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09/10/1986 | CANADA | N°[1986]_2_R.C.S._327

Canada | Com. (Ind. Construction) c. C.T.C.U.M., [1986] 2 R.C.S. 327 (9 octobre 1986)


Com. (Ind. Construction) c. C.T.C.U.M., [1986] 2 R.C.S. 327

Commission de l'industrie de la construction Appelante

c.

Commission de transport de la Communauté urbaine de Montréal Intimée

répertorié: québec (commission de l'industrie de la construction) c. c.t.c.u.m.

No du greffe: 18098.

1986: 28 février; 1986: 9 octobre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Chouinard, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre des arrêts de la Cour d'appel du Québec1, qui on

t confirmé des jugements de la Cour supérieure2. Pourvoi accueilli.

1 Résumé à D.T.E. 83T‑685.

2 C.S. Mtl., no...

Com. (Ind. Construction) c. C.T.C.U.M., [1986] 2 R.C.S. 327

Commission de l'industrie de la construction Appelante

c.

Commission de transport de la Communauté urbaine de Montréal Intimée

répertorié: québec (commission de l'industrie de la construction) c. c.t.c.u.m.

No du greffe: 18098.

1986: 28 février; 1986: 9 octobre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Chouinard, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre des arrêts de la Cour d'appel du Québec1, qui ont confirmé des jugements de la Cour supérieure2. Pourvoi accueilli.

1 Résumé à D.T.E. 83T‑685.

2 C.S. Mtl., nos 500‑05‑006212‑755, 500‑05‑012615‑744 et 500‑05‑018290‑740, 12 février 1979.

Pierre‑André Côté et Serge J. Boucher, pour l'appelante.

Yvon Clermont, c.r., pour l'intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

1. Le juge Chouinard—L'appelante se pourvoit contre trois arrêts de la Cour d'appel rejetant l'appel contre autant de jugements de la Cour supérieure par lesquels elle a été déboutée d'une réclamation totale de 67 014,99 $ dirigée contre l'intimée au bénéfice de salariés de celle‑ci.

2. Deux questions principales se posent. Le décret de la construction est‑il applicable à l'intimée et à ses salariés à l'égard de certains travaux effectués par ceux‑ci? Dans l'affirmative, l'intimée peut‑elle opposer le fait que considérés dans leur ensemble les bénéfices accordés à ses salariés en vertu de la convention collective sont supérieurs à ceux qu'ils auraient reçus en vertu du décret?

3. Le Décret relatif à l’industrie de la construction, (1973) 105 G.O. II 5837, a été adopté conformément aux dispositions de la Loi sur les relations du travail dans l’industrie de la construction, L.Q. 1968, chap. 45, telle que modifiée par L.Q. 1970, chap. 35; L.Q. 1971, chap. 46 et L.Q. 1973, chap. 28.

4. Cette loi est devenue le chapitre R‑20 des Lois refondues du Québec et l'appelante a été remplacée par l'Office de la construction du Québec. Tous les renvois sont à la loi telle qu'elle était au moment des faits qui ont donné naissance au litige.

5. L'intimée, la C.T.C.U.M., a pour mandat d'organiser, d'exploiter et d'entretenir le réseau de transport de la Communauté urbaine de Montréal. La Commission de l'industrie de la construction était chargée de la mise à exécution du décret de la construction et était notamment autorisée à réclamer des employeurs pour le bénéfice des salariés la différence entre les sommes payées et celles déterminées par le décret.

6. De janvier 1974 à février 1975, 133 salariés de la C.T.C.U.M. ont fait des travaux au siège social de l'entreprise et aux garages Crémazie et Villeray. Au siège social, l'on a installé des gicleurs. Au garage Crémazie, l'on a transformé des vestiaires en bureaux. À cette fin il a fallu défaire puis refaire les cloisons avec tout ce que cela comporte. Au garage Villeray, l'on a transformé le garage en atelier pour les préposés à l'entretien. L'intérieur de la bâtisse a été refait à neuf. Les travaux ont consisté à refaire le plafond et les divisions; à poser portes et fenêtres; à plâtrer et peinturer; à installer des systèmes électriques, de chauffage et de climatisation.

7. Les salariés ont été payés conformément à la convention collective qui lie le Syndicat du transport de Montréal à l'employeur. La réclamation de l'appelante représente la différence entre les montants payés et ceux auxquels les salariés auraient eu droit en vertu du décret à titre de salaires, indemnités de vacances, avantages sociaux, contributions au Fonds d'indemnisation et prélèvement. S'y ajoute une pénalité à laquelle la Commission de l'industrie de la construction a droit en pareil cas.

8. Le quantum n'est pas en cause.

9. Voici les extraits pertinents de l'art. 1 ainsi que l'art. 2 de la Loi:

1. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, les expressions et mots suivants signifient:

...

e) «construction»: les travaux de fondation, d'érection, d'entretien, de rénovation, de réparation, de modification et de démolition de bâtiments et d'ouvrages de génie civil exécutés sur les lieux mêmes du chantier et à pied d'oeuvre, y compris les travaux préalables d'aménagement du sol;

En outre, le mot «construction» comprend l'installation, la réparation et l'entretien de machinerie et d'équipement, le travail exécuté en partie sur les lieux mêmes du chantier et en partie en atelier, le déménagement de bâtiments, les déplacements des salariés, le dragage, le gazonnement, la coupe et l'émondage des arbres et arbustes ainsi que l'aménagement de terrains de golf, mais uniquement dans les cas déterminés par règlements;

...

i) «employeur»: quiconque, y compris le gouvernement du Québec, fait exécuter un travail par un salarié;

j) «employeur professionnel»: un employeur dont l'activité principale est d'effectuer des travaux de construction et qui emploie habituellement des salariés pour un genre de travail qui fait l'objet d'un décret ou, à défaut, d'une convention collective;

...

q) «salarié»: tout apprenti, manoeuvre ou ouvrier non spécialisé, ouvrier qualifié ou compagnon, artisan, commis ou employé qui travaille individuellement, en équipe ou en société;

r) «salarié permanent»: tout salarié qui fait habituellement des travaux d'entretien de bâtiments ou d'ouvrages de génie civil et tout salarié qui travaille à la production dans un établissement.

