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09/04/1987 | CANADA | N°[1987]_1_R.C.S._313

Canada | Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313 (9 avril 1987)


Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313

DANS L'AFFAIRE D'UN RENVOI fondé sur le paragraphe 27(1) de la Judicature Act, R.S.A. 1980, chap. J‑1;

ET DANS L'AFFAIRE DE la validité des dispositions sur l'arbitrage obligatoire contenues dans la Public Service Employee Relations Act, la Labour Relations Act et la Police Officers Collective Bargaining Act, R.S.A. 1980, chap. P‑33, L‑1.1 et P‑12.05, respectivement;

ET DANS L'AFFAIRE DE l'exclusion de certains salariés des unités de négociation collective

entre
r>Alberta Union of Provincial Employees, Syndicat canadien de la fonction publique et Alber...

Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313

DANS L'AFFAIRE D'UN RENVOI fondé sur le paragraphe 27(1) de la Judicature Act, R.S.A. 1980, chap. J‑1;

ET DANS L'AFFAIRE DE la validité des dispositions sur l'arbitrage obligatoire contenues dans la Public Service Employee Relations Act, la Labour Relations Act et la Police Officers Collective Bargaining Act, R.S.A. 1980, chap. P‑33, L‑1.1 et P‑12.05, respectivement;

ET DANS L'AFFAIRE DE l'exclusion de certains salariés des unités de négociation collective

entre

Alberta Union of Provincial Employees, Syndicat canadien de la fonction publique et Alberta International Fire Fighters Association Appelants

et

Le procureur général du Manitoba Intervenant pour les appelants

c.

Le procureur général de l'Alberta Intimé

et

Le procureur général du Canada, le procureur général de l'Ontario, le procureur général du Québec, le procureur général de la Nouvelle‑Écosse, le procureur général de la Colombie‑Britannique, le procureur général de l'Île‑du‑Prince‑Édouard, le procureur général de la Saskatchewan et le procureur général de Terre‑Neuve Intervenants pour l'intimé

répertorié: renvoi relatif à la public service employee relations act (alb.)

No du greffe: 19234.

1985: 27 et 28 juin; 1987: 9 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard*, Wilson, Le Dain et La Forest.

*Le juge Chouinard n'a pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1984), 16 D.L.R. (4th) 359, [1985] 2 W.W.R. 289, 35 Alta. L.R. (2d) 124, 57 A.R. 268, 85 CLLC ¶ 14,027, rendu par suite d'un renvoi en application du par. 27(1) de la Judicature Act de l'Alberta. Pourvoi rejeté, le juge en chef Dickson et le juge Wilson sont dissidents.

Timothy J. Christian, pour l'appelant l'Alberta Union of Provincial Employees.

Sheila J. Greckol et June M. Ross, pour l'appelant le Syndicat canadien de la fonction publique.

Barrie C. Chivers, pour l'appelante l'Alberta International Fire Fighters Association.

Roderick A. McLennan, c.r., Nolan Steed et Brian R. Burrows, pour l'intimé.

V. E. Toews et V. J. Matthews Lemieux, pour l'intervenant le procureur général du Manitoba.

E. A. Bowie, c.r., pour l'intervenant le procureur général du Canada.

Blenus Wright, c.r., et John Cavarzan, c.r., pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.

Réal‑A. Forest et Gilles Grenier, pour l'intervenant le procureur général du Québec.

Alison Scott et R. Endres, pour l'intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse.

E. Robert A. Edwards, c.r., pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

Ralph C. Thompson, pour l'intervenant le procureur général de l'Île‑du‑Prince‑Édouard.

M. C. Crane et B. G. Welsh, pour l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

Deborah E. Fry, pour l'intervenant le procureur général de Terre‑Neuve.

Version française des motifs du juge en chef Dickson et du juge Wilson rendus par

1. Le Juge en chef (dissident)—Le pourvoi porte sur l'interprétation de la "liberté d'association" que garantit l'al. 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés dans le contexte des relations de travail. Les principales questions soulevées sont les suivantes: 1) Les lois adoptées par la province de l'Alberta qui interdisent les grèves contreviennent‑elles à l'al. 2d) de la Charte? et 2) Dans l'affirmative, y a‑t‑il des circonstances dans lesquelles des limites apportées par ces lois à la liberté d'association sont raisonnables et justifiées d'une manière qui puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, aux fins de l'article premier de la Charte, et quelles sont‑elles?

I

Le renvoi—Les questions constitutionnelles

2. Le lieutenant‑gouverneur en conseil de la province de l'Alberta a soumis certaines questions à la Cour d'appel de l'Alberta afin d'obtenir son opinion à titre consultatif, conformément au par. 27(1) de la Judicature Act, R.S.A. 1980, chap. J‑1:

1. Les dispositions de la Public Service Employee Relations Act qui prévoient l'arbitrage obligatoire pour résoudre les différends et interdisent le recours aux lock‑out et aux grèves, en particulier les articles 49, 50, 93 et 94, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

2. Les dispositions de la Labour Relations Act qui prévoient l'arbitrage obligatoire pour résoudre les différends et interdisent le recours aux lock‑out et aux grèves, en particulier les articles 117.1, 117.2 et 117.3, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

3. Les dispositions de la Police Officers Collective Bargaining Act qui prévoient l'arbitrage obligatoire pour résoudre les différends et interdisent le recours aux lock‑out et aux grèves, en particulier les articles 3, 9 et 10, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

4. Les dispositions de la Public Service Employee Relations Act qui se rapportent à l'arbitrage, en particulier les articles 48 et 55, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

5. Les dispositions de la Labour Relations Act qui se rapportent à l'arbitrage, en particulier l'article 117.8 sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

6. Les dispositions de la Police Officers Collective Bargaining Act qui se rapportent à l'arbitrage, en particulier le paragraphe 2(2) et l'article 15, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

7. La Loi constitutionnelle de 1982 limite‑t‑elle le droit de Sa Majesté d'exclure des unités de négociation collective une seule ou plusieurs des catégories suivantes de ses employés:

a) un employé qui exerce des fonctions de gestion;

b) un employé qui est préposé à des fonctions confidentielles en matière de relations de travail;

c) un employé dont les fonctions sont essentielles au bon fonctionnement de la Législature, de l'Exécutif ou du Judiciaire;

d) * 3un employé dont les droits en tant que membre d'une unité de négociation collective entreraient en conflit avec ses obligations d'employé?

3. La Cour d'appel de l'Alberta, à la majorité, a répondu aux questions 1 à 3 par la négative et n'a pas répondu aux autres questions: (1984), 16 D.L.R. (4th) 359, [1985] 2 W.W.R. 289, 35 Alta. L.R. (2d) 124, 57 A.R. 268, 85 CLLC ¶ 14,027. L'Alberta Union of Provincial Employees, le Syndicat canadien de la fonction publique et l'Alberta International Fire Fighters Association ont formé un pourvoi devant cette Cour. Le procureur général du Manitoba est intervenu en faveur des appelants. Le procureur général du Canada et les procureurs généraux de chacune des autres provinces, à l'exception du Nouveau‑Brunswick, sont intervenus en faveur du procureur général de l'Alberta.

II

Les dispositions législatives et constitutionnelles pertinentes

4. Les dispositions contestées de la Public Service Employee Relations Act, R.S.A. 1980, chap. P‑33, telle que modifiée par S.A. 1983, chap. 34 et 96 (ci‑après la Public Service Act), s'appliquent aux employés de la fonction publique albertaine; celles de la Labour Relations Act, R.S.A. 1980 (Supp.), chap. L‑1.1, telle que modifiée par S.A. 1983, chap. 34, s'appliquent aux pompiers et aux employés d'hôpitaux, et celles de la Police Officers Collective Bargaining Act, S.A. 1983, chap. P‑12.05 (ci‑après la Police Officers Act), s'appliquent aux agents de police.

5. Les questions constitutionnelles 1, 2 et 3 du présent renvoi portent sur la constitutionnalité de l'interdiction du recours à la grève et de son remplacement par l'arbitrage obligatoire.

6. L'économie de chaque loi est semblable. Bien que la définition du terme "grève" varie légèrement d'une loi à l'autre, toutes ces définitions portent qu'une grève est un arrêt de travail, un refus de travailler ou de continuer à travailler par deux ou plusieurs personnes qui agissent d'un commun accord ou de concert (voir: Public Service Act, al. 1q); Labour Relations Act, al. 1(1)u); Police Officers Act, al. 1m). Chacune de ces lois interdit les grèves et fait de la grève ou de l'invitation à la grève une infraction (voir Public Service Act, art. 93 et 95; Labour Relations Act, par. 117.1(2), 117.1(4) et art. 155; Police Officers Act, par. 3(1) et art. 46).

7. Chacune de ces lois comporte un régime d'arbitrage pour résoudre les différends qui surviennent au cours du processus de négociation collective. Si un différend ne peut être résolu, l'employeur ou l'agent négociateur, ou encore les deux à la fois, peuvent demander la constitution d'un tribunal d'arbitrage (Public Service Act, art. 49; Labour Relations Act, art. 117.2; Police Officers Act, art. 9).

8. Selon la Public Service Act, lorsqu'elle reçoit une demande de constitution d'un tribunal d'arbitrage, le Public Service Employee Relations Board peut ordonner aux parties de poursuivre la négociation collective, nommer un médiateur ou constituer un tribunal d'arbitrage selon son appréciation des circonstances (art. 50). En vertu de l'art. 117.3 de la Labour Relations Act et de l'art. 10 de la Police Officers Act, le Ministre peut, à la réception d'une requête en constitution d'un tribunal d'arbitrage, (1) ordonner aux parties de poursuivre la négociation collective et, s'il le juge approprié, prescrire la procédure ou les conditions dans lesquelles elle doit se dérouler, ou (2) constituer un tribunal d'arbitrage s'il est convaincu qu'il est approprié de soumettre le différend à un tel tribunal.

9. Les dispositions en cause dans les questions 4, 5 et 6 du présent renvoi portent avant tout sur la possibilité de soumettre certaines matières à l'arbitrage et sur les facteurs dont un tribunal d'arbitrage peut tenir compte.

10. Les articles 48 et 55 de la Public Service Act portent:

[TRADUCTION] 48(1) Le tribunal d'arbitrage ne peut être saisi que des sujets qui peuvent être inclus dans une convention collective et sa sentence arbitrale ne peut porter que sur ceux‑ci.

(2) Nonobstant le paragraphe (1), aucun des sujets suivants ne peut être soumis au tribunal d'arbitrage ni faire l'objet d'une sentence arbitrale:

a) l'organisation du travail, l'attribution de tâches et la détermination du nombre d'employés;

b) les systèmes d'évaluation des emplois et la répartition des tâches et des postes individuels dans les systèmes;

c) la sélection, les nominations, les promotions, la formation ou les mutations;

d) les pensions.

55 Pour s'assurer que les salaires et les avantages accordés sont justes et raisonnables autant pour les employés que pour l'employeur et qu'ils sont conformes à l'intérêt public, le tribunal d'arbitrage

a) doit tenir compte des éléments suivants, pour la période visée par sa sentence:

(i) les salaires et avantages accordés aux travailleurs syndiqués ou non syndiqués des secteurs privés et publics;

(ii) la permanence et la stabilité des emplois des secteurs privés et publics, dont

A) les niveaux d'emploi et l'incidence des mises à pied,

B) l'incidence de l'emploi pour un temps moindre que les heures normales de travail, et

C) les possibilités d'emploi;

(iii) toute politique fiscale qui peut, à l'occasion, être énoncée par écrit par le trésorier provincial aux fins de la présente loi;

et

b) peut tenir compte des éléments suivants, pour la période visée par sa sentence:

(i) les conditions d'emploi dans des postes analogues offerts par d'autres employeurs, notamment toute variation d'ordre géographique, industriel ou autre que le tribunal d'arbitrage estime pertinente;

(ii) la nécessité de maintenir des rapports convenables, quant aux conditions d'emploi, entre les différents niveaux de classification au sein d'une même occupation et entre les différentes occupations pour lesquelles l'employeur fournit de l'emploi;

(iii) la nécessité d'établir des conditions d'emploi justes et raisonnables compte tenu des compétences requises, du travail accompli, de la responsabilité assumée et de la nature des services rendus;

(iv) tout autre facteur qu'il juge pertinent.

11. L'article 117.8 de la Labour Relations Act est identique à l'art. 55 de la Public Service Act, sauf qu'il parle d'un [TRADUCTION] "tribunal d'arbitrage obligatoire" plutôt que d'un "tribunal d'arbitrage".

12. L'article 15 de la Police Officers Act est aussi identique à l'art. 55 de la Public Service Act, sauf qu'il parle d'un [TRADUCTION] "tribunal d'arbitrage de divergences d'intérêts" plutôt que d'un "tribunal d'arbitrage".

13. La question 6 du présent renvoi porte sur le par. 2(2) de la Police Officers Act. Cet article est unique. Aucune disposition similaire ne figure dans les autres lois. Voici le texte de l'art. 2:

[TRADUCTION] 2(1) Tous les agents de police, sauf l'agent‑chef et les agents‑chefs adjoints, ont le droit:

a) d'être membres d'une association policière et de participer à ses activités licites,

b) de négocier collectivement avec la municipalité à laquelle ils sont affectés par l'intermédiaire d'un agent négociateur,

mais aucun agent de police ne peut rester ou devenir membre d'un syndicat ou d'une organisation qui est affiliée, directement ou indirectement, à un syndicat.

(2) Nonobstant le paragraphe (1), la demande par les autorités locales, au sens de la Special Forces Pension Act, d'assujettir ses agents de police à cette loi, lorsqu'elle est accordée, supprime tout droit de négocier collectivement relativement à des prestations de pension.

La question 7 ne mentionne pas expressément les lois en cause. Elle porte, d'une manière générale, sur des catégories d'exclusion des unités de négociation collective et si on doit y répondre, on ne peut le faire que dans l'abstrait.

14. Les dispositions suivantes de la Charte sont pertinentes en l'espèce:

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:

a) liberté de conscience et de religion;

b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

c) liberté de réunion pacifique;

d) liberté d'association. [C'est moi qui souligne.]

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

III

L'arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta

15. Les juges formant la majorité de la Cour d'appel de l'Alberta (le juge Kerans, aux motifs duquel ont souscrit le juge en chef McGillivray, le juge D. C. McDonald (ad hoc) et le juge Stevenson) ont répondu par la négative aux questions 1 à 3 du renvoi, ont jugé qu'il n'était pas nécessaire de répondre aux questions 4 à 6 et que la question 7 ne pouvait recevoir de réponse. Le juge Belzil, dissident en partie, a répondu par la négative aux six premières questions et par l'affirmative à la question 7.

16. Selon le juge Kerans, la question ultime qui se pose dans le présent renvoi est de savoir si l'imposition de l'arbitrage obligatoire pour remplacer la grève et le lock‑out porte atteinte à la liberté d'association des travailleurs en question. Il conclut que non. D'après les juges formant la majorité, les dispositions de la Charte doivent recevoir une interprétation large et libérale qui soit conforme aux prescriptions de l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, et en définissant un droit garanti par la Charte, la cour n'a pas à se préoccuper des difficultés qui peuvent surgir si le droit est absolu. Ces préoccupations relèvent plutôt de l'art. 33 ou de l'article premier de la Charte. L'interprétation donnée ne doit pas toutefois être trop rigoureuse ou extravagante.

17. Appliquant ces principes au présent renvoi, la cour à la majorité conclut que les restrictions légales apportées à la grève ne constituent pas une atteinte à l'al. 2d) de la Charte. Selon le juge Kerans, il faut faire preuve de mesure dans l'interprétation de la Charte; les tribunaux ne doivent pas interpréter la liberté d'association comme une protection offerte par la Charte à [TRADUCTION] "toute action entreprise par un groupe en vue de réaliser un objectif collectif". De plus, les juges formant la majorité ne sont pas convaincus que l'interdiction de faire grève limite effectivement la liberté d'association des employés du secteur public.

18. Le juge Kerans examine ensuite l'argument selon lequel [TRADUCTION] "le droit d'association doit être élargi [ . . . ] de manière à inclure le droit de faire grève afin de vivifier le droit des travailleurs de s'associer à leur avantage mutuel". Pour les fins de l'appel, le juge Kerans ne s'est pas prononcé sur la validité de cette proposition, mais il a conclu que, même s'il s'agissait d'une norme légale appropriée, il n'avait pas été prouvé que l'imposition de l'arbitrage obligatoire a effectivement été préjudiciable à la vitalité des syndicats en question. Ainsi, d'après le juge Kerans, ces régimes législatifs ne font pas obstacle à des négociations collectives valables et efficaces.

19. Les juges formant la majorité ont refusé de répondre aux questions 4 à 6 étant donné que la réponse négative donnée aux questions 1 à 3 rendait inutile l'examen du bien‑fondé de ces régimes particuliers d'arbitrage imposés par les lois pour remplacer la grève. Ils ont jugé que l'on ne pouvait pas répondre dans l'abstrait à la question 7 pour le motif que toute réponse serait fonction des faits de chaque espèce.

20. Le juge Belzil, dans une opinion distincte, donne aux trois premières questions une réponse semblable à celle des juges formant la majorité, mais ses réponses procèdent d'un raisonnement différent. Selon lui, la liberté d'association garantie par la Charte signifie que [TRADUCTION] "deux ou plusieurs personnes peuvent, de concert, faire ce qui leur plaît pourvu qu'elles ne causent aucun préjudice à autrui ni ne transgressent des limites raisonnables imposées par une règle de droit et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique". Il qualifie la grève [TRADUCTION] "d'arme ultime de coercition dont disposent les travailleurs" dans le processus de négociation collective et juge [TRADUCTION] "inconcevable qu'une charte destinée à protéger également les droits et libertés de tous les citoyens puisse garantir à un citoyen un droit inviolable de causer un préjudice à autrui, ou accroître la liberté d'un citoyen au détriment de celle d'autrui". En conséquence, il conclut que le droit de faire grève ne relève pas de la Charte et il répond aux questions 1 à 3 par la négative.

21. D'après le juge Belzil, les questions 4 à 6 doivent aussi recevoir une réponse négative puisqu'à son avis la Charte n'impose aucune restriction au législateur quand il précise ce dont un arbitre doit ou peut tenir compte lors d'un arbitrage obligatoire. Le juge Belzil donne une réponse affirmative à la question 7. Selon lui, [TRADUCTION] "Puisque la négociation collective en elle‑même et en l'absence de recours à la grève n'est préjudiciable à personne, toute limitation du droit, que possède tout individu de chacune des catégories mentionnées aux al. a), b), c) et d) de la question 7, de s'associer avec d'autres pour former des unités de négociation collective constitue, à première vue, une atteinte à la liberté d'association que garantit à chacun d'eux la Charte, à moins que cette limite ne soit justifiée en vertu de l'article premier". Ainsi, selon le juge Belzil, la négociation collective est du domaine de la Charte quoique la grève ne le soit pas.

IV

La liberté d'association et l'al. 2d) de la Charte

22. La liberté d'association, c'est la liberté de s'unir dans la poursuite d'un objectif commun ou pour promouvoir une cause commune. C'est l'une des libertés fondamentales garanties par la Charte, une condition essentielle de toute société libre et démocratique, qui protège les individus de la vulnérabilité résultant de l'isolement et qui assure la possibilité d'avoir une participation efficace dans la société. Dans toutes les sphères de l'activité humaine et tout au long de l'histoire, des individus ont formé des associations vouées à la poursuite d'intérêts et d'aspirations communs. En s'associant, les individus parviennent à faire entendre leur voix pour façonner ce qui permet de répondre à leurs besoins, à leurs droits et à leurs libertés.

23. La liberté d'association constitue la pierre angulaire des relations de travail modernes. Historiquement, les travailleurs se sont unis pour aplanir les inégalités de puissance de négociation inhérentes aux relations employeur‑employé et se prémunir contre des conditions de travail injustes, dangereuses ou favorisant l'exploitation. Comme l'a dit la Cour suprême des états‑Unis dans l'arrêt N.L.R.B. v. Jones & Laughlin Steel Corp., 301 U.S. 1 (1937), à la p. 33:

[TRADUCTION] Il y a longtemps nous avons exposé la raison d'être des organisations ouvrières. Nous avons dit qu'elles se sont formées pour répondre à l'urgence de la situation; qu'un simple employé était démuni quand il traitait avec un employeur et qu'il était habituellement tributaire de son salaire quotidien pour ce qui est de son entretien et de celui de sa famille; que si l'employeur refusait de lui payer le salaire qu'il estimait juste, il était néanmoins incapable de quitter son emploi et de résister à un traitement arbitraire et injuste; . . .

Il va sans dire que l'"urgence de la situation" signifie plus que des salaires justes et des préoccupations d'ordre pécuniaire et qu'elle vise également des sujets comme la santé et la sécurité au travail, les heures de travail, l'égalité des sexes et d'autres aspects des tâches qui sont fondamentaux pour la dignité et la liberté personnelle des employés.

24. La question en l'espèce est de savoir dans quelle mesure la liberté d'association, que garantit l'al. 2d) de la Charte, protège la liberté des travailleurs d'agir de concert et de négocier et cesser collectivement de fournir leurs services.

1. La jurisprudence

25. Quatre sources jurisprudentielles importantes méritent d'être examinées. Premièrement, une jurisprudence abondante s'est développée au Canada sur l'étendue de la protection constitutionnelle accordée à la liberté d'association. Deuxièmement, le Comité judiciaire du Conseil privé a abordé la question. Troisièmement, il existe de nombreux précédents américains portant sur la liberté d'association, dont certains ont été tranchés dans le contexte des relations de travail. Et, quatrièmement, la liberté d'association dans le cadre des relations de travail a reçu une attention considérable en droit international. Il est intéressant d'examiner la jurisprudence du Conseil privé sur la liberté d'association avant d'étudier la jurisprudence canadienne étant donné qu'elle a servi de point de départ pour bien des décisions de tribunaux canadiens relatives à l'al. 2d) de la Charte et qu'elle est largement invoquée par l'intimé.

26. Dans l'évaluation de la jurisprudence pertinente, il est important de garder trois points à l'esprit. Premièrement, les syndicats jouissent‑ils d'une protection constitutionnelle?

27. Deuxièmement, comment aborde‑t‑on la nature de la liberté d'association? Plus précisément, le tribunal en question a‑t‑il adopté ce que j'appellerais une définition "constitutive" de la liberté d'association, selon laquelle elle ne comporte que la liberté de s'unir, mais non la liberté de s'adonner aux activités pour lesquelles l'association a été formée? Ou encore, a‑t‑on adopté une définition plus large portant que la liberté d'association comprend à la fois la liberté de s'unir et celle d'agir collectivement? En l'espèce, l'intimé fait sienne la première conception, alors que les appelants adoptent la seconde.

28. Troisièmement, à supposer que l'on adopte la définition plus large, quelle est l'étendue des activités protégées? Les activités qui visent la réalisation d'un objectif commun ne sont pas toutes constitutionnellement protégées du simple fait qu'on s'associe pour s'y adonner. Il faut donc examiner le principe constitutionnel applicable pour déterminer l'étendue que doit avoir la liberté d'association afin de découvrir les limites imposées dans différents ressorts à cette liberté d'association.

(i) Le Comité judiciaire du Conseil privé

29. L'arrêt de principe qui nous vient du Conseil privé est Collymore v. Attorney‑General, [1970] A.C. 538. Dans cette affaire, il s'agissait de savoir si l'Industrial Stabilisation Act 1965 de Trinité et Tobago portait atteinte à la liberté d'association garantie par la Constitution de ce pays. L'article 1 de cette Constitution dispose:

[TRADUCTION] Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci‑après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu à Trinité et Tobago quels que soient sa race, son origine, sa couleur, sa religion ou son sexe: . . . j) la liberté de réunion et d'association; . . .

L'article 2, dans la mesure où il est pertinent, dispose:

[TRADUCTION] Sous réserve des dispositions des articles 3, 4 et 5 de la Constitution, aucune loi ne doit avoir pour effet de supprimer, de restreindre ou d'enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni d'en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression...

En vertu de l'art. 4, le Parlement peut adopter des lois d'exception en situation d'urgence, et en vertu de l'art. 5, il peut adopter des lois incompatibles avec les art. 1 et 2, sous réserve de certaines garanties précises.

30. L'article 34 de l'Industrial Stabilisation Act 1965 interdisait aux travailleurs de participer à une grève au cours d'un conflit de travail à moins que le différend n'ait été porté à l'attention du ministre du Travail et que ce dernier n'en ait pas saisi le tribunal du travail constitué en vertu de la Loi. Les appelants étaient au service de la Texaco Trinidad, Inc. et membres de l'Oilfield Workers' Trade Union. Ils ont demandé à la Haute Cour de Trinité de rendre un jugement déclaratoire portant que la Loi outrepassait la compétence du Parlement de Trinité et Tobago pour le motif qu'elle était incompatible avec la liberté d'association garantie par la Constitution. Leur demande fut rejetée.

31. L'appel interjeté par les appelants à la Cour d'appel fut rejeté: Collymore v. Attorney‑General (1967), 12 W.I.R. 5. Après avoir examiné en profondeur l'historique de la réglementation juridique des grèves, le juge en chef Wooding énonce une définition restreinte de la liberté d'association (à la p. 15):

[TRADUCTION] Alors à mon avis, la liberté d'association ne signifie rien de plus que la liberté de conclure des ententes pour promouvoir les objectifs communs du groupe qui s'associe. Ces objectifs peuvent être de tout ordre. Ils peuvent être religieux ou sociaux, politiques ou philosophiques, économiques ou professionnels, éducatifs ou culturels, sportifs ou charitables. Mais la liberté d'association ne confère ni le droit ni l'autorisation d'avoir un comportement ou d'accomplir des actes qui de l'avis du Parlement sont défavorables à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement du pays.

Il n'appartient pas aux tribunaux de déterminer ce qui est ou ce qui n'est pas défavorable à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement du pays.

32. De même, le juge Phillips a conclu que *font3*s (TRADUCTION] ""ce droit" [de grève], si on peut l'appeler ainsi, est d'une nature fort différente des droits ou libertés fondamentaux bien connus que la "common law" confère au sujet en Angleterre..." (p. 29) et [TRADUCTION] "une distinction logique doit manifestement être faite entre la liberté d'association à proprement parler et la liberté de s'adonner à toute activité particulière d'une association" (p. 31). Le juge Fraser a conclu que, pour que la liberté d'association comprenne le droit de grève, il fallait que ce soit là un droit découlant de la common law. Il a constaté que ce n'était pas le cas: [TRADUCTION] "Le droit de participer à un arrêt de travail concerté qui à lui seul peut constituer une grève n'est rien d'autre qu'une exemption légale tacite des conséquences criminelles et civiles, limitée dans son étendue aux actes accomplis dans la poursuite ou en vue d'un conflit de travail" (p. 48).

33. À la suite de l'appel interjeté au Conseil privé, lord Donovan, s'exprimant au nom de la cour, a été d'accord avec le juge en chef Wooding pour dire que la liberté d'association ne comporte pas la liberté de poursuivre les objectifs d'une association, et il a cité en l'approuvant le passage précité. En conséquence, le pourvoi a été rejeté.

34. Bien que l'affaire Collymore fasse voir sous un angle pertinent le sens qu'il faut donner à la liberté d'association, son applicabilité à la Charte se trouve réduite en raison de la nature différente des textes constitutionnels. La Constitution de Trinité et Tobago ressemble davantage, de par sa nature et sa fonction, à la Déclaration canadienne des droits qu'à la Charte, en acceptant, comme elle le fait, le point de vue des "droits figés". Elle reconnaît et proclame des droits et libertés préexistants et n'est donc pas une source de nouvelles garanties constitutionnelles. C'est pour cette raison que les tribunaux, dans l'affaire Collymore, ont tant cherché à vérifier si la liberté de faire grève existait en common law avant l'introduction de la réforme législative. Comme je l'explique plus loin, la Charte marque le début d'une ère nouvelle en matière de protection des libertés fondamentales. Nous n'avons pas à fonder la garantie de la liberté d'association sur des libertés préexistantes.

