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27/11/1986 | CANADA | N°[1986]_2_R.C.S._551

Canada | Banque de Montréal c. Wilder, [1986] 2 R.C.S. 551 (27 novembre 1986)


Banque de Montréal c. Wilder, [1986] 2 R.C.S. 551

Banque de Montréal Appelante

c.

Earl A. Wilder, Terrance Wilder également connu sous le nom de Tara Wilder, Dara M. Wilder, Earl E. Wilder, Cecilia Melrose et Tara Wilder Intimés

et entre

Banque de Montréal Appelante

c.

Earl A. Wilder et Minnie Pearl Wilder Intimés

répertorié: banque de montréal c. wilder

No du greffe: 18010.

1985: 5 novembre; 1986: 27 novembre.

Présents: Les juges McIntyre, Chouinard, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour

d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1983), 149 D.L.R. (3d)...

Banque de Montréal c. Wilder, [1986] 2 R.C.S. 551

Banque de Montréal Appelante

c.

Earl A. Wilder, Terrance Wilder également connu sous le nom de Tara Wilder, Dara M. Wilder, Earl E. Wilder, Cecilia Melrose et Tara Wilder Intimés

et entre

Banque de Montréal Appelante

c.

Earl A. Wilder et Minnie Pearl Wilder Intimés

répertorié: banque de montréal c. wilder

No du greffe: 18010.

1985: 5 novembre; 1986: 27 novembre.

Présents: Les juges McIntyre, Chouinard, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1983), 149 D.L.R. (3d) 193, 47 B.C.L.R. 9, qui a accueilli en partie et rejeté en partie l'appel de E. A. Wilder et M. P. Wilder, qui a accueilli l'appel incident interjeté contre la Banque de Montréal par E. A. Wilder et M. P. Wilder et qui a accueilli l'appel incident interjeté contre la Banque de Montréal par E. A. Wilder, T. Wilder et C. Melrose à l'égard d'une décision du juge Monroe (1980), 19 B.C.L.R. 77, qui avait accueilli en partie et rejeté en partie une action contre les défendeurs E. A. Wilder et M. P. Wilder et qui avait accueilli une action contre C. Melrose, T. Wilder et E. A. Wilder. Pourvoi rejeté.

David Roberts, c.r., pour l'appelante.

Glen Nicholson, pour les intimés.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Madame le juge Wilson—Le présent pourvoi porte sur le droit des cautionnements. La question essentielle qui doit être tranchée est de savoir dans quelles circonstances un garant ou toute autre caution sera libéré entièrement ou partiellement de la responsabilité en vertu de son cautionnement pour cause de conduite répréhensible de la part du créancier. La question découle de trois actions connexes intentées par l'appelante relativement à sept cautionnements personnels qui lui ont été donnés par les intimés. Les actions ont été instruites ensemble et la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique les a traitées comme un seul appel. Je me propose de faire la même chose.

1. Les faits

2. Les intimés (les "Wilder") sont tous membres de la famille Wilder qui était dirigée par Earl Wilder père et son épouse Minnie. En 1971, les Wilder s'occupaient d'élevage, d'entretien de parc, d'exploitation d'une station de ski et d'autres entreprises en Colombie‑Britannique. Les entreprises de la famille étaient exploitées par des sociétés contrôlées par les Wilder. Le présent pourvoi vise seulement l'une de ces sociétés, E. A. Wilder Enterprises Ltd. (la "société").

3. Vers la fin de 1971, M. et Mme Wilder ont passé en revue les prêts qu'ils avaient auprès de leur banquier, la Banque Canadienne Impériale de Commerce. Au début, il s'agissait de prêts à intérêt fixe, mais ils avaient été convertis par la banque en prêts à taux variable et portaient alors tous des taux d'intérêt différents. Le montant total qui était dû était d'environ 225 000 $. Les Wilder ont décidé que le moment était venu de faire affaire avec une autre banque. Ils étaient particulièrement intéressés à obtenir un taux d'intérêt fixe. Ils sont entrés en pourparlers avec l'Industrial Development Bank à Cranbrook et ont conclu avec elle une entente provisoire prévoyant un prêt de 200 000 $ remboursable par versements échelonnés sur une période de vingt ans à un taux d'intérêt fixe de 8¾ %. Toutefois, en revenant de Cranbrook, ils ont décidé de vérifier si la Banque de Montréal à Kimberly pouvait leur offrir de meilleures conditions. Ils ont rencontré le gérant de la banque, M. Jeffrey, et de nombreux éléments de preuve ont été présentés au cours de l'audition en première instance concernant des affirmations inexactes qu'il aurait faites en ce qui a trait au taux d'intérêt sur le prêt de 330 000 $ négocié lors de cette rencontre. Les questions relatives à l'affirmation inexacte qui aurait été faite ont été examinées par les tribunaux d'instance inférieure et, comme aucun pourvoi n'a été interjeté devant cette Cour à l'encontre de la décision de la Cour d'appel, il n'est pas nécessaire que la Cour examine ces questions.

4. Le 16 février 1972, M. et Mme Wilder ont donné leur garantie conjointe à la banque pour le prêt de 330 000 $ accordé à la société. Le 28 avril 1972, la société a consenti une débenture à vue pour le même montant en capital. Cette débenture a créé une charge flottante sur l'actif et l'entreprise de la société et une charge fixe sur ses biens immobiliers. Dès mai 1972, la débenture était enregistrée en Colombie‑Britannique.

