rutley & Co., [1977] A.C. 405, lord Simon of Glaisdale, à la p. 417. L'arrêt Junior Books Ltd. v. Veitchi Co., [1983] 1 A.C. 521, dans lequel une propriétaire avait engagé contre une société sous‑traitante chargée de la pose de planchers une action fondée directement sur un délit civil, établit qu'une obligation de diligence en common law peut découler de rapports étroits qui n'auraient pas existé en l'absence d'un contrat.

50. 2. Les engagements stipulés dans le contrat révèlent la nature des liens dont découle l'obligation de diligence en common law, mais la nature et la portée de l'obligation de diligence invoquée comme fondement de la responsabilité délictuelle ne doivent pas dépendre d'obligations ou de devoirs précis créés expressément par le contrat. C'est dans ce sens que l'obligation de diligence en common law doit être indépendante du contrat. La distinction, en ce qui concerne les termes du contrat, est, d'une manière générale, entre ce qu'il faut faire et la façon de le faire. On ne saurait affirmer qu'une réclamation est en matière délictuelle si elle tient, en ce qui concerne la nature et la portée de l'obligation de diligence alléguée, à la façon dont une obligation a été expressément et précisément définie dans un contrat. Lorsque l'obligation de diligence en common law coïncide avec celle qui résulte d'une condition implicite du contrat, il est évident qu'elle ne dépend pas des conditions de ce contrat et il n'y a rien qui découle de l'intention des contractants qui devrait empêcher d'invoquer une responsabilité délictuelle concurrente ou alternative. Il en va de même de la possibilité de se fonder sur une obligation de diligence en common law qui ne correspond pas à une obligation précise imposée expressément par un contrat.

51. 3. Une responsabilité délictuelle concurrente ou alternative ne sera pas admise si elle a pour effet de permettre au demandeur de contourner ou d'éluder une clause contractuelle d'exonération ou de limitation de responsabilité pour l'acte ou l'omission qui constitue le délit civil. Sous réserve de cette restriction, chaque fois qu'il existe simultanément une responsabilité délictuelle et une responsabilité résultant d'un contrat, il est loisible au demandeur de se prévaloir de la cause d'action qui lui paraît la plus avantageuse à l'égard d'une conséquence juridique donnée.

52. 4. Les principes énoncés ci‑dessus s'appliquent à la responsabilité qu'a un avocat envers son client pour avoir fait preuve de négligence dans la prestation de ses services professionnels. Il n'y a aucune raison valable de principe ou de politique générale pour que la situation de l'avocat à l'égard de la responsabilité concurrente soit différente de celle d'autres personnes qui exercent une profession libérale.

53. 5. Le fondement de la responsabilité délictuelle de l'avocat pour négligence et du droit de son client en pareil cas de se faire indemniser pour des pertes purement financières est le principe posé dans l'arrêt Hedley Byrne et considéré, dans l'arrêt Anns, comme l'application d'un principe général de responsabilité délictuelle pour négligence fondée sur le manquement à une obligation de diligence découlant de rapports suffisamment étroits entre les intéressés. Ce principe ne se limite pas aux conseils professionnels, mais s'applique à tout acte ou à toute omission d'un avocat dans la prestation de ses services. Voir Midland Bank Trust Co. v. Hett, Stubbs & Kemp, à la p. 416; Tracy v. Atkins (1979), 105 D.L.R. (3d) 632, à la p. 638.

54. Appliquant ces conclusions aux faits de la présente affaire, j'estime que, si les avocats intimés ont fait preuve de négligence dans la prestation de leurs services professionnels, leur responsabilité envers l'appelante est non seulement contractuelle mais aussi délictuelle, sous réserve évidemment des autres moyens de défense qu'ils ont soulevés.

III

55. J'aborde maintenant la question de savoir si les avocats intimés ont fait preuve de négligence en prenant une hypothèque entachée de nullité du fait qu'elle contrevenait au par. 96(5) de la Companies Act. Comme je l'ai déjà souligné, la Division de première instance et la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse sont arrivées à des conclusions différentes sur cette question. Le juge Hallett de la Division de première instance a conclu que les intimés avaient satisfait à la norme de diligence applicable. La Division d'appel pour sa part a conclu qu'ils avaient fait preuve de négligence. Cette différence paraît dans une certaine mesure attribuable à une divergence d'opinions quant à la pertinence d'une partie de la preuve d'experts concernant la pratique des avocats en Nouvelle‑Écosse en 1968 dans les opérations immobilières mettant en jeu des sociétés.

56. Les intimés ont entrepris de fournir à Nova Scotia Trust Company les services juridiques nécessaires pour obtenir une hypothèque valable de premier rang sur la propriété de Stonehouse. Bien que ni la lettre en date du 12 décembre 1968 que la société de fiducie a adressée à l'intimé Rafuse, ni celle en date du 17 janvier 1969 que l'intimé Cordon a adressée à la société de fiducie (lettres dont j'ai déjà cité des extraits au début des présents motifs), ne mentionnent expressément la validité de l'hypothèque, l'intimé Cordon, au cours de son interrogatoire préalable, a reconnu que l'obligation de Nova Scotia Trust Company était de [TRADUCTION] "veiller à ce qu'il y ait une hypothèque valable de premier rang".

57. L'acte ou l'omission qui, prétend‑on, constitue la négligence en l'espèce est le fait que les intimés n'étaient pas au courant du par. 96(5) de la Companies Act et n'ont pas découvert son existence, qu'ils ne se sont pas rendus compte que cette disposition soulevait une question quant à la validité de l'hypothèque projetée et qu'ils n'en n'ont pas informé Nova Scotia Trust Company en conséquence. La question est de savoir si cela équivalait à une omission de la part des intimés de satisfaire à la norme de diligence applicable en s'acquittant de la responsabilité professionnelle qu'ils avaient assumée.

58. Un avocat est tenu de faire preuve de diligence, de compétence et de connaissances raisonnables dans la prestation de ses services professionnels. Voir Hett v. Pun Pong (1890), 18 R.C.S. 290, à la p. 292. La norme de diligence à laquelle on doit satisfaire a été énoncée de diverses façons, savoir comme étant celle de l'avocat raisonnablement compétent, celle de l'avocat compétent ordinaire et celle de l'avocat prudent ordinaire. Voir Mahoney, "Lawyers — Negligence — Standard of Care" (1985), 63 R. du B. can. 221. Le juge Hallett, en décrivant la norme de diligence comme étant celle de l'avocat [TRADUCTION] "moyen raisonnablement compétent", a insisté sur la distinction entre la norme de diligence à laquelle doit satisfaire un généraliste raisonnablement compétent et celle à laquelle on peut s'attendre qu'un spécialiste satisfasse. C'est sur cette distinction qu'il s'est fondé pour écarter le témoignage de l'un des témoins experts concernant la pratique dans les opérations immobilières mettant en jeu des sociétés.