2. La présente loi s'applique aux employeurs et aux salariés de l'industrie de la construction; toutefois, elle ne s'applique pas:

1° aux exploitations agricoles;

2° aux travaux d'entretien et de réparation exécutés par des salariés permanents embauchés directement par un employeur autre qu'un employeur professionnel;

3° aux travaux de construction de canalisations d'eau, d'égouts, de pavages et de trottoirs et à d'autres travaux du même genre exécutés par les salariés des communautés urbaines ou régionale et des corporations municipales;

4° aux travaux de construction qui se rattachent directement à l'exploration ou à l'exploitation d'une mine et qui sont exécutés par les salariés des entreprises minières;

5° aux travaux de construction qui se rattachent directement à l'exploitation de la forêt et qui sont exécutés par les salariés des entreprises d'exploitation forestière;

6° aux travaux de construction de lignes de transport de force exécutés par les salariés de la Commission hydroélectrique de Québec.

7° aux travaux de pose ou de montage du verre plat assujettis à un décret en vertu de la Loi des décrets de convention collective (Statuts refondus, 1964, chapitre 143) si le champ d'application de ce décret s'étend à tout le Québec et si le décret couvre à la fois les travaux de fabrication, de pose et de montage.

10. Par ailleurs les articles 3.01 et 3.02 du décret stipulent:

3.01 Est assujetti au décret, tout employeur ou salarié qui fait exécuter ou exécute des travaux couverts par le décret dans le champ d'application territorial indiqué à la section 4.

3.02 Le décret ne s'applique pas au salarié permanent au sens des articles 1 et 2 de la Loi. Aux fins du présent article, les travaux d'entretien ne comprennent pas les travaux exécutés à l'occasion d'une nouvelle construction, de la reconstruction ou de la réfection d'une partie d'un édifice ou d'un immeuble ou d'un ensemble de constructions ni les grosses réparations faites aux murs extérieurs, aux fondations ou aux murs de soutènement.

11. Les faits suivants ont été déterminés par la Cour supérieure et unanimement confirmés par la Cour d'appel:

— les travaux exécutés par les salariés de l'intimée doivent être considérés comme des travaux de construction;

— l'intimée n'est pas un employeur professionnel aux termes du par. 1j) de la loi;

— les travailleurs dont il s'agit sont des salariés permanents de l'intimée aux termes du par. 1r) de la loi.

12. À ce stade‑ci ces faits ne sauraient être sérieusement contestés.

13. Cependant, selon le juge de la Cour supérieure, ils ne suffisent pas à régler le litige car il faut d'une part tenir compte de l'intention du législateur au regard de l'objet de la Loi et d'autre part constater que les avantages dont les salariés concernés bénéficient en vertu de la convention collective leur procurent un «salaire global» supérieur à ce que leur procurerait le décret. Le juge écrit:

Tous ces éléments réunis — nature des travaux, qualité d'employeur et de salariés — suffisent‑ils à accueillir l'action de la demanderesse? S'il fallait lire à la lettre la Loi et le Décret qui ensemble assujettissent employeur et salariés (Décret art. 3.01) il faudrait dire oui à la condition expresse d'appliquer aveuglément ces textes, ce que n'est pas tenu de faire le Tribunal dans le présent cas, car sous‑jacente à cette législation et à ce décret il y a une intention bien marquée du législateur, c'est de pallier aux carences qui marquent le travail de l'ouvrier de la construction. Ce dernier sauf de rares exceptions ne connaît pas de sécurité d'emploi qui constitue à n'en pas douter une cause d'angoisse et d'insécurité chez cet ouvrier. De plus, de façon générale, ce travailleur est soumis aux caprices du climat, du marché, de la situation économique. Il peut très difficilement compter sur une retraite confortable quand il aura plus tôt que d'autres travailleurs usé ses forces et sa santé à un travail toujours dur et trop souvent hélas! très dangereux. En cas d'accidents, il ne peut compter que sur la Loi des accidents du travail, ses vacances sont limitées, etc., etc.

14. Après avoir exposé les avantages de la convention collective, le juge de la Cour supérieure écrit encore:

Tous ces avantages représentent pour la défenderesse un coût considérable et pour le travailleur des avantages qui peuvent et doivent s'évaluer en argent et par conséquent doivent aussi être comptés comme partie intégrale du salaire. On parle de salaire global, l'expression est juste et il faut la retenir pour apprécier avec justice ce qui constitue dans la réalité le vrai salaire du salarié de toute catégorie.

15. Voilà pour l'essentiel le fondement du jugement de la Cour supérieure. La Loi ne s'applique pas à l'intimée et aux salariés qui ont exécuté les travaux de construction et si elle s'appliquait, ces derniers ont de toute façon reçu un salaire global supérieur à celui prévu par le décret.

16. Ce jugement a été confirmé à la majorité par la Cour d'appel, le juge McCarthy étant dissident. Les motifs des juges formant la majorité vont substantiellement dans le même sens que ceux du juge de la Cour supérieure.

17. Le juge Monet écrit que l'appelante adopte plutôt une méthode d'interprétation littérale des textes tandis que «L'intimée, en revanche, adopte plutôt d'autres méthodes d'interprétation, notamment la méthode dite historique et la méthode dite téléologique.» Voici un extrait des motifs du juge Monet qui illustre pourquoi la Loi ne s'appliquerait pas en l'espèce:

L'appelante, comme il a été observé précédemment, conclut que l'exception de l'article 2(2) de la Loi sur les relations de travail dans l'industrie de la construction ne s'applique pas en l'espèce, compte tenu de l'exégèse.

L'intimée, appliquant une méthode d'interprétation différente, soumet que ses relations de travail avec ses salariés permanents n'entrent pas dans le champ d'application de cette loi particulière. Au soutien de ses prétentions, elle met en évidence l'objet et la finalité de celle‑ci.

Avec tous les égards possibles pour les tenants de l'opinion contraire, je suis d'avis que c'est à bon droit que le Juge a retenu les prétentions de l'intimée.

La loi dont il s'agit vise l'industrie de la construction. Pour les sujets de droit qui la composent, c'est un Code du travail autonome. Elle est l'aboutissement à l'échelle provinciale des éléments et des particularismes propres à cette industrie, notamment la mobilité des travailleurs, source d'un climat d'insécurité. Elle crée un seul régime juridique de relations de travail. Ceux qui sont renforcés dans leur opinion par des textes peuvent se référer aux dispositions de l'article 59:

«Les dispositions du Code du travail et de la Loi des décrets de convention collective ne s'appliquent pas dans l'industrie de la construction, sauf au cas de mention expresse.»

C'est une loi qui a pour objet de remédier à des abus qui existaient dans l'industrie de la construction.

Or, d'une part, les opérations de l'intimée, sa vocation, concernent essentiellement le transport en commun et non la construction et, d'autre part, les travailleurs qu'elle emploie ne sont pas sujets aux multiples conséquences de la mobilité et de l'insécurité.