5. La banque et la société ont apparemment eu des rapports amicaux pendant les deux années suivantes. À la fin de 1974, la société était devenue très engagée dans la construction routière. Cette activité a entraîné une augmentation de ses besoins en matière de fonds d'exploitation. En particulier, la société avait présenté avec succès des soumissions à l'égard de deux projets de construction routière pour le gouvernement de l'Alberta, les projets Priddis et High Prairie dans le nord de l'Alberta. Comme la société avait besoin d'augmenter son fonds d'exploitation, elle a commencé à dépasser ses limites de crédit autorisées. Les limites de crédit étaient ajustées par la banque au moyen d'augmentations périodiques. Néanmoins, les retraits ont dépassé les limites de crédit pendant la majeure partie de 1975.

6. Au début de 1975, la banque a eu un nouveau directeur à Kimberly, un nommé Smith. M. Smith tenait beaucoup à améliorer la garantie de la banque à l'égard des emprunts de la société. Le 26 mars 1975, il a écrit à la société et y a joint des formules normalisées de cautionnement pour que les Wilder les signent. La lettre soulignait également qu'il était nécessaire de [TRADUCTION] "parvenir à un accord concernant la limite sur les prêts futurs". Les cautionnements demandés ont été donnés à la banque par différents membres de la famille Wilder. Voici les détails de tous les cautionnements en cours.

Caution

Lien de parenté

Limite

Date

1.

E.A. Wilder

père

$330,000

16 février 1972

M.P. Wilder

mère

2.

E.A. Wilder

père

105,000

2 avril 1974

3.

E.E. Wilder

fils

300,000

2 avril 1975

4.

Dara Wilder

fille

300,000

9 juin 1975

5.

Tara Wilder

fille

300,000

19 juin 1975

6.

Cecilia Melrose

fille

300,000

19 juin 1975

7.

E.A. Wilder

père

250,000

14 août 1975

7. Les retraits de la société de son compte de prêt ont continué dans une certaine mesure à dépasser les limites de crédit et au début de juin 1975 la banque a refusé d'honorer deux chèques de la société. Cela a vexé les Wilder et Mme Wilder a demandé à rencontrer les représentants de la banque à Vancouver. La réunion a eu lieu le 23 juin 1975 et le fils de Mme Wilder, Earl Wilder fils, a assisté à la réunion avec elle. M. Smith, le directeur de la succursale, M. Munzel, le directeur du crédit et M. Campbell, le directeur adjoint du crédit, représentaient la banque. M. Campbell était responsable du compte de la société. Le juge de première instance a tenu pour acquis que Mme Wilder représentait à titre de "mandataire autorisé" la société et les membres de la famille à la réunion. Cette conclusion s'est révélée très importante.

8. À l'audience, on a présenté des éléments de preuve contradictoires sur la question de savoir s'ils étaient parvenus à une entente lors de la réunion. De toute évidence, le juge de première instance a préféré le témoignage de Mme Wilder et de son fils parce qu'il a jugé qu'on avait conclu une entente ("l'entente de juin") aux conditions alléguées par les Wilder. Il a jugé que la banque avait accepté de continuer à financer la société du moins jusqu'à ce que celle‑ci ait terminé les projets routiers de l'Alberta. Elle devait augmenter la marge de crédit nécessaire pour terminer ces projets qui étaient évalués à un montant maximal de 1 100 000 $. En contrepartie, les Wilder devaient injecter 250 000 $ dans le compte de la société à partir des sociétés affiliées de la famille. Les membres de la famille devaient fournir d'autres cautionnements pour les prêts de la société et cette dernière devait accorder à la banque une nouvelle débenture de 550 000 $.

9. La somme de 250 000 $ a été payée à la société par les Wilder tel que convenu et, le 14 août 1975, M. Wilder a donné à la banque son cautionnement de 250 000 $. Le déroulement des événements a empêché les autres membres de la famille de donner les cautionnements. La nouvelle débenture n'a jamais été présentée à la société pour signature pour la même raison.

10. Comme l'a souligné le juge Lambert de la Cour d'appel, presque immédiatement après l'injection de nouveau capital dans la société par les Wilder, la banque a recommencé à ne plus honorer les chèques de la société, y compris les chèques de paye pour les projets routiers de l'Alberta. Au début d'août 1975, la banque a cessé d'honorer tous les chèques. Le juge de première instance a conclu qu'il s'agissait d'une violation de l'entente de juin et la Cour d'appel s'est dite d'accord avec lui.

11. À un moment donné au début d'août 1975, Mme Wilder a découvert ce qui semblait être une erreur dans les états financiers vérifiés de la société. Il en résultait une image inexacte de la situation financière de la société. Elle l'améliorait de quelque 250 000 $. Avant d'avertir la banque au sujet de cette erreur, Mme Wilder a demandé aux comptables agréés de la société de vérifier s'il s'agissait bel et bien d'une erreur. D'après les éléments de preuve, on ne peut déterminer avec précision le moment où la banque a pris connaissance de l'erreur puisque les témoignages des parties sont contradictoires. M. Smith a témoigné que c'est lors d'une conversation téléphonique avec Mme Wilder, le 15 août 1975 ou vers cette date, que celle‑ci l'a mis au courant de l'erreur. Mme Wilder a nié avoir parlé à M. Smith avant le 22 août 1975, date à laquelle elle dit l'avoir mis au courant. De toute façon, la banque paraît avoir pris connaissance de l'erreur par l'intermédiaire des vérificateurs, probablement lors d'un appel téléphonique le 21 août 1975 à la succursale de Kimberly, mais certainement le 22 août 1975, lorsque les vérificateurs ont retiré les états financiers. La banque a exigé le remboursement de son prêt avant midi le 22 août 1975.