59. L'exigence de compétence professionnelle dont il est particulièrement question en l'espèce est la connaissance raisonnable des règles de droit applicables ou pertinentes. Un avocat est tenu non pas de connaître toutes les règles de droit applicables à la prestation d'un service juridique donné, en ce sens que cela doit faire partie de son "bagage professionnel", sans qu'il soit nécessaire de procéder à des recherches plus fouillées, mais plutôt de posséder une connaissance suffisante des points ou des principes de droit fondamentaux applicables au travail précis qu'il a entrepris, de sorte qu'il puisse percevoir la nécessité de vérifier les règles de droit qui s'appliquent à chaque point pertinent. L'obligation sur le plan des connaissances est énoncée à 7 Am Jur 2d, Attorneys at Law § 200, dans un passage cité ainsi par le juge Jones de la Division d'appel: [TRADUCTION] "Un avocat est censé posséder une connaissance des principes de droit évidents et élémentaires que connaît normalement un avocat bien renseigné, et on s'attend en outre à ce qu'il découvre les autres règles de droit qui, bien qu'elles ne soient pas généralement connues, peuvent facilement être décelées par le recours à des techniques ordinaires de recherche." Voir l'ouvrage de Charlesworth et Percy intitulé Negligence (7th ed. 1983), aux pp. 577 et 578 où l'on affirme dans le même sens: [TRADUCTION] "Quoiqu'un avocat ne soit pas obligé de connaître la teneur de toutes les lois du pays, il y en a certaines dont il se doit d'être au courant. Le critère à appliquer pour déterminer ce qu'il devrait connaître est celui des connaissances normales d'un avocat raisonnablement compétent." L'obligation ou l'exigence de compétence professionnelle sur le plan des connaissances est énoncée ainsi dans Jackson et Powell, Professional Negligence (1982), aux pp. 145 et 146: [TRADUCTION] "Bien qu'un avocat ne soit pas "tenu de connaître toutes les règles de droit," il doit généralement savoir où et comment trouver celles qui touchent aux questions qui relèvent de son domaine. Toutefois, pour que l'avocat soit tenu responsable d'avoir omis de chercher un point donné, il faut démontrer l'existence de circonstances qui auraient éveillé l'attention de l'avocat raisonnablement prudent sur le point devant faire l'objet de recherches", pour citer la décision Bannerman Brydone Folster & Co. v. Murray, [1972] N.Z.L.R. 411. Dans cette affaire où un avocat s'était engagé à dresser dans de très brefs délais l'acte nécessaire pour donner effet à une entente orale accordant à un créancier hypothécaire une option d'achat, la Cour d'appel de la Nouvelle‑Zélande a conclu qu'on n'avait pas fait preuve de négligence en ne réalisant pas qu'en faisant de l'option d'achat une condition de l'hypothèque cela rendait cette dernière nulle ou non exécutoire puisque cela constituait une entrave au droit de rachat. On a dit qu'il s'agissait d'un principe plutôt vieux et obscur que les tribunaux n'avaient pas commenté depuis bien des années et qui intéressait surtout les théoriciens. Il est toutefois évident que les considérations déterminantes dans la conclusion de la cour ont été le délai dont disposait l'avocat et le fait que le client s'était déjà engagé à conclure le marché dans la forme qui s'est révélée viciée. Voir ce qu'en dit le juge Turner à la p. 427. La décision est néanmoins instructive relativement à l'obligation d'un avocat de déceler les problèmes et d'en prévenir son client. Pour un énoncé de l'obligation de l'avocat [TRADUCTION] "de cerner les problèmes et d'attirer l'attention du client sur leur effet", avec renvois aux affaires dans lesquelles cette obligation a été appliquée, voir Dugdale et Stanton, Professional Negligence (1982), à la p. 203.

60. Bien que, pour des raisons évidentes, l'obligation de diligence de l'avocat ait généralement été décrite dans le contexte de la responsabilité contractuelle comme découlant d'une condition implicite du contrat entre l'avocat et le client, la même obligation résulte en common law des liens étroits créées par ce contrat. En l'absence de stipulations contractuelles expresses précisant la nature et la portée de l'obligation de diligence dans un cas donné, l'obligation de diligence est la même en matière contractuelle et en matière délictuelle. Voir Esso Petroleum, précité, à la p. 15; Mahoney, op. cit., à la p. 223; Dugdale et Stanton, op. cit., à la p. 218.

61. Deux avocats, Me S. David Bryson, c.r., et Me Arthur G. H. Fordham, c.r., ont témoingé concernant leur pratique et celle d'autres avocats dans les opérations immobilières mettant en jeu des sociétés. Tous deux ont affirmé qu'il était usuel de déterminer si une société était en mesure de fournir une sûreté et, à cette fin, d'examiner les dispositions de la Companies Act. Me Bryson a dit qu'il ne pouvait être certain s'il connaissait en 1968 l'existence du par. 96(5) de la Loi, que l'opération dont s'étaient occupés les intimés [TRADUCTION] "sortait plutôt de l'ordinaire et ne ressemblait aucunement aux opérations hypothécaires habituelles", et qu'il ne se souvenait pas d'avoir eu affaire à une opération de ce genre depuis qu'il exerçait. Me Fordham a dit qu'il était au courant du par. 96(5) en 1968. Le juge Hallett a écarté le témoignage de Me Fordham pour le motif que c'était celui d'un spécialiste en matière d'opérations immobilières commerciales. Malgré l'expérience et l'expertise reconnues de Me Bryson, le juge Hallett a attaché une importance particulière à son témoignage qu'il estimait plus pertinent sur la question de la norme de diligence à laquelle on pouvait s'attendre qu'un généraliste raisonnablement compétent satisfasse en matière immobilière. Se fondant sur le témoignage de Me Bryson, sur le fait que certaines personnes relevant de Nova Scotia Trust Company, qui possédaient une formation juridique, avaient approuvé le prêt et donné des instructions aux intimés, et sur les divergences d'opinions des juges quant à la validité de l'hypothèque, le juge Hallett a conclu que l'avocat raisonnablement compétent ordinaire en Nouvelle‑Écosse en 1968 n'aurait pas été au courant de l'existence du par. 96(5) de la Companies Act et, s'il l'avait été, il ne se serait pas rendu compte des répercussions possibles de cette disposition sur la validité de l'hypothèque projetée.

62. La Division d'appel a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur en faisant abstraction du témoignage de Me Fordham et que la question était non pas de savoir si un avocat raisonnablement compétent aurait su, sans avoir examiné la Companies Act, que le par. 96(5) existait, ou s'il aurait formé l'opinion que l'hypothèque était frappée de nullité, mais plutôt de savoir s'il aurait examiné la Companies Act pour déterminer si elle imposait des restrictions à la capacité d'une société de fournir une sûreté et s'il se serait aperçu que le par. 96(5) posait un problème quant à la validité de l'hypothèque projetée. En concluant que les avocats intimés ont fait preuve de négligence, le juge Jones, qui a rendu l'arrêt unanime de la Division d'appel, affirme ceci:

[TRADUCTION] L'obligation de l'avocat en l'espèce était de s'assurer de la validité de l'hypothèque. Comme la sûreté allait être fournie par une société, il incombait aux avocats de se familiariser avec les dispositions de la Companies Act qui pourraient avoir une incidence sur la sûreté. Lorsqu'un avocat ne connaît pas les lois applicables à une opération, il est alors tenu de se renseigner sur les dispositions pertinentes. Avec égards, je ne vois rien d'anormal au sujet des dispositions du par. 96(5) de la Companies Act. Dès qu'un avocat prendrait connaissance de ce paragraphe, son libellé lui permettrait de se rendre compte qu'il y avait un problème. Quelle que soit l'interprétation donnée à la disposition, l'avocat serait dans l'obligation d'en informer son client. Il était du devoir de l'avocat de faire preuve d'un niveau raisonnable de compétence et de connaissances. Cette obligation n'incombait pas aux responsables de la société appelante, car ils ne s'intéressaient qu'aux aspects commerciaux de l'opération.