(ii) La jurisprudence canadienne

35. La jurisprudence canadienne concernant la nature et la portée de la liberté d'association est partagée. D'une part, la Cour d'appel de la Colombie‑ Britannique et la Cour d'appel fédérale ont fait leur une définition constitutive de la liberté d'association, concluant que la négociation collective et la grève ne sont pas garanties par la liberté d'association. Ce point de vue est conforme à l'arrêt Collymore. D'autre part, la Cour divisionnaire de l'Ontario et la Cour d'appel de la Sas­katchewan ont adopté des définitions plus larges, concluant que la liberté d'association inclut la liberté de poursuivre des objectifs communs et de s'adonner à des activités collectives, et qu'il ne s'agit pas simplement de la liberté de constituer des associations et d'y adhérer.

36. Dans l'affaire de la Colombie‑Britannique, Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale & Department Store Union, Local 580 (1984), 10 D.L.R. (4th) 198 (C.A.C.‑B.), il s'agissait de savoir si une injonction interlocutoire ordonnant à l'intimé de cesser de faire du piquetage allait à l'encontre des libertés d'expression et d'association garanties par la Charte. On s'est pourvu en cette Cour, mais uniquement sur la question de la liberté d'expression: [1986] 2 R.C.S. 573. Quant à la question de la liberté d'association, la Cour d'appel à la majorité (les juges Esson et Taggart), s'appuyant sur l'arrêt Collymore, a jugé que [TRADUCTION] "la liberté de s'associer n'implique aucune protection constitutionnelle des objectifs de l'association ou des moyens de les atteindre (p. 209). Le juge Esson affirme (aux pp. 207 et 208):

[TRADUCTION] La liberté [d'association] est celle de l'individu (c.‑à‑d. de "chacun", pour reprendre les termes de l'art. 2). C'est la liberté de s'unir, de se réunir, d'adhérer à un syndicat, de créer et de maintenir une organisation de personnes ayant un objectif commun. Une de ces catégories d'associations protégées par l'art. 2 est sans aucun doute le syndicat. Chacun a le droit d'adhérer à un syndicat et de promouvoir, avec les autres membres, les intérêts collectifs des adhérents. Il ne s'ensuit pas que la Charte garantit les objets et les buts du syndicat, ni les moyens qui permettent de les atteindre.

La majorité a conclu que la liberté d'association garantie par la Charte n'avait pas d'effet sur les lois qui limitent ou contrôlent le piquetage.

37. Les arrêts Dolphin Delivery et Collymore ont été suivis par la Cour d'appel fédérale dans son arrêt Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine, [1984] 2 C.F. 889 (ci‑après AFPC) (qui a fait l'objet d'un pourvoi devant cette Cour et dont les motifs sont prononcés en même temps que le présent arrêt, [1987] 1 R.C.S. 424). L'arrêt de la Cour d'appel est résumé en détail dans les motifs prononcés par la Cour au sujet de cette affaire. En bref, la Cour d'appel a jugé que la Loi sur les restrictions salariales du secteur public, S.C. 1980‑81‑82‑83, chap. 122, privait les fonctionnaires du droit de négocier collectivement mais que, ce faisant, elle ne portait pas atteinte à la liberté d'association garantie par la Charte. Selon le juge Mahoney (à l'avis duquel souscrit le juge Hugessen), à la p. 895:

Le droit à la liberté d'association, garanti par la Charte, est le droit de conclure des ententes. Il ne protège ni les objectifs de l'association, ni les moyens d'atteindre ces objectifs.

...

Je ne crois pas qu'il soit souhaitable de tenter de cataloguer les droits et immunités inhérents à la liberté d'association, garantie d'un syndicat. De toute évidence, la négociation collective est ou devrait être le principal moyen par lequel un syndicat organisé entend atteindre son principal objectif: l'amélioration économique de ses membres. Aussi fondamental que soit ce moyen cependant, il demeure un moyen et à ce titre, le droit de négocier collectivement n'est pas garanti par l'alinéa 2d) de la Charte, qui garantit la liberté d'association.

Le juge Marceau, qui s'est dit d'accord avec le juge Mahoney et avec son recours à l'arrêt Dolphin Delivery, ajoute (à la p. 897): "Je ne vois pas sur quelle règle d'interprétation, si libérale soit‑elle, on pourrait se fonder pour attribuer à l'expression "liberté d'association" un sens suffisamment large pour englober le droit de grève."

38. Les tribunaux de première instance d'un bon nombre de provinces ont adopté le raisonnement des arrêts Collymore, Dolphin Delivery et AFPC en interprétant l'al. 2d) de la Charte. Voir les décisions: Newfoundland Association of Public Employees v. The Queen in Right of Newfoundland (1985), 14 C.R.R. 193 (C.S.T.‑N., D.P.I.); Re Prime and Manitoba Labour Board (1983), 3 D.L.R. (4th) 74 (B.R. Man.), infirmé pour d'autres motifs (1984), 8 D.L.R. (4th) 641 (C.A. Man.); Halifax Police Officers and NCO's Association v. City of Halifax (1984), 11 C.R.R. 358 (C.S.N.‑é., D.P.I.)

39. Par contraste avec ces décisions, il y a les affaires de l'Ontario et de la Saskatchewan. Dans l'affaire Re Service Employees' International Union, Local 204 and Broadway Manor Nursing Home (1983), 44 O.R. (2d) 392 (ci‑après l'affaire Broadway Manor), une demande d'examen judiciaire adressée à la Cour divisionnaire de la Haute Cour de justice de l'Ontario soulevait la question de la validité de l'Inflation Restraint Act, 1982, S.O. 1982, chap. 55. La Commission des relations de travail avait interprété l'art. 13 de la Loi comme prorogeant, au delà de leur date normale d'expiration, les conventions collectives des salariés du secteur public. Le juge Galligan a statué sur la demande en fonction du moyen portant que la Commission des relations de travail a mal interprété la Loi, tout en abordant la question de savoir si l'art. 13 enfreint la liberté d'association [TRADUCTION] "par déférence pour l'argument de poids qu'on a soumis à son sujet et compte tenu du fait qu'il se peut que mon interprétation de l'art. 13 ne soit pas acceptée par d'autres" (p. 406). Les juges O'Leary et Smith étaient d'avis que la Commission avait correctement interprété la Loi et ont statué sur la demande en fonction de la question de la Charte.

40. La Cour divisionnaire a rejeté à l'unanimité la conception de la liberté d'association de l'arrêt Collymore. Les trois juges se sont dit d'avis que la liberté d'association garantie par l'al. 2d) de la Charte s'étend aux activités de ces associations et ne se limite pas simplement à l'adhésion à ces associations et à leur formation. Le juge Galligan a rejeté expressément l'interprétation de la liberté d'association donnée dans l'arrêt Collymore en affirmant qu'elle est incompatible avec [TRADUCTION] "une interprétation large et libérale". Voici ce qu'il affirme, à la p. 409:

[TRADUCTION] Mais je pense que si la liberté d'association doit avoir un sens, elle doit inclure la liberté d'avoir un comportement raisonnablement compatible avec les objets licites d'une association et, je pense, un objet licite c'est tout objet que la loi n'interdit pas...

Le but d'une association de travailleurs constitués en syndicat est clair—c'est la promotion de leurs intérêts communs. S'ils ne sont pas libres de prendre les mesures licites qui leur paraissent raisonnables pour la promotion de ces intérêts, y compris la négociation et la grève, alors, en pratique, leur association est vaine et inutile. Je ne puis imaginer que la Charte avait pour objectif de garantir la liberté d'association sans garantir aussi la liberté de faire ce à quoi l'association est destinée. Je n'ai aucune hésitation à conclure qu'en garantissant aux membres la liberté d'association, la Charte leur garantit tout au moins la liberté de s'organiser, de choisir leur propre syndicat, de négocier et de faire grève.

Le juge O'Leary affirme, à la p. 445:

[TRADUCTION] Mais le droit de grève est‑il compris dans l'expression "liberté d'association"? La possibilité de faire grève, en l'absence de tout genre de conciliation ou d'arbitrage obligatoire, constitue la seule arme économique importante dont disposent les employés. Le droit de s'organiser et de négocier collectivement n'est qu'une illusion s'il n'est pas accompagné du droit de faire grève. La principale raison pour laquelle le droit de s'organiser et de négocier collectivement est assuré aux employés c'est de leur permettre de négocier avec leur employeur. Si l'on enlève à un employé la possibilité de faire grève, les avantages du droit de s'organiser et de négocier collectivement sont tellement réduits qu'ils n'ont pratiquement plus de sens. Si le droit de s'organiser et de négocier collectivement a une valeur importante, alors le droit de faire grève doit également être un droit qui est compris dans l'expression "liberté d'association" et c'est ce que je conclus.

D'après le juge Smith, à la p. 463: [TRADUCTION] "La liberté de s'associer dont on parle dans la Charte, n'étant pas limitée à première vue, inclut la liberté de s'organiser, de négocier collectivement et, par voie de conséquence nécessaire, de faire grève".

41. L'arrêt Broadway Manor a récemment été cité par une formation de juges différente de la Cour divisionnaire de l'Ontario (les juges Southey, Griffiths et Saunders), qui l'ont apparemment approuvé, à l'appui de la thèse portant que la liberté d'association comprend le droit de négocier collectivement: Re Chung and Amalgamated Clothing & Textile Workers' Union, (1986), 54 O.R. (2d) 650.

42. Dans l'arrêt Re Retail, Wholesale & Department Store Union, Locals 544, 496, 635 and 955 and Government of Saskatchewan (1985), 19 D.L.R. (4th) 609 (ci‑après l'affaire des Travailleurs de l'industrie laitière), la Cour d'appel de la Saskatchewan, à la majorité, a rejeté l'interprétation de la liberté d'association donnée dans les arrêts Collymore, Dolphin Delivery et AFPC, et a tiré des conclusions analogues à celles de la Cour divisionnaire dans l'arrêt Broadway Manor. L'affaire des Travailleurs de l'industrie laitière a fait l'objet d'un pourvoi devant cette Cour dont les motifs sont prononcés en même temps que le présent arrêt, [1987] 1 R.C.S. 460.

43. Il s'agissait de savoir si The Dairy Workers (Maintenance of Operations) Act, S.S. 1983‑84, chap. D‑1.1 (projet de loi no 44), qui interdisait les grèves et les lock‑out dans l'industrie laitière pour une certaine période, violait l'al. 2d) de la Charte. La cour à la majorité a jugé que oui (le juge en chef Bayda et le juge Cameron), le juge Brownridge étant dissident. Les deux juges formant la majorité ont souligné le rapport nécessaire qu'il y a entre le fait de s'associer afin de négocier collectivement et la liberté de procéder à cette négociation et de faire la grève. Le juge en chef Bayda rejette vigoureusement le raisonnement de l'arrêt Collymore (pp. 624 à 626) pour conclure que (1) la liberté d'association est la liberté des individus [TRADUCTION] "d'accomplir collectivement, sans intervention gouvernementale, les actes qu'ils sont libres d'accomplir seuls", et que (2) [TRADUCTION] " lorsque, par définition, un acte n'est pas susceptible d'accomplissement par un seul individu, les individus ont la liberté de s'associer pour l'accomplir, pourvu que l'acte n'ait pas pour but de causer un préjudice" (p. 620). Comme un employé est libre en tant qu'individu de refuser de travailler, le refus de travailler par des employés de concert est protégé par la liberté d'association. Quant au second élément de la liberté d'association, l'élément moral de la grève consiste à forcer l'employeur à accepter certaines conditions d'emploi, et non à causer un préjudice. Donc, l'individu est libre de s'associer de cette manière et c'est pourquoi l'interdiction de faire grève que comporte la Loi viole la liberté d'association.

44. Le juge Cameron arrive à la même conclusion. Il se dit d'avis que, bien que la jurisprudence tende à laisser entendre que la grève n'est pas protégée par l'al. 2d) de la Charte, [TRADUCTION] "l'ensemble des principes qui commence à se dégager relativement à l'interprétation de la Charte semble plutôt réclamer son inclusion, surtout si nous voulons écouter l'appel visant à donner à ces droits et libertés une "interprétation généreuse [...] propre à permettre aux particuliers [d'en] bénéficier pleinement"" (p. 645). Si, dit‑il, la liberté d'association garantit la liberté de constituer des syndicats pour négocier, elle doit alors garantir la liberté de négocier collectivement et de faire la grève (pp. 643, 644 et 647). Pour ce motif, le juge Cameron juge que la Loi porte atteinte à la liberté d'association.

45. Le juge Brownridge, dissident, a suivi l'arrêt Dolphin Delivery de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique et a jugé en conséquence que la liberté d'association ne garantit pas le droit de grève.

46. Plus récemment, dans l'arrêt Black v. Law Society of Alberta, [1986] 3 W.W.R. 590 (C.A. Alb.), (demande d'autorisation de pourvoi accordée par cette Cour le 12 juin 1986, [1986] 1 R.C.S. x), le juge Kerans clarifie davantage sa conception de la liberté d'association. Cette affaire ne mettait pas en cause un syndicat, mais portait plutôt sur la liberté d'association d'avocats qui tentaient de constituer un cabinet juridique interprovincial. Le juge Kerans adopte l'interprétation suivante (à la p. 612):

[TRADUCTION] ... le statut spécial dont jouit la liberté d'association au Canada est l'expression de notre tradition quant à l'importance que revêtent les organisations non gouvernementales pour une société libre et démocratique. À mon avis, cette liberté inclut la liberté de s'associer avec d'autres pour exercer les droits que garantit la Charte et aussi ces autres droits qui, au Canada, sont jugés à ce point fondamentaux qu'ils ne nécessitent pas d'expression formelle: le droit de se marier par exemple, ou celui de fonder un foyer, de s'instruire ou de gagner sa vie.

En confirmant la liberté qu'ont les avocats de s'associer afin de gagner leur vie en vertu de l'al. 2d), le juge Kerans souligne que gagner sa vie est reconnu comme [TRADUCTION] "une ambition humaine à la fois légitime et vitale", qu'il s'agit d'un rapport entre deux êtres humains qui n'est pas [TRADUCTION] "purement commercial". Ainsi, d'après le juge Kerans, les activités d'association méritent d'être protégées par la Constitution si elles sont liées à des besoins et à des droits fondamentaux de l'être humain.

(iii) La jurisprudence américaine

47. Pour comprendre la jurisprudence américaine sur la liberté d'association, il faut être conscient de la nature particulière de la garantie constitutionnelle de cette liberté. Deux caractéristiques en particulier distinguent le Bill of Rights américain de la Charte canadienne en ce qui a trait à la liberté d'association.

48. En premier lieu, la liberté d'association n'est pas expressément garantie par la Constitution américaine, comme c'est le cas dans la Charte. Au lieu de cela, les tribunaux en ont présumé l'existence comme découlant nécessairement du Premier amendement, qui garantit la liberté de parole, "le droit du peuple de s'assembler paisiblement" et d'adresser des pétitions. Voir, par exemple, les arrêts Healy v. James, 408 U.S. 169 (1972); Baird v. State Bar of Arizona, 401 U.S. 1 (1971); NAACP v. Button, 371 U.S. 415 (1963); Louisiana ex rel. Gremillion v. NAACP, 366 U.S. 293 (1961); NAACP v. Alabama ex rel. Patterson, 357 U.S. 449 (1958). Le principe général, qui se dégage de la jurisprudence de la Cour suprême concernant le Premier amendement, est celui de la liberté [TRADUCTION] "de s'associer pour promouvoir ses croyances et ses idées": NAACP v. Alabama ex rel. Patterson, à la p. 460. Les objectifs limités d'association, qui sont garantis aux états‑Unis, sont donc conformes à la liberté d'association qui découle des droits et libertés particuliers décrits dans le Premier amendement.

49. Une seconde différence importante entre la Constitution américaine et la Charte est l'absence, dans la première, d'une disposition semblable à l'article premier. L'équilibre entre la garantie des droits et libertés et les intérêts généraux de la collectivité doit donc être établi par la définition du droit ou de la liberté même. Alors qu'un tribunal canadien pourrait sanctionner une protection constitutionnelle de la grève, par exemple en vertu de l'al. 2d) de la Charte, tout en maintenant certaines limites à la liberté de faire grève en vertu de l'article premier, cette démarche ne s'offre pas aux tribunaux américains. C'est pourquoi l'on s'attendrait à ce qu'on décrive de façon plus limitée la liberté elle‑même. C'est avec ces deux réserves à l'esprit que nous abordons la position américaine.

50. Dans le cadre du présent pourvoi, il est important de souligner que la jurisprudence américaine appuie en général une conception de la liberté implicite d'association qui protège tout autant les activités de l'association que sa formation. Comme le dit le professeur L. H. Tribe dans American Constitutional Law (1978), à la p. 703, le Premier amendement protège [TRADUCTION] "la poursuite concertée de fins qui représenteraient des droits fondamentaux dans le cas d'une activité purement individuelle".

51. De même, dans l'arrêt Healy v. James, précité, la cour a insisté sur la nécessité de protéger les activités inhérentes à une association, en tant que composante nécessaire de la liberté d'association. Dans cette affaire, la cour a jugé que le refus par une université d'état de reconnaître officiellement un groupe d'étudiants qui voulait constituer une section locale de la Students for a Democratic Society (S.D.S.) violait la liberté d'association garantie par le Premier amendement. En arrivant à sa décision, la cour déclare aux pp. 181 et 182:

[TRADUCTION] ... la capacité de l'organisation de participer au processus de concessions intellectuelles du débat universitaire et de poursuivre ses objectifs déclarés est limitée par le refus de donner accès aux moyens de communication habituels avec l'administration, les membres des facultés et les autres étudiants. [C'est moi qui souligne.]

En se voyant refuser la reconnaissance officielle, il devenait impossible pour l'organisation de s'engager dans les activités nécessaires pour atteindre ses objectifs et, en conséquence, le refus était inconstitutionnel.

52. Les syndicats ont aussi bénéficié de la protection du Premier amendement. Les tribunaux ont jugé que le Premier amendement inclut le [TRADUCTION] "droit de s'organiser collectivement et de se choisir des représentants afin de procéder à des négociations collectives": United Federation of Postal Clerks v. Blount, 325 F. Supp. 879 (D. D.C. 1971), à la p. 883, conf. 404 U.S. 802 (1971); Thomas v. Collins, 323 U.S. 516 (1945); N.L.R.B. v. Jones & Laughlin Steel Corp., précité; International Union, U.A.W.A. v. Wisconsin Employment Relations Board, 336 U.S. 245 (1949). Ce droit a été considéré comme "fondamental" par la Cour suprême: N.L.R.B. v. Jones & Laughlin Steel Corp. Le Premier amendement protège aussi les activités des syndicats pour ce qui est d'assurer une représentation par avocats à leurs membres: United Mine Workers v. Illinois State Bar Association, 389 U.S. 217 (1967); Railroad Trainmen v. Virginia ex rel. Virginia State Bar, 377 U.S. 1 (1964).

53. Quoique les syndicats et certaines de leurs activités intrinsèques soient considérés par les tribunaux comme protégés par le Premier amendement, la liberté de grève ne semble pas clairement garantie. Comme l'a dit la Cour suprême des états‑Unis dans l'arrêt International Union, U.A.W.A. v. Wisconsin Employment Relations Board, précité, à la p. 259:

[TRADUCTION] Le droit de grève, à cause de l'effet plus important qu'il a sur l'intérêt public, est plus sensible à la réglementation que le droit de s'organiser et de choisir des représentants pour les fins licites de la négociation collective...

54. Dans la même veine, dans l'arrêt United Federation of Postal Clerks v. Blount, précité, la garantie constitutionnelle du droit de grève des salariés du secteur public a été rejetée. Ce faisant, la cour a reconnu l'importance des grèves dans le secteur privé comme moyen d'équilibrer le pouvoir de négociation, mais elle a estimé que ce raisonnement ne pouvait s'appliquer aux salariés du secteur public, étant donné qu'ils sont en mesure, par la grève, d'influer éventuellement sur les décisions politiques.

55. À mon avis, ces décisions illustrent l'équilibre interne qui existe entre la liberté implicite d'association et l'intérêt public au niveau de la définition de la liberté elle‑même. Les cas où une ligne de démarcation a été tracée pour exclure la grève du champ des activités d'une association protégées par la Constitution montrent l'importance des intérêts opposés (c.‑à‑d. l'intérêt public) qui seraient reconnus dans la Charte à son article premier plutôt que dans une définition de la portée de l'al. 2d). Lorsque ce phénomène d'équilibre est considéré concurremment avec le statut implicite ou dérivé de la liberté d'association, on comprend l'hésitation des tribunaux à élargir la liberté d'association de manière à inclure le droit de grève dans le secteur public.

56. En bref, voici comment je conçois la jurisprudence américaine sur la liberté d'association et son application dans le contexte des relations de travail. La liberté d'association est implicitement garantie par le Premier amendement et protège la poursuite concertée des fins expressément protégées par le Premier amendement, soit les libertés de parole, d'assemblée et de pétition. Dans le cadre syndical, la liberté d'association du Premier amendement garantit le droit de s'organiser et de se choisir des représentants afin de procéder à des négociations collectives. Elle protège aussi les activités des syndicats qui cherchent à assurer une représentation par avocats à leurs membres. Néanmoins, la liberté de grève dans le secteur public n'est pas garantie par la liberté implicite d'association qu'on trouve dans le Premier amendement.

(iv) Le droit international

57. Le droit international nous donne un bon aperçu de la nature et de la portée de la liberté d'association des travailleurs. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la protection des droits et libertés fondamentaux collectifs et individuels est devenue une question d'intérêt international. Il existe maintenant un droit international des droits de la personne constitué d'un ensemble de traités (ou conventions) et de règles coutumières, en vertu duquel les nations du monde se sont engagées à adhérer aux normes et aux principes nécessaires pour assurer la liberté, la dignité et la justice sociale à leurs ressortissants. La Charte est conforme à l'esprit de ce mouvement international contemporain des droits de la personne et elle comporte un bon nombre des principes généraux et prescriptions des divers instruments internationaux concernant les droits de la personne. Les diverses sources du droit international des droits de la personne—les déclarations, les pactes, les conventions, les décisions judiciaires et quasi judiciaires des tribunaux internationaux, et les règles coutumières—doivent, à mon avis, être considérées comme des sources pertinentes et persuasives quant il s'agit d'interpréter les dispositions de la Charte.

58. En particulier, la similarité entre les principes généraux et les dispositions de la Charte et ceux des instruments internationaux concernant les droits de la personne confère une importance considérable aux interprétations de ces instruments par des organes décisionnels, tout comme les jugements des tribunaux américains portant sur le Bill of Rights ou ceux des tribunaux d'autres ressorts sont pertinents et peuvent être persuasifs. L'importance de ces instruments pour ce qui est d'interpréter la Charte va au‑delà des normes élaborées par des organes décisionnels en vertu de ces instruments et touche ces instruments mêmes. Lorsque les juges canadiens sont saisis du texte, souvent rédigé en termes généraux et d'acception fort large, de la Charte [TRADUCTION] "le texte souvent plus détaillé des dispositions des traités peut être utile pour donner un contenu à des concepts aussi imprécis que le droit à la vie, la liberté d'association et même le droit à l'assistance d'un avocat". J. Claydon, "International Human Rights Law and the Interpretation of the Canadian Charter of Rights and Freedoms" (1982), 4 Supreme Court L.R. 287, à la p. 293.

59. En outre, le Canada est partie à plusieurs conventions internationales sur les droits de la personne qui comportent des dispositions analogues ou identiques à celles de la Charte. Le Canada s'est donc obligé internationalement à assurer à l'intérieur de ses frontières la protection de certains droits et libertés fondamentaux qui figurent aussi dans la Charte. Les principes généraux d'interprétation constitutionnelle requièrent que ces obligations internationales soient considérées comme un facteur pertinent et persuasif quand il s'agit d'interpréter la Charte. Comme cette Cour l'a déclaré dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 344, l'interprétation de la Charte doit "viser à réaliser l'objet de la garantie et à assurer que les citoyens bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte". Le contenu des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne est, à mon avis, un indice important du sens de l'expression "bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte". Je crois qu'il faut présumer, en général, que la Charte accorde une protection à tout le moins aussi grande que celle qu'offrent les dispositions similaires des instruments internationaux que le Canada a ratifié en matière de droits de la personne.

60. En somme, bien que je ne croie pas que les juges soient liés par les normes du droit international quand ils interprètent la Charte, il reste que ces normes constituent une source pertinente et persuasive d'interprétation des dispositions de cette dernière, plus particulièrement lorsqu'elles découlent des obligations internationales contractées par le Canada sous le régime des conventions sur les droits de la personne.

a) Les pactes des Nations unies sur les droits de la personne

61. Dans le but de préciser les grands principes souscrits dans la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies, A.G. Rés. 217 A (III), Doc. A/810 N.U., à la p. 71 (1948), deux pactes sur les droits de la personne ont été adoptés à l'unanimité par l'Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966: le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, A.G. Rés. 2200 A (XXI), 21 N.U. GAOR, Supp. (no 16) 49, Doc. A/6316 N.U. (1966), et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies, A.G. Rés. 2200 A (XXI), 21 N.U. GAOR, Supp. (no 16) 52, Doc. A/6316 N.U. (1966). Le Canada a adhéré aux deux pactes le 19 mai 1976 et ceux‑ci sont entrés en vigueur le 19 août 1976. Avant d'adhérer, le gouvernement fédéral a obtenu l'agrément des provinces qui se sont toutes engagées à prendre les mesures nécessaires à la mise en oeuvre des pactes dans leurs ressorts respectifs. Voir en général: Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels: Rapport du Canada sur les articles 10 à 12 (1982), aux pp. 1 à 8.

62. Les deux pactes comportent des dispositions expresses concernant la liberté d'association et les syndicats. L'article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies stipule:

Article 8

1. Les états parties au présent Pacte s'engagent à assurer:

a) Le droit qu'a toute personne de former avec d'autres des syndicats et de s'affilier au syndicat de son choix, sous la seule réserve des règles fixées par l'organisation intéressée, en vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale ou de l'ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d'autrui;

b) Le droit qu'ont les syndicats de former des fédérations ou des confédérations nationales et le droit qu'ont celles‑ci de former des organisations syndicales internationales ou de s'y affilier;

c) Le droit qu'ont les syndicats d'exercer librement leur activité, sans limitations autres que celles qui sont prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale ou de l'ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d'autrui;

d) Le droit de grève, exercé conformément aux lois de chaque pays.

2. Le présent article n'empêche pas de soumettre à des restrictions légales l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de la fonction publique.

3. Aucune disposition du présent article ne permet aux états parties à la Convention de 1948 de l'Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical de prendre des mesures législatives portant atteinte—ou d'appliquer la loi de façon à porter atteinte—aux garanties prévues dans ladite convention.

63. L'alinéa 8(1)c) étend la protection aux activités syndicales en garantissant aux syndicats le droit "d'exercer librement leur activité". En outre, le droit de grève est mentionné expressément à l'al. 8(1)d). Suivant cet alinéa, le Canada s'est engagé internationalement à assurer "Le droit de grève, exercé conformément aux lois de chaque pays". Cette réserve portant que le droit doit être exercé conformément au droit interne, n'autorise pas, à mon avis, l'abrogation législative du droit bien qu'elle paraisse autoriser sa réglementation: voir l'arrêt Re Alberta Union of Provincial Employees and the Crown in Right of Alberta (1980), 120 D.L.R. (3d) 590 (B.R. Alb.), à la p. 597. Le paragraphe 8(2) stipule que les droits garantis par l'Article 8 peuvent être soumis à des restrictions dans le cas des membres des forces armées, de la police ou de la fonction publique. Cette disposition est toutefois assujettie à la clause de non‑dérogation du par. 8(3).

64. On trouve les dispositions pertinentes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques à son Article 22, que voici:

Article 22

1. Toute personne a le droit de s'associer librement avec d'autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d'y adhérer pour la protection de ses intérêts.

2. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d'autrui. Le présent article n'empêche pas de soumettre à des restrictions légales l'exercice de ce droit par les membres des forces armées et de la police.

3. Aucune disposition du présent article ne permet aux états parties à la Convention de 1948 de l'Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical de prendre des mesures législatives portant atteinte—ou d'appliquer la loi de façon à porter atteinte—aux garanties prévues dans ladite convention.