18. Plus loin, le juge Monet réfère aux motifs du juge de première instance sur le concept de salaire global. Enfin le juge Monet conclut ainsi:

Ces remarques du Juge, me semble‑t‑il, n'ont qu'un but, celui de montrer que, dans l'hypothèse où les relations de travail de l'intimée et de ses employés entraient dans le champ d'application de la loi particulière, les travailleurs de l'intimée recevraient un «salaire global» moindre que celui que leur assure leur convention collective.

En résumé, je suis d'avis que la méthode d'interprétation adoptée par le Juge est justifiée et qu'en substance, les motifs du jugement entrepris sont fondés. Les pourvois, selon moi, doivent être rejetés.

19. Voici par ailleurs deux extraits des motifs du regretté juge Turgeon qui vont dans le même sens:

Il est toujours répugnant de réclamer un salaire plus élevé, à l'occasion de certains travaux, que celui prévu à la convention collective qui régit les employés permanents d'un commerce ou d'une industrie, sans tenir compte des grands avantages que procure cette convention collective aux employés qui y sont soumis.

En 1968, le législateur décida d'instituer un régime particulier de relations de travail dans l'industrie de la construction, dans le but de donner plus de sécurité aux salariés de cette industrie et pour accroître leur mobilité professionnelle et territoriale.

Les salariés de l'intimée n'ont pas ces problèmes de mobilité et d'insécurité d'emploi, qui sont le lot des employés de la construction.

...

Le premier Juge démontre dans son jugement, en s'appuyant sur la preuve, que les salariés de l'intimée ont reçu une rémunération supérieure à celle réclamée par l'appelante en vertu du décret, compte tenu de tous les avantages de leur convention collective.

Comme mon collègue, le Juge Monet, je suis d'opinion qu'il y a lieu de retenir les prétentions de l'intimée.

D'accord avec le premier Juge, je crois que dans l'hypothèse où les relations de travail de l'intimée et de ses employés entreraient dans le champ d'application de la loi particulière, les travailleurs de l'intimée recevraient un salaire global moins élevé que celui qu'ils reçurent en vertu de leur convention collective.

20. L'appelante soumet trois propositions:

1. Eu égard aux travaux exécutés par ses salariés, l'intimée est assujettie à la Loi sur les relations du travail dans l’industrie de la construction.

2. L'objet de la Loi sur les relations du travail dans l’industrie de la construction ne justifie pas de s'écarter du sens clair du texte.

3. Le décret de la construction est d'ordre public pour tous les employeurs et salariés assujettis à la Loi sur les relations du travail dans l’industrie de la construction.

La première proposition de l'appelante:

Eu égard aux travaux exécutés par ses salariés, l'intimée est assujettie à la Loi sur les relations du travail dans l’industrie de la construction

21. L'appelante appuie sa première proposition sur les termes de la Loi et sur ceux du décret, sur le règlement d'application de la Loi, sur la tradition en matière de décrets de convention collective, sur la jurisprudence des tribunaux judiciaires et sur les décisions du commissaire de la construction.

22. La position fondamentale de l'intimée est à l'effet que le décret ne s'applique qu'à l'industrie de la construction. De l'avis de l'intimée cette expression signifie l'ensemble des entreprises et des travailleurs dont l'occupation est la construction. La Loi ne s'appliquerait donc pas à elle dont l'occupation est le transport en commun. L'intimée se fonde sur le titre même de la Loi qui réfère à l'industrie de la construction. Elle se fonde aussi sur le préambule de l'art. 2 qui déclare: «La présente loi s'applique aux employeurs et aux salariés de l'industrie de la construction». L'intimée se fonde encore sur les nombreux renvois que la Loi fait à «l'industrie de la construction», notamment aux art. 3, 13, 14 et 59. Elle se fonde enfin sur le nom donné à l'organisme chargé de la mise à exécution de tout décret adopté en vertu de la Loi, soit la Commission de l'industrie de la construction.

23. Je conviens que l'industrie de la construction peut s'entendre de l'ensemble des entreprises et des travailleurs dont l'occupation est la construction. Il n'en résulte pas nécessairement que seules ces entreprises et seuls ces travailleurs sont sujets à l'application de la Loi. Il faut en examiner les dispositions pertinentes afin de savoir ce qu'elles visent. À mon avis, je le dis avec égards, la position de l'intimée est intenable.

24. S'il en était comme elle le soumet, la Loi ne s'appliquerait qu'à l'«employeur professionnel» tel que défini à l'al. 1e), c'est‑à‑dire à celui dont l'activité principale est d'effectuer des travaux de construction et qui emploie habituellement des salariés pour un genre de travail qui fait l'objet d'un décret.

25. Or l'alinéa 1i) donne une définition distincte du mot «employeur»: quiconque fait exécuter un travail par un salarié. C'est le mot «employeur» et non l'expression «employeur professionnel» que l'on retrouve à l'art. 2. Le par. 2o de cet article distingue spécifiquement l'employeur de l'employeur professionnel quand il s'agit d'exclure les travaux d'entretien et de réparation.

26. Ce même paragraphe renferme, outre l'expression «travaux d'entretien et de réparation», l'expression «salariés permanents».

27. Le mot «construction» tel que défini à l'al. 1e) englobe bien plus que l'entretien et la réparation. Cependant, seuls sont dispensés de l'application de la Loi, dans les circonstances indiquées, les travaux d'entretien et de réparation.

28. Le «salarié permanent» est celui qui fait habituellement des travaux d'entretien et celui qui travaille à la production dans un établissement.

29. Sans exclure que l'expression «industrie de la construction» puisse s'entendre de l'ensemble des entreprises et des travailleurs dont l'occupation est la construction, il faut néanmoins conclure, à mon avis, que la Loi vise des activités particulières qui entrent dans le champ de la définition de construction. Ce sont ces activités qui sont régies par la Loi et par le décret.

30. Dans la définition d'«employeur professionnel» commentée plus haut, il est fait mention de salariés employés «pour un genre de travail qui fait l'objet d'un décret». Cela signifie que le décret vise «un genre de travail» et non pas seulement une catégorie d'employeurs ou de salariés. Il s'ensuit que pour déterminer si tel employeur ou tels salariés sont visés il faut tenir compte de la nature du travail effectué et non pas seulement de la qualité ou du statut des parties.

31. Conclure autrement consisterait à dénuer de toute signification les distinctions que la Loi fait entre «employeur» et «employeur professionnel», entre «salarié» et «salarié permanent».