63. Avec égards, je suis d'accord avec la conclusion de la Division d'appel sur la question de la négligence. Le fait que les dispositions de la loi applicable, savoir la Companies Act, peuvent restreindre ou soumettre à certaines conditions la capacité d'une société d'emprunter et de fournir une sûreté est un élément de connaissance à ce point fondamental qu'un avocat raisonnablement compétent doit être réputé le posséder, qu'il soit généraliste ou spécialiste. Il s'agit d'un élément de connaissance que doit avoir un avocat qui s'engage à faire le travail juridique nécessaire pour obtenir d'une société une hypothèque ou autre sûreté, et cette connaissance emporte l'obligation de faire preuve de diligence et de compétence raisonnables pour déterminer par un examen de la législation pertinente à quelles restrictions ou conditions celle‑ci assujettit la capacité d'une société de fournir une sûreté. Un avocat raisonnablement compétent sachant, comme c'était le cas des avocats intimés, que Stonehouse consentait l'hypothèque pour obtenir un emprunt qui aiderait à l'achat de ses actions, aurait reconnu que le par. 96(5) de la Companies Act posait un problème sérieux, c'est le moins qu'on puisse dire, concernant la légalité ou la validité de l'hypothèque projetée. Avec égards, je ne puis être d'accord avec le juge de première instance pour dire qu'un avocat raisonnablement compétent aurait conclu que le par. 96(5) n'avait aucun effet sur la validité de l'hypothèque, comme l'a conclu par la suite le juge Hart dans l'action en forclusion, et qu'il n'en aurait pas parlé à son client. Suivant l'état du droit en 1968, un avocat raisonnablement compétent en Nouvelle‑Écosse, cette année‑là, se serait aperçu qu'il y avait une possibilité réelle que l'hypothèque soit jugée nulle pour le motif qu'elle contrevenait au par. 96(5), et il aurait conseillé son client en conséquence. Dans l'arrêt Thibault v. Central Trust Company of Canada, [1963] R.C.S. 312, rendu environ cinq ans avant l'opération hypothécaire en l'espèce, cette Cour a conclu qu'une hypothèque consentie par une société pour garantir le paiement par le nouveau propriétaire du prix d'achat de ses actions de la société était nulle pour le motif qu'elle enfreignait le par. 37(1) de la Companies Act du Nouveau‑Brunswick, R.S.N.B. 1952, chap. 33, qui dispose, essentiellement dans les mêmes termes que ceux du par. 96(5) de la Companies Act de la Nouvelle‑Écosse, qu'une compagnie [TRADUCTION] "ne doit ... donner directement ou indirectement, soit par le moyen de prêt, garantie, nantissement, soit autrement, une aide financière aux fins ou à l'égard d'un achat d'actions de la compagnie effectué ou à effectuer par qui que ce soit". Le juge Martland, qui a rendu le jugement de la Cour, a conclu que le pourvoi contre l'arrêt de la Division d'appel de la Cour suprême du Nouveau‑Brunswick devait être rejeté pour les motifs donnés par le juge Ritchie de la Cour d'appel, qui avait dit (1962), 33 D.L.R. (2d) 317, à la p. 332: [TRADUCTION] "L'hypothèque avait pour objectif et pour effet de créer une charge grevant les biens immeubles de la société afin de garantir le paiement du prix que Clavette avait accepté de payer à Thibault pour des actions de son capital‑actions. La société en question n'était pas en dette avec Thibault. Elle n'a reçu aucune contrepartie, expresse ou implicite, en échange de l'hypothèque." Quant à l'effet du par. 37(1), le juge Ritchie affirme, aux pp. 334 et 335: [TRADUCTION] "Je constate qu'il se dégage des termes clairs et nets du par. 37(1) une intention manifeste chez le législateur de restreindre les pouvoirs d'une société, sauf en ce qui concerne cinq types d'opérations précises, de manière à l'empêcher de donner à qui que ce soit une aide financière aux fins ou à l'égard d'un achat d'actions de son capital‑actions. Le caractère péremptoire des termes employés vise la capacité de la société, d'où le caractère impératif de la restriction. L'hypothèque en cause relève nettement du texte de l'interdiction. Étant donné cette restriction apportée par la Loi aux pouvoirs de la société, l'hypothèque doit être jugée ultra vires de celle‑ci. Aucune autorisation ni aucune ratification par les administrateurs ou les actionnaires ne pouvait servir à valider l'hypothèque." Le juge Hart, dans la décision Central and Eastern Trust Co. v. Stonehouse Motel and Restaurant Ltd., a fait en réalité une distinction entre une hypothèque consentie, comme dans l'affaire Thibault, pour garantir le paiement au vendeur du prix d'achat d'actions et une hypothèque consentie pour garantir un prêt à la société, dont le montant devait être donné au vendeur en paiement partiel des actions. Même si un avocat raisonnablement compétent aurait bien pu estimer que cette distinction, à supposer qu'elle lui soit venue à l'esprit, pourrait l'emporter en cas de contestation de la validité de l'hypothèque, il aurait tout de même eu des motifs sérieux de se demander si cette hypothèque risquerait d'être déclarée nulle pour les raisons données par le juge Ritchie dans l'arrêt de cette Cour Central and Eastern Trust Co. c. Irving Oil Ltd. Se disant dans l'impossibilité d'adopter le point de vue du juge Hart sur l'opération hypothécaire, le juge Ritchie a conclu qu'il découlait inévitablement des faits constatés par le juge de première instance et par la Cour d'appel, que les fonds avancés en vertu de l'hypothèque n'avaient jamais été destinés à être versés à la société, mais devaient être payés au vendeur pour les actions. J'estime qu'un avocat raisonnablement compétent se serait rendu compte que c'était là peut‑être, voire probablement, le point de vue qui en définitive serait adopté au sujet de l'opération hypothécaire et, pour cette raison, il aurait informé son client qu'il ne pouvait garantir la validité de l'hypothèque projetée. Je suis donc d'avis que les avocats intimés ont fait preuve de négligence en ne vérifiant pas l'existence du par. 96(5) de la Companies Act de la Nouvelle‑Écosse, en ne s'apercevant pas que cette disposition posait un problème en ce qui concerne la validité de l'hypothèque projetée et en ne conseillant pas Nova Scotia Trust Company en conséquence; j'estime en outre que leur négligence est à l'origine du préjudice subi par la société de fiducie.

IV

64. Les intimés prétendent que, à supposer qu'ils aient été négligents, il y a eu faute de la part de Nova Scotia Trust Company ou des personnes dont elle répondait et que, par conséquent, la responsabilité doit être partagée entre l'appelante et les intimés. Cet argument repose essentiellement sur le fait que le prêt hypothécaire consenti à Stonehouse a été recommandé et approuvé par des personnes possédant une formation et une expérience juridiques, qui savaient que le prêt devait être affecté à l'achat des actions de la société. Me John Mroz, responsable des hypothèques de Nova Scotia Trust Company, qui a recommandé au comité exécutif du conseil d'administration de cette dernière d'approuver le prêt, et Me D. G. Grant, président de la société et membre du comité exécutif, étaient tous les deux diplômés en droit ayant exercé la profession d'avocat pendant un certain temps avant de se joindre à la société et ils étaient membres du Barreau de la Nouvelle‑Écosse. Me Lorne Clarke, c.r., l'un des membres du Truro Advisory Board qui a conseillé la société de fiducie sur la nature du risque présenté par Stonehouse, était un avocat d'expérience. Outre Me Grant, au moins deux membres du comité exécutif qui assistaient à la réunion lors de laquelle le prêt a été approuvé, étaient des avocats. Me John A. Walker, c.r., était un membre éminent et expérimenté du Barreau de la Nouvelle‑Écosse, bien qu'il fût apparemment retiré de l'exercice de la profession au moment de l'approbation du prêt. Malgré le caractère équivoque des témoignages sur ce point, le juge de première instance a conclu que Me Mroz et Me Grant et, par voie de conséquence, les autres membres du comité exécutif, ont dû constater à partir des documents que le prêt hypothécaire serait affecté à l'achat des actions. La formule de demande de prêt contenait les mots [TRADUCTION] "fonds requis pour aider à l'achat (nantissement sur le matériel)", et le procès‑verbal de la réunion du comité exécutif, au cours de laquelle le prêt a été approuvé, mentionnait au sujet du prêt: [TRADUCTION] "Prix d'achat des actions de la société—315 000 $." Le juge Jones de la Cour d'appel a dit au sujet de la connaissance que pouvait avoir la société de la nature de l'opération, à la p. 270:

[TRADUCTION] La seconde question concerne la connaissance qu'avait l'appelante. Si l'appelante savait que l'opération était invalide, elle serait alors probablement responsable de la perte. Elle ne compterait pas sur les avocats pour lui fournir cette information. Le juge de première instance a conclu que l'une et l'autre parties savaient que les fonds prêtés devaient être affectés à l'achat des actions de Stonehouse. Cette conclusion était largement appuyée par la preuve. En effet, il ressort nettement des documents et du procès‑verbal de la société que c'est ce à quoi devait servir l'argent. De plus, il se dégage de la décision que les parties ignoraient l'illégalité du prêt. Certes, le juge de première instance n'a pas conclu que l'appelante savait que l'opération était illégale.

