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18/12/1986 | CANADA | N°[1986]_2_R.C.S._713

Canada | R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713 (18 décembre 1986)


R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713

Edwards Books and Art Limited Appelante

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et entre

Sa Majesté La Reine Appelante

c.

Nortown Foods Limited Intimée

et entre

Longo Brothers Fruit Markets Limited, Thomas Longo, Joseph Longo, faisant affaire sous la raison sociale de Longo Brothers Fruit Market Appelants

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et entre

Paul Magder Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et

Le procureur général du

Canada,

le procureur général du Québec,

le procureur général de la Nouvelle-Écosse,

le procureur général du Nouveau-Brunswick,

le procureur général du Mani...

R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713

Edwards Books and Art Limited Appelante

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et entre

Sa Majesté La Reine Appelante

c.

Nortown Foods Limited Intimée

et entre

Longo Brothers Fruit Markets Limited, Thomas Longo, Joseph Longo, faisant affaire sous la raison sociale de Longo Brothers Fruit Market Appelants

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et entre

Paul Magder Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général du Québec,

le procureur général de la Nouvelle-Écosse,

le procureur général du Nouveau-Brunswick,

le procureur général du Manitoba,

le procureur général de la Colombie-Britannique,

le procureur général de la Sakatchewan,

le procureur général de l'Alberta,

le procureur général de Terre-Neuve

et l'Ontario Conference Corporation of the Seventh-day Adventist Church Intervenants

répertorié: r. c. edwards books and art ltd.

Nos du greffe: 19053, 19069, 19054, 19046.

1986: 4, 5, 6 mars; 1986: 18 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI (Edwards Books and Art Limited c. La Reine) contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario sub nom. R. v. Videoflicks Ltd. (1984), 48 O.R. (2d) 395, 5 O.A.C. 1, 14 D.L.R. (4th) 10, 9 C.R.R. 193, 15 C.C.C. (3d) 353, qui a rejeté l'appel d'un jugement du juge Conant de la Cour de comté (1984), 11 W.C.B. 375, qui avait inscrit une déclaration de culpabilité et accueilli l'appel d'un jugement du juge Charlton de la Cour des infractions provinciales, qui avait rejeté les accusations. Pourvoi rejeté.

POURVOI (La Reine c. Nortown Foods Limited) contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario sub nom. R. v. Videoflicks Ltd. (1984), 48 O.R. (2d) 395, 5 O.A.C. 1, 14 D.L.R. (4th) 10, 9 C.R.R. 193, 15 C.C.C. (3d) 353, qui a accueilli l'appel d'un jugement du juge Kane de la Cour de comté, qui avait rejeté l'appel d'une déclaration de culpabilité du juge Davidson de la Cour provinciale. Pourvoi accueilli, le juge Wilson est dissidente.

POURVOI (Longo Brothers Fruit Markets Limited, Thomas Longo, Joseph Longo, faisant affaire sous la raison sociale de Longo Brothers Fruit Market c. La Reine) contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario sub nom. R. v. Videoflicks Ltd. (1984), 48 O.R. (2d) 395, 5 O.A.C. 1, 14 D.L.R. (4th) 10, 9 C.R.R. 193, 15 C.C.C. (3d) 353, qui a accueilli l'appel d'un jugement du juge Latimer de la Cour d'appel des infractions provinciales, qui avait inscrit une déclaration de culpabilité en appel et accueilli l'appel d'un jugement du juge de paix B. P. McDermott, qui avait rejeté les accusations. Pourvoi rejeté.

POURVOI (Magder c. La Reine) contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario sub nom. R. v. Videoflicks Ltd. (1984), 48 O.R. (2d) 395, 5 O.A.C. 1, 14 D.L.R. (4th) 10, 9 C.R.R. 193, 15 C.C.C. (3d) 353, qui a accueilli l'appel d'un jugement du juge Davidson de la Cour de comté (1984), 11 W.C.B. 374, qui avait inscrit une déclaration de culpabilité en appel et accueilli l'appel d'un jugement du juge Harris de la Cour provinciale. Pourvoi rejeté.

John W. Brown, c.r., et Calvin S. Goldman, pour l'appelante Edwards Books and Art Limited.

John A. Keefe et Ted Saskin, pour les appelants Longo Brothers Fruit Markets Limited, Thomas Longo, Joseph Longo, faisant affaire sous la raison sociale de Longo Brothers Fruit Market.

Tim Danson, pour l'appelant Paul Magder.

Bonnie Wein et Elizabeth Goldberg, pour l'appelante‑intimée Sa Majesté La Reine.

John J. Robinette, c.r., pour l'intimée Nortown Foods Limited.

Graham R. Garton, pour l'intervenant le procureur général du Canada.

Réal A. Forest et Pierre Jauvin, pour l'intervenant le procureur général du Québec.

Reinhold Endres et Alison Scott, pour l'intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse.

Bruce Judah, pour l'intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.

Brian F. Squair, c.r., pour l'intervenant le procureur général du Manitoba.

Joseph J. Arvay, pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

Robert J. Richards, pour l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

William Henkel, c.r., pour l'intervenant le procureur général de l'Alberta.

Leslie R. Thoms, pour l'intervenant le procureur général de Terre‑Neuve.

David B. Thomas, pour l'intervenante l'Ontario Conference Corporation of the Seventh‑day Adventist Church.

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges Chouinard et Le Dain rendu par

1. Le Juge en chef—En l'espèce, la Cour est appelée à examiner la constitutionnalité d'une loi de fermeture le dimanche adoptée par la province de l'Ontario sous le titre de Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453. Quatre détaillants ontariens ont été accusés en 1983 d'avoir omis de s'assurer qu'aucune marchandise n'était vendue ou offerte en vente au détail un jour férié, contrairement à l'art. 2 de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail. Chacun des détaillants reconnaît que son magasin était ouvert un dimanche. En Cour d'appel de l'Ontario, dans un arrêt publié sous le titre de R. v. Videoflicks Ltd. (1984), 48 O.R. (2d) 395, trois des détaillants, les appelants Edwards Books and Art Ltd., Longo Brothers Fruit Markets Ltd. et autres, et Paul Magder, ont été reconnus coupables. Dans leurs pourvois devant cette Cour, ils contestent la constitutionnalité de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail. Le quatrième, l'intimée Nortown Foods Ltd., a été acquitté. En réponse au pourvoi de Sa Majesté, Nortown Foods Ltd. met en question, pour des raisons d'ordre constitutionnel, l'applicabilité de la Loi à son commerce particulier. Nortown Foods Ltd. demande à être exemptée de l'application de la Loi sinon, affirme‑t‑elle, sa liberté de religion ou celle de ses propriétaires sera violée.

2. Les procureurs généraux de toutes les provinces, à l'exception de l'Île‑du‑Prince‑édouard, sont intervenus en faveur de l'Ontario. L'Ontario Conference Corporation of the Seventh‑day Adventist Church joint sa voix à celle des détaillants. Le procureur général du Canada est intervenu pour contester la manière dont la Cour d'appel de l'Ontario a apparemment appliqué l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 pour acquitter Nortown.

3. Les avocats des détaillants et de l'église adventiste du septième jour ont puisé dans tout un arsenal d'arguments constitutionnels pour s'opposer à la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail. L'alinéa 2a) et les art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et le partage des compétences en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 ont chacun été invoqués par au moins un des détaillants.

4. Cette Cour a déjà eu l'occasion d'examiner une loi fédérale de fermeture le dimanche, dans l'affaire R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295. La Cour à la majorité, dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., tout en reconnaissant l'importance des effets d'une loi, s'est fondée sur l'objet, avant tout religieux de la Loi sur le dimanche, S.R.C. 1970, chap. L‑13, pour conclure que celle‑ci était incompatible avec la liberté de conscience et de religion garantie par l'al. 2a) de la Charte.

5. Les présentes affaires requièrent l'étude des effets de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail tout autant que de son objet ou de ses objets.

I

Les questions constitutionnelles

6. La Cour a, dans le cadre des présents pourvois, formulé les questions constitutionnelles suivantes:

1. La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, relève‑t‑elle des pouvoirs législatifs que possède la province de l'Ontario conformément à l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867?

2. La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, porte‑t‑elle atteinte, en totalité ou en partie, aux droits et libertés garantis par l'un ou l'autre de l'al. 2a) et des art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l'affirmative, dans quelle mesure porte‑t‑elle atteinte à ces droits?

3. Si la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, ou une partie de cette loi, porte atteinte d'une manière quelconque à l'un ou l'autre de l'al. 2a) et des art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, dans quelle mesure ces restrictions aux droits garantis par ces dispositions peuvent‑elles être justifiées par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, être compatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982?

II

La Loi

7. L'économie de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail est simple. L'article 1 définit "jour férié" comme incluant le dimanche et divers autres jours, dont certains revêtent une importance particulière pour les confessions chrétiennes et d'autres sont de nature nettement laïque:

1 (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

"jour férié" Comprend:

(i) le jour de l'An,

(ii) le Vendredi saint,

(iii) la fête de la Reine,

(iv) la fête du Canada,

(v) la fête du Travail,

(vi) le jour d'Action de grâce,

(vii) le jour de Noël,

(viii) le lendemain de Noël,

(ix) le dimanche,

(x) un autre jour que le lieutenant‑gouverneur proclame jour férié pour l'application de la présente loi.

8. Aux termes des art. 2 et 7, quiconque ouvre un établissement de commerce de détail un jour férié commet une infraction punissable d'une amende maximale de 10 000 $:

2 (1) Le dirigeant d'un commerce de détail s'assure que, un jour férié, le public n'a pas accès à son établissement et qu'il ne s'y exerce ni vente ou mise en vente au détail de marchandises ni prestation ou offre de services.

(2) Il est interdit un jour férié à quiconque est à l'emploi du dirigeant d'un commerce de détail ou agit en son nom dans un établissement:

a) d'y vendre ou mettre en vente des marchandises au détail ou d'y rendre ou offrir des services;

b) d'en permettre l'accès au public.

7 Quiconque enfreint l'article 2 est coupable d'infraction et passible, sur déclaration de culpabilité, d'une amende d'au plus 10 000 $.

9. Les articles 3 et 4 énoncent divers genres d'exceptions. La plupart des commerces du genre "dépanneur" sont exemptés par le par. 3(1). Les pharmacies, les stations‑service, les fleuristes et, durant l'été, les étalages et magasins de fruits et légumes frais sont exclus par les par. 3(2) et 3(3). Le paragraphe 3(6) établit une exemption pour les services éducatifs, récréatifs ou de divertissement. Les services de repas, les laveries ainsi que la location et l'entretien de bateaux et de véhicules sont autorisés en vertu du par. 3(7). Le paragraphe 3(8) et l'art. 4 autorisent une municipalité à créer son propre régime d'exemptions lorsque la promotion de l'industrie touristique l'exige.

10. Le paragraphe 3(4) établit une exemption particulièrement controversée. Il s'applique aux commerces qui, le dimanche, n'emploient que sept personnes ou moins pour servir le public et qui utilisent à cette fin une superficie inférieure à 5 000 pieds carrés. Il a pour effet de permettre à ces commerces d'ouvrir leurs portes le dimanche s'ils ont été fermés le samedi précédent:

3 ...

(4) L'article 2 ne s'applique pas à l'établissement ouvert le dimanche si, ce jour‑là:

a) l'établissement est fermé au public et il ne s'y pratique ni vente ou mise en vente de marchandises ni prestation ou offre de services pendant vingt‑quatre heures consécutives au cours des trente‑deux heures qui précèdent immédiatement le dimanche;

b) le nombre de personnes au service du public le dimanche n'est jamais supérieur à sept;

c) la superficie totale de l'endroit utilisé pour le service du public, la vente ou l'étalage ne dépasse pas 5 000 pieds carrés.

III

Les faits

11. Les quatre affaires ont été jugées à des moments différents, par des juges différents de la Cour des infractions provinciales. Voici les faits de chaque espèce:

Edwards Books and Art Ltd.

12. Le dimanche 6 mars 1983, des agents de police ont constaté que le magasin Edwards Books and Art de Toronto était ouvert et que le public y avait accès. Une enseigne placée à l'extérieur du magasin se lisait: [TRADUCTION] "Ouvert le dimanche, de 11 h à 18 h". Avec le consentement des parties, ces faits, dont lecture a été faite par le substitut du procureur général, ont été versés au dossier. Le seul élément de preuve que l'on trouve au dossier concernant la confession religieuse des dirigeants de la compagnie est contenu dans l'échange de propos suivant intervenu devant le tribunal de première instance:

[TRADUCTION] Me ATKINSON [substitut du procureur général]: ... Si je comprends bien, les dirigeants de cette compagnie sont de religion juive et, en conséquence, je crois comprendre que leur jour de sabbat est le samedi. Pouvez‑vous me confirmer cela Me Scott?

Me SCOTT [avocat de la défense]: Eh bien! je puis confirmer qu'il se peut que ce soit le cas des propriétaires. Je ne leur ai pas posé la question dernièrement.

13. Aucune preuve n'a été soumise au procès concernant les croyances religieuses des employés de la compagnie. De même, on n'a soumis aucune preuve qu'une foi particulière était professée par un nombre prédominant des clients du magasin.

14. Edwards Books and Art Ltd. n'avait pas fermé son magasin le samedi 5 mars 1983.

Longo Brothers Fruit Markets Ltd.,

Tommy Longo et Joseph Longo

15. Tommy Longo et Joseph Longo sont respectivement président et secrétaire de Longo Brothers Fruit Markets Ltd. La compagnie exploite un supermarché [TRADUCTION] "semblable à un Loblaws ou à un Dominion", à Oakville en Ontario.

16. Le commerce a été ouvert au public et on y a fait la vente de marchandises les dimanches 5 et 12 décembre 1982. Il n'avait pas été fermé les samedis précédents.

17. Aucune preuve n'a été soumise au sujet des croyances religieuses de Tommy ou de Joseph Longo, ou encore des propriétaires, employés ou clients du commerce.

18. La défense a cité deux témoins dont ni l'un ni l'autre n'avait quelque lien apparent avec le commerce des Longo. Le premier, Mottle Goodbaum, exploite à Toronto un supermarché qui reste ouvert le dimanche. Ce supermarché se spécialise dans la vente d'aliments cascher sous la supervision d'un inspecteur du Congrès juif canadien. Pour se conformer aux exigences dites cascher, l'épicerie doit être fermée lors du sabbat juif et lors des autres fêtes juives. Monsieur Goodbaum a témoigné que 85 pour cent des clients de son commerce sont juifs. Il y a eu une époque où il était fermé le dimanche. Les clients se plaignaient alors amèrement des difficultés qu'ils éprouvaient à faire leurs courses, particulièrement lorsque le dimanche était coincé entre d'autres jours fériés du calendrier juif ou quelque autre jour férié défini par la Loi. D'après le témoignage de M. Goodbaum, l'établissement commercial était trop gros pour être conforme aux exigences des al. 3(4)b) et c).

19. Le second témoin de la défense fut Bhulesh Lodhia, un bijoutier faisant affaire dans le Gerrard India Bazaar de Toronto. L'India Bazaar est un complexe commercial exploité par environ quarante‑cinq hommes d'affaires originaires des Indes orientales, dont des hindous, des sikhs et des musulmans. Monsieur Lodhia a affirmé que la plupart de ses clients étaient aussi des hindous, des sikhs et des musulmans. Selon son témoignage, il y a diverses fêtes hindoues [TRADUCTION] "que nous observons, sans pour autant fermer, parce que si nous devions fermer, en plus des jours de fête chrétienne, les jours de nos fêtes religieuses, nous ferions probablement faillite". Je mentionnerai plus loin d'autres extraits du témoignage de M. Lodhia.

Paul Magder

20. Paul Magder exploite à Toronto un magasin de vente au détail de fourrures, dont il est le propriétaire unique. Les policiers ont constaté que son magasin était ouvert le dimanche 17 juillet 1983 et qu'il avait été ouvert le samedi précédent. Dans la vitrine du magasin, il y avait deux enseignes sur lesquelles on pouvait lire les mots [TRADUCTION] "Ouvert" et "Le vendeur du dimanche le plus connu de Toronto".

21. Au procès, on a soumis en preuve que le magasin de Paul Magder est situé dans un secteur appelé "Chinatown West" où s'applique l'exemption relative à l'industrie touristique selon la désignation faite par la municipalité de la communauté urbaine de Toronto en vertu de l'art. 4 de la Loi. Les règlements pertinents de la communauté urbaine de Toronto, qui ont été versés au dossier, indiquent cependant que les fourreurs ne jouissent pas de l'exemption prévue par la Loi. Selon le témoignage de M. Magder, un bon nombre de ses clients sont américains et entre vingt pour cent et cinquante pour cent de ses ventes s'effectuent le dimanche.

22. Aucune preuve n'a été soumise quant à la confession religieuse des clients ou des employés de Paul Magder ni quant à ses propres croyances religieuses, si ce n'est qu'il a affirmé: [TRADUCTION] "Je crois jouir de la liberté de conscience; si je veux travailler le dimanche, j'ai le droit de le faire".

Nortown Foods Ltd.

23. Nortown Foods Ltd. est une compagnie appartenant à deux actionnaires, tous deux de religion juive. Elle exploite une épicerie spécialisée dans la vente de viande fraîche, de volailles et autres articles d'épicerie, destinés principalement à une clientèle juive. Aucune preuve n'a été soumise quant à la superficie du commerce de Nortown. Elle vend des produits cascher et elle a fermé tous les samedis et autres fêtes religieuses juives au cours de ses vingt‑deux années d'existence. Deux de ses clients ont témoigné qu'ils n'achèteraient plus à ce magasin s'il ouvrait le samedi.

24. Le dimanche 16 janvier 1983, l'épicerie de Nortown Foods Ltd. était ouverte. Un agent de police a constaté que quinze employés travaillaient dans l'établissement, dont neuf (soit deux de plus que le nombre autorisé par le par. 3(4)) servaient les clients. D'après le témoignage de l'un des dirigeants de la compagnie, le commerce ne pourrait pas être exploité le dimanche s'il devait se restreindre à sept employés. Il a également témoigné que le jeudi et le dimanche sont les jours de plus grande affluence de la semaine et que cela nuirait à leur commerce que de fermer le dimanche. Le juge de première instance a demandé au témoin s'il allait à la synagogue tous les samedis. Il a répondu: [TRADUCTION] "Presque tous les samedis".

25. Aucune preuve n'a été soumise quant aux croyances religieuses des administrateurs ou des employés de la compagnie.

IV

Les jugements des tribunaux d'instance inférieure

A) Cour des infractions provinciales

Edwards Books and Art Ltd.

26. Le juge Charlton de la Cour des infractions provinciales s'est fondé sur l'al. 2a) de la Charte pour rejeter l'accusation portée contre Edwards Books and Art Ltd. Il a jugé que, même s'il était constitutionnellement acceptable que la législature de l'Ontario choisisse un jour de repos hebdomadaire et qu'il était acceptable que ce jour soit le dimanche, la Loi ne comportait pas de dispositions adéquates pour ceux qui préféreraient choisir un autre jour de repos, ni pour ceux qui [TRADUCTION] "ne veulent rien savoir du dimanche".

Longo Brothers Fruit Markets Ltd. et autres

27. Le juge de paix McDermott a conclu que la Loi enfreignait les droits conférés aux personnes de religion juive par l'al. 2a) et l'art. 27 de la Charte. Il est arrivé à cette conclusion en considérant, de manière générale, les effets de la Loi. En conséquence, il a rejeté les accusations portées contre les personnes morales et physiques défenderesses.

Paul Magder

28. Le juge Harris de la Cour provinciale a acquitté Paul Magder. Il a jugé que dans la mesure où la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail s'intéressait au dimanche, par rapport aux autres jours fériés qu'elle désignait, elle était ultra vires de la province pour le motif qu'elle empiétait sur la compétence fédérale en matière de droit criminel.

Nortown Foods Ltd.

29. Nortown Foods Ltd. a été reconnue coupable en première instance par le juge Davidson de la Cour provinciale. À son avis, la Loi était une source d'inconvénients pour la défenderesse et ses clients, mais elle ne portait pas atteinte à leur liberté de religion. Il a jugé que les pénalités auxquelles la Loi assujettissait les juifs ne différaient aucunement du fardeau qu'elle imposait aux membres de tout autre groupe religieux.

B) Cour d'appel des infractions provinciales

Edwards Books and Art Ltd.

30. Le juge Conant de la Cour de comté a accueilli l'appel du ministère public et a reconnu la défenderesse coupable. Il a conclu que l'objet de la Loi était d'ordre laïque et intra vires, étant donné qu'il n'y avait aucune preuve que l'adoption de la Loi faisait partie d'une stratégie visant à préserver le caractère sacré du dimanche sur le plan religieux. Statuant sur la question de la liberté de religion, le juge Conant s'est appuyé sur l'arrêt de cette Cour Robertson and Rosetanni v. The Queen, [1963] R.C.S. 651, pour dire que le sacrifice économique supplémentaire imposé à ceux dont le jour de repos religieux n'est pas le dimanche ne saurait être considéré comme une atteinte à leur liberté de pratiquer leur propre religion. À son avis, l'effet secondaire que la Loi a sur les pratiques religieuses est trop marginal pour pouvoir dire que la Loi touche à la liberté de religion.

Longo Brothers Fruit Markets Ltd. et autres

31. Le juge Latimer de la Cour d'appel des infractions provinciales a accueilli l'appel du ministère public. Il a statué que l'inconvénient causé aux clients et l'éventuel désavantage économique causé aux détaillants sont insuffisants pour constituer une violation de l'al. 2a). Subsidiairement, il a jugé que la Loi apporte une limite raisonnable à la liberté de religion en vertu de l'article premier. La question du partage des compétences n'a pas été débattue.

Paul Magder

32. Le juge Davidson de la Cour de comté a substitué une déclaration de culpabilité à l'acquittement prononcé par la cour de première instance, faisant droit à l'appel du ministère public. Pour en arriver à la conclusion que la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail relève de la compétence de la province, il s'est fondé sur la décision R. v. Top Banana Ltd. (1974), 4 O.R. (2d) 513, dans laquelle l'arrêt Lieberman v. The Queen, [1963] R.C.S. 643, a été appliqué.

33. Le juge Davidson a ensuite examiné l'al. 2a) de la Charte. Selon lui, conclure que la Loi n'empiète pas sur la compétence législative fédérale relativement à la profanation du sabbat amène nécessairement à dire qu'il n'y a pas eu atteinte à la liberté de religion.

Nortown Foods Ltd.

34. Le juge Kane de la Cour de comté a rejeté l'appel interjeté par Nortown contre sa déclaration de culpabilité, sans donner de motifs écrits.

C) La Cour d'appel de l'Ontario

35. La Cour d'appel était saisie de huit appels de déclarations de culpabilité prononcées en vertu de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail. Je vais limiter mon résumé de l'arrêt de la Cour d'appel aux motifs qu'elle donne relativement aux quatre affaires dont nous sommes saisis.

36. C'est une formation composée du juge en chef Howland et des juges Arnup, Martin, Robins et Tarnopolsky qui a procédé à l'audition des appels. La cour, à l'unanimité, a rejeté les appels interjetés par Edwards Books and Art Ltd., Longo Brothers et Paul Magder, et a accueilli l'appel de Nortown Foods Ltd. Les motifs de la Cour d'appel ont été prononcés par le juge Tarnopolsky.

37. La cour a jugé que l'intention du législateur et l'objet de la Loi, qui ressortent de son titre et de ses dispositions de fond, sont d'accorder certains jours de congé à certaines personnes qui travaillent dans certains commerces de détail. Le fait que la plupart des jours fériés énumérés à l'art. 1 de la Loi aient une origine religieuse n'est pas concluant. Le juge Tarnopolsky affirme, à la p. 409:

[TRADUCTION] L'inclusion du dimanche et d'autres jours "sacrés" est accessoire à l'objet principal qui consiste à accorder des congés les jours généralement reconnus comme tels, en ce qu'il s'agit de jours où les institutions comme les écoles, les banques, les bureaux du gouvernement, les tribunaux et la plupart des entreprises professionnelles et des établissements de vente au détail sont fermés, que ce soit en raison de la Loi sur le dimanche fédérale ou d'une autre loi provinciale. Contrairement aux lois provinciales qui ont été annulées compte tenu de la compétence en matière de droit criminel et qui ont déjà été examinées dans le présent arrêt, la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail n'impose pas l'adhésion à une religion et ne contient pas non plus de déclaration sur la nécessité de préserver et de protéger le dimanche comme jour de fête religieuse. Les diverses exceptions qui permettent à certains commerces de demeurer ouverts le dimanche sont une indication importante que la Loi ne cherche pas à préserver "le caractère sacré du jour du Seigneur". Les exceptions elles‑mêmes n'ont pas été créées de manière à traduire une certaine déférence envers le dimanche pour des motifs religieux. Par exemple, les commerces ne sont pas obligés de demeurer fermés jusqu'à ce que les heures normales de prière soient écoulées. À mon avis, quoique certaines des interdictions et exemptions prévues par la Loi aient une origine religieuse, elles ont été conservées et ont évolué en tant que pratiques laïques longtemps après avoir perdu leur importance sur le plan religieux.

38. Le juge Tarnopolsky a dit aussi du Rapport de la Commission de réforme du droit de l'Ontario, intitulé Report on Sunday Observance Legislation (1970), qu'il traduisait exactement l'intention qu'avait le législateur ontarien en adoptant la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail. À son avis, ce Rapport énonce les objectifs laïques de la Loi. La cour a donc conclu que la Loi relevait de la compétence législative provinciale.

39. La cour a rejeté un argument subsidiaire fondé sur l'application du principe de la prépondérance au conflit qu'il semblerait y avoir entre la Loi sur le dimanche et la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail. L'arrêt de cette Cour Big M Drug Mart Ltd., rendu après l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario dans les présentes affaires, fait qu'il est inutile d'examiner l'analyse qu'a faite le juge Tarnopolsky de l'argument de la prépondérance. Dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., la Loi sur le dimanche fédérale a été jugée inopérante. Une loi inconstitutionnelle ne saurait rendre inopérante une loi provinciale en vertu du principe de la prépondérance.

40. Quant à la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte, le juge Tarnopolsky a conclu que ce qui est nécessaire est une évaluation non seulement de l'objet de la Loi, mais aussi de ses effets. Il a rejeté la possibilité d'appliquer le concept étroit de la liberté de religion consacré par l'arrêt Robertson and Rosetanni v. The Queen, où notre Cour a interprété l'al. 1c) de la Déclaration canadienne des droits comme ne protégeant que la liberté de religion qui existait au Canada immédiatement avant l'adoption de la Déclaration canadienne des droits. Le juge Tarnopolsky a défini la liberté de religion comme incluant la liberté de manifester et de mettre en pratique ses croyances religieuses. À cet égard, le juge Tarnopolsky a devancé les conclusions tirées par cette Cour dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd.