32. Ce serait du même coup rendre inutiles les exceptions énumérées à l'art. 2.

33. Cet article porte que «la présente loi s'applique aux employeurs et aux salariés de l'industrie de la construction; toutefois, elle ne s'applique pas . . .»

34. Suivent sept exceptions dont la première est relative aux exploitations agricoles. Les exploitations agricoles ne sont manifestement pas des entreprises de construction. Si la Loi ne s'appliquait qu'aux entreprises de construction comme le veut l'intimée cette exception n'aurait aucune raison d'être.

35. La deuxième exception, celle qui nous intéresse, est à l'effet que la Loi ne s'applique pas «aux travaux d'entretien et de réparation». Il n'est pas écrit qu'elle ne s'applique pas à des catégories d'employeurs ou de salariés. Il en va de même des autres exceptions aux termes desquelles certains travaux sont écartés de l'application de la Loi.

36. La formulation même de l'art. 2 montre bien que sauf le cas des exploitations agricoles, ce ne sont pas des catégories de personnes, employeurs ou salariés, auxquelles la Loi ne s'applique pas mais des travaux bien définis exécutés par les catégories de salariés déterminés pour le compte d'un employeur désigné ou d'une catégorie d'employeurs.

37. Dans le cas du par. 2°, il s'agit des «travaux d'entretien et de réparation exécutés par des salariés permanents embauchés directement par un employeur autre qu'un employeur professionnel». En l'espèce, toutes les conditions sont remplies sauf celle relative à la nature des travaux. L'intimée n'est pas un employeur professionnel et les salariés sont des salariés permanents, mais la Cour supérieure et la Cour d'appel ont conclu que les travaux auxquels se rapporte la réclamation de l'appelante sont des travaux de construction par opposition à des travaux d'entretien et de réparation. Il s'ensuit que la Loi s'applique.

38. L'appelante s'appuie également sur les termes du décret, plus particulièrement sur les art. 3.01 et 3.02 précités. On aura noté que l'art. 3.02 précise le sens de «travaux d'entretien» en spécifiant ce qu'ils ne comprennent pas. L'intimée s'est élevée contre cette définition des travaux d'entretien. L'intimée écrit dans son mémoire:

Selon l'article 28 de la Loi, le contenu du Décret est limité à la classification des employés, à la rémunération, à la durée du travail, etc. Peut‑il alors contenir une définition de travaux d'entretien? Et, les négociateurs de la convention collective qui a donné lieu au Décret, lorsqu'ils ont adopté cette définition, de même que le Ministre, lorsqu'il a accepté de l'inclure dans la proclamation du décret, ne sont‑ils pas allés au‑delà des pouvoirs que la Loi leur accorde? En conséquence, cette disposition du décret nous semble «ultra vires».

39. Quoi qu'il en soit, cet article ne m'apparaît pas concluant pour déterminer si la Loi s'applique en l'espèce et les moyens tirés de la Loi sont suffisants. Je ne me prononce pas sur ce moyen additionnel soumis par l'appelante.

40. L'appelante invoque d'autre part le Règlement numéro 1 relatif au champ d’application de la Loi sur les relations du travail dans l’industrie de la construction, (1971) 103 G.O. 67.

41. Ce règlement est pris en vertu de l'art. 2a de la Loi afin de «préciser davantage le champ d'application» de la Loi. Entre autres ce règlement crée le concept de salarié occasionnel. Il s'agit d'un salarié «qui travaille habituellement ailleurs que dans la construction mais qui peut être appelé dans l'exécution normale de son travail à oeuvrer et à l'intérieur et à l'extérieur du champ d'application de la Loi, à l'occasion ou à intervalles réguliers». Selon le par. 6° de l'art. 3, seules s'appliquent aux salariés occasionnels les clauses du décret relatives à la rémunération, à la durée du travail, aux heures supplémentaires, aux jours fériés et au régime syndical. Précisons que les clauses du décret relatives au régime syndical ne s'appliquent pas au salarié occasionnel déjà syndiqué.

42. Ce règlement illustre que la Loi et le décret peuvent s'appliquer à un salarié dont l'occupation principale n'est pas la construction, contrairement à ce que prétend l'intimée.

43. Ce qui précède suffit à soutenir la première proposition de l'appelante sans qu'il soit nécessaire de considérer la tradition en matière de décrets de convention collective ou l'historique législatif. Je terminerai sur ce point en citant quelques arrêts qui appuient la proposition de l'appelante ainsi qu'une décision du commissaire de la construction au même effet.

44. Dans Comité Paritaire de l’Industrie de l’Imprimerie de Montréal et du District c. Dominion Blank Book Co., [1944] R.C.S. 213, cette Cour rejeta l'argument que l'activité principale de l'employeur n'était pas celle régie par le décret et considéra plutôt la nature du travail effectué. Au nom de la Cour, le juge Taschereau, plus tard Juge en chef, écrit à la p. 219:

[TRADUCTION] Il est évident que, par ces textes impératifs et non équivoques, le législateur a voulu lier non seulement les signataires de la convention mais aussi tous les employés et tous les employeurs oeuvrant dans le même genre d'entreprise. L'extension légale conférée par le décret a comme conséquence que tous ceux qui exécutent un travail de même nature ou de même espèce deviennent assujettis à ses dispositions. -‑Manon

45. Dans Ste‑Marie c. Comité Conjoint (Construction), [1952] B.R. 255, la Cour d'appel a décidé ce qui suit:

Le demandeur réclame au défendeur $354, soit la différence entre le salaire déterminé par une convention collective et le salaire effectivement payé à deux employés. Le défendeur plaide qu'il n'est pas assujetti à cette convention parce que ses deux employés ont participé à certains travaux de métier de temps à autre et non régulièrement et il ajoute que leurs services ont été utilisés pour l'opération et l'entretien de son usine et cela par intermittence.

La Cour d'appel déclare que le travail exécuté est un travail prévu par la convention collective et que, d'ailleurs, ce n'est pas le genre d'entreprise auquel se livre l'employeur qui importe, mais la nature du travail exécuté par les employés.

46. Dans Commission du salaire minimum c. Beau‑Lab Co., [1976] R.D.T. 116, il s'agissait de déterminer si l'installation sur le chantier d'armoires et de comptoirs par les ouvriers qui les avaient fabriqués en usine était régie par le décret de la construction. Le juge Turgeon écrit au nom de la Cour d'appel, à la p. 119:

Il faut déterminer la nature même des travaux effectués par l'ouvrier pour savoir s'il tombe sous le coup du décret de la construction.