L'Article 22 consacre "le droit de s'associer librement avec d'autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d'y adhérer pour la protection de ses intérêts". Des restrictions sont justifiées dans certains cas en vertu du par. 22(2). Le troisième paragraphe de l'Article 22, tout comme le par. 8(3) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, dit clairement que cet article ne saurait être interprété comme permettant de prendre des mesures législatives portant atteinte aux garanties prévues dans la convention no 87 de l'Organisation internationale du Travail que je vais maintenant examiner.

b) Convention no 87 de l'Organisation internationale du Travail (O.I.T)

65. En tant qu'institution spécialisée des Nations unies, qui compte des représentants des travailleurs, des employeurs et des gouvernements, l'O.I.T. a pour objet de garantir des conditions justes et humaines de travail. En l'espèce, il importe d'examiner la Convention (no 87) concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 67 R.T.N.U. 19 (1948), que le Canada a ratifiée en 1972 et qui est entrée en vigueur le 23 mars 1972. Le 31 décembre 1984, 97 états l'avaient ratifiée. Les dispositions pertinentes de la convention no 87 sont notamment les suivantes:

PARTIE I. LIBERTé SYNDICALE

Article 1

Tout Membre de l'Organisation internationale du Travail pour lequel la présente convention est en vigueur s'engage à donner effet aux dispositions suivantes.

Article 2

Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières.

Article 3

1. Les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit d'élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité, et de formuler leur programme d'action.

2. Les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal.

Article 4

Les organisations de travailleurs et d'employeurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative.

Article 5

Les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit de constituer des fédérations et des confédérations ainsi que celui de s'y affilier, et toute organisation, fédération ou confédération a le droit de s'affilier à des organisations internationales de travailleurs et d'employeurs.

Article 6

Les dispositions des articles 2, 3 et 4 ci‑dessus s'appliquent aux fédérations et aux confédérations des organisations de travailleurs et d'employeurs.

Article 7

L'acquisition de la personnalité juridique par les organisations de travailleurs et d'employeurs, leurs fédérations et confédérations, ne peut pas être subordonnée à des conditions de nature à mettre en cause l'application des dispositions des articles 2, 3 et 4 ci‑dessus.

Article 8

1. Dans l'exercice des droits qui leur sont reconnus par la présente convention, les travailleurs, les employeurs et leurs organisations respectives sont tenus, à l'instar des autres personnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité.

2. La législation nationale ne devra porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la présente convention.

Article 9

1. La mesure dans laquelle les garanties prévues par la présente convention s'appliqueront aux forces armées et à la police sera déterminée par la législation nationale.

2. Conformément aux principes établis par le paragraphe 8 de l'article 19 de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, la ratification de cette convention par un Membre ne devra pas être considérée comme affectant toute loi, toute sentence, toute coutume ou tout accord déjà existants qui accordent aux membres des forces armées et de la police des garanties prévues par la présente convention.

Article 10

Dans la présente convention, le terme "organisation" signifie toute organisation de travailleurs ou d'employeurs ayant pour but de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs ou des employeurs.

PARTIE II. PROTECTION DU DROIT SYNDICAL

Article 11

Tout Membre de l'Organisation internationale du Travail pour lequel la présente convention est en vigueur s'engage à prendre toutes mesures nécessaires et appropriées en vue d'assurer aux travailleurs et aux employeurs le libre exercice du droit syndical.

66. Ces dispositions ont été interprétées par les divers organes de l'O.I.T., notamment: le Comité de la liberté syndicale, créé par le Conseil d'administration en 1950‑1951 pour étudier les plaintes de violation des droits syndicaux, la Commission d'experts qui procède à l'évaluation des rapports des gouvernements sur l'application des normes et des conventions de l'O.I.T. dans les états membres, et les commissions d'enquête constituées par le Conseil d'administration pour étudier les plaintes particulières de contravention par les états membres. (Voir en général, N. Valticos, Droit international du travail (2e éd. 1983).)

67. Les interprétations des conventions ne font autorité en vertu de la Constitution de l'O.I.T. que si elles sont données par la Cour internationale de justice (et par les tribunaux constitués en vertu du par. 37(2) en son lieu et place) ou, semble‑t‑il, par les commissions d'enquête lorsque le différend n'est pas soumis à cette cour: voir E. Osieke, "The Exercise of the Judicial Function with Respect to the International Labour Organization" (1974‑75), 47 Brit. Y.B. Int'l L. 315. Les décisions du Comité de la liberté syndicale et de la Commission d'experts n'ont pas de force exécutoire quoique, comme M. Forde le souligne, celles‑ci [TRADUCTION] "constituent la pierre angulaire du droit international en matière de liberté syndicale et de négociation collective": "The European Convention on Human Rights and Labor Law" (1983), 31 Am. J. Comp. L. 301, à la p. 302.

68. Le principe général qui émerge des interprétations que ces organes décisionnels ont donné de la convention no 87 est que la liberté de constituer et d'organiser des syndicats doit, même dans le secteur public, comprendre la liberté d'exercer les activités essentielles des syndicats, telles la négociation collective et la grève, sous réserve de limites raisonnables. Une commission d'enquête, constituée pour examiner une plainte portée contre la Grèce, a jugé que le droit de grève est implicitement garanti par la convention no 87: Bulletin officiel du B.I.T.: Supplément spécial, vol. LIV, no 2, 1971. La Commission d'experts est arrivée à la même conclusion dans ses délibérations, rappelant que l'interdiction du droit de grève peut, à moins que certaines conditions ne soient remplies, violer la convention no 87:

214. De l'avis de la commission, le principe selon lequel le droit de grève peut être limité, voire interdit dans la fonction publique ou les services essentiels—qu'ils soient publics, semi‑publics ou privés—perdrait tout son sens si la législation retenait une définition trop extensive de la fonction publique ou des services essentiels. Comme l'a déjà mentionné la commission dans des études d'ensemble antérieures, l'interdiction devrait être limitée aux fonctionnaires agissant en tant qu'organes de la puissance publique ou aux services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. En outre, si le droit de grève fait l'objet de restrictions ou d'interdiction dans la fonction publique ou les services essentiels, des garanties appropriées doivent être accordées pour protéger les travailleurs ainsi privés d'un moyen essentiel de défense de leurs intérêts professionnels. Les restrictions devraient être compensées par des procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et rapides, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer, et les décisions arbitrales devraient être dans tous les cas obligatoires pour les deux parties. De tels jugements, une fois rendus, devraient être exécutés rapidement et de façon complète.

(Liberté syndicale et négociation collective: étude d'ensemble de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, Rapport III (Partie 4(B)), Conférence internationale du Travail, 69e session, Genève, Bureau international du Travail, 1983, aux pp. 67 et 68.)

69. Ces mêmes principes sont manifestes dans les rapports du Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration. Dans un résumé récent des principes établis dans les décisions du Comité de la liberté syndicale, on trouve les paragraphes suivants:

416. Une interdiction générale de la grève limite considérablement les moyens dont les syndicats disposent pour promouvoir et défendre les intérêts de leurs membres (article 10 de la convention no 87), de même que le droit des syndicats d'organiser leur activité (article 3).

417. Dans les cas où la législation imposait, directement ou indirectement, une interdiction absolue de la grève, le comité a fait sienne l'opinion de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, à savoir qu'une telle interdiction risque de constituer une limitation importante aux possibilités d'action des organisations syndicales, limitation qui n'est pas compatible avec les principes généralement admis en matière de liberté syndicale.

...

386. En se référant à sa recommandation selon laquelle des restrictions au droit de grève seraient acceptables si elles sont assorties de procédures de conciliation et d'arbitrage, le comité a précisé que cette recommandation ne concerne pas l'interdiction absolue du droit de grève, mais la restriction de ce droit dans les services essentiels ou dans la fonction publique, auquel cas il a établi qu'il devrait être prévu des garanties appropriées pour protéger les intérêts des travailleurs.

387. L'imposition par voie législative de l'arbitrage obligatoire à la place du droit de grève pour résoudre les conflits du travail ne peut se justifier que dans les services essentiels au sens strict du terme—à savoir les services dont l'interruption pourrait mettre en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population.

(La liberté syndicale: Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration du B.I.T., 3e éd., Genève, Bureau international du Travail, 1985.)

70. Ces principes ont été récemment appliqués relativement à un certain nombre de plaintes en provenance du Canada, notamment de l'Alberta, de l'Ontario et de Terre‑Neuve. Un bon nombre des dispositions attaquées pour le motif qu'elles violent la convention no 87 font l'objet du présent renvoi. Il est utile, en l'espèce, de prendre connaissance des conclusions et recommandations du Comité de la liberté syndicale concernant les dispositions relatives aux interdictions de faire grève. Ces conclusions et recommandations ont été approuvées à l'unanimité par le Conseil d'administration du B.I.T.

71. La plainte (cas no 1247) a été portée par le Congrès du travail du Canada au nom de l'Alberta Union of Provincial Employees contre le gouvernement du Canada (Alberta). Dans l'étude de l'art. 93 de la Public Service Act, qui interdit aux salariés du gouvernement provincial de faire grève, le Comité résume ainsi les principes applicables aux plaintes d'infraction à la convention no 87:

131. Le comité rappelle qu'il a été appelé à examiner la question de l'interdiction de la grève dans un cas précédent mettant en cause le gouvernement du Canada/Alberta. (Voir cas no 893, examiné le plus récemment dans le 204e rapport, paragr. 121 à 134, approuvé par le Conseil d'administration à sa 214e session (novembre 1980).) Dans ce cas, le comité a rappelé que le recours à la grève, reconnu comme découlant de l'article 3 de la convention, est un des moyens essentiels dont les travailleurs disposent pour défendre leurs intérêts professionnels. Il a aussi rappelé que, si des limites doivent être mises au recours à la grève par la voie législative, il convient de distinguer entre les entreprises publiques qui sont réellement essentielles, c'est‑à‑dire qui fournissent des services dont l'interruption mettrait en danger la vie, la santé ou la sécurité de la personne dans tout ou partie de la population, et celles qui ne sont pas essentielles au sens strict du terme. Sur la recommandation du comité, le Conseil d'administration a attiré l'attention du gouvernement sur ce principe et lui a suggéré d'envisager une modification de la loi sur les relations professionnelles dans la fonction publique de façon à limiter l'interdiction de la grève aux services qui sont essentiels au sens strict du terme. Dans le présent cas, le comité souhaite attirer de nouveau l'attention sur ses précédentes conclusions au sujet de l'article 93 de la loi.

(Bulletin officiel du B.I.T., vol. LXVIII, Série B, no 3, 1985, pp. 38 et 39.)

Le Comité est arrivé à des conclusions similaires dans le cas de l'art. 117.1 de la Labour Relations Act:

132. À propos de cette question des restrictions au droit de grève, il convient de noter qu'aux termes d'une allégation écrite précise une modification à l'article 117.1 de la loi sur les relations professionnelles, contenue dans la loi no 44, interdit la grève à tous les salariés des hôpitaux. Le comité note que cette exclusion globale vaut pour les aides de cuisine, les portiers, les jardiniers, etc., mais que le gouvernement a déclaré au représentant du Directeur général que l'article 117.1 n'avait de répercussions que pour de petits groupes et que, en tout état de cause, la question avait été portée devant la Cour d'appel de l'Alberta et la Cour suprême du Canada. Comme cette disposition n'est pas assez précise en ce qui concerne l'importante qualification d'"agent essentiel", le comité renvoie au principe rappelé dans le paragraphe précédent au sujet des circonstances dans lesquelles le recours à la grève peut être interdit. Il demande au gouvernement de réexaminer l'article 117.1 de façon que l'interdiction du droit de grève soit limitée aux services qui sont essentiels au sens strict du terme.

(Bulletin officiel du B.I.T., précité, p. 39.)

c) Résumé de l'état du droit international

72. Le trait le plus saillant des instruments portant sur les droits de la personne analysés ci‑dessus dans le cadre de la présente affaire est le lien étroit qu'établit chacun d'eux entre la notion de liberté d'association et l'organisation et les activités des syndicats. À titre de partie à ces instruments sur les droits de la personne, le Canada est conscient de l'importance que revêt la liberté d'association pour le syndicalisme et a souscrit à l'obligation internationale exécutoire de protéger dans une certaine mesure les libertés d'association des travailleurs au Canada. Les deux pactes des Nations unies portant sur les droits de la personne comportent une protection expresse de la formation et des activités des syndicats, sous réserve de limites raisonnables. En outre, il existe un consensus manifeste au sein des organes décisionnels de l'O.I.T. suivant lequel la convention no 87 ne se borne pas uniquement à protéger la formation des syndicats mais protège leurs activités fondamentales, soit la négociation collective et le droit de grève.

2. Le sens de l'al. 2d)

73. Au départ, il faut souligner que, contrairement à ce qu'avancent l'intimé et certains des intervenants qui l'appuient, l'art. 2 de la Charte ne doit pas avoir pour seul objet de garantir des droits qui existaient déjà au moment de l'enchâssement de la Charte dans la Constitution. Cela ressort clairement de l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., précité. Dans cette affaire, l'appelante faisait valoir que la "liberté de religion" garantie par la Charte avait le sens que cette Cour lui avait donné en vertu de la Déclaration canadienne des droits dans l'arrêt Robertson and Rosetanni v. The Queen, [1963] R.C.S. 651. La Cour a rejeté cet argument (aux pp. 342 à 344):

L'interprétation de la Cour à la majorité dans l'arrêt Robertson and Rosetanni, précité, se fonde sur le fait que le langage utilisé dans la Déclaration canadienne des droits est purement déclaratoire: à l'article 1 de la Déclaration canadienne des droits, il est "reconnu et déclaré" que certaines libertés déjà existantes, notamment la liberté de religion, continuent d'exister.

...

Il n'est pas nécessaire de débattre à nouveau la question du sens de la liberté de religion reconnue dans la Déclaration canadienne des droits parce que, quel qu'ait pu être le cas sous le régime de celle‑ci, il est certain que la Charte canadienne des droits et libertés ne fait pas que "reconnaître et déclarer" l'existence de droits déjà existants dont l'étendue était délimitée par la législation en vigueur au moment de son enchâssement dans la Constitution. Le texte de la Charte est impératif. Elle évite de parler de droits existants ou de droits qui continuent d'exister ... Je suis d'accord avec l'intimée que la Charte vise à établir une norme en fonction de laquelle les lois actuelles et futures seront appréciées. Donc, le sens du concept de la liberté de conscience et de religion ne doit pas être déterminé uniquement en fonction de la mesure dans laquelle les Canadiens jouissaient de ce droit avant la proclamation de la Charte.

Il se dégage clairement de l'arrêt Big M Drug Mart Ltd. que le sens d'une disposition de la Charte ne saurait être déterminé uniquement en fonction de droits et libertés préexistants. Par conséquent, dans le présent pourvoi, la question de savoir si un droit ou une liberté de faire la grève existait antérieurement à la Charte, que ce soit en vertu de la common law ou autrement, ne saurait être déterminante quant au sens de l'al. 2d) de la Charte.

74. De même, la portée des dispositions de la Charte ne saurait être restreinte par l'existence de quelque réglementation législative dans un domaine particulier. Au cours du débat, l'avocat de l'intimé semble avoir laissé entendre que si la liberté d'association devait être interprétée de façon à inclure le droit de grève, cela aurait pour effet de "constitutionnaliser" un droit conféré par la loi. Son argument paraît fondé sur la prémisse que, puisque le "droit de grève" a fait l'objet d'une réglementation législative avant l'enchâssement de la Charte dans la Constitution, il s'ensuit que la grève ne saurait faire l'objet d'une garantie constitutionnelle après cet enchâssement. Bien qu'il puisse être vrai que la Charte n'a pas été conçue pour garantir des droits conférés par un texte législatif, le point de vue selon lequel certains droits et libertés ne sauraient être protégés par les dispositions de la Charte parce qu'ils font l'objet d'une réglementation législative se fonde sur une conception fondamentalement erronée de la nature de l'examen judiciaire effectué en vertu d'une constitution écrite.

75. La Constitution est la loi suprême. Ses dispositions ne sauraient être circonscrites par ce que le législateur a fait dans le passé; au contraire, les activités du législateur—passées, présentes et futures—doivent être conformes aux principes énoncés dans la Constitution. Comme le dit le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, à la p. 745:

La Constitution d'un pays est l'expression de la volonté du peuple d'être gouverné conformément à certains principes considérés comme fondamentaux et à certaines prescriptions qui restreignent les pouvoirs du corps législatif et du gouvernement. Elle est, comme le déclare l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, la "loi suprême" de notre pays, qui ne peut être modifiée par le processus législatif normal et qui ne tolère aucune loi incompatible avec elle.

76. Cependant, cela ne signifie pas que la réglementation législative de la négociation collective et des grèves est sans importance quant à la manière dont on peut donner effet à une liberté constitutionnelle de faire grève dans des circonstances particulières: voir, à ce sujet, mes motifs dans l'affaire des Travailleurs de l'industrie laitière, prononcés en même temps que le présent arrêt. Mais la présente espèce ne met pas en cause une contestation du droit général du travail de l'Alberta qui autorise la grève, tout en réglementant l'exercice de ce droit. Le pourvoi porte sur la substitution d'un mécanisme entièrement différent pour résoudre les conflits de travail dans le cas de certains employés, un mécanisme qui ne se contente pas de réglementer la liberté de grève, mais qui l'abroge entièrement.

77. Une autre observation préalable doit être faite. L'article 2 de la Charte garantit des "libertés" fondamentales et non des "droits". Si parfois ces deux termes sont utilisés indifféremment, une distinction d'ordre conceptuel est souvent faite entre les deux. On dit au sujet des "droits", qu'ils imposent à une autre partie une obligation correspondante de protéger le droit en question, alors qu'on dit au sujet des "libertés", qu'elles comportent simplement une absence d'intervention ou de contrainte. Cette conception de la nature des "libertés" est peut‑être trop étroite étant donné qu'elle ne reconnaît pas l'existence de certains cas où l'absence d'intervention gouvernementale est effectivement susceptible de porter atteinte sensiblement à la jouissance de libertés fondamentales (par exemple, une réglementation limitant la monopolisation de la presse peut être nécessaire pour assurer la liberté d'expression et de presse). Néanmoins, pour les fins de l'espèce, nous n'avons pas à décider si une "liberté" peut imposer des obligations de faire à l'état parce que nous sommes en face d'une situation où l'on prétend qu'une action gouvernementale manifeste, sous la forme d'une mesure législative, porte atteinte à l'exercice de la liberté d'association. Nous ne sommes pas saisis en l'espèce d'une requête visant à forcer l'état à agir.

78. De nombreuses interprétations subsidiaires différentes de la liberté d'association ont été proposées dans la jurisprudence résumée ci‑dessus et au cours des débats en cette Cour.

79. D'un côté, on trouve une définition purement constitutive selon laquelle la liberté d'association ne comprend que la liberté d'appartenir à une association ou de la constituer. Dans cette optique, la garantie constitutionnelle se limite à la protection du statut de l'individu, en tant que membre d'une association. Elle ne protégerait pas ses actes en tant qu'associé.

80. Dans le contexte syndical, une définition constitutive permettrait donc de découvrir une violation à première vue de l'al. 2d) de la Charte dans une disposition législative comme le par. 2(1) de la Police Officers Act, qui interdit d'adhérer à toute organisation affiliée à un syndicat. Cependant, elle ne permettrait pas de constater une violation de l'al. 2d) dans le cas d'une loi qui interdirait le refus concerté de travailler. En fait, l'état pourrait interdire une grande diversité d'activités syndicales, depuis l'organisation d'activités sociales pour les adhérents, en passant la constitution de régimes de pensions syndicaux, jusqu'à la discussion d'une stratégie de négociation collective, sans pour autant enfreindre l'al. 2d).

81. La nature essentiellement formelle de la définition constitutive de la liberté d'association apparaît également lorsqu'on examine d'autres types d'activités des associations dans notre société. Si la définition constitutive peut éventuellement permettre de découvrir une violation possible de l'al. 2d) dans un texte législatif interdisant le mariage à certaines catégories de gens, elle considérerait comme inoffensif un texte qui interdirait aux mêmes gens de s'adonner aux activités inhérentes au mariage comme la cohabitation et l'éducation conjointe des enfants. Si la liberté d'association ne protège que la réunion de personnes à des fins communes, mais non l'exercice des activités mêmes pour lesquelles l'association a été formée, alors cette liberté est effectivement légaliste, parcimonieuse et voire même insipide.

82. À mon avis, s'il ne fait aucun doute que l'al. 2d), à tout le moins, garantit aux personnes la liberté d'être associées ou d'appartenir à une organisation, il doit, en plus de s'intéresser au statut d'associé, accorder une protection efficace aux intérêts que vise la garantie constitutionnelle. À cet égard, il est important de tenir compte de la façon d'aborder l'interprétation de la Constitution, qui consiste à examiner l'objet visé et que prescrit cette Cour dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 344:

Cette Cour a déjà, dans une certaine mesure, énoncé la façon fondamentale d'aborder l'interprétation de la Charte. Dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, la Cour a exprimé l'avis que la façon d'aborder la définition des droits et des libertés garantis par la Charte consiste à examiner l'objet visé. Le sens d'un droit ou d'une liberté garantis par la Charte doit être vérifié au moyen d'une analyse de l'objet d'une telle garantie; en d'autres termes, ils doivent s'interpréter en fonction des intérêts qu'ils visent à protéger.

À mon avis, il faut faire cette analyse et l'objet du droit ou de la liberté en question doit être déterminé en fonction de la nature et des objectifs plus larges de la Charte elle‑même, des termes choisis pour énoncer ce droit ou cette liberté, des origines historiques des concepts enchâssés et, s'il y a lieu, en fonction du sens et de l'objet des autres libertés et droits particuliers qui s'y rattachent selon le texte de la Charte. Comme on le souligne dans l'arrêt Southam, l'interprétation doit être libérale plutôt que formaliste et viser à réaliser l'objet de la garantie et à assurer que les citoyens bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte. En même temps, il importe de ne pas aller au delà de l'objet véritable du droit ou de la liberté en question et de se rappeler que la Charte n'a pas été adoptée en l'absence de tout contexte et que, par conséquent, comme l'illustre l'arrêt de cette Cour Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, elle doit être située dans ses contextes linguistique, philosophique et historique appropriés. [C'est moi qui souligne.]

83. La seconde démarche, la démarche déductive qui prévaut aux états‑Unis, comporte une définition un peu plus libérale de la liberté d'association que la démarche formelle, constitutive. Dans le contexte canadien, certains font valoir que les actes de l'association qui sont liés précisément à l'une ou l'autre des libertés énumérées à l'art. 2 sont protégés par la Constitution, mais que ses autres activités ne le sont pas.

84. Je ne saurais cependant accepter que la liberté d'association doit être interprétée de manière aussi restrictive. L'alinéa 2d) de la Charte garantit de manière expresse et indépendante la liberté d'association. À cet égard, il contraste vivement avec le Premier amendement de la Constitution américaine. La démarche déductive rendrait, à mon avis, largement superfétatoire l'al. 2d). La dimension collective des al. 2a) et b) a déjà été reconnue par cette Cour dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, sans qu'il n'y ait eu recours à l'al. 2d). L'aspect collectif de l'al. 2c) trouve manifestement une protection adéquate dans l'expression même de la liberté de réunion pacifique. Ce qu'il faut retenir de la jurisprudence américaine, ce n'est pas que la liberté d'association doit être restreinte aux activités de l'association qui mettent en cause des droits constitutionnels indépendants, mais plutôt qu'il n'est pas nécessaire de conférer expressément la liberté d'association si tout ce que l'on veut permettre c'est la jouissance collective d'autres libertés individuelles.

85. Je ne suis pas non plus impressionné par l'argument portant que l'inclusion dans un même article de l'al. 2d) et de libertés d'une nature "politique" commande une interprétation étroite ou restrictive de la liberté d'association. Je ne saurais considérer que l'art. 2 ne garantit que des libertés purement politiques. Il est très clair que l'al. a), qui garantit la liberté de conscience et de religion, n'est pas exclusivement de nature politique. Il serait d'ailleurs peu satisfaisant de passer outre à notre histoire constitutionnelle, au cours de laquelle une reconnaissance spéciale a été accordée à des collectivités ou communautés d'intérêts autres que le gouvernement et les partis politiques. Les articles 93 et 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et les art. 16 à 24, ainsi que 25, 27 et 29 de la Charte, qui traitent de différentes façons des écoles confessionnelles, des droits linguistiques, des droits des autochtones et de notre héritage multiculturel comportent implicitement une conscience de l'importance de diverses collectivités dans la poursuite d'objectifs éducatifs, linguistiques, culturels et sociaux tout autant que politiques. Tout comme l'individu est incapable de s'opposer à la domination politique sans l'appui de personnes qui partagent des valeurs semblables, de même, seul, il est incapable à long terme de s'opposer à la domination dans de nombreux autres aspects de la vie.

86. La liberté d'association est garantie à l'al. 2d) sous la rubrique des libertés "fondamentales". À mon avis, la nature "fondamentale" de la liberté d'association est liée à l'importance primordiale que revêt pour l'individu l'interaction avec ses semblables. À mon sens, la garantie constitutionnelle de la liberté d'association vise à reconnaître la nature sociale profonde des entreprises humaines et à protéger l'individu contre tout isolement imposé par l'état dans la poursuite de ses fins. Pour reprendre les termes célèbres d'Alexis de Tocqueville dans De la Démocratie en Amérique (1951), tome 1, (éd. M.‑Th. Génin, Paris 1951) à la p. 305:

Après la liberté d'agir seul, la plus naturelle à l'homme est celle de combiner ses efforts avec les efforts de ses semblables et d'agir en commun. Le droit d'association [. . .] paraît donc presque aussi inaliénable de sa nature que la liberté individuelle. Le législateur ne saurait vouloir le détruire sans attaquer la société elle‑même.

En tant qu'êtres sociaux, notre liberté d'agir collectivement est une condition première de la vie communautaire, du progrès humain et d'une société civilisée. En s'associant, les individus ont été en mesure de participer à la détermination et au contrôle des conditions immédiates de leur vie et des règles, moeurs et principes qui régissent les collectivités dans lesquelles ils vivent. Comme l'a affirmé John Stuart Mill: [TRADUCTION] "si le civisme, les sentiments généreux ou la véritable justice et l'égalité sont souhaités, l'association, non pas l'isolement, des intérêts, est l'école où s'apprennent ces principes d'excellence". (Principles of Political Economy (1893), vol. 2, à la p. 352.)

87. La liberté d'association est on ne peut plus essentielle dans les circonstances où l'individu risque d'être lésé par les actions de quelque entité plus importante et plus puissante comme le gouvernement ou un employeur. L'association a toujours été le moyen par lequel les minorités politiques, culturelles et raciales, les groupes religieux et les travailleurs ont tenté d'atteindre leurs buts et de réaliser leurs aspirations; elle a permis à ceux qui, par ailleurs, auraient été vulnérables et inefficaces de faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force de ceux avec qui leurs intérêts interagissaient et, peut‑être même, entraient en conflit. T. I. Emerson écrit ceci dans "Freedom of Association and Freedom of Expression" (1964), 74 Yale L.J. 1, à la p. 1:

[TRADUCTION] De plus en plus l'individu, afin de se réaliser lui‑même ou de résister aux forces institutionnalisées qui l'entourent, s'est senti obligé de s'unir avec ceux qui partagent ses idées dans la poursuite d'objectifs communs.

88. Ce que la liberté d'association vise à protéger, ce ne sont pas les activités de l'association en tant qu'activités particulières, mais la liberté des individus d'interagir avec d'autres êtres humains, de les aider et d'être aidés par eux dans les diverses activités qu'ils choisissent d'exercer. Mais ce n'est pas là une autorisation constitutionnelle illimitée pour toute activité collective. Le simple fait qu'une activité puisse être exercée par plusieurs personnes ensemble, aussi bien qu'individuellement, ne signifie pas que cette activité se voit conférer une protection constitutionnelle contre toute interdiction ou réglementation législative.

89. Je crois que le juge en chef Bayda a eu raison de conclure que l'al. 2d) englobe normalement la liberté de faire collectivement ce qu'il est permis de faire en tant qu'individu, une conception qu'un auteur américain, Reena Raggi, considère comme la pierre angulaire de la liberté d'association:

[TRADUCTION] Le principe de base qui devrait être reconnu dans la formulation d'un droit constitutionnel indépendant d'association est que quelle que soit l'action qu'un individu peut exercer en tant que tel, la liberté d'association doit lui permettre de l'exercer avec d'autres. Seul un tel principe assure à l'homme que, dans sa lutte pour être indépendant de tout contrôle gouvernemental, il ne sera pas paralysé simplement parce qu'à l'occasion il tente d'atteindre cette indépendance avec l'aide d'autrui.