12. Afin de mieux expliquer le retrait soudain du prêt par la banque, M. Smith a témoigné à propos d'autres choses que Mme Wilder lui a dites lors de la conversation téléphonique qu'il prétend avoir eu avec elle le 15 août 1975 ou vers cette date. Outre l'avis qui aurait été donné quant à l'erreur contenue dans les états financiers de la société, M. Smith a déposé que Mme Wilder lui avait dit que la société ne signerait plus aucun autre document de la banque. Il a de plus prétendu que Mme Wilder lui a dit que la société pourrait même fermer ses portes. Mme Wilder, comme je l'ai mentionné auparavant, a nié qu'une telle conversation ait jamais eu lieu. M. Smith a également prétendu que Mme Wilder lui a dit que la société déposait son argent ailleurs. En contre‑interrogatoire, M. Smith a reconnu qu'il se pouvait bien que cela lui ait été dit par Earl Wilder fils. Selon le témoignage de Earl Wilder fils, à aucun moment les dirigeants de la société n'ont envisagé d'en fermer les portes pour une période quelconque. Le juge de première instance n'a tiré aucune conclusion de fait sur ce témoignage contradictoire parce que, selon la position qu'il a adoptée en ce qui a trait à l'affaire, les motifs à l'appui de la demande hâtive n'étaient pas pertinents. De toute façon, il s'agissait d'une violation évidente de l'entente de juin.

13. M. Smith a également déposé que, au début d'août 1975, la banque avait hâte que la nouvelle débenture soit prête. Bien qu'il ait reconnu que la banque voulait consolider sa garantie, il a nié qu'elle projetait d'exiger le remboursement du prêt dès que cela aurait été réalisé.

14. En août 1975, la banque a désigné un nommé McPhee comme nouveau directeur adjoint du crédit à son bureau de Vancouver. M. McPhee n'était pas présent à la réunion au cours de laquelle l'entente de juin a été conclue. Le 12 août 1975, M. McPhee a rédigé une note de service interne dans laquelle il faisait plusieurs recommandations concernant le compte de la société. L'une de ces recommandations voulait qu'on donne à la société deux semaines pour chercher du financement ailleurs. Aucun élément de preuve ne permet d'affirmer qu'on ait donné cette occasion à la société. Une autre recommandation visait la nomination d'un administrateur séquestre pour [TRADUCTION] "surveiller nos intérêts" et une autre visait l'établissement d'une hypothèque mobilière à l'égard du matériel de la société [TRADUCTION] "pour retarder l'échéance du prêt".

15. Le 22 août 1975, la banque a demandé le remboursement de son prêt dans une lettre que ses procureurs albertains ont remise à la société. Cette demande était fondée sur la débenture consentie par la société en 1972. Le montant réclamé y compris les intérêts courus était de 860 920,30 $. La demande présentée à Calgary à 11 h 40 exigeait que le paiement soit effectué à Kimberly avant midi le même jour. Comme on pouvait s'y attendre, la société n'a pas été en mesure de satisfaire à une demande aussi hâtive et, plus tard le même jour, l'administrateur séquestre a pris possession en vertu de la débenture.

16. L'administrateur séquestre a refusé d'achever les projets de construction routière lorsque Earl Wilder fils le lui a demandé le 22 août 1975 et ils ont été terminés à perte sous les auspices de la compagnie qui avait cautionné la société. Le 2 décembre 1975, la société a été déclarée en faillite.

17. Dans une action fondée sur la débenture intentée par la banque contre la société, le syndic de faillite a finalement consenti à ce que jugement soit rendu en faveur de la banque en janvier 1978. La demande reconventionnelle en dommages‑ intérêts faite par la société relativement à la nomination injustifiée du séquestre a été rejetée par consentement en avril 1979. Il n'y a aucun élément de preuve permettant de déterminer si les Wilder ont jamais consenti à ce rejet. En avril 1979, on a ordonné que l'administrateur séquestre soit libéré de ses fonctions. La banque a poursuivi plusieurs des Wilder relativement à leurs cautionnements personnels et c'est ce litige qui est à l'origine des questions dont nous sommes saisis.

2. Les tribunaux d'instance inférieure

18. Le juge Munroe a conclu que la banque avait violé l'entente de juin en n'accordant pas à la société le financement qu'elle s'était engagée à accorder, en refusant d'honorer les chèques de la société, en exigeant le remboursement des prêts de la société et en faisant nommer un administrateur séquestre aux termes de la débenture. Par conséquent, la société n'a pas été en mesure de terminer les projets de construction routière et on a demandé à la compagnie de cautionnement de le faire. Les Wilder pourraient être poursuivis par la compagnie de cautionnement en vertu d'un accord d'indemnisation qu'ils ont signé avec elle. Le juge de première instance a également conclu que, outre la violation de l'entente de juin, la banque a également violé les conditions de la débenture en n'accordant pas à la société un délai raisonnable pour satisfaire à sa demande.

19. Néanmoins, le juge de première instance n'a pas accepté l'argument des Wilder selon lequel ils avaient le droit d'être libérés de leurs obligations en vertu de leurs cautionnements personnels. Il a libéré M. et Mme Wilder de leur responsabilité en vertu du cautionnement 1 pour le motif que la banque avait fait des affirmations inexactes concernant le taux d'intérêt du prêt garanti. Il a libéré M. Wilder de sa responsabilité en vertu du cautionnement 7 parce qu'il avait été donné [TRADUCTION] "en vertu d'une entente conclue le 23 juin 1975 et violée ultérieurement par la demanderesse". Toutefois, il a conclu que les Wilder [TRADUCTION] "n'avaient aucun moyen de défense valable" contre la réclamation de la banque à l'égard des cautionnements 2, 5 et 6. Il n'a pas donné d'explication à ce sujet. Toutefois, il a accordé aux Wilder le droit de déduire 74 000 $ des montants dont ils sont responsables en vertu de ces cautionnements pour les dommages subis par suite de la violation de l'entente de juin par la banque et de sa demande déraisonnable en vertu de la débenture. La réclamation de la banque fondée sur le cautionnement 3 a été suspendue par la faillite personnelle de E. E. Wilder avant l'audition en première instance et la banque s'est désistée de son action fondée sur le cautionnement 4.