47. Dans Commission de l’industrie de la construction c. Hôpital St‑François d’Assise, C.S. Québec, no 200‑05‑001950‑745, 30 septembre 1975, des employés de l'hôpital avaient fait l'installation d'un système de protection contre l'incendie. Après l'analyse de la preuve, le juge Roberge écrit:

... le tribunal en vient à la conclusion qu'il s'agit en l'occurrence, de travaux de construction; en effet, il fallait installer dans la vieille partie de cet édifice un système complet de sécurité contre l'incendie et cela s'apparente fortement à une rénovation; par ailleurs, le Tribunal ne peut songer un instant que des travaux majeurs de l'ordre de $150, 000 peuvent être simplement des travaux d'entretien;

48. Dans cette affaire la réclamation de la Commission se rapportait à trois salariés. Le juge a accueilli l'action quant aux deux premiers «engagés dans des travaux de construction couverts par la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction et par le décret y relatif». Il a rejeté la réclamation quant au troisième qui était un salarié permanent et avait «plutôt été employé à certaines réparations d'entretien».

49. En vertu de l'art. 2b de la Loi, «Toute difficulté d'interprétation ou d'application de l'article 2 ou des règlements adoptés en vertu de l'article 2a doit être déférée à un commissaire appelé commissaire de la construction ...» Suivant les art. 2c et 31, ces décisions sont sans appel. Bien plus dans Commission de l’industrie de la construction c. Steinman, [1977] C.A. 340, la Cour d'appel a décidé que la compétence du commissaire est exclusive.

50. Je ferai observer qu'en l'espèce aucune «difficulté» n'a été déférée au commissaire de la construction. La question de la nécessité et de l'opportunité de s'adresser au commissaire a été quelque peu débattue devant cette Cour. Cependant l'intimée n'a pas mis en doute la compétence de la Cour supérieure en invoquant le fait qu'on n'avait pas déféré l'affaire au commissaire mais qu'on s'était adressé directement à la cour. Je laisse cette question de côté.

51. Il demeure que le commissaire a été à maintes reprises appelé à se prononcer sur le champ d'application, notamment dans Office de la construction du Québec c. Hôtel‑Dieu de Québec, C.C. 651‑77, cas 84 LR, 21 juin 1978, laquelle décision fit jurisprudence. Dans cette affaire relative à l'Hôtel‑Dieu, on peut lire:

L'argument du procureur de l'employeur à l'effet que sa cliente n'est pas un employeur de l'industrie de la construction et les salariés de sa cliente ne sont pas des salariés de l'industrie de la construction, au sens du premier alinéa de l'article 2 de la loi, serait davantage retenu si le législateur, à cet article 2, n'avait pas ajouté les paragraphes 1o et suivants spécifiant des cas d'exceptions où des employeurs, salariés ou travaux ne sont pas compris dans le champ d'application de la loi. Le texte de la loi doit être pris dans son ensemble.

Si le législateur avait voulu n'appliquer la loi qu'aux employeurs et aux salariés de l'industrie de la construction dans le sens que l'entend le procureur de l'employeur, il aurait été superflu d'ajouter les paragraphes mentionnés ci‑dessus qui visent tous, d'ailleurs, des employeurs autres que des employeurs de l'industrie de la construction.

La deuxième proposition de l'appelante:

L'objet de la Loi sur les relations du travail dans l’industrie de la construction ne justifie pas de s'écarter du sens clair du texte

52. L'objet de la Loi tel que l'ont perçu le juge de la Cour supérieure et les juges de la majorité de la Cour d'appel est décrit dans les passages précités de leurs motifs.

53. Je ne vois pas de différence substantielle entre ces descriptions et celle de l'appelante qui écrit dans son mémoire:

L'objet de la loi [...] est d'instaurer un régime particulier de relations de travail entre les employeurs et les employés de l'industrie de la construction, incluant un mécanisme d'extension juridique de la convention collective. Le législateur a voulu entre autres régler l'éternel problème de la représentation syndicale dans l'industrie, assurer des conditions de travail raisonnables à tous les salariés et instaurer un régime de sécurité d'emploi.

54. Ce sont les conséquences à en tirer qui importent.

55. Dans Canadian National Ry. Co. c. Province of Nova Scotia, [1928] R.C.S. 106, le juge Duff, plus tard Juge en chef, écrit au nom de la Cour, aux pp. 120 et 121:

[TRADUCTION] Le rôle de cette cour est de donner effet à l'intention du législateur révélée par le langage qu'il a choisi pour exprimer cette intention. Quelles que soient les opinions qui aient pu être à l'origine du principe de la loi, ce n'est pas le rôle d'une cour de justice, en se référant à ces opinions, même si elle pouvait les connaître avec certitude, d'élargir la portée des dispositions exécutoires de la Loi dans lesquelles le législateur a énuméré les moyens précis par lesquels sa politique doit être mise à exécution.

56. Dans Wellesley Hospital c. Lawson, [1978] 1 R.C.S. 893, à la p. 902, le juge Pigeon cite le passage suivant du juge Duff, au nom de la Cour, dans The King v. Dubois, [1935] R.C.S. 378, à la p. 381:

[TRADUCTION] Dans tous les cas, la cour doit s'efforcer loyalement de déterminer l'intention de la Législature; et de le faire en lisant et en interprétant les termes que la Législature elle‑même a choisis pour exprimer cette intention.

...

Présumer de l'intention général[e] au départ, cela revient, comme lord Haldane le déclarait dans Vacher & Sons Ltd. v. London Society of Compositors ([1913] A.C. 107, à la p. 113) à pénétrer dans un labyrinthe pour l'exploration duquel le juge ne dispose d'aucun fil conducteur.

57. Dans Ville de St‑Bruno de Montarville c. Mount Bruno Association Ltd., [1971] R.C.S. 623, le juge Pigeon écrit, au nom de la Cour, à la p. 626:

À mon avis, il faut ici s'en tenir à la règle fondamentale d'interprétation: rechercher le sens des mots dont le législateur s'est servi au lieu de spéculer sur ses intentions.

58. Dans Rosen c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 961, le juge McIntyre écrit, au nom de la majorité, à la p. 975:

On doit dégager l'intention du législateur des termes qu'il a employés.

59. Dans R. v. Philips Electronics Ltd. (1980), 30 O.R. (2d) 129, le juge Goodman écrit, au nom de la majorité de la Cour d'appel de l'Ontario, à la p. 136:

[TRADUCTION] Les dispositions du par. 38(1) ont un sens clair et non équivoque. À mon avis, la Cour ne doit pas, en faisant appel aux dispositions de l'art. 1l de la Loi d'interprétation, donner au paragraphe une interprétation qui représente son opinion quant à l'intention du Parlement, en remplacement du sens du paragraphe qui se dégage de ses termes clairs. C'est ce dernier sens qui révèle l'intention du Parlement.