("An Independent Right to Freedom of Association" (1977), 12 Harv. C.R.‑C.L.L. Rev. 1, à la p. 15.)

Toutefois, il n'est pas juste, à mon avis, de considérer cette proposition comme la pierre de touche exclusive qui permet de déterminer la présence ou l'absence d'une violation de l'al. 2d). Il est certain que si un organe législatif autorise un individu à exercer une activité qu'il interdit à la collectivité, on peut à bon droit en déduire que l'organe législatif a voulu interdire l'activité collective en raison de son aspect collectif. À l'inverse, on peut déduire d'une interdiction législative qui s'applique également aux individus et aux groupes que l'objet de la loi constitue une interdiction de bonne foi d'une activité particulière en raison de ses aspects nuisibles intrinsèques (par exemple, le comportement criminel), et non simplement parce qu'il peut arriver que l'activité soit exercée collectivement. La proposition articulée par le juge en chef Bayda constitue donc un critère utile pour vérifier l'objet d'une loi dans certaines circonstances. Il y a cependant des cas où aucune analogie comportant des individus ne peut être trouvée pour une activité collective ou bien où la comparaison entre des groupes et des individus ne permet pas de saisir l'essence d'une éventuelle violation des droits d'association. C'est précisément le cas en l'espèce. Il n'y a pas d'équivalent individuel à une grève. Le refus de travailler par un individu ne correspond nullement à un refus collectif de travailler. Ce dernier est différent au point de vue qualitatif plutôt que quantitatif. Le facteur primordial demeure la question de savoir si un texte législatif ou un acte administratif porte atteinte à la liberté des personnes de se joindre à d'autres personnes et de poursuivre avec elles des objectifs communs. L'objectif d'une loi qui a pour effet de la rendre invalide est la tentative d'interdire un comportement collectif en raison de sa nature concertée ou collective.

90. Je voudrais mentionner un dernier point. On a laissé entendre que l'activité collective à des fins économiques ne devrait pas bénéficier d'une garantie constitutionnelle. Si, par cela, on entend qu'une question aussi fondamentale que les conditions de vie ou la dignité de l'individu au travail ne sont pas du domaine de la garantie constitutionnelle, je ne saurais en convenir. Si, par ailleurs, on entend par là que des préoccupations de nature exclusivement pécuniaire échappent à cette garantie, l'argument mérite d'être examiné soigneusement. En l'espèce cependant, nous avons affaire à des intérêts qui vont beaucoup plus loin que ceux de nature purement pécuniaire.

91. Le travail est l'un des aspects les plus fondamentaux de la vie d'une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société. L'emploi est une composante essentielle du sens de l'identité d'une personne, de sa valorisation et de son bien‑être sur le plan émotionnel. C'est pourquoi, les conditions dans lesquelles une personne travaille sont très importantes pour ce qui est de façonner l'ensemble des aspects psychologiques, émotionnels et physiques de sa dignité et du respect qu'elle a d'elle‑même. En recherchant ce que signifie pour l'individu le fait d'avoir un emploi, le professeur David M. Beatty, dans son article intitulé "Labour is Not a Commodity", dans Studies in Contract Law (1980), donne la description suivante, à la p. 324:

[TRADUCTION] En tant que véhicule qui permet à l'individu d'atteindre le statut de membre utile et productif de la société, l'emploi est perçu comme permettant de reconnaître qu'il s'adonne à une activité valable. Il lui donne le sens de son importance. Par la réalisation de nos aptitudes et par l'apport d'une contribution que la société juge utile, l'emploi finit par représenter le moyen par lequel la plupart des membres de notre collectivité peuvent prétendre à un droit égal au respect et à la considération des autres. C'est par cette institution que la plupart d'entre nous acquérons, pour une grande part, le respect de soi et la dignité personnelle.

92. L'association a toujours joué un rôle vital dans la protection des besoins et des intérêts essentiels des travailleurs. Au cours de l'histoire, les travailleurs se sont associés pour surmonter leur vulnérabilité individuelle face à l'employeur. La capacité de négocier collectivement a depuis longtemps été reconnue comme l'une des fonctions intégrantes et premières des associations de travailleurs. Certes les syndicats ont aussi d'autres fonctions importantes sur les plans social, politique et charitable, mais la négociation collective demeure essentielle à la capacité de chaque salarié, à titre individuel, de participer au processus qui leur assurera des salaires justes, la santé et la sécurité ainsi que des conditions de travail humaines et équitables. Comme le professeur Paul Weiler l'explique dans son ouvrage intitulé Reconcilable Differences: New Directions in Canadian Labour Law (1980), à la p. 31:

[TRADUCTION] Une bonne façon de présenter les choses consiste à dire qu'une bonne négociation collective tente d'assujettir le rapport entre employeur et employés et le milieu du travail à la "primauté du droit". Bien des théoriciens en matière de relations industrielles croient que cette fonction de protection de l'employé contre les abus de la direction, qui rehausse par le fait même la dignité du travailleur en tant que personne humaine, est la valeur primordiale qui s'attache à la négociation collective, celle qui justifie que l'institution soit encouragée positivement par le droit.

93. Le professeur Weiler qualifie alors la négociation collective de [TRADUCTION] "intrinsèquement valable comme expérience en matière d'autonomie" (p. 33), et il écrit, à la p. 32:

[TRADUCTION] ... la négociation collective est l'occasion la plus importante pour la plupart de ces travailleurs de participer à une prise de décisions sociales dans des domaines qui touchent à leur vie quotidienne. C'est là l'essence de la négociation collective.

Une raison semblable d'approuver la négociation collective a été avancée par le Rapport de l'équipe spécialisée en relations de travail (1968), le rapport Woods, à la p. 107:

296. L'un des grands espoirs des pionniers de la négociation collective était qu'elle fit passer dans les lieux de travail quelques‑uns des aspects fondamentaux de cette démocratie politique qui était en train de devenir le cachet du monde occidental. C'est ce que, traditionnellement, on a appelé la démocratie économique, et on peut la décrire comme étant la substitution de la raison juridique aux passions humaines sur le lieu de travail.

94. Le droit de grève est étroitement lié à la négociation collective, tout au moins dans notre contexte actuel de relations de travail. À la page 4 de l'ouvrage intitulé Collective Bargaining Law in Canada (2nd ed. 1986), A. W. R. Carrothers, E. E. Palmer et W. B. Rayner décrivent ainsi les conditions indispensables à un système efficace de négociation collective:

[TRADUCTION] Que faut‑il pour disposer d'un système de négociation collective efficace? Du point de vue des salariés, un tel système requiert qu'ils soient libres d'exercer trois genres d'activités: se constituer en association, amener les employeurs à négocier avec ces associations et pouvoir mettre en jeu des sanctions économiques qui aient un sens pour appuyer leurs négociations.

95. À la page 142 du rapport Woods, on considère que l'arrêt de travail est la composante essentielle de la négociation collective:

408. Les grèves et les lock‑out font partie intégrante du régime canadien de relations du travail et il est probable qu'ils le demeureront dans notre actuel régime social, économique et politique.

À la page 152, le Rapport poursuit:

431. La négociation collective est le mécanisme auquel les travailleurs et les employeurs ont recours pour tenter d'ajuster leurs intérêts divergents; fréquemment sans lutte, quelquefois de haute lutte, occasionnellement sans succès. Cet instrument, aussi imparfait qu'il puisse être, ne trouve pas de substitut viable dans une société libre.

À la page 192 du Rapport, on souligne que l'acceptation de la négociation collective implique une reconnaissance du droit de recourir à la sanction économique de la grève. À la page 193, on dit: "La grève est devenue partie intégrante de notre régime démocratique".

96. La jurisprudence a également reconnu l'importance pour la négociation collective de la menace ultime de faire grève. Lord Wright souligne dans l'arrêt Crofter Hand Woven Harris Tweed Co. v. Veitch, [1942] 1 All E.R. 142 (H.L.), aux pp. 158 et 159: [TRADUCTION] "Le droit de grève des travailleurs constitue un élément essentiel du principe de la négociation collective". Comme les auteurs de Kahn‑Freund's Labour and the Law (3rd ed. 1983), le font remarquer au sujet de cette observation: [TRADUCTION] "Si les travailleurs ne pouvaient, en dernier ressort, refuser collectivement de travailler, ils ne pourraient pas négocier collectivement" (p. 292). Voir aussi: Broadway Manor; l'affaire des Travailleurs de l'industrie laitière; Blount, le juge Wright. La nécessité et la légitimité des grèves ont aussi été reconnues par cette Cour dans les arrêts Perrault v. Gauthier (1898), 28 R.C.S. 241, à la p. 256, et Canadian Pacific Railway Co. v. Zambri, [1962] R.C.S. 609, aux pp. 618 et 621.

97. Somme toute, je suis convaincu que peu importe que la liberté d'association inclue ou non de manière générale la protection de l'activité collective exercée pour atteindre des fins exclusivement pécuniaires—une question sur laquelle je n'exprime aucune opinion—la négociation collective protège d'importants intérêts ouvriers qui ne sauraient être qualifiés de purement pécuniaires. Dans notre régime actuel de relations de travail, la protection constitutionnelle efficace des intérêts des associations de travailleurs dans le processus de négociation collective requiert la protection concomitante de leur liberté de cesser collectivement de fournir leurs services, sous réserve de l'article premier de la Charte.

3. Application à la législation albertaine

98. Les trois lois interdisent la grève, qu'elles définissent, comme nous l'avons déjà dit, comme un arrêt de travail ou un refus de travailler par deux ou plusieurs personnes qui agissent de concert ou d'un commun accord. Ce qui est interdit, c'est le refus collectif de travailler à l'expiration d'une convention collective. Il ne peut y avoir de doute que la législation vise à interdire une activité collective particulière, à cause de sa nature collective. La nature même d'une grève, sa raison d'être, est d'influencer l'employeur par une action commune qui serait inefficace si elle était exercée par une seule personne. Le professeur Harry Arthurs se réfère, à bon droit à mon avis, à la [TRADUCTION] "notion d'action collective" comme étant le "facteur décisif" dans la définition de la "grève": "The Right to Strike in Ontario and the Common Law Provinces of Canada", dans les Travaux du quatrième colloque international de droit comparé (1967), à la p. 187. C'est précisément l'intérêt qu'a une personne de se joindre à d'autres personnes et d'agir avec elles afin de maximiser son potentiel, que protège l'al. 2d) de la Charte.

99. L'article 93 de la Public Service Act porte:

[TRADUCTION] 93(1) Aucun individu ni syndicat ne doit provoquer ni tenter de provoquer une grève par ceux que vise la présente loi.

(2) Il est interdit à quiconque est visé par la présente loi de faire la grève ou de consentir à faire la grève.

100. Le paragraphe 117.1(2) de la Labour Relations Act dispose:

[TRADUCTION] 117.1 (1) ...

(2) Il est interdit à tout employé visé par la présente section de faire la grève.

Le paragraphe 3(1) de la Police Officers Act prévoit:

[TRADUCTION] 3(1) Nonobstant l'article 2, aucun agent de police, agent négociateur ou personne agissant pour le compte d'un agent négociateur ne doit faire la grève, provoquer une grève ou menacer de provoquer une grève.

Ces dispositions portent directement atteinte à la liberté des employés de faire la grève et, de ce fait, enfreignent la liberté d'association garantie à l'al. 2d) de la Charte.

V

L'article premier

101. L'intimé soutient que, même si l'une quelconque des dispositions législatives en cause en l'espèce viole la liberté d'association garantie par l'al. 2d) de la Charte, elle peut être déclarée valide en vertu de l'article premier de la Charte. Pour des motifs de commodité, je reproduis de nouveau le texte de l'article premier:

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

La question de savoir si les limites apportées à la grève et à la négociation collective dans les lois en question sont prescrites "par une règle de droit" ne se pose pas, étant donné que ces lois ont été dûment adoptées par un corps législatif régulièrement constitué.

102. Il est nécessaire cependant de déterminer si les limites imposées par les dispositions en question sont "raisonnables" et si leur "justification [peut] se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique". Dans des arrêts antérieurs, cette Cour a énoncé un certain nombre de principes applicables à une analyse en vertu de l'article premier. En statuant en vertu de l'article premier, le tribunal doit être conscient d'un facteur contextuel important: l'article premier devient applicable dans le contexte d'une violation d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution. Le juge Wilson a exprimé ce principe dans l'arrêt Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la p. 218:

Il est important, me semble‑t‑il, de garder à l'esprit que les droits et libertés énoncés dans la Charte sont des éléments essentiels de la structure politique du Canada et qu'ils sont garantis par la Charte en tant que partie de la loi suprême de notre pays. Je pense qu'en déterminant si une limite donnée constitue une limite raisonnable prescrite par la loi et "dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique", il est important de se rappeler que les tribunaux effectuent cette enquête tout en veillant au respect des droits et libertés énoncés dans les autres articles de la Charte.

La charge de démontrer qu'une limite apportée à un droit ou à une liberté doit être maintenue en vertu de l'article premier incombe à la partie qui demande le maintien de cette limite. La norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités et, en règle générale, une preuve est nécessaire pour satisfaire à cette norme: voir l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, et la jurisprudence qui y est citée.

103. Les éléments constitutifs de toute analyse en vertu de l'article premier sont les suivants. En premier lieu, l'objectif législatif, que visent à servir les mesures qui sont mises en oeuvre, doit être suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit garanti par la Constitution: il doit être lié à des "préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique". En second lieu, les moyens choisis pour promouvoir cet objectif doivent être raisonnables et leur justification doit pouvoir se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Cette exigence de proportionnalité entre la fin et les moyens comporte normalement trois aspects: a) il doit y avoir un lien rationnel entre les mesures prises et l'objectif qu'elles sont destinées à servir, b) les mesures prises doivent être de nature à porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en cause, et c) les effets préjudiciables de ces mesures doivent être justifiables compte tenu de l'objectif qu'elles visent à servir. Voir l'arrêt Oakes et la jurisprudence qui y est citée.

104. Si je comprends bien les arguments de l'intimé, la législation en cause dans le présent renvoi vise à atteindre deux objectifs: 1) la garantie des services essentiels et 2) la protection du gouvernement contre les pressions politiques qui découlent de la grève. La question est de savoir si l'un ou l'autre de ces objectifs, ou les deux à la fois, sont "suffisamment importants pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution" (arrêt Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352) ou, en d'autres termes, s'ils se rapportent à des "préoccupations urgentes et réelles" (arrêt Oakes, à la p. 139). La proportionnalité des mesures par rapport aux objectifs doit alors être évaluée.

105. Je fais remarquer au départ que l'analyse qui suit se limite à l'évaluation des raisons avancées par la province pour justifier son action législative. Ce qu'il faut examiner, ce sont les objectifs réels de la législature de l'Alberta, et non pas quelque autre objectif légitime, mais hypothétique, visé en adoptant les lois particulières en cause. Il se peut que d'autres raisons soient avancées dans des affaires ultérieures. On n'a pas demandé à la Cour, en l'espèce, de déterminer si un préjudice économique causé à des tiers peut justifier l'abrogation de la liberté de faire grève. On ne lui a pas demandé non plus de déterminer si un substitut applicable universellement à la place du paradigme conflictuel grève/lock‑out que l'on trouve aujourd'hui dans les relations de travail serait acceptable. Il se pourrait qu'un autre type de régime, qu'il soit nouveau avec la participation des travailleurs aux décisions patronales grâce à un droit de propriété ou autrement, ou plus familier comme l'arbitrage, soit acceptable. La Constitution ne fige pas pour l'éternité la formule actuelle des relations de travail.

1. La garantie des services essentiels

106. La garantie des services qui sont véritablement essentiels est, à mon avis, un objectif législatif d'une importance suffisante pour les fins de l'article premier de la Charte. Il est cependant nécessaire de définir les "services essentiels" d'une manière qui soit conforme aux normes justificatrices énoncées à l'article premier. La logique de l'article premier, dans les présentes circonstances, exige qu'un service essentiel soit un service dont l'interruption menacerait de causer un préjudice grave au public en général ou à une partie de la population. Dans le contexte d'un argument relatif à un préjudice non économique, je conclus que les décisions du Comité de la liberté syndicale du B.I.T. sont utiles et convaincantes. Ces décisions ont toujours défini un service essentiel comme un service "dont l'interruption pourrait mettre en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population" (La liberté syndicale: Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration du B.I.T., précité). À mon avis, et sans tenter d'en donner une liste exhaustive, les personnes essentielles au maintien et à l'application de la primauté du droit et à la sécurité nationale seraient aussi incluses dans le champ des services essentiels. Le simple inconvénient subi par des membres du public ne constitue pas un motif du ressort des services essentiels justifiant l'abrogation du droit de grève.

107. Ayant jugé que la garantie des services essentiels est un objectif d'une importance suffisante, il est nécessaire que l'intimé démontre que les mesures adoptées sont proportionnelles à l'objectif poursuivi. Quatre catégories d'employés sont visées par les lois en question: les employés de la fonction publique (Public Service Act), les pompiers et les employés des exploitants d'hôpitaux approuvés en vertu de la Hospitals Act (Labour Relations Act), et les agents de police (Police Officers Act). Le gouvernement doit, dans un premier temps, prouver selon la prépondérance des probabilités que ces employés sont "essentiels"; sinon, l'abrogation de leur droit de grève serait trop étendue et injustifiée en vertu de l'article premier.

108. L'avocat du procureur général de l'Alberta n'a soumis aucune preuve à cet égard. Il a simplement fait valoir que les services essentiels ne doivent pas être interrompus et que, bien que certains employés visés par les lois en question ne soient pas essentiels, [TRADUCTION] "ils sont si étroitement liés à ceux qui fournissent des services essentiels qu'il devient raisonnable de les traiter de la même façon". Dans l'arrêt Oakes, cette Cour a reconnu que l'étendue des éléments de preuve requis en vertu de l'article premier varie selon la nature de l'espèce (à la p. 138):

Lorsqu'une preuve est nécessaire pour établir les éléments constitutifs d'une analyse en vertu de l'article premier, ce qui est généralement le cas, elle doit être forte et persuasive et faire ressortir nettement à la cour les conséquences d'une décision d'imposer ou de ne pas imposer la restriction [. . .] Je dois cependant ajouter qu'il peut arriver que certains éléments constitutifs d'une analyse en vertu de l'article premier soient manifestes ou évidents en soi.

109. Le caractère essentiel des agents de police et des pompiers est, à mon avis, manifeste et évident en soi, et n'a pas à être démontré au moyen d'une preuve. Il est clair que l'interruption de la protection assurée par les policiers et les pompiers mettrait en péril la vie, la sécurité et la santé des personnes. C'est pourquoi, je crois qu'il existe un lien rationnel entre la décision du législateur provincial d'empêcher de telles interruptions et son objectif de protéger les services essentiels.

110. La situation à l'égard des employés des exploitants d'hôpitaux approuvés en vertu de la Hospitals Act est fort différente. Interdire le droit de grève à tous les employés d'hôpitaux est une mesure trop draconienne par rapport à l'objectif de protection des services essentiels. Il n'est ni manifeste ni évident en soi que toutes les unités de négociation du milieu hospitalier représentent des travailleurs qui fournissent des services essentiels ou que ceux qui ne fournissent pas des services essentiels sont si [TRADUCTION] "étroitement liés" à ceux qui les fournissent qu'il devient justifié de les traiter de la même façon. Comme je l'ai fait remarquer précédemment, le Comité de la liberté syndicale du B.I.T. s'est montré préoccupé par le caractère trop étendu de l'art. 117.1 de la Labour Relations Act:

132. Le comité note que cette exclusion globale vaut pour les aides de cuisine, les portiers, les jardiniers, etc., [. . .] Comme cette disposition n'est pas assez précise en ce qui concerne l'importante qualification d'"agent essentiel", le comité renvoie au principe [. . .] au sujet des circonstances dans lesquelles le recours à la grève peut être interdit. Il demande au gouvernement de réexaminer l'article 117.1 de façon que l'interdiction du droit de grève soit limitée aux services qui sont essentiels au sens strict du terme.

111. L'avocat du procureur général n'a soumis aucune preuve ni aucun renseignement qui permettrait de conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y aura interruption des services chaque fois que l'une ou l'autre des unités de négociation de l'hôpital fera la grève. Bien qu'il puisse être manifeste ou évident en soi que la grève par certains employés de l'hôpital, comme le personnel infirmier ou les médecins, porterait atteinte à la capacité de l'hôpital de prodiguer des soins adéquats, on ne peut dire cela de tous les employés des hôpitaux sans quelque fondement probatoire. Pour cette raison, je ne crois pas que l'on puisse soutenir que les employés visés par l'art. 117.1 de la Labour Relations Act sont tous "essentiels". La disposition est trop large pour être justifiée comme étant liée aux services essentiels pour les fins de l'article premier.

112. La Public Service Act souffre, à mon avis, du même défaut. La Loi s'applique aux employés au service des employeurs décrits à l'al. 1o):

[TRADUCTION] "employeur" s'entend

(i) de Sa Majesté du chef de l'Alberta, ou

(ii) d'une société, d'une commission, d'un conseil, d'un office ou autre organisme, dont l'ensemble ou la majorité des membres ou administrateurs

A) sont désignés par une loi de la Législature,

B) peuvent être nommés ou désignés par le lieutenant‑gouverneur en conseil ou par un ministre de Sa Majesté du chef de l'Alberta, ou encore en partie par le lieutenant‑gouverneur en conseil et en partie par un ministre de Sa Majesté du chef de l'Alberta, peu importe que le pouvoir de nomination ou de désignation soit exercé ou non, ou qu'il le soit en partie seulement, ou

C) sont en partie désignés par une loi de la Législature et peuvent en partie être nommés ou désignés par le lieutenant‑gouverneur en conseil ou par un ministre de Sa Majesté du chef de l'Alberta, ou encore en partie par le lieutenant‑gouverneur en conseil et en partie par un ministre de Sa Majesté du chef de l'Alberta, peu importe que le pouvoir de nomination ou de désignation soit exercé ou non, ou qu'il le soit en partie seulement; . . .

Refuser à tous les employés visés par cette disposition le droit de grève est, à mon avis, un moyen trop draconien d'assurer la protection des services essentiels. Il n'est ni manifeste ni évident en soi que tous les employés visés par la Public Service Act assurent des services essentiels. Aucune preuve n'a été offerte par l'avocat du Procureur général sur ce point. Le gouvernement de l'Alberta ne s'est pas, à mon avis, acquitté du fardeau qui lui incombait. Pour conclure, la limite apportée à la liberté d'association des fonctionnaires par l'abrogation du droit de grève que prescrit la Public Service Act n'est pas justifiée au sens de l'article premier de la Charte, en fonction de l'argument des services essentiels.

2. L'argument de la protection du gouvernement contre les pressions politiques

113. Comme je l'ai déjà mentionné l'intimé soumet un second argument à titre de justification au sens de l'article premier, savoir que la législation est nécessaire pour protéger le gouvernement contre les pressions politiques que ses employés peuvent exercer sur lui par leurs grèves. En d'autres termes, même si certains fonctionnaires ne sont pas vraiment essentiels, le fait qu'ils sont au service du gouvernement est un motif suffisant pour leur refuser le droit de grève. Je ne considère pas que cet argument est convaincant. L'intimé n'a offert aucune preuve qui permettrait de conclure que la négociation collective et la grève dans le secteur public ont eu ou auront pour effet d'exercer des pressions politiques indues sur le gouvernement. D'ailleurs, partout au Canada, la négociation collective et le droit de grève ont joué un rôle important en matière de relations de travail dans le secteur public. Une étude intitulée Public Service Collective Bargaining Legislation in Canada, préparée par le ministère du Travail de l'Alberta et produite par l'intimé en Cour d'appel, montre que la Nouvelle‑Écosse et l'Ontario sont les seuls autres ressorts au Canada qui sont censés imposer une interdiction générale de la grève dans le secteur public. Commentant l'introduction d'un régime complet de négociations collectives au niveau fédéral dans les années 60, le professeur Harry Arthurs affirme dans "Collective Bargaining in the Public Service of Canada: Bold Experiment or Act of Folly" (1969), 67 Mich. L. Rev. 971, à la p. 974:

[TRADUCTION] ... un obstacle potentiellement redoutable à la reconnaissance fédérale des droits de négociation collective des employés du secteur public n'était tout simplement pas présent au Canada au milieu des années 60. La croyance traditionnelle—ou le mythe—que la négociation collective est en quelque sorte intrinsèquement incompatible avec la dignité et les fonctions d'un état souverain avait été édulcorée par des années d'expérience pratique des relations de travail sur le modèle du secteur privé dans des emplois gouvernementaux et quasi gouvernementaux.

114. En outre, la controverse théorique sur la question de la souveraineté s'est produite avant tout aux états‑Unis où on trouve un régime constitutionnel fondamentalement différent: voir, par exemple, Harry H. Wellington et Ralph K. Winter Jr., "The Limits of Collective Bargaining in Public Employment" (1969), 78 Yale L.J. 1107; W. B. Cunningham, "Public Employment, Collective Bargaining and the Conventional Wisdom: Canada and U.S.A." (1966), 21 Ind. Rel. 406. Un bon nombre d'auteurs cités par l'intimé sont effectivement en faveur de la négociation collective et du droit de grève dans le secteur public (voir, par exemple, Morley Gunderson (éd.), Collective Bargaining in the Essential and Public Service Sectors (1975), à la p. viii). Il m'est difficile de conclure que toute grève d'employés du gouvernement aurait pour effet d'exercer une pression politique indue sur le gouvernement. La dissidence du juge en chef Roberts de la Cour suprême du Rhode Island dans l'arrêt School Committee of the Town of Westerly v. Westerly Teachers Ass'n, 299 A.2d 441 (1973), est utile à cet égard (aux pp. 448 et 449):

[TRADUCTION] ... je ne puis admettre que toute grève d'employés du secteur public menace nécessairement le bien‑être du public et paralyse le gouvernement [...] Le fait est que dans bien des cas les grèves d'employés du secteur privé posent une menace bien plus grave à l'intérêt public que ne le feraient bien des grèves d'employés oeuvrant dans le secteur public [...] En bref, il me semble que refuser à tous les employés du secteur public le droit de grève pour le motif qu'ils travaillent dans le secteur public serait arbitraire et déraisonnable.

115. À mon avis, le fait d'être au service du gouvernement ne constitue pas une raison suffisante, aux fins de l'article premier, pour limiter la liberté d'association par une interdiction législative du droit de grève. Il n'a pas été démontré que tous les employés de la fonction publique jouissent d'un avantage important sur le plan de la négociation en raison du statut gouvernemental de leur employeur. Il n'a pas été non plus démontré que toute pression politique exercée sur le gouvernement au cours des grèves est d'une nature inhabituelle ou particulièrement préjudiciable.

3. L'arbitrage comme substitut au droit de grève

116. Comme je l'ai noté précédemment, les dispositions relatives aux agents de police et aux pompiers satisfont au premier critère de la proportionnalité: il y a un lien rationnel entre l'interdiction de la grève dans ces services et l'objectif législatif de garantie des services essentiels. Il est donc utile d'examiner si les mesures adoptées sont de nature à porter atteinte le moins possible à la liberté d'association des intéressés. Manifestement, si le droit de grève devait être refusé et s'il n'était remplacé par aucun moyen efficace et juste de résoudre les conflits de travail, les employés se verraient refuser tout apport susceptible d'assurer des conditions de travail équitables et décentes et le droit des relations de travail s'en trouverait faussé entièrement à l'avantage de l'employeur. C'est pour cette raison que l'interdiction législative de la grève doit s'accompagner d'un mécanisme de règlement des différends par un tiers. Je suis d'accord avec ce que dit l'Alberta International Fire Fighters Association à la p. 22 de son mémoire, savoir que [TRADUCTION] "Il est généralement reconnu qu'employeurs et employés doivent être sur un pied d'égalité en situation de grève ou d'arbitrage obligatoire lorsque le droit de grève est retiré". Le but d'un tel mécanisme est d'assurer que la perte du pouvoir de négociation par suite de l'interdiction législative des grèves est compensée par l'accès à un système qui permet de résoudre équitablement, efficacement et promptement les différends mettant aux prises employés et employeurs.