41. L'analyse par la Cour d'appel des effets de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail l'a amenée à conclure que cette loi ne porte pas atteinte à la liberté de conscience ou de religion des détaillants qui ne ferment pas leur magasin pour des raisons religieuses un autre jour que le dimanche. Cependant, pour ceux qui ferment leur établissement un autre jour afin de se conformer à leurs croyances religieuses, la Loi constitue une incitation majeure à cesser la pratique de leur religion. Pour ce second groupe, la Loi rend l'observance du sabbat financièrement onéreuse. Il a donc été jugé que la Loi porte atteinte à la liberté de religion de ceux qui observent un jour de repos autre que le dimanche.

42. Cependant, la Cour d'appel n'était pas disposée à annuler toute la Loi pour cette raison. Seuls les détaillants qui pouvaient démontrer que leurs croyances religieuses sincères les obligeaient à observer un sabbat autre que le dimanche avaient le droit d'être exemptés de l'obligation de se conformer à la Loi. La sincérité de leurs croyances pouvait être établie à la manière de l'enquête effectuée en vertu de la législation en matière de relations de travail au sujet d'objections de conscience à la syndicalisation. La cour a conclu, d'après la preuve soumise, que seule Nortown Foods Ltd. pouvait bénéficier d'une exemption constitutionnelle de l'application de la Loi. La cour n'a pas expressément abordé les questions de savoir si une personne morale peut être réputée avoir des croyances religieuses et les observer, et dans quelles circonstances elle peut l'être.

43. La Cour d'appel a jugé inadéquate l'exemption du par. 3(4) de la Loi:

[TRADUCTION] D'abord, elle n'est d'aucune utilité pour ceux dont le sabbat tombe un jour autre que le samedi ou le dimanche, comme le vendredi, le sabbat qu'observent les musulmans. Ensuite, la restriction à sept employés qu'elle prévoit établit une distinction qu'une entreprise comme Nortown Foods Limited ne peut, selon ce qu'elle prétend, respecter sans sérieusement restreindre ses activités. Les répercussions économiques sont à peine moins lourdes que l'interdiction ou l'obligation de payer une taxe spéciale. [à la p. 428]

44. Elle a jugé en outre que le ministère public n'avait pas présenté suffisamment d'éléments de preuve concernant les inconvénients qui pourraient résulter du fait d'autoriser des exemptions à l'égard de tous les sabbats. En conséquence, la Loi ne pouvait pas être justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. Le Report on Sunday Observance Legislation n'a pas été analysé sous cet angle.

45. L'analyse par la cour des aspects réparateurs de son arrêt se trouve au passage suivant:

[TRADUCTION] Aux termes du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, la loi est "rend[ue] inopérante" parce que ses "dispositions [sont] incompatibles" avec la "Constitution". J'ai déjà jugé qu'elle n'est incompatible que dans la mesure où elle ne prévoit pas d'exemptions religieuses adéquates. Par ailleurs, l'art. 2 de la Loi est valide quand il est appliqué à tous les appelants qui ne peuvent ni de bonne foi ni sincèrement faire valoir cela. Le seul appelant qui ait démontré qu'il peut s'en prévaloir est Nortown Foods Ltd. Il semble que, dans le cas de Nortown, la Loi ne pèche pas par son art. 2, mais bien par son par. 3(4) en ce que ce paragraphe ne prévoit pas d'exemption religieuse adéquate. Toutefois, en annulant le par. 3(4), l'art. 2 continuerait quand même de s'appliquer et ainsi il n'y aurait plus d'exemption pour les minorités religieuses qui n'observent pas le dimanche comme jour de sabbat. Ce qu'il faut, c'est récrire le par. 3(4) de manière à ce qu'il soit conforme aux exigences de la Charte. Ce n'est pas là le rôle du pouvoir judiciaire: R. v. Oakes (1983), 40 O.R. (2d) 660, 2 C.C.C. (3d) 339, 145 D.L.R. (3d) 123. Les critères auxquels doit satisfaire un nouvel article d'exemption ont été décrits. Pour statuer sur les présents appels, il suffit de dire que l'art. 2 de la Loi est inopérant dans le cas de Nortown Foods Ltd. Son appel est donc accueilli, la déclaration de culpabilité est annulée et ordre est donné d'inscrire un verdict d'acquittement. Quant à tous les autres appelants, leurs appels sont rejetés dans la mesure où ils sont fondés sur ce moyen. [à la p. 430]

46. En bref, Edwards, Longo et Magder ont eu gain de cause en Cour des infractions provinciales, mais ils ont été déboutés par la Cour d'appel des infractions provinciales et la Cour d'appel de l'Ontario. Nortown a été déboutée par les deux premières juridictions, mais a eu gain de cause en Cour d'appel.

V

Le partage des compétences en vertu des art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867

47. Je souligne au départ que l'avocat de Nortown était prêt à présumer que la Loi relevait de la compétence de la province. Plusieurs des arguments avancés par les détaillants appelants pour tenter d'amener la Cour à déclarer la Loi ultra vires serviraient également à la contester au regard de l'al. 2a) de la Charte. En effet, si la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail traduisait la volonté du législateur de promouvoir ou de favoriser certaines confessions chrétiennes, elle serait non seulement ultra vires, mais elle serait aussi incompatible avec la liberté de religion garantie par la Charte, pour les motifs donnés par cette Cour dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd. En premier lieu cependant, je tiens à examiner un argument de nature différente, qui requiert un examen attentif de la jurisprudence sur le partage de la compétence législative relativement aux lois dites de fermeture le dimanche.

A) La jurisprudence

48. Dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., à la p. 355, après avoir conclu que la Loi sur le dimanche relève de la compétence fédérale en matière de droit criminel, la Cour à la majorité déclare ceci:

Cependant, il faut souligner que cette conclusion quant à la compétence législative du Parlement fédéral pour adopter la Loi sur le dimanche repose sur le fait que l'objet de la Loi a été identifié comme étant de rendre obligatoire l'observance du dimanche en raison de son importance sur le plan religieux. Si, par contre, la Loi avait non pas un objet religieux, mais pour objet laïque d'imposer à tous un même jour de repos, elle relèverait alors du par. 92(13) portant sur la propriété et les droits civils dans la province, et serait donc du ressort provincial plutôt que fédéral: In the Matter of Legislative Jurisdiction Over Hours of Labour, [1925] R.C.S. 505; Attorney‑General for Canada v. Attorney‑General for Ontario, [1937] A.C. 326 (P.C.).

Le juge Ritchie a exprimé une opinion semblable dans l'arrêt Robertson and Rosetanni v. The Queen, à la p. 657.

49. Paul Magder invite en fait la Cour à reconsidérer ce qui a été dit dans les arrêts Big M Drug Mart Ltd. et Robertson and Rosetanni. La jurisprudence relative à la fermeture le dimanche, soutient‑il, a dégagé le principe selon lequel une loi d'interdiction qui prescrit certains jours particuliers de fermeture obligatoire des commerces est une loi relative à la moralité publique et relève donc exclusivement de la compétence du Parlement fédéral en vertu du par. 91(27). Selon lui, une loi d'interdiction se distingue d'un texte réglementaire provincial ou municipal valide, par l'absence de tentative de réglementer les heures de fermeture des commerces les jours autres que le dimanche. La compétence législative provinciale en matière de relations de travail, y compris le droit au repos, ne peut s'étendre qu'à la spécification de la durée du repos auquel les travailleurs ont droit et non à celle des jours où le repos doit être pris.

50. À mon avis, cet argument se fonde sur une erreur fondamentale quant aux motifs pour lesquels les tribunaux ont généralement jugé qu'une loi sur l'observance du dimanche était une affaire de "moralité publique".

51. Aux pages 319 à 328 de l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., on trouve un examen des arrêts de principe portant sur le partage des compétences relativement aux lois de fermeture le dimanche. Il ne servirait à rien de les examiner de nouveau. Il suffit d'énoncer les deux principes qui se dégagent de ces arrêts. Premièrement, la profanation du sabbat a historiquement été considérée comme une infraction criminelle: Attorney‑General for Ontario v. Hamilton Street Railway Co., [1903] A.C. 524, à la p. 529 (voir aussi les plaidoiries des avocats, aux pp. 527 et 528); Ouimet v. Bazin (1912), 46 R.C.S. 502, aux pp. 508, 528 et 529; Henry Birks & Sons (Montreal) Ltd. v. City of Montreal, [1955] R.C.S. 799, aux pp. 803, 813 et 820 à 822. Deuxièmement, la qualification portant qu'il s'agit de droit criminel est le résultat d'une perception sociale, propagée par les fidèles des groupes religieux dominants, selon laquelle il était moralement répugnant de violer certains préceptes religieux. Ce second principe trouve son expression dans les motifs du juge Idington dans l'arrêt St. Prosper (La Corporation de la Paroisse de) v. Rodrigue (1917), 56 R.C.S. 157, à la p. 160, où il se réfère au raisonnement suivi dans l'arrêt Ouimet v. Bazin:

[TRADUCTION] ... à la lecture des diverses opinions qui ont abouti à cet arrêt, je ne puis m'empêcher de penser qu'il repose en réalité sur la notion courante du caractère particulièrement sacré de l'obligation religieuse d'observer ce jour comme jour consacré aux observances religieuses, qui fait que l'on considère que sa profanation est répugnante au point de constituer quelque chose de criminel en soi et, par voie de conséquence, que toute loi y relative relève, de par sa nature, du droit criminel.

52. L'aversion morale sur laquelle se fonde historiquement la qualification portant que la législation sur l'observance du dimanche constitue du droit criminel n'existe absolument pas dans le cas d'une loi qui vise à mettre en oeuvre la notion d'un jour de repos de caractère laïque.

53. À mon avis, l'arrêt de cette Cour, In re Legislation Respecting Abstention from Labour on Sunday (1905), 35 R.C.S. 581, n'est d'aucun secours aux appelants. Dans ce renvoi, la Cour a conclu que l'avant‑projet de loi et la loi hypothétique qui faisaient l'objet de l'examen étaient tous les deux destinés à promouvoir l'observance du dimanche malgré l'absence de toute référence explicite au jour du Seigneur ou à la profanation du sabbat. Il ne fait pas de doute que la Cour a été influencée par le fait que le renvoi avait été adressé si peu de temps après l'arrêt Hamilton Street Railway (dans lequel on avait annulé une loi très semblable, qui mentionnait toutefois expressément la profanation du sabbat) et par l'une des questions constitutionnelles soumises par la province. Cette question indiquait que l'avant‑projet de loi était destiné à remplacer An Act to Prevent the Profanation of the Lord’s Day, in Upper Canada, C.S.U.C. 1859, chap. 104. De plus, l'avant‑projet de loi interdisait non seulement toute activité commerciale, mais aussi le tir au fusil, les jeux ou concours assortis de prix et l'ouverture payante des parcs et des terrains d'amusement. Ces interdictions, qui sont en contraste marquant avec le par. 3(6) de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, montrent bien que l'avant‑projet de loi ne visait pas tant à accorder un jour uniforme de repos et de loisir aux travailleurs, qu'à imposer un comportement que l'idéal religieux prédominant jugeait approprié pour le dimanche.

54. Je suis donc incapable de dégager de ce renvoi quelque principe juridique portant que toute loi sur un jour de repos est intrinsèquement une loi relative à la "moralité publique". D'ailleurs, je suis également incapable de dégager une règle de droit portant que le choix par une province du dimanche comme jour commun de repos doit inévitablement être considéré comme une tentative déguisée de faire respecter les croyances religieuses de la majorité. En fait, de tels principes seraient incompatibles avec l'arrêt Attorney‑General for Canada v. Attorney‑General for Ontario (l'affaire des conventions de travail), [1937] A.C. 326 (C.P.), dans lequel, les lords se sont expressément fondés sur la prémisse que la Loi sur le repos hebdomadaire dans les établissements industriels, S.C. 1935, chap. 14, était une loi relative à la propriété et aux droits civils. L'article 3 de cette loi obligeait les patrons d'industrie à accorder à leurs employés au moins un jour de repos qui, autant que possible, devait être le dimanche. Si une telle loi est de compétence provinciale, comme le Comité judiciaire l'a accepté, alors les arguments avancés par l'avocat de Paul Magder doivent être rejetés. La protection des travailleurs contre toute pression visant à les forcer à travailler un jour où leurs enfants ne vont pas à l'école, où leurs amis et leurs parents peuvent leur rendre visite et où la société dans laquelle ils vivent s'adonne à des activités sociales, sportives et récréatives ne constitue pas, à mon avis, un objectif de droit criminel. Si l'objet premier d'un texte législatif ordonnant un jour de repos est de procurer aux travailleurs des avantages à ces égards, c'est à bon droit qu'on le qualifie de relatif à la propriété et aux droits civils dans la province.

55. Depuis l'arrêt Reference re Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act (le renvoi sur la margarine), [1949] R.C.S. 1, à la p. 50, il est bien établi en droit que ce n'est pas toute loi prohibitive qui est de nature criminelle. Néanmoins, les avocats ont cité plusieurs affaires de fermeture le dimanche, en particulier l'arrêt Henry Birks et l'arrêt Clarke v. Wawken, [1930] 2 D.L.R. 596 (C.A. Sask.), où l'absence d'un régime complet de réglementation applicable aux heures de fermeture des commerces les jours autres que le dimanche a constitué apparemment un facteur important dans la décision portant que la loi en cause était inconstitutionnelle. On a fait valoir que dans l'arrêt Lieberman v. The Queen, cette Cour a confirmé la validité d'un règlement municipal interdisant l'ouverture des salles de billard et de quilles le dimanche, précisément parce que le règlement établissait effectivement les heures d'ouverture des commerces les jours autres que le dimanche. Toutes ces affaires cependant portaient sur des règlements municipaux ou sur leur loi habilitante. La définition de la ligne de démarcation entre la réglementation des affaires locales et le droit criminel s'est souvent révélée difficile: comparer, par exemple, le point de vue des juges formant la majorité et celui des juges formant la minorité dans l'arrêt Procureur général du Canada et Dupond c. Ville de Montréal, [1978] 2 R.C.S. 770. La recherche d'un régime complet de réglementation dans des affaires comme les arrêts Clarke, Lieberman et Henry Birks a fait partie de la tâche difficile qui consiste à vérifier si l'objet véritable d'un règlement local donné était d'édicter des règles de droit criminel locales.

56. Dans la présente affaire, il est question d'un intérêt provincial tout à fait différent, savoir les "droits civils" des employés de bénéficier d'un jour commun de repos et de loisir. Dans ces circonstances, la présence ou l'absence de réglementation des jours de semaine a peu de valeur probante. C'est pourquoi la nature qu'on dit prohibitive de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail ne m'impressionne guère et je demeure convaincu de la justesse de l'opinion exprimée par la Cour à la p. 355 de l'arrêt Big M Drug Mart Ltd.

B) Origines ou objets d'ordre religieux?

57. Dans l'arrêt Lieberman v. The Queen, le juge Ritchie dit, à la p. 648:

[TRADUCTION] On ne doit pas présumer à la légère qu'une partie du règlement vise un objet échappant à la compétence législative de l'autorité qui l'adopte et je ne crois pas que l'inclusion du dimanche dans les heures de fermeture de ces commerces ait nécessairement une importance quelconque sur le plan moral ou religieux.

L'avocat de l'appelant a attiré notre attention sur un certain nombre d'arrêts de cette Cour qui portent que les lois provinciales qui visent à assurer l'observance de jours d'obligation religieuse sont ultra vires, mais, dans chaque cas, la loi en cause comportait elle‑même une preuve manifeste qu'elle était conçue pour cette fin.

Deux principes distincts peuvent être dégagés de ces observations. Premièrement, la présomption de constitutionnalité s'applique dans le cas des lois de fermeture le dimanche; les tribunaux ne sauteront pas facilement à la conclusion qu'une telle loi est une tentative déguisée d'assurer ou d'encourager l'observance religieuse. Deuxièmement, le traitement distinctif que réserve la loi à un jour, comme le dimanche, qui revêt une importance religieuse particulière n'oblige pas invariablement à la qualifier comme étant de nature religieuse. C'est sur ce second point que je veux maintenant m'arrêter.

58. Il ne fait pas de doute que, historiquement, certains jours comme le dimanche, Noël et Pâques ont été célébrés comme jours fériés au Canada pour des raisons religieuses. La célébration de ces jours fériés s'est perpétuée jusqu'à nos jours en partie à cause de la poursuite, quoique réduite, de l'observance religieuse par les plus grandes confessions de la foi chrétienne, en partie par contrainte légale en vertu notamment de la Loi sur le dimanche qui est maintenant inconstitutionnelle, et en partie à cause de l'effet combiné de l'inertie sociale et du besoin ressenti par la population de bénéficier de certains jours où l'on n'a pas à aller au travail ni à l'école et que l'on peut passer en famille, avec des amis et d'autres membres de la collectivité. Ce sont là, à mon avis, les faits sociaux qui expliquent le choix par les individus, les commerces, les commissions scolaires, etc., de certains jours comme jours de congé.

59. Toutefois, il est important de garder à l'esprit que la Cour n'est pas appelée à caractériser les origines historiques ni même la cause constante du choix par des membres de la collectivité de certains jours de congé. Le faire reviendrait à caractériser des faits sociaux plutôt que la loi attaquée. Donc, la question qui se pose dans les présentes espèces ne saurait être réduite à un exercice, mathématique consistant à calculer le nombre de jours fériés prescrits par la Loi qui ont une origine religieuse. Notre société est collectivement dans l'impossibilité de répudier son histoire, y compris l'héritage chrétien de la majorité. À cet égard, mon opinion est renforcée par les propos du juge en chef Warren, qui a rédigé l'arrêt majoritaire de la Cour suprême des États‑Unis dans l'affaire McGowan v. Maryland, 366 U.S. 420 (1961), à la p. 445:

[TRADUCTION] Dire que les États ne peuvent édicter que le dimanche sera un jour de repos pour ces fins, uniquement parce qu'il y a des siècles de telles lois tiraient leur origine de la religion, reviendrait à donner une interprétation constitutionnelle hostile au bien‑être de la population plutôt que simplement respectueuse de la séparation de l'église et de l'état.

60. À mon avis, le juge Hall, qui a écrit pour la majorité l'arrêt de la Cour d'appel du Manitoba, a correctement énoncé et appliqué la règle de droit dans l'affaire R. v. Tamarac Foods Ltd. (1978), 96 D.L.R. (3d) 678 (C.A. Man.), à la p. 682, où on prétendait que la Retail Businesses Holiday Closing Act, S.M. 1977, chap. 26, C.C.S.M., chap. R120, du Manitoba, excédait la compétence de la province:

[TRADUCTION] Donc, la question qui émerge est de savoir si l'on peut dire que la loi attaquée a véritablement pour objet, but et nature, la prévention de la profanation du dimanche ou des autres fêtes ayant une importance sur le plan religieux, ou si elle est destinée à accorder des jours de congé à certaines personnes qui travaillent dans certains commerces de détail.

L'examen de la Loi elle‑même et l'exposé conjoint des faits ne révèlent pas que son objet ou l'intention du législateur a été d'empêcher la profanation du sabbat ou d'autres fêtes ayant une importance sur le plan religieux. Au contraire, le titre de ce texte législatif et ses dispositions de fond montrent que le législateur souhaitait et voulait prévoir des congés pour certaines personnes qui travaillent dans certains commerces de détail. Le fait que le dimanche et certains autres jours ayant une importance sur le plan religieux soient inclus dans la définition de "jour férié" est accessoire à l'objet principal de la Loi et ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu'elle vise à prévenir la profanation du sabbat ou d'autres jours de fête ayant une importance religieuse et qu'elle excède donc la compétence législative provinciale.

61. Ce qu'il faut déterminer dans les présents pourvois c'est si la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail a pour objet d'accorder aux salariés de ce secteur des congés qui soient les mêmes que ceux dont jouissent les autres membres de la collectivité, ou si elle constitue une tentative déguisée, dans un texte soigneusement rédigé, de promouvoir l'observance religieuse de groupes religieux historiquement dominants ou de lui accorder la préférence.

C) L'objet de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail

62. Je suis d'accord avec le juge Tarnopolsky pour dire que la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail a été adoptée dans l'intention d'accorder des jours de congé uniformes aux salariés du commerce de détail. Je suis incapable de conclure que la Loi constitue une tentative subreptice d'encourager le culte. Le titre et le texte de la Loi, les débats de l'Assemblée législative et le Report on Sunday Observance Legislation (1970), de la Commission de réforme du droit de l'Ontario, font tous ressortir les objets d'ordre laïque qui sous‑tendent la Loi.

63. La Loi inclut dans ses "jours fériés" la fête de la Reine, la fête du Canada et la fête du Travail. Ce sont là des fêtes civiles et je ne suis nullement disposé à croire qu'elles ont été incluses afin de cacher un objet religieux. J'ai déjà fait observer que la Loi, contrairement au projet de loi soumis à la Cour dans le renvoi In re Legislation Respecting Abstention from Labour on Sunday, exempte les commerces de divertissement. Une telle exemption est incompatible avec la conception religieuse traditionnelle de la façon dont on doit se conduire le dimanche. La variété des autres exemptions, comme celles relatives aux petits commerces et au tourisme, donne aussi à entendre que ce sont des valeurs d'ordre laïque et non religieux qui ont poussé à légiférer.

64. Les débats de l'Assemblée législative de l'Ontario, Première session de la Trentième législature, 6 novembre 1975, à la p. 330, font état des observations suivantes du solliciteur général de l'époque, Me MacBeth:

[TRADUCTION] Plutôt que d'adopter le point de vue de la Loi du dimanche initiale de 1906—c'était une loi fédérale et elle adoptait un point de vue religieux—la Commission de réforme du droit a proposé d'adopter un point de vue laïque et c'est ce point de vue, bien sûr, qui est enchâssé dans notre loi. L'objet de la Loi est de permettre à autant de gens que raisonnablement possible de jouir d'un jour de repos commun.

65. La référence que fait Me MacBeth à la Commission de réforme du droit vise le Report on Sunday Observance Legislation, un projet entrepris par la Commission (alors composée de Me H. Allan Leal, c.r., président, de l'honorable James C. McRuer, de l'honorable Richard A. Bell, c.r., de Me W. Gibson Gray, c.r., et de Me William R. Poole, c.r.) à la demande du ministre de la Justice et procureur général de l'Ontario. Vu la correspondance qui existe entre les recommandations du Rapport et les dispositions de la Loi, particulièrement au sujet des commerces qui devraient être exemptés de son application, je conviens que le Rapport traduit fidèlement les objets de la Loi.

66. Le Rapport recommande, aux pp. 265 à 268, l'adoption d'un jour de repos hebdomadaire uniforme en Ontario. Parmi les facteurs qui ont amené la Commission à préconiser des jours de congé uniformes ou communs, il y a (i) les problèmes de coordination des congés au sein de la famille et avec les amis dans le cas d'un système d'étalement des congés (surtout pour les familles qui comptent des enfants d'âge scolaire), (ii) la difficulté d'organiser des manifestations collectives sous un autre régime et (iii) la préférence, manifestée par la plupart des gens, pour les congés en famille, avec des amis ou encore en groupe.

67. Le Rapport aborde ensuite la question du jour de la semaine qui devrait être choisi comme jour de repos hebdomadaire. D'après ses auteurs, le choix du samedi ferait fi de la tradition selon laquelle le samedi en est venu à être considéré comme jour de marché ou de magasinage. Le Rapport conclut que le dimanche constitue le meilleur choix, mais pour des motifs d'ordre laïque:

[TRADUCTION] Le dimanche en tant que jour d'observance religieuse en Ontario semble perdre de son importance si l'on se fie à l'assistance à l'église et à l'enseignement religieux donné ce jour‑là. Mais cela ne signifie pas que le dimanche perd de son importance en tant que jour de repos—caractérisé par un haut degré d'interaction sociale et de loisirs en famille et avec des amis. En vérité, notre recherche en matière de comportement révèle que le dimanche en Ontario en 1970 possède ces dernières caractéristiques à un très haut degré, certainement beaucoup plus que tout autre jour de la semaine. Nous considérons donc le dimanche comme jour que le gouvernement doit choisir s'il veut promouvoir ces caractéristiques. [aux pp. 268 et 269]

...

Il n'existe que fort peu de pays dans le monde où le dimanche n'a pas été choisi par voie législative comme jour de repos uniforme. Et pourtant un grand nombre de ces pays ne sauraient guère qualifier leur loi de "chrétienne" ou de "religieuse" par nature. L'U.R.S.S., par exemple, a établi le dimanche comme jour de repos (ou "jour de congé") par un édit du Praesidium du Soviet suprême en 1940. Nous nous sommes laissés dire par l'ambassadeur du Canada à Moscou que le dimanche est officiellement un jour de repos, de détente, d'éducation culturelle, d'amusement et d'activités politiques. La loi fondamentale du travail de la République socialiste populaire fédérative de Yougoslavie reconnaît le dimanche comme jour de repos, sous réserve de la réglementation municipale, et les violations des ordonnances municipales relatives au travail le dimanche peuvent entraîner des amendes. Même au Japon, un pays où le christianisme n'a jamais été qu'une religion minoritaire, il y a trois règlements gouvernementaux distincts qui prescrivent le dimanche comme jour de repos; le premier, promulgué en 1876, concerne les fonctionnaires, le second, promulgué en 1922, porte sur les heures d'ouverture des organismes gouvernementaux, et le troisième, promulgué en 1949, concerne le règlement de 1922 et ajoute que les employés doivent être de service tous les jours sauf les jours de fête et le dimanche. L'ambassadeur du Canada au Japon nous a informés que le dimanche n'y est pas un jour de travail, sauf pour ceux qui travaillent dans des entreprises de services et des commerces de détail, mais ce n'est pas là non plus un jour d'observance religieuse.

Bref, il existe dans le monde suffisamment de précédents qui permettent au législateur de choisir le dimanche comme jour de repos uniforme pour des fins laïques plutôt que religieuses. Pour les raisons qui viennent d'être données, nous proposons que cette pratique soit suivie en Ontario. [aux pp. 269 et 270]

68. Le Rapport reconnaît, à la p. 269, que le choix du dimanche comme jour de repos aurait pour effet secondaire de profiter à une minorité sub‑ stantielle de la population qui va à l'église le dimanche. Je suis convaincu cependant que la reconnaissance des effets religieux d'un jour de repos le dimanche constitue précisément une reconnaissance sincère des effets plutôt que l'expression d'un objet caché.

