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14/05/1987 | CANADA | N°[1987]_1_R.C.S._500

Canada | Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500 (14 mai 1987)


Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500

Helen Susan Schmidt Appelante

c.

Sa Majesté La Reine du chef du Canada, les États‑Unis d'Amérique et le procureur général de l'Ontario Intimés

répertorié: canada c. schmidt

No du greffe: 18343.

1985: 18 décembre; 1987: 14 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1984), 44 O.R. (2d) 777, 7 D.L.R. (4th) 95, 10 C.C.C. (3d)

564, 2 O.A.C. 336, rejetant l'appel interjeté par l'appelante contre une ordonnance du juge Steele (1983), 41 O.R....

Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500

Helen Susan Schmidt Appelante

c.

Sa Majesté La Reine du chef du Canada, les États‑Unis d'Amérique et le procureur général de l'Ontario Intimés

répertorié: canada c. schmidt

No du greffe: 18343.

1985: 18 décembre; 1987: 14 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1984), 44 O.R. (2d) 777, 7 D.L.R. (4th) 95, 10 C.C.C. (3d) 564, 2 O.A.C. 336, rejetant l'appel interjeté par l'appelante contre une ordonnance du juge Steele (1983), 41 O.R. (2d) 399, 147 D.L.R. (3d) 616, 4 C.C.C. (3d) 409, 4 C.R.R. 323, qui avait rejeté sa demande d'habeas corpus. Pourvoi rejeté.

Jack L. Pinkofsky et Stephen Kwinter, pour l'appelante.

Douglas J. A. Rutherford, c.r., et Michael C. Blanchflower, pour les intimés.

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges Beetz, McIntyre, Le Dain et La Forest rendu par

1. Le juge La Forest—L'appelante, Helen Susan Schmidt, s'oppose à son extradition aux États‑Unis pour y répondre à une accusation d'avoir enfreint la loi de l'état d'Ohio en commettant un vol d'enfant parce qu'elle a déjà été acquittée relativement à une accusation d'enlèvement fondée sur le même acte et portée en vertu de la loi fédérale américaine. L'extradition, prétend‑elle, constitue une violation à la fois des droits que lui confèrent l'art. 7 et l'al. 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés et des dispositions du traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis: voir Recueil des traités du Canada 1976, no 3. Le juge d'extradition, le juge saisi de la demande d'habeas corpus et la Cour d'appel de l'Ontario ont tous écarté ce moyen de défense. L'appelante a reçu l'autorisation de se pourvoir devant cette Cour contre l'arrêt de la Cour d'appel.

Les faits

2. On reproche à Schmidt d'avoir, le 28 août 1980, avec l'aide de son fils Charles Gress et de Paul Hildebrand, un ami de celui‑ci, enlevé sur un trottoir de Cleveland une fillette de deux ans qui s'appelait Denise Gravely. Schmidt a amené l'enfant avec elle dans l'état de New York où elle l'a gardée pendant presque deux ans et l'a élevée comme sa propre fille. Dans l'intervalle, le père de l'enfant s'est suicidé parce que il n'aurait pu découvrir où se trouvait son enfant.

3. Le 22 mars 1982, Schmidt, accompagnée de Denise, a assisté à une réunion de famille à Buffalo (New York). Un autre de ses fils, Donald Gress, y était également présent. Or, par hasard, non seulement Donald Gress venait de Cleveland mais il connaissait les parents de l'enfant et avait aidé à la chercher après son rapt. À la suite de la réunion, il a informé la police de Cleveland de l'endroit où était Denise qui a été rendue à sa mère le 26 mars 1982.

4. Après son arrestation, Schmidt a été accusée de l'infraction fédérale d'enlèvement et de l'infraction de vol d'enfant prévue par la loi de l'État d'Ohio. Des grands jurys ont porté des accusations d'acte criminel dans les deux cas, soit le 29 mars 1982 dans le cas de l'accusation de l'état et le 31 mars 1982 dans le cas de l'accusation fédérale.