117. Comme je l'ai dit plus haut, le but de l'interdiction de toute grève par les agents de police et les pompiers est d'empêcher les interruptions de services essentiels. Si l'interdiction de faire la grève doit être le moyen le moins draconien d'atteindre ce but, elle doit, à mon avis, être assortie de garanties adéquates de sauvegarde des intérêts des travailleurs. Toutes les procédures de conciliation ou d'arbitrage doivent être justes et efficaces ou, pour reprendre les termes du Comité de la liberté syndicale du B.I.T. "adéquates, impartiales et rapides à chaque étape desquelles les parties devraient pouvoir participer": cas no 1247, Bulletin officiel du B.I.T., précité à la p. 41.

118. Les points litigieux que soulèvent les dispositions législatives portant sur l'arbitrage sont les suivants:

(i) elles obligent l'arbitre à tenir compte de certains points;

(ii) elles limitent la possibilité de soumettre certains points à l'arbitrage; et

(iii) elles confèrent à un ministre ou à un organisme du gouvernement le pouvoir discrétionnaire de décider si un différend sera soumis à l'arbitrage.

Je vais maintenant traiter à tour de rôle de chacun de ces points.

(i) L'arbitre doit tenir compte de certains points

119. En vertu de la Public Service Act, de la Labour Relations Act et de la Police Officers Act, les arbitres doivent tenir compte (i) des politiques fiscales du gouvernement énoncées par écrit par le Trésorier provincial (sous‑al. 55a)(iii) de la Public Service Act; sous‑al. 117.8a)(iii) de la Labour Relations Act; sous‑al. 15a)(iii) de la Police Officers Act), et (ii) des salaires et des avantages offerts aux salariés syndiqués et non syndiqués des secteurs privé et public (sous‑al. 55a)(i) de la Public Service Act; sous‑al. 117.8a)(i) de la Labour Relations Act; sous‑al. 15a)(i) de la Police Officers Act). L'avocat de l'appelante Alberta International Fire Fighters Association soutient que ces dispositions sont contraires à l'obligation du gouvernement de fournir aux employés des garanties justes et adéquates pour remplacer le droit de grève. L'intimé fait valoir qu'il n'est pas déraisonnable que le gouvernement veuille que les points énumérés soient pris en considération par les tribunaux d'arbitrage. La question cependant est non pas de savoir s'il est souhaitable ou non que les tribunaux d'arbitrage tiennent compte des facteurs énumérés, mais plutôt de savoir si obliger les arbitres à tenir compte de ces facteurs porte atteinte à l'équité et à l'efficacité de la procédure d'arbitrage.

120. Les appelants prétendent que les dispositions de la Public Service Act, de la Labour Relations Act et de la Police Officers Act qui forcent à tenir compte de la politique financière du gouvernement favorisent l'état‑patron et, par le fait même, compromettent l'équité du système d'arbitrage. Je ne suis pas d'accord. À mon avis, la politique financière du gouvernement constitue une mesure de la capacité de payer de l'employeur et il n'y a rien d'irrégulier à obliger l'arbitre à en tenir compte. L'arbitre n'est pas obligé par la loi de considérer la politique financière énoncée comme une mesure concluante de la capacité de payer de l'employeur et les syndicats pourraient toujours demander que l'arbitre s'en écarte.

121. Pour en venir au sous‑al. 55a)(i) de la Public Service Act, au sous‑al. 117.8a)(i) de la Labour Relations Act et au sous‑al. 15a)(i) de la Police Officers Act, qui obligent les arbitres à tenir compte des salaires et des avantages offerts aux salariés syndiqués et non syndiqués des secteurs public et privé, je ne crois pas que ces dispositions compromettent le caractère adéquat du système d'arbitrage. Comme l'affirme le professeur K. P. Swan (dans son article intitulé The Search for Meaningful Criteria in Interest Arbitration, Reprint Series, No. 41, Industrial Relations Centre, Queen's University, 1978), à la p. 11: [TRADUCTION] "L'équité demeure une notion essentiellement relative, aussi est‑elle fonction directement de l'identification de comparaisons justes, si l'on veut qu'elle ait un sens". En vertu des sous‑al. 55a)(i), 117.8a)(i) et 15a)(i), l'arbitre est obligé de tenir compte, présumément pour des fins de comparaisons, des salaires des employés syndiqués et non syndiqués des secteurs public et privé. L'appelante Alberta International Fire Fighters Association laisse entendre que les sous‑al. 55a)(i), 117.8a)(i) et 15a)(i) obligent à procéder à une comparaison injuste qui [TRADUCTION] "ne peut qu'avoir pour résultat une baisse des salaires des employés syndiqués". Je ne suis pas de cet avis. Une obligation d'établir une base comparative aussi large que possible ne compromet pas, à mon avis, l'impartialité de l'arbitrage ni ne désavantage les employés concernés.

(ii) Limitation de la possibilité de soumettre certains points à l'arbitrage

122. Le paragraphe 48(2) de la Public Service Act établit que certaines questions ne peuvent être soumises à l'arbitrage ni figurer dans une sentence arbitrale. Ces questions sont en général arbitrables dans d'autres contextes de relations du travail, tel qu'il ressort du fait que le par. 48(2) s'applique nonobstant le par. 48(1). Le paragraphe 2(2) de la Police Officers Act refuse, dans certaines circonstances, aux agents de police le droit de négocier collectivement en vue d'obtenir des prestations de pension. L'avocat du Procureur général fait valoir que ces dispositions satisfont aux exigences de l'article premier de la Charte pour les motifs suivants: 1) les questions mentionnées aux al. 48(2)a), b) et c) ne font pas traditionnellement l'objet de conventions collectives parce qu'elles doivent demeurer sous le contrôle absolu de la direction; 2) les prestations de pension font l'objet d'une autre loi et ne peuvent donc être négociables ni fixées par arbitrage, et 3) il n'est pas évident que les sujets mentionnés à l'art. 48 de la Public Service Act soit d'un intérêt vital pour l'employé. L'avocat de l'Alberta Union of Provincial Employees fait remarquer que les sujets visés par l'art. 48 de la Public Service Act (et par le par. 2(2) de la Police Officers Act) font couramment et habituellement l'objet d'arbitrages ou de grèves dans les relations de travail. De même, l'avocat rejette la prétention de l'intimé que les sujets énumérés ne sont pas importants pour les employés en tant que collectivité. Le Public Service Employee Relations Board, dans un certain nombre de décisions récentes sur la possibilité de soumettre à l'arbitrage les points visés par le par. 48(2) de la Loi, a jugé que des questions comme l'établissement des heures normales de travail et le principe de "à travail égal, salaire égal" ne sont pas arbitrables en vertu de la Loi: Alberta Union of Provincial Employees v. The Crown in Right of Alberta, 24 novembre 1982, inédit; Alberta Union of Provincial Employees v. The Crown in Right of Alberta, 12 novembre 1982, inédit.

123. Comme je l'ai fait remarquer auparavant, un système d'arbitrage doit être équitable et efficace pour ce qui est de restituer aux employés le pouvoir de négociation que leur enlève l'interdiction de faire la grève. À mon avis, l'exclusion de ces sujets du processus d'arbitrage compromet l'efficacité du processus comme moyen d'assurer un pouvoir égal de négociation en l'absence du droit de grève. L'équité et l'efficacité du régime d'arbitrage se trouvent sérieusement compromises lorsque des questions, qui normalement pourraient être négociées, sont exclues de l'arbitrage. [TRADUCTION] "Puisque, sans un mécanisme obligatoire de règlement des différends, une négociation collective véritable est fort improbable, il semble plus raisonnable de s'assurer que le champ d'arbitrage soit aussi large que le champ des négociations pour que le processus de négociation puisse fonctionner": K. P. Swan, "Safety Belt or Strait‑Jacket? Restrictions on the Scope of Public Sector Collective Bargaining", dans Essays in Collective Bargaining and Industrial Democracy (1983), à la p. 36.

124. Il peut être nécessaire, dans certaines circonstances, pour l'état‑patron, de conserver un contrôle absolu sur certains aspects des conditions de travail par l'exclusion de certaines questions de l'arbitrage. La présomption cependant doit jouer contre de telles exclusions si l'on veut que l'efficacité du régime d'arbitrage substitué à la liberté de grève ne soit pas compromise. En l'espèce, le gouvernement ne s'est pas acquitté de la charge qui lui incombait de faire la preuve de cette nécessité.

(iii) L'absence de droit d'aller en arbitrage

125. Aucun des régimes d'arbitrage établis dans les lois en cause dans le présent renvoi ne prévoit le droit de soumettre un différend à l'arbitrage. Au contraire, un ministre ou un organisme administratif se voit conférer le pouvoir discrétionnaire de constituer un tribunal d'arbitrage s'il le juge approprié: voir plus haut l'art. 50 de la Public Service Act, l'art. 117.3 de la Labour Relations Act et l'art. 10 de la Police Officers Act. En vertu de l'art. 50 de la Public Service Act, le Public Service Employee Relations Board peut enjoindre aux parties de poursuivre la négociation collective ou nommer un médiateur au lieu de constituer un tribunal d'arbitrage. En vertu de l'art. 117.3 de la Labour Relations Act et de l'art. 10 de la Police Officers Act, le Ministre peut ordonner aux parties de poursuivre la négociation collective et prescrire la procédure ou les conditions qui devront s'appliquer.

126. L'intimé ne soumet aucun argument au sujet de ces dispositions. En l'absence d'arguments ou d'éléments de preuve démontrant pourquoi une telle intervention gouvernementale dans le processus d'arbitrage est nécessaire, je crois que la capacité légale d'un ministre ou d'un organisme administratif de décider quand et dans quelles circonstances un différend doit aller en arbitrage compromet l'équité et l'efficacité de l'arbitrage obligatoire en tant que substitut à la liberté de grève. En fait, en vertu de la Labour Relations Act et de la Police Officers Act l'employeur—c.‑à‑d. l'organe exécutif du gouvernement—détient l'autorité absolue de déterminer à quel moment un différend doit aller en arbitrage. Un tel pouvoir mine considérablement l'équilibre de puissance entre l'employeur et l'employé que le régime d'arbitrage est censé promouvoir. Selon la législation antérieure, l'une et l'autre parties avaient le droit absolu de soumettre le différend à un tribunal d'arbitrage. Selon la législation actuelle, ce n'est plus le cas et l'avocat de l'intimé n'a donné aucune raison justifiant ce changement. Le pouvoir discrétionnaire d'un ministre ou d'un organisme administratif de décider si un différend doit être soumis à l'arbitrage est, à mon avis, une atteinte injustifiée à l'équité de la procédure d'arbitrage destinée à promouvoir l'égalité du pouvoir de négociation entre les parties.

4. Conclusions sur l'article premier

127. L'analyse faite en vertu de l'article premier peut se résumer ainsi:

128. 1. La restriction imposée par l'art. 93 de la Public Service Act à la liberté d'association garantie par l'al. 2d) de la Charte n'est pas justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. Elle est trop étendue quant aux individus à qui elle s'applique et le régime d'arbitrage prévu par la Loi ne constitue pas un substitut adéquat à la liberté de grève des employés.

129. 2. La restriction imposée par l'art. 117.1 de la Labour Relations Act à la liberté d'association garantie par l'al. 2d) de la Charte n'est pas justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. Elle est trop étendue dans son application aux employés d'hôpitaux et le régime d'arbitrage prévu par la Loi ne constitue pas un substitut adéquat à la liberté de grève des employés.

130. 3. La restriction imposée par l'art. 3 de la Police Officers Act à la liberté d'association garantie par l'al. 2d) de la Charte n'est pas justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. Le régime d'arbitrage prévu par la Loi ne constitue pas un substitut adéquat à la liberté de grève des employés.

VI

Conclusion

131. Les questions constitutionnelles reçoivent les réponses suivantes:

1. Les dispositions de la Public Service Employee Relations Act qui prévoient l'arbitrage obligatoire pour résoudre les différends et interdisent le recours aux lock‑out et aux grèves, en particulier les art. 49, 50, 93 et 94, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

Réponse: L'article 93 restreint la liberté d'association garantie par l'al. 2d) de la Charte. Cette restriction n'est pas justifiée en vertu de l'article premier de la Charte parce que la Loi a une application trop étendue du fait qu'elle s'applique à des employés dont les services ne sont pas essentiels, et parce que le régime d'arbitrage envisagé aux art. 48, 49, 50 et 55 ne constitue pas un substitut adéquat à la liberté de grève.

132. Les articles 49 et 50 ne restreignent pas en soi la liberté d'association. Toutefois, l'absence du droit de soumettre un différend à l'arbitrage, qui découle de ces articles, a pour effet de rendre le régime d'arbitrage inadéquat comme substitut à la liberté de grève et, par conséquent, contribue à rendre l'art. 93 injustifié selon l'article premier de la Charte.

133. L'article 94 ne viole pas l'al. 2d) de la Charte puisqu'il ne vise pas l'action collective.

2. Les dispositions de la Labour Relations Act qui prévoient l'arbitrage obligatoire pour résoudre les différends et interdisent le recours aux lock‑out et aux grèves, en particulier les art. 117.1, 117.2 et 117.3, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

Réponse: Le paragraphe 117.1(2) restreint la liberté d'association garantie par l'al. 2d) de la Charte. Cette restriction n'est pas justifiée en vertu de l'article premier de la Charte parce que, dans la mesure où tous les employés d'hôpitaux sont visés par l'al. 117.1(1)b), la Loi a une application trop étendue du fait qu'elle s'applique à des employés dont les services ne sont pas essentiels, et parce que le régime d'arbitrage envisagé aux art. 117.2, 117.3 et 117.8 ne constitue pas un substitut adéquat à la liberté de grève.

134. Les articles 117.2 et 117.3 ne restreignent pas en soi la liberté d'association. Toutefois, l'absence du droit de soumettre un différend à l'arbitrage, qui découle de ces articles, a pour effet de rendre le régime d'arbitrage inadéquat comme substitut à la liberté de grève et, par conséquent, contribue à rendre le par. 117.1(2) injustifié selon l'article premier.

135. Si le régime d'arbitrage était adéquat, le par. 117.1(2) serait alors justifiable comme restriction raisonnable imposée par l'al. 117.1(1)a) à la liberté d'association des pompiers.

3. Les dispositions de la Police Officers Collective Bargaining Act qui prévoient l'arbitrage obligatoire pour résoudre les différends et interdisent le recours aux lock‑out et aux grèves, en particulier les art. 3, 9 et 10, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

Réponse: Le paragraphe 3(1) restreint la liberté d'association garantie par l'al. 2d) de la Charte. Cette restriction n'est pas justifiée en vertu de l'article premier de la Charte parce que le régime d'arbitrage envisagé aux art. 9, 10 et 15 ne constitue pas un substitut adéquat à la liberté de grève.

136. Les articles 9 et 10 ne restreignent pas en soi la liberté d'association. Toutefois, l'absence du droit de soumettre un différend à l'arbitrage, qui découle de ces articles, a pour effet de rendre le régime d'arbitrage inadéquat comme substitut à la liberté de grève et, par conséquent, contribue à rendre le par. 3(1) injustifié selon l'article premier de la Charte.

137. Si le régime d'arbitrage était adéquat, le par. 3(1) serait alors justifiable comme restriction raisonnable imposée à la liberté d'association des agents de police.

4. Les dispositions de la Public Service Employee Relations Act qui se rapportent à l'arbitrage, en particulier les art. 48 et 55, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

Réponse: Ces dispositions ne violent pas en soi la liberté d'association. Cependant le par. 48(2), en restreignant déraisonnablement les sujets qui peuvent être soumis à l'arbitrage, contribue à rendre inadéquat le régime d'arbitrage substitué à la liberté de grève et donc à rendre la restriction imposée à la liberté d'association par l'art. 93 injustifiée selon l'article premier de la Charte. L'article 55 ne viole pas la liberté d'association et ne contribue pas à rendre inadéquat le régime d'arbitrage.

5. Les dispositions de la Labour Relations Act qui se rapportent à l'arbitrage, en particulier l'art. 117.8, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

Réponse: L'article 117.8 ne viole pas la liberté d'association et ne contribue pas à rendre inadéquat le régime d'arbitrage prévu par la Loi.

6. Les dispositions de la Police Officers Collective Bargaining Act qui se rapportent à l'arbitrage, en particulier le par. 2(2) et l'art. 15, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

Réponse: En interdisant la négociation collective, le par. 2(2) restreint la liberté d'association garantie par l'al. 2d) de la Charte. Cette restriction n'est pas justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.

138. L'article 15 ne viole pas la liberté d'association et ne contribue pas à rendre inadéquat le régime d'arbitrage prévu par la Loi.

7. La Loi constitutionnelle de 1982 limite‑t‑elle le droit de Sa Majesté d'exclure des unités de négociation collective une seule ou plusieurs des catégories suivantes de ses employés:

a) un employé qui exerce des fonctions de gestion;

b) un employé qui est préposé à des fonctions confidentielles en matière de relations de travail;

c) un employé dont les fonctions sont essentielles au bon fonctionnement de la Législature, de l'Exécutif ou du Judiciaire;

d) un employé dont les droits en tant que membre d'une unité de négociation collective entreraient en conflit avec ses obligations d'employé?

139. La Cour, dans des procédures de renvoi, n'a pas à répondre à une question trop vague pour qu'une réponse satisfaisante puisse y être donnée: voir, par exemple, l'arrêt McEvoy c. Procureur général du Nouveau‑Brunswick, [1983] 1 R.C.S. 704, aux pp. 707 à 715, et la jurisprudence qui y est citée. C'est pourquoi je partage l'avis du juge Kerans, s'exprimant au nom de la Cour d'appel à la majorité:

[TRADUCTION] Il ne reste qu'à traiter de la question de manière abstraite, si nous le pouvons. À cet égard, je n'ai décelé que peu ou pas de désaccord entre les avocats. D'une part, il leur semble évident en soi qu'une loi qui interdit à un individu d'adhérer à un syndicat auquel, n'était‑ce de cette loi, il lui serait possible d'adhérer, restreint la liberté d'association même dans un sens limité parce que cela restreint sa liberté d'expression. D'autre part, les catégories mentionnées dans la question semblent représenter un effort de décrire des employés qui, à cause de la nature de leur travail, se trouveraient en situation de conflit direct, important et immédiat, entre leurs obligations envers leurs collègues de l'unité (en présumant que l'unité syndicale requiert une certaine solidarité) et les obligations particulières qu'ils ont envers leur employeur. On n'a fait valoir aucun argument sérieux contre la proposition qu'une exclusion est justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique s'il peut être démontré qu'il y a conflit important d'obligations de la part des employés parce que, je suppose, le régime de négociation collective, tel que nous le connaissons, ne pourrait fonctionner autrement. Mais, même cette affirmation requiert un examen de ce régime en vertu de l'article premier auquel aucun intervenant n'a procédé, ni n'a exprimé d'intérêt à ce que nous l'entreprenions. Le conflit réel semble porter sur la question de savoir si effectivement il y a, pour un employé donné dans les catégories fixées par la législation, un conflit d'obligations important. C'est là naturellement une question de fait que nous ne pouvons trancher, ce qu'on ne nous a pas demandé de faire non plus. En définitive, il est impossible d'offrir quelque réponse significative à la question et, avec égards, je m'abstiens d'y apporter quelque autre réponse.

Aucune réponse n'a à être donnée à la question 7.

140. En conséquence, le pourvoi est accueilli.

Version française du jugement des juges Beetz, Le Dain et La Forest rendu par

141. Le juge Le Dain—Dans leurs motifs de jugement, le Juge en chef et le juge McIntyre donnent un énoncé complet de l'historique, des questions en litige, de la doctrine, de la jurisprudence ainsi que des facteurs pertinents en l'espèce. Je suis d'accord avec le juge McIntyre pour dire que la garantie constitutionnelle de la liberté d'association que l'on trouve à l'al. 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés ne comprend pas, dans le cas d'un syndicat, la garantie du droit de négocier collectivement et du droit de faire la grève. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de répondre aux questions constitutionnelles de la manière qu'il propose. Toutefois, je tiens à indiquer, même si ce n'est que brièvement, les considérations générales qui m'ont amené à tirer cette conclusion.

142. En examinant le sens qu'il faut donner à l'expression liberté d'association que l'on trouve à l'al. 2d) de la Charte, il est essentiel de garder à l'esprit que cette notion doit viser toute une gamme d'associations ou d'organisations de nature politique, religieuse, sociale ou économique, ayant des objectifs très variés, de même que les activités qui permettent de poursuivre ces objectifs. C'est dans cette perspective plus large et non simplement en fonction des prétendues exigences d'un syndicat, si importantes soient‑elles, que l'on doit examiner l'incidence de l'extension d'une garantie constitutionnelle, qui se présente sous la forme du concept de la liberté d'association, au droit d'exercer une certaine activité pour le motif qu'elle est essentielle si l'on veut qu'une association ait une existence significative.

143. En se demandant s'il est raisonnable de prêter une intention aussi générale à la Charte, je rejette la prémisse selon laquelle, sans cette protection constitutionnelle supplémentaire, la liberté d'association garantie serait vide de sens. La liberté d'association est particulièrement importante pour l'exercice d'autres libertés fondamentales comme la liberté d'expression et la liberté de conscience et de religion. Celles‑ci présentent un large champ de protection d'activités collectives. De plus, la liberté de travailler à la constitution d'une association, d'appartenir à une association, de la maintenir et de participer à ses activités licites sans faire l'objet d'une peine ou de représailles ne doit pas être tenue pour acquise. Cela ressort de sa reconnaissance et de sa protection expresses dans la législation en matière de relations de travail. C'est une liberté qui a été plus ou moins supprimée à l'occasion par des régimes totalitaires.

144. Ce qui est en cause en l'espèce est non pas l'importance de la liberté d'association en ce sens, qui est celui que je prête à l'al. 2d) de la Charte, mais la question de savoir si une activité particulière qu'exerce une association en poursuivant ses objectifs, doit être protégée par la Constitution ou faire l'objet d'une réglementation par voie de politiques législatives. Les droits au sujet desquels on réclame la protection de la Constitution, savoir les droits contemporains de négocier collectivement et de faire la grève, qui comportent pour l'employeur des responsabilités et obligations corrélatives, ne sont pas des droits ou libertés fondamentaux. Ce sont des créations de la loi qui mettent en jeu un équilibre entre des intérêts opposés dans un domaine qui, les tribunaux l'ont reconnu, exige une compétence spéciale. Il est étonnant que, dans un domaine où cette Cour a affirmé un principe de retenue judiciaire pour ce qui est de contrôler des mesures administratives, nous devions examiner la possibilité de substituer notre opinion à celle du législateur en constitutionnalisant, en termes généraux et abstraits, des droits que le législateur a jugé nécessaire de définir et d'édulcorer de diverses façons selon le domaine particulier des relations de travail en cause. La nécessité qui résulte d'appliquer l'article premier de la Charte à l'examen d'une mesure législative particulière dans ce domaine démontre, à mon avis, jusqu'à quel point la Cour devient appelée à assumer une fonction de contrôle de politiques législatives qu'elle n'est vraiment pas faite pour assumer.

Version française des motifs rendus par

145. Le juge McIntyre—J'ai lu les motifs de jugement rédigés en l'espèce par le Juge en chef. Il a exposé de manière appropriée les faits en cause, les questions constitutionnelles que le lieutenant‑ gouverneur en conseil de la province de l'Alberta a soumises à la Cour d'appel de l'Alberta et les dispositions législatives et constitutionnelles pertinentes quant aux points soulevés. Il a en outre résumé les opinions exprimées en Cour d'appel de l'Alberta (1984), 16 D.L.R. (4th) 359, [1985] 2 W.W.R. 289, 35 Alta. L.R. (2d) 124, 57 A.R. 268, 85 CLLC ¶ 14,027. Il ne me sera donc pas nécessaire de traiter plus longuement de ces sujets.

146. La question qui se pose en l'espèce, énoncée en ses termes les plus simples, est de savoir si la Charte canadienne des droits et libertés confère une garantie constitutionnelle au droit d'un syndicat de faire la grève, à titre d'accessoire de la négociation collective. Il ne s'agit pas de savoir si la grève constitue une activité importante ou si elle doit être protégée par la loi. L'importance des grèves dans notre régime actuel de relations de travail ne fait aucun doute et le législateur, tant fédéral que provincial, a adopté des lois qui reconnaissent un droit général de faire la grève. La question à résoudre en l'espèce est de savoir si ce droit est garanti par la Charte. Si l'on retrouve ce droit dans la Charte, une question subsidiaire se pose: la législation en cause est‑elle néanmoins "justifiée d'une manière qui puisse se démontrer" en vertu de l'article premier de la Charte? Comme j'arrive à la conclusion que la Charte ne garantit pas le droit de grève, je n'ai pas à répondre à cette question subsidiaire.

147. Les appelants ne soutiennent pas que le droit de grève est mentionné expressément dans la Charte. Le seul fondement de leur argumentation est que ce droit découle nécessairement de l'exercice par un syndicat de la liberté d'association garantie par l'al. 2d) de la Charte. La solution du présent litige dépend donc du sens qu'il faut donner à l'expression liberté d'association contenue dans la Charte.

La liberté d'association et l'al. 2d) de la Charte

148. La liberté d'association constitue l'un des droits les plus fondamentaux qui existe dans une société libre. La liberté de se joindre à d'autres personnes, de vivre et de travailler avec elles, confère un sens et une valeur à l'existence de l'individu et rend possible l'existence d'une société organisée. La valeur de la liberté d'association, en tant que force unificatrice et libératrice, ressort du fait que, historiquement, le conquérant qui veut dominer des peuples étrangers s'attaque d'abord immanquablement à la liberté d'association afin d'éliminer toute forme d'opposition efficace. Les assemblées sont interdites, des couvre‑feux sont imposés, le commerce est supprimé et des contrôles rigides sont institués pour isoler et ainsi débiliter l'individu. Inversement, en rétablissant la souveraineté nationale, l'état démocratique entreprend aussitôt de supprimer les restrictions apportées à la liberté d'association.

149. Il est manifeste que le droit canadien avait reconnu l'importance de la liberté d'association avant l'adoption de la Charte. Il est tout aussi manifeste qu'antérieurement à la Charte, le législateur provincial ou fédéral, dans son domaine de compétence exclusive, pouvait réglementer et contrôler l'exercice du droit de grève et le processus de négociation collective. La Charte a réaffirmé l'importance historique de la liberté d'association et l'a garantie en tant que droit indépendant. Il appartient maintenant aux tribunaux de délimiter la portée et l'étendue de ce droit, ainsi que ses rapports avec d'autres droits, tant ceux qui trouvent une assise dans la Charte que ceux qui sont reconnus par la loi sans être protégés par la Charte.

150. Ce faisant, il faut reconnaître que la Charte doit recevoir une interprétation large et libérale qui soit conforme à son objet général (voir l'arrêt Hunter c. Southam Inc. [1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 155). Dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, cette Cour a traité de façon assez détaillée des considérations qui doivent régir un examen du sens des droits et des libertés garantis par la Charte. À la p. 344, le juge Dickson (maintenant Juge en chef), s'exprimant au nom de la Cour à la majorité, affirme:

Cette Cour a déjà, dans une certaine mesure, énoncé la façon fondamentale d'aborder l'interprétation de la Charte. Dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, la Cour a exprimé l'avis que la façon d'aborder la définition des droits et des libertés garantis par la Charte consiste à examiner l'objet visé. Le sens d'un droit ou d'une liberté garantis par la Charte doit être vérifié au moyen d'une analyse de l'objet d'une telle garantie; en d'autres termes, ils doivent s'interpréter en fonction des intérêts qu'ils visent à protéger.

À mon avis, il faut faire cette analyse et l'objet du droit ou de la liberté en question doit être déterminé en fonction de la nature et des objectifs plus larges de la Charte elle‑même, des termes choisis pour énoncer ce droit ou cette liberté, des origines historiques des concepts enchâssés et, s'il y a lieu, en fonction du sens et de l'objet des autres libertés et droits particuliers qui s'y rattachent selon le texte de la Charte. Comme on le souligne dans l'arrêt Southam, l'interprétation doit être libérale plutôt que formaliste et viser à réaliser l'objet de la garantie et à assurer que les citoyens bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte. En même temps, il importe de ne pas aller au delà de l'objet véritable du droit ou de la liberté en question et de se rappeler que la Charte n'a pas été adoptée en l'absence de tout contexte et que, par conséquent, comme l'illustre l'arrêt de cette Cour Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, elle doit être située dans ses contextes linguistique, philosophique et historique appropriés. [C'est moi qui souligne.]