60. Cet arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario a été confirmé par cette Cour dont l'arrêt est publié à [1981] 2 R.C.S. 264.

61. Je suis d'accord avec l'extrait suivant tiré du mémoire de l'appelant:

Pour atteindre ces buts, plusieurs moyens ont été mis en oeuvre, tels le contrôle quantitatif de la main‑d'oeuvre et surtout une extension maximale du champ d'application industriel de la Loi afin de réserver aux professionnels de la construction tous les travaux qui entrent dans la définition statutaire de «construction». Or, cette définition est très large et le législateur a même réservé au Lieutenant‑gouverneur en conseil la possibilité d'y inclure par règlement certains autres travaux (article 2a L.R.T.I.C.)

En revanche, sans doute pour des raisons pratiques et économiques, le législateur a prévu certaines exceptions, dont celle de l'article 2, par. 2 en faveur des employeurs non professionnels.

De toute évidence, le Législateur a voulu alléger le fardeau des propriétaires et corporations publiques en leur permettant de faire eux‑mêmes l'entretien et la réparation de leurs édifices. Mais il n'a certainement pas voulu qu'ils fassent plus que cela, sinon il l'aurait stipulé. Dans la même veine, il a permis aux municipalités d'effectuer des travaux de construction relatifs aux canalisations d'eau, égouts, trottoirs, etc. (article 2(3) L.R.T.I.C.)

C'est ce raisonnement qui fondamentalement constitue la trame de la L.R.T.I.C., et ce raisonnement est en parfaite harmonie avec le texte législatif.

62. On pourrait ajouter que si le législateur a voulu alléger le fardeau des propriétaires et des corporations publiques il n'a pas voulu pour autant que ceux‑ci établissent leurs propres services de construction dans le but de réaliser leurs travaux à un coût moindre en esquivant les prescriptions du décret.

63. Je fais mien le passage suivant des motifs du juge McCarthy, dissident:

À mon avis, la position prise par l'appelante est appuyée par les textes législatifs et n'est ni absurde ni manifestement injuste. Nous devons donc appliquer les textes tels quels.

La troisième proposition de l'appelante:

Le décret de la construction est d'ordre public pour tous les employeurs et salariés assujettis à la Loi sur les relations du travail dans l’industrie de la construction

64. Sous ce titre l'appelante soumet premièrement que l'intimée ne peut, par convention, écarter l'application du décret de la construction et deuxièmement qu'elle ne peut opérer compensation entre les sommes versées en vertu de la convention collective et celles exigibles en vertu du décret ou encore invoquer le concept de salaire global retenu par la Cour supérieure et par la Cour d'appel.

65. Quant au premier point, l'appelante s'appuie sur les dispositions de la Loi et du décret.

66. L'article 20 de la Loi stipule:

20. L'adoption du décret rend obligatoires toutes les clauses de la convention collective; ses dispositions sont d'ordre public.

67. D'autre part l'art. 18.06 du décret pose ceci:

18.06 Tout contrat individuel entre un employeur et un salarié ne peut stipuler des avantages moindres que ceux qui sont prévus au décret. Tout contrat à ce contraire est nul et non avenu.

68. Et l'art. 32.03 énonce:

32.03 Toute renonciation expresse ou tacite aux dispositions du décret est nulle et non avenue et ne constitue pas une justification pour l'employeur dont le salarié n'a pas bénéficié de telles dispositions.

69. L'intimée ne conteste pas le caractère d'ordre public des dispositions du décret. Cependant elle soutient qu'il ne vaut que pour l'industrie de la construction entendue dans le sens qu'elle donne à cette expression.

70. L'argument de l'intimée n'a de pertinence que si l'on est d'accord avec son argument relatif au champ d'application de la Loi. J'ai déjà disposé de ce premier argument et conclu que pour déterminer le champ d'application de la Loi, il faut rechercher la nature du travail effectué et ne pas se limiter aux seuls qualité ou statut des parties. Il n'est pas nécessaire d'en traiter davantage.

71. Quant au deuxième point, l'al. 1p) de la Loi définit le mot salaire de la façon suivante:

p) «salaire»: la rémunération en monnaie courante et les indemnités ou avantages ayant une valeur pécuniaire que détermine un décret;

72. Depuis longtemps, soumet l'intimée, le législateur a ainsi défini ce mot, particulièrement dans la Loi du salaire minimum, S.R.Q. 1964, chap. 144, al. 1h), remplacé depuis par la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., chap. N‑1.1, par. 1.9o, et dans la Loi sur les décrets de convention collective, L.R.Q., chap. D‑2, al. 1i).

73. L'intimée soumet encore ceci:

Tous les avantages procurés par un emploi doivent donc être pris en considération dans l'appréciation de la rémunération dont bénéficie l'employé. Le critère pour décider si un avantage fait partie du salaire consiste à déterminer si cet avantage constitue «la contrepartie des services rendus par l'employé à l'employeur».

74. L'intimée s'appuie sur le jugement de la Cour supérieure dans Provencher c. Bissonnette, C.S. Arthabaska, no 415‑05‑000337‑76, 15 mai 1978.

75. Il convient de mentionner que dans cette affaire il s'agissait d'une réclamation pour blessures corporelles et qu'il fallait déterminer l'indemnité à laquelle la demanderesse avait droit au poste du salaire.

76. La difficulté que je vois à la prétention de l'intimée provient du fait que la Loi définit le mot salaire en référant à la rémunération et aux indemnités ou avantages «que détermine un décret». Ce qui est obligatoire et ce à quoi on ne peut déroger ce sont les conditions déterminées par le décret. Il n'y est aucunement question de salaire global, mais de conditions précises que le décret détermine, à savoir, en l'espèce, au titre des salaires, des indemnités de vacances, des avantages sociaux, des contributions au Fonds d'indemnisation et du prélèvement.

77. L'employeur est libre d'accorder à ses salariés d'autres avantages, plus généreux même que ceux du décret, mais ceux‑ci doivent recevoir la rémunération et les indemnités ou avantages que détermine le décret.

78. Comme l'écrit l'appelante:

Si, dans le Décret, on a fixé le taux de salaire de tous les métiers, le pourcentage d'indemnités de vacances et le montant des contributions aux avantages sociaux, c'est qu'on a voulu que tous les salariés assujettis reçoivent une rémunération globale conforme aux dispositions établies.