5. Bien que les deux accusations se ressemblent à certains égards, il y a des différences importantes entre les deux. L'infraction fédérale prévue par le United States Code, Titre 18, est ainsi conçue:

[TRADUCTION] § 1201. Enlèvement

a) Se rend passible d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement à perpétuité quiconque, sauf les parents dans le cas d'un mineur, saisit, séquestre, enjôle, leurre, kidnappe, enlève ou ravit une personne et la détient, que ce soit ou non en vue de rançon ou de récompense, dans une situation où:

(1) la personne en question est volontairement transportée dans le commerce entre états ou étranger;

(2) l'acte en question est commis à un endroit qui relève de la compétence spéciale maritime et territoriale des États‑Unis;

(3) l'acte en question est commis à un endroit qui relève de la compétence spéciale des États‑Unis relative aux aéronefs, selon la définition qu'en donne le paragraphe 101(36) de la Federal Aviation Act de 1958, et modifications (49 U.S.C. 1301(36)); ou

(4) la personne en question est un fonctionnaire étranger, une personne jouissant d'une protection en droit international ou un invité officiel, selon la définition donnée à ces termes par l'alinéa 1116b) du présent titre.

Dans le Revised Code of Ohio, l'infraction est ainsi formulée:

[TRADUCTION] § 2905.04—Vol d'enfant

(A) Nul ne doit, par quelque moyen que ce soit, avec l'intention d'en priver le père, la mère, le tuteur ou toute autre personne en ayant la garde légale, enlever de l'endroit où il se trouve un enfant âgé de moins de 14 ans ou atteint d'incapacité mentale.

(B) Si l'auteur de l'acte a eu des motifs raisonnables de croire que sa conduite était nécessaire pour la santé ou le bien‑être de l'enfant, cela constitue un moyen de défense opposable à une accusation fondée sur le présent article.

6. Le 26 juillet 1982, Schmidt a subi son procès relativement à l'accusation fédérale devant un juge et un jury. Elle a reconnu que le rapt avait eu lieu, mais a prétendu y avoir participé parce qu'elle croyait que Denise était la fille illégitime de son fils Donald Gress et que, abandonnée par celui‑ci, la fillette vivait avec sa mère naturelle [TRADUCTION] "dans une maison mal famée". Le 30 juillet 1982, le jury a déclaré Schmidt non coupable et elle a été acquittée.

7. Le 6 août 1982, alors que l'accusation de vol d'enfant portée en vertu de la loi de l'état d'Ohio était toujours en attente, Schmidt, qui est citoyenne canadienne, a quitté les États‑Unis et est venue au Canada. Elle a été arrêtée à Kirkland Lake (Ontario) le 30 août 1982 et des procédures d'extradition ont été engagées contre elle en vertu du traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis.

8. Je dois ajouter que l'avocat de Schmidt fait valoir que, si cette dernière est renvoyée en Ohio, elle n'aura pas l'avantage de pouvoir opposer aux poursuites entamées en vertu de la loi de l'état, les poursuites fédérales antérieures dont elle a fait l'objet. Bien que le Cinquième amendement de la Constitution des États‑Unis protège un accusé contre le double péril dans le cas de poursuites fédérales, cette disposition ne s'applique pas aux états, quoique, à un moment donné, la cruauté du harcèlement que constituent les poursuites multiples intentées par un état enfreindrait la clause du Quatorzième amendement relative au caractère équitable des procédures: voir Bartkus v. Illinois, 359 U.S. 121 (1959). Il est toutefois évident que le Quatorzième amendement n'offre pas une protection automatique contre des poursuites en vertu d'une loi d'un état, même si l'accusé a déjà été jugé et acquitté relativement à une infraction prévue par une loi fédérale. Ainsi, dans l'affaire Bartkus v. Illinois, précitée, l'accusé avait été jugé et acquitté relativement à l'infraction fédérale d'avoir volé une banque assurée sous le régime d'une loi fédérale. Il a par la suite subi son procès devant un tribunal de l'état d'Illinois pour avoir enfreint une loi de cet état portant sur le vol qualifié et, sur la foi d'essentiellement des mêmes éléments de preuve, a été reconnu coupable. Dans une action contestant la constitutionnalité du second procès, la Cour suprême des États‑Unis a conclu que les poursuites intentées par l'état d'Illinois ne violaient pas la clause relative au caractère équitable des procédures.