151. Il s'ensuit que, bien qu'il faille adopter une attitude libérale et pas trop formaliste en matière d'interprétation constitutionnelle, la Charte ne saurait être considérée comme un simple contenant, à même de recevoir n'importe quelle interprétation qu'on pourrait vouloir lui donner. L'interprétation de la Charte, comme celle de tout document constitutionnel, est circonscrite par la formulation, la structure et l'historique du texte constitutionnel, par la tradition constitutionnelle et par l'histoire, les traditions et les philosophies inhérentes de notre société.

La valeur de la liberté d'association

152. Le point de départ du processus d'interprétation consiste à analyser l'objet ou la valeur du droit en cause. Bien que, à l'instar de la plupart des autres droits fondamentaux, la liberté d'association n'ait pas un objet ou une valeur unique, elle repose essentiellement sur une proposition assez simple: pour l'individu, la réalisation de certains objectifs par l'exercice de ses droits individuels est généralement impossible sans l'aide et la coopération d'autrui. [TRADUCTION] "L'homme, comme l'a fait observer Aristote, est un "animal social façonné par la nature pour vivre en groupe", qui s'associe à ses semblables à la fois pour satisfaire son besoin de relations sociales et pour réaliser des fins communes." (L. J. MacFarlane, The Theory and Practice of Human Rights (1985), à la p. 82.) Cette pensée fait écho aux propos bien connus d'Alexis de Tocqueville:

Après la liberté d'agir seul, la plus naturelle à l'homme est celle de combiner ses efforts avec les efforts de ses semblables et d'agir en commun. Le droit d'association me paraît donc presque aussi inaliénable de sa nature que la liberté individuelle. Le législateur ne saurait vouloir le détruire sans attaquer la société elle‑même.

(De la Démocratie en Amérique (1951), tome 1, à la p. 305.)

153. La complexité croissante de la société moderne, qui réduit la capacité de l'individu d'agir seul, a largement accru l'importance de la liberté d'association. Pour reprendre les termes du professeur T. I. Emerson dans "Freedom of Association and Freedom of Expression" (1964), 74 Yale L.J. 1, à la p. 1:

[TRADUCTION] La liberté d'association a toujours constitué une caractéristique vitale de la société américaine. De nos jours, elle a pris une importance plus grande encore. De plus en plus l'individu, afin de se réaliser lui‑même ou de résister aux forces institutionnalisées qui l'entourent, s'est senti obligé de s'unir avec ceux qui partagent ses idées dans la poursuite d'objectifs communs.

C. Wilfred Jenks, ancien directeur général de l'O.I.T., fait valoir un argument semblable (Human Rights and International Labour Standards (1960), à la p. 49):

[TRADUCTION] À une époque d'interdépendance et d'organisations à grande échelle, où l'individu compte pour si peu, à moins qu'il ne coopère avec ses semblables, la liberté d'association est devenue la pierre angulaire des libertés civiles et des droits tant sociaux qu'économiques. Ce fut longtemps le rempart de la liberté religieuse et politique; elle est devenue de plus en plus une condition nécessaire de la liberté économique et sociale du citoyen ordinaire.

154. Notre société reconnaît l'existence d'une multitude de groupes organisés, de clubs et d'associations qui poursuivent des objectifs fort variés d'ordre religieux, politique, éducatif, scientifique, récréatif et charitable. Cet exercice de la liberté d'association ne fait pas que servir les intérêts ou la cause de l'individu, il favorise la réalisation d'objectifs sociaux généraux. Le rôle que la liberté d'association joue dans le fonctionnement de la démocratie revêt une importance particulière. Paul Cavalluzzo affirme, dans un article intitulé "Freedom of Association and the Right to Bargain Collectively" que l'on trouve dans Litigating the Values of a Nation: The Canadian Charter of Rights and Freedoms (1986), aux pp. 199 et 200:

[TRADUCTION] En second lieu, [la liberté d'association] constitue un frein efficace contre l'action et la puissance de l'état. À plusieurs égards, la liberté d'association est la liberté fondamentale la plus importante du fait qu'elle constitue le droit de la personne qui distingue nettement l'état démocratique de l'état totalitaire. Dans un régime totalitaire, l'état ne peut tolérer l'activité collective à cause du contrôle puissant qu'elle peut exercer sur la puissance de l'état.

Les associations servent à éduquer leurs membres sur le fonctionnement des institutions démocratiques. Comme le souligne de Tocqueville, précité, tome II, à la p. 158:

...[des individus] ne sauraient faire longtemps partie de ces associations‑là sans découvrir comment on maintient l'ordre parmi un grand nombre d'hommes, et par quel procédé on parvient à les faire marcher, d'accord et méthodiquement, vers le même but. Ils y apprennent à soumettre leur volonté à celle de tous les autres, et à subordonner leurs efforts particuliers à l'action commune, toutes choses qu'il n'est pas moins nécessaire de savoir dans les associations civiles que dans les associations politiques.

Les associations politiques peuvent donc être considérées comme de grandes écoles gratuites, où tous les citoyens viennent apprendre la théorie générale des associations.

Les associations permettent aussi d'exprimer efficacement des opinions politiques et influencent ainsi l'élaboration des politiques gouvernementales et sociales. Comme le professeur G. Abernathy le fait observer dans son ouvrage intitulé The Right of Assembly and Association (1961), à la p. 242:

[TRADUCTION] ... il est probable que le service le plus manifeste que rend cette institution qu'est l'association, c'est l'influence qu'elle a sur les politiques gouvernementales. L'action concertée ou la pression exercée sur les organismes gouvernementaux a bien plus de chances d'être couronnée de succès que la pression sporadique d'un grand nombre d'individus agissant séparément.

La liberté d'association sert donc les intérêts de l'individu, renforce l'ordre social général et assure le bon fonctionnement du gouvernement démocratique.

155. En considérant la situation constitutionnelle de la liberté d'association, il faut reconnaître que, bien qu'elle assure la promotion de nombreux intérêts collectifs et, naturellement, qu'elle ne puisse être exercée seule, il s'agit néanmoins d'une liberté qui appartient à l'individu et non aux groupes formés grâce à son exercice. Bien que certaines dispositions de la Constitution s'intéressent à des groupes, tels l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui assure la protection des écoles confessionnelles, et l'art. 25 de la Charte, qui traite des droits existants des autochtones, les droits et libertés qui restent sont des droits individuels; ils ne concernent pas le groupe par rapport à ses membres. Le groupe ou l'organisation n'est qu'un moyen adopté par des individus pour mieux réaliser leurs droits et aspirations individuels. Les gens ne peuvent pas, simplement en se joignant à d'autres, créer une entité qui a des droits et des libertés constitutionnels plus grands que ceux que possèdent les individus. La liberté d'association ne saurait donc conférer des droits indépendants au groupe.

156. Plusieurs des auteurs qui ont écrit sur ce sujet ont reconnu et énoncé ce principe. Clyde W. Summers affirme, dans "Freedom of Association and Compulsory Unionism in Sweden and the United States" (1964), 112 U. Pa. L. Rev. 647, à la p. 647:

[TRADUCTION] Bien que l'organisation l'affirme habituellement, la liberté d'association n'est pas simplement un droit collectif conféré à l'organisation pour son profit. La liberté d'association est un droit individuel conféré à l'individu pour lui permettre d'élargir sa liberté personnelle. Elle a non seulement pour fonction de donner du pouvoir à des groupes, mais aussi d'accroître la participation de l'individu au processus démocratique par son action à travers ces groupes. [C'est moi qui souligne.]

Le professeur Emerson, précité, à la p. 4, déclare:

[TRADUCTION] ... une théorie de l'association doit commencer par l'individu. Dans une société régie par des principes démocratiques, c'est l'individu qui constitue l'intérêt ultime de l'ordre social. Ses intérêts et ses droits sont prépondérants. L'association est un prolongement de la liberté individuelle. C'est une façon de rendre plus efficaces les besoins, les aspirations et les libertés de l'individu, et de leur donner plus de profondeur et de portée.

Et Reena Raggi, dans son article intitulé "An Independent Right to Freedom of Association" (1977), 12 Harv. C.R.‑C.L.L. Rev. 1, expose la situation clairement, aux pp. 15 et 16:

[TRADUCTION] La notion portant qu'une association n'est rien de plus que la somme des individus qui la composent semble essentielle dans une société où c'est "l'individu qui constitue le souci ultime de l'ordre social". Dans une telle société, il ne semblerait guère possible qu'une entité abstraite, telle une association, puisse jouir de droits différents de ceux de ses membres pris individuellement, voire même de droits plus grands que ceux‑ci; prétendre le contraire entrerait en contradiction avec le principe de l'égalité des chances qui est au coeur de cet argument justifiant la liberté d'association.

157. La reconnaissance de ce principe en l'espèce est d'une grande importance. La liberté d'association est le seul motif invoqué à l'appui de la prétention que la Charte consacre le droit de grève. La négociation collective constitue une affaire de groupe, une activité de groupe, mais le groupe ne peut exercer, au nom de ses membres, que les droits constitutionnels dont ils jouissent individuellement. Si le droit revendiqué n'est pas prévu par la Charte au profit de l'individu, il ne saurait exister implicitement pour le groupe du simple fait de l'association. Il s'ensuit aussi que les droits dont jouissent individuellement les membres du groupe ne sauraient être élargis du simple fait de l'association.

La portée de la liberté d'association prévue à l'al. 2d)

158. Diverses théories ont été avancées pour définir la liberté d'association que garantit la Constitution. Elles vont de la plus restrictive à la quasi illimitée. Pour commencer, on a dit que la liberté d'association se limite au droit de s'associer à d'autres pour réaliser des desseins communs ou pour atteindre certains objectifs. Ni les objets ni les actes du groupe ne sont protégés par la liberté d'association. C'est là la conception adoptée dans l'arrêt Collymore v. Attorney‑General, [1970] A.C. 538. Le Juge en chef a exposé les faits de l'espèce et il n'est pas nécessaire de les répéter ici. Dans ses motifs, le Comité judiciaire a approuvé la définition que donne de la liberté d'association le juge en chef de la Cour d'appel de Trinité et Tobago, sir Hugh Wooding, à la p. 547:

[TRADUCTION] ... la liberté d'association ne signifie rien de plus que la liberté de conclure des ententes pour promouvoir les objectifs communs du groupe qui s'associe. Ces objectifs peuvent être de tout ordre. Ils peuvent être religieux ou sociaux, politiques ou philosophiques, économiques ou professionnels, éducatifs ou culturels, sportifs ou charitables. Mais la liberté d'association ne confère ni le droit ni l'autorisation d'avoir un comportement ou d'accomplir des actes qui de l'avis du Parlement sont défavorables à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement du pays.

159. Ce point de vue a été suivi dans l'arrêt Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale & Department Store Union, Local 580 (1984), 10 D.L.R. (4th) 198 (confirmé par cette Cour pour des motifs différents, [1986] 2 R.C.S. 573), où le juge Esson, s'exprimant à ce sujet au nom de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, affirme à la p. 209:

[TRADUCTION] Cette liberté doit viser à protéger le droit de "chacun" de s'associer comme il lui plaît et de former des associations de tous genres, des partis politiques aux clubs de passe‑temps. Certains auront des objets, et favoriseront certains moyens d'atteindre ces objets, que les rédacteurs de la Charte ne peuvent avoir eu l'intention de protéger. Mais la liberté de s'associer n'implique aucune protection constitutionnelle des objectifs de l'association ou des moyens de les atteindre.

160. Le même point de vue a été adopté dans l'affaire Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine (l'arrêt AFPC rendu en même temps que le présent arrêt, [1987] 1 R.C.S. 424) tant en première instance, [1984] 2 C.F. 562, qu'en appel, [1984] 2 C.F. 889. Le point de vue de l'arrêt Collymore a aussi été suivi dans d'autres décisions dont Re Prime and Manitoba Labour Board (1983), 3 D.L.R. (4th) 74 (B.R. Man.), infirmé pour d'autres motifs (1984), 8 D.L.R. (4th) 641 (C.A. Man.), et Halifax Police Officers and NCO's Association v. City of Halifax (1984), 11 C.R.R. 358 (C.S.D.P.I.N.‑é.)

161. Selon une seconde conception, la liberté d'association garantit l'exercice collectif de droits constitutionnels ou, en d'autres termes, la liberté d'exercer collectivement des activités que la Constitution garantit à chaque individu. Cette théorie a été adoptée aux états‑Unis pour décrire la portée de la liberté d'association sous le régime de la Constitution américaine. Le professeur L. H. Tribe, dans son traité American Constitutional Law (1978), décrit ainsi la position américaine, à la p. 702:

[TRADUCTION] ... [la liberté d'association] est le droit de s'unir à d'autres pour poursuivre des objectifs indépendamment protégés par le Premier amendement—tels la revendication politique, le recours à la justice (considéré comme une forme de revendication) ou le culte.

En outre, dans l'arrêt Roberts v. United States Jaycees, 468 U.S. 609 (1984), le juge Brennan, s'exprimant au nom de la Cour suprême des états‑Unis à la majorité, affirme à la p. 618:

[TRADUCTION] ... la Cour reconnaît depuis longtemps le droit de s'associer dans le but d'exercer les activités que protège le Premier amendement—la liberté de parole, la liberté d'assemblée, le droit d'adresser des pétitions pour obtenir une réparation de ses torts, et la liberté de culte. La Constitution garantit ce genre de liberté d'association comme moyen indispensable de préserver les autres libertés individuelles.

162. On voit que cette conception garantit non seulement le droit de s'associer, mais aussi le droit de chercher à atteindre les objectifs de l'association qui, de par leur nature, jouissent d'une protection constitutionnelle.

163. Une troisième conception postule que la liberté d'association repose sur le principe que l'individu a le droit d'accomplir de concert avec d'autres ce qu'il peut licitement accomplir seul et, à l'inverse, que les individus et les organisations n'ont pas le droit d'accomplir de concert ce qui est illicite d'accomplir seul. Cette conception reçoit l'appui du professeur Emerson, précité, lorsqu'il affirme, à la p. 4:

[TRADUCTION] ... au départ, une association devrait pouvoir faire tout ce que l'individu peut faire; à l'inverse, le comportement interdit à l'individu par l'état peut également être interdit à une association.

Un point de vue similaire a été adopté par l'auteur américain Reena Raggi, précité, aux pp. 15 et 16, et par le juge en chef Bayda de la Saskatchewan, dans l'arrêt Re Retail, Wholesale & Department Store Union, Locals 544, 496, 635 and 955 and Government of Saskatchewan (1985), 19 D.L.R. (4th) 609 (l'affaire des Travailleurs de l'industrie laitière), à la p. 619:

[TRADUCTION] Lorsqu'un acte peut être accompli par une personne seule ou encore collectivement, ce n'est que s'il est interdit à une personne d'accomplir l'acte seule qu'il est interdit à la personne de s'associer pour l'accomplir.

164. Une quatrième conception accorderait une protection constitutionnelle aux activités collectives qu'on pourrait qualifier de fondamentales dans notre culture et selon nos traditions et qui, d'un commun accord, méritent protection. Le juge Kerans propose cette solution dans l'arrêt Black v. Law Society of Alberta, [1986] 3 W.W.R. 590 (C.A. Alb.) La cour a jugé dans cette affaire que les restrictions législatives imposées à la liberté d'avocats albertains et d'avocats non résidants de s'associer pour la pratique du droit, violait la liberté d'association. S'exprimant en son propre nom, le juge Kerans dit, à la p. 612:

[TRADUCTION] À mon avis, cette liberté [d'association] inclut la liberté de s'associer avec d'autres pour exercer les droits que garantit la Charte et aussi ces autres droits qui, au Canada, sont jugés à ce point fondamentaux qu'ils ne nécessitent pas d'expression formelle: le droit de se marier par exemple, ou celui de fonder un foyer, de s'instruire ou de gagner sa vie. [C'est moi qui souligne.]

165. Une cinquième conception a pour assise la proposition voulant que la liberté d'association, au sens de l'al. 2d) de la Charte, accorde une protection constitutionnelle à toutes les activités essentielles à la réalisation des objectifs licites de l'association. Il s'agit là du point de vue avancé par la Cour divisionnaire de l'Ontario dans la décision Re Service Employees' International Union, Local 204 and Broadway Manor Nursing Home (1983), 44 O.R. (2d) 392. La cour a jugé que la liberté d'association inclut la liberté de négocier collectivement et de faire la grève puisque, à son avis, ce sont là des activités essentielles aux objectifs d'un syndicat et que, sans elles, l'association serait émasculée. Le juge Galligan dit, à la p. 409:

[TRADUCTION] Mais je pense que si la liberté d'association doit avoir un sens, elle doit inclure la liberté d'avoir un comportement raisonnablement compatible avec les objets licites d'une association et, je pense, un objet licite c'est tout objet que la loi n'interdit pas.

Et le juge Smith, à la p. 463:

[TRADUCTION] Il s'ensuit, et cela va de soi je suppose, que la liberté de s'associer comprend la liberté de se réunir pour poursuivre les objectifs légitimes et exercer les activités essentielles aux buts de l'association, soit, dans ce cas‑ci, le bien‑être, économique ou autre, de ses adhérents.

166. La sixième et dernière conception jusqu'à maintenant dégagée par la jurisprudence, et de loin la plus large, étendrait la protection de l'al. 2d) de la Charte à tous les actes accomplis collectivement, sous réserve seulement d'une restriction en vertu de l'article premier de la Charte. C'est là la position avancée par le juge en chef Bayda dans l'affaire des Travailleurs de l'industrie laitière, précitée. Voici ce qu'il affirme dans ses motifs de jugement, aux pp. 620 et 621:

[TRADUCTION] En résumé, les individus qui revendiquent la liberté d'association, aux termes de l'al. 2d), sont libres (sous réserve de l'article premier de la Charte) d'accomplir collectivement, sans intervention gouvernementale, les actes qu'ils sont libres d'accomplir seuls. Lorsque, par définition, un acte n'est pas susceptible d'accomplissement par un seul individu, les individus ont la liberté de s'associer pour l'accomplir, pourvu que l'acte n'ait pas pour but de causer un préjudice. Tel est donc, le "secteur non réglementé" (pour employer l'expression du professeur Lederman) pour ce qui est de la liberté d'association. Tel est le "champ d'activités dans lequel la loi (garantit) qu'elle me laissera en paix", pour reprendre les termes de l'auteur de Salmond on Jurisprudence, en y intercalant un terme extrait de l'article premier de la Charte. [C'est moi qui souligne.]

167. En présentant ces six formulations de la notion de liberté d'association, je ne veux pas laisser entendre que ce sont là les seules qui puissent être dégagées. Toutefois, elles représentent de façon générale les notions et les arguments qui ont été soumis à la Cour. En étudiant ces formulations, je les considérerai sous l'angle de la Charte, du droit canadien préexistant et des circonstances dans lesquelles la liberté d'association est revendiquée.

168. Pour ce qui est du droit canadien préexistant, il suffit de dire que la liberté d'association ne constitue pas un nouveau droit ou une nouvelle liberté. Elle existait au Canada bien avant l'adoption de la Charte et était reconnue comme un droit fondamental. Elle consistait en la liberté pour deux ou plusieurs personnes de s'associer, pourvu qu'elles n'enfreignent aucune règle spécifique de common law ou de droit écrit en poursuivant un objet illicite ou en cherchant à atteindre un objet licite par des moyens illicites (voir Halsbury's Laws of England (3rd ed. 1954), vol. 7, aux pp. 195 et 196, et O. Hood Phillips et Paul Jackson, Constitutional and Administrative Law (6th ed. 1978), à la p. 503). On observera aussi que la liberté d'association était reconnue et appliquée dans le domaine syndical. Le droit canadien et celui de chaque province reconnaissent depuis longtemps le droit à l'existence et l'existence même des syndicats en tant qu'associations licites ayant des droits et des obligations fixés par la loi, et que les individus ont le droit d'y adhérer et de participer aux activités syndicales (voir Collective Bargaining Law in Canada (2nd ed. 1986), A. W. R. Carrothers, E. E. Palmer et W. B. Rayner, aux pp. 1 à 108).

169. La liberté d'association a été reconnue et acceptée comme faisant partie intégrante de notre tissu social et juridique. Dès son adoption, la Charte a garanti, à l'al. 2d), la liberté d'association en tant que droit indépendant. Je ne cherche pas à restreindre l'effet de cette garantie au droit en vigueur avant cette adoption. Je prétends toutefois que la garantie accordée par la Charte, qui en soi ne définit nullement la liberté d'association, doit être interprétée en fonction du texte constitutionnel ainsi que de la nature, de l'histoire, des traditions et des philosophies sociales de notre société. Ce point de vue fait qu'il devient pertinent d'examiner la situation antérieure à la Charte, ainsi que la nature et la portée des droits et obligations que la loi attribuait aux associations, en l'espèce aux syndicats, avant l'adoption de la Charte.

170. Pour en venir aux diverses conceptions brièvement décrites précédemment, je conclus que la cinquième (qui postule que la liberté d'association accorde une protection constitutionnelle à toutes les activités essentielles à la réalisation des objectifs licites d'une association) et la sixième (qui postule que la liberté d'association accorde une protection constitutionnelle à toutes les activités exercées collectivement, sous réserve uniquement d'une limite raisonnable en vertu de l'article premier de la Charte) constituent toutes les deux des définitions inacceptables de la liberté d'association.

171. La cinquième conception rejette la nature individuelle de la liberté d'association. L'accepter reviendrait à attribuer un statut constitutionnel indépendant aux fins, objectifs et activités de l'association et, par conséquent, conférer des droits constitutionnels plus grands aux membres de l'association qu'à ceux qui n'en sont pas membres. Ce serait étendre la protection de la Charte à toutes les activités d'une association essentielles à la réalisation de ses objectifs ou buts licites, mais cela ne conférerait pas un droit équivalent aux individus. La Charte ne confère pas, ni n'a été conçue pour conférer, une protection constitutionnelle à tous les actes de l'individu qui lui sont essentiels pour atteindre ses buts ou objectifs personnels. Si la protection de la Charte est conférée pour les actes et objectifs licites d'une association, alors les droits de l'association protégés par la Charte excéderont ceux de l'individu du simple fait de l'association. Peter Gall a clairement démontré le caractère inacceptable d'une telle conception, dans son article intitulé "Freedom of Association and Trade Unions: A Double‑Edged Constitutional Sword" que l'on trouve dans Litigating the Values of a Nation: The Canadian Charter of Rights and Freedoms (1986), à la p. 247:

[TRADUCTION] Un bref exemple illustre ce point. L'un de nos ordres de gouvernement peut décider d'interdire la possession d'armes à feu. Cela ne porterait atteinte à aucun droit individuel conféré par la Charte. Mais si certains individus se sont unis pour former un club de tir, la liberté d'association garantie par la Charte signifie‑t‑elle que l'activité principale du club de tir, savoir la propriété et l'utilisation d'armes à feu, est maintenant protégée par la Constitution? On est rapidement forcé de conclure que non. La Charte ne garantit aucun droit de port d'arme ni à l'individu ni à une association. Le simple fait que ce soit là l'activité principale du club de tir ne lui confère pas un statut constitutionnel. Je doute qu'il puisse y avoir un grand désaccord, si désaccord il peut y avoir, sur ce point. Ainsi, en nous référant à cette situation hypothétique, nous constatons que les principales activités des associations ne sont pas nécessairement protégées en vertu du concept de la liberté d'association.

172. La sixième conception, à mon avis, doit tout autant être rejetée pour les raisons déjà données dans le cas de la cinquième. Elle conférerait, en termes encore plus généraux, un statut constitutionnel à certaines activités, simplement parce qu'elles sont exercées collectivement. Pour des raisons évidentes, la Charte ne confère pas de protection constitutionnelle à toutes les activités exercées par des individus. Par exemple, aucune protection n'est conférée par la Charte au droit de propriété, aux activités commerciales en général ni à une foule d'autres activités licites. Et pourtant, si l'on devait adopter la sixième conception, ces mêmes activités bénéficieraient d'une protection quand elles seraient exercées par un groupe plutôt que par un individu. À mon avis, cela ne saurait être accepté. Il n'y a tout simplement rien qui justifie d'accorder la protection de la Charte à une activité simplement parce qu'elle est exercée par plus d'une personne. C'est ce qu'a reconnu Paul Cavalluzzo, précité, aux pp. 202 et 203:

[TRADUCTION] Le problème que présente cette thèse [la sixième], c'est qu'elle consacre un comportement parce qu'il est le fait de plus d'un citoyen. Bien que l'état se voie accorder la possibilité de justifier son intervention en vertu de l'article premier, pourquoi le nombre devrait‑il acquérir une importance sur le plan constitutionnel? Sûrement, il faut davantage pour atteindre le seuil de la protection constitutionnelle. La liberté d'association n'est pas une liberté fondamentale en raison d'une quelconque valeur inhérente de l'activité collective. Ce ne sont pas toutes les formes d'expression individuelle qui sont protégées au départ par la liberté d'expression. De même la liberté d'association ne protège pas tous les comportements collectifs.

173. Je suis aussi d'avis que la quatrième conception, qui postule que la liberté d'association vise les activités qui ont atteint un statut fondamental dans notre société en raison de leur enracinement profond dans notre culture, dans nos traditions et dans notre histoire, constitue une définition inacceptable. En se concentrant sur l'activité ou la conduite elle‑même, cette quatrième conception ne tient pas compte de l'objet fondamental de ce droit. La liberté d'association a pour objet d'assurer que diverses fins puissent être poursuivies en commun aussi bien qu'individuellement. La liberté d'association n'a rien à voir avec les activités ou fins elles‑mêmes; elle concerne la manière dont ces activités ou ces fins peuvent être poursuivies. Si certaines activités, comme fonder un foyer, s'instruire ou gagner sa vie, sont importantes, voire même fondamentales, leur importance ne découle pas toutefois de leur nature collective potentielle. Leur importance résulte de la structure et de l'organisation de notre société et elles sont aussi importantes lorsqu'elles sont exercées individuellement que lorsqu'elles le sont collectivement. Même certaines institutions comme le mariage et la famille, qui de par leur nature sont collectives, ne tombent pas facilement ou entièrement sous la rubrique liberté d'association. Par exemple, la liberté d'association ne saurait avoir de portée sur les conséquences juridiques du mariage, comme le contrôle ou la propriété des biens matrimoniaux. Cela ne veut pas dire que des institutions fondamentales, comme le mariage, ne bénéficieront jamais de la protection de la Charte. L'institution du mariage, par exemple, pourrait fort bien être protégée par la combinaison de la liberté d'association et d'autres droits et libertés. La liberté d'association seule, toutefois, n'a rien à voir avec le comportement; son objet est de garantir que certaines activités et certains buts puissent être poursuivis collectivement. Lorsqu'on envisage cet objet, il devient clair que l'al. 2d) de la Charte ne saurait être interprété de manière à protéger certains actes ou buts spécifiques, qu'ils soient ou non fondamentaux dans notre société.

174. Quant aux conceptions qui restent, on doit certainement accepter que la notion de la liberté d'association inclut à tout le moins le droit de se joindre à d'autres pour poursuivre des objectifs communs licites et pour constituer et maintenir des organisations et des associations comme le mentionne la première conception. Il s'agit là essentiellement de la liberté d'association dont on jouissait avant l'adoption de la Charte. À mon avis, il est également clair que, conformément à la seconde conception, la liberté d'association doit garantir l'exercice collectif de droits constitutionnels. Les droits individuels garantis par la Constitution ne sauraient perdre cette protection lorsqu'ils sont exercés collectivement. On doit pouvoir être libre d'exercer collectivement les activités dont la Constitution garantit l'exercice à chaque individu. Cette seconde définition de la liberté d'association s'étend aux fins et aux valeurs des libertés identifiées plus haut. Par exemple, le rôle indispensable que joue la liberté d'association en démocratie se trouve parfaitement protégé lorsqu'on garantit l'exercice collectif de la liberté d'expression. La revendication collective, qui est au coeur de tous les partis politiques et de tous les groupes d'intérêts particuliers, serait protégée en vertu de cette définition. De même, l'expression collective qui vise à éduquer ou à informer le public serait protégée contre toute intervention gouvernementale (voir l'arrêt de cette Cour Dolphin Delivery, précité). En fait, presque toutes les activités collectives qui ont de l'importance pour le fonctionnement de la démocratie seraient protégées en garantissant que la liberté d'expression peut être exercée collectivement. En outre, les groupes religieux seraient protégés si leurs activités constituaient un exercice collectif de la liberté de religion. Ainsi les principaux objets ou valeurs de la liberté d'association seraient réalisés en interprétant l'al. 2d) comme protégeant l'exercice collectif des droits qu'énumère la Charte.