20. La banque en a appelé du jugement de première instance sur les cautionnements 1 et 7 devant la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique et les Wilder ont interjeté un appel incident contre la décision sur les cautionnements 2, 5 et 6. Chaque juge de la Cour d'appel a prononcé des motifs de jugement distincts. Le juge Lambert, avec qui le juge Anderson s'est dit d'accord, a conclu que la banque ne pouvait avoir gain de cause à l'égard d'aucun des cautionnements. Elle ne pouvait avoir gain de cause à l'égard des cautionnements 2, 5, 6 et 7 parce qu'elle avait violé l'entente de juin. Le juge Seaton, dissident, a établi une distinction entre les cautionnements antérieurs à l'entente de juin et à sa violation et le cautionnement 7 qui était postérieur à l'entente et qui a été donné sur la foi de celle‑ci. Il n'a vu aucune raison pour laquelle la banque ne pouvait pas avoir gain de cause à l'égard des cautionnements antérieurs. Le juge Lambert a été d'accord avec le juge de première instance pour dire que le cautionnement 1 n'était pas exécutoire en raison de l'affirmation inexacte, de la banque. Le juge Anderson n'a pas partagé l'avis qu'il y avait eu affirmation inexacte, mais il a conclu que le cautionnement 1 n'était pas exécutoire pour la même raison que les cautionnements 2, 5 et 6, c.‑à‑d. en raison de la violation de l'entente de juin. Le juge Seaton a également conclu qu'il n'y avait pas eu d'affirmation inexacte, mais il a conclu que le cautionnement 1 était exécutoire pour la même raison qu'il jugeait que les cautionnements 2, 5 et 6 étaient exécutoires.

21. La banque, en vertu de l'autorisation accordée le 16 février 1984, en a appelé devant cette Cour du jugement de la Cour d'appel qui a libéré les Wilder de leur responsabilité en vertu des cautionnements 1, 2, 5 et 6.

3. Les questions en litige

22. Voici les trois questions dont nous sommes saisis:

1) Les Wilder ont‑ils le droit d'être libérés de leur responsabilité en vertu des cautionnements 1, 2, 5 et 6 à cause de la violation par la banque de l'entente de juin?

2) Dans la négative, les Wilder ont‑ils le droit de déduire des montants dont ils sont responsables en vertu des cautionnements les dommages subis par la société par suite de la violation de la banque?

3) Si les Wilder ont le droit d'effectuer une telle déduction, sont‑ils empêchés de le faire valoir pour le motif que la demande reconventionnelle en dommages‑intérêts faite par la société contre la banque relativement à la nomination injustifiée du séquestre a été rejetée par consentement? En d'autres termes, la demande de déduction est‑elle chose jugée?

23. Étant donné la conclusion à laquelle je suis parvenue à l'égard de la première question, il n'est pas nécessaire de traiter les deuxième et troisième questions.

4. Les cautionnements

24. Tous les cautionnements signés par les Wilder ont été rédigés selon la formule normalisée de la banque. Dans ceux‑ci, les cautions garantissaient:

[TRADUCTION] ... le paiement à ladite banque de toutes les dettes et éléments de passif actuels et futurs, directs ou indirects ou autres, qui sont dus à ladite banque, par le client, maintenant ou en tout temps et à un certain moment ...

Les cautionnements ont été décrits comme "permanents" sous réserve du droit de leurs auteurs de mettre fin à toute autre responsabilité en donnant un préavis écrit de quatre‑vingt‑dix jours à la banque. Ils contenaient la clause suivante qui est pertinente en l'espèce:

[TRADUCTION] il est en outre convenu que ladite banque, sans exonérer entièrement ou en partie le soussigné, ou l'un d'entre eux (s'il y en a plus qu'un), peut accorder des délais, des renouvellements, des prorogations, des indulgences, des libérations, peut accepter des garanties et les donner ainsi que toute garantie en cours, peut s'abstenir d'accepter des garanties ou de parfaire des garanties, peut accepter des arrangements du client, et peut autrement traiter avec lui et toute autre personne (y compris les soussignés, ou l'un d'entre eux, et toute autre caution) et garanties, selon que la banque le juge à propos...

(C'est moi qui souligne.)

5. Libération des cautions

25. L'avocat de la banque soutient qu'il faut établir une distinction entre un cautionnement applicable à un contrat spécifique et un cautionnement général applicable à des dettes ou éléments de passif actuels et futurs. C'est seulement, soutient‑il, lorsqu'un contrat spécifique a été cautionné qu'une violation de ce contrat par le créancier permet à la caution de bénéficier d'une libération absolue. Les cautionnements 2, 5 et 6 étaient des cautionnements généraux applicables aux obligations permanentes de la société envers la banque. La banque pouvait par conséquent cesser de financer la société en tout temps sans affecter le caractère exécutoire des cautionnements. Toutefois, l'avocat a admis que les Wilder ont droit à une libération partielle de leurs cautionnements en raison de la violation de l'entente de juin par la banque, parce que la violation a réduit la valeur de la garantie détenue par la banque. Il soutient que le chiffre de 20 000 $ auquel est arrivé le juge Seaton constitue la mesure appropriée de ce dégagement de leur responsabilité.