65. À mon avis, le moyen de défense fondé sur la faute de la victime doit être rejeté. Les administrateurs de Nova Scotia Trust Company et les membres du comité exécutif du conseil d'administration n'avaient pas, à l'égard des aspects juridiques d'une opération, d'autre obligation de diligence que celle de retenir les services d'avocats compétents pour fournir les services juridiques nécessaires. Les témoignages de Me Mroz et Me Grant révèlent qu'ils étaient des administrateurs qui, malgré leur formation juridique, n'étaient pas censés donner des conseils juridiques à la société. Ce dont ils s'occupaient, eux et le comité exécutif, c'était les aspects commerciaux ou financiers d'un prêt—c'est‑à‑dire le risque que présentait un emprunteur—et, à juste titre d'ailleurs, ils laissaient aux avocats dont on avait retenu les services le soin de s'occuper des aspects juridiques d'une opération. Ils auraient bien pu faire preuve de négligence si, dans un tel cas, ils s'en étaient remis à leur propre jugement juridique. Le fait que ni les administrateurs ni les membres du comité exécutif n'étaient responsables des aspects juridiques d'un prêt hypothécaire projeté a été reconnu par le juge de première instance qui affirme, à la p. 391: [TRADUCTION] "Encore une fois, je ne suis pas sans savoir que le comité exécutif n'avait pas pour fonction de se prononcer sur des questions juridiques. Leur rôle était de décider s'il convenait de consentir le prêt." Bien que le juge Jones ait conclu qu'il n'était pas nécessaire, étant donné sa conclusion sur la question de la prescription, de trancher celle de la faute de la victime, il a affirmé, à la p. 270: [TRADUCTION] "Il était du devoir de l'avocat de faire preuve d'un niveau raisonnable de compétence et de connaissances. Cette obligation n'incombait pas aux employés de la société appelante, car ils ne s'intéressaient qu'aux aspects commerciaux de l'opération." À la p. 278, il a ajouté que la société de fiducie [TRADUCTION] "a eu recours au seul moyen dont elle disposait pour déterminer la validité de l'hypothèque, savoir la consultation des avocats". Avec égards, je souscris à ces observations.

V

66. Les intimés ont allégué en outre l'irrecevabilité de l'action de l'appelante pour le motif qu'elle était fondée sur une opération illégale. On a fait valoir qu'en raison de l'illégalité de l'hypothèque, le contrat par lequel l'appelante a retenu les services des intimés était également illégal et ne pouvait donc servir de fondement à l'action de l'appelante pour rupture de contrat et négligence. Selon moi, cet argument n'est pas fondé. La Division d'appel l'a examiné et l'a écarté et, avec égards, j'approuve les raisons pour lesquelles elle l'a fait. Le contrat par lequel les services des avocats ont été retenus était distinct de l'opération hypothécaire et à la connaissance des parties, il n'avait pas d'objet illicite. Un avocat ne saurait invoquer l'illégalité comme moyen de défense si c'est uniquement à cause de sa négligence que la prestation de ses services professionnels au client qui les a retenus aboutit à l'exécution d'une opération illégale.

VI

67. La dernière question en litige est de savoir si l'action délictuelle de l'appelante est prescrite. Comme je l'ai fait remarquer précédemment, l'appelante reconnaît que, si elle ne pouvait exercer contre les intimés qu'un recours fondé sur le contrat, son action serait frappée de prescription. Or, nous allons constater que la question de la prescription dépend en dernière analyse de la question de savoir si la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert s'applique à la cause d'action délictuelle de l'appelante.

68. Suivant l'al. 2(1)e) de The Statute of Limitations, R.S.N.S. 1967, chap. 168, le délai de prescription applicable est de six ans à compter de la date où la cause d'action a pris naissance. L'alinéa 2(1)e) est ainsi conçu:

[TRADUCTION] 2 (1) Les actions visées par le présent article doivent être intentées dans les délais mentionnés, c'est‑à‑dire:

...

e) toutes les actions fondées sur un prêt, ou un contrat, exprès ou implicite, sans acte scellé, ou sur une adjudication lorsque la soumission ne se fait pas par acte scellé, ou pour des fonds levés par voie de saisie‑exécution; toutes les actions pour dommages directs causés à des biens meubles ou immeubles; les actions pour la dépossession ou l'appropriation illicite de biens meubles et de marchandises; les actions pour diffamation, pour poursuite et arrestation abusives, pour séduction, pour adultère; et toutes les autres actions qui auraient autrefois été intentées sous la forme d'une action dite pour atteinte indirecte sauf exception prévue par la présente loi, dans un délai de six ans à compter du moment où cette cause d'action a pris naissance;

69. Voici les dates pertinentes: l'hypothèque a été consentie par Stonehouse et acceptée par les intimés en garantie du prêt le 31 décembre 1968; le certificat de titre portant que l'hypothèque constituait une charge de premier rang grevant les biens a été remis par les intimés le 17 janvier 1969; la validité de l'hypothèque a été contestée dans l'action en forclusion intentée par l'appelante le 21 avril 1977; l'hypothèque a été déclarée nulle par cette Cour le 22 avril 1980 et l'appelante a intenté son action pour négligence le 22 octobre 1980.

70. La Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, sans décider s'il y avait responsabilité concurrente, a conclu que l'action de l'appelante était prescrite, que son fondement fût contractuel ou délictuel. Elle a jugé que la cause de l'action de l'appelante pour négligence, peu importe la manière de la qualifier, a pris naissance aux fins de The Statute of Limitations lorsque la négligence s'est produite et non pas lorsqu'elle a été découverte ou aurait dû l'être par l'appelante si elle avait fait preuve de diligence raisonnable. Quant au moment où sont survenus le manquement à l'obligation et le préjudice, le juge Jones affirme à la p. 274: [TRADUCTION] "En l'espèce, il y a eu négligence lorsque les avocats ont remis le certificat de titre. Comme l'a conclu la Cour suprême du Canada, l'hypothèque était nulle lorsqu'elle a été consentie. La perte à ce moment‑là équivalait à la valeur nominale de l'hypothèque viciée." À l'appui de sa conclusion sur la question de la prescription, le juge Jones a invoqué particulièrement l'opinion exprimée par le juge Laskin de la Cour d'appel dans l'arrêt Schwebel v. Telekes, où il a décidé, en suivant la décision Howell v. Young, que peu importe que la cause de l'action pour négligence contre le notaire soit considérée comme ayant un fondement contractuel ou délictuel, elle a pris naissance aux fins de la prescription au moment du manquement à l'obligation et non pas quand il a été ou aurait dû être découvert. Le juge Jones s'est référé également à l'arrêt Cartledge v. E. Jopling & Sons Ltd., [1963] A.C. 758, dans lequel la Chambre des lords a reconnu la sévérité ou l'injustice de la règle voulant qu'une cause d'action pour négligence puisse prendre naissance, aux fins de la prescription, avant que la partie lésée n'ait découvert la négligence ou n'ait pu la découvrir, mais elle a conclu que cette règle ne pouvait être changée que par voie législative. Le juge Jones a estimé que l'application de la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert reviendrait à modifier The Statute of Limitations.

71. Sur la question de la prescription, l'appelante a fait valoir: a) que, si la règle à retenir est celle appliquée dans l'arrêt Cartledge, savoir qu'une cause d'action pour négligence prend naissance au moment où le préjudice est causé peu importe qu'on l'ait découvert ou qu'on aurait dû le découvrir, l'action délictuelle de l'appelante n'est pas prescrite parce que le préjudice n'a pas été causé avant que l'hypothèque soit déclarée nulle par cette Cour le 22 avril 1980; et b) subsidiairement que, si la règle applicable, comme le soutient l'appelante, est qu'une cause d'action pour négligence ne prend pas naissance aux fins de la prescription avant que le préjudice soit découvert ou qu'il aurait dû l'être si on avait fait preuve de diligence raisonnable, le fondement de la cause d'action délictuelle de l'appelante aurait pu être découvert au plus tôt en avril ou en mai 1977 quand la validité de l'hypothèque a été contestée dans l'action en forclusion.

72. Si la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert ne s'appliquait pas, je serais d'accord pour dire que la cause d'action délictuelle a pris naissance quand le préjudice a été causé, conformément à la règle bien établie énoncée dans l'arrêt Cartledge et appliquée, dans les décisions Midland Bank Trust Co. v. Hett, Stubbs & Kemp, à la p. 433, et Forster v. Outred & Co., à la responsabilité délictuelle concurrente qu'ont les avocats envers leurs clients. J'ai déjà souligné que les glossateurs se sont interrogés au sujet de la mention, dans la décision Howell v. Young (suivie dans l'arrêt Schwebel) dans le cadre d'un examen de la question de savoir s'il y avait responsabilité concurrente, du moment où s'est produit le manquement à l'obligation, plutôt que le préjudice. Comme je l'ai laissé entendre, le point de vue à retenir est que les tribunaux avaient à l'esprit le cas habituel de négligence d'un avocat où le préjudice comme tel, voire même la perte financière qui en résulte, coïncide avec le manquement à l'obligation. Il ne semblerait y avoir aucune raison de principe pour laquelle la distinction établie à cet égard entre une cause d'action contractuelle et une cause d'action délictuelle ne devrait pas s'appliquer à un cas de responsabilité concurrente. J'estime toutefois que cela n'est d'aucun secours à l'appelante. Bien que le jugement définitif portant nullité de l'hypothèque n'ait été rendu que le 22 avril 1980, elle était nulle dès le départ et un préjudice réel a été causé dès que les intimés l'ont prise le 31 décembre 1968 parce que, en conséquence, Nova Scotia Trust Company n'a acquis sur la propriété de Stonehouse aucun droit en garantie du prêt qu'elle a consenti. Cf. Forster v. Outred.