Il n'appartient pas à l'Intimée de modifier ces proportions ou de décréter des équivalences entre les divers éléments composant la rémunération globale. L'Intimée ne peut pas payer un salaire horaire moindre sous prétexte qu'elle paie des indemnités de vacances supérieures ou parce que ses employés jouissent de tout autre avantage.

79. C'est ainsi, que je sache, qu'ont toujours été interprétées les lois d'extension de conventions collectives et de décrets.

80. Dans Comité conjoint des métiers de la construction c. Bisson (1937), 75 C.S. 209, le juge Lazure écrit aux pp. 210 et 211:

Considérant que dès qu'une telle convention collective a été régulièrement sanctionnée par le lieutenant‑gouverneur en conseil, elle lie tous les salariés et patrons d'un même métier dans le territoire qui y est déterminé; ces dispositions couvrent, dans la région affectée, tous les contrats individuels de travail que peuvent passer les employés avec les patrons d'un même métier ou d'une même industrie; que le but de cette législation bienfaisante ne serait pas atteint, s'il était permis à certains ouvriers de passer avec leurs patrons un contrat dont les dispositions seraient en marge de la convention sanctionnée et relative à ce corps de métier ou à cette industrie. Ainsi, il ne sera pas permis, comme dans la présente cause, à des salariés de consentir à un salaire moindre que celui fixé par la convention qui les régit, même s'ils croient, à tort ou à raison, qu'en payant le salaire décrété leur patron sera obligé de fermer sa boutique ou de les renvoyer;

Considérant que cette loi est d'ordre public et que son but évident est de protéger la masse des ouvriers et aussi les patrons d'un même corps de métier. Or, si cette entente en marge de la convention était permise, le patron aurait toute liberté de faire une concurrence injuste aux autres employeurs du métier qui se soumettent à la convention, et de plus, ses employés seraient injustement rétribués par rapport à ceux qui sont payés au taux conventionnel;

81. Dans Comité Paritaire de l’Industrie de l’Imprimerie de Montréal et du District c. Dominion Blank Book Co., précité, le juge Taschereau écrit à la p. 219:

[TRADUCTION] C'est en outre une loi d'ordre public, qui prévoit en termes clairs que les dispositions du décret concernant les heures de travail et les salaires, dans une entreprise donnée, sont obligatoires, ce qui rend nulles et non avenues toutes les conventions qui violent ses dispositions ou y sont incompatibles.

82. Le juge Taschereau écrit encore à la p. 220:

[TRADUCTION] Je ne crois pas que l'intimée puisse échapper à l'application de cette loi en invoquant son contrat avec la mise‑en‑cause. La Loi sur les conventions collectives de travail s'applique à tous ceux qui exercent un même métier et interdit précisément de convenir d'un salaire inférieur à celui fixé par le décret. Toute stipulation en ce sens est nulle et non avenue.

83. Dans Comité conjoint des métiers de la construction de Montréal c. Boyer, [1951] B.R. 662, on peut lire, à la p. 663:

... la règle de la Loi de la convention collective ne permet pas d'échapper à l'obligation de payer le salaire minimum par une modalité autre qu'en argent;

84. Le juge Bissonnette écrit, au nom de la majorité, à la p. 665:

La rigueur de la Loi de la convention collective me paraît telle que les faveurs du maître, soit en prêtant une voiture, soit en autorisant un congé pour assister à un mariage, etc., ne lui permettent pas d'échapper à l'obligation de payer le salaire minimum prévu par un décret.

85. On peut lire enfin à la p. 666:

Sa véritable défense, c'est de dire que ses ouvriers ont toujours été satisfaits des rémunérations et de l'excellent traitement qu'il leur accordait. Le décret ne s'interprète pas malheureusement dans un esprit d'équité, mais bien avec la rigueur des prix, salaires et conditions de travail qu'il régit et détermine.

86. Dans S.A.F. Construction (1973) Inc. c. Office de la construction du Québec, C.A. Québec, nos 200‑09‑000627‑791, 200‑09‑000628‑790, 10 février 1982, le juge Turgeon écrit, au nom de la Cour:

Il m'apparaît évident que lorsque le Commissaire de la Construction décide que certains travaux sont compris dans le champ d'application de la Loi, le décret doit nécessairement s'appliquer à eux.

...

Le Décret de la Construction est d'ordre public en vertu de l'article 53 de la Loi et cela ne permettait pas à l'appelante de conclure une entente privée contraire au Décret.

87. Je suis d'accord avec le juge McCarthy qui écrit:

Quant à la notion d'une «compensation globale» je ne peux la retenir, vu les dispositions précises de la Loi et du Décret.

88. Pour ces motifs, j'accueillerais le pourvoi, j'infirmerais l'arrêt de la Cour d'appel et le jugement de la Cour supérieure, et je condamnerais l'intimée à payer à l'appelante la somme de 67 014,99 $ avec intérêt depuis l'assignation et les dépens dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Faucher, Ménard & Associés, Montréal.

Procureur de l’intimée: Yvon Clermont, Montréal.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit du travail - Industrie de la construction - Champ d’application de la Loi sur les relations du travail dans l’industrie de la construction - Texte législatif clair - Interprétation littérale - Loi et décret applicables à une entreprise de transport en commun relativement à des travaux de construction exécutés par ses salariés - Loi sur les relations du travail dans l’industrie de la construction, L.Q. 1968, chap. 45 et modifications, art. 1e), i), j), q), r), 2 - Décret relatif à l’industrie de la construction, (1973) 105 G.O. II 5837, art. 3.01, 3.02.