26. Il est bien établi en droit que toute modification importante des conditions d'un contrat conclu entre le créancier et le débiteur principal au préjudice du garant sans le consentement de ce dernier a pour effet de libérer le garant. Dans ses motifs de dissidence, le juge Seaton a dit que ce n'était pas le cas en l'espèce. Le juge de première instance a conclu que la modification, à supposer que ce soit là le bon terme, a été effectuée en l'espèce avec le consentement et la participation active des garants et en fait constituait une entente exécutoire à laquelle le créancier, le débiteur principal et les garants étaient tous parties. C'est sur ce point que divergent l'opinion des juges formant la majorité et celle du juge dissident en Cour d'appel. Le juge Lambert a abordé l'affaire en considérant que, si la modification du contrat principal sans le consentement du garant a pour effet de libérer ce dernier, il devrait en être de même de la violation d'une modification apportée avec le consentement du garant. En d'autres termes, le juge Lambert appliquerait le droit des cautionnements à cette situation. Par ailleurs, le juge Seaton n'a vu aucun motif d'élargir le droit des cautionnements de manière à englober une affaire qui comporte la violation claire et nette d'un contrat. L'extrait suivant tiré des motifs du juge Seaton décrit la position qu'il adopte:

[TRADUCTION] La jurisprudence prévoit que les garants seront libérés si un créancier modifie unilatéralement une condition du contrat principal qui fait l'objet du cautionnement. Ces décisions peuvent s'expliquer par le fait qu'un garant a droit à un certain redressement lorsque son risque est modifié sensiblement et que le contrat ne lui offre aucun recours. Dans ces circonstances, le garant est livré à lui‑même et doit se tourner vers l'equity parce que le débiteur principal n'a subi aucune perte que le garant pourrait invoquer dans une demande reconventionnelle ou dans une demande de déduction. Je ne vois aucun avantage à étendre le raisonnement de ces décisions à la situation où il y a violation d'un contrat par un créancier lorsque des recours contractuels adéquats sont disponibles. Si les intérêts d'un garant peuvent être protégés par le contrat, il n'y a aucune raison d'étendre l'application des principes d'equity.

27. Le juge Lambert a énoncé de la manière suivante le principe sur lequel il s'est fondé:

[TRADUCTION] Le principe sur lequel je me fonde pour arriver à ma conclusion sur ce point peut être énoncé de la manière suivante. Lorsque le créancier, par sa propre conduite, a) cause le défaut du débiteur principal, b) augmente sensiblement les risques du garant et c) réduit la garantie qui est disponible pour le garant sur le paiement de son obligation en matière de cautionnement envers le créancier, alors le garant est libéré.

28. Le juge Lambert a alors ajouté qu'il n'était pas nécessaire en l'espèce de décider dans quelle mesure un ou deux de ces trois facteurs auraient été suffisants pour libérer les cautions parce que, en l'espèce, ils étaient tous présents.

29. Comme je l'ai déjà mentionné, le juge Seaton a été gêné par le fait que les cautionnements en question autres que le cautionnement 7 ont tous été consentis avant l'entente de juin et sa violation par la banque. Le juge de première instance a conclu qu'aucun moyen de défense valable n'était opposable aux cautionnements 2, 5 et 6 probablement pour ce motif. Le juge Seaton a souligné que les cautionnements avaient été rédigés selon une formule normalisée et garantissaient toutes les dettes et tous les éléments de passif présents et futurs et permettaient à la banque de traiter avec la société comme elle le jugeait à propos. La société a contracté un emprunt et la banque a avancé l'argent en se fondant sur les cautionnements et toute perte subie par le garant par suite d'une violation par le créancier du contrat principal pouvait adéquatement être compensée par les droits de déduction et celui d'être libéré partiellement si les garanties étaient réduites.

30. Le juge Lambert a examiné le problème que pose le moment où les cautionnements antérieurs ont été consentis. Il l'a résolu en concluant que l'entente de juin était une "entente modificative" applicable à "l'accord‑cadre de prêt" initial en vertu duquel les accords de financement entre les parties ont été conclus. Il a dit:

[TRADUCTION] À mon avis, il y a eu en fin de compte une entente globale entre la banque et la société. L'entente portait sur les conditions des accords de financement de la société et sur la garantie qu'elle devait donner à la banque. Cet accord‑cadre global est d'un genre habituellement appelé "accord de prêt". L'entente conclue le 23 juin 1975 était une "entente modificative" applicable à l'accord‑cadre de prêt.

Et il a ensuite ajouté:

[TRADUCTION] L'accord‑cadre de même que les documents sur la garantie et toutes autres ententes accessoires doivent être rassemblés et examinés ensemble et interprétés et appliqués comme un contrat unifié composé d'un ensemble total d'obligations et de droits interreliés.

Le juge Seaton accepte le concept d'un "accord‑cadre" en vertu duquel la société est devenue une cliente de la banque. Toutefois, il ne souscrit pas à l'opinion selon laquelle les cautionnements antérieurs se rattachaient à l'entente de juin.

31. Il appert que le point de vue du juge Seaton entraînerait une libération partielle seulement; celui du juge Lambert donnerait lieu à une libération totale. La banque ne nie pas que les Wilder ont droit à une libération partielle. Elle conteste seulement le montant. Il est par conséquent nécessaire de déterminer si la position adoptée par le juge Lambert est fondée selon la jurisprudence existante.