Les tribunaux d'instance inférieure

9. À l'audience d'extradition, le juge Collins de la Cour de district, ayant conclu qu'on avait satisfait aux exigences de la Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, chap. E‑21, a examiné si ce serait une violation de l'al. 11h) de la Charte que de rendre une ordonnance prévoyant la détention de Schmidt en attendant que le gouvernement statue sur la demande d'extradition. Le juge Collins a conclu cependant que la Charte ne s'appliquait qu'à l'intérieur du Canada. Il a fait remarquer en outre qu'on avait déjà établi dans l'arrêt Re Federal Republic of Germany and Rauca (1983), 4 C.C.C. (3d) 385 (C.A. Ont.), que le processus d'extradition lui‑même constituait une restriction raisonnable aux droits et libertés garantis par la Charte. Finalement, il a refusé d'examiner le plaidoyer de common law d'autrefois acquit ou le principe américain du double péril parce que, selon lui, ces moyens de défense ne relevaient pas de sa compétence en tant que juge d'extradition. Par conséquent, il a ordonné que Schmidt soit détenue en vue de son extradition aux États‑Unis.

10. Dans une demande de bref d'habeas corpus assorti d'un certiorari, présentée au juge Steele (1983), 41 O.R. (2d) 399, 147 D.L.R. (3d) 616, 4 C.C.C. (3d) 409, 4 C.R.R. 323, Schmidt a soutenu principalement qu'elle n'aurait pas dû être incarcérée parce que cela violait le principe d'autrefois acquit, consacré dans la Charte et dans la common law.

11. Le juge Steele a conclu que ni la common law ni la Loi sur l'extradition n'autorisaient Schmidt à plaider la défense d'autrefois acquit. L'article 3 de la Loi, a‑t‑il souligné, incorpore le traité d'extradition, dont l'article 2 dispose que l'extradition doit être ordonnée à l'égard de certaines infractions nommées qui sont des infractions aussi bien dans l'État requérant que dans l'État requis. Le juge Steele a fait remarquer qu'aucun moyen de défense n'est prévu. À son avis, la possibilité qui peut exister au Canada d'opposer un moyen de défense à une accusation donnée ne justifie aucunement que l'extradition soit refusée. De fait, puisque le sous‑alinéa 4(1)(i) du traité dit que l'extradition ne doit pas être ordonnée lorsqu'un fugitif a déjà été jugé dans l'État requis, le recours aux défenses d'autrefois acquit ou convict est implicitement écarté si le fugitif a été jugé dans l'État requérant. En tout état de cause, les accusations portées en vertu de la loi fédérale et de la loi de l'état en l'espèce étaient différentes l'une de l'autre et, en conséquence, ces moyens de défense ne s'appliquaient pas.

12. En ce qui concerne la Charte, étant donné que l'arrêt Rauca, précité, avait déjà établi que l'extradition constituait une atteinte raisonnable au droit de rester au Canada, tout argument selon lequel certains aspects précis de l'extradition sont contraires de la Charte est, de l'avis du juge Steele, dès lors insoutenable. [TRADUCTION] "Si la Loi sur l'extradition constitue une restriction légitime des droits qu'a une personne de rester au Canada, alors je ne vois pas en quoi les dispositions de la Charte peuvent l'emporter sur les droits précis, quels qu'ils soient, conférés par la Loi sur l'extradition."

13. En dernier lieu, le juge Steele a conclu que, parce qu'un juge d'extradition détient les mêmes pouvoirs qu'un magistrat qui préside une enquête préliminaire, le plaidoyer d'autrefois acquit comme moyen de défense au fond ne pourrait être soulevé qu'au procès et, par conséquent, ne pourrait être invoqué à bon droit devant un juge d'extradition, pas plus qu'il ne le pourrait devant un magistrat au cours d'une enquête préliminaire.

14. En Cour d'appel de l'Ontario (1984), 44 O.R. (2d) 777, 7 D.L.R. (4th) 95, 10 C.C.C. (3d) 564, 2 O.A.C. 336, le juge Lacourcière a dit qu'on ne pouvait avoir recours au plaidoyer d'autrefois acquit prévu par l'art. 535 du Code criminel à une audience d'extradition. Suivant l'art. 13 de la Loi sur l'extradition, le juge d'extradition jouit des mêmes pouvoirs qu'un juge de paix à l'enquête préliminaire. Or, les pouvoirs dont la partie XV du Code investit un juge de paix découlent de la loi et ne comprennent pas celui d'admettre des moyens de défense spéciaux. Le moyen de défense spécial d'autrefois acquit ne peut être soulevé que si l'on est traduit devant les tribunaux pour un acte criminel relevant de la partie XVII du Code et non à une enquête préliminaire ni à une audience d'extradition. On ne peut pas non plus, a‑t‑il décidé, recourir à un plaidoyer de common law tel que l'autorité de la chose jugée ou l'irrecevabilité. Ces plaidoyers sont des moyens de défense au fond qui, à ce titre, sont à examiner au procès.