73. Il est donc nécessaire d'étudier l'argument subsidiaire de l'appelante sur la prescription. La question soulevée par cet argument, d'après moi, est de savoir s'il existe une raison pour laquelle l'arrêt de la Cour à la majorité, City of Kamloops c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2, qui a appliqué la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert au délai de prescription prévu par le par. 738(2) de la Municipal Act, R.S.B.C. 1960, chap. 255, ne devrait pas être suivi à l'égard de la cause d'action délictuelle que possède l'appelante en vertu de l'al. 2(1)e) de The Statute of Limitations de la Nouvelle‑Écosse, R.S.N.S. 1967, chap. 168.

74. Dans l'affaire Kamloops, il s'agissait d'une réclamation contre une municipalité pour la négligence dont elle avait fait preuve en n'empêchant pas la construction d'une maison dont les fondations étaient défectueuses. Le paragraphe 738(2) de la Municipal Act portait qu'une telle action devait être intentée dans un délai d'un an [TRADUCTION] "après que la cause d'action a pris naissance", et l'art. 739 disposait qu'un avis du dommage devait être donné à la municipalité dans les deux mois [TRADUCTION] "qui suivent la date où le dommage a été causé". L'avocat de la municipalité a reconnu que le délai commençait à courir aux fins des deux dispositions à compter de la date où le demandeur a réellement constaté le dommage ou aurait dû le constater s'il avait fait preuve de diligence raisonnable. La question était de savoir à quel moment il aurait dû le constater. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a accepté cette conception du droit applicable, en citant l'arrêt Sparham‑Souter v. Town and Country Developments (Essex) Ltd., [1976] Q.B. 858 (C.A.), à l'appui de la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert.

75. La question de la prescription n'a pas été soulevée au cours des débats devant cette Cour dans l'affaire Kamloops, mais, à la suite de l'arrêt de la Chambre des lords Pirelli General Cable Works Ltd. v. Oscar Faber & Partners, [1983] 2 A.C. 1, la Cour a demandé qu'on présente des observations écrites sur la question. Dans l'arrêt Pirelli, la Chambre des lords a conclu que la date à laquelle prend naissance une cause d'action délictuelle pour le préjudice résultant de la négligence dans la conception ou la construction d'un édifice était la date à laquelle le préjudice a été causé, et non pas celle où il a été découvert ou aurait dû l'être si on avait fait preuve de diligence raisonnable. Sur cette question, l'arrêt Cartledge a été appliqué et l'arrêt Sparham‑Souter critiqué. Comme elle l'avait fait dans l'arrêt Cartledge, la Chambre des lords a reconnu l'injustice de la règle établie, mais elle a estimé que cette dernière ne pouvait être modifiée que par voie législative. Dans l'arrêt Cartledge, la Chambre des lords a attaché une importance toute particulière à l'art. 26 de la Limitation Act, 1939, qui prévoyait que dans certains cas de dol et d'erreur [TRADUCTION] "le délai de prescription ne commence à courir que lorsque le demandeur a découvert le dol ou l'erreur, selon le cas, ou lorsqu'il aurait pu le découvrir s'il avait fait preuve de diligence raisonnable", pour le motif qu'il indiquait l'application restreinte qui devait être faite de la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert. Dans l'affaire Pirelli, où il s'agissait d'une action intentée contre des ingénieurs pour avoir fait preuve de négligence dans la conception d'une cheminée, la Chambre des lords disposait de la nouvelle expression de l'intention du législateur qui ressortait de la modification apportée par la Limitation Act 1963 afin de remédier à l'injustice révélée par l'arrêt Cartledge dans les cas où il y avait préjudice corporel. Lord Fraser of Tullybelton affirme, à la p. 14, que la modification de 1963 ne visait que les cas de préjudice corporel, ce qui indiquait que [TRADUCTION] "le Parlement s'est délibérément abstenu de modifier la règle applicable aux autres types d'actions en dommages‑intérêts". Cependant, lord Fraser et lord Scarman se sont référés tous les deux à la raison plus générale pour laquelle un changement aussi important de la règle en matière de prescription devait être laissé au législateur: l'incapacité des tribunaux d'établir un régime adéquat permettant de concilier les intérêts opposés, notamment en fixant un délai maximal ou une [TRADUCTION] "date limite", pour reprendre l'expression de lord Fraser. À la page 19, lord Fraser formule ainsi l'argument général qu'on oppose à l'introduction par les tribunaux de la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert:

[TRADUCTION] Si la cause d'action ne devait prendre naissance qu'à la date où le dommage a pu être découvert, cela pourrait entraîner une enquête sur des faits bien des années après leur survenance— voir, par exemple, Dennis v. Charnwood Borough Council [1983] Q.B. 409—avec la possibilité d'injustice envers la défenderesse, à moins qu'une date limite ne soit prescrite, comme le font les articles 6 et 7 de la Prescription and Limitation (Scotland) Act 1973. Dans la mesure où il est question de modifier ce domaine du droit, on est ici, selon moi, manifestement en présence d'un cas où cette modification doit être apportée par voie législative et non par décision judiciaire parce qu'il s'agit, pour reprendre les termes de lord Simon of Glaisdale dans l'arrêt Miliangos v. George Frank (Textiles) Ltd. [1976] A.C. 443, à la p. 480, d'une "décision qui exige un examen beaucoup plus poussé que ce qui est possible devant les tribunaux dans notre admirable système contradictoire traditionnel—le type d'examen enfin que pourrait entreprendre un comité interministériel." J'espère bien que le Parlement prendra bientôt des mesures pour remédier à l'état peu satisfaisant du droit dans ce domaine.

Lord Scarman se prononce dans le même sens, à la p. 19:

[TRADUCTION] On est tenté de laisser entendre que, conformément à l'affaire Practice Statement (Judicial Precedent) [1966] 1 W.L.R. 1234, la Chambre pourrait s'estimer justifiée de s'éloigner de l'arrêt Cartledge. Mais la réforme qui s'impose n'est pas la substitution d'un nouveau principe ou d'une nouvelle règle de droit à un principe ou à une règle déjà existants; ce qu'il faut c'est un ensemble détaillé de dispositions qui viendront remplacer la législation actuelle. La véritable façon de progresser consiste non pas à s'écarter des précédents, mais à modifier la loi. Heureusement, on peut s'attendre à une réforme, car le lord chancelier a déjà soumis à son comité de réforme du droit le problème du préjudice latent et de la date à laquelle la cause d'action prend naissance.

76. De toute évidence, ces points avaient été soulevés en cette Cour dans l'affaire Kamloops et néanmoins la Cour à la majorité a décidé d'appliquer au par. 738(2) de la Municipal Act la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert. Quoiqu'elle ait souligné l'importance attachée dans l'arrêt Cartledge à l'art. 26 de la Limitation Act, 1939, la Cour n'a pas laissé entendre qu'une distinction pouvait être faite d'avec les arrêts Cartledge et Pirelli en raison du contexte législatif particulier de l'affaire Kamloops. En fait, on peut se demander s'ils pouvaient être distingués pour ce motif. Au moment même où le par. 738(2) était en vigueur, avant d'être abrogé et remplacé par l'art. 16 de la Limitations Act, S.B.C. 1975, chap. 37, qui prévoit expressément l'application de la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert et fixe un délai maximal, la Statute of Limitations, R.S.B.C. 1948, chap. 191, art. 38, offrait la même possibilité d'un argument relatif à l'intention du législateur. L'article 38 portait que le droit d'action en recouvrement d'un bien‑fonds ou des loyers dont une personne a pu être privée par suite d'un dol caché [TRADUCTION] "est réputé avoir pris naissance au moment précis où le dol a été constaté ou découvert ou aurait pu l'être si on avait fait preuve de diligence raisonnable". L'article 28 de la Statute of Limitations de la Nouvelle‑Écosse, R.S.N.S. 1967, chap. 168, contient une disposition analogue. Quoique le juge Wilson, qui a rendu le jugement de la Cour à la majorité dans l'affaire Kamloops, n'ait pas commenté explicitement l'opinion selon laquelle la décision d'introduire la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert devrait être prise par le législateur plutôt que par les tribunaux, il découle manifestement de ses motifs et de la conclusion qu'elle a tirée qu'elle ne partageait pas les avis exprimés sur cette question dans les arrêts Cartledge et Pirelli. Elle semble avoir été amenée à tirer cette conclusion essentiellement en raison de l'injustice reconnue de la règle que les tribunaux, dans un esprit de réserve, ont appliquée dans ces affaires. Parlant de l'arrêt Pirelli, elle dit, à la p. 40:

Mais ce dont on se préoccupe peut‑être le plus est l'injustice d'une règle suivant laquelle une réclamation est prescrite avant même que le demandeur prenne conscience de son existence. Lord Fraser et lord Scarman étaient nettement préoccupés par cela mais ils s'estimaient liés par l'arrêt Cartledge. L'intervention du législateur constituait, à leurs yeux, la seule solution.