32. Le juge Lambert a d'abord invoqué l'affaire Watts v. Shuttleworth (1860), 5 H. & N. 235, 157 E.R. 1171. Dans cette affaire, l'entrepreneur avait convenu avec Watts de terminer les installations d'un entrepôt. Watts a accepté d'assurer les installations contre le feu. Shuttleworth a convenu de garantir l'exécution du travail de l'entrepreneur. Un incendie a détruit les installations au moment où elles étaient partiellement terminées. Watts n'avait pas contracté d'assurance et le baron en chef Pollock a conclu que Shuttleworth était libéré de sa garantie par cette omission de la part de Watts. Voici ses motifs à la p. 1176:

[TRADUCTION] La question importante en l'espèce est de savoir si l'omission de contracter une assurance a pour effet de libérer le défendeur, la caution. La règle qui s'applique à ce sujet semble être que si la personne bénéficiaire de la garantie agit de manière défavorable à la caution, ou de manière incompatible avec ses droits, ou si elle omet d'accomplir un acte qu'elle a le devoir d'accomplir et qu'il ressort que cette omission cause un préjudice à la caution, cette dernière sera libérée: Story's Equity Jurisprudence, sect. 325. Le même principe est énoncé et illustré par le Maître des rôles dans Pearl v. Deacon (24 Beav. 186, 191), où il a cité en l'approuvant l'opinion de lord Eldon dans Craythorne v. Swinburne (14 Vesey, 164, 169), portant que les droits d'une caution dépendent plutôt des principes d'equity que du contrat réel, qu'il peut y avoir un quasi‑contrat, mais que le droit de la caution découle du rapport d'equity entre les parties.

La décision du baron en chef Pollock a été confirmée en appel ((1861), 7 H. & N. 354, 158 E.R. 510), par le juge Williams qui affirme aux pp. 510 et 511:

[TRADUCTION] En l'espèce, la cour à la fin de l'argumentation croyait à l'unanimité que le défendeur, à titre de caution, avait été libéré par l'omission par le demandeur de contracter une assurance. Toutefois, on a exprimé des doutes quant à savoir si la libération devait être considérée comme totale ou seulement proportionnée au dommage qu'on pouvait démontrer que la caution avait subi par suite de cette omission. À l'appui de ce dernier point de vue, on a soutenu, pour le compte du demandeur, que le présent cas est semblable à celui d'un créancier qui a perdu ou cédé à son débiteur une garantie dont il bénéficiait, où la caution est considérée comme étant de ce fait libérée, en raison de la règle selon laquelle une caution a le droit de profiter de toutes les garanties que le créancier a à l'égard du capital, toutefois pas en totalité, mais seulement jusqu'à concurrence de la garantie ainsi perdue ou cédée.

Mais, après examen, nous sommes tous d'avis qu'en l'espèce la libération de la caution ayant été faite parce que sa position s'est détériorée en ayant été rendue responsable d'un capital non assuré au lieu d'un capital assuré, l'affaire est analogue à celle où une caution a été tenue pour libérée par suite d'un délai accordé au débiteur . . .

33. En faisant des observations sur le jugement du juge Williams dans Watts v. Shuttleworth, le juge Lambert a exprimé l'opinion que les motifs de cette affaire ne reposaient pas sur une proposition selon laquelle le contrat d'assurance avait été inclus comme condition du cautionnement. Toutefois, il paraîtrait que l'affaire concerne le cautionnement applicable à un contrat spécifique qui n'a pas été respecté. Dans le cas d'un contrat spécifique, il faut présumer que le garant a donné son cautionnement en fonction d'un risque vérifiable et clairement identifié qui est inhérent au contrat. Le garant dans une telle affaire est libéré parce qu'il n'est pas en mesure d'assurer une protection contre la modification du contrat principal par les parties à ce contrat. Lorsqu'il a donné sa garantie en fonction de ce risque particulier, l'equity le protège contre toute modification de ce risque à laquelle il n'a pas participé.

34. Le juge Lambert a également invoqué l'affaire Bank of India v. Trans Continental Commodity Merchants Ltd., [1982] 1 Lloyd's Rep. 506. Dans cette affaire, le garant du client de la banque a soutenu notamment qu'il n'était pas responsable envers la banque pour les transactions irrégulières qui avaient eu lieu entre celle‑ci et le client à l'égard de certains contrats d'opérations de change. Le juge Bingham a statué qu'il n'y avait eu aucune négligence de la part de la banque et aucune transaction irrégulière ou préjudiciable à l'égard du garant. Il a cité le principe bien connu selon lequel la modification du contrat principal, sans le consentement du garant, a pour effet de libérer ce dernier. Il a rejeté l'argument selon lequel le garant devrait également être libéré lorsque le créancier agit d'une manière qui préjudicie aux intérêts du garant. À la page 515 du recueil, le juge Bingham dit:

[TRADUCTION] Si on laisse de côté ce qui peut être le cas spécial des assurances de cautionnement, je considère que le principe véritable qu'il faut appliquer est celui qui veut que, bien qu'une caution soit libérée si le créancier agit de mauvaise foi envers elle ou est coupable de dissimulation qui équivaut à une affirmation inexacte ou cause ou contribue à causer le défaut du débiteur principal à l'égard duquel la caution est donnée ou modifie les conditions d'un contrat entre lui et le débiteur principal d'une manière qui pourrait porter préjudice aux intérêts de la caution, une autre conduite de la part du créancier qui n'aurait pas ces caractéristiques, même si elle était irrégulière et même si elle portait préjudice aux intérêts de la caution dans un sens général, n'entraînera pas la libération de la caution.

(C'est moi qui souligne.)