15. D'après le juge Lacourcière, il est possible que l'article 8 du traité, qui reconnaît le droit d'un fugitif à tous les recours prévus par la loi de l'État requis, permette d'invoquer la Charte. Il n'a toutefois pas jugé nécessaire de trancher ce point puisque, à son avis, les infractions à la loi fédérale et à la loi de l'état d'Ohio en l'espèce n'étaient pas les mêmes. Il s'ensuivait donc que Schmidt n'avait pas été acquittée relativement à "[l']infraction", conformément à l'exigence posée par l'al. 11h) de la Charte.

16. Par conséquent, l'appel a été rejeté et l'autorisation de se pourvoir devant cette Cour accordée, [1984] 1 R.C.S. xiii.

Compétence de cette Cour

17. Avant d'aborder les questions de fond soulevées par l'appelante, il est nécessaire de se pencher sur une question posée par l'intimée: celle de savoir si cette Cour a compétence pour entendre le pourvoi. Cette question découle de l'existence d'un conflit apparent entre l'art. 40 de la Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S‑19 et modifications, et le par. 719(5) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34.

18. Pris isolément, l'art. 40 de la Loi sur la Cour suprême dit clairement qu'en matière d'extradition il n'y a aucune possibilité d'appel dans des procédures d'habeas corpus. L'article 40 est ainsi conçu:

40. Nul appel à la Cour suprême ne peut être interjeté conformément à l'article 38 ou 39, d'un jugement dans une cause au criminel, dans des procédures pour un bref d'habeas corpus, certiorari ou prohibition découlant d'une accusation au criminel, ou sur un tel bref, ou dans des procédures pour un bref d'habeas corpus résultant d'une demande d'extradition faite aux termes d'un traité, ou sur ce dernier bref. [C'est moi qui souligne.]

Dans l'arrêt Re Lazier (1899), 29 R.C.S. 630, cette Cour a conclu que, en raison du précurseur de cet article, la Cour n'avait pas compétence pour entendre un pourvoi interjeté dans le cadre de procédures d'habeas corpus dans une affaire d'extradition. Comme c'est le cas en l'espèce, il s'agissait d'une tentative de porter en appel un arrêt d'une cour d'appel provinciale: voir aussi l'arrêt Gaynor and Greene v. United States of America (1905), 36 R.C.S. 247, à la p. 249.

19. En 1965, cependant, l'art. 719 du Code criminel a été adopté (S.C. 1964‑65, chap. 53). Cet article prévoyait des appels de décisions rendues dans des procédures où il était question de recours extraordinaires et, en particulier, il prévoyait à son par. 719(5) un appel devant une cour d'appel provinciale et, de là, devant cette Cour, d'un jugement rendu dans une procédure d'habeas corpus. Voici le texte du par. 719(5):

(5) Lorsqu'un jugement est délivré au moment du rapport d'un bref d'habeas corpus ad subjiciendum, il peut en être interjeté appel à la cour d'appel et il y a appel d'un jugement de cette dernière cour à la Cour suprême du Canada, si cette cour l'autorise, à l'instance du demandeur ou du procureur général de la province en cause ou du procureur général du Canada, mais non à l'instance de quelque autre partie.

20. Pour comprendre l'interdépendance des deux dispositions, il est essentiel d'en faire l'historique. À l'époque de l'adoption de la disposition antérieure à l'art. 40, le législateur était alors guidé par une politique générale visant à éviter, en limitant les pourvois, des litiges démesurément longs en matière criminelle. Pendant bien des années, le législateur ne prévoyait pas d'appel devant les cours d'appel provinciales en matière d'habeas corpus, bien qu'il fût possible dans certaines circonstances d'interjeter appel devant la Cour suprême (voir Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1952, chap. 259, art. 57 et 58). Cette politique paraît avoir été suivie d'une façon particulièrement rigoureuse dans les affaires d'extradition: voir l'affaire Gaynor and Greene, précitée, à la p. 249; et, grâce aux dispositions antérieures à l'art. 40 de la Loi sur la Cour suprême, de tels appels ne pouvaient pas non plus être portés devant la Cour suprême.