L'intimée exploite et entretient le réseau de transport de la Communauté urbaine de Montréal. Ses salariés ont effectué certains "travaux" à trois de ses édifices et ont été payés conformément à la convention collective. Chargée de la mise à exécution du décret de la construction adopté conformément aux dispositions de la Loi sur les relations du travail dans l’industrie de la construction, l'appelante a réclamé de l'intimée pour le bénéfice des salariés la différence entre les sommes payées et celles déterminées par le décret. La Cour supérieure a rejeté les actions. Le juge de première instance a refusé d'appliquer aveuglément le texte de la Loi. Invoquant l'objet de la Loi pour déterminer l'intention du législateur, le premier juge a statué que celle‑ci ne s'appliquait pas à l'intimée mais qu'elle visait plutôt les employeurs et les salariés qui oeuvrent habituellement dans l'industrie de la construction. Il a de plus ajouté que de toute manière, même si la Loi s'appliquait, les salariés avaient reçu de l'intimée une rémunération globale supérieure à celle réclamée par l'appelante en vertu du décret, compte tenu de tous les avantages de leur convention collective. La Cour d'appel, à la majorité, a confirmé les jugements. Le présent pourvoi vise à déterminer si la Loi et le décret s'appliquent à l'intimée et à ses salariés relativement aux travaux effectués par ceux‑ci; et dans l'affirmative, si l'intimée peut opposer le fait que considérés dans leur ensemble les bénéfices accordés à ses salariés en vertu de la convention collective sont supérieurs à ceux qu'ils auraient reçus en vertu du décret.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Selon la position fondamentale de l'intimée, le décret ne s'applique qu'à "l'industrie de la construction". Bien que cette expression puisse s'entendre de l'ensemble des entreprises et des travailleurs dont l'occupation est la construction, il n'en résulte pas nécessairement que seuls ces entreprises et ces travailleurs sont assujettis à la Loi. Les définitions de l'art. 1 et les exceptions prévues à l'art. 2 montrent que la Loi vise des activités particulières qui relèvent de la définition de construction. Ce sont ces activités qui sont régies par la Loi et le décret. Il s'ensuit que pour déterminer si un employeur ou des employés sont visés par la Loi, il faut non seulement tenir compte de la qualité ou du statut des parties mais aussi de la nature du travail effectué. En l'espèce, l'intimée a invoqué l'exception prévue au par. 2.2d de la Loi en faveur des employeurs non professionnels relativement aux travaux d'entretien et de réparation exécutés par leurs salariés permanents. Les employés de l'intimée sont des salariés permanents et cette dernière n'est pas un employeur professionnel. Toutefois, la Cour supérieure et la Cour d'appel ont conclu que les travaux auxquels se rapporte la réclamation de l'appelante sont des travaux de construction et non des travaux d'entretien et de réparation. La Loi doit donc s'appliquer.

L'objet de la Loi ne justifie pas que l'on s'écarte du sens clair du texte législatif. La présente Loi vise à instaurer un régime particulier de relations de travail entre les employeurs et les employés de l'industrie de la construction pour remédier aux carences de cette industrie. Pour atteindre son but, le législateur a défini d'une façon très large le champ d'application de la Loi tout en prévoyant quelques exceptions spécifiques. S'il avait voulu alléger davantage le fardeau des employeurs non professionnels en leur permettant d'établir leurs propres services de construction, il l'aurait stipulé. On doit dégager l'intention du législateur des termes qu'il a utilisés et non spéculer sur ses intentions.

Le décret de la construction est d'ordre public pour tous les employeurs et les salariés assujettis à la Loi. Un employeur ne peut donc, par convention, écarter le décret ou déroger aux conditions qu'il détermine. Un employeur ne peut pas non plus décréter des équivalences et opérer compensation entre les sommes versées en vertu d'une convention collective et celles exigibles en vertu du décret. Même s'il est loisible à l'employeur d'accorder à ses salariés des avantages non prévus au décret, ceux‑ci doivent recevoir la rémunération et les indemnités ou avantages que fixe ce dernier. Il n'y est aucunement question de salaire global et ce concept ne peut être retenu.


Parties
Demandeurs : Com. (Ind. Construction)
Défendeurs : C.T.C.U.M.

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: Comité Paritaire de l’Industrie de l’Imprimerie de Montréal et du District c. Dominion Blank Book Co., [1944] R.C.S. 213
Ste‑Marie c. Comité Conjoint (Construction), [1952] B.R. 255
Commission du salaire minimum c. Beau‑Lab Co., [1976] R.D.T. 116
Commission de l’industrie de la construction c. Hôpital St‑François d’Assise, C.S. Québec, no 200‑05‑001950‑745, 30 septembre 1975
Commission de l’industrie de la construction c. Steinman, [1977] C.A. 340
Canadian National Ry. Co. v. Province of Nova Scotia, [1928] R.C.S. 106
Wellesley Hospital c. Lawson, [1978] 1 R.C.S. 893
The King v. Dubois, [1935] R.C.S. 378
Ville de St‑Bruno de Montarville c. Mount Bruno Association Ltd., [1971] R.C.S. 623
Rosen c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 961
R. v. Philips Electronics Ltd. (1980), 30 O.R. (2d) 129 conf. [1981] 2 R.C.S. 264
Comité conjoint des métiers de la construction c. Bisson (1937), 75 C.S. 209
Comité conjoint des métiers de la construction de Montréal c. Boyer, [1951] B.R. 662
S.A.F. Construction (1973) Inc. c. Office de la construction du Québec, C.A. Québec, nos 200‑09‑000627‑791 et 200‑09‑000628‑790, 10 février 1982
Provencher c. Bissonnette, C.S. Arthabaska, no 415‑05‑000337‑76, 15 mai 1978
Office de la construction du Québec c. Hôtel‑Dieu de Québec, C.C. 651‑77, cas 84 LR, 21 juin 1978.
Lois et règlements cités
Décret relatif à l’industrie de la construction concernant l’extension juridique d’une convention collective de travail relative à l’industrie de la construction dans le Québec, (1973) 105 G.O. II 5837, art. 3.01, 3.02, 18.06, 32.03.
Loi du salaire minimum, S.R.Q. 1964, chap. 144, art. 1h) [rempl. Loi sur les normes du travail, L.R.Q., chap. N‑1.1, art. 1.9].
Loi sur les décrets de convention collective, L.R.Q., chap. D‑2, art. 1i).
Loi sur les relations du travail dans l’industrie de la construction, L.Q. 1968, chap. 45 [maintenant L.R.Q., chap. R‑20], art. 1e) [mod. 1970, chap. 35, art. 1a)], i), j), p), q), r) [mod. 1970, chap. 35, art. 1b)], 2 [rempl. 1970, chap. 35, art. 2
mod. 1973, chap. 28, art. 2], 2a [aj. 1970, chap. 35, art. 2
mod. 1973, chap. 28, art. 3]
2b [aj. 1970, chap. 35, art. 2], 2c [aj. 1970, chap. 35, art. 2], 3, 13 [mod. 1973, chap. 28, art. 7], 14 [mod. 1973, chap. 28, art. 8], 20, 31, 59.
Règlement numéro 1 relatif au champ d’application de la Loi sur les relations du travail dans l’industrie de la construction, (1971) 103 G.O. 67, art. 3.6o.

Proposition de citation de la décision: Com. (Ind. Construction) c. C.T.C.U.M., [1986] 2 R.C.S. 327 (9 octobre 1986)


Origine de la décision
Date de la décision : 09/10/1986
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1986] 2 R.C.S. 327 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1986-10-09;.1986..2.r.c.s..327 ?
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