175. On s'engage sur un terrain plus glissant lorsqu'on en vient à la troisième conception qui prévoit que toute action qu'un individu peut licitement accomplir à titre d'individu, la liberté d'association lui permet de l'accomplir avec d'autres. À l'inverse, les individus et les organisations ne jouissent d'aucun droit constitutionnel de faire collectivement ce qui est illicite de faire seul. Cette conception est plus large que la seconde, puisque la protection constitutionnelle s'attache à tous les actes collectifs qu'un individu peut licitement accomplir, que l'individu jouisse ou non d'un droit constitutionnel de les accomplir. Il est vrai bien sûr que, selon cette conception, le champ des activités protégées par la Charte pourrait être réduit par voie de législation, puisque le législateur a le pouvoir de déclarer ce qui est et ce qui n'est pas une activité licite pour l'individu. Toutefois, le législateur ne pourrait s'attaquer directement à l'aspect collectif de l'activité, puisqu'il serait constitutionnellement obligé de traiter également groupes et individus. Un exemple simple illustre ce point: le golf est une activité licite qui ne fait l'objet d'aucune garantie constitutionnelle. Selon la troisième conception, le législateur pourrait interdire totalement de jouer au golf. Cependant, le législateur ne pourrait pas, de manière constitutionnelle, prévoir que le golf ne pourra être joué par groupes de plus de deux joueurs, car cela enfreindrait la liberté d'association garantie par la Charte. Voilà qui contraste avec la seconde thèse, qui n'offrirait aucune protection contre une loi de ce genre puisque le golf n'est pas une activité de l'individu protégée par la Constitution. Ainsi le champ des activités collectives que protège la troisième conception est plus étendu que celui de la seconde, mais cela est, dans une certaine mesure, illusoire puisque le législateur a le pouvoir de déterminer ce qui constitue et ce qui ne constitue pas une activité licite pour l'individu. Ce point de vue, à mon avis, constitue une interprétation acceptable de la liberté d'association prévue par la Charte. Il est clair que, contrairement aux cinquième et sixième conceptions, cette définition de la liberté d'association ne confère pas de droits constitutionnels plus grands aux groupes qu'aux individus; elle ne fait qu'assurer qu'ils sont traités également. Si l'état choisit d'interdire à tous d'exercer une activité quelconque et que cette activité n'est pas protégée par la Constitution, la liberté d'association n'accordera aucune protection aux groupes qui exercent cette activité. La liberté d'association en tant que droit indépendant entre en jeu, en vertu de cette formulation, lorsque l'état a autorisé un individu à exercer cette activité tout en interdisant au groupe de le faire. De plus, contrairement à la quatrième conception, on s'intéresse ici d'abord et avant tout à l'objet fondamental de la liberté d'association, qui est de permettre la poursuite collective d'objectifs communs. Comme le souligne le Juge en chef, à la p. 367: "si un organe législatif autorise un individu à exercer une activité qu'il interdit à la collectivité, on peut à bon droit en déduire que l'organe législatif a voulu interdire l'activité collective en raison de son aspect collectif. À l'inverse, on peut déduire d'une interdiction législative qui s'applique également aux individus et aux groupes que l'objet de la loi constitue une interdiction de bonne foi d'une activité particulière en raison de ses aspects nuisibles intrinsèques (par exemple, le comportement criminel), et non simplement parce qu'il peut arriver que l'activité soit exercée collectivement." Enfin, cette conception donne tout son sens à la valeur ou à l'objet de l'association. Les activités que l'état permet à un individu d'exercer peuvent être exercées collectivement. Les associations qui poursuivent des objectifs scientifiques, éducatifs, récréatifs et charitables bénéficieraient d'une protection, même s'il se peut que ces activités ne reçoivent de la Charte aucune garantie indépendante, pourvu que la loi n'interdise pas aux individus de les exercer. Ainsi serait atteint l'objectif de garantir aux individus la liberté de s'unir, dans des organisations de leur choix, pour la poursuite des objectifs de leur choix.

176. Il découle de cette analyse que j'interprète la liberté d'association de l'al. 2d) de la Charte comme une protection que cette dernière accorde à l'exercice collectif des droits qu'elle protège lorsqu'ils sont exercés par un seul individu. De plus, la liberté d'association s'entend de la liberté de s'associer afin d'exercer des activités qui sont licites lorsqu'elles sont exercées par un seul individu. Mais comme le fait d'être associés ne confère en soi aucun droit supplémentaire aux individus, l'association n'acquiert aucune liberté, garantie par la Constitution, de faire ce qui est illicite pour l'individu de faire.

177. Lorsqu'on applique cette définition de la liberté d'association, il devient manifeste qu'elle ne garantit pas le droit de faire la grève. Comme le droit de grève ne jouit d'aucune garantie indépendante en vertu de la Charte, la liberté d'association ne le protège que s'il s'agit d'une activité que la loi permet à l'individu d'exercer. Les appelants acceptent cette conclusion, mais ils soutiennent que la liberté d'association doit garantir le droit de grève puisque l'individu peut licitement refuser de travailler. Ce point de vue est toutefois insoutenable pour deux raisons. D'abord, il n'est pas exact d'affirmer qu'il est licite pour un employé de cesser de travailler pendant la durée de son contrat de travail. En l'espèce, le juge Belzil de la Cour d'appel de l'Alberta a traité ce point dans les termes suivants:

[TRADUCTION] L'argument repose de façon précaire sur la prémisse qu'un arrêt de travail de la part d'un individu est licite. Le raisonnement avancé à l'appui de cette prémisse est que les tribunaux n'obligeront pas l'employé à exécuter son contrat de travail et que, par conséquent, l'arrêt de travail d'un employé est licite. S'il est vrai que les tribunaux n'obligeront pas l'employé à exécuter son contrat de travail, ce contrat lie néanmoins l'employé aux yeux du droit et celui‑ci peut être condamné à verser des dommages‑intérêts pour l'avoir illicitement rompu. On ne peut pas dire que son arrêt de travail est licite.

La seconde raison est simplement qu'il n'y a aucune analogie entre un arrêt de travail par un seul employé et une grève faite conformément à la législation moderne en matière de travail. L'individu a, par son arrêt de travail, rompu son contrat de travail ou y a mis fin. Il est vrai que la loi ne forcera pas l'exécution en nature du contrat en lui ordonnant de retourner au travail, car cela abaisserait [TRADUCTION] "l'employé à un état équivalent à l'esclavage" (I. Christie, Employment Law in Canada (1980), à la p. 268). Mais, il y a là une différence marquée par rapport à une grève licite. L'employé qui cesse de travailler n'envisage pas un retour au travail, alors que les grévistes envisagent toujours un retour au travail. Reconnaissant ce fait, la loi ne considère pas la grève comme une rupture de contrat ni comme une cessation d'emploi. Chaque province et le Parlement fédéral ont adopté une mesure législative qui préserve le rapport employeur‑employé au cours d'une grève (voir Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L‑1 et ses modifications, par. 107(2); Labour Relations Act, R.S.A. 1980 (Supp.), chap. L‑1.1 et ses modifications, par. 1(2); Labour Code, R.S.B.C. 1979, chap. 212 et ses modifications, par. 1(2); The Labour Relations Act, S.M. 1972, chap. 75 et ses modifications, par. 2(1); Loi sur les relations industrielles, L.R.N.‑B. 1973, chap. I‑4 et ses modifications, par. 1(2); The Labour Relations Act, 1977, S.N. 1977, chap. 64 et ses modifications, par. 2(2); The Trade Union Act, S.N.S. 1972, chap. 19 et ses modifications, art. 13; Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1980, chap. 228 et ses modifications, par. 1(2); Labour Act, R.S.P.E.I. 1974, chap. L‑1 et ses modifications, par. 8(2); Code du travail, L.R.Q. 1977, chap. C‑27 et ses modifications, art. 110; et The Trade Union Act, R.S.S. 1978, chap. T‑17 et ses modifications, al. 2f); voir aussi Canadian Pacific Railway Co. v. Zambri, [1962] R.C.S. 609). En outre, de nombreuses lois accordent aux employés le droit à la réintégration à la suite d'une grève (Ontario, Loi sur les relations de travail, art. 73; Québec, Code du travail, art. 110.1; Manitoba, The Labour Relations Act, art. 11; voir aussi Canadian Air Line Pilots' Ass'n and Eastern Provincial Airways Ltd. (1983), 5 CLRBR (NS) 368) et, dans la province de Québec, il est expressément interdit à l'employeur de remplacer ses employés licitement en grève (art. 109.1).

178. La législation moderne en matière de relations de travail a modifié d'une manière à ce point radicale les relations juridiques entre employés et employeurs dans les industries syndiquées qu'aucune analogie n'est possible entre les actes licites d'un employé, pris individuellement, qui cesse de travailler et les actes licites de syndiqués qui font la grève. Comme le juge en chef Laskin l'affirme dans l'arrêt McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718, à la p. 725:

Dans tout le Canada, et ce depuis plusieurs années, les relations individuelles entre employeur et employé n'ont d'importance qu'à l'étape de l'embauchage et même là, elles sont subordonnées aux clauses de sécurité syndicale des conventions collectives. Le droit commun applicable aux contrats individuels de travail ne vaut plus quand les relations employeur‑employé sont régies par une convention collective qui traite, comme celle présentement en cause, de licenciement, de cessation d'emploi, d'indemnité de cessation d'emploi et d'une foule d'autres choses qui ont été négociées entre le syndicat et la compagnie en tant que parties principales à la convention.

Il est à mon sens évident que l'interprétation de la liberté d'association comme signifiant que tout individu est libre de faire avec d'autres ce qu'il est licitement en droit de faire seul ne comporte pas la garantie du droit de faire la grève. Le Juge en chef me renforce dans cette conclusion quand il affirme, à la p. 367 de ses motifs: "Il n'y a pas d'équivalent individuel à une grève. Le refus de travailler par un individu ne correspond nullement à un refus collectif de travailler. Ce dernier est différent au point de vue qualitatif plutôt que quantitatif." Les restrictions apportées aux grèves ne visent pas et n'affectent pas la nature collective ou associative des syndicats. Je conclus donc que la notion de liberté d'association ne comprend aucune garantie constitutionnelle du droit de grève. Cette conclusion est parfaitement compatible avec l'esprit général de la Charte qui confère des droits et des libertés aux individus mais qui, sous réserve de quelques exceptions déjà mentionnées, ne confère pas de droits collectifs. On constatera aussi que la Charte, sauf peut‑être l'al. 6(2)b) (le droit de gagner sa vie dans toute province) et le par. 6(4), ne s'intéresse pas aux droits économiques. étant donné que les syndicats ne constituent pas l'un des groupes mentionnés expressément dans la Charte et qu'ils se préoccupent d'abord et avant tout, quoique non exclusivement, des intérêts économiques de leurs membres, ce serait aller à l'encontre de la structure et de l'esprit d'ensemble de la Charte que d'attribuer implicitement des droits constitutionnels spéciaux aux syndicats.

179. Les relations de travail et cette branche du droit qui s'est développée sur ce sujet constituent, depuis plusieurs années, la préoccupation majeure du législateur, des économistes, des sociologues et du public en général. Les grèves sont fréquentes au Canada, et ce, depuis plusieurs années. Il faut présumer que les rédacteurs de la Constitution étaient au fait de cet état de choses. D'ailleurs, les questions de la négociation collective et du droit de grève ont été débattues dans les Procès‑verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada (fascicule no 43, aux pp. 68 à 79, le 22 janvier 1981). Il ressort des délibérations du Comité que le droit de grève était considéré comme séparé et distinct du droit de négocier collectivement. Et, bien que l'on ait proposé par voie de résolution l'inclusion d'un droit spécifique de négocier collectivement, aucune résolution n'a été soumise en vue d'inclure le droit de grève. Ce sont là de bonnes raisons de penser qu'on n'a pas voulu inclure le droit de grève.

180. Une mention expresse du droit de grève est faite dans les constitutions française (dans le préambule de la Constitution de 1958 de la Ve République) et italienne (Article 40). De plus, au Japon (Article 28), les droits des syndicats sont expressément garantis. Il faut présumer que les rédacteurs de la Constitution connaissaient l'existence de ces dispositions constitutionnelles. L'absence de dispositions analogues dans la Charte, en plus du fait que la Charte se préoccupe d'abord et avant tout des droits individuels, politiques et démocratiques et qu'elle se désintéresse manifestement des droits économiques et des droits de propriété, joue fortement contre tout droit de grève implicite. Par conséquent, si l'al. 2d) est interprété en fonction de l'ensemble de la Charte, il ne saurait, à mon avis, justifier une interprétation de la liberté d'association qui pourrait inclure le droit de grève.

181. De plus, il faut reconnaître que le droit de grève conféré par la loi partout au Canada est une chose relativement récente. C'est vraiment le produit de ce siècle et, sous sa forme contemporaine, il est en réalité le produit de la seconde moitié de ce siècle. On ne peut dire qu'il soit devenu à ce point partie intégrante de nos traditions sociales et historiques au point d'acquérir le statut d'un droit immuable et fondamental, fermement enraciné dans nos traditions et dans notre philosophie politique et sociale. Il n'existe donc aucun motif, comme on le propose dans la quatrième conception de la liberté d'association, de présumer l'existence d'un droit de grève constitutionnel. On peut bien dire que les relations de travail ont acquis une importance fondamentale dans notre société, mais ce n'est pas le cas de chaque élément qui se rattache à ce sujet général. Le droit de grève, considéré comme un élément des relations de travail, a toujours fait l'objet d'un contrôle législatif. Il a parfois été abrogé, dans des circonstances spéciales, et il fait l'objet d'une réglementation et d'un contrôle juridiques dans tous les ressorts canadiens. À mon avis, on ne peut dire actuellement qu'il a atteint le statut d'un droit fondamental qui doit être considéré comme implicite en l'absence de mention expresse dans la Charte.

182. Bien que j'aie conclu et exprimé l'avis que la Charte, à première vue, ne saurait justifier l'existence d'un droit de grève implicite, il y a aussi, à mon avis, de bonnes raisons de politique sociale de ne pas déduire l'existence d'un tel droit. Le droit du travail, comme nous l'avons vu, constitue un sujet d'importance fondamentale, mais aussi extrêmement délicat. Il est fondé sur un compromis politique et économique entre d'une part, le syndicalisme, qui constitue une force socio‑économique fort puissante, et d'autre part, le patronat, qui constitue une force socio‑économique tout aussi puissante. L'équilibre entre ces deux forces est fragile et la sécurité et le bien‑être de la population en général dépendent du maintien de cet équilibre. L'un de ces groupes renonce à certains de ses intérêts en échange de concessions de la part de l'autre. Manifestement il n'existe pas de juste équilibre qui puisse satisfaire de façon permanente les deux groupes, tout en sauvegardant l'intérêt public. L'ensemble du processus est fondamentalement dynamique et instable. Il faut donc faire preuve de prudence lorsqu'on se demande si une protection constitutionnelle devrait être accordée à l'un des aspects de ce processus dynamique et changeant, tout en abandonnant les autres sujets aux pressions sociales du jour. De gigantesques changements d'ordre économique, social et industriel se préparent non seulement au Canada et en Amérique du Nord, mais aussi dans d'autres parties du monde. L'évolution de l'économie nationale canadienne, le déclin des industries fondées sur les ressources naturelles ainsi que de l'industrie lourde, les changements qui surviennent dans l'ordre commercial et industriel international, ont engendré une pression énorme pour que soient réévaluées les façons traditionnelles d'aborder les questions économiques et industrielles, y compris celles du droit et des politiques en matière de travail. Dans des pays comme la Suède (professeur Axel Adlercreutz, Sweden, dans International Encyclopaedia for Labour Law and Industrial Relations (1985), vol. 9, sous la direction du professeur R. Blanpain) et la République fédérale d'Allemagne (professeur Th. Ramm, Federal Republic of Germany dans International Encyclopaedia for Labour Law and Industrial Relations (1979), vol. 5), des orientations différentes ont été adoptées en matière de relations de travail. On a dit que ces changements ont entraîné une hausse du rendement et de la satisfaction au travail. Quel que soit le résultat de ces mesures, il est évident que le cours immédiat que suivront les politiques en matière de relations de travail n'est pas clair. Il est clair cependant que les politiques en matière de relations de travail ne peuvent être mises au point qu'étape par étape, les provinces jouant dans notre pays leur [TRADUCTION] "rôle fédéral classique de laboratoires d'expérimentation juridique de nos maux en matière de relations industrielles" (Paul Weiler, Reconcilable Differences: New Directions in Canadian Labour Law (1980), à la p. 11). C'est grâce à ce rôle qu'elles ont joué par le passé qu'a pu croître et se développer le droit du travail qui prévaut actuellement au Canada. Les conditions variables et constamment changeantes de la société moderne exigent que cela continue. Intervenir dans ce processus dynamique à ce premier stade de l'évolution de la Charte, en reconnaissant une protection constitutionnelle implicite du droit de grève reviendrait, selon moi, à conférer à l'une des forces en présence une arme économique qui échapperait, sous réserve de l'article premier, à tout contrôle législatif et pourrait aller jusqu'à geler les relations de travail et à restreindre le processus d'évolution nécessaire pour faire face aux circonstances changeantes de la société contemporaine. Je répète que cela ne revient pas à dire que le droit de grève n'existe pas en droit ni qu'il devrait être aboli. Cela signifie simplement qu'à ce stade de l'évolution de notre Charte un tel droit ne devrait pas recevoir un statut constitutionnel qui porterait atteinte à l'essor futur que lui réserve le législateur. À ce sujet, les propos que tient Peter Gall dans son article précité, à la p. 248, revêtent un intérêt particulier:

[TRADUCTION] La négociation collective joue un rôle extrêmement important dans notre société, et ce, depuis un certain temps maintenant. Mais en sera‑t‑il toujours ainsi? Pouvons‑nous avec certitude prédire que dans 50 ou même 20 ans la négociation collective sera toujours l'activité première des syndicats? Ou bien aurons‑nous adopté quelque autre technique pour fixer les conditions d'emploi, comme l'arbitrage intégral d'intérêts ou un recours plus important à des normes législatives. Si nous ne pouvons écarter cette hypothèse du revers de la main, et je ne pense pas que nous le puissions, nous devons alors nous demander sérieusement si la négociation collective constitue le genre d'activité qui mérite un statut constitutionnel. La Charte consacre les principes fondamentaux de la liberté individuelle. Les activités de l'homme peuvent changer avec le temps, mais ces principes demeurent constants. La négociation collective n'a pas cette même qualité d'être de tous les temps et, en conséquence, nous serions bien malin de lui accorder une protection constitutionnelle en vertu de la notion de la liberté d'association. Si les rédacteurs avaient voulu consacrer la négociation collective dans la Constitution, il leur aurait été facile de le faire expressément. Le fait que cela n'a pas été fait expressément montre bien que telle n'était pas leur intention.

183. Constitutionnaliser un aspect particulier des relations de travail par l'enchâssement du droit de grève aurait d'autres effets négatifs. Notre expérience en matière de relations de travail montre que les tribunaux, en règle générale, ne sont pas les meilleurs arbitres des différends qui peuvent surgir à l'occasion. La législation du travail a reconnu ce fait, en créant d'autres procédures et d'autres tribunaux en vue d'obtenir un règlement plus prompt et efficace des problèmes qui surviennent dans le domaine du travail. Souvent, les problèmes en matière de travail ne se résument pas à des questions juridiques. Des questions politiques, sociales et économiques dominent fréquemment les conflits de travail. La création par voie législative de conciliateurs, de conseils d'arbitrage, de commissions des relations du travail et de tribunaux du travail a permis, dans une large mesure, de répondre à des besoins auxquels ne pouvait satisfaire le système judiciaire. La nature des conflits de travail, des griefs et des autres problèmes qui surgissent dans ce domaine, commande le recours à des procédures spéciales, en dehors du système judiciaire ordinaire, pour les résoudre. Les juges n'ont pas les connaissances spécialisées toujours utiles et parfois nécessaires pour résoudre les problèmes en matière de travail. Les tribunaux en général ne disposent pas dans ces affaires, si l'expérience passée peut nous guider, d'un fondement probatoire qui puisse permettre de résoudre complètement le différend. À mon avis, il n'est guère contesté que les tribunaux spécialisés en matière de relations de travail sont mieux équipés que les tribunaux judiciaires pour résoudre les problèmes en matière de travail, sauf s'il s'agit de questions purement juridiques. Si le droit de grève est constitutionnalisé, alors son application, sa portée et toutes questions relatives à sa légalité deviennent des questions de droit. Cela aurait inévitablement pour effet de relancer les tribunaux judiciaires dans le domaine des relations de travail et de faire perdre aux tribunaux spécialisés en relations de travail une grande partie de leur utilité. Le professeur J. M. Weiler commente ce point dans un article intitulé "The Regulation of Strikes and Picketing Under the Charter", dans Litigating the Values of a Nation: The Canadian Charter of Rights and Freedoms (1986), aux pp. 226 et 227:

[TRADUCTION] Le principe de la représentation exclusive n'est qu'un parmi des centaines de choix critiques de politique générale qu'ont fait nos législateurs au cours de l'évolution du régime actuel de droit de la négociation collective au Canada. Il y a aussi les restrictions apportées à la liberté de parole de l'employeur et de l'employé, l'interdiction de faire la grève pendant la durée d'une convention collective, l'arbitrage obligatoire des griefs et le préavis de 72 heures qui doit être donné avant de déclencher une grève ou un lock‑out. Tous ces éléments du droit de la négociation collective pourraient être attaqués comme étant des restrictions injustifiées des droits de négocier collectivement. On trouve des exemples dans plusieurs autres ressorts au Canada et dans d'autres pays démocratiques industrialisés où ces aspects restrictifs du droit de la négociation collective n'existent pas. Comment un juge pourra‑t‑il décider s'ils sont conformes aux normes d'une société libre et démocratique?

Je n'insisterai pas sur ce point plus longtemps. Je crois que notre régime actuel de droit de la négociation collective, qui régit les relations entre les travailleurs et le patronat, constitue un domaine trop complexe et trop sophistiqué pour être soumis à l'appréciation d'un juge, dans le cadre d'un différend entre deux justiciables qui débattent des notions vagues comme ce qui est "raisonnable" et "justifié" dans une société libre et démocratique. Je n'ai aucune confiance en la capacité de notre système judiciaire contradictoire de réaliser un juste équilibre entre les intérêts politiques, démocratiques et économiques opposés qui constituent la substance de la législation du travail.

Ce qui m'inquiète, si la négociation collective devait être constitutionnalisée en vertu de l'al. 2d), c'est la possibilité que les juges soient inondés d'arguments de la part de justiciables insatisfaits du côté dont la balance du pouvoir des syndicats, du patronat ou des employés pris individuellement, penche dans la législation relative à la négociation collective. Ces justiciables contesteront un aspect particulier du droit de la négociation collective, en citant de vagues arguments relatifs à des droits démocratiques, associatifs, économiques ou politiques qui ne serviront qu'à jeter la confusion dans l'esprit du juge. Il pourra arriver que d'autres parties touchées par la décision se voient refuser le droit d'intervenir, ou même qu'elles ignorent totalement l'existence du litige. Il est peu probable que l'on disposera du fondement probatoire nécessaire pour juger de l'attitude à prendre. Lorsque nous considérons que le droit de la négociation collective a une nature polycentrique, il se pourrait que les ajustements apportés à l'équilibre fragile des relations industrielles dans une partie du système aient des effets imprévus et malheureux ailleurs.

Les leçons tirées de l'évolution de notre régime de droit du travail au cours des 50 dernières années indiquent clairement que le législateur est, de loin, mieux placé que les tribunaux judiciaires pour établir un juste équilibre entre les intérêts de l'employé pris individuellement, du syndicat, de l'employeur et du public. Pendant 20 ans, l'orientation de la réforme du droit du travail au Canada a consisté à limiter le contrôle judiciaire excessif des commissions spécialisées en matière de relations de travail, en raison des problèmes qui résultent d'une gestion judiciaire lointaine. En même temps, une compétence plus particulière était conférée aux commissions du travail pour régler les différends économiques entre les travailleurs et leurs employeurs. Pour les mêmes raisons que les tribunaux judiciaires ont été de plus en plus exclus de l'arbitrage des différends en matière de négociation collective, il ne faut pas qu'ils réintègrent le courant où est façonné le droit du travail, à titre d'interprètes de notions comme la "liberté d'association" prévue à l'al. 2d) de la Charte. Le prétoire n'est pas le lieu où doit être élaborée la politique à suivre en matière de négociation collective.

En bref, mes inquiétudes au sujet d'une interprétation de la liberté d'association, prévue à l'al. 2d), qui "constitutionnalise la négociation collective" va au‑delà des problèmes que cela causerait aux relations industrielles au Canada. Je crains que, si les tribunaux judiciaires interprètent la Charte comme incluant des droits qui n'y sont pas expressément prévus et, donc, qui sont d'autant plus difficiles à définir au niveau de leur valeur et de leur portée, ils soient surchargés de litiges mettant en cause l'article premier; et deux scénarios opposés, mais également malheureux, peuvent en résulter. Certains juges pourraient interpréter l'article premier agressivement au point d'enclencher un processus de reformulation de portions entières du droit canadien. Cela pourrait amener le législateur à répliquer en invoquant les dispositions dérogatoires de l'art. 33 de la Charte. Par contre, les tribunaux pourraient faire le contraire en accordant au législateur une latitude trop large en vertu de l'article premier. Dans les deux cas, le résultat pourrait être la banalisation des droits qu'on a voulu expressément protéger dans des dispositions comme l'al. 2d). Là où la Charte est ambiguë quant à la mesure dans laquelle un certain droit ou une certaine liberté sont protégés, la meilleure attitude pour nos tribunaux judiciaires consiste à faire preuve de prudence: premièrement, en interprétant l'art. 2 de façon à limiter l'application des droits qu'on dit protégés tacitement, pour ensuite procéder à une analyse encore plus minutieuse, au niveau de l'article premier, des droits expressément protégés à l'art. 2.

184. Un autre problème se posera si le droit de grève est constitutionnalisé. Chaque fois qu'une grève se produit et qu'on s'adresse aux tribunaux, la question de l'application de l'article premier de la Charte peut être soulevée pour savoir s'il peut être permis de tenter jusqu'à un certain point de contrôler l'exercice de ce droit. C'est ce qui s'est produit en l'espèce. Une analyse en vertu de l'article premier comporte le réexamen par une cour de l'équilibre établi par le législateur lors de l'élaboration de sa politique ouvrière. On demande à la Cour de déterminer, selon le droit constitutionnel, quels services gouvernementaux sont essentiels et si la solution de l'arbitrage compense adéquatement la perte du droit de grève. Dans l'affaire AFPC, la Cour doit décider si le simple report de la négociation collective constitue une limite raisonnable, compte tenu de l'intérêt substantiel du gouvernement à juguler l'inflation et la croissance de ses dépenses. Dans l'affaire des Travailleurs de l'industrie laitière, on demande à la Cour de déterminer si le préjudice causé aux producteurs laitiers par la fermeture des usines laitières est suffisamment important pour justifier l'interdiction des grèves et des lock‑out. Aucune de ces questions ne peut faire l'objet d'une solution fondée sur des principes. Il n'y a pas de réponse qui soit manifestement exacte à ces questions. Elles sont d'une nature particulièrement appropriées aux fonctions qu'exerce le législateur. Mais si le droit de grève se trouvait dans la Charte, il appartiendrait aux tribunaux de les résoudre à chaque fois, en ne se fondant que sur les preuves et les arguments offerts par les parties, en dépit des répercussions sociales de chaque décision. C'est là une fonction du législateur dans laquelle les tribunaux devraient éviter de s'ingérer. On a dit que les tribunaux, en raison de la Charte, devront s'engager dans le domaine législatif. Lorsque des droits sont expressément garantis par la Charte, il peut arriver que cela soit vrai. Mais lorsqu'aucun droit spécifique ne se trouve dans la Charte et que le seul fondement de sa garantie constitutionnelle est implicite, les tribunaux devraient s'abstenir d'intervenir dans le domaine législatif. C'est là le rôle des assemblées législatives et du Parlement librement élus.