69. On a fait remarquer au cours des débats que la Commission de réforme du droit a proposé une loi d'application générale, alors que la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, comme l'indique son titre, est limitée au commerce de détail. À mon avis, le fait que la Loi ait une portée plus étroite traduit non pas un rejet du Rapport mais plutôt une décision de s'occuper d'un domaine d'intérêt spécial. Aux pages 294 et 295, le Rapport décrit le commerce de détail comme un secteur particulièrement sensible aux pressions de la concurrence et, donc, moins susceptible qu'un autre secteur d'accorder un jour de repos uniforme en l'absence de sanction législative. Il décrit aussi les salariés de ce secteur comme particulièrement vulnérables, moins de dix pour cent d'entre eux étant syndiqués. À la page 295, le Rapport résume ainsi la nécessité particulière d'avoir une réglementation du commerce de détail:

[TRADUCTION] Tout cela fait ressortir notre souci majeur: la plupart des salariés du commerce de détail, en l'absence de réglementation du dimanche, n'auraient pas vraiment la liberté de choisir de travailler ou non. Dans bien des cas, ils feraient l'objet de pressions économiques subtiles les forçant au travail, particulièrement dans les grands établissements où la résistance des salariés à la décision d'ouvrir prise par la direction serait contournée par le simple remplacement des opposants. Il s'agit là non pas d'une critique des grands ensembles économiques dans le commerce de détail, mais la reconnaissance du pouvoir potentiel qu'ils peuvent exercer en la matière.

70. La décision de l'Assemblée législative ontarienne d'appliquer les recommandations de la Commission de réforme du droit uniquement au secteur du commerce de détail ne suscite donc chez moi aucun doute quant à la validité de ses visées.

D) L'exemption relative au samedi

71. Un autre écart apparent entre le Report on Sunday Observance Legislation et la Loi est l'inclusion du par. 3(4) dans cette dernière. Le paragraphe prévoit une exemption limitée pour les détaillants qui ferment leur commerce pendant vingt‑quatre heures consécutives entre 16 h le vendredi après‑midi et minuit le samedi. Comme nous l'avons vu, l'exemption est limitée en ce qu'elle autorise le détaillant à avoir au plus sept salariés ou 5 000 pieds carrés de superficie pour servir le public, en tout temps le dimanche suivant.

72. Le chapitre 16 du Rapport recommande le rejet d'une exemption religieuse ou "sabbatique", que la Commission définit, à la p. 350, comme une exemption [TRADUCTION] "pour ceux et celles qui observent consciencieusement le samedi ou quelque autre jour comme leur jour de repos religieux ... pourvu qu'ils ferment le samedi ou pendant cet autre jour de repos religieux". Parmi les raisons avancées pour s'opposer à la création d'une telle exemption, on affirme ceci: (i) l'exemption serait incompatible avec les objectifs laïques de la loi, (ii) elle mettrait en péril la constitutionnalité du programme, et (iii) elle engendrerait des difficultés pratiques sur les plans de son administration et de sa mise à exécution. Parmi les difficultés anticipées, il y aurait le caractère non souhaitable d'une enquête effectuée par l'état sur la sincérité des croyances religieuses d'un individu et aussi la difficulté d'assurer une perturbation minimale de l'uniformité des jours de repos. Le Rapport exprime aussi la crainte que la protection de la liberté de religion des travailleurs exige que toute exemption sabbatique comporte une réserve exigeant que les détaillants qui observent le sabbat n'emploient que des coreligionnaires le dimanche, et qu'une telle disposition n'enfreigne The Ontario Human Rights Code, S.O. 1961‑62, chap. 93. Aux pages 352 et 353, le Rapport contient certains passages, analysés plus loin, du jugement du juge en chef Warren dans l'affaire Braunfeld v. Brown, 366 U.S. 599 (1961), aux pp. 608 et 609, et du jugement du juge Frankfurter dans l'affaire McGowan v. Maryland, aux pp. 515 et 516, dans lesquels ces craintes sont exprimées.

73. L'exemption du par. 3(4) n'est pas une exemption du genre de celle examinée et rejetée par la Commission de réforme du droit. Les détaillants, de quelque religion qu'ils soient, peuvent s'en prévaloir; elle évite ainsi cette saveur de religion que le Rapport jugeait indésirable. Aucune enquête de l'état sur les croyances religieuses n'est nécessaire. La Loi atténue l'effet perturbateur de l'exemption en limitant la taille des établissements qui peuvent ouvrir le dimanche au lieu de mettre en application une règle généralement peu souhaitable, et peut‑être même illégale, prescrivant l'embauche de coreligionnaires. À plusieurs égards donc, l'exemption du par. 3(4) est conforme à l'esprit du Rapport.

74. On a beaucoup débattu les motifs qui ont poussé le législateur à adopter le par. 3(4), jusqu'à ce que Me Robinette attire notre attention sur les débats de l'Assemblée législative de l'Ontario du 17 décembre 1975. Les débats montrent clairement que l'exemption est le fruit de préoccupations au sujet de l'effet de la Loi sur les gens qui observent le samedi. Un député, par exemple, affirme ceci, à la p. 1872:

[TRADUCTION] M. Samis: Nous appuierons cet amendement malgré cette étrange anomalie qui fait que nous parlons de religion ici. Nous savons tous que l'article en cause traite uniquement de religion; mais les savants juristes nous disent, semble‑t‑il, que l'inclusion du mot "religion" mettrait en péril la constitutionnalité de ce projet de loi. Plutôt que de donner un surcroît de travail aux savants juristes de l'Ontario et ainsi d'entraver le cours de la justice, nous appuierons l'amendement.

D'autres députés ont aussi reconnu que l'exemption avait pour origine des intérêts religieux. Quoi qu'il en soit, l'objet religieux de l'exemption est clairement révélé par le fait que son application coïncide avec un sabbat qui débute au coucher du soleil le vendredi soir.

75. Dans l'arrêt Walter v. Attorney General of Alberta, [1969] R.C.S. 383, la Cour était, en confirmant la validité d'une loi provinciale, disposée à présumer, sans toutefois en décider, que le législateur fédéral avait une compétence exclusive pour légiférer en matière de religion ou de liberté religieuse. Dans l'arrêt Saumur v. City of Quebec, [1953] 2 R.C.S. 299, à la p. 387, le juge Cartwright, à l'avis duquel le juge Fauteux a souscrit, a formulé une présomption semblable là encore, en confirmant la validité d'un texte législatif provincial. Parmi les autres juges dans l'arrêt Saumur, trois (le juge en chef Rinfret et les juges Taschereau et Kerwin) ont conclu que la liberté de religion était un droit civil au sens du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, tandis que quatre (les juges Rand, Kellock, Estey et Locke) se sont dits d'avis que la province n'avait pas compétence pour adopter un texte législatif restreignant la liberté religieuse. Il n'est jamais arrivé que cette Cour à la majorité décide que le Parlement (ou en fait le législateur provincial) jouit d'une compétence exclusive en matière de religion ou de liberté religieuse. Cette question n'a pas encore été tranchée.

76. Il y a sans doute des questions d'ordre religieux qui relèvent de la compétence exclusive du Parlement fédéral, plus particulièrement les interdictions de profaner le sabbat. Toutefois, comme je l'ai déjà fait observer, la qualification des lois relatives à l'observance du sabbat comme étant du droit criminel découle non pas d'un lien général ou inhérent entre la religion et le droit criminel, mais de l'historique de l'infraction criminelle même qui consiste à profaner le sabbat. À mon avis, il existe des questions d'ordre religieux qui doivent de la même manière relever de la compétence des provinces. Le paragraphe 92(12) attribue expressément aux législatures provinciales le pouvoir de légiférer en matière de célébration des mariages, une catégorie de sujets qui a des dimensions religieuses traditionnelles ou historiques importantes. L'article 93 impose des restrictions à la compétence provinciale relativement aux écoles confessionnelles, lesquelles restrictions seraient inutiles si la religion, dans son ensemble, était en dehors de la compétence des provinces. Il semblerait donc que la Constitution n'envisage pas la religion comme une "matière" constitutionnelle distincte qui relève exclusivement d'une catégorie fédérale ou provinciale de sujets. Une loi portant sur la religion ou la liberté religieuse devrait, à mon sens, être qualifiée en fonction de son contexte, selon la question religieuse particulière qu'elle vise.

77. Un tel point de vue est appuyé par l'arrêt récent de cette Cour Scowby c. Glendinning, [1986] 2 R.C.S. 226. Le juge Estey, s'exprimant au nom de la Cour à la majorité, fait observer, à la p. 233, que l'expression "droits de la personne", sans plus, ne constitue pas un programme isolé qui relève d'une seule catégorie de sujets aux art. 91 et 92. Les dispositions provinciales en matière de droits de la personne doivent être évaluées en fonction de leur contexte et en appliquant les critères suivants:

Dans [chaque affaire], la question essentielle est de savoir si la loi provinciale est valide comme se rapportant à la propriété et aux droits civils ou à quelque autre rubrique de l'art. 92, ou si elle traite d'une manière inacceptable de matières qui relèvent d'un chef de compétence législative exclusive au Parlement fédéral. Si le fondement de la loi sur les droits de la personne qui est contestée relève du pur droit criminel, et non d'un objectif législatif provincial régulier, il outrepasse les pouvoirs de la législature provinciale. [à la p. 236]

78. Si on applique les principes susmentionnés aux présents pourvois, j'estime qu'il est alors loisible à une législature provinciale de tenter de neutraliser ou de minimiser les effets préjudiciables qu'a une mesure législative par ailleurs valide sur des droits de la personne comme la liberté de religion. Le paragraphe 3(4) de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail ne fait que supprimer une obligation imposée ailleurs dans la Loi. Le paragraphe 3(4) ne peut être séparé de son contexte dans une loi provinciale valide portant sur la propriété et les droits civils: une exemption doit s'interpréter en fonction de la disposition affirmative à laquelle elle se rapporte. Je pourrais ajouter que ce serait, en réalité, un résultat bien étrange si c'était le législateur fédéral et non le législateur provincial qui avait compétence pour créer des exemptions à l'application d'une loi provinciale motivée par des intérêts religieux ou autres. En conséquence, j'estime que ni la Loi ni l'exemption n'excèdent la compétence de la province.

79. Par conséquent, je suis d'accord avec la Cour d'appel de l'Ontario pour dire que la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail relève de la compétence législative que possède la province en vertu de l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. La première question constitutionnelle doit donc recevoir une réponse affirmative.

VI

La liberté de conscience et de religion garantie par l'al. 2a)

80. La liberté de conscience et de religion garantie par la Constitution se trouve à l'al. 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui porte:

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:

a) liberté de conscience et de religion;

L'article 27 est utile pour ce qui est d'interpréter la disposition susmentionnée:

27. Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.

81. Ce que je viens de dire au sujet de l'objet de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail et de la distinction entre les origines historiques et les objets d'une loi s'applique autant à la Charte qu'au partage des compétences. La Loi a un objet laïque qui ne contrevient pas à la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte.

82. Aux pages 331 à 334 de l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., la Cour conclut que l'objet et l'effet d'une loi sont tous les deux importants pour déterminer sa constitutionnalité. Même si une loi a un objet régulier, il est encore possible à un justiciable de faire valoir que, de par ses effets, elle porte atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte. Il sera donc nécessaire d'examiner assez en détail les répercussions de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail. Avant de ce faire cependant, il convient d'énoncer les principes constitutionnels applicables.

A) La protection constitutionnelle contre les fardeaux imposés par l'état relativement aux pratiques religieuses et à l'inobservance religieuse

83. Dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., la Cour a eu l'occasion d'étudier la jurisprudence canadienne antérieure à la Charte, ainsi que certaines décisions américaines concernant la constitutionnalité de lois de fermeture le dimanche. Je tiens à éviter de reprendre l'ensemble de ce qui a été dit dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., mais un certain examen renouvelé de la jurisprudence et des questions particulièrement apparentées aux différentes considérations en cause dans les présents pourvois sera, je l'espère, utile.

84. Le seul arrêt canadien auquel je souhaite me référer est Robertson and Rosetanni. On a prétendu dans cette affaire que la Loi sur le dimanche était incompatible avec l'al. 1c) de la Déclaration canadienne des droits et, par voie de conséquence, inopérante. Les juges formant la majorité dans l'arrêt Robertson and Rosetanni ont étudié les effets de la Loi sur le dimanche sur la liberté de culte pour conclure qu'ils étaient de nature purement laïque. Aux pages 657 et 658, le juge Ritchie écrit:

[TRADUCTION] ...je ne puis rien trouver dans cette Loi qui porte atteinte à la liberté de croyance et de pratique religieuse d'aucun citoyen de ce pays. Ni la libre profession de la foi religieuse ni sa propagation ne sont d'aucune manière entravées.

Pour ceux à qui leur religion impose l'observance d'un jour de repos autre que le dimanche, l'effet pratique de cette Loi est purement séculier et financier du fait qu'ils sont obligés de s'abstenir de travailler ou de faire des affaires le dimanche aussi bien que le jour de repos qu'ils observent. En certains cas, c'est sans doute un inconvénient dans les affaires, mais il n'y a ni suppression, ni diminution, ni transgression de la liberté de religion...

Comme ce point n'est pas débattu davantage, on ne peut que déduire que la conclusion du juge Ritchie à cet égard est fondée sur le caractère indirect des effets de l'obligation de fermer le dimanche sur la pratique religieuse des détaillants qui observent le samedi.

85. La jurisprudence américaine particulièrement utile aux fins des présents pourvois consiste en quatre arrêts, rendus simultanément en 1961 par la Cour suprême des États‑Unis et portant sur la constitutionnalité de lois de fermeture le dimanche. J'ai déjà mentionné les arrêts McGowan v. Maryland et Braunfeld v. Brown. Voici les autres: Two Guys from Harrison‑Allentown, Inc. v. McGinley, 366 U.S. 582 (1961), et Gallagher v. Crown Kosher Super Market of Massachusetts, Inc., 366 U.S. 617 (1961). En examinant ces arrêts, il est important de garder à l'esprit les différences qu'il y a entre les constitutions canadienne et américaine, non seulement en ce qui concerne le texte des dispositions relatives à la religion, mais aussi sur le plan de l'absence dans le document américain d'une disposition comparable à l'article premier de la Charte canadienne. On a fait valoir, dans ces affaires, que les diverses lois des États prescrivant la fermeture le dimanche enfreignaient la "clause de non‑établissement" et la "clause du libre exercice" d'une religion du Premier amendement de la Constitution américaine, dont la partie qui nous intéresse se lit ainsi:

[TRADUCTION] Le Congrès ne fera aucune loi relativement à l'établissement d'une religion ou en interdisant le libre exercice ...

Dans chaque cas, la Cour a rejeté à la majorité toutes ces attaques malgré le fait que les lois qui étaient en cause, à la différence de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, avaient indubitablement pour but, à l'époque de leur adoption, de rendre obligatoire l'observance du dimanche au sens religieux et qu'elles avaient même conservé certaines mentions du "jour du Seigneur" et, dans certains cas, de la "profanation du sabbat".

86. Dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., la Cour a souligné le recours par les juges formant la majorité de la Cour suprême des États‑Unis à la notion de [TRADUCTION] "l'objet changeant d'une loi", selon laquelle l'objet visé par ces lois était considéré comme ayant passé d'un intérêt religieux à un intérêt laïque. Les juges formant la majorité de la Cour suprême des États‑Unis ont ainsi décliné toute attaque contre la loi fondée sur la "clause de non‑établissement", qui interdit tout parrainage d'une religion par l'état. Cette Cour a refusé de transposer la théorie de "l'objet changeant" dans la jurisprudence canadienne et a donc jugé, dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., que l'objet de la Loi sur le dimanche allait à l'encontre du droit de ne pas être tenu de se conformer à des dogmes religieux.

87. Dans les présents pourvois cependant, l'analyse par la Cour suprême des États‑Unis de la "clause du libre exercice" du Premier amendement revêt un intérêt particulier. Dans l'arrêt Braunfeld v. Brown, les appelants étaient des détaillants juifs orthodoxes. Ils soutenaient qu'une loi de la Pennsylvanie, qui interdisait la vente au détail le dimanche et qui ne comportait aucune exemption destinée à mitiger ses effets religieux préjudiciables, les forçait à renoncer à leur sabbat ou à subir une perte économique importante, au profit de leurs concurrents qui n'observaient pas le sabbat.

88. Le juge en chef Warren, qui s'est exprimé en son propre nom et en celui de trois autres juges, a estimé que la loi avait pour effet [TRADUCTION] "de rendre la mise en pratique de leurs croyances religieuses plus onéreuse": à la p. 605. Tous les autres juges se sont dits d'accord avec cette conclusion. Toutefois, selon les juges formant la majorité, il ne s'ensuivait pas nécessairement que ces lois étaient inconstitutionnelles. Le Juge en chef affirme, aux pp. 606 et 607:

[TRADUCTION] Si une loi a pour objet ou pour effet d'entraver la pratique de quelque religion que ce soit, ou de faire des distinctions injustes entre les religions, cette loi est inconstitutionnelle même si l'entrave en question peut être qualifiée de purement indirecte. Mais, si l'état réglemente la conduite des gens par l'adoption d'une loi de portée générale relevant de sa compétence, qui a pour objet et pour effet de promouvoir les objectifs laïques de l'état, cette loi est valide même si elle entrave indirectement l'observance religieuse, à moins que l'état ne puisse réaliser son objet par des moyens qui ne comportent pas une telle entrave.

89. En appliquant ce critère, le Juge en chef a confirmé la validité de l'objectif qui consiste à prescrire un jour de repos général et a évalué les moyens subsidiaires par lesquels les objectifs de l'état pourraient être atteints sans l'imposition d'une telle entrave. Aucune des solutions de rechange ne l'ayant satisfait, y compris la possibilité d'une exemption sabbatique, il a donc maintenu la loi.

90. Le juge Frankfurter a écrit une opinion distincte concordante (que l'on trouve dans l'arrêt McGowan v. Maryland) à laquelle le juge Harlan a souscrit. À la page 521, il conclut lui aussi que le fardeau imposé aux détaillants qui observent le samedi est [TRADUCTION] "accessoire au seul moyen réaliste" de réaliser l'objectif de la loi.

91. Le juge Brennan a été dissident. Selon lui, la question en litige était de savoir si l'état peut obliger un particulier à choisir entre son commerce et sa religion. Il a estimé que l'intérêt qu'a l'état à ce que tous partagent un jour de repos commun n'est pas suffisamment impérieux pour justifier cette [TRADUCTION] "restriction importante, quoique indirecte," à la liberté de religion des détaillants qui observent le sabbat en l'absence d'une exemption sabbatique: à la p. 614. Le juge Stewart a souscrit à la dissidence du juge Brennan.

92. Le juge Douglas était lui aussi dissident, mais pour un motif différent. (À l'instar du juge Frankfurter, il a écrit pour les quatre affaires une seule opinion que l'on peut trouver dans l'arrêt Maryland v. McGowan.) Il a été le seul juge à conclure que ces lois conservaient leur objet religieux initial. Il a jugé que la "clause du libre exercice" était enfreinte pour les mêmes raisons qui ont guidé cette Cour dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd. Aux pages 576 et 577, il dit:

[TRADUCTION] Il y a atteinte au "libre exercice" de la religion si ce qu'en conscience on peut faire ou ne pas faire est requis en raison des scrupules religieux de la collectivité.

Dans son jugement, il poursuit, à la p. 577, en faisant remarquer que la pénalité économique imposée à ceux qui observent le samedi accentue l'inconstitutionnalité de ces lois. Toutefois, il est très intéressant de noter que le juge Douglas se démarque de ses collègues quand il affirme que les droits consacrés par le Premier amendement sont absolus, c'est‑à‑dire non assujettis au genre d'évaluation qui est incontestablement requis au Canada en vertu de l'article premier de la Charte. Aux pages 575 et 576, il dit:

[TRADUCTION] La Cour évalue le besoin qu'ont les gens de se reposer, de se détendre, de prolonger leur sommeil, de rendre visite à leur famille, etc., et le précepte du Premier amendement selon lequel personne n'a à s'incliner devant les croyances religieuses d'un autre. Il n'y a pas de place pour l'évaluation en la matière. Je ne vois aucune place pour elle dans le schéma constitutionnel ... Toute autre interprétation introduit, je le crains, un élément fréquemment rencontré dans les autres sociétés, mais qui nous est étranger. Ainsi le Nigéria, à l'article 23 de sa Constitution, ajoute, après avoir garanti la liberté religieuse: "Rien dans cet article n'a pour effet d'invalider toute loi raisonnablement justifiée dans une société démocratique dans l'intérêt de la défense, de la sécurité publique, de l'ordre public, de la moralité publique ou de la santé publique". Voir aussi l'article 25 de la Constitution indienne.

93. En bref donc, tous les neuf juges de la Cour ont conclu que les lois de fermeture le dimanche imposaient un fardeau économique indirect aux détaillants qui observent le samedi. Six des juges ont considéré ce fardeau comme nécessairement accessoire à la réalisation d'un objectif législatif régulier. Deux des juges auraient exigé une exemption sabbatique. Le dernier juge a tenu pour décisive l'absence d'une clause des "limites raisonnables" dans la Constitution américaine. Je souscris à l'appréciation du juge Douglas portant que les juges formant la majorité étaient engagés dans un processus d'évaluation qui, dans le cas d'une constitution comme celle du Canada, peut à bon droit faire l'objet d'un examen en vertu d'une disposition justificative comme l'article premier.

94. J'en viens maintenant à l'arrêt de cette Cour Big M Drug Mart Ltd. pour ce qui est de définir la liberté de religion dont il est question dans la Charte canadienne des droits et libertés. Aux pages 336 et 337, les juges formant la majorité affirment ceci:

Une société vraiment libre peut accepter une grande diversité de croyances, de goûts, de visées, de coutumes et de normes de conduite. Une société libre vise à assurer à tous l'égalité quant à la jouissance des libertés fondamentales et j'affirme cela sans m'appuyer sur l'art. 15 de la Charte. La liberté doit sûrement reposer sur le respect de la dignité et des droits inviolables de l'être humain. Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d'empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. Toutefois, ce concept signifie beaucoup plus que cela.

La liberté peut se caractériser essentiellement par l'absence de coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par l'état ou par la volonté d'autrui à une condition que, sans cela, elle n'aurait pas choisi d'adopter, cette personne n'agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu'elle est vraiment libre. L'un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte. La coercition comprend non seulement la contrainte flagrante exercée, par exemple, sous forme d'ordres directs d'agir ou de s'abstenir d'agir sous peine de sanction, mais également les formes indirectes de contrôle qui permettent de déterminer ou de restreindre les possibilités d'action d'autrui. La liberté au sens large comporte l'absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et pratiques. La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l'ordre, la santé ou les moeurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui, nul ne peut être forcé d'agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience.

(C'est moi qui souligne.)

95. La Cour était saisie, dans cette affaire, d'un ordre direct de se conformer, sous peine de sanction, à un précepte religieux particulier. Les pourvois dont nous sommes saisis en l'espèce mettent en cause, prétend‑on, deux formes de coercition. Premièrement, on fait valoir que la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail rend plus onéreuse pour les détaillants et consommateurs qui observent un jour de repos hebdomadaire autre que le dimanche la mise en pratique de leurs préceptes religieux. De cette manière, dit‑on, la Loi contraint indirectement ces personnes à renoncer à la pratique d'une croyance religieuse. En second lieu, on fait valoir que la Loi a pour effet direct de forcer les incroyants à se conformer au dogme religieux de la majorité, en obligeant les détaillants à fermer leurs magasins le dimanche.

96. La première question est de savoir si les entraves indirectes à la pratique religieuse sont prohibées en vertu de la liberté de religion garantie par la Constitution. À mon avis, la coercition indirecte par l'état fait partie des maux contre lesquels l'al. 2a) peut accorder une protection. La Cour est allée jusque là dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd. et toute interprétation plus restrictive serait, à mon avis, incompatible avec l'obligation qui incombe à la Cour, en vertu de l'art. 27, de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens. Bien que la Cour paraisse être arrivée à une conclusion différente dans l'arrêt Robertson and Rosetanni quant à la protection qu'offre la Déclaration canadienne des droits, je suis d'avis de suivre l'arrêt Big M Drug Mart Ltd. et de refuser d'être lié par une jurisprudence qui interprète un instrument qui n'a pour objet que de réaffirmer des droits et libertés préexistants. Je crois qu'il est sans importance que la coercition soit directe ou indirecte, délibérée ou involontaire, prévisible ou imprévisible. Toute entrave coercitive à l'exercice de croyances religieuses relève potentiellement de l'al. 2a).

97. Cela ne veut pas dire cependant que toute entrave à certaines pratiques religieuses porte atteinte à la liberté de religion garantie par la Constitution. Cela signifie uniquement qu'une entrave indirecte ou involontaire ne sera pas, de ce seul fait, considérée comme non assujettie à la protection de la Charte. L'alinéa 2a) n'exige pas que les législatures éliminent tout coût, si infime soit‑il, imposé par l'état relativement à la pratique d'une religion. Autrement, la Charte offrirait une protection contre une mesure législative laïque aussi inoffensive qu'une loi fiscale qui imposerait une taxe de vente modeste sur tous les produits, y compris ceux dont on se sert pour le culte religieux. À mon avis, il n'est pas nécessaire d'invoquer l'article premier pour justifier une telle mesure législative. L'alinéa 2a) a pour objet d'assurer que la société ne s'ingérera pas dans les croyances intimes profondes qui régissent la perception qu'on a de soi, de l'humanité, de la nature et, dans certains cas, d'un être supérieur ou différent. Ces croyances, à leur tour, régissent notre comportement et nos pratiques. La Constitution ne protège les particuliers et les groupes que dans la mesure où des croyances ou un comportement d'ordre religieux pourraient être raisonnablement ou véritablement menacés. Pour qu'un fardeau ou un coût imposé par l'état soit interdit par l'al. 2a), il doit être susceptible de porter atteinte à une croyance ou pratique religieuse. Bref, l'action législative ou administrative qui accroît le coût de la pratique ou de quelque autre manifestation des croyances religieuses n'est pas interdite si le fardeau ainsi imposé est négligeable ou insignifiant: voir à ce sujet l'arrêt R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, le juge Wilson, à la p. 314.

98. Je me propose brièvement d'appliquer les principes susmentionnés à la loi soumise à notre examen. Toutefois, je tiens d'abord à examiner la seconde forme de coercition religieuse qui découlerait de la Loi. Elle est d'une nature entièrement différente puisqu'elle met en cause non pas la liberté affirmative de mettre en pratique ses croyances religieuses, mais plutôt la liberté de s'abstenir de se conformer aux pratiques religieuses d'autrui. La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail empêche certains détaillants de vendre leurs produits le dimanche. Longo Brothers fait valoir que ces effets sont identiques à ceux qui découlent de toute autre forme de législation de fermeture le dimanche, y compris la Loi sur le dimanche, aussi prétend‑elle que la Loi oblige de ce fait les détaillants à se conformer aux pratiques religieuses des sectes chrétiennes dominantes.

99. Dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., la Cour a reconnu que la liberté de conscience et de religion comprend la liberté d'expression et de manifestation d'incroyance religieuse et la liberté de refuser d'observer les pratiques religieuses: à la p. 347. Ces libertés, qu'on peut globalement qualifier de liberté de ne pas se conformer à des dogmes religieux, sont régies par des considérations quelque peu différentes de celle qu'est la liberté de manifester ses propres croyances religieuses. La liberté religieuse est inévitablement diminuée par une loi qui a pour effet d'entraver une conduite qui fait partie intégrante de la pratique de la religion d'une personne. Mais elle n'est pas nécessairement diminuée par une loi qui prescrit une conduite conforme aux croyances religieuses d'une autre personne. On n'est pas forcé de s'adonner à la pratique religieuse simplement parce qu'une obligation légale coïncide avec les préceptes d'une religion particulière. Je ne puis accepter par exemple que la prohibition légale d'une conduite criminelle, comme le vol et le meurtre, constitue une contrainte exercée par l'état de respecter certaines pratiques religieuses simplement parce que certaines religions interdisent à leurs fidèles de voler ou de tuer. Les citoyens raisonnables ne considèrent pas qu'une telle loi les oblige à rendre hommage à une doctrine religieuse. Comme l'affirme le juge Tarnopolsky à la p. 422:

[TRADUCTION] Si la liberté de conscience inclut nécessairement le droit de ne pas fonder son comportement sur la religion, il ne s'ensuit pas qu'on puisse invoquer la protection accordée par la Charte à la liberté de conscience pour s'opposer à un jour de congé obligatoire, simplement parce qu'il se trouve à coïncider avec le sabbat de quelqu'un d'autre.

100. Dans l'arrêt de cette Cour Big M Drug Mart Ltd., les juges formant la majorité prennent soin, dans leur définition de la liberté de ne pas se conformer à des dogmes religieux, de restreindre son applicabilité aux cas où la loi attaquée a été motivée par un objet religieux:

Une majorité religieuse, ou l'état à sa demande, ne peut, pour des motifs religieux, imposer sa propre conception de ce qui est bon et vrai aux citoyens qui ne partagent pas le même point de vue. [à la p. 337]

Si je suis juif, sabbataire ou musulman, la pratique de ma religion implique à tout le moins le droit de travailler le dimanche si je le veux. Il me semble que toute loi ayant un objet purement religieux qui me prive de ce droit doit sûrement porter atteinte à ma liberté de religion. [à la p. 338]

Aux fins de la présente espèce, il me paraît suffisant d'affirmer que, quels que soient les autres sens que peut avoir la liberté de conscience et de religion, elle doit à tout le moins signifier ceci: le gouvernement ne peut, dans un but sectaire, contraindre des personnes à professer une foi religieuse ou à pratiquer une religion en particulier. [à la p. 347]

À mon avis, la garantie de la liberté de conscience et de religion empêche le gouvernement d'obliger certaines personnes à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir des actes par ailleurs irrépréhensibles simplement à cause de l'importance sur le plan religieux que leur attribuent d'autres personnes. [à la p. 350]

(C'est moi qui souligne.)

101. À mon avis, une loi d'inspiration laïque ne porte pas atteinte à la liberté de ne pas se conformer à des dogmes religieux simplement parce que certaines de ses dispositions coïncident avec les préceptes d'une religion. Je ne me prononce pas cependant sur la possibilité qu'une telle loi puisse limiter la liberté de conscience et de religion de ceux dont le comportement est régi par l'intention d'exprimer ou de manifester leur inobservance d'une doctrine religieuse. Aucun des commerces de détail en cause dans les présents pourvois n'a démontré qu'il était ouvert le dimanche dans quelque autre but que de faire de l'argent. Par conséquent, aucun fondement probatoire ne justifie la prétention de certains de ces détaillants qu'il y a eu atteinte à leur liberté de ne pas se conformer à une doctrine religieuse. On n'a pas démontré, dans les présents pourvois, l'existence de la seconde forme de coercition qui découlerait de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail.

102. Il ne reste donc qu'à examiner les répercussions de la Loi pour voir si elle empiète sensiblement sur la liberté de manifester ou de mettre en pratique des croyances religieuses.

B) Les répercussions de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail

103. La Loi a des répercussions différentes sur les personnes qui ont des croyances religieuses différentes. Quatre catégories de personnes pourraient être touchées d'une manière différente: celles qui n'observent aucun jour de repos religieux, celles qui observent le dimanche, celles qui observent le samedi et celles qui observent un autre jour de la semaine.

104. (i) Les personnes qui n'observent aucun jour de repos religieux

105. Considérons d'abord les personnes qui, sur le plan de leur foi, ne souscrivent à aucune obligation de s'abstenir de travailler ou de faire des courses un jour précis de la semaine. Font partie de cette catégorie les agnostiques, les adhérents à des confessions qui ne prescrivent aucun jour de repos hebdomadaire et les personnes qui, tout en appartenant à des groupes religieux dont les enseignements peuvent inclure l'observance d'un jour de repos, ne ressentent personnellement aucune obligation morale de se conformer à ce précepte religieux particulier. Pour des motifs de commodité, j'appellerai cette catégorie disparate les "non‑pratiquants".

106. La Loi empêche les détaillants non pratiquants qui ne peuvent profiter de l'une des exemptions légales de faire des affaires le dimanche. En l'absence de la Loi, ces détaillants pourraient faire des affaires sept jours sur sept et ils jouiraient d'un avantage d'ordre concurrentiel à cet égard par rapport aux détaillants tenus par leurs croyances religieuses de fermer le samedi, le dimanche ou quelque autre jour de la semaine. Les effets préjudiciables de la Loi sur les détaillants non pratiquants ne sont pas sensiblement atténués par le par. 3(4): ils doivent toujours fermer leurs commerces une journée par semaine.

107. Toutefois, pour les raisons que j'ai exposées plus haut, les effets de la Loi sur les détaillants non pratiquants sont en général de nature laïque et ne portent pas atteinte à leur liberté de conscience ou de religion, tout au moins en l'absence d'éléments de preuve concluants que la volonté de demeurer ouvert est animée par des objectifs de dissidence religieuse plutôt que par des considérations purement commerciales.

108. (ii) Les personnes qui observent le dimanche

109. La Loi a des répercussions favorables sur les personnes qui observent le dimanche. En obligeant certains autres détaillants à s'abstenir de faire des affaires un jour qui revêt une importance religieuse particulière pour ceux qui observent le dimanche, ces derniers évitent la perte d'une partie du marché aux mains des détaillants qui auraient ouvert leurs portes le dimanche en l'absence de la Loi. L'adoption de la Loi a permis de réduire le coût que l'observance religieuse représente pour ceux qui observent le dimanche.

110. (iii) Les personnes qui observent le samedi

111. D'après certaines preuves versées au dossier, c'est un précepte religieux de la foi juive et de celle des adventistes du septième jour que de s'abstenir de travailler ou de faire des affaires le samedi. Il se peut qu'il y ait d'autres confessions qui observent aussi le samedi comme jour de repos religieux, mais pour les fins des présents pourvois, ce sont les effets sur les juifs et les adventistes du septième jour qui seront examinés.

112. Le procureur général de l'Ontario soutient que tout désavantage que peuvent subir les détaillants qui observent le samedi est une conséquence de leurs croyances religieuses et non de la Loi. Même en l'absence de la Loi, les adventistes du septième jour et les juifs dévots fermeraient le samedi. La Loi a pour effet de les obliger, comme tout le monde, sous réserve des exemptions mais indépendamment de leurs convictions religieuses, à fermer le dimanche. Il s'ensuit, fait‑on valoir, qu'il n'y a pas de lien entre la loi attaquée et la liberté de ceux qui observent le samedi de mettre en pratique leurs croyances religieuses. Le professeur Petter expose ainsi l'argument dans sa critique de l'arrêt rendu en l'espèce par la Cour d'appel de l'Ontario: "Not `Never on a Sunday': R. v. Videoflicks Ltd. et al." (1984‑85), 49 Sask. Law Rev. 96, aux pp. 98 et 99:

[TRADUCTION] Ce n'est pas la loi qui engendre le fardeau financier; c'est la religion elle‑même.

Considérons l'exemple suivant. Supposons que toute les lois de fermeture le dimanche, provinciales et fédérales, sont abrogées demain matin. L'abrogation de ces lois aurait‑elle pour effet d'éliminer le fardeau financier de ceux qui observent le vendredi ou le samedi comme jour de sabbat? Certainement pas: alors que ceux qui n'observent pas un jour de sabbat pourraient ouvrir leurs commerces sept jours sur sept, ceux qui observent le vendredi ou le samedi comme jour de sabbat ne pourraient ouvrir les leurs que six jours par semaine. Quelle est la cause de ce fardeau? Manifestement, c'est l'obligation religieuse de s'abstenir de travailler le jour du sabbat. Prétendre le contraire reviendrait à supposer que l'état a l'obligation formelle de protéger les gens contre tout préjudice économique qui pourrait résulter de leur pratique religieuse. Et pourtant, c'est là une position insoutenable, qui va même bien au‑delà de la définition générale de la liberté de religion adoptée par la Cour d'appel. Cela signifierait que même dans le cas où une seule personne pourrait démontrer que ses croyances religieuses sincères l'obligent à fermer son commerce cinq jours par semaine, l'état serait alors obligé de forcer toutes les autres à fermer également leurs portes cinq jours par semaine.

Le professeur Petter explique ensuite que la Loi n'a véritablement pour effet que de conférer un avantage à ceux qui observent le dimanche.

113. Vu les caractéristiques du secteur du commerce de détail décrit dans le Report on Sunday Observance Legislation, je me vois dans l'impossibilité de faire une distinction aussi nette entre les avantages dont bénéficient les détaillants qui observent le dimanche et les fardeaux imposés à ceux qui observent le samedi. Le Rapport parle à maintes reprises de la nature extrêmement concurrentielle du commerce de détail, qui fait qu'une augmentation des ventes que connaît un détaillant en raison de ses pratiques de mise en marché a tendance à entraîner une diminution importante des ventes d'autres détaillants. Il s'ensuit que si la Loi confère un avantage aux détaillants qui observent le dimanche par rapport aux détaillants qui observent le samedi, la Loi impose alors un fardeau à ces derniers.

114. Une comparaison attentive des effets des lois de fermeture le dimanche sur différents groupes religieux démontre clairement comment ce fardeau découle de ces lois. En l'absence d'intervention législative, la personne qui observe le samedi et celle qui observe le dimanche seraient à peu près sur un pied d'égalité lorsqu'il s'agirait pour elles de se disputer une partie du pouvoir d'achat des consommateurs. Toutes deux pourraient ouvrir leurs commerces pendant tout au plus six jours par semaine. Toutes deux seraient désavantagées par rapport aux détaillants non pratiquants qui auraient la possibilité d'ouvrir leurs portes sept jours sur sept. À cet égard cependant, elles n'auraient pas de recours en droit puisque leur désavantage découlerait exclusivement de leurs principes religieux: je suis d'accord avec le professeur Petter pour dire que l'état n'a normalement aucune obligation en vertu de l'al. 2a) de prendre des mesures positives pour éliminer les coûts normaux des pratiques religieuses. Mais, toute exemption mise à part, la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail a pour effet de placer celui qui observe le samedi dans la même situation de désavantage normal par rapport au non‑pratiquant, et d'ajouter le nouveau désavantage, purement légal, d'avoir à fermer un jour de plus par rapport à celui qui observe le dimanche. Tout comme elle rend moins coûteuse la pratique des croyances religieuses pour ceux qui observent le dimanche, la Loi a en même temps pour effet de rendre cette pratique plus onéreuse pour certains détaillants juifs et adventistes du septième jour.

115. Il ressort de l'analyse qui précède que le désavantage d'ordre concurrentiel que subissent en raison de la Loi les détaillants qui observent le samedi sans pouvoir bénéficier d'une exemption, profite aux détaillants qui observent le dimanche. Le Report on Sunday Observance Legislation décrit, à la p. 269, ceux qui vont à l'église le dimanche comme étant [TRADUCTION] "une minorité importante de la population". D'après les seuls éléments de preuve dont la Cour est saisie, je ne pense donc pas que la pression de la concurrence exercée sur les détaillants non exemptés pour qu'ils cessent d'observer le samedi comme jour de sabbat puisse être qualifiée de peu importante ou de négligeable. Il s'ensuit que leur liberté de religion est diminuée par la Loi.

116. Il importe de reconnaître cependant que ce ne sont pas tous les détaillants qui observent le samedi qui subissent un préjudice. La Loi n'est pas seulement neutre quant à ses répercussions sur les détaillants juifs et adventistes du septième jour qui peuvent, en pratique, respecter les limites quant au nombre d'employés et à la surface fixées par le par. 3(4). Elle leur profite aussi en les plaçant à peu près sur un pied d'égalité avec les détaillants non pratiquants, leurs concurrents, qui, en l'absence d'intervention législative, seraient libres de faire des affaires sept jours par semaine. Loin de créer un fardeau systématiquement discriminatoire pour tous les détaillants d'une foi particulière, la Loi a pour effet de profiter à certains tout en en désavantageant d'autres.

117. Enfin, je remarque que la Loi impose aussi un fardeau aux consommateurs qui observent le samedi. Pour les familles monoparentales ou les familles dont les deux conjoints travaillent du lundi au vendredi, la fin de semaine fournit l'occasion de faire ce qu'on n'a pas le temps de faire pendant la semaine. La Loi ne réduit pas la possibilité de ceux qui observent le dimanche de faire leurs courses ou d'obtenir certains services professionnels le samedi, mais elle la circonscrit pour ceux qui observent le samedi en imposant la fermeture des commerces le dimanche. Quoique la Cour ne soit saisie d'aucun élément de preuve au sujet de la mesure dans laquelle les possibilités de magasinage sont réduites le dimanche, je suis disposé à présumer, pour les fins des présents pourvois, que le fardeau imposé aux consommateurs qui observent le samedi est important et constitue une restriction à leur liberté religieuse. Je souligne que ce fardeau peut être particulièrement onéreux pour les consommateurs juifs qui dépendent de détaillants comme Nortown Foods Ltd. pour ce qui est d'obtenir de la nourriture conforme aux règles diététiques de leur religion quoique, ici encore, je doive faire observer qu'aucun élément de preuve n'a été offert au sujet de la mesure dans laquelle il est possible d'acheter des aliments cascher chez les petits détaillants le dimanche.

118. (iv) Les personnes qui observent un autre jour de la semaine

119. En l'absence d'une preuve forte quant à la nature de l'observance du mercredi par les hindous ou de celle du vendredi par les musulmans, je ne veux pas, et d'ailleurs je ne suis pas en mesure de le faire, évaluer les effets de la Loi sur les membres de ces groupes religieux. Le dossier ne comporte que la déposition de Bhulesh Lodhia, le détaillant hindou qui a témoigné au procès de Longo Brothers. Monsieur Lodhia a reconnu que la religion hindoue ne comporte aucun jour de sabbat, mais il a ajouté que le mercredi est considéré comme [TRADUCTION] "un jour de prière, aussi c'est le jour où nous préférerions fermer si nous avions le choix". Je déduis de ce témoignage qu'il n'y a aucun précepte religieux qui interdit à ces fidèles de travailler le mercredi, mais qu'il existe une certaine obligation morale de prier ce jour‑là. Je ne sais pas avec certitude si toute la journée doit être passée en prière ou si seulement une ou plusieurs parties de la journée doivent être réservées à cette fin. La mesure dans laquelle la Loi porte atteinte aux pratiques religieuses des hindous n'a pas été établie de manière suffisante pour justifier la conclusion que la Loi porte atteinte à leurs libertés religieuses, particulièrement dans le cadre des présentes affaires où aucun des détaillants n'est membre de cette confession.

120. La preuve soumise concernant la foi islamique est encore moins suffisante. Elle est entièrement contenue dans l'échange suivant intervenu au cours de l'interrogatoire principal de M. Lodhia:

[TRADUCTION] Q. ... Vous êtes hindou, quelle est, à votre connaissance, le jour du sabbat dans la religion musulmane?

R. Je crois que c'est le vendredi.

Ce n'est pas là un motif suffisant pour justifier une contestation constitutionnelle. La question de savoir si la Loi enfreint la liberté de religion des hindous ou des musulmans est une question à laquelle on devrait donc s'abstenir de répondre dans les présents pourvois.

VII

L'article premier de la Charte

121. Les motifs donnés par cette Cour à la majorité dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, résument et expliquent la jurisprudence antérieure (Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, R. c. Big M Drug Mart Ltd.), en ce qui concerne les critères auxquels doivent recourir ceux qui préconisent la restriction d'un droit ou d'une liberté garantis par la Charte. Il a été jugé que c'est à la partie qui cherche à apporter cette restriction qu'appartient la charge de la preuve et que la norme de preuve applicable est celle des affaires civiles, savoir la preuve selon la prépondérance des probabilités.

122. Pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, il faut satisfaire à deux exigences. En premier lieu, l'objectif législatif que la restriction vise à promouvoir doit être suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit garanti par la Constitution. Il doit se rapporter à des "préoccupations urgentes et réelles". En second lieu, les moyens choisis pour atteindre ces objectifs doivent être proportionnels ou appropriés à ces fins. La proportionnalité requise, à son tour, comporte normalement trois aspects: les mesures restrictives doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question, ou avoir un lien rationnel avec cet objectif; elles doivent être de nature à porter le moins possible atteinte au droit en question et leurs effets ne doivent pas empiéter sur les droits individuels ou collectifs au point que l'objectif législatif, si important soit‑il, soit néanmoins supplanté par l'atteinte aux droits. La Cour a affirmé que la nature du critère de proportionnalité pourrait varier en fonction des circonstances. Tant dans son élaboration de la norme de preuve que dans sa description des critères qui comprennent l'exigence de proportionnalité, la Cour a pris soin d'éviter de fixer des normes strictes et rigides.

123. Dans les présents pourvois, la seule preuve dont la Cour soit saisie au sujet de l'article premier de la Charte est le Report on Sunday Observance Legislation (1970). Il aurait été préférable de disposer d'éléments de preuve plus récents et, d'ailleurs, le substitut du procureur général a donné avis, moins d'une semaine avant l'audience, d'une requête en autorisation de soumettre des éléments de preuve supplémentaires. Apparemment, ces éléments de preuve incluaient des sondages d'opinions ou d'attitudes du public ainsi que diverses propositions soumises à un groupe de travail provincial chargé d'étudier la législation sur les fermetures le dimanche. Le substitut du procureur général a reconnu que ces éléments de preuve n'étaient pas essentiels à ses arguments concernant l'article premier. Les avocats des détaillants se sont fortement opposés à cette requête jugée trop tardive. La requête a été rejetée en raison des conséquences préjudiciables qui auraient pu résulter de son admission en preuve à la dernière minute.

124. Je suis conscient qu'il est possible que certains éléments de preuve d'ordre statistique que contient le Rapport aient perdu de leur utilité avec le temps. Néanmoins, ce sont là les seuls éléments de preuve dont la Cour est saisie et j'ai tenu compte de l'âge de ces documents en évaluant le poids à leur accorder.

125. Je traiterai d'abord de l'importance des objectifs législatifs qui sous‑tendent la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail. La Commission de réforme du droit de l'Ontario évoque ainsi la nécessité d'adopter une loi créant un jour de repos uniforme, à la p. 267:

[TRADUCTION] Ainsi, alors que notre capacité de production et notre niveau de vie sur le plan économique continuent de s'accroître en Ontario, nos chances, collectivement, de jouir de ces avantages moins tangibles que sont la participation à des loisirs avec [en italique dans le Rapport] sa famille, ses amis et d'autres personnes dans la société, continuent de décroître. C'est, compte tenu de cette érosion continuelle des jours fériés légaux ainsi que des soirées, que nous considérons qu'il est absolument essentiel [les italiques sont de moi] que le gouvernement tente maintenant de préserver au moins un jour uniforme de repos hebdomadaire, avant qu'il ne soit trop tard.

126. En tirant cette conclusion, les commissaires ont été influencés par un certain nombre d'études résumées au chapitre 6 du Rapport, mais il n'est pas nécessaire, à mon avis, de recourir à ces études pour comprendre l'importance d'un jour commun de repos. À mon sens, il est évident en soi qu'il est souhaitable de permettre aux parents d'avoir régulièrement, avec leurs enfants, eux‑mêmes en congé scolaire, des jours de congé dont jouissent également la plupart des autres familles et des autres membres de la collectivité. Je réitère l'opinion exprimée dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., à la p. 353:

J'accepte la justification laïque d'un jour de repos dans le contexte canadien et les tribunaux des États‑Unis d'Amérique ont clairement établi le caractère raisonnable d'un jour de repos.

Une visite familiale faite à un oncle ou à une grand‑mère, la présence d'un père ou d'une mère au tournoi sportif de son enfant, un pique‑nique, une baignade ou une promenade dans un parc par un beau jour d'été, ou encore une visite familiale au zoo, au cirque ou à une exposition — ces divertissements et des centaines d'autres loisirs en famille ou avec des amis sont parmi les joies les plus simples, mais en même temps les plus profondes, que chacun d'entre nous puisse connaître. Vouloir protéger les travailleurs, les familles et les collectivités contre une réduction des possibilités d'éprouver la satisfaction que procurent ces activités, et vouloir préserver l'individu contre l'aliénation de ses liens sociaux les plus intimes, ne sont pas des buts que je considère comme sans importance ou négligeables. Dans le contexte d'une [TRADUCTION] "tendance, qui croît rapidement, à l'ouverture à grande échelle des commerces" (Rapport, à la p. 267), je suis persuadé que la Loi a pour objet de répondre à une préoccupation urgente et réelle. Elle survit donc à la première partie de l'examen en vertu de l'article premier.

127. L'exigence d'un lien rationnel nous oblige à vérifier dans quelle mesure l'ensemble législatif est adapté à son objet. Dans le cas de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, deux questions sont soulevées. Premièrement, est‑il acceptable que le législateur ait visé exclusivement les commerces de détail? Deuxièmement, le régime des exemptions prévues par la Loi est‑il justifiable par rapport aux différents genres de commerces de détail?

128. J'ai déjà mentionné que la Commission de réforme du droit croyait que le problème posé par le secteur du commerce de détail était particulièrement urgent. C'est dans ce secteur que, selon le Rapport, les pressions de la concurrence forcent chaque exploitant à prolonger ses heures d'affaires, en grande partie contre sa volonté. Le Rapport s'étend aussi, pièces à l'appui, sur les caractéristiques de la main‑d'oeuvre employée dans le commerce de détail, dont la faible syndicalisation, la forte proportion de femmes et la composition généralement hétérogène: à la p. 103. La conclusion de la Commission, selon laquelle cette main‑d'oeuvre est particulièrement vulnérable aux pressions subtiles et mêmes ouvertes du patronat, justifie amplement, d'après la preuve soumise, la décision du législateur d'accorder une attention spéciale et immédiate au commerce de détail.

129. Les exemptions applicables à divers genres de commerce sont aussi justifiables. Le Rapport décrit, aux pp. 271 et 272, les tensions qui existent entre les deux objectifs qui consistent à protéger autant de salariés que possible pour qu'ils n'aient pas à travailler le dimanche, tout en assurant un [TRADUCTION] "environnement de qualité" qui permette aux familles et à la collectivité d'avoir des loisirs:

[TRADUCTION] Ces deux objectifs d'ordre laïque sont, en majeure partie, compatibles l'un avec l'autre, c.‑à‑d. que pour qu'une personne puisse s'adonner à des loisirs avec sa famille et ses amis au cours d'un jour de repos, elle ne doit pas avoir à travailler. Toutefois, ils sont incompatibles en ce qui concerne certaines activités de loisir qui, pour avoir lieu, exigent l'emploi d'un nombre important de personnes lors de ce jour de repos. Les sports professionnels, les bibliothèques et les concerts symphoniques, en voilà trois bons exemples. Si nous devions proposer que l'unique objectif de la législation sur le dimanche est de libérer les gens de l'obligation de travailler ce jour‑là, cela pourrait fort bien priver des milliers de personnes de tout loisir le dimanche.

À l'exception du par. 3(4), les exemptions des art. 3 et 4 suivent de près les recommandations du Rapport. Il suffit de consulter la table des matières des chapitres 11 et 12, aux pp. 6 et 7, pour voir que chacun des commerces exemptés a fait l'objet d'une étude assez approfondie de la part des auteurs du Rapport.

130. Je pourrais ajouter qu'en réglementant une industrie ou un commerce, il est loisible au législateur de limiter sa réforme législative à des secteurs où il semble y avoir des préoccupations particulièrement urgentes ou à des catégories où cela semble particulièrement nécessaire. À cet égard, je partage l'opinion exprimée par la Cour suprême des États‑Unis dans l'arrêt Williamson v. Lee Optical of Oklahoma, 348 U.S. 483 (1955), à la p. 489:

[TRADUCTION] Les maux que l'on trouve dans un même domaine peuvent avoir des dimensions et des proportions différentes, et exiger des redressements différents. Du moins, le législateur peut le croire ... Ou la réforme peut se faire étape par étape, en ne s'attaquant qu'à la phase du problème que le législateur estime la plus critique ... Le législateur peut sélectionner une phase dans un domaine et y apporter un redressement, tout en négligeant les autres.

(Citations omises.)

En rédigeant sa loi, le législateur, peut, s'il le veut, créer des catégories de commerces de détail qui sont exemptés, même si certains commerces non exemptés peuvent vendre quelques‑uns des mêmes produits. Les choix du législateur concernant d'autres formes de réglementation commerciale ne portent généralement pas atteinte aux valeurs et aux dispositions de la Charte, et la loi qui en résulte n'a pas à être parfaitement ajustée de manière à résister à un examen judiciaire. La simplicité et la commodité administrative sont des préoccupations légitimes des rédacteurs de ce genre de lois.

131. Une question plus difficile—qui est au centre du présent litige—est de savoir si la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail restreint, aussi peu qu'il est raisonnablement possible de le faire, la liberté de religion de ceux qui observent le samedi. Le paragraphe 3(4) a pour effet, ce qui est voulu, d'atténuer fort sensiblement les répercussions de la Loi sur les groupes religieux dont le jour du sabbat est le samedi. Ce qu'il faut décider, cependant, c'est s'il existe un autre régime raisonnable qui permettrait à la province d'atteindre son objectif avec moins d'effets préjudiciables sur la liberté religieuse.