Il est heureusement loisible à cette Cour d'adopter ou de rejeter l'arrêt Pirelli. Je suis d'avis de le rejeter. Cela ne signifie pas que l'arrêt Sparham‑Souter ne présente aucun problème. Comme le souligne lord Fraser dans l'arrêt Pirelli, le report de la naissance de la cause d'action à la date où il est possible de découvrir le dommage peut faire en sorte que les cours vont examiner les faits plusieurs années après leur survenance. L'arrêt Dennis v. Charnwood Borough Council, [1982] 3 All E.R. 486, en est un exemple classique. Il me semble toutefois beaucoup plus constituer le moindre de deux maux.

77. Je suis donc d'avis que le jugement de la Cour à la majorité dans l'affaire Kamloops pose une règle générale selon laquelle une cause d'action prend naissance, aux fins de la prescription, lorsque les faits importants sur lesquels repose cette cause d'action ont été découverts par le demandeur ou auraient dû l'être s'il avait fait preuve de diligence raisonnable; j'estime en outre qu'on doit suivre cette règle et l'appliquer à la cause d'action délictuelle que possède l'appelante contre les intimés, en vertu de The Statute of Limitations de la Nouvelle‑Écosse, R.S.N.S. 1967, chap. 168. Il n'y a, selon moi, aucune raison de principe de faire une distinction à cet égard entre une action pour dommages causés à un bien et une action en indemnisation pour le préjudice purement financier causé par la négligence professionnelle, comme on a proposé de le faire dans la décision Forster v. Outred, précitée, aux pp. 765 et 766. Puisque les intimés ont remis à Nova Scotia Trust Company le 17 janvier 1969 un certificat portant que l'hypothèque constituait une charge de premier rang grevant la propriété de Stonehouse, donnant ainsi à entendre qu'il s'agissait d'une hypothèque valide, on pourrait prétendre que ce n'est qu'en avril ou en mai 1977, au moment où la validité de l'hypothèque a été contestée dans l'action en forclusion, que l'appelante a découvert la négligence des intimés ou aurait dû la découvrir si elle avait fait preuve de diligence raisonnable. En conséquence, la cause d'action délictuelle de l'appelante n'a pas pris naissance avant cette date et son action pour négligence contre les intimés n'est pas prescrite.

78. Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer les jugements de la Division de première instance et de la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse et d'inscrire contre les intimés un jugement leur ordonnant de verser à l'appelante, conformément à l'entente intervenue entre les parties relativement au montant réclamé, la somme de 424 434,04 $ au titre de l'hypothèque (capital, intérêts et impôts) plus les intérêts courus après le 14 avril 1982 au taux de 156,93 $ par jour ainsi que des frais de justice de 56 759,46 $ engagés par l'appelante pour tenter d'obtenir l'exécution de l'hypothèque, le tout avec dépens en cette Cour et dans les divisions de première instance et d'appel.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureur de l’appelante: R. A. Cluney, Halifax.

Procureur des intimés: Arthur W. R. Moreira, Halifax.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Avocats et procureurs - Responsabilité de personnes exerçant une profession libérale - Services juridiques d’avocats retenus relativement à une opération hypothécaire - Hypothèque ultérieurement déclarée nulle parce que non conforme à la Companies Act - La responsabilité des avocats est‑elle délictuelle ou purement contractuelle? - S’il y a responsabilité délictuelle, l’action est‑elle prescrite? - Les avocats ont‑ils été négligents? - Y a‑t‑il eu faute de la part de la victime? - L’action est‑elle irrecevable en raison de l’illégalité de l’opération? - Companies Act, R.S.N.S. 1967, chap. 42, art. 96(5) - The Statute of Limitations, R.S.N.S. 1967, chap. 168, art. 2(1)c).

Responsabilité délictuelle - Négligence - Obligation de diligence - Avocats - Services juridiques d’avocats retenus relativement à une opération hypothécaire - Hypothèque ultérieurement déclarée nulle parce que non conforme à la Companies Act - Les avocats ont‑ils une responsabilité concurrente en matière délictuelle? - Y a‑t‑il eu faute de la part de la victime? - L’action est‑elle irrecevable en raison de l’illégalité de l’opération? - L’action est‑elle prescrite?.

Contrats - Avocats - Services juridiques d’avocats retenus relativement à une opération hypothécaire - Hypothèque ultérieurement déclarée nulle parce que non conforme à la Companies Act - La responsabilité des avocats est‑elle purement contractuelle de sorte que l’action est prescrite? - Les avocats ont‑ils une responsabilité concurrente en matière délictuelle et, dans l’affirmative, l’action est‑elle prescrite?.

Les avocats intimés ont agi pour les acheteurs de tout le capital‑actions de Stonehouse Motel and Restaurant Limited. L'une des conditions de la promesse de vente portait que les acheteurs devaient obtenir un prêt hypothécaire garanti par la propriété de Stonehouse. Ces fonds étaient destinés à être versés au vendeur en paiement partiel du prix d'achat des actions. L'un des acheteurs, agissant pour le compte de Stonehouse, a demandé un prêt hypothécaire à la société à laquelle l'appelante a succédé et, conformément à la pratique suivie dans de tels cas, la société de fiducie a retenu les services d'avocats, en l'occurrence les intimés, pour s'occuper des aspects juridiques de l'hypothèque. À la signature de la vente, une hypothèque de premier rang sur le bien‑fonds de Stonehouse et un nantissement sur le matériel ont été consentis, et le vendeur a reçu en paiement des fonds qui comprenaient la somme empruntée sur hypothèque. L'intimé Cordon a certifié que l'hypothèque constituait une charge de premier rang grevant le bien‑fonds.

Par suite du manquement aux obligations de l'hypothèque, l'appelante a introduit contre Stonehouse une action en forclusion. Stonehouse et une créancière ayant des jugements inscrits sont toutes deux intervenues pour s'opposer à l'action. Elles ont invoqué comme moyen de défense la nullité de l'hypothèque du fait qu'elle enfreignait le par. 96(5) de la Companies Act de la Nouvelle‑Écosse. Suivant cette disposition, une société ne pouvait légalement donner, directement ou indirectement, soit au moyen d'un prêt, d'une garantie, d'un nantissement, soit autrement, une aide financière aux fins ou à l'égard d'un achat d'actions de la compagnie effectué ou à effectuer par qui que ce soit.

L'appelante a intenté contre les intimés son action pour rupture de contrat et pour négligence après que la Cour eut déclaré l'hypothèque nulle en totalité pour le motif qu'elle contrevenait au par. 96(5). En première instance, l'action a été rejetée et on a conclu que les intimés n'avaient pas fait preuve de négligence. La Cour d'appel a jugé que les intimés avaient fait preuve de négligence, mais a rejeté l'appel pour le motif que l'action était prescrite.

La question principale soulevée par ce pourvoi est de savoir si un avocat a envers le client qui a retenu ses services une responsabilité délictuelle aussi bien que contractuelle pour le préjudice résultant de l'omission de satisfaire à la norme requise de diligence dans la prestation desdits services. La question qui en découle, est de savoir si, dans l'hypothèse d'une telle omission, l'action intentée par l'appelante contre les intimés est frappée de prescription.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Si les avocats intimés ont fait preuve de négligence dans la prestation de leurs services professionnels, leur responsabilité envers l'appelante est non seulement contractuelle mais aussi délictuelle, sous réserve des autres moyens de défense qu'ils ont soulevés.