185. Je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi et de répondre ainsi aux questions constitutionnelles:

1. Les dispositions de la Public Service Employee Relations Act qui prévoient l'arbitrage obligatoire pour résoudre les différends et interdisent le recours aux lock‑out et aux grèves, en particulier les art. 49, 50, 93 et 94, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

Réponse: Les dispositions de la Public Service Employee Relations Act qui interdisent le recours aux lock‑out et aux grèves ne sont pas incompatibles avec les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 puisque la Loi constitutionnelle de 1982 ne garantit pas le droit de grève.

2. Les dispositions de la Labour Relations Act qui prévoient l'arbitrage obligatoire pour résoudre les différends et interdisent le recours aux lock‑out et aux grèves, en particulier les art. 117.1, 117.2 et 117.3, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

Réponse: Les dispositions de la Labour Relations Act qui interdisent le recours aux lock‑out et aux grèves ne sont pas incompatibles avec les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 puisque la Loi constitutionnelle de 1982 ne garantit pas le droit de grève.

3. Les dispositions de la Police Officers Collective Bargaining Act qui prévoient l'arbitrage obligatoire pour résoudre les différends et interdisent le recours aux lock‑out et aux grèves, en particulier les art. 3, 9 et 10, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

Réponse: Les dispositions de la Police Officers Collective Bargaining Act qui interdisent le recours aux lock‑out et aux grèves ne sont pas incompatibles avec les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 puisque la Loi constitutionnelle de 1982 ne garantit pas le droit de grève.

4. Les dispositions de la Public Service Employee Relations Act qui se rapportent à l'arbitrage, en particulier les art. 48 et 55, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

Réponse: Les dispositions de la Public Service Employee Relations Act qui se rapportent à l'arbitrage ne sont pas incompatibles avec les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 puisque la Loi constitutionnelle de 1982 ne garantit aucune forme particulière de règlement des différends comme substitut au droit de grève.

5. Les dispositions de la Labour Relations Act qui se rapportent à l'arbitrage, en particulier l'art. 117.8, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

Réponse: Les dispositions de la Labour Relations Act qui se rapportent à l'arbitrage ne sont pas incompatibles avec les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 puisque la Loi constitutionnelle de 1982 ne garantit aucune forme particulière de règlement des différends comme substitut au droit de grève.

6. Les dispositions de la Police Officers Collective Bargaining Act qui se rapportent à l'arbitrage, en particulier le par. 2(2) et l'art. 15, sont‑elles incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans l'affirmative, sous quels aspects et dans quelle mesure?

Réponse: Les dispositions de la Police Officers Collective Bargaining Act qui se rapportent à l'arbitrage ne sont pas incompatibles avec les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 puisque la Loi constitutionnelle de 1982 ne garantit aucune forme particulière de règlement des différends comme substitut au droit de grève.

7. La Loi constitutionnelle de 1982 limite‑t‑elle le droit de Sa Majesté d'exclure des unités de négociation collective une seule ou plusieurs des catégories suivantes de ses employés:

a) un employé qui exerce des fonctions de gestion;

b) un employé qui est préposé à des fonctions confidentielles en matière de relations de travail;

c) un employé dont les fonctions sont essentielles au bon fonctionnement de la Législature, de l'Exécutif ou du Judiciaire;

d) un employé dont les droits en tant que membre d'une unité de négociation collective entreraient en conflit avec ses obligations d'employé?

Réponse: Je préfère m'abstenir de répondre à cette question pour les raisons que donne le Juge en chef.

Pourvoi rejeté, le juge en chef Dickson et le juge Wilson sont dissidents.

Procureur de l'appelant l'Alberta Union of Provincial Employees: Timothy J. Christian, Edmonton.

Procureurs de l'appelant le Syndicat canadien de la fonction publique: Sheila J. Greckol, Edmonton; June M. Ross, Edmonton.

Procureur de l'appelante l'Alberta International Fire Fighters Association: Barrie C. Chivers, Edmonton.

Procureur de l'appelante l'Alberta International Fire Fighters Association: Barrie C. Chivers, Edmonton.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Manitoba: Le ministère du Procureur général, Winnipeg.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: Roger Tassé, Ottawa.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Archie Campbell, Toronto.

Procureurs de l'intervenant le procureur général du Québec: Réal‑A. Forest et Gilles Grenier, Sainte‑Foy.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse: Le ministère du Procureur général, Halifax.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑ Britannique: Le ministère du Procureur général, Victoria.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Île‑du‑Prince‑Édouard: Ralph C. Thompson, Charlottetown.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan: Serge Kujawa, Regina.

Procureur de l'intervenant le procureur général de Terre‑Neuve: Le ministère de la Justice, St‑John's.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Liberté d'association - Portée de la protection dans le domaine des relations de travail - Législation provinciale interdisant les grèves et les lock‑out - Recours à l'arbitrage prescrit par la législation - La législation provinciale viole‑t‑elle l'al. 2d) de la Charte? - Dans l'affirmative, cette violation est‑elle justifiable en vertu de l'article premier de la Charte? - Public Service Employee Relations Act, R.S.A. 1980, chap. P‑33, art. 48, 49, 50, 55, 93, 94 - Labour Relations Act, R.S.A. 1980 (Supp.), chap. L‑1.1, art. 117.1, 117.2, 117.3, 117.8 - Police Officers Collective Bargaining Act, S.A. 1983, chap. P‑12.05, art. 2(2), 3, 9, 10, 15.

Le lieutenant‑gouverneur en conseil de l'Alberta, conformément au par. 27(1) de la Judicature Act de cette province, a soumis à la Cour d'appel de l'Alberta plusieurs questions constitutionnelles qui soulèvent deux points principaux: (1) Les dispositions de la Public Service Employee Relations Act, de la Labour Relations Act et de la Police Officers Collective Bargaining Act de l'Alberta, qui interdisent le recours aux grèves et imposent l'arbitrage obligatoire pour résoudre les impasses dans la négociation collective, sont‑elles incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés; et (2) les dispositions de ces lois se rapportant à l'arbitrage, qui limitent les points qui peuvent y être soumis et qui obligent le tribunal d'arbitrage à tenir compte de certains facteurs quand il rend sa sentence, sont‑elles incompatibles avec la Charte. La première de ces lois s'applique aux employés de la fonction publique, la seconde aux pompiers et aux employés d'hôpitaux et la troisième aux agents de police. La Cour d'appel de l'Alberta à la majorité a répondu à la première question par la négative et a refusé de répondre à la seconde. Le présent pourvoi a pour objet de décider si la législation albertaine viole la liberté d'association garantie à l'al. 2d) de la Charte et, dans l'affirmative, si cette violation peut être justifiée en vertu de l'article premier.

Arrêt (le juge en chef Dickson et le juge Wilson sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges Beetz, Le Dain et La Forest: Les dispositions contestées de la Public Service Employee Relations Act, de la Labour Relations Act et de la Police Officers Collective Bargaining Act ne sont pas incompatibles avec la Charte. La garantie constitutionnelle de la liberté d'association que l'on trouve à l'al. 2d) de la Charte ne comprend pas, dans le cas d'un syndicat, la garantie du droit de négocier collectivement et du droit de faire la grève. En examinant le sens qu'il faut donner à l'expression liberté d'association que l'on trouve à l'al. 2d) de la Charte, il est essentiel de garder à l'esprit que cette notion doit viser toute une gamme d'associations ou d'organisations de nature politique, religieuse, sociale ou économique, ayant des objectifs très variés, de même que les activités qui permettent de poursuivre ces objectifs. C'est dans cette perspective plus large et non simplement en fonction des prétendues exigences d'un syndicat, si importantes soient‑elles, que l'on doit examiner l'incidence de l'extension d'une garantie constitutionnelle, qui se présente sous la forme du concept de la liberté d'association, au droit d'exercer une certaine activité pour le motif qu'elle est essentielle si l'on veut qu'une association ait une existence significative.

En se demandant s'il est raisonnable de prêter une intention aussi générale à la Charte, on doit rejeter la prémisse selon laquelle, sans cette protection constitutionnelle supplémentaire, la liberté d'association garantie serait vide de sens. La liberté d'association est particulièrement importante pour l'exercice d'autres libertés fondamentales comme la liberté d'expression et la liberté de conscience et de religion. Celles‑ci présentent un large champ de protection d'activités collectives. De plus, la liberté de travailler à la constitution d'une association, d'appartenir à une association, de la maintenir et de participer à ses activités licites sans faire l'objet d'une peine ou de représailles ne doit pas être tenue pour acquise. Cela ressort de sa reconnaissance et de sa protection expresses dans la législation en matière de relations de travail. C'est une liberté qui a été plus ou moins supprimée à l'occasion par des régimes totalitaires.

Ce qui est en cause en l'espèce est non pas l'importance de la liberté d'association en ce sens, mais la question de savoir si une activité particulière qu'exerce une association en poursuivant ses objectifs, doit être protégée par la Constitution ou faire l'objet d'une réglementation par voie de politiques législatives. Les droits au sujet desquels on réclame la protection de la Constitution, savoir les droits contemporains de négocier collectivement et de faire la grève, qui comportent pour l'employeur des responsabilités et obligations corrélatives, ne sont pas des droits ou libertés fondamentaux. Ce sont des créations de la loi qui mettent en jeu un équilibre entre des intérêts opposés dans un domaine qui, les tribunaux l'ont reconnu, exige une compétence spéciale. Il est étonnant que, dans un domaine où cette Cour a affirmé un principe de retenue judiciaire pour ce qui est de contrôler des mesures administratives, celle‑ci doive examiner la possibilité de substituer son opinion à celle du législateur en constitutionnalisant, en termes généraux et abstraits, des droits que le législateur a jugé nécessaire de définir et d'édulcorer de diverses façons selon le domaine particulier des relations de travail en cause. La nécessité qui résulte d'appliquer l'article premier de la Charte à l'examen d'une mesure législative particulière dans ce domaine démontre jusqu'à quel point la Cour devient appelée à assumer une fonction de contrôle de politiques législatives qu'elle n'est vraiment pas faite pour assumer.

Le juge McIntyre: La liberté d'association à l'al. 2d) de la Charte ne confère pas une protection constitutionnelle au droit d'un syndicat de faire la grève à titre d'accessoire de la négociation collective. La liberté d'association au sens de la Charte signifie la liberté d'exercer collectivement des activités que la Constitution garantit à chaque individu. Elle s'entend aussi de la liberté de s'associer pour exercer les activités qui sont licites lorsqu'elles sont exercées par un seul individu. La liberté d'association ne saurait toutefois conférer des droits indépendants au groupe. Les gens ne peuvent pas, simplement en se joignant à d'autres, créer une entité qui a des droits et des libertés constitutionnels plus grands que ceux que possèdent les individus. Le groupe ne peut exercer, au nom de ses membres, que les droits constitutionnels dont ils jouissent individuellement. Il s'ensuit aussi que les droits dont jouissent individuellement les membres du groupe ne sauraient être élargis du simple fait de l'association. Donc, l'association n'acquiert aucune liberté garantie par la Constitution de faire ce qui est illicite pour l'individu de faire. Cette définition donne tout son sens à l'objet de l'association, qui est d'assurer que diverses fins puissent être poursuivies collectivement aussi bien qu'individuellement. Lorsqu'on applique cette définition de la liberté d'association, il devient manifeste qu'elle ne garantit pas le droit de faire la grève. Comme le droit de grève ne jouit d'aucune garantie indépendante en vertu de la Charte, la liberté d'association ne le protège que s'il s'agit d'une activité que la loi permet à l'individu d'exercer.

En outre, si l'al. 2d) est interprété en fonction de l'ensemble de la Charte, il ne saurait justifier une interprétation de la liberté d'association qui pourrait inclure le droit de grève. Même si les grèves sont fréquentes au Canada, et ce, depuis plusieurs années, les rédacteurs de la Constitution n'ont inclus aucune mention expresse du droit de grève dans la Charte. Cette omission, en plus du fait que la Charte se préoccupe d'abord et avant tout des droits individuels, politiques et démocratiques et qu'elle se désintéresse manifestement des droits économiques et des droits de propriété, joue fortement contre tout droit de grève implicite.

Enfin, il faut reconnaître que le droit de grève conféré par la loi partout au Canada est une chose relativement récente. On ne peut dire actuellement qu'il a atteint le statut d'un droit fondamental qui doit être considéré comme implicite en l'absence de mention expresse dans la Charte.

Par conséquent, les dispositions de la Public Service Employee Relations Act, de la Labour Relations Act et de la Police Officers Collective Bargaining Act qui interdisent le recours aux lock‑out et aux grèves ne sont pas incompatibles avec les dispositions de la Charte puisque la Charte ne garantit pas le droit de grève. Les dispositions de ces lois qui se rapportent à l'arbitrage ne sont pas incompatibles avec les dispositions de la Charte, puisque la Charte ne garantit aucune forme particulière de règlement des différends comme substitut au droit de grève.

Le juge en chef Dickson et le juge Wilson (dissidents): La garantie constitutionnelle de la liberté d'association, que l'on trouve à l'al. 2d) de la Charte, vise à reconnaître la nature sociale profonde des entreprises humaines et à protéger l'individu contre tout isolement imposé par l'état dans la poursuite de ses fins. L'alinéa 2d), à tout le moins, garantit aux personnes la liberté d'être associées ou d'appartenir à une organisation, néanmoins il doit, en plus de s'intéresser au statut d'associé, accorder une protection efficace aux intérêts que vise la garantie constitutionnelle et protéger l'exercice des activités mêmes pour lesquelles l'association a été formée. Ce que la liberté d'association vise à protéger, cependant, ce ne sont pas les activités de l'association en tant qu'activités particulières, mais la liberté des individus d'interagir avec d'autres êtres humains, de les aider et d'être aidés par eux dans les diverses activités qu'ils choisissent d'exercer. Mais ce n'est pas là une autorisation constitutionnelle illimitée pour toute action collective. Le simple fait qu'une activité puisse être exercée par plusieurs personnes ensemble, aussi bien qu'individuellement, ne signifie pas que l'activité se voit conférer une protection constitutionnelle contre toute interdiction ou réglementation législative. Le facteur primordial demeure la question de savoir si un texte législatif ou un acte administratif porte atteinte à la liberté des personnes de se joindre à d'autres et de poursuivre avec elles des objectifs communs. L'objectif d'une loi qui a pour effet de la rendre invalide est la tentative d'interdire un comportement collectif en raison de sa nature concertée ou collective.

Dans le domaine des relations de travail, la liberté d'association garantie à l'al. 2d) de la Charte comprend non seulement la liberté de former des associations et d'y adhérer, mais aussi celle de négocier collectivement et de faire la grève. L'association a toujours joué un rôle vital dans la protection des besoins et des intérêts essentiels des travailleurs. Au cours de l'histoire, les travailleurs se sont associés pour surmonter leur vulnérabilité individuelle face à l'employeur et la capacité de négocier collectivement a depuis longtemps été reconnue comme l'une des fonctions intégrantes et premières des associations de travailleurs. Elle demeure essentielle à la capacité de chaque salarié, à titre individuel, de participer au processus qui leur assurera des conditions de travail humaines et équitables. Dans notre régime actuel de relations de travail, la protection constitutionnelle efficace des intérêts des associations de travailleurs dans le processus de négociation collective requiert aussi la protection concomittante de leur liberté de cesser collectivement de fournir leurs services, sous réserve de l'article premier de la Charte. En fait, le droit des travailleurs de faire la grève constitue un élément essentiel du principe de la négociation collective. Cela ne revient pas à dire que l'al. 2d) de la Charte consacre pour toujours le régime existant des relations de travail. Le domaine des relations de travail est assujetti à une réglementation législative substantielle. Le fait est que cette réglementation ne peut pas définir la portée de la liberté sous‑jacente.

En l'espèce, les trois lois interdisent la grève, qu'elles définissent comme un arrêt de travail ou un refus de travailler par deux ou plusieurs personnes qui agissent de concert ou d'un commun accord. Il ne fait aucun doute que la législation albertaine vise à interdire une activité collective particulière, à cause de sa nature collective. La nature même d'une grève est d'influencer l'employeur par une action commune qui serait inefficace si elle était exercée par une seule personne. Il s'ensuit que l'art. 93 de la Public Service Employee Relations Act, le par. 117.1(2) de la Labour Relations Act et le par. 3(1) de la Police Officers Collective Bargaining Act, qui portent directement atteinte à la liberté des salariés de faire la grève, enfreignent la liberté d'association garantie à l'al. 2d) de la Charte.

Les restrictions à la liberté d'association imposées par ces dispositions ne peuvent être justifiées en vertu de l'article premier de la Charte. La protection du gouvernement contre les pressions politiques que ses employés peuvent exercer sur lui par leurs grèves ne constitue pas un objectif suffisamment important, pour les fins de l'article premier, pour limiter la liberté d'association par une interdiction législative de la liberté de faire la grève. Il n'a pas été démontré que tous les employés de la fonction publique jouissent d'un avantage important sur le plan de la négociation en raison du statut gouvernemental de leur employeur. Il n'a pas été non plus démontré que toute pression politique exercée sur le gouvernement au cours des grèves est d'une nature inhabituelle ou particulièrement préjudiciable.

La garantie des services essentiels est un objectif gouvernemental d'importance suffisante pour les fins de l'article premier, mais le gouvernement n'a pas démontré que cet objectif justifiait la limite apportée à la liberté d'association par l'abrogation du droit de grève. Le caractère essentiel des agents de police et des pompiers est manifeste et évident en soi, et n'a pas à être démontré au moyen d'une preuve. Ainsi, la décision du législateur d'empêcher l'interruption de la protection assurée par les policiers et les pompiers est rationnellement liée à son objectif de protéger les services essentiels. Mais l'interdiction du droit de grève faite à tous les employés d'hôpitaux et à tous les employés de la fonction publique est une mesure trop draconienne par rapport à l'objectif de protection des services essentiels. D'ailleurs, sans quelque fondement probatoire, il n'est ni manifeste ni évident en soi que tous ces employés fournissent des services "dont l'interruption pourrait mettre en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population". L'article 93 de la Public Service Employee Relations Act et le par. 117.1(2) de la Labour Relations Act, dans la mesure où il vise les employés d'hôpitaux en vertu de l'al. 117.1(1)b), sont trop larges pour être justifiés pour le motif qu'ils seraient liés aux services essentiels pour les fins de l'article premier.

En outre, pour être de nature à porter atteinte le moins possible à la liberté d'association de ceux touchés par l'interdiction législative de faire la grève, cette interdiction doit également s'accompagner d'un mécanisme de règlement des différends par un tiers, qui permette de sauvegarder adéquatement les intérêts des travailleurs. Dans le présent renvoi, le système d'arbitrage prescrit par les lois ne constitue pas un substitut adéquat au droit de grève des employés. Certes les dispositions qui obligent l'arbitre à tenir compte des politiques financières du gouvernement et des salaires et avantages offerts aux salariés syndiqués et non syndiqués des secteurs public et privé ne compromettent pas le caractère adéquat du système d'arbitrage, mais l'exclusion de certains sujets du processus d'arbitrage dans la Police Officers Collective Bargaining Act et la Public Service Employee Relations Act, compromet l'efficacité du processus comme moyen d'assurer un pouvoir égal de négociation en l'absence du droit de grève. L'équité et l'efficacité du régime d'arbitrage se trouvent sérieusement compromises lorsque des questions, qui normalement pourraient être négociées, sont exclues de l'arbitrage. Il peut être nécessaire, dans certaines circonstances, pour l'état‑patron, de conserver un contrôle absolu sur certains aspects des conditions de travail par l'exclusion de certaines questions de l'arbitrage, cependant la présomption doit jouer contre de telles exclusions si l'on veut que l'efficacité du régime d'arbitrage substitué à la liberté de grève ne soit pas compromise. En l'espèce, le gouvernement ne s'est pas acquitté de la charge qui lui incombait de faire la preuve de cette nécessité.

Enfin, aucun des régimes d'arbitrage établis dans les lois ne prévoit le droit de soumettre un différend à l'arbitrage. Au contraire, un ministre ou un organisme administratif se voit conférer le pouvoir discrétionnaire de constituer un tribunal d'arbitrage s'il le juge approprié. Un tel pouvoir discrétionnaire est une atteinte injustifiée à l'équité de la procédure d'arbitrage destinée à promouvoir l'égalité du pouvoir de négociation entre les parties.

En somme, les dispositions relatives aux régimes d'arbitrage ne restreignent pas en soi la liberté d'association. Ces dispositions toutefois, à l'exception de celles qui obligent l'arbitre à tenir compte de certains facteurs dans sa sentence arbitrale, ont pour effet de rendre le régime d'arbitrage inadéquat comme substitut à la liberté de grève et, par conséquent, contribuent à rendre l'art. 93 de la Public Service Employee Relations Act, le par. 117.1(2) de la Labour Relations Act et le par. 3(1) de la Police Officers Collective Bargaining Act injustifiés selon l'article premier.


Références :

Jurisprudence
Citée par le juge McIntyre
Arrêts mentionnés: Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
Collymore v. Attorney‑General, [1970] A.C. 538
Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale & Department Store Union, Local 580 (1984), 10 D.L.R. (4th) 198, confirmé pour d'autres motifs, [1986] 2 R.C.S. 573
Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine, [1984] 2 C.F. 562, confirmé [1984] 2 C.F. 889
Re Prime and Manitoba Labour Board (1983), 3 D.L.R. (4th) 74 (B.R. Man.), infirmé pour d'autres motifs (1984), 8 D.L.R. (4th) 641 (C.A. Man.)
Halifax Police Officers and NCO's Association v. City of Halifax (1984), 11 C.R.R. 358
Roberts v. United States Jaycees, 468 U.S. 609 (1984)
Re Retail, Wholesale & Department Store Union, Locals 544, 496, 635 and 955 and Government of Saskatchewan (1985), 19 D.L.R. (4th) 609
Black v. Law Society of Alberta, [1986] 3 W.W.R. 590
Re Service Employees' International Union, Local 204 and Broadway Manor Nursing Home (1983), 44 O.R. (2d) 392
Canadian Pacific Railway Co. v. Zambri, [1962] R.C.S. 609
Canadian Air Line Pilots' Ass'n and Eastern Provincial Airways Ltd. (1983), 5 CLRBR (NS) 368
McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718.
Citée par le juge en chef Dickson (dissident)
Re Service Employees' International Union, Local 204 and Broadway Manor Nursing Home (1983), 44 O.R. (2d) 392
Re Retail, Wholesale & Department Store Union, Locals 544, 496, 635 and 955 and Government of Saskatchewan (1985), 19 D.L.R. (4th) 609
Collymore v. Attorney‑General, [1970] A.C. 538, confirmant (1967), 12 W.I.R. 5
Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale & Department Store Union, Local 580 (1984), 10 D.L.R. (4th) 198
Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine, [1984] 2 C.F. 889, confirmé pour d'autres motifs, s (1986] 2 R.C.S. 573
Newfoundland Association of Public Employees v. The Queen in Right of Newfoundland (1985), 14 C.R.R. 193
Re Prime and Manitoba Labour Board (1983), 3 D.L.R. (4th) 74 (B.R. Man.), infirmé pour d'autres motifs (1984), 8 D.L.R. (4th) 641 (C.A. Man.)
Halifax Police Officers and NCO's Association v. City of Halifax (1984), 11 C.R.R. 358
Re Chung and Amalgamated Clothing and Textile Workers' Union (1986), 54 O.R. (2d) 650
Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145
N.L.R.B. v. Jones & Laughlin Steel Corp., 301 U.S. 1 (1937)
Black v. Law Society of Alberta, [1986] 3 W.W.R. 590
Healy v. James, 408 U.S. 169 (1972)
Baird v. State Bar of Arizona, 401 U.S. 1 (1971)
NAACP v. Button, 371 U.S. 415 (1963)
Louisiana ex rel. Gremillion v. NAACP, 366 U.S. 293 (1961)
NAACP v. Alabama ex rel. Patterson, 357 U.S. 449 (1958)
United Federation of Postal Clerks v. Blount, 325 F. Supp. 879 (1971), confirmé 404 U.S. 802 (1971)
Thomas v. Collins, 323 U.S. 516 (1945)
International Union, U.A.W.A. v. Wisconsin Employment Relations Board, 336 U.S. 245 (1949)
United Mine Workers v. Illinois State Bar Association, 389 U.S. 217 (1967)
Railroad Trainmen v. Virginia ex rel. Virginia State Bar, 377 U.S. 1 (1964)
School Committee of the Town of Westerly v. Westerly Teachers Ass'n, 299 A.2d 441 (1973)
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
Re Alberta Union of Provincial Employees and the Crown in Right of Alberta (1980), 120 D.L.R. (3d) 590
Robertson and Rosetanni v. The Queen, [1963] R.C.S. 651
Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721
Crofter Hand Woven Harris Tweed Co. v. Veitch, [1942] 1 All E.R. 142
Perrault v. Gauthier (1898), 28 R.C.S. 241
Canadian Pacific Railway Co. v. Zambri, [1962] R.C.S. 609
Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
McEvoy c. Procureur général du Nouveau‑Brunswick, [1983] 1 R.C.S. 704
Alberta Union of Provincial Employees v. The Crown in Right of Alberta, P.S.E.R.B. (Alb.), nos 140‑005‑502, 140‑013‑502, 140‑017‑502, 24 novembre 1982, inédit
Alberta Union of Provincial Employees v. The Crown in Right of Alberta, P.S.E.R.B. (Alb.), nos 140‑003‑502, 140‑015‑502, 140‑019‑502, 140‑021‑502, 140‑023‑502, 12 novembre 1982, inédit.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2a), b), c), d), 6(2)b), (4), 16 à 25, 27, 29, 33.
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L‑1 et modifications, art. 107(2).
Code du travail, L.R.Q. 1977, chap. C‑27 et modifications, art. 109.1, 110, 110.1.
Constitution de l'Italie, Art. 40.
Constitution de la France, préambule.
Constitution des états‑Unis, Premier amendement.
Constitution du Japon, Art. 28.
Convention (no 87) concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 67 R.T.N.U. 19 (1948), art. 1 à 11.
Déclaration universelle des droits de l'homme, A.G. Rés. 217 A (III), Doc. A/810 N.U., à la p. 71 (1948).
Judicature Act, R.S.A. 1980, chap. J‑1, art. 27(1).
Labour Act, R.S.P.E.I. 1974, chap. L‑1 et modifications, art. 8(2).
Labour Code, R.S.B.C. 1979, chap. 212 et modifications, art. 1(2). Labour Relations Act, R.S.A. 1980 (Supp.), chap. L‑1.1, art. 1(1)(u), (2), 117.1 [aj. 1983, c. 34, art. 2(28)], 117.2 [aj. idem], 117.3 [aj. idem], 117.8 [aj. idem], 155.
Labour Relations Act, S.M. 1972, chap. 75 et modifications, art. 2(1), 11.
Labour Relations Act, 1977, S.N. 1977, chap. 64 et modifications, art. 2(2).
Loi constitutionnelle de 1867, art. 93, 133.
Loi constitutionnelle de 1982.
Loi sur les relations industrielles, L.R.N.‑B. 1973, chap. I‑4 et modifications, art. 1(2).
Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1980, chap. 228 et modifications, art. 1(2), 73.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, A.G. Rés. 2200 A (XXI), 21 N.U. GAOR, Supp. (no 16) 52, Doc. A/6316 N.U. (1966), art. 22.
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux, et culturels, A.G. Rés. 2200 A (XXI), 21 N.U. GAOR, Supp. (no 16) 49, Doc. A/6316 N.U. (1966), art. 8.
Police Officers Collective Bargaining Act, S.A. 1983, chap. P‑12.05, art. 1(m), 2(1), (2), 3, 9, 10, 15, 46.
Public Service Employee Relations Act, R.S.A. 1980, chap. P‑33, art. 1(o), (q), 48, 49 [mod. 1983, chap. 96, art. 6], 50, 55 [abr. & rempl. 1983, chap. 34, art. 5(7)], 93 [mod. 1983, chap. 34, art. 5(10)], 94, 95.
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Trade Union Act, S.N.S. 1972, chap. 19 et modifications, art. 13.
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Proposition de citation de la décision: Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313 (9 avril 1987)


Origine de la décision
Date de la décision : 09/04/1987
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1987] 1 R.C.S. 313 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1987-04-09;.1987..1.r.c.s..313 ?
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