132. On a laissé entendre que l'objectif qui consiste à protéger les travailleurs du travail dominical involontaire pouvait être atteint au moyen de lois axées sur le salarié plutôt que sur le patron. Il pourrait y avoir, par exemple, une mesure législative accordant aux travailleurs le droit de refuser de travailler le dimanche. À mon sens toutefois, un tel régime, serait loin de permettre d'atteindre les objectifs de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail. Il ne tiendrait pas compte de la pression coercitive subtile qu'un patron peut exercer sur un salarié. La vulnérabilité des salariés du commerce de détail en fait un groupe qui a peu de chances de résister à ces pressions. Un régime qui oblige un salarié à faire valoir ses droits devant un tribunal pour obtenir un congé le dimanche constitue un substitut inadéquat au régime choisi par le législateur ontarien. De même, une décision bilatérale de certains détaillants et de leurs employés de demeurer ouverts et de travailler le dimanche en contraindrait d'autres à prendre une décision similaire et, comme le Rapport le fait remarquer à la p. 267, aurait pour effet d'accroître la demande pour les services accessoires nécessaires à l'ouverture des magasins, tels les grossistes, les camionneurs et les transports publics.

133. L'autre solution serait de conserver la structure fondamentale de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, mais de remplacer le par. 3(4) par une exemption complète de l'application de l'art. 2 pour les détaillants dont la croyance religieuse sincère les oblige à fermer leurs commerces pendant un jour autre que le dimanche. La province du Nouveau‑Brunswick prévoit une telle exemption au par. 7(1) de sa Loi sur les jours de repos, L.N.‑B. 1985, chap. D‑4.2. L'exemption au Nouveau‑Brunswick est régie par une commission qui peut délivrer des autorisations exemptant:

7(1) ...

c) une personne à qui la présente loi interdit de travailler ou d'exploiter un commerce ou une industrie le jour de repos hebdomadaire et qui désire le faire ce jour parce qu'il ne pouvait ni travailler ni exploiter le commerce ou l'industrie l'un des autres jours de la semaine pour raison de conscience ou de religion,...

134. Une telle exemption comporte des avantages et des désavantages par rapport au par. 3(4) de la loi ontarienne. Du point de vue du consommateur qui observe le samedi, l'exemption au Nouveau‑ Brunswick est plus avantageuse que celle de l'Ontario car elle vise également les magasins à grande surface employant plus de sept personnes ou ayant une superficie supérieure à 5 000 pieds carrés, mais elle l'est moins en ce qu'elle ne peut s'appliquer qu'aux détaillants qui ont des croyances religieuses précises. Je ne puis dire si un régime offre plus de possibilités de magasinage que l'autre au consommateur juif ou adventiste du septième jour. À cet égard, je constate que le Report on Sunday Observance Legislation (1970) révèle à la p. 98, tableau V, que seulement 8,1 pour cent des établissements de commerce de détail comptaient dix employés ou plus à l'époque du recensement précédent de 1961. Puisque, sous réserve de la condition relative à la superficie, l'exemption du par. 3(4) peut s'appliquer à tout magasin pourvu que le nombre de personnes au service du public le dimanche ne soit jamais supérieur à sept, il appert que des produits très variés, y compris des produits spéciaux comme les aliments cascher, peuvent être achetés par les personnes qui font leurs courses le dimanche, même en supposant que le nombre de magasins à grande surface ait doublé depuis 1961.

135. Les questions les plus difficiles découlent des répercussions différentes que ces exemptions ont sur les détaillants qui observent le samedi. Il est intéressant de voir comment la Cour suprême des États‑Unis a résolu quelques‑unes de ces mêmes questions dans ses quatre arrêts de 1961 portant sur la fermeture le dimanche. Je rappelle que la loi dont la cour était saisie dans l'affaire Braunfeld v. Brown ne comportait aucune espèce de clause d'exemption destinée à atténuer ses répercussions négatives sur les détaillants qui observaient le samedi. Néanmoins, la cour à la majorité a confirmé la validité de cette loi. Le juge en chef Warren se demande, aux pp. 608 et 609, si une exemption sabbatique aurait dû être prévue:

[TRADUCTION] Un certain nombre d'états prévoient une telle exemption, et c'est peut‑être là la façon la plus sage de régler le problème. Cependant, nous avons à nous préoccuper non pas de la sagesse de la loi, mais de ses limites sur le plan constitutionnel. Ainsi, la raison et l'expérience nous enseignent qu'autoriser cette exemption pourrait fort bien nuire indirectement à l'objectif que l'état s'est donné de fixer un jour où, autant que possible, l'atmosphère d'activités commerciales, avec tout le tintamarre qu'elles impliquent, serait éliminée. Quoique cela ne soit pas déterminant, les problèmes de mise en application seraient accrus, puisqu'il y aurait deux jours ou plus à surveiller plutôt qu'un seul et il serait plus difficile de procéder à la constatation des infractions commises.

Une réglementation de cette sorte pourrait aussi susciter des problèmes supplémentaires. Autoriser les gens qui se reposent un jour autre que le dimanche à ouvrir leur commerce ce jour‑là pourrait bien leur conférer un avantage économique sur leurs concurrents qui doivent fermer ce même jour; cela pourrait amener ceux qui observent le dimanche à se plaindre de discrimination religieuse. Cet avantage d'ordre concurrentiel pourrait susciter chez certains la tentation de prétendre, pour pouvoir ouvrir leur commerce le dimanche, que leurs convictions religieuses exigent qu'ils ferment leur commerce le jour qui, auparavant, leur était le moins profitable. Cela pourrait rendre nécessaire la tenue d'une enquête par l'état sur la sincérité des croyances religieuses de l'individu, une pratique que l'état pourrait considérer comme étant elle‑même contraire à l'esprit des garanties religieuses contenues dans la Constitution. Enfin, pour s'assurer que la journée serait aussi peu perturbée que possible, les employeurs exemptés devraient probablement retenir les services de salariés qui pourraient eux‑mêmes bénéficier de l'exemption en raison de leurs propres croyances religieuses, une pratique que l'état pourrait estimer contraire à sa politique générale d'interdiction de la discrimination religieuse en matière d'emploi. Pour toutes ces raisons, nous ne saurions dire que la loi de la Pennsylvanie dont nous sommes saisis est invalide, que ce soit dans sa lettre ou dans son application.

Aux pages 514 à 520, le juge Frankfurter exprime un bon nombre des mêmes objections à une exemption sabbatique et conclut, à la p. 520:

[TRADUCTION] Le législateur pourrait raisonnablement conclure que la solution consistant à exempter ceux qui observent le sabbat nuirait à l'application efficace des lois sur le dimanche, produirait des effets secondaires préjudiciables et occasionnerait elle‑même une ingérence non négligeable dans le domaine de la foi religieuse. Si préférable qu'on puisse personnellement juger une telle exception, je ne saurais dire que la Constitution l'exige.

136. Dans sa dissidence, à la p. 615, le juge Brennan qualifie ces considérations de [TRADUCTION] "plus imaginaires que réelles" et en parle expressément ainsi:

[TRADUCTION] Ceux qui n'observent pas le dimanche pourraient être injustement avantagés dit‑on. Un argument semblable, opposé au projet d'exemption des objecteurs de conscience (un autre exemple de la technique de l'exemption) a été rejeté en faisant observer que "sa fausseté est trop évidente pour qu'il soit nécessaire" d'en discuter. Selective Draft Law Cases, 245 U.S. 366, 390 (1918). Si répandue soit‑elle, cette plainte est sans fondement juridique et, en l'invoquant, l'état ne saurait repousser une demande en vertu du Premier amendement. On nous dit qu'une enquête officielle sur la sincérité de l'adhérence à certaines croyances religieuses pourrait elle‑même être inconstitutionnelle. Mais cette Cour a déjà indiqué le contraire dans l'arrêt United States v. Ballard, 322 U.S. 78 (1944). Une telle enquête n'enfreint pas plus la liberté de religion que l'exigence que la Cour a elle‑même imposée dans l'arrêt McGowan v. Maryland, précité, à la p. 420, prononcé ce jour, portant que le demandeur doit démontrer qu'il y a entrave à ses croyances religieuses sincères pour pouvoir contester une loi en se fondant sur la clause du libre exercice contenue dans le Premier amendement. Enfin, je considère comme quasi chimérique la mention que fait la Cour du problème que susciteraient les lois antidiscriminatoires des États. La plupart de ces lois prévoient que l'embauche peut se fonder sur la religion si la religion constitue une exigence professionnelle normale. Il se trouve d'ailleurs que la loi de la Pennsylvanie comporte une telle disposition.

137. À mon avis, les problèmes de mise en application que pourrait créer une exemption sabbatique complète ne constituent pas un motif suffisamment concluant pour la rejeter comme solution de rechange au régime ontarien. Je considère également comme non fondée la prétention qu'une exemption sabbatique serait discriminatoire pour les détaillants qui n'observent pas le samedi comme jour de repos religieux. La Cour n'est saisie d'aucune preuve qui laisse entendre que le dimanche est en général un jour d'ouverture préférable pour le commerce de détail. Sans aucun doute, certains détaillants qui vendent des produits particuliers, dans des zones particulières, trouveraient les dimanches plus profitables que les samedis, mais pour d'autres détaillants ce serait l'inverse. En l'absence d'éléments de preuve contraires convaincants, la Cour doit présumer qu'en moyenne chaque jour en vaut un autre. De par sa nature, une loi doit, dans une certaine mesure, passer outre aux particularités individuelles pour établir des règles générales. La discrimination qui, allègue‑t‑on, découlerait de ce qu'un jour de la fin de semaine est plus profitable qu'un autre jour pour certains détaillants serait d'un ordre de grandeur tout à fait différent du désavantage que subissent les détaillants qui ne peuvent pas du tout ouvrir leurs magasins pendant la fin de semaine.

138. Cependant, les préoccupations des juges formant la majorité de la Cour suprême des États‑Unis m'impressionnent à deux points de vue. Le premier se rapporte à l'évaluation d'une entrave indirecte à la liberté religieuse du propriétaire d'un magasin de vente au détail et des intérêts de ses employés parfois fort nombreux. Le second a trait au caractère non souhaitable des enquêtes de l'état portant sur les croyances religieuses.

139. Quant à la première préoccupation, je suis d'accord avec les juges formant la majorité de la Cour suprême des États‑Unis pour dire qu'il est légitime que le législateur se soucie de minimiser l'effet perturbateur de toute exemption sur la portée et la qualité du jour de repos, et qu'il ne serait absolument pas souhaitable que cette préoccupation trouve son expression dans une règle soumettant la possibilité de bénéficier d'une exemption à la condition que le détaillant n'engage que des coreligionnaires. À cause de leur part importante du volume total des ventes (le Rapport, à la p. 98, tableau V, indique que les magasins qui comptent dix salariés ou plus ont réalisé 53,3 pour cent des ventes au détail au Canada, selon le recensement de 1961) et de leur nombreux employés, l'exploitation des grands établissements de vente au détail le dimanche perturberait considérablement la qualité du jour du repos. Toutefois, ce qui me préoccupe n'est pas tant la perturbation de la qualité du jour de repos sur le plan des activités commerciales, que la limite de sa portée pour ce qui est des employés qui se verraient refuser les avantages que la Loi vise à leur procurer.

140. Ce qu'on ne peut pas oublier, c'est que la Loi a pour objet de profiter aux salariés du commerce du détail, en leur permettant de jouir d'un jour de congé hebdomadaire qui coïncide avec celui de la plupart des autres membres de la collectivité. Ces employés ne constituent pas un groupe puissant dans la société. À cet égard, certaines observations des membres de la Commission de réforme du droit méritent d'être reproduites:

[TRADUCTION] La position particulière des salariés du commerce de détail mérite qu'on s'y arrête, car ce serait probablement eux qui seraient les plus pénalisés par l'ouverture des commerces le dimanche. Il a déjà été démontré que moins de 10 pour cent de tous les membres de ce groupe sont syndiqués, et ce pourcentage serait même plus bas si on n'avait pas inclus les employés des magasins d'alimentation ... La main‑d'oeuvre employée dans le commerce de détail se distingue par son âge avancé, par une plus grande possibilité qu'il s'agisse de personnel féminin et par le fait qu'elle est plus hétérogène que les autres groupes de travailleurs. [à la p. 103]

...

Il faut donc se préoccuper d'abord des salariés peu qualifiés, non syndiqués et peu instruits dont l'apport continu des revenus est essentiel au soutien de leur famille, et qui sont les moins mobiles en matière d'autres possibilités d'emploi et les moins à même de s'exprimer pour qu'on remédie à leurs griefs. À une époque de chômage élevé en particulier, ces gens sont sujets à la coercition économique et ne seraient vraisemblablement pas en mesure de s'opposer efficacement au travail le dimanche que leur imposeraient leurs patrons, même s'ils avaient le "choix légal" de travailler ou de ne pas travailler le dimanche. [à la p. 104]

(C'est moi qui souligne.)

141. La situation économique de ces salariés leur offre peu de choix en matière de conditions d'emploi. Ce serait faire fi des réalités auxquelles ces travailleurs ont à faire face que de prétendre qu'ils peuvent affronter leur patron ou chercher du travail ailleurs s'ils veulent jouir d'un jour commun de repos avec leur famille et leurs amis. Même si j'ai admis que la loi étudiée entrave les libertés des détaillants qui observent le samedi, il faut aussi reconnaître que les gros détaillants peuvent exercer certains choix qui découlent des ressources dont ils disposent et auxquelles n'ont pas accès leurs employés. Il vaut peut‑être la peine d'affirmer ce qui est l'évidence même: le commerce qui, en tout temps, compte huit personnes ou plus au service du public et dont la superficie utilisée pour la vente au détail est de 5 000 pieds carrés, constitue effectivement un gros établissement de vente au détail. On ne peut probablement pas dire que le petit dépanneur exploité par une famille constitue un tel établissement. Je crois que lorsqu'ils interprètent et appliquent la Charte, les tribunaux doivent veiller à ce qu'elle ne devienne pas simplement l'instrument dont se serviront les plus favorisés pour écarter des lois dont l'objet est d'améliorer le sort des moins favorisés. Lorsque l'intérêt de plus de sept salariés vulnérables à jouir d'un congé dominical est opposé à l'intérêt qu'a leur employeur à faire des affaires le dimanche, je ne saurais blâmer le législateur de décider que la protection des employés doit l'emporter. Cela ne veut pas dire que la Constitution oblige le législateur à préférer les intérêts de l'employé à ceux du propriétaire dans le cas d'un gros établissement de vente au détail; cela signifie uniquement qu'il peut le faire s'il le veut.

142. J'en viens maintenant au second facteur qui, à mon avis, contribue à justifier la loi en cause. Dans leur analyse de la possibilité d'une exemption sabbatique, comme moyen de réduire le fardeau dont les lois de fermeture le dimanche grèvent la liberté de religion, les juges formant la majorité de la Cour suprême des États‑Unis ont exprimé des inquiétudes au sujet des enquêtes de l'état en matière de croyances religieuses. L'avantage frappant de la loi ontarienne est qu'elle permet au petit et au moyen détaillant de bénéficier d'une exemption sans avoir à se plier à une enquête semblable. À mon avis, les enquêtes de l'état portant sur la religion d'une personne devraient être évitées dans tous les cas où cela est raisonnablement possible, puisqu'elles ont pour effet d'exposer les croyances les plus personnelles et les plus intimes d'une personne à la connaissance et au contrôle publics dans un contexte judiciaire ou quasi judiciaire. Cela est encore pire lorsque l'enquête n'est demandée qu'à l'égard des membres d'une confession qui n'est pas celle de la majorité, qui peuvent avoir de bonnes raisons de répugner à se singulariser.

143. Je ne veux pas laisser entendre qu'une enquête judiciaire sur la sincérité des croyances religieuses est inconstitutionnelle. Prétendre cela signifierait que les tribunaux ne pourraient jamais accorder d'exemptions constitutionnelles à l'égard d'une mesure législative qui porte atteinte au libre exercice des croyances religieuses. Les enquêtes judiciaires portant sur des croyances religieuses sont la plupart du temps inévitables si l'on veut que les libertés garanties par l'al. 2a) de la Constitution puissent être revendiquées devant les tribunaux. Nous devons nous faire à la réalité déplaisante qu'une telle enquête est nécessaire pour que le système judiciaire puisse mettre à exécution ces mêmes valeurs. Les enquêtes qui sont vraiment conçues comme un moyen de mettre à exécution des libertés religieuses ne sont donc pas inconstitutionnelles en général. Il y aura toutefois des occasions où l'on peut arriver à une large mesure de liberté religieuse sans qu'il y ait nécessairement une enquête de l'état sur des convictions religieuses personnelles et les législateurs devraient être encouragés à suivre cette voie, si on veut atteindre un juste équilibre.

144. Bien entendu, je ne crois pas que pour la personne dont la liberté religieuse serait autrement diminuée, une enquête volontaire sur la religion soit pire que l'atteinte initiale à sa liberté de religion. Ce n'est manifestement pas le cas puisque la personne n'a pas à se soumettre à l'enquête. Toutefois, il vaut la peine de répéter que la preuve indique que la très grande majorité des détaillants qui observent le samedi sont en mesure de se conformer aux exigences du par. 3(4). Ce sont ces détaillants qui profitent de l'adoption d'un régime comme celui que le législateur ontarien a choisi de préférence à un régime dans lequel il y aurait enquête sur les croyances religieuses. À mon avis, il existe une certaine mesure de compromis entre, d'une part, un régime qui libère complètement la plupart des détaillants qui observent le samedi des entraves à leur liberté religieuse tout en évitant la tenue d'une enquête désagréable, et d'autre part, un autre régime qui libère dans une large mesure tous les détaillants qui observent le samedi des entraves à leur liberté de religion. Les deux régimes procurent un redressement incomplet à l'ensemble de la catégorie des détaillants qui observent le samedi, mais ce caractère incomplet est une conséquence nécessaire si l'on veut assurer que la loi prescrivant un jour commun de repos profite à un aussi grand nombre que possible de salariés. Les deux régimes représentent une tentative véritable et sérieuse de minimiser les effets préjudiciables d'une loi prescrivant un jour de repos sur ceux qui observent le samedi. Il est loin d'être clair qu'un régime est intrinsèquement meilleur que l'autre.

145. Dans ce contexte, je note que la liberté de religion, contrairement peut‑être à la liberté de conscience, comporte des aspects à la fois individuels et collectifs. Les législateurs ont raison d'être conscients des effets d'une mesure législative autant sur l'ensemble des groupes religieux que sur les individus. Dans certaines circonstances, il est loisible d'évaluer les libertés religieuses de la majorité des membres d'un groupe religieux en particulier et celles de la minorité lorsque la différence de traitement est fondée sur un critère comme la taille du commerce de détail en cause, qui en soi ne contrevient pas aux dispositions, aux principes et aux objets de la Constitution.

146. Néanmoins, quoique les détaillants qui subissent un préjudice puissent être peu nombreux, aucun corps législatif au Canada n'a le droit de supprimer, sans raison impérieuse, l'une ou l'autre des libertés religieuses auxquelles ont droit ces personnes ou tout autre individu. À mon avis, l'évaluation des intérêts de plus de sept employés à bénéficier d'un jour commun de repos par rapport à la liberté de religion de ceux qui sont touchés justifie le régime d'exemptions choisi par la province de l'Ontario, tout au moins dans le cas où tout régime de rechange satisfaisant comporte une enquête sur les croyances religieuses.

147. J'ajouterais que je ne vois rien de magique dans le choix du chiffre sept plutôt que, disons, cinq, dix ou quinze employés comme étant le nombre limite pour être admissible à l'exemption. En évaluant les intérêts qu'ont les salariés du commerce de détail à bénéficier d'un jour commun de congé avec leurs familles et leurs amis par rapport aux droits que possèdent les personnes touchées en vertu de l'al. 2a), le législateur s'est engagé dans le processus envisagé par l'article premier de la Charte. Une "limite raisonnable" est une limite qui, compte tenu des principes énoncés dans l'arrêt Oakes, pouvait être raisonnablement imposée par le législateur. Les tribunaux ne sont pas appelés à substituer des opinions judiciaires à celles du législateur quant à l'endroit où tracer une ligne de démarcation.

148. Ceci dit, je ne partage pas cependant l'opinion des juges formant la majorité de la Cour suprême des États‑Unis, portant qu'aucun effort n'est requis de la part du législateur pour composer avec les intérêts des détaillants qui observent le samedi. En particulier, il serait bien difficile de concevoir quelque motif justifiant d'insister pour qu'un petit magasin familial qui ne compte aucun employé ferme le dimanche alors que les préceptes de la religion de ce détaillant l'obligent à fermer son commerce le samedi. À mon avis, en vertu des principes énoncés dans l'arrêt Oakes, il incombe au législateur qui adopte une loi sur la fermeture le dimanche de tenter très sérieusement d'atténuer ses effets sur ceux qui observent le samedi. L'exemption du par. 3(4) de la Loi en cause dans les présents pourvois représente un effort satisfaisant en ce sens et est donc acceptable.

149. Certes, le législateur aurait pu conserver les qualités souhaitables énumérées au par. 3(4), et y ajouter une exemption spéciale pour ceux qui ont des croyances sincères en matière de sabbat, mais qui ne peuvent profiter des al. b) et c) dudit paragraphe. À mon avis, la Constitution n'oblige pas le législateur ontarien à le faire. Soutenir que le seul régime d'exemptions acceptable est celui qui a les attributs du par. 3(4) en ce qui concerne les petits et les moyens employeurs, mais ceux du par. 7(1) de la loi du Nouveau‑Brunswick pour ce qui est des employeurs plus importants, reviendrait à imposer une norme excessivement stricte au législateur, compte tenu de la nature et de l'étendue de l'atteinte aux droits et de la complexité de l'évaluation corrélative des intérêts constitutionnels et légaux des consommateurs, des détaillants et de leurs employés. Un régime aussi hybride entraînerait une plus grande perturbation du jour de repos que l'un ou l'autre régime pris séparément. De toute façon, il ne reconnaîtrait pas qu'il arrive un moment où la taille d'un commerce de détail fait qu'il est acceptable que le législateur décide d'accorder la préférence aux intérêts des salariés plutôt qu'à ceux du propriétaire du magasin.

150. Je tiens à souligner qu'il n'appartient pas à cette Cour de concevoir une loi qui soit constitutionnellement valide, de se prononcer sur la validité de régimes dont elle n'est pas saisie directement, ni d'examiner quelles mesures législatives pourraient être les plus souhaitables. L'analyse d'autres régimes législatifs que j'ai entreprise a pour seul but d'aborder la question de savoir si le régime existant satisfait aux exigences du second volet du critère d'application de l'article premier de la Charte, énoncé dans l'arrêt Oakes.

151. Compte tenu de l'étendue et de la qualité de l'atteinte aux droits qui découle de la Loi, il ne m'est pas difficile d'appliquer le troisième volet du critère de proportionnalité. L'atteinte n'est pas disproportionnée aux objectifs législatifs. Un effort sérieux a été fait pour composer avec la liberté de religion de ceux qui observent le samedi, dans la mesure où cela était possible, sans préjudicier indûment à la portée et à la qualité de l'objectif consistant à avoir un jour de repos. Il s'ensuit que je conclus à la validité de la Loi en vertu de l'article premier.

VIII

Les questions de redressement

152. À la page 315 de l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., la Cour à la majorité n'a pas nié la possibilité d'accorder à certaines personnes, dans certains cas, une "exemption constitutionnelle" de l'application d'une loi par ailleurs valide qui porte atteinte à leur liberté de religion. Il va de soi qu'un tel redressement ne pourrait être obtenu lorsque la restriction apportée à la liberté religieuse de ces personnes a fait l'objet d'une exemption accordée par le législateur, et qu'on a jugé qu'elle était raisonnable et que sa justification pouvait se démontrer. Le paragraphe 3(4) de la loi en cause dans les présents pourvois démontre que le législateur ontarien a bien tenu compte des effets de la Loi sur des détaillants juifs comme les propriétaires de Nortown Foods Ltd. Le législateur a délibérément choisi d'alléger le fardeau imposé aux détaillants juifs qui peuvent satisfaire à l'exigence que le nombre d'employés au service du public le dimanche ne soit jamais supérieur à sept. Par la même occasion cependant, il a choisi de subordonner les intérêts des gros détaillants aux intérêts de leurs employés. Étant donné que j'ai conclu que la décision du législateur à cet égard était acceptable en vertu de l'article premier, rien ne justifie d'accorder une exemption constitutionnelle à Nortown Foods Ltd. qui comptait neuf plutôt que sept employés au service du public le 16 janvier 1983.

153. Vu les conclusions qui précèdent, il n'est pas nécessaire de statuer sur les questions de redressement soulevées par la présente affaire. Je souligne cependant que si j'étais arrivé à une conclusion différente, en vertu de l'article premier, au sujet du caractère justifiable d'une restriction de la liberté de religion des gros détaillants qui observent le samedi, un certain nombre de questions se poseraient:

1) L'exemption étant inadéquate, faudrait‑il déclarer que l'art. 2 (ou bien les al. 3(4)b) et c)) de la Loi est inopérant à l'égard de tous ou, au contraire, la Loi serait‑elle inapplicable ou sans effet à l'égard d'une catégorie limitée de personnes?

2) Au cas où un redressement devrait être accordé à une catégorie limitée de personnes, comme celles qui observent un jour de repos autre que le dimanche, ce redressement découlerait‑il de l'art. 24 ou de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982?

3) Au cas où un redressement devrait être accordé à une catégorie limitée de personnes, l'intimée Nortown Foods Ltd. ferait‑elle partie de cette catégorie compte tenu de la question de savoir si (et si oui dans quel cas) une personne morale peut se voir attribuer des croyances religieuses ou, subsidiairement, avoir qualité pour demander une exemption constitutionnelle de l'application d'une loi qui porte atteinte à la liberté de religion de ses dirigeants? Je n'hésite pas à faire observer qu'une société commerciale ne saurait avoir des croyances religieuses: voir à cet égard Andrew Petter, "Not ‘Never on a Sunday’: R. v. Videoflicks Ltd. et al.", à la p. 101, et Wallace Rozéfort, "Are Corporations Entitled to Freedom of Religion Under the Canadian Charter of Rights and Freedoms?" (1986), 15 Man. L.J. 199. Une question plus difficile est de savoir si une personne morale devrait être réputée dans certains cas avoir les valeurs religieuses de personnes physiques spécifiques? Dans l'affirmative, devrait‑on adopter comme critère approprié la religion de ses administrateurs, de ses actionnaires ou même de ses employés? Qu'arrivera‑t‑il si on trouve chez une même personne morale différentes croyances religieuses?

Le redressement accordé à Nortown Foods Ltd. par la Cour d'appel de l'Ontario suppose des réponses aux questions qui précèdent, sur lesquelles je ne tiens à exprimer aucune autre opinion dans les présents pourvois.

IX

L'article 7 de la Charte

154. Pour statuer sur la prétention que la Loi enfreint l'art. 7, je me contente d'adopter le passage suivant de l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario aux pp. 432 et 433:

[TRADUCTION] ... l'avocat de l'appelant Paul Magder a fait valoir que la Loi est si fondamentalement discriminatoire dans son économie qu'elle devrait être annulée pour le motif qu'elle contrevient à l'art. 7 de la Charte, qui porte:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Je ne suis pas de cet avis. Comme on l'a déjà conclu au sujet de l'al. 2b) de la Charte, je ne crois pas que des différences de simple réglementation du temps et du lieu aient un effet préjudiciable au point de constituer de la discrimination. Même si l'existence d'un tel effet préjudiciable devait être prouvée, il serait plus approprié d'étudier la question dans le cadre de l'art. 15 de la Charte.