21. Il était toutefois des cas où les cours d'appel provinciales ne tenaient pas compte de l'absence de disposition permettant d'interjeter appel en matière d'habeas corpus dans des affaires d'extradition; voir, par exemple, la décision ontarienne Re Low (1932), 41 O.W.N. 468, ainsi que la décision québécoise Ecrement v. Séguin (1921), 39 C.C.C. 113. Dans l'arrêt Re Storgoff, [1945] R.C.S. 526, cependant, cette Cour a bien précisé qu'aucun appel d'une décision en matière d'habeas corpus n'était possible devant ces tribunaux, mais ce n'est qu'ultérieurement que cet arrêt a été appliqué à des affaires d'extradition: voir Re Wattebled (1952), 106 C.C.C. 200 (C.A. Qué.); Re Johnston and Shane (1959), 18 D.L.R. (2d) 102 (C.A. Ont.)

22. Au cours des dernières décennies, toutefois, l'attitude du législateur face aux appels criminels a changé et de tels appels sont prévus dans un beaucoup plus grand nombre de cas. Le droit du ministère public d'interjeter appel d'un acquittement en est un exemple. Plus particulièrement, en novembre 1962, soit trois ans après l'arrêt Johnston and Shane, le dernier susmentionné, on a déposé à la Chambre des communes un projet de loi visant à autoriser les appels dans les procédures d'habeas corpus. On trouve maintenant à l'art. 719 du Code criminel des dispositions de ce projet de loi modifié. étant donné que les décisions récentes établissant qu'il n'y a aucun droit d'appel en matière d'habeas corpus portent toutes sur l'extradition, et étant donné que l'habeas corpus est le seul moyen de révision en matière d'extradition, il est raisonnable de supposer que l'art. 719 est censé comprendre les appels de jugements en matière d'habeas corpus rendus dans des affaires d'extradition.

23. Cette évolution a été exposée par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Re Federal Republic of Germany and Rauca, précité, qui a terminé son étude de cette question par le passage suivant, à la p. 396:

[TRADUCTION] Eu égard à l'évolution qu'a suivie la modification du Code, nous estimons qu'il est clair que l'art. 719 était destiné à conférer un droit général d'appel dans les procédures d'habeas corpus, y compris celles découlant d'une demande d'extradition, et que ce droit ne se limite pas aux procédures d'habeas corpus engagées en vertu du Code criminel. Nous concluons en conséquence que l'appelante a le droit d'interjeter appel devant cette Cour.

La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique s'est empressée d'adopter ce raisonnement dans l'arrêt Re Meier and The Queen (1983), 8 C.C.C. (3d) 210.

24. Si l'on conclut qu'il est possible d'en appeler devant une cour d'appel provinciale d'une décision en matière d'habeas corpus rendue dans une affaire d'extradition, on doit conclure également que cette Cour peut par la suite être saisie d'un pourvoi parce que l'art. 719 crée un régime intégré. Quand il a adopté cette disposition, le législateur n'a manifestement pas tenu compte de l'art. 40 de la Loi sur la Cour suprême. Il faut toutefois présumer que la disposition postérieure l'emporte sur l'art. 40. Dans la mesure donc où il y a conflit entre l'art. 40 de la Loi sur la Cour suprême et l'art. 719 du Code, l'art. 40 a été implicitement abrogé. Je devrais peut‑être dire que, quand j'ai abordé cette question dans mon livre Extradition To and From Canada (2nd ed. 1977), aux pp. 131 et 132, je ne me suis pas penché sur l'historique judiciaire et législatif enchevêtré de ces deux dispositions.

25. Je conclus donc que cette Cour a compétence pour entendre le présent pourvoi.

Les questions d'extradition non reliées à la Charte

26. Avant d'en venir aux questions reliées à la Charte, j'examinerai les arguments relatifs à l'extradition qui n'y sont pas reliés. Il peut toutefois être utile de rappeler dès le départ ce qu'est au juste l'extradition. L'extradition est la livraison par un état à un autre, à la demande de celui‑ci, de personnes accusées ou reconnues coupables d'un crime dans l'État requérant. Cela se fait normalement en vertu d'un traité ou d'une autre convention intervenu entre ces états en leur qualité d'états souverains et engage évidemment leur honneur et leur bonne foi. La livraison d'une personne sous le régime de ces traités constitue d'abord et avant tout un acte du pouvoir exécutif. Indépendamment de la Charte et de toutes répercussions internationales, il relève du pouvoir discrétionnaire de l'exécutif selon le droit interne de livrer ou de ne pas livrer un fugitif à la demande d'un autre État.