L'obligation de diligence en common law qui, conformément au principe général énoncé par lord Wilberforce dans l'arrêt Anns v. Merton London Borough Council, résulte de l'existence de rapports suffisamment étroits entre les intéressés, ne se limite pas aux relations qui ne tirent pas leur origine d'un contrat. Bien que les liens dont il s'agissait dans les arrêts Donoghue v. Stevenson, Hedley Byrne et Anns aient été de nature non contractuelle et que l'on ait nécessairement parlé dans les jugements d'une obligation de diligence qui existe indépendamment d'un contrat, rien dans les énoncés d'un principe général dans ces arrêts ne laisse entendre que l'application du principe devrait se limiter à des liens qui prennent naissance indépendamment d'un contrat. La question est de savoir s'il existe des rapports suffisamment étroits, et non pas de savoir comment ils ont pris naissance. Pour des raisons d'intérêt public, le principe de la responsabilité délictuelle est général. Une obligation de diligence en common law peut découler de rapports étroits qui n'auraient pas existé en l'absence d'un contrat.

Les engagements stipulés dans le contrat révèlent la nature des liens dont découle l'obligation de diligence en common law, mais la nature et la portée de l'obligation de diligence invoquée comme fondement de la responsabilité délictuelle ne doivent pas dépendre d'obligations ou de devoirs précis créés expressément par le contrat. C'est dans ce sens que l'obligation de diligence en common law doit être indépendante du contrat. La distinction, en ce qui concerne les termes du contrat, est, d'une manière générale, entre ce qu'il faut faire et la façon de le faire. On ne saurait affirmer qu'une réclamation est en matière délictuelle si elle tient, en ce qui concerne la nature et la portée de l'obligation de diligence alléguée, à la façon dont une obligation a été expressément et précisément définie dans un contrat. Lorsque l'obligation de diligence en common law coïncide avec celle qui résulte d'une condition implicite du contrat, elle ne dépend pas des termes de celui‑ci et il n'y a rien qui découle de l'intention des contractants qui devrait empêcher d'invoquer une responsabilité délictuelle concurrente ou alternative. Il en va de même de la possibilité de se fonder sur une obligation de diligence en common law qui ne correspond pas à une obligation ou un devoir précis imposés expressément par un contrat.

Une responsabilité délictuelle concurrente ou alternative ne sera pas admise si elle a pour effet de permettre au demandeur de contourner ou d'éluder une clause contractuelle d'exonération ou de limitation de responsabilité pour l'acte ou l'omission qui constituerait le délit civil. Sous réserve de cette restriction, chaque fois qu'il existe simultanément une responsabilité délictuelle et une responsabilité résultant d'un contrat, il est loisible au demandeur de se prévaloir de la cause d'action qui lui paraît la plus avantageuse à l'égard d'une conséquence juridique donnée.

Ces principes s'appliquent à la responsabilité qu'a un avocat envers son client pour avoir fait preuve de négligence dans la prestation de ses services professionnels. Il n'y a aucune raison valable de principe ou de politique générale pour que la situation de l'avocat à l'égard de la responsabilité concurrente soit différente de celle d'autres personnes qui exercent des professions libérales.

Le fondement de la responsabilité délictuelle de l'avocat pour négligence et du droit de son client en pareil cas de se faire indemniser pour des pertes purement financières est le principe posé dans l'arrêt Hedley Byrne et considéré, dans l'arrêt Anns, comme l'application d'un principe général de responsabilité délictuelle pour négligence fondée sur le manquement à une obligation de diligence découlant de rapports suffisamment étroits entre les intéressés. Ce principe ne se limite pas aux conseils professionnels, mais s'applique à tout acte ou à toute omission d'un avocat dans la prestation de ses services.

Les avocats intimés ont fait preuve de négligence en ne vérifiant pas l'existence du par. 96(5) de la Companies Act de la Nouvelle‑Écosse, en ne s'apercevant pas que cette disposition posait un problème en ce qui concerne la validité de l'hypothèque projetée et en ne conseillant pas Nova Scotia Trust Company en conséquence. C'est leur négligence qui est à l'origine du préjudice subi par la société de fiducie.

Un avocat est tenu de faire preuve de diligence, de compétence et de connaissances raisonnables dans la prestation de ses services professionnels. L'exigence de compétence professionnelle dont il est particulièrement question en l'espèce est la connaissance raisonnable des règles de droit applicables ou pertinentes. Un avocat n'est pas tenu de connaître toutes les règles de droit applicables à la prestation d'un service juridique donné, mais il doit posséder une connaissance suffisante des points ou des principes de droit fondamentaux applicables au travail précis qu'il a entrepris de sorte qu'il puisse percevoir la nécessité de vérifier les règles de droit qui s'appliquent à chaque point pertinent.

Bien que l'obligation de diligence de l'avocat ait généralement été décrite dans le contexte de la responsabilité contractuelle comme découlant d'une condition implicite du contrat entre l'avocat et le client, la même obligation résulte en common law des liens étroits créés par ce contrat. En l'absence de stipulations contractuelles expresses précisant la nature et la portée de l'obligation de diligence dans un cas donné, l'obligation de diligence est la même en matière contractuelle et en matière délictuelle.

Les avocats intimés ont agi d'une manière négligente. Le fait que les dispositions de la loi applicable, savoir la Companies Act, peuvent restreindre ou soumettre à certaines conditions la capacité d'une société d'emprunter et de fournir une sûreté est un élément de connaissance à ce point fondamental qu'un avocat raisonnablement compétent doit être réputé le posséder, qu'il soit généraliste ou spécialiste. Il s'agit d'un élément de connaissance que doit avoir un avocat qui s'engage à faire le travail juridique nécessaire pour obtenir d'une société une hypothèque ou autre sûreté, et cette connaissance emporte l'obligation de faire preuve de diligence et de compétence raisonnables pour déterminer par un examen de la législation pertinente à quelles restrictions ou conditions celle‑ci assujettit la capacité d'une société de fournir une sûreté. Un avocat raisonnablement compétent, sachant que Stonehouse consentait l'hypothèque pour obtenir un emprunt qui aiderait dans l'achat de ses actions, aurait reconnu que le par. 96(5) de la Companies Act posait un sérieux problème concernant la légalité ou la validité de l'hypothèque projetée. Suivant l'état du droit en 1968, un avocat raisonnablement compétent en Nouvelle‑Écosse, cette année‑là, se serait aperçu qu'il y avait une possibilité réelle que l'hypothèque soit jugée nulle pour le motif qu'elle contrevenait au par. 96(5) et aurait conseillé son client en conséquence.

Le moyen de défense fondé sur la faute de la victime doit être rejeté. Les administrateurs de Nova Scotia Trust Company et les membres du comité exécutif du conseil d'administration n'avaient pas à l'égard des aspects juridiques d'une opération d'autre obligation de diligence que celle de retenir les services d'avocats compétents pour fournir les services juridiques nécessaires. Ils auraient bien pu faire preuve de négligence si, dans un tel cas, ils s'en étaient remis à leur propre jugement juridique.

Un avocat ne saurait invoquer l'illégalité comme moyen de défense si c'est uniquement à cause de sa négligence que la prestation de ses services professionnels au client qui les a retenus aboutit à l'exécution d'une opération illégale. Est donc mal fondé l'argument selon lequel, en raison de l'illégalité de l'hypothèque, le contrat par lequel l'appelante a retenu les services des intimés était également illégal et ne pouvait donc servir de fondement à l'action de l'appelante pour rupture de contrat et négligence.

L'action de l'appelante pour négligence n'était pas prescrite. Une cause d'action prend naissance, aux fins de la prescription, lorsque les faits importants sur lesquels repose cette cause d'action ont été découverts par le demandeur ou auraient dû l'être s'il avait fait preuve de diligence raisonnable. Cette règle doit être suivie et appliquée en l'espèce. Il n'y a aucune raison de principe de faire la distinction à cet égard entre une action pour dommages causés à un bien et une action en indemnisation pour le préjudice purement financier résultant de la négligence professionnelle. Puisque les intimés ont remis à Nova Scotia Trust Company le 17 janvier 1969 un certificat portant que l'hypothèque constituait une charge de premier rang grevant la propriété de Stonehouse, ce n'est qu'en avril ou mai 1977, au moment où la validité de l'hypothèque a été contestée dans l'action en forclusion, que l'appelante a découvert la négligence des intimés ou aurait dû la découvrir si elle avait fait preuve de diligence raisonnable. En conséquence, la cause d'action délictuelle de l'appelante n'a pas pris naissance avant cette date et son action contre les intimés n'est pas prescrite.