155. L'avocat de Paul Magder a soutenu que l'obligation légale de fermer son commerce le dimanche portait atteinte à sa "liberté". À mon avis, le terme "liberté" de l'art. 7 de la Charte n'est pas synonyme d'absence totale de contrainte. Dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, à la p. 524, le juge Wilson fait remarquer ce qui suit:

En fait, toutes les infractions de nature réglementaire imposent une certaine limite à la liberté au sens large. Mais je crois que ce serait banaliser la Charte que d'assujettir toutes ces infractions à l'art. 7 comme étant des violations du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, même si elles peuvent être maintenues en vertu de l'article premier.

Quel que soit le sens précis du terme "liberté" à l'art. 7, je ne saurais accepter qu'il aille jusqu'à s'entendre du droit illimité de faire des affaires toutes les fois qu'on le veut.

156. En conséquence, l'argument de l'art. 7 invoqué par Paul Magder n'est pas fondé.

X

L'article 15 de la Charte

157. Aucun argument convaincant n'a été invoqué à l'appui de la possibilité de recourir à l'art. 15 pour contester la déclaration de culpabilité des détaillants dans les présentes espèces. Le paragraphe 32(2) est clair:

32. ...

(2) Par dérogation au paragraphe (1), l'article 15 n'a d'effet que trois ans après l'entrée en vigueur du présent article.

En l'espèce, les détaillants ont ouvert leurs magasins, ont été inculpés et déclarés coupables à une époque où la Charte ne conférait pas de droit à l'égalité devant la loi. Même si on pouvait dire que la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail porte atteinte aux droits que les détaillants possèdent, en vertu de l'art. 15, depuis le 17 avril 1985, je ne vois pas comment cela pourrait avoir quelque incidence sur la légalité de leurs déclarations de culpabilité ou de la Loi avant cette date. Les procédures ont été engagées et se sont déroulées devant les tribunaux comme des procédures quasi criminelles. Il ne s'agit pas en l'espèce d'un renvoi ni même d'une série de demandes de jugement déclaratoire. En conséquence, nous n'avons pas à répondre à la seconde question constitutionnelle en ce qui concerne l'art. 15.

XI

Conclusions

158. Les pourvois d'Edwards Books and Art Ltd., de Longo Brothers et autres, et de Paul Magder doivent être rejetés sans dépens. Le pourvoi formé par le ministère public contre Nortown Foods Ltd. doit être accueilli sans dépens et l'intimée reconnue coupable.

159. Les questions constitutionnelles reçoivent les réponses suivantes:

1. Question: La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, relève‑t‑elle des pouvoirs législatifs que possède la province de l'Ontario conformément à l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867?

Réponse: Oui.

2. Question: La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, porte‑t‑elle atteinte, en totalité ou en partie, aux droits et libertés garantis par l'un ou l'autre de l'al. 2a) et des art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l'affirmative, dans quelle mesure porte‑t‑elle atteinte à ces droits?

Réponse: Quant à l'al. 2a), l'art. 2 de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail porte atteinte à la liberté de religion des détaillants qui observent le samedi. Il n'est pas nécessaire de se prononcer en l'espèce au sujet de la liberté de religion des hindous, des musulmans ou de quelque autre groupe religieux. Quant à l'art. 7, il n'y a aucune atteinte. Aucune réponse ne doit être donnée en ce qui concerne l'art. 15.

3. Question: Si la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, ou une partie de cette loi, porte atteinte d'une manière quelconque à l'un ou l'autre de l'al. 2a) et des art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, dans quelle mesure ces restrictions aux droits garantis par ces dispositions peuvent‑elles être justifiées par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, être compatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Réponse: L'atteinte que porte la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail à la liberté de religion des détaillants qui observent le samedi est justifiable en vertu de l'article premier.

Version française des motifs des juges Beetz et McIntyre rendus par

160. Le juge Beetz—J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement rédigés par le Juge en chef de même que ceux rédigés par les juges Wilson et La Forest.

161. Je me réfère aux motifs du Juge en chef et m'appuie sur eux pour ce qui est de l'énoncé des questions constitutionnelles, de l'économie des articles litigieux de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, du résumé des faits et des jugements d'instance inférieure.

162. Je conviens avec le Juge en chef que la première question constitutionnelle doit recevoir une réponse affirmative pour les motifs qu'il donne sous le titre "Le partage des compétences en vertu des art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867".

163. Je conviens également avec le Juge en chef que le texte de loi en cause n'enfreint pas l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et que l'art. 15 de la Charte ne s'applique pas puisqu'il n'était pas en vigueur à l'époque pertinente.

164. Avec égards, j'estime toutefois que le texte de loi en cause ne viole pas la liberté de conscience et de religion garantie par l'al. 2a) de la Charte et donc qu'il a plein effet sans qu'il soit nécessaire de s'appuyer sur l'article premier de la Charte.

165. Le principal argument invoqué par les propriétaires des commerces de détail pour soutenir l'argument que la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail viole leur liberté de conscience et de religion est énoncé dans les motifs de la Cour d'appel sub nom. R. v. Videoflicks Ltd. (1984), 48 O.R. (2d) 395, à la p. 423:

[TRADUCTION] Comme on l'a dit précédemment, une loi qui interdit certaines pratiques qui constituent un élément essentiel d'une religion doit être considérée comme diminuant ou violant la liberté de religion. Ceci se produit même si les répercussions sur la religion se produisent comme en l'espèce de façon indirecte. Bien que la Loi n'exige pas que l'on travaille le jour du sabbat, elle constitue une incitation très forte à le faire. Comme ceux qui observent un sabbat autre que le dimanche se trouvent forcés de fermer les deux jours du week‑end ou, d'ailleurs, n'importe quels autres deux jours de la semaine alors que leurs concurrents peuvent rester ouverts six jours, cela rend l'observance de leur sabbat plus onéreuse financièrement.

(C'est moi qui souligne.)

166. Autrement dit, le texte de loi en cause place les propriétaires de commerce de détail qui observent le samedi dans une situation intenable: ils doivent renoncer à l'observance de leurs principes religieux ou encore fermer le samedi alors que leurs concurrents restent ouverts et profitent des avantages de faire affaire six jours par semaine au lieu de cinq.

167. À mon avis, ce raisonnement est erroné car il postule que le fardeau économique imposé à ceux qui observent le samedi est dû au texte de loi en litige. L'inexactitude de cette proposition devient évidente lorsqu'on examine la situation qui prévaudrait si toutes les lois sur l'observance du dimanche étaient abrogées. Un pratiquant qui observe le samedi fermerait boutique le samedi, tandis que la plupart de ses concurrents resteraient ouverts toute la semaine. Celui qui observe le samedi serait aux prises avec le même dilemme en l'absence de loi sur l'observance du dimanche: il devrait choisir entre l'observance de sa religion et l'ouverture de son commerce afin de faire face à la concurrence.

168. Le préjudice économique subi par celui qui observe le samedi et qui ferme son magasin le samedi n'est pas causé par la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail. Il est indépendant de cette loi. Il découle du choix délibéré d'un commerçant qui décide de faire primer les principes de sa religion sur ses profits financiers. Il est donc erroné de suggérer que l'effet de la Loi est de pousser celui qui observe le samedi à opter entre sa religion et les nécessités de la concurrence commerciale. Comme le souligne justement le professeur A. Petter en commentant le jugement rendu en cette affaire par la Cour d'appel dans «Not ‘Never on a Sunday’: R. v. Videoflicks Ltd. et al.» (1984‑85), 49 Sask. Law Rev. 96, aux pp. 98 et 99:

[TRADUCTION] Là où la Cour se trompe, c'est dans sa présomption que le fardeau financier de ceux qui observent un sabbat autre que le dimanche est un effet de la Loi. Ce n'est pas la loi qui cause le fardeau financier: c'est la religion elle‑même.

169. Les appelants autres que Sa Majesté La Reine et l'intimée Nortown Foods Limited sont donc mal fondés d'invoquer l'inconstitutionnalité de la loi en litige en se fondant sur une coercition ou une contrainte qui provient de leur religion. Dans un arrêt rendu après celui de la Cour d'appel, R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, cette Cour a bien établi que la coercition doit émaner de l'état pour constituer une violation de la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte. Voici ce que le juge Dickson, alors juge puîné, a exposé au nom de la majorité aux pp. 336 et 347:

La liberté peut se caractériser essentiellement par l'absence de coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par l'état ou par la volonté d'autrui à une conduite que, sans cela, elle n'aurait pas choisi d'adopter, cette personne n'agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu'elle est vraiment libre.

...

Il se peut que la liberté de conscience et de religion outrepasse ces principes et qu'elle ait pour effet d'interdire d'autres sortes d'ingérences gouvernementales dans les affaires religieuses. Aux fins de la présente espèce, il me paraît suffisant d'affirmer que, quels que soient les autres sens que peut avoir la liberté de conscience et de religion, elle doit à tout le moins signifier ceci: le gouvernement ne peut, dans un but sectaire, contraindre des personnes à professer une foi religieuse ou à pratiquer une religion en particulier. Je ne me prononce pas ici sur la question de savoir dans quelle mesure, s'il y a lieu, le gouvernement peut, en vue de réaliser un intérêt ou un objectif essentiel, exercer une coercition qui pourrait par ailleurs être interdite par l'al. 2a).

170. Il est bien possible que la véritable raison de la contestation de la constitutionnalité de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail soit l'avantage apparent qu'elle peut conférer à ceux qui observent le dimanche et dont le sabbat coïncide avec le jour de repos commun fixé par la Loi. Si tel était le cas, la contestation serait alors fondée sur l'art. 15 de la Charte plutôt que sur l'art. 2. C'est ce que le professeur Petter suggère dans son commentaire de l'arrêt de la Cour d'appel (voir également Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada (1985), p. 711). Mais comme je l'ai déjà dit, l'art. 15 n'était pas en vigueur à l'époque pertinente et je m'abstiens donc de tout commentaire sur la valeur d'une contestation fondée sur cette disposition.

171. Ce qui précède vise la liberté de religion des propriétaires de magasin, ce qui constituait l'objet principal de la plaidoirie. Cependant, il a aussi été question des consommateurs et des employés et je veux faire quelques brèves observations au sujet de ces deux groupes.

172. On a fait valoir par exemple que le texte de loi en cause viole la liberté de religion des consommateurs qui observent le samedi puisque, pour certains ou plusieurs d'entre eux, il devient plus difficile de faire des courses et de s'approvisionner. Toutefois, la preuve à cet égard est si ténue qu'elle est presque inexistante et, à mon avis, elle est tout à fait insuffisante pour prouver même une violation prima facie de la liberté de religion des consommateurs.

173. Il n'y a aucune preuve sur la religion des employés et sur les répercussions possibles de la Loi sur leur liberté de religion. Il se peut que les principes discutés ci‑dessus à l'égard des propriétaires de magasins s'appliquent aussi à leurs employés. Ce qui a été essentiellement discuté à propos des employés n'est pas leur liberté de religion, mais l'avantage qu'ils perdraient sans un jour de repos commun.

174. Les pourvois d'Edwards Books and Art Limited, de Longo Brothers et autres, et de Paul Magder doivent être rejetés sans dépens. Le pourvoi formé par le ministère public contre Nortown Foods Limited doit être accueilli sans dépens, l'arrêt de la Cour d'appel dans cette affaire doit être infirmé et la déclaration de culpabilité de l'intimée doit être rétablie.

175. Les questions constitutionnelles reçoivent les réponses suivantes:

1. Question: La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, relève‑t‑elle des pouvoirs législatifs que possède la province de l'Ontario conformément à l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867?

Réponse: Oui.

2. Question: La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, porte‑t‑elle atteinte, en totalité ou en partie, aux droits et libertés garantis par l'un ou l'autre de l'al. 2a) et des art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l'affirmative, dans quelle mesure porte‑t‑elle atteinte à ces droits?

Réponse: Quant à l'al. 2a) et l'art. 7 de la Charte, il n'y a aucune atteinte. Aucune réponse ne doit être donnée en ce qui concerne l'art. 15.

3. Question: Si la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, ou une partie de cette loi, porte atteinte d'une manière quelconque à l'un ou l'autre de l'al. 2a) et des art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, dans quelle mesure ces restrictions aux droits garantis par ces dispositions peuvent‑elles être justifiées par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, être compatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Réponse: Vu la réponse à la question 2, aucune réponse à cette question‑ci n'est nécessaire.

Version française des motifs rendus par

176. Le juge La Forest—J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement du Juge en chef et, tout en étant d'accord avec sa décision en l'espèce et avec la plupart des raisons qu'il invoque à l'appui de sa décision, nous divergeons sensiblement d'opinions quant à l'exemption sabbatique, ce qui me pousse à rédiger des motifs séparés. Essentiellement, notre divergence porte sur la question de savoir si le législateur est, en vertu de l'al. 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés, constitutionnellement obligé de prévoir une exemption sabbatique afin de décharger ceux qui s'adonnent au culte le samedi du fardeau que l'existence de la Loi peut leur imposer sur le plan économique.

177. Je tiens à dire au départ que je suis parfaitement d'accord avec le Juge en chef pour dire que la liberté de religion, garantie par l'al. 2a), sert non seulement à protéger l'individu de toute coercition législative directe, mais aussi de toute coercition législative indirecte. C'est ce qu'a établi clairement l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295. Je suis également disposé à présumer que certains détaillants pour qui le jour de culte est un jour autre que le dimanche, ou qui observent certaines fêtes religieuses autres que les jours fériés énoncés dans la Loi, subissent des désavantages d'ordre économique à cause de l'existence de la Loi. Il est aussi raisonnable de présumer que pour certains le fardeau économique indirect qui résulte de la Loi est suffisamment lourd pour constituer une atteinte à leur liberté de religion. Cependant, bien qu'il se puisse fort bien que ce soit le cas, je pense qu'il faudrait des preuves pour justifier la conclusion que le fardeau imposé aux détaillants qui observent le samedi est suffisamment important pour constituer une atteinte à leur liberté de religion.

178. Mais, même si la Loi peut avoir un effet préjudiciable sur la liberté de religion de ceux qui s'adonnent au culte un jour autre que le dimanche, elle peut néanmoins être jugée valide en vertu de l'article premier de la Charte. En effet, aux termes de cette disposition, la liberté de religion, à l'instar des autres droits et libertés que garantit la Charte, peut être restreinte par une règle de droit dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Le Juge en chef conclut, ce dont je conviens, que l'objectif législatif en cause en l'espèce est d'une importance suffisante pour justifier un empiétement sur la liberté constitutionnelle énoncée à l'al. 2a). Comme il le fait remarquer, la Loi vise une préoccupation urgente et réelle. Elle vise à préserver un jour de repos et de loisir hebdomadaire uniforme, ainsi que d'autres jours fériés, un objectif qui, comme le démontrent amplement les motifs du Juge en chef, est justifié dans le cadre d'une société libre et démocratique. L'atmosphère de repos et de détente collectifs traditionnellement associée au dimanche et les effets de récupération qui en résultent constituent un objectif que le législateur peut raisonnablement considérer comme nécessaire au bien‑être de la population. Un point de vue semblable a été adopté aux États‑Unis: voir l'arrêt McGowan v. Maryland, 366 U.S. 420 (1961).

179. Toutefois, dans plusieurs de ses arrêts, dont R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, la Cour s'est dite d'avis que les moyens choisis par le législateur doivent être proportionnés aux fins recherchées. Après avoir examiné, puis écarté, les autres avenues qu'il aurait été possible d'emprunter pour prescrire un jour de repos hebdomadaire, le Juge en chef conclut que le moyen choisi par le législateur satisfait au critère de proportionnalité, mais que ce ne serait pas le cas si une exemption sabbatique n'avait pas été prévue. Le paragraphe 3(4) de la Loi exempte en fait tout établissement de commerce de détail qui ferme le samedi, pourvu que le nombre d'employés qui travaillent dans l'établissement le dimanche ne soit jamais supérieur à sept et que la superficie totale qu'il utilise le dimanche ne dépasse pas 5 000 pieds carrés.

180. Comme je l'ai déjà mentionné, c'est sur ce point que je ne partage plus l'avis du Juge en chef. La Loi, à mon avis, serait valide même si elle ne contenait pas cette exemption. En fait, comme je vais tenter de le démontrer, l'exemption peut prêter le flanc à certaines faiblesses constitutionnelles, bien que je ne croie pas que ces faiblesses mettent en péril la validité de la Loi elle‑même. Notre divergence d'opinions est importante. Juger qu'une telle exemption est nécessaire est de nature à soulever de sérieuses questions quant à la constitutionnalité des lois de fermeture le dimanche dans plusieurs provinces, dont la Colombie‑Britannique, Holiday Shopping Regulation Act, S.B.C. 1980, chap. 17, Terre‑Neuve, The Shops Closing Act, S.N. 1977, chap. 107, la Nouvelle‑Écosse, Retail Business Uniform Closing Day Act, S.N.S. 1985, chap. 6, le Québec, Loi sur les heures d'affaires des établissements commerciaux, L.R.Q., chap. H‑2, art. 5.3, Loi sur l'observance du dimanche, L.R.Q. 1977, chap. O‑1, et la Saskatchewan, The Urban Municipality Act, 1984, S.S. 1983‑84, chap. U‑11, art. 121 tel que modifié.

181. Permettez‑moi tout d'abord de souligner, comme le mentionne l'avis du Juge en chef, qu'en décrivant les critères circonscrivant l'exigence de proportionnalité, la Cour a pris soin d'éviter de fixer des normes strictes et rigides. Cela me paraît essentiel. Étant donné que l'objectif est de répondre à une préoccupation urgente et réelle, il faut accorder au législateur suffisamment de latitude pour lui permettre de l'atteindre. Il faut se rappeler que la tâche de gouverner revêt un caractère pratique. L'application de la Constitution doit se faire de manière réaliste en tenant compte de la nature du domaine particulier qu'on veut réglementer et ne pas être une affaire de théorie abstraite. En interprétant la Constitution, les tribunaux doivent être conscients de ce que le juge Frankfurter, dans l'arrêt McGowan, précité, à la p. 524, appelle [TRADUCTION] "la réalité pratique de la vie", à laquelle le législateur doit répondre. C'est particulièrement le cas dans un domaine comme celui présentement en cause, où se font sentir autant de pressions opposées.

182. Par là, je ne veux pas laisser entendre que la Cour devrait, en règle générale, s'en remettre au bon jugement du législateur lorsque celui‑ci porte atteinte à des droits considérés comme fondamentaux dans le cadre d'une société libre et démocratique. Bien au contraire, j'aurais pensé que la Charte établit le régime opposé. D'autre part, ayant reconnu l'importance de l'objectif du législateur en l'espèce, on se doit dans le présent contexte de reconnaître que, si l'objectif du législateur doit être atteint, il ne pourra l'être qu'au détriment de certains. En outre, toute tentative de protéger les droits d'un groupe grèvera inévitablement les droits d'autres groupes. Il n'y a pas de scénario parfait qui puisse permettre de protéger également les droits de tous.

183. Donc, en cherchant à atteindre un objectif dont il est démontré qu'il est justifié dans le cadre d'une société libre et démocratique, le législateur doit disposer d'une marge de manoeuvre raisonnable pour répondre à ces pressions opposées. Bien entendu, ce qui est raisonnable variera avec le contexte. On doit tenir compte de la nature de l'intérêt brimé et du régime législatif qu'on veut implanter. Dans un cas comme la présente affaire, il me semble que le législateur fait face à un dilemme: ou bien il laisse la Loi imposer un fardeau à ceux qui observent un jour de culte autre que le dimanche, ou bien il prévoit des exemptions qui auront pour effet pratique de contrecarrer sensiblement l'objectif qu'il cherche à promouvoir et qui elles‑mêmes auront pour résultat d'imposer un fardeau à ceux qui observent le dimanche et peut‑être même à d'autres personnes aussi. Cela étant, il me semble que le choix de prévoir ou non une exemption pour ceux qui observent un jour autre que le dimanche doit demeurer essentiellement le choix du législateur. Toute considération d'égalité mise à part, cela est vrai autant des compromis qui doivent être faits lorsque des exemptions religieuses sont créées. Ces choix exigent une connaissance approfondie de toutes les circonstances. Il y a des choix qu'un tribunal n'est pas en mesure de faire.

184. Pour commencer, une exemption sabbatique comporte toujours une définition de la nature du jour de repos. La mesure dans laquelle elle la définit dépend du genre de jour de repos que le législateur cherche à prescrire et de l'ampleur de l'exemption. En l'espèce, le législateur a voulu créer, autant que faire se peut, un jour de repos et de loisir hebdomadaire uniforme, assorti des seules exemptions que, pour des motifs suffisants, il considère comme essentielles. Toutes les activités exemptées tendent à perturber l'atmosphère de détente qu'on recherche dans un jour de repos hebdomadaire uniforme. Outre les perturbations qui découlent des activités exemptées elles‑mêmes, ces dernières sont inévitablement à la source d'autres facteurs, comme l'accroissement de la circulation routière et ainsi de suite, qui perturbent davantage l'atmosphère recherchée. Elles ont aussi pour effet, sur le plan de la concurrence, d'inciter d'autres personnes à garder leurs commerces ouverts, ce qui rend l'application plus difficile et peut même mettre en péril la viabilité de l'objectif du législateur: voir à cet égard le débat entourant la Shops (Sunday Trading Restriction) Act, 1936 britannique, 26 Geo. 5 & 1 Edw. 8, chap. 53, auquel se réfère le juge Frankfurter dans l'arrêt McGowan v. State of Maryland, précité, aux pp. 480 et suiv.

185. Sous l'action des forces économiques et sociologiques, une exemption de ce genre peut aussi avoir pour effet d'inciter ceux qui observent le dimanche à travailler ce jour‑là. La Commission de réforme du droit de l'Ontario, aux pp. 103 et 104 de son rapport, mentionne le fait que les salariés du commerce de détail sont particulièrement vulnérables à ces pressions. Elle affirme notamment à la p. 104:

[TRADUCTION] Ce qui constitue ici peut‑être notre plus grande crainte, qui tend encore une fois à faire ressortir les dimensions sociologiques par rapport aux dimensions économiques, c'est la possibilité que des pressions subtiles soient exercées pour forcer les salariés récalcitrants à accepter de travailler régulièrement ou même occasionnellement le dimanche. Il faut donc se préoccuper d'abord des salariés peu qualifiés, non syndiqués et peu instruits dont l'apport continu des revenus est essentiel au soutien de leur famille, et qui sont les moins mobiles en matière d'autres possibilités d'emploi et les moins à même de s'exprimer pour qu'on remédie à leurs griefs. À une époque de chômage élevé en particulier, ces gens sont sujets à la coercition économique et ne seraient vraisemblablement pas en mesure de s'opposer efficacement au travail le dimanche que leur imposeraient leurs patrons, même s'ils avaient le "choix légal" de travailler ou de ne pas travailler le dimanche.

Ceux qui observent le dimanche, tout comme les autres membres de ce groupe, auraient tendance à réagir à ces pressions. Ainsi, la tentative du législateur d'éviter qu'un groupe religieux fasse l'objet de coercition économique peut avoir pour résultat de soumettre un autre groupe religieux à ce même type de coercition. Comment un tribunal peut‑il, dans de telles matières, substituer son propre jugement à celui du législateur? Bien entendu, les employeurs pourraient chercher à éviter de porter atteinte aux croyances religieuses d'autres personnes en n'engageant que des coreligionnaires, mais c'est là aussi un résultat que le législateur pourrait ne pas vouloir encourager.

186. Le législateur, en l'espèce, a tenté d'éviter une différenciation évidente fondée sur la religion en rendant l'exemption sabbatique accessible à quiconque satisfait aux exigences concernant le nombre d'employés et la superficie mentionnées au par. 3(4) de la Loi. Cette exemption pourrait naturellement mettre obstacle à l'atmosphère de repos et de détente qu'il cherche à créer et imposer un fardeau économique à certaines personnes qui observent le dimanche. Il s'agit là, bien entendu, d'un choix du législateur, mais j'en parle tout simplement pour souligner que de tels choix définissent inévitablement la nature du jour de repos qu'on veut créer et portent préjudice à d'autres groupes religieux. Qui plus est, la disposition camoufle à peine le fait que cette différenciation se fonde sur la religion. Pour ma part, je ne crois pas que ce soit là une amélioration par rapport à une exemption expressément fondée sur la religion. De toute façon, c'est là un choix qu'un autre législateur pourrait raisonnablement vouloir éviter.

187. Le juge Frankfurter (à l'avis duquel a souscrit le juge Harlan) a exposé mieux que je ne puis le faire un bon nombre de ces considérations dans l'arrêt McGowan v. Maryland, précité, aux pp. 515 et 516:

[TRADUCTION] Il y a de bonnes raisons pour que le législateur choisisse de ne pas prescrire une exception de ce genre. Quelle que soit la mesure dans laquelle il y a dans la collectivité des personnes à qui l'exception profite, leurs activités perturberaient l'atmosphère générale de repos et réintroduiraient dans le dimanche le bourdonnement des activités commerciales de la semaine. L'application de la Loi serait plus difficile, avec des violations moins évidentes et, en fait, avec deux jours ou plus à surveiller au lieu d'un seul. Si l'on présume que la demande de biens de consommation offerts en vente au détail est approximativement la même le samedi que le dimanche, ceux qui observent le sabbat, qui sont en proportion moins nombreux et pour qui la concurrence est moins féroce, pourraient acquérir, grâce à l'exception, un avantage d'ordre concurrentiel sur ceux qui n'observent pas le sabbat qui seraient alors vraisemblablement en mesure de se plaindre de subir une discrimination fondée sur leur religion. Les employeurs qui souhaiteraient se prévaloir de l'exception devraient n'employer que des coreligionnaires, ce qui pourrait avoir pour effet d'introduire dans les pratiques privées d'embauche un élément de différenciation religieuse que le législateur pourrait considérer comme non souhaitable.

Enfin, un facteur pertinent qui pourrait amener le législateur d'un état à rejeter toute exception applicable à ceux qui observent un jour autre que le dimanche, est que l'application d'une telle disposition est susceptible de requérir un examen judiciaire portant sur les croyances religieuses.

Aux pages 519 et 520, il ajoute:

[TRADUCTION] Sûrement, compte tenu des problèmes délicats de mise en application dont témoignent ces dispositions, le choix du législateur en faveur d'une interdiction dominicale générale, applicable aux fidèles de toutes confessions, ne saurait être jugé déraisonnable. Le législateur pourrait raisonnablement conclure que la solution consistant à exempter ceux qui observent le sabbat nuirait à l'application efficace des lois sur le dimanche, produirait des effets secondaires préjudiciables et occasionnerait elle‑même une ingérence non négligeable dans le domaine de la foi religieuse. Si préférable qu'on puisse personnellement juger une telle exception, je ne saurais dire que la Constitution l'exige.