27. Toutefois, comme l'a souligné le juge en chef Laskin (alors juge puîné) dans l'arrêt Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228, à la p. 245, le souci de la liberté de l'individu n'a pas été négligé dans ces procédures assez spéciales. C'est pourquoi les traités et la Loi sur l'extradition contiennent des dispositions portant que, préalablement à l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'extrader, une enquête judiciaire doit être tenue afin de déterminer s'il existe une preuve suffisante du crime qui aurait été commis dans le pays étranger pour justifier, selon le droit du Canada, le renvoi au procès dans l'hypothèse où le crime aurait été commis ici. Si cette preuve existe, le juge ordonne que le fugitif soit détenu en vue de son extradition et l'exécutif peut alors exercer son pouvoir discrétionnaire d'extrader; à défaut d'une telle preuve, le fugitif est élargi (art. 18 de la Loi). L'audience ressemble à une enquête préliminaire en ce sens que l'art. 13 de la Loi autorise le juge qui préside à entendre la cause de la même manière, "autant que possible", que cela se ferait à une enquête préliminaire relative à un crime perpétré au Canada.

28. L'audience protège donc une personne qui se trouve au Canada contre l'extradition en vue d'un procès pour un crime commis dans un pays étranger, à moins qu'on ne produise une preuve prima facie établissant qu'elle a fait dans ce pays étranger un acte qui constituerait un crime visé par le traité s'il avait été accompli ici. Il faut souligner que cette audience n'est pas un procès et qu'on ne doit pas tenter de l'ériger en procès. Le procès, quand il a lieu, se tiendra dans le pays étranger conformément aux lois de celui‑ci pour un crime qu'on y aurait commis et, évidemment, de telles poursuites relèvent entièrement de la compétence du pays en question. Un juge qui préside une audience d'extradition n'a pas compétence pour examiner les moyens de défense qui pourraient être soulevés au procès, à moins que, bien entendu, la Loi ou le traité n'en dispose autrement.

29. L'avocat de Schmidt fait cependant valoir que le principe du double péril est un élément à ce point fondamental de notre droit criminel que, en prévoyant qu'une audience d'extradition doit "autant que possible" se dérouler de la même manière qu'une enquête préliminaire, le législateur a dû vouloir que l'on puisse présenter à l'audience d'extradition des moyens de défense afin d'éviter qu'une personne soit poursuivie deux fois pour la même infraction. Toutefois, à ce qu'il me semble, cela revient à introduire dans l'audience d'extradition des procédures propres aux procès, ce qui va à l'encontre du droit général de l'extradition. En droit interne, de tels plaidoyers peuvent être invoqués au cours du procès. En matière d'extradition également, ce sont‑là des points susceptibles d'être soulevés au procès dans le pays étranger. À mon avis, quand on parle d'une procédure qui est "autant que possible" la même qu'une enquête préliminaire, cela traduit une intention de tenir compte des différences entre les deux types de procédures, comme par exemple dans le cas des dispositions du traité et de la Loi relatives à la présentation de preuves sous la forme de dépositions écrites.

30. Cette conclusion est défendable tant en principe qu'en pratique. Sur le plan des principes, comme le juge Hagarty nous l'a rappelé il y a longtemps, il faut avoir confiance, pour ce qui est du procès, dans le pays qui demande l'extradition en vertu d'un traité: voir Re Burley (1865), 1 C.L.J. 34 (C.L. Ch.) On ne doit pas non plus perdre de vue qu'il y va de la bonne foi du Canada dans le respect de ses obligations internationales.

31. De plus, toute tentative de la part des tribunaux de tenir compte de moyens de défense qu'il convient mieux d'examiner au procès risquerait de compromettre gravement le fonctionnement efficace d'un système salutaire conçu par les états pour l'extradition réciproque de personnes soupçonnées d'être des malfaiteurs. En particulier, toute décision valable sur des moyens de défense tel que celui d'autrefois acquit et celui de l'autorité de la chose jugée présente des problèmes délicats qui exigent une connaissance approfondie des faits et du droit, qu'il vaut mieux aborder au procès. C'est d'autant plus vrai dans les affaires d'extradition où le droit étranger doit être prouvé en tant que fait lorsque ces moyens de défense sont admis, et où l'on ne présente que les faits nécessaires pour justifier la détention du fugitif.