Le juge Lambert se fonde sur ce passage pour dire qu'une caution sera libérée lorsque le créancier cause le défaut du débiteur. Il souligne que la libération se produit non pas parce que l'obligation qui n'a pas été respectée faisait partie du contrat de garantie mais parce que la violation par le créancier de son contrat avec le débiteur principal a augmenté le risque du garant. À l'appui de cette proposition, il invoque également la décision du juge Felton dans Seaboard Loan Corporation v. McCall, 7 S.E.2d 318 (1940), à la p. 319:

[TRADUCTION] ... l'omission de la société d'obtenir de l'assurance [sur la vie du débiteur] a augmenté le risque des cautions et elles ont été libérées, non pas parce que la société n'a pas respecté une entente avec elles mais parce qu'elle n'a pas respecté une entente avec le signataire et que cela a augmenté leurs risques ...

Le juge Lambert a conclu de cette jurisprudence:

[TRADUCTION] À mon avis, le présent cas, où le créancier a délibérément adopté une ligne de conduite qui allait à l'encontre de son contrat conclu avec le débiteur principal, ce qui a eu pour résultat que les risques du garant ont augmenté sensiblement et que sa garantie a été réduite sensiblement, est une affaire où la caution est complètement libérée et non une affaire où la responsabilité du garant ne devrait être réduite que dans la mesure où la garantie a été réduite.

Il souligne que dans l'arrêt Rose v. Aftenberger (1969), 9 D.L.R. (3d) 42, le juge Laskin (plus tard Juge en chef du Canada) a établi la distinction suivante entre les deux genres d'affaires, à la p. 49:

[TRADUCTION] À mon avis, le principe général qui doit être appliqué porte qu'une caution est libérée si le contrat principal à l'égard duquel elle a donné son cautionnement est modifié sans son consentement dans une affaire (comme la Cour suprême du Canada l'a dit dans l'arrêt Holland‑Canada Mortgage Co. v. Hutchings, [1936] R.C.S. 165, à la p. 172, [1936] 2 D.L.R. 481, à la p. 486) qui n'est pas clairement insuffisante ou nécessairement avantageuse pour le garant; ou si les conditions du contrat de cautionnement entre le créancier et la caution sont violées par le créancier. Lorsque, comme en l'espèce, on traite simplement de la garantie prise par le créancier de manière injustifiée et qu'il n'est pas démontré que le fait de prendre une garantie (et même de la garder) était une condition de la garantie, alors la caution ne peut être libérée au‑delà de la valeur de la garantie qu'elle a perdue.

Le juge Lambert dit:

[TRADUCTION] Il ne s'agit pas d'une affaire où le contrat entre le créancier et le débiteur principal a été modifié sans le consentement du garant; il s'agit d'une affaire où le contrat principal a été rompu unilatéralement par le créancier d'une manière qui a influé sensiblement sur les obligations et les droits du garant. Je considère qu'il s'agit d'une affaire plus importante même que le cas d'une modification du contrat principal. Je crois donc que la violation entraîne une libération complète en l'espèce.

35. Il me semble que la jurisprudence invoquée par le juge Lambert appuie son point de vue pourvu, et il s'agit là d'une condition cruciale, que les cautionnements préexistants donnés par les Wilder "se rattachent" d'une manière quelconque à l'entente de juin. Comme je l'ai mentionné précédemment, les cautionnements eux‑mêmes ne font pas mention d'une entente en particulier. Ce sont des cautionnements généraux qui visent des éléments de passif qui sont le résultat d'opérations menées par la société avec la banque dans le cours ordinaire de ses relations avec la banque. Les cautionnements initiaux n'ont pas non plus été donnés sur la foi d'une entente particulière. L'avocat des Wilder soutient toutefois que les cautionnements préexistants "se rattachaient" à l'entente de juin. Il fonde jusqu'à un certain point cette affirmation sur l'ouvrage de Rowlatt, Rowlatt on the Law of Principal and Surety (4th ed. 1982), à la p. 88, où le savant auteur laisse entendre que les cautionnements généraux à l'égard des dettes futures "se rattachent" aux éléments de passif qui sont le résultat d'ententes postérieures conclues entre le créancier et le débiteur. Le savant auteur affirme:

[TRADUCTION] Toutefois, lorsqu'un cautionnement est donné en termes généraux de manière à viser les dettes qui résulteront d'un ensemble d'opérations futures qui sont génériquement précisées dans le cautionnement, le créancier peut modifier cet ensemble d'opérations desquelles naissent les dettes successives tant que ces opérations continuent, de par leur nature, à se situer dans le cadre du cautionnement, et qu'aucune modification n'est apportée aux conditions d'une dette après qu'elle a été réellement contractée et que le cautionnement y est rattaché.

36. À mon avis, l'entente de juin était une entente qui portait sur le financement des affaires de la société visées par l'entente globale sur le prêt qui était garanti par les Wilder. évidemment, elle n'était pas en soi préjudiciable aux garants; en fait, c'était tout à fait le contraire. Toutefois, si les cautionnements préexistants s'y rattachaient, et je crois que c'est le cas, alors la question principale est de savoir si sa violation subséquente par la banque a sensiblement modifié les risques assumés par les garants. Je crois qu'il n'y a aucun doute que cela a été le cas. Je conviens avec le juge Lambert que la violation par la banque a causé le défaut de la société. Elle a diminué sensiblement la valeur de la garantie qu'elle détenait à l'égard de la dette de la société en empêchant la société de continuer à exister comme entreprise commerciale viable. Par conséquent, les droits en equity que possèdent les garants en matière de subrogation et d'indemnisation ont été gravement compromis, voire même éliminés. Quant à son effet sur la responsabilité du garant, il ne semble y avoir aucune raison de faire la distinction entre une modification d'un contrat principal sans consentement et une violation d'un contrat principal modifié avec consentement. Il semblerait que l'affaire Watts v. Shuttleworth, précitée, appuie cette proposition.