Parties
Demandeurs : Central Trust Co.
Défendeurs : Rafuse

Références :

Jurisprudence
Arrêts examinés: Nunes Diamonds (J.) Ltd. c. Dominion Electric Protection Co., [1972] R.C.S. 769
Smith (G.I.) c. McInnis, [1978] 2 R.C.S. 1357
Hedley Byrne & Co. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465
Elder, Dempster & Co. v. Paterson, Zochonis & Co., [1924] A.C. 522
Scruttons Ltd. v. Midland Silicones Ltd., [1962] A.C. 446
Halvorson c. McLellan & Co., [1973] R.C.S. 65
Nocton v. Lord Ashburton, [1914] A.C. 932
Groom v. Crocker, [1939] 1 K.B. 194
Esso Petroleum Co. v. Mardon, [1976] Q.B. 801
Midland Bank Trust Co. v. Hett, Stubbs & Kemp, [1979] Ch. 384
Aluminum Products (Qld.) Pty. Ltd. v. Hill, [1981] Qd.R. 33
Macpherson & Kelley v. Kevin J. Prunty & Associates, [1983] 1 V.R. 573
Steljes v. Ingram (1903), 19 T.L.R. 534
Finlay v. Murtagh, [1979] I.R. 249
Dominion Chain Co. v. Eastern Construction Co. (1976), 68 D.L.R. (3d) 385
McLaren Maycroft & Co. v. Fletcher Development Co., [1973] 2 N.Z.L.R. 100
Brown v. Boorman (1844), 11 Cl. & F. 1, confirmant (1842), 3 Q.B. 511
Lister v. Romford Ice and Cold Storage Co., [1957] A.C. 555, confirmant [1956] 2 Q.B. 180
Matthews v. Kuwait Bechtel Corp., [1959] 2 Q.B. 57
John Maryon International Ltd. v. New Brunswick Telephone Co. (1982), 141 D.L.R. (3d) 193
Tai Hing Cotton Mill Ltd. v. Liu Chong Hing Bank Ltd., [1985] 2 All E.R. 947, infirmant [1984] 1 Lloyd's L.R. 555
Ross v. Caunters, [1980] Ch. 297
Schwebel v. Telekes, [1967] 1 O.R. 541
Sealand of the Pacific v. Robert C. McHaffie Ltd. (1974), 51 D.L.R. (3d) 702
Giffels Associates Ltd. c. Eastern Construction Co., [1978] 2 R.C.S. 1346
Messineo v. Beale (1978), 20 O.R. (2d) 49
Jacobson Ford‑Mercury Sales Ltd. v. Sivertz (1979), 103 D.L.R. (3d) 480
Surrey (District of) v. Carroll‑Hatch & Associates Ltd. (1979), 101 D.L.R. (3d) 218
Canadian Western Natural Gas Co. v. Pathfinder Surveys Ltd. (1980), 12 Alta. L.R. (2d) 135
Leigh and Sillivan Ltd. v. Aliakmon Shipping Co., [1985] 2 W.L.R. 289
Wabasso Ltd. c. National Drying Machinery Co., [1981] 1 R.C.S. 578
Thibault v. Central Trust Company of Canada, [1963] R.C.S. 312
Cartledge v. E. Jopling & Sons Ltd., [1963] A.C. 758
Kamloops (Ville de) c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2
Pirelli General Cable Works Ltd. v. Oscar Faber & Partners, [1983] 2 A.C. 1
arrêts mentionnés: Central and Eastern Trust Co. c. Irving Oil Ltd., [1980] 2 R.C.S. 29, confirmant (1978), 89 D.L.R. (3d) 374, infirmant (1977), 81 D.L.R. (3d) 495
Howell v. Young (1826), 5 B. & C. 259
Bean v. Wade (1885), 2 T.L.R. 157
Smith v. Fox (1848), 6 Hare 386, 67 E.R. 1216
Jarvis v. Moy, Davies, Smith, Vandervell & Co., [1936] 1 K.B. 399
Kelly v. Metropolitan Railway Co., [1895] 1 Q.B. 944
Turner v. Stallibrass, [1898] 1 Q.B. 56
Sachs v. Henderson, [1902] 1 K.B. 612
Edwards v. Mallan, [1908] 1 K.B. 1002
Jackson v. Mayfair Window Cleaning Co., [1952] 1 All E.R. 215
Clark v. Kirby‑Smith, [1964] 1 Ch. 506
Bagot v. Stevens Scanlan & Co., [1966] 1 Q.B. 197
Cook v. Swinfen, [1967] 1 W.L.R. 457
Heywood v. Wellers, [1976] Q.B. 446
Russell v. Palmer (1767), 2 Wils. K.B. 325, 95 E.R. 837
Godefroy v. Jay (1831), 7 Bing. 413, 131 E.R. 159
Batty v. Metropolitan Property Realisations Ltd., [1978] Q.B. 554
Photo Production Ltd. v. Securicor Transport Ltd., [1978] 1 W.L.R. 856
Forster v. Outred & Co., [1982] 2 All E.R. 753
Dabous v. Zuliani (1976), 12 O.R. (2d) 230
Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562
Hartman v. The Queen in right of Ontario (1973), 2 O.R. (2d) 244
Hall v. Brooklands Auto Racing Club, [1933] 1 K.B. 205
Power v. Halley (1978), 88 D.L.R. (3d) 381
Royal Bank of Canada v. Clark and Watters (1978), 22 N.B.R. (2d) 693, 39 A.P.R. 693
Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728
Attorney‑General of Nova Scotia v. Aza Avramovitch Associates Ltd. (1984), 11 D.L.R. (4th) 588
Consumers Glass Co. v. Foundation Co. of Canada/Compagnie Foundation du Canada (1985), 20 D.L.R. (4th) 126
Margarine Union G.m.b.H. v. Cambay Prince Steamship Co. (The “Wear Breeze”), [1969] 1 Q.B. 219
Rowe v. Turner Hopkins & Partners, [1982] 1 N.Z.L.R. 178
Flint & Walling Mfg. Co. v. Beckett, 79 N.E. 503 (1906)
Arenson v. Casson Beckman Rutley & Co., [1977] A.C. 405
Junior Books Ltd. v. Veitchi Co., [1983] 1 A.C. 521
Tracy v. Atkins (1979), 105 D.L.R. (3d) 632
Hett v. Pun Pong (1890), 18 R.C.S. 290
Bannerman Brydone Folster & Co. v. Murray, [1972] N.Z.L.R. 411
Sparham‑Souter v. Town and Country Developments (Essex) Ltd., [1976] Q.B. 858.
Lois et règlements cités
Bills of Lading Act, 1855, 18 & 19 Vict., chap. 111, art. 1.
Code civil, art. 1053.
Companies Act, R.S.N.B. 1952, chap. 33, art. 37(1).
Companies Act, R.S.N.S. 1967, chap. 42, art. 96(5).
Contributory Negligence Act, R.S.A. 1970, chap. 65.
Contributory Negligence Act, R.S.B.C. 1960, chap. 74.
County Courts Act, 1888, 51 & 52 Vict., chap. 43, art. 66.
Limitation Act, 1939, 2 & 3 Geo. 6, chap. 21, art. 26.
Limitation Act 1963, (R.‑U.), chap. 47.
Limitations Act, S.B.C. 1975, chap. 37, art. 16.
Municipal Act, R.S.B.C. 1960, chap. 255, art. 738(2).
Negligence Act, R.S.O. 1970, chap. 296, art. 2(1)e).
Statute of Limitations, R.S.B.C. 1948, chap. 191, art. 38.
Statute of Limitations, R.S.N.S. 1967, chap. 168, art. 2(1)c).
Tortfeasors Act, R.S.N.S. 1967, chap. 307.
Doctrine citée
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Proposition de citation de la décision: Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147 (9 octobre 1986)


Origine de la décision
Date de la décision : 09/10/1986
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1986] 2 R.C.S. 147 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1986-10-09;.1986..2.r.c.s..147 ?
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