32. Une disposition du traité sur laquelle s'appuie l'avocat de Schmidt indique que les parties au traité présentement en cause ont dû envisager la situation. Le sous‑alinéa 4(1)(i) porte expressément que l'extradition ne doit pas être accordée "Lorsque l'individu dont l'extradition est demandée ou bien fait l'objet de poursuites ou bien a été jugé et acquitté ou puni, sur le territoire de l'État requis, pour l'infraction motivant la demande d'extradition" (c'est moi qui souligne). Si les parties avaient estimé que le double péril dans l'État requérant devait constituer un moyen de défense valable à une audience d'extradition, on peut croire que le traité en aurait fait mention puisque, de toute évidence, elles avaient la question à l'esprit. À la vérité, les parties qui ont manifestement compris les difficultés pratiques qui surgiraient s'il était permis d'invoquer ce moyen de défense à l'audience, ont décidé que, comme les autres questions relevant du procès, c'était un point à trancher dans le pays requérant. C'est ce qui se fait sous le régime de la plupart des traités. Quand des états désirent prévoir un moyen de défense d'autrefois acquit dans des circonstances où le fugitif a déjà été jugé dans l'État requérant, ou même ailleurs, ils le font expressément: voir, par exemple, le traité d'extradition avec Israël, article 4, Recueil des traités du Canada 1969, no 25. Je n'accepte donc pas les opinions contraires exprimées dans l'arrêt Atkinson v. United States of America Government, [1971] A.C. 197. J'ajoute que je ne vois rien dans le principe énoncé à l'article 2 du traité (que l'infraction doit constituer un crime dans l'un et l'autre pays) qui change quoi que ce soit à ce raisonnement.

33. Finalement, au cours des plaidoiries, l'avocat s'est référé à la vieille cause anglaise Re Windsor (1865), 6 B. & S. 522, 122 E.R. 1288 (K.B.), dans laquelle on paraît avoir estimé que l'extradition ne pouvait pas être accordée à l'égard de crimes prévus par les états des États‑Unis. Toutefois, comme l'a dit le juge Duff dans la décision Re Collins (No. 3) (1905), 10 C.C.C. 80 (C.S.C.‑B.), ce point de vue se fondait sur une conception erronée du partage des pouvoirs législatifs aux États‑Unis et il n'a jamais été suivi.

L'alinéa 11h) de la Charte

34. Les arguments principaux de l'appelante se rapportent toutefois à la Charte. L'avocat a fait valoir que l'accusation de vol d'enfant recouvre essentiellement celle d'enlèvement et que, par conséquent, l'al. 11h) de la Charte joue de manière à protéger l'appelante contre des poursuites pour vol d'enfant. L'alinéa 11h) est ainsi rédigé:

11. Tout inculpé a le droit:

...

h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;

35. Il ne fait pas de doute que les actes entrepris par le gouvernement du Canada en matière d'extradition, comme dans d'autres domaines, sont assujettis au contrôle prévu par la Charte (art. 32). Il est cependant tout aussi certain que la Charte ne s'applique pas aux actes d'un pays étranger: voir, par exemple, l'arrêt Spencer c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 278. En particulier, on ne saurait donner à la Charte un effet qui la rendrait applicable à la conduite de procédures criminelles dans un pays étranger.

36. Il faut, je crois, garder ces éléments bien en tête dans toute étude du droit protégé par l'al. 11h). Il s'agit du droit de tout inculpé de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a déjà été définitivement acquitté. Le gouvernement du Canada, à qui s'applique la Charte, ne se trouve pas à juger le fugitif. Comme on l'a vu, une audience d'extradition n'est pas un procès. C'est simplement une audience visant à déterminer s'il existe une preuve suffisante d'un crime donnant lieu à extradition pour justifier que le gouvernement, dans l'exécution des obligations conventionnelles, livre un fugitif à un pays étranger pour qu'il y subisse son procès pour une infraction commise dans ce ressort. On n'a pas visé, je le répète, à donner à l'al. 11h) une application extra‑territoriale de manière à régir les procédures criminelles d'un autre pays. On a plutôt visé à régir les procès menés par les gouvernements de notre pays mentionnés à l'art. 32. En l'espèce, il ne s'agit nullement d'un procès mené par le gouvernement du Canada. S'il doit y avoir procès, il sera mené par le gouvernement d'un pays étranger sur son territoire pour une infraction à ses lois.