188. Des opinions semblables ont été exprimées par le juge en chef Warren, en son propre nom et en celui des juges Black, Clark et Whittaker, dans l'arrêt, rendu simultanément, Braunfeld v. Brown, 366 U.S. 599 (1961), aux pp. 608 et 609. D'ailleurs, il est intéressant de noter qu'à l'époque de ces arrêts, toutes les juridictions d'appel des États‑Unis qui avaient déjà été saisies de la question (à l'exception d'une seule qui avait subséquemment rejeté l'arrêt) avaient conclu à la validité des lois sur le dimanche, et ce, en dépit du fait que plusieurs des lois en cause ne comportaient aucune exemption sabbatique; voir le juge Frankfurter dans l'arrêt McGowan v. Maryland, aux pp. 507 et 508. La Cour, naturellement, est libre d'emprunter une voie différente, mais je pense que le fait que des tribunaux, placés dans une situation semblable, aient adopté un point de vue constant au cours de plusieurs générations ne constitue pas un facteur négligeable quand il s'agit d'évaluer le bien‑fondé de ce point de vue.

189. Il faudrait aussi souligner que la Commission de réforme du droit de l'Ontario avait pour objectif ultime d'assurer un jour de repos uniforme et général, objectif qui, étant donné la concordance générale de la Loi avec le Rapport, peut être attribué au législateur. C'est à cause du fait que les salariés du commerce de détail sont particulièrement vulnérables aux pressions que leurs employeurs peuvent éventuellement exercer sur eux en vue de les faire travailler le dimanche, que la Loi a été jugée nécessaire. La nécessité d'assurer la tranquillité dominicale a été jugée suffisamment préservée dans d'autres secteurs par l'action normale des forces socio‑économiques, dont la puissance qu'ont les syndicats pour assurer un jour de repos uniforme le dimanche dans d'autres secteurs d'activités. Il faut aussi souligner que la Loi sur le dimanche, S.R.C. 1970, chap. L‑13, était en vigueur au moment de l'adoption de la loi ontarienne et qu'elle servait à préserver le jour du repos dominical dans d'autres secteurs. Puisque l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., précité, a déclaré la Loi sur le dimanche invalide, la province pourra juger nécessaire ou opportun de prêter attention à d'autres secteurs, surtout si les forces économiques se révèlent insuffisantes pour réaliser la volonté du législateur.

190. Tout cela a pour but de situer la Loi dans l'ordre des choses. Les exemptions sabbatiques dans bien d'autres secteurs d'activités ne pourraient probablement pas fonctionner; il s'ensuit que les exemptions éventuelles de l'application d'un régime efficace destiné à assurer la tranquillité dominicale doivent nécessairement avoir une portée trop étroite et insuffisante pour pouvoir protéger de manière significative ceux qui n'observent pas le dimanche. Et, comme nous l'avons vu, quelles que soient les exemptions apportées, non seulement elles suscitent des problèmes à l'égard de la réalisation des objectifs de la Loi, mais elles tendent elles‑mêmes à faire pression sur la liberté de religion d'autres individus. Tout cela m'amène à adopter l'opinion que les pressions qui se font concurrence obligent inévitablement à faire de nombreux choix et compromis spécialement adaptés au contexte particulier dans lequel la Loi doit s'appliquer. Cela, à mon sens, exige que le législateur jouisse d'une grande latitude en faisant ces choix. Les remarques suivantes faites par le juge Frankfurter, en examinant d'autres exceptions dans l'arrêt McGowan, à la p. 526, ont aussi leur utilité en l'espèce:

[TRADUCTION] En outre, la variation, d'une activité à l'autre, de la perturbation qu'entraîne le travail le dimanche, et la variation similaire des degrés de tentation de faire fi de la loi, et de la capacité d'absorber et d'ignorer diverses peines légales, rendent excessivement difficile la conception d'un régime de sanctions efficace qui soit en même temps parfaitement équitable.

191. Ma conclusion peut aussi être étayée par un examen attentif de la façon dont une exemption sabbatique doit être formulée. Si de telles exemptions doivent pouvoir fonctionner sans mettre tout le système de fermeture dominicale en danger, certaines décisions doivent être prises en contexte au sujet du genre d'établissements qui peuvent être exemptés, que ce soit en ce qui concerne le nombre d'employés ou la superficie de ces établissements, ou en ce qui concerne d'autres questions. Dans ce genre de décision, on doit nécessairement s'en remettre au jugement du législateur. Pour ce qui est de l'ingérence dans la religion, il ne peut y avoir de différence, comme le démontre le juge Wilson, entre le propriétaire d'un grand ou d'un petit établissement. En fait, le propriétaire d'un grand établissement est susceptible de subir une perte économique plus importante que le propriétaire d'un petit commerce.

192. Comme je l'ai mentionné, des décisions de ce genre appellent le jugement éclairé du législateur. Les juges ne disposent pas de l'information pertinente nécessaire pour décider où la ligne de démarcation doit être tracée. Ainsi, le simple fait que l'Ontario exempte les commerces qui ne compte pas plus de sept employés en même temps et dont la superficie ne dépasse pas 5 000 pieds carrés, nous permet‑il de dire que l'exemption sabbatique québécoise dans le cas des commerces de détail, dont ne peuvent bénéficier que les établissements dont le nombre d'employés n'est jamais supérieur à trois (et alors uniquement sous réserve de l'approbation et des conditions du Ministre), est insuffisante pour être constitutionnellement acceptable? Voir la Loi sur les heures d'affaires des établissements commerciaux, précitée, art. 5.3. La Loi sur l'observance du dimanche, précitée, du Québec, qui défend d'exécuter toute oeuvre industrielle, ainsi que d'exercer aucun négoce ou métier, y compris la vente au détail, ne comporte aucune exemption sabbatique, ce qui indique que le législateur perçoit des exigences différentes dans des contextes différents. (Je ne tiens pas compte de la disposition générale qui, dans ces lois, restreint l'application de la Charte.)

193. Qui plus est, doit‑on évaluer les lois tant québécoise qu'ontarienne en fonction des exemptions générales qu'on trouve dans la loi manitobaine (The Retail Businesses Holiday Closing Act, S.M. 1977, chap. 26) et dans la loi de l'Île‑du‑Prince‑édouard (Day of Rest Act, S.P.E.I. 1985, chap. 12, par. 4(3)) dont l'application n'est limitée ni par la taille de l'établissement ni par le nombre d'employés? La loi du Nouveau‑Brunswick (Loi sur les jours de repos, L.N.‑B. 1985, chap. D‑4.2, al. 7(1)c)) comporte aussi une exemption générale semblable qui est cependant assujettie à l'approbation expresse d'une commission qui peut l'assortir de conditions. La loi albertaine, Municipal Government Amendment Act, S.A. 1985, chap. 43, art. 31 (édictant l'art. 241), contient des dispositions habilitantes dont l'effet pratique ne peut être déterminé de manière abstraite. Le fait est simplement que ce qui peut bien fonctionner dans une province (ou dans une partie de son territoire) peut tout simplement ne pas fonctionner dans une autre sans contrecarrer indûment le régime de la loi. Et un compromis adopté à une époque donnée peut se révéler impossible à un autre moment; on ne peut pas être lié constitutionnellement aux faits dont l'existence a été constatée au moment où les études préparatoires à la mesure législative ont été faites.

194. Ce qui précède est suffisant pour trancher la question qui me préoccupe tout particulièrement, mais je ferais remarquer que les lois du Nouveau‑Brunswick et de l'Île‑du‑Prince‑édouard ont une dimension supplémentaire, qui tend à montrer à quel point peut être difficile la tâche du législateur qui veut créer des exemptions religieuses adéquates. Les exemptions religieuses dans ces lois ne sont pas limitées à ceux qui s'adonnent au culte le samedi; peut y avoir recours quiconque s'adonne au culte pendant un autre jour de la semaine.

195. Il est vrai que la preuve soumise à la Cour au sujet d'autres groupes religieux était peu abondante et que celle relative aux hindous n'était pas satisfaisante. Cependant les avocats, au cours de l'argumentation, ont librement débattu des autres jours de culte d'autres groupes. D'ailleurs, je n'accepte pas qu'en traitant de faits socio‑économiques généraux comme ceux qui sont en cause en l'espèce, la Cour soit nécessairement obligée de s'en remettre uniquement à ceux présentés par les avocats. L'avertissement, dans l'arrêt Oakes et dans d'autres arrêts, de produire des éléments de preuve dans les affaires qui relèvent de la Charte, n'enlève pas aux tribunaux le pouvoir qu'ils ont, lorsqu'ils le jugent opportun, de prendre connaissance d'office de certains faits socio‑économiques généraux et de prendre les mesures nécessaires pour s'informer à leur sujet. Parmi les exemples d'affaires où cette Cour a ainsi procédé, il y a l'arrêt Reference re Alberta Statutes, [1938] R.C.S. 100, particulièrement à la p. 128 et, tel que confirmé sub nom. Attorney‑General for Alberta v. Attorney‑General for Canada, [1939] A.C. 117, aux pp. 130 à 132; l'arrêt Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889, aux pp. 902 et 903; voir aussi l'arrêt R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284; pour des analyses, voir B. Strayer, The Canadian Constitution and The Courts, aux pp. 252 à 256; S. A. Schiff, Evidence in the Litigation Process, vol. 2, chap. 11, aux pp. 682 à 684 ainsi que 712 et 713. La Cour suprême des États‑Unis agit de la même façon. Une affaire classique en ce sens est l'arrêt bien connu en matière d'avortement Roe v. Wade, 410 U.S. 113 (1973), voir Lempert et Saltzburg, A Modern Approach to Evidence, aux pp. 920 à 922.

196. Il y a évidemment des dangers à prendre connaissance d'office, mais les solutions de rechange dans un cas comme celui‑ci consistent à formuler une présomption qui ne repose sur aucun fait ou à prendre une décision en fonction des éléments de preuve que les avocats ont choisi de soumettre. Mais, comme le juge en chef Marshall nous l'a rappelé il y a longtemps, c'est une constitution que nous interprétons. Il n'est pas souhaitable qu'une loi soit jugée constitutionnelle aujourd'hui et inconstitutionnelle demain simplement à partir des éléments de preuve particuliers qui se trouvent à avoir été soumis par les avocats relativement à des faits socio‑économiques généraux. Nous devrions éviter cette éventualité lorsque c'est raisonnablement possible, particulièrement pour ces premiers litiges qui relèvent de la Charte alors que tous tâtonnent, à la recherche de la voie à emprunter dans de telles instances. Cela dit cependant, je ne voudrais pas qu'on pense que je m'écarte de la proposition selon laquelle la charge de démontrer le bien‑fondé d'une restriction en vertu de l'article premier de la Charte appartient à la partie qui cherche à l'imposer, ni que je dégage cette dernière de son obligation de soumettre des éléments de preuve à l'appui de cette restriction. La présomption est en faveur du droit et non de la restriction.

197. De toute manière, il existe certaines preuves qu'un groupe religieux, les musulmans, considèrent le vendredi comme leur jour de culte particulier. Le rapport de la Commission de réforme du droit de l'Ontario mentionne ce fait à la p. 90; voir aussi The New Encyclopedia Britannica, vol. 22, à la p. 13 en particulier. Les musulmans, comme les juifs, ont jugé la nécessité d'observer le dimanche comme jour de repos suffisamment vexatoire pour contester la constitutionnalité des lois de fermeture le dimanche aux États‑Unis: voir State v. Gates, 141 S.E.2d 369 (W. Va. 1965).

198. À supposer que le nombre ait de l'importance, les musulmans dans notre pays ne constituent pas un groupe particulièrement petit par comparaison aux juifs ou aux autres personnes qui observent le samedi. Si quelque 90 pour 100 (soit plus de 21,5 millions) des Canadiens sont affiliés à une confession chrétienne quelconque, les juifs constituent 1,2 pour 100 de la population (soit 296 425 habitants). Les musulmans sont environ trois fois moins nombreux (98 165), soit 0,4 pour 100 de la population canadienne, c.‑à‑d. une proportion de trois contre un environ; voir Annuaire du Canada, 1985, à la p. 64 (recensement de 1981). Pour l'Ontario, la proportion des musulmans (0,6 pour 100) par rapport aux juifs (1,7 pour 100) est quelque peu supérieure; voir The Canadian Encyclopedia, vol. 3, à la p. 1566. Même si l'on ajoutait les autres personnes qui observent le samedi, comme les adventistes du septième jour, la proportion relative ne serait probablement pas modifiée fondamentalement. Compte tenu des politiques actuelles en matière d'immigration, la population musulmane du Canada devrait probablement augmenter; voir ibid., vol. 2, aux pp. 864 et 906, et bien que des efforts soient faits actuellement en vue de modifier les tendances dans le choix du lieu de résidence, l'Ontario continuera vraisemblablement de recevoir une plus large proportion d'immigrants que les autres provinces; voir ibid., vol. 2, aux pp. 864 et 865. Compte tenu de ces circonstances, il n'est pas facile de prime abord de voir pourquoi une exemption n'est pas constitutionnellement requise pour les musulmans, à supposer qu'elle le soit pour les juifs et les autres personnes qui observent le samedi. L'article 27 de la Charte, qui favorise le multiculturalisme, renforcerait cette façon de voir les choses.

199. En fait, la question la plus grave à long terme est peut‑être celle de savoir si une exemption qui se limite au samedi peut satisfaire aux exigences de l'art. 15 en matière d'égalité et non pas si la loi serait valide sans cette exemption: voir Cihlar, Cook, Martori fils, et Meyer, "Church‑State—State‑Religious Institutions and Values: A Legal Survey—1964‑66", 41 Notre Dame Lawyer 681 (1966), aux pp. 739 et suiv.; R. A. Spellman, "A New Look at Sunday Closing Legislation", 45 Nebraska Law Rev. 775 (1966). L'article 15 n'était cependant pas en vigueur au moment où les infractions reprochées auraient été commises, aussi n'ai‑je pas à m'étendre davantage sur cette question.

200. Je n'ai pas mentionné d'autres groupes religieux, dont plusieurs, je crois comprendre, n'ont pas de jour sacré hebdomadaire spécifique, par opposition à des jours de fête religieuse, quoique pour certains ces derniers soient fort nombreux et que les exigences des lois de fermeture le dimanche puissent exercer sur eux des pressions diverses. Quelles exemptions doivent être prévues pour ces groupes et quelles est leur incidence sur les exigences d'égalité et la viabilité du régime législatif? Dans le cas de certaines lois, il est possible de prévoir des exemptions fondées sur la religion, sans porter atteinte au régime législatif ni toucher aux droits religieux et autres d'autrui. Mais cela n'est pas possible dans le cas d'autres lois. Les lois de fermeture le dimanche me semblent tomber dans cette dernière catégorie.

201. Il est vraisemblable que le fardeau imposé aux groupes religieux minoritaires résulte moins d'une obligation de fermer le dimanche que d'autres lois et coutumes sociales: voir The Canadian Encyclopedia, vol 2, à la p. 907. S'il est vrai qu'il faut faire un effort pour éviter d'imposer le point de vue de la majorité aux groupes minoritaires dans la mesure où cela est raisonnablement possible, en définitive dans le domaine particulier qui nous occupe en l'espèce, soit les lois de fermeture le dimanche, on doit laisser aux corps législatifs le soin de faire les choix et les compromis qui s'imposent. En fait, le législateur reconnaît de plus en plus qu'il est souhaitable de composer avec les groupes religieux minoritaires dans ce domaine. Lorsque le rapport de la Commission de réforme du droit de l'Ontario a été publié en 1970 (voir p. 350), aucune province du Canada n'avait prévu d'exemption religieuse. Aujourd'hui, quatre provinces ont adopté de telles exemptions. Une tendance similaire a prévalu aux États‑Unis. Des trente‑quatre lois, plus ou moins élaborées, de fermeture le dimanche, qui étaient en vigueur dans des États lorsque l'arrêt McGowan a été rendu, vingt et une comportaient une forme quelconque d'exemption sabbatique: précité, aux pp. 496 et 517. Tout en étant, comme le Juge en chef, en faveur de l'adoption de toutes les exemptions possibles pour composer avec les groupes minoritaires, je suis d'avis que les choix et les compromis qui doivent être faits en matière de fermeture le dimanche sont de nature essentiellement législative. En l'absence de dispositions déraisonnables ou discriminatoires, les tribunaux ne sont tout simplement pas en mesure de substituer leur jugement à celui du législateur.

202. Je suis d'avis de répondre ainsi aux questions constitutionnelles:

1. Question: La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, relève‑t‑elle des pouvoirs législatifs que possède la province de l'Ontario conformément à l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867?

Réponse: Oui.

2. Question: La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, porte‑t‑elle atteinte, en totalité ou en partie, aux droits et libertés garantis par l'un ou l'autre de l'al. 2a) et des art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l'affirmative, dans quelle mesure porte‑elle atteinte à ces droits?

Réponse: Quant à l'al. 2a), l'art. 2 de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail porte atteinte à la liberté de religion des détaillants qui observent le samedi. Aucune réponse ne doit être donnée en ce qui concerne les autres. Aucune réponse ne doit être donnée non plus en ce qui concerne l'art. 15.

3. Question: Si la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, ou une partie de cette loi, porte atteinte d'une manière quelconque à l'un ou l'autre de l'al. 2a) et des art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, dans quelle mesure ces restrictions aux droits garantis par ces dispositions peuvent‑elles être justifiées par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, être compatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Réponse: L'atteinte que porte la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail à la liberté de religion des détaillants qui observent le samedi est justifiable en vertu de l'article premier.

Version française des motifs rendus par

203. Madame le juge Wilson (dissidente en partie)—Je conviens avec le juge en chef Dickson que la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, relève de la compétence de la province de l'Ontario étant donné qu'elle a pour objet d'établir un jour commun de repos pour les salariés du commerce de détail. Je suis également d'accord avec le Juge en chef pour dire que l'art. 2 de la Loi porte atteinte à la liberté de religion de ceux qui ferment leurs commerces le samedi pour des motifs religieux, étant donné qu'il a pour effet d'assortir leur observance religieuse d'une sanction économique. Il les oblige à fermer leurs portes deux jours par semaine au lieu d'un seul.

204. Toutefois, je ne partage pas l'avis du Juge en chef quant à l'application de l'article premier de la Charte à "l'exemption sabbatique" contenue au par. 3(4) de la Loi. Il me semble qu'une fois qu'il est accepté que l'art. 2 porte atteinte à la liberté de religion de ceux qui ferment leurs commerces le samedi pour des motifs religieux, la question devient la suivante: cette atteinte peut‑elle être justifiée en vertu de l'article premier de manière à pouvoir établir un jour commun de repos pour les salariés du commerce de détail? Le Juge en chef conclut qu'elle peut être justifiée dans le cas des gros détaillants, mais non dans celui des petits. Il le fait, si je comprends bien ses motifs, en fonction du nombre d'employés des gros détaillants, pour le motif qu'une décision d'un gros détaillant de demeurer ouvert le dimanche priverait un plus grand nombre de salariés de leur jour commun de repos que ne le ferait la même décision prise par un détaillant plus petit. Le Juge en chef conclut que cette disparité dans le traitement des membres du groupe dont la liberté religieuse est enfreinte peut se justifier par le fait que cette distinction fondée sur la taille des commerces ne constitue pas un motif de discrimination illicite.

205. Avec égards, je ne pense pas qu'une limitation de la liberté de religion qui reconnaît la liberté de certains membres d'un groupe, mais non celle des autres membres du même groupe, puisse être raisonnable et justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique. L'effet de cette disparité de traitement, qui selon le Juge en chef est fondée sur la taille des commerces, fait en sorte que la liberté de religion de certains est respectée par la Loi, alors que celle des autres ne l'est pas. C'est cet effet qui, à mon avis, rend la Loi vulnérable à une contestation d'ordre constitutionnel.

206. Dans ses commentaires sur la Charte canadienne des droits et libertés, le professeur Tarnopolsky (maintenant juge à la Cour d'appel de l'Ontario) souligne que la Charte protège autant les droits collectifs que les droits individuels. Il fait la distinction entre les droits collectifs et les droits individuels en disant que l'affirmation d'un droit individuel confirme la thèse selon laquelle chacun doit être traité de la même façon, peu importe qu'il ou elle appartienne ou non à un groupe identifiable particulier, alors que l'affirmation d'un droit collectif est fondée sur la revendication d'un individu ou d'un groupe d'individus à cause de leur appartenance à un groupe identifiable particulier: voir "Les droits à l'égalité", Charte canadienne des droits et libertés (1982), à la p. 551.

207. Il me semble que le par. 3(4) de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail a pour objet de reconnaître un droit collectif, soit le droit de ceux qui ferment leurs commerces le samedi pour des motifs religieux de demeurer ouverts le dimanche, sans quoi il y aurait violation du droit que leur garantit l'al. 2a). Cependant, il reconnaît non pas le droit collectif de tous les membres du groupe, mais uniquement celui de certains. Par conséquent, la violation du droit que garantit aux autres l'al. 2a) est sanctionnée par la Loi. Et pourtant, il me semble que dans les cas où la Charte protège des droits collectifs, elle protège les droits de tous les membres d'un groupe. Elle ne fait pas de distinction entre les figues et les raisins. En effet, toute considération d'égalité mise à part, le faire reviendrait à établir une distinction injuste au sein du groupe et à rompre les liens religieux et culturels qui en assurent la cohésion. C'est là, à mon avis, une interprétation de la Charte expressément interdite par l'art. 27 qui dispose que toute interprétation de celle‑ci doit "concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens". Peut‑il s'agir alors d'une limite raisonnable au sens de l'article premier? J'estime que non.

208. Pour aborder la question d'un point de vue différent, je pense que ce que le législateur a tenté de faire dans la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, c'est d'arriver à un compromis entre l'objectif gouvernemental d'un jour commun de repos et la liberté de religion de ceux qui ferment le samedi pour des motifs religieux. Le problème est que le compromis auquel il est arrivé constitue, pour reprendre les termes du professeur Dworkin, un [TRADUCTION] "compromis interne": voir Ronald Dworkin, Law’s Empire (1986), chap. 6 "Integrity", pp. 178 et suiv. Dworkin croit qu'un système juridique doit être caractérisé par [TRADUCTION] "l'intégrité". Par conséquent, lorsqu'un gouvernement légifère sur une question au sujet de laquelle les gens partagent des opinions fort divergentes, il doit le faire en se fondant sur un principe. Dworkin affirme, à la p. 179:

[TRADUCTION] S'il faut faire un compromis parce que les gens partagent des opinions divergentes sur ce qui est juste, alors ce compromis doit être externe, non pas interne; ce doit être un compromis quant à la forme de justice à adopter plutôt qu'une forme de compromis en matière de justice.

Si on applique cela à la présente affaire, le législateur doit décider soit de subordonner la liberté de religion à l'objectif d'un jour commun de repos, une forme de justice, soit de subordonner le jour commun de repos à la liberté de religion, la forme de justice opposée, et, après avoir choisi la forme de justice à adopter, l'appliquer dans tous les cas. Il ne peut pas décider de subordonner la liberté de religion de certains membres du groupe à l'objectif d'un jour commun de repos et subordonner le jour commun de repos à la liberté de religion des autres membres du même groupe. Pourtant, il s'agit là de l'effet de la distinction entre gros et petits détaillants adoptée par le législateur dans cette loi. C'est là, à mon avis, "une forme de compromis en matière de justice". Elle n'affirme pas un principe applicable à tous. Elle reflète plutôt l'indécision du législateur quant à savoir quelle forme de justice adopter. Il en résulte, à mon sens, ce que le professeur Dworkin appelle une loi "disparate".

209. Il résulte de ce que j'ai dit que, à mon avis, le par. 3(4) ne saurait constituer une limite raisonnable au sens de l'article premier de la Charte, ni être justifié dans le cadre d'une société libre et démocratique. Toutefois, à supposer que je fasse erreur sur ce point et qu'une disparité de traitement de ce genre puisse être justifiée en vertu de l'article premier, il faudrait, à mon avis, des éléments de preuve beaucoup plus concluants que ceux offerts par le ministère public pour établir que l'objectif gouvernemental d'un jour commun de repos l'exige. Le ministère public n'a produit aucun élément de preuve établissant qu'autoriser tous les détaillants qui ferment le samedi pour des motifs religieux à demeurer ouverts le dimanche aurait pour effet de perturber sensiblement le jour commun de repos. Il n'a pas non plus été établi que les détaillants qui ne sont pas amenés à fermer le samedi pour des considérations religieuses choisiraient, en vertu de l'al. 3(4)a), de fermer le samedi aux seules fins d'ouvrir le dimanche. Des considérations d'ordre économique pourraient fort bien rendre ce choix invraisemblable. Nous ne le savons tout simplement pas. Je suis donc d'accord avec le juge Tarnopolsky pour dire que le ministère public ne s'est absolument pas acquitté de l'obligation qui lui incombe en vertu de l'article premier de la Charte.

210. Le problème avec le par. 3(4) est, selon moi, qu'il ne va pas assez loin. Il ne protège pas la liberté de religion de tous ceux qui ferment le samedi pour des motifs religieux. L'alinéa 3(4)a) pris isolément constitue, à mon sens, une exemption parfaitement valide de l'application de l'art. 2 de la Loi, car il reconnaît, en composant avec lui, le droit que garantit la Charte à son al. 2a); mais les al. b) et c) du par. (4) fixent une limite à cette exemption (et donc à la liberté de religion de ceux qui ferment le samedi pour des motifs religieux) qui n'est ni raisonnable ni justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique. L'article premier ne permet donc pas de sauver ces alinéas. Toutefois, il me semble qu'on peut parfaitement les dissocier de l'al. (4)a). Par conséquent, je suis d'avis de les considérer comme inopérants en vertu du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

211. Si l'on devait citer une source à l'appui de l'application du principe de la dissociation à ces alinéas, j'invoquerais le critère classique formulé ainsi dans Attorney‑General for Alberta v. Attorney‑General for Canada (Reference re Alberta Bill of Rights), [1947] A.C. 503, à la p. 518:

[TRADUCTION] La véritable question qui se pose est de savoir si le reste n'est pas si inextricablement lié à la partie déclarée invalide qu'il ne saurait subsister indépendamment ou, comme on l'a dit parfois, si, après un examen impartial de toute la question, on peut présumer que le législateur aurait jamais adopté ce qui subsiste sans adopter la partie qui est ultra vires.

À mon avis, l'al. 3(4)a) satisfait à ce critère et peut subsister par lui‑même sans les al. b) et c). Il garantit la liberté de religion, ce qui était manifestement l'intention dominante du législateur quand il a adopté le par. 3(4), mais il la garantit pour tous ceux qui ferment le samedi pour des motifs religieux et non pas seulement pour quelques‑uns.