6. Conclusions

37. En l'espèce, il y a eu un accord‑cadre de prêt, de nature générale, aux termes duquel la banque a accepté de financer les affaires de la société. Cet accord général était celui garanti par les cautionnements antérieurs des Wilder. Toutefois, cet accord de prêt initial est devenu très spécifique lorsque toutes les parties intéressées ont conclu l'entente de juin. En vertu de l'accord‑cadre, la banque aurait pu prendre la décision commerciale de cesser de financer la société en tout temps avant l'entente de juin. Après cette entente, elle n'avait plus ce choix. Elle a convenu avec la société et avec les garants qu'elle continuerait à financer la société au moins jusqu'à ce qu'elle ait terminé les projets de construction routière en Alberta. Elle ne l'a pas fait malgré que les Wilder aient respecté leur partie de l'entente. La violation de la banque a non seulement augmenté le risque des garants d'une manière qui n'était "pas clairement insuffisante" et a réduit leur garantie, mais encore elle a forcé le débiteur principal à se retirer des affaires et à déclarer faillite. Une telle conduite de la part de la banque ne peut, à mon avis, être considérée comme relevant de la clause des contrats de cautionnement qui permet à la banque de traiter avec la société et les garants de la manière qu'elle "peut juger appropriée". Je conviens avec le juge Lambert qu'une telle clause doit être interprétée comme s'appliquant seulement aux opérations légales.

38. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens et d'ordonner à l'appelante de renoncer à sa réclamation à l'égard du produit de l'assurance sur la vie des intimés, qui lui a été cédé à titre de garantie pour leurs cautionnements.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Campney & Murphy, Vancouver.

Procureurs des intimés: Dungate, Nicholson & Co., Prince George.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Cautionnement - Libération de la caution - Accord‑cadre de prêt pour le financement de l’activité commerciale de la société - Entente subséquente pour augmenter la marge de crédit pour des projets précis - Violation de l’entente par le créancier - Les garants ont‑ils droit à une libération totale ou partielle?.

La marge de crédit augmentée par la banque appelante dont bénéficiait une société familiale a été personnellement garantie par plusieurs membres de la famille et garantie par la débenture de la société. Bien que la banque ait augmenté périodiquement les limites de crédit en fonction de l'augmentation des activités commerciales de la société, les retraits de la société ont dépassé ces limites pendant la majeure partie de 1975. En juin de cette même année, une réunion entre deux membres de la famille et les représentants de la banque a été tenue d'urgence lorsque la banque a refusé d'honorer deux chèques de la société. La banque a convenu de continuer à financer la société jusqu'à ce que celle‑ci ait terminé certains projets routiers si du capital supplémentaire était injecté dans la société et si les membres de la famille fournissaient d'autres cautionnements. La banque, nonobstant l'injection de capital et le cautionnement de l'un des membres de la famille, a presque immédiatement recommencé à ne plus honorer les chèques de la société. Après un examen de la situation financière de la société, la banque a décidé de présenter une demande hâtive fondée sur la débenture. Comme la société n'a pas été en mesure de satisfaire à la demande, un administrateur séquestre a été nommé. Il a refusé d'accéder à la demande de la société d'achever les projets de construction routière, et ils ont ainsi dû être terminés à perte par d'autres moyens. La société a déclaré faillite. La banque a poursuivi les garants relativement à leurs cautionnements personnels. Le juge de première instance a conclu que la banque avait violé l'entente conclue avec la famille lors de la réunion de juin. La Cour d'appel s'est dite d'accord avec cela. La question posée devant cette Cour est de savoir si les garants ont droit à une libération totale ou partielle seulement.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

En l'espèce, il y avait un accord‑cadre de prêt, de nature générale, aux termes duquel la banque a accepté de financer de manière continue les activités commerciales de la société. Cet accord général était garanti par les cautionnements antérieurs des Wilder. L'entente de juin a modifié l'accord de prêt avec le consentement des garants, ainsi que les cautionnements antérieurs des Wilder qui "s'y rattachaient". En vertu de l'accord‑cadre, la banque aurait pu prendre la décision commerciale de cesser de financer la société en tout temps avant l'entente de juin, mais après cette entente elle n'avait plus ce choix. Elle s'est engagée fermement envers la société et les garants à financer la société jusqu'à ce que les projets de construction routière soient terminés. Elle a violé l'entente de juin et cette violation équivaut à la modification d'un contrat principal entre créancier et débiteur sans le consentement du garant. La violation de la banque a non seulement augmenté sensiblement le risque des garants et réduit leur garantie, mais encore elle a forcé le débiteur principal à se retirer des affaires et à déclarer faillite. Les garants ont donc droit à une libération totale.


Parties
Demandeurs : Banque de Montréal
Défendeurs : Wilder

Références :

Jurisprudence
Arrêts examinés: Watts v. Shuttleworth (1860), 5 H. & N. 235, 157 E.R. 1171, confirmé par (1861), 7 H. & N. 354, 158 E.R. 510
Bank of India v. Trans Continental Commodity Merchants Ltd., [1982] 1 Lloyd's Rep. 506
arrêts mentionnés: Seaboard Loan Corporation v. McCall, 7 S.E.2d 318 (1940)
Rose v. Aftenberger (1969), 9 D.L.R. (3d) 42.
Doctrine citée
Rowlatt, Sir Sydney Arthur Taylor. Rowlatt on the Law of Principal and Surety, 4th ed. Par David G. M. Marks and Gabriel S. Moss. London: Sweet & Maxwell, 1982.

Proposition de citation de la décision: Banque de Montréal c. Wilder, [1986] 2 R.C.S. 551 (27 novembre 1986)


Origine de la décision
Date de la décision : 27/11/1986
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1986] 2 R.C.S. 551 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1986-11-27;.1986..2.r.c.s..551 ?
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