212. Je me fonde aussi sur le texte du par. 52(1) lui‑même, selon lequel une règle de droit incompatible avec les dispositions de la Constitution est inopérante. Ce texte, me semble‑t‑il, autorise expressément la dissociation dans un cas comme celui dont nous sommes saisis. Je ne conteste pas la démarche suivie par le juge Tarnopolsky en accordant à l'appelante Nortown Foods Limited une réparation en vertu du par. 24(1) pour le motif que l'art. 2 de la Loi est inopérant dans son cas. Il me semble néanmoins que, lorsque la loi contestée peut faire l'objet d'une dissociation, la dissociation est la voie qu'il est préférable d'emprunter. On évite ainsi de réserver le redressement au justiciable en question, pour en faire profiter tous ceux auxquels la disposition inconstitutionnelle porte préjudice. En un mot, on préserve l'intégrité du groupe plutôt que d'y porter atteinte.

213. J'ai un ou deux commentaires à ajouter. Le premier porte que lorsque le tribunal est appelé à évaluer, en vertu de l'article premier de la Charte, une valeur fondamentale comme la liberté de religion et l'objectif législatif certes souhaitable d'un jour commun de repos, il doit se rappeler que, dans la mesure où il n'a prescrit un jour commun de repos que pour une petite partie de la population, soit certaines catégories de salariés du commerce de détail, et où il n'a pas jugé opportun de le prescrire pour la grande majorité des salariés de ce secteur, le législateur a lui‑même appliqué son propre jugement de valeur au jour commun de repos. Il ne l'a pas accordé de manière générale à tous les travailleurs de la province. Je ne me prononce pas sur la question de savoir si cela est bien ou mauvais—cela n'intéresse pas la Cour—je dis simplement qu'il s'agit là d'une preuve de l'importance que le législateur lui‑même attache au concept d'un jour commun de repos.

214. Le second commentaire que je tiens à ajouter concerne la crainte exprimée par le Juge en chef que l'extension de l'exemption à tous ceux qui observent le samedi n'ait pour effet d'obliger éventuellement certaines personnes qui observent le dimanche à travailler ce jour‑là s'ils sont au service d'employeurs qui ferment le samedi pour des motifs religieux. Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, cette Cour a conclu qu'en vertu du Code ontarien des droits de la personne l'employeur est tenu de composer avec les employés qui se retrouvent dans cette situation. Si un employé refuse, pour des motifs religieux, de travailler un jour donné, l'employeur doit prendre des mesures raisonnables, sauf si cela lui cause une contrainte excessive, pour lui trouver un remplaçant ce jour‑là. L'employé qui observe le dimanche n'est donc pas dépourvu de recours même si ce recours est prévu non pas par la présente loi, mais par le Code ontarien des droits de la personne.

215. Une dernière observation. Comme l'illustrent si bien des arrêts comme l'arrêt O'Malley, dans une société pluraliste, il ne peut y avoir respect des droits de la personne que si tous les citoyens, et plus particulièrement ceux qui composent la majorité, démontrent un esprit de coopération et de la bonne volonté. Comme le Juge en chef l'affirme dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 336:

Une société vraiment libre peut accepter une grande diversité de croyances, de goûts, de visées, de coutumes et de normes de conduite. Une société libre vise à assurer à tous l'égalité quant à la jouissance des libertés fondamentales et j'affirme cela sans m'appuyer sur l'art. 15 de la Charte. La liberté doit sûrement reposer sur le respect de la dignité et des droits inviolables de l'être humain.

Dispositif

216. Vu que ni Edwards Books and Art Limited, ni Longo Brothers Fruit Markets Limited, ni Paul Magder n'ont fermé leurs portes le samedi précédant leurs inculpations, leurs pourvois doivent être rejetés. Ils ne peuvent pas se prévaloir de l'exemption prévue à l'al. 3(4)a) de la Loi. Nortown Foods Limited peut cependant se prévaloir de l'exemption de l'al. 3(4)a) et, par conséquent, le pourvoi du ministère public doit être rejeté avec dépens. Je suis d'avis de ne pas accorder de dépens contre les trois appelants déboutés.

217. Je suis d'avis de répondre ainsi aux questions constitutionnelles:

1. Question: La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, relève‑t‑elle des pouvoirs législatifs que possède la province de l'Ontario conformément à l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867?

Réponse: Oui.

2. Question: La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, porte‑t‑elle atteinte, en totalité ou en partie, aux droits et libertés garantis par l'un ou l'autre de l'al. 2a) et des art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l'affirmative, dans quelle mesure porte‑t‑elle atteinte à ces droits?

Réponse: L'article 2 de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail porte atteinte à la liberté de religion, garantie par l'al. 2a) de la Charte, des détaillants qui ferment leurs commerces le samedi pour des motifs religieux et qui ne peuvent se prévaloir de l'exemption prévue au par. 3(4) de la Loi.

3. Question: Si la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, ou une partie de cette loi, porte atteinte d'une manière quelconque à l'un ou l'autre de l'al. 2a) et des art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, dans quelle mesure ces restrictions aux droits garantis par ces dispositions peuvent‑elles être justifiées par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, être compatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Réponse: Les restrictions apportées à la liberté de religion par les al. b) et c) du par. 3(4) de la Loi ne sauraient être justifiées en vertu de l'article premier de la Charte, aussi ces alinéas doivent‑ils être déclarés inopérants en vertu du par. 52(1).

218. Je n'exprime aucune opinion sur la question de savoir si la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail viole la liberté de religion des hindous et des musulmans. Je suis d'accord avec le Juge en chef pour dire qu'aucun fondement probatoire n'a été soumis à l'appui d'une contestation constitutionnelle par les membres de ces confessions religieuses.

Pourvoi (Edwards Books and Art Limited c. La Reine) rejeté.

Pourvoi (La Reine c. Nortown Foods Limited) accueilli, le juge Wilson dissidente.

Pourvoi (Longo Brothers Fruit Markets Limit‑ ed, Thomas Longo, Joseph Longo, faisant affaire sous la raison sociale de Longo Brothers Fruit Market c. La Reine) rejeté.

Pourvoi (Magder c. La Reine) rejeté.

Procureurs de l’appelante Edwards Books and Art Limited: Blake, Cassels and Graydon, Toronto.

Procureurs des appelants Longo Brothers Fruit Markets Limited, Thomas Longo, Joseph Longo, faisant affaire sous la raison sociale de Longo Brothers Fruit Market: Goodman and Goodman, Toronto.

Procureurs de l’appelant Paul Magder: Lobl, Recht, Freedman & Danson, Toronto.

Procureur de l’appelante‑intimée Sa Majesté La Reine: Ministère du procureur général, Toronto.

Procureurs de l’intimée Nortown Foods Limit‑ ed: McCarthy & McCarthy, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada: Frank Iacobucci, Ottawa.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec: Procureur général du Québec, Ste‑Foy.

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse: Procureur général de la Nouvelle‑Écosse, Halifax.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick: Procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Manitoba: Procureur général du Manitoba, Winnipeg.

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan: Procureur général de la Saskatchewan, Regina.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta: Procureur général de l’Alberta, Edmonton.

Procureur de l’intervenant le procureur général de Terre‑Neuve: Procureur général de Terre‑Neuve, St. John’s.

Procureur de l’intervenante Ontario Conference Corporation of the Seventh‑day Adventist Church: David Thomas, Oshawa.


Synthèse
Référence neutre : [1986] 2 R.C.S. 713 ?
Date de la décision : 18/12/1986
Sens de l'arrêt : Le pourvoi formé par paul magder est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Liberté de religion - Droit à la liberté - Commerces de détail obligés de fermer le dimanche - Loi fondée sur l’intérêt d'ordre laïque d'avoir un jour commun de repos - Exemptions prévues par la Loi, dont une exemption limitée pour ceux qui observent le samedi - La Loi relève‑t‑elle de la compétence législative de la province? - La Loi porte‑t‑elle atteinte à la liberté de religion garantie par la Charte (art. 2a)), au droit à la liberté (art. 7) ou au droit à l’égalité devant la loi (art. 15)? - Les restrictions qu'apporte la Loi à ces droits sont‑elles justifiables dans le cadre d'une société libre et démocratique? - Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, art. 2(1), 3(4) - Loi constitutionnelle de 1867, art. 91, 92 - Loi constitutionnelle de 1982, art. 52 - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2a), 7, 15, 27, 32.

Quatre détaillants ontariens ont été accusés en 1983 d'avoir omis de s'assurer qu'aucune marchandise n'était vendue ou offerte en vente au détail un dimanche, contrairement à la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail. Les affaires ont été jugées à des moments différents, par des juges de la Cour des infractions provinciales. Edwards, Longo et Magder ont eu gain de cause en cette cour, mais ils ont été déboutés par la Cour d'appel des infractions provinciales et la Cour d'appel de l'Ontario. Dans leurs pourvois devant cette Cour, ils contestent la constitutionnalité de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail. Peu ou pas d'éléments de preuve ont été présentés concernant les croyances religieuses des employés ou des clients. Nortown, un magasin d'alimentation cascher appartenant à des hommes d'affaires juifs, a violé la Loi en ce que le nombre d'employés au service du public dépassait le maximum autorisé par l'exemption prévue au par. 3(4). Aux termes du par. 3(4), peuvent ouvrir le dimanche les commerces qui ont été fermés le samedi précédent, qui n'emploient que sept personnes ou moins pour servir le public et qui utilisent à cette fin une superficie inférieure à 5 000 pieds carrés. Nortown a été déboutée par les deux premières juridictions, mais elle a eu gain de cause en Cour d'appel. En réponse au pourvoi de Sa Majesté, Nortown met en question, pour des raisons d'ordre constitutionnel, l'applicabilité de la Loi à son commerce particulier.

Les questions constitutionnelles formulées par la Cour sont les suivantes: (1) La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail relève‑t‑elle de la compétence législative de la province? (2) Y a‑t‑il eu violation de l'un ou l'autre des art. 2, 7 et 15 de la Charte? Et (3) dans quelle mesure une atteinte à ces droits peut‑elle être justifiée par l'article premier de la Charte?

Arrêt (le juge Wilson est dissidente en partie): La validité de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail est confirmée.

Arrêt: Le pourvoi formé par Edwards Books and Art Limited est rejeté.

Arrêt (le juge Wilson est dissidente): Le pourvoi formé par Sa Majesté contre Nortown Foods Limited est accueilli et l'intimée reconnue coupable.

Arrêt: Le pourvoi formé par Longo Brothers Fruit Markets Limited, Thomas Longo, Joseph Longo, faisant affaire sous la raison sociale de Longo Brothers Fruit Market, est rejeté.

Arrêt: Le pourvoi formé par Paul Magder est rejeté.

Le juge en chef Dickson et les juges Chouinard et Le Dain: La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail et l'exemption prévue à son par. 3(4) relèvent de la compétence législative que possède la province en vertu de l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Bien que la Loi porte atteinte à la liberté de religion de certaines personnes qui observent le samedi, elle est justifiable en ce qu'elle constitue une limite raisonnable au sens de l'article premier de la Charte. Par conséquent, la validité de la Loi est confirmée.

La Loi ne constitue pas une tentative subreptice d'encourager le culte, mais elle a plutôt été adoptée dans le but d'ordre laïque d'accorder des jours de congé uniformes aux salariés du commerce de détail. Le titre et le texte de la Loi, les débats de l'Assemblée législative et le Report on Sunday Observance Legislation font tous ressortir ses objets d'ordre laïque. Certes l'exemption prévue au par. 3(4) est le fruit de préoccupations au sujet de l'effet de la Loi sur les gens qui observent le samedi, ce ne sont pas toutes les questions d'ordre religieux qui relèvent de la compétence exclusive du Parlement fédéral. Une loi portant sur la religion ou la liberté religieuse devrait être qualifiée en fonction de son contexte, selon la question religieuse particulière qu'elle vise. Il est loisible à une législature provinciale de tenter de neutraliser ou de minimiser les effets préjudiciables qu'a une mesure législative par ailleurs valide sur les droits de la personne comme la liberté de religion. L'exemption du par. 3(4) ne fait que supprimer une obligation imposée ailleurs dans la Loi. Ni la Loi ni l'exemption n'excèdent la compétence de la province.

Toute entrave coercitive à la pratique religieuse, qu'elle soit directe ou indirecte, délibérée ou involontaire, prévisible ou imprévisible, relève potentiellement de l'al. 2a). Une interprétation plus restrictive serait incompatible avec l'arrêt de cette Cour R. c. Big M Drug Mart Ltd. et avec l'obligation qui lui incombe, en vertu de l'art. 27 de la Charte, de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens. Cela ne veut pas dire que toute entrave à certaines pratiques religieuses porte atteinte à la liberté de religion garantie par la Constitution. L'action législative ou administrative qui accroît le coût de la pratique ou de quelque autre manifestation des croyances religieuses n'est pas interdite si le fardeau ainsi imposé est négligeable ou insignifiant.

La Loi a pour effet de porter atteinte sensiblement à la liberté qu'ont les personnes qui observent le samedi de manifester leurs croyances religieuses ou de les mettre en pratique. Toute exemption mise à part, la Loi place le détaillant qui observe le samedi dans une situation de désavantage en l'obligeant à fermer un jour de plus que celui qui observe le dimanche. La pression de la concurrence exercée sur les détaillants non exemptés, pour qu'ils cessent d'observer le samedi comme jour de sabbat, n'est pas sans importance ni négligeable. La Loi impose aussi un fardeau aux consommateurs qui observent le samedi, en circonscrivant la possibilité qu'ils ont de faire leurs courses ou d'obtenir certains services professionnels et, pour les fins des présents pourvois, il est présumé que ce fardeau est suffisamment lourd pour constituer une restriction à leur liberté religieuse.

La Loi n'a pas de répercussions négatives sur les droits de ceux qui observent le dimanche. Aucune preuve satisfaisante n'a été soumise au sujet de ses répercussions sur les membres des confessions qui observent des jours de repos hebdomadaires autres que le samedi et le dimanche, et, par conséquent, la question de savoir si la Loi enfreint la liberté de religion des adeptes de ces confessions est une question à laquelle on devrait s'abstenir de répondre dans les présents pourvois. Les effets sur les détaillants qui n'observent aucun jour de repos religieux hebdomadaire sont, en général, de nature laïque et, en l'absence d'éléments de preuve concluants que la volonté de demeurer ouvert a été animée par des objectifs de dissidence religieuse plutôt que par des considérations purement commerciales, ces effets ne portent pas atteinte à leur liberté de conscience ou de religion.

Les restrictions apportées à la liberté de religion des personnes qui observent le samedi par la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail satisfont aux exigences nécessaires pour établir qu'elles sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. En premier lieu, si on la considère dans le contexte d'une tendance, qui croît rapidement, à l'ouverture à grande échelle des commerces, la Loi a pour objet de répondre à une préoccupation urgente et réelle et l'objectif qu'elle vise à promouvoir est suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit garanti par la Constitution. Il est évident en soi qu'il est souhaitable de permettre aux parents d'avoir régulièrement, avec leurs enfants, eux‑mêmes en congé scolaire, des jours de congé dont jouissent également la plupart des autres familles et des autres membres de la collectivité.

En second lieu, la Loi est appropriée à ses fins et soigneusement conçue pour atteindre ses objectifs. L'exemption prévue au par. 3(4) a pour effet d'atténuer fort sensiblement les répercussions de la Loi sur les groupes religieux dont le jour de sabbat est le samedi. Bien qu'il puisse exister d'autres régimes qui réduisent les effets de la Loi sur la liberté religieuse de ceux qui observent le samedi, aucun régime ne procure un redressement complet à l'ensemble des personnes qui observent le samedi. De plus, le législateur ne saurait être blâmé de ne permettre qu'aux commerces qui ne comptent tout au plus que sept employés le dimanche de se prévaloir de l'exemption du par. 3(4). Le législateur a soupesé l'intérêt de plus de sept salariés vulnérables à jouir d'un jour commun de repos et l'intérêt qu'a leur employeur à faire des affaires le dimanche. Bien qu'il incombe au législateur qui adopte une loi de fermeture le dimanche de tenter très sérieusement d'atténuer ses effets sur ceux qui observent le samedi, il arrive un moment où la taille d'un commerce de détail fait qu'il est acceptable que le législateur décide d'accorder la préférence aux intérêts des salariés plutôt qu'à ceux du propriétaire du magasin. Le législateur ontarien a fait un effort sérieux pour composer avec la liberté de religion de ceux qui observent le samedi, dans la mesure où cela était possible, sans préjudicier indûment à la portée et à la qualité de l'objectif consistant à avoir un jour de repos.

L'application d'une "exemption constitutionnelle", qui pourrait être accordée à certaines personnes dont la liberté de religion est atteinte par une loi par ailleurs valide, n'a pas à être considérée en l'espèce puisque la restriction apportée à la liberté religieuse de ceux qui observent le samedi a fait l'objet d'une exemption légale qui est justifiable en vertu de l'article premier.

La Loi n'enfreint pas l'art. 7 de la Charte. Le terme "liberté" dans cet article n'est pas synonyme d'absence totale de contrainte. Le terme "liberté", quel qu'en soit le sens précis, ne va pas jusqu'à s'entendre d'un droit illimité de faire des affaires toutes les fois qu'on le veut. Il n'est pas nécessaire d'examiner les moyens fondés sur le droit à l'égalité devant la loi, puisque l'art. 15 de la Charte n'était pas en vigueur à l'époque où les magasins ont été ouverts ni à celle où les déclarations de culpabilité en cause ont été prononcées.

Les juges Beetz et McIntyre: La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail relève de la compétence de la province. Elle n'enfreint pas l'art. 7 de la Charte, et l'art. 15 ne s'applique pas puisqu'il n'était pas en vigueur à l'époque pertinente.

Le texte de loi en cause ne viole pas la liberté de conscience et de religion garantie par l'al. 2a) de la Charte et a plein effet sans qu'il soit nécessaire de s'appuyer sur l'article premier de la Charte. Le fardeau économique imposé à ceux qui observent le samedi existe indépendamment de la loi en cause et découle du choix délibéré de celui qui observe le samedi de faire primer les préceptes de sa religion sur ses profits financiers. Un désavantage semblable sur le plan financier existerait pour ceux qui observent le samedi si toutes les lois prescrivant l'observance du dimanche étaient abrogées et si la plupart des commerces devaient demeurer ouverts sept jours sur sept. Par conséquent, ce n'est pas le genre de préjudice qui est envisagé dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. où il a été établi que la coercition doit émaner de l'état pour constituer une violation de l'al. 2a) de la Charte.

Aucune preuve n'a été soumise quant aux répercussions de la Loi sur les employés et il n'y avait pas assez d'éléments de preuve, quant à son effet sur les consommateurs qui observent le samedi, pour établir même une preuve prima facie.

Le juge La Forest: L'alinéa 2a) de la Charte n'oblige pas le législateur à prévoir une exemption sabbatique afin de décharger ceux qui s'adonnent au culte le samedi du fardeau que peut leur imposer la Loi.

Même si l'al. 2a) de la Charte protège l'individu de toute coercition législative directe et indirecte, et même si, pour certains, le fardeau indirect qui résulte de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail est suffisamment lourd pour constituer une atteinte à leur liberté de religion, la Loi constitue une limite raisonnable prévue par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer en vertu de l'article premier de la Charte. L'objet de la Loi est d'une importance suffisante pour justifier un certain empiétement sur la liberté énoncée à l'al. 2a).

La Cour se demandera si les moyens choisis par le législateur sont proportionnés aux fins recherchées. Toutefois, dans le présent contexte, il faut reconnaître que si l'objectif du législateur doit être atteint, il ne pourra l'être qu'au détriment de certains. Donc, en cherchant à atteindre un objectif dont il est démontré qu'il est justifié dans le cadre d'une société libre et démocratique, le législateur doit disposer d'une marge de manoeuvre. Ce qui est raisonnable variera avec le contexte, en fonction de la nature de l'intérêt brimé et du régime législatif qu'on veut implanter. En l'espèce, prévoir des exemptions pour ceux qui observent un jour autre que le dimanche peut faire substantiellement obstacle à la mise en oeuvre de la Loi et imposer des fardeaux à ceux qui observent le dimanche tout en créant des inégalités. En l'absence de dispositions déraisonnables ou discriminatoires, le choix de prévoir ou non des exemptions religieuses et celui de la nature de ces exemptions demeure essentiellement le choix du législateur.

Le juge Wilson (dissidente en partie): La Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail relève de la compétence de la province étant donné qu'elle a pour objet d'établir un jour commun de repos pour les salariés du commerce de détail. Toutefois, l'art. 2 de la Loi porte atteinte à la liberté de religion de ceux qui ferment leurs commerces le samedi pour des motifs religieux, étant donné qu'il a pour effet d'assortir leur observance religieuse d'une sanction économique. La limite imposée au par. 3(4) ne peut être justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.

Une limitation de la liberté de religion qui reconnaît la liberté de certains membres d'un groupe, mais non celle des autres membres du même groupe, ne peut être raisonnable et justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique. Cette disparité de traitement fait en sorte que la liberté de religion de certains est respectée par la Loi, alors que celle des autres continue d'être violée. Dans les cas où la Charte protège des droits collectifs, elle protège les droits de tous les membres d'un groupe et non pas seulement ceux de certains membres de ce groupe, sinon cela reviendrait à établir une distinction injuste au sein du groupe et à rompre les liens religieux et culturels qui en assurent la cohésion. Une telle interprétation est expressément interdite par l'art. 27 de la Charte qui lie l'interprétation de ce document au maintien et à la valorisation du patrimoine multiculturel du Canada. De toute manière, il faudrait des éléments de preuve beaucoup plus concluants pour établir que cette disparité de traitement est nécessaire pour réaliser l'objectif gouvernemental d'un jour commun de repos. L'alinéa 3(4)a) constitue une exemption parfaitement valide de l'application de l'art. 2 car il reconnaît, en composant avec lui, le droit que garantit la Charte à son al. 2a); mais les al. b) et c) fixent une limite à cette exemption qui n'est ni raisonnable ni justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique. Ces alinéas doivent être dissociés.

Seule Nortown Foods Ltd. peut se prévaloir de l'exemption de l'al. 3(4)a), ayant fermé le samedi précédent son inculpation.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Edwards Books and Art Ltd.

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge en chef Dickson
Arrêts examinés: R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
In re Legislation Respecting Abstention from Labour on Sunday (1905), 35 R.C.S. 581
McGowan v. Maryland, 366 U.S. 420 (1961)
Braunfeld v. Brown, 366 U.S. 599 (1961)
distinction d'avec l'arrêt: Robertson and Rosetanni v. The Queen, [1963] R.C.S. 651
arrêts mentionnés: R. v. Top Banana Ltd. (1974), 4 O.R. (2d) 513
Lieberman v. The Queen, [1963] R.C.S. 643
Attorney‑General for Ontario v. Hamilton Street Railway Co., [1903] A.C. 524
Ouimet v. Bazin (1912), 46 R.C.S. 502
Henry Birks & Sons (Montreal) Ltd. v. City of Montreal, [1955] R.C.S. 799
St. Prosper (La Corporation de la Paroisse de) v. Rodrigue (1917), 56 R.C.S. 157
Attorney‑General for Canada v. Attorney‑General for Ontario, [1937] A.C. 326
Reference re Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. 1
Clarke v. Wawken, [1930] 2 D.L.R. 596
Procureur général du Canada et Dupond c. Ville de Montréal, [1978] 2 R.C.S. 770
R. v. Tamarac Foods Ltd. (1978), 96 D.L.R. (3d) 678
Walter v. Attorney General of Alberta, [1969] R.C.S. 383
Saumur v. City of Quebec, [1953] 2 R.C.S. 299
Scowby c. Glendinning, [1986] 2 R.C.S. 226
Two Guys from Harrison‑Allentown, Inc. v. McGinley, 366 U.S. 582 (1961)
Gallagher v. Crown Kosher Super Market of Massachusetts, Inc., 366 U.S. 617 (1961)
R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357
Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145
Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177
Williamson v. Lee Optical of Oklahoma, 348 U.S. 483 (1955)
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486.
Citée par le juge Beetz
Arrêt suivi: R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295.
Citée par le juge La Forest
Arrêt examiné: McGowan v. Maryland, 366 U.S. 420 (1961)
arrêts mentionnés: R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
Braunfeld v. Brown, 366 U.S. 599 (1961)
Attorney‑General for Alberta v. Attorney‑General for Canada, [1939] A.C. 117, confirmant Reference re Alberta Statutes, [1938] R.C.S. 100
Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889
R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284
Roe v. Wade, 410 U.S. 113 (1973)
State v. Gates, 141 S.E.2d 369 (W. Va. 1965).
Citée par le juge Wilson
Arrêts mentionnés: Attorney‑General for Alberta v. Attorney‑General for Canada, [1947] A.C. 503
Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295.
Lois et règlements cités
Act to Prevent the Profanation of the Lord’s Day, in Upper Canada, C.S.U.C. 1859, chap. 104.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2a), 7, 15, 24(1), 27, 32(2).
Constitution des États‑Unis d'Amérique, Premier amendement.
Day of Rest Act, S.P.E.I. 1985, chap. 12, art. 4(3).
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III, art. 1c).
Holiday Shopping Regulation Act, S.B.C. 1980, chap. 17.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91, 92.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.
Loi sur l'observance du dimanche, L.R.Q. 1977, chap. O‑1.
Loi sur le dimanche, S.R.C. 1970, chap. L‑13.
Loi sur le repos hebdomadaire dans les établissements industriels, S.C. 1935, chap. 14, art. 3.
Loi sur les heures d'affaires des établissements commerciaux, L.R.Q., chap. H‑2, art. 5.3.
Loi sur les jours de repos, L.N.‑B. 1985, chap. D‑4.2, art. 7(1).
Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, L.R.O. 1980, chap. 453, art. 1(1), 2(1), (2), 3(1), (2), (3), (4), (6), (7), (8), 4, 4b), c), 7.
Municipal Government Amendment Act, S.A. 1985, chap. 43, art. 31, édictant l'art. 241.
Ontario Human Rights Code, S.O. 1961‑62, chap. 93.
Retail Business Uniform Closing Day Act, S.N.S. 1985, chap. 6.
Retail Businesses Holiday Closing Act, S.M. 1977, chap. 26.
Shops Closing Act, S.N. 1977, chap. 107.
Shops (Sunday Trading Restriction) Act, 1936, 26 Geo. 5 & 1 Edw. 8, chap. 53.
Urban Municipality Act, 1984, S.S. 1983‑84, chap. U‑11, art. 121 tel que modifié.
Doctrine citée
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Proposition de citation de la décision: R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713 (18 décembre 1986)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1986-12-18;.1986..2.r.c.s..713 ?
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