37. Au fond, l'appelante cherche à transformer l'audience d'extradition (qui vise simplement à déterminer l'existence d'une condition de l'exercice par l'exécutif de son pouvoir d'extradition, c.‑à‑d. si on a établi une apparence suffisante de la perpétration d'un crime donnant lieu à extradition) en une procédure tout à fait différente ayant pour objet de déterminer si le procès étranger satisfait aux normes applicables à un procès au pays. Je suis d'accord avec le juge Collins de la Cour de district, siégeant en matière d'extradition, qu'il n'avait pas compétence pour ce faire.

38. Ce point de vue est appuyé par l'ensemble de l'art. 11. En premier lieu, un fugitif à une audience d'extradition n'est pas accusé d'une infraction, du moins certainement pas par le gouvernement du Canada; en deuxième lieu, plusieurs des droits d'un "inculpé" ne jouent simplement pas en matière d'extradition. C'est le cas notamment du droit d'être présumé innocent, prévu par l'al. 11d), et le droit à un procès devant un jury, garanti par l'al. 11f), droits qui n'existent ni l'un ni l'autre dans plusieurs pays avec lesquels nous avons conclu des traités d'extradition. Comment le Canada pourrait‑il livrer des fugitifs à ces pays pour y subir leur procès s'il était possible de soulever de telles questions lors d'une audience d'extradition? De surcroît, ces dispositions ne sauraient être prises isolément. Dire que certaines dispositions de l'art. 11 s'appliquent aux audiences d'extradition alors que d'autres ne s'y appliquent pas nécessite que l'on donne au terme "inculpé" employé au début de l'article des sens multiples. À mon avis, c'est avec raison que le juge Tallis de la Cour d'appel a souligné dans l'arrêt R. v. Heit (1984), 11 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Sask.), à la p. 100, que ce mot doit recevoir partout un seul et même sens, un sens qui soit en harmonie avec les différents alinéas de l'article.

39. En bref, je crois que l'art. 11 se rapporte aux accusations portées par les gouvernements visés par l'art. 32 de la Charte. Une audience d'extradition ne tombe pas dans cette catégorie. Chose intéressante, les tribunaux des États‑Unis, en interprétant la constitution américaine, sont arrivés à un résultat semblable. Le droit de ne pas [TRADUCTION] "être menacé deux fois" conféré par le Cinquième amendement a été jugé applicable aux États‑Unis seulement: voir l'affaire Re Ryan, 360 F. Supp. 270 (E.D. N.Y. 1973).

40. Je ne veux toutefois pas que l'on conclue de mes observations que d'autres dispositions de la Charte ne protègent pas d'une manière semblable à une audience d'extradition certains droits garantis par l'art. 11, tel que le droit au cautionnement (al. 11e)); à ce propos, on n'a qu'à considérer le jeu de l'art. 7 (le droit à la liberté) et de l'art. 15 (l'égalité devant la loi).

41. J'estime par conséquent que l'al. 11h) de la Charte ne s'applique pas à une audience d'extradition.

L'article 7 de la Charte

42. Il ressort nettement de ce que j'ai déjà dit que je suis loin de croire à l'inapplicabilité de la Charte en matière d'extradition. La livraison d'une personne à un pays étranger peut évidemment mettre en jeu plusieurs droits garantis par la Charte. Dans l'arrêt Rauca, précité, par exemple, la Cour d'appel de l'Ontario a reconnu que l'extradition empiète sur le droit de demeurer au Canada reconnu à chaque citoyen par l'art. 6, quoiqu'elle ait également conclu que les avantages de la procédure qui empêche les malfaiteurs de se soustraire à la justice et qui est d'ailleurs largement adoptée dans le monde, suffisent pour justifier l'extradition en tant que limite raisonnable au sens de l'article premier de la Charte. Bien que Schmidt soit citoyenne canadienne, l'art. 6 n'a pas été invoqué en l'espèce, sans doute parce que son avocat a cru, comme moi, que ce point a été tranché à bon droit dans l'affaire Rauca. Il ne résulte cependant pas du fait que l'extradition est généralement justifiable que la manière dont les procédures se déroulent au Canada et les conditions dans lesquelles s'effectue la livraison d'un fugitif ne peuvent jamais faire l'objet d'un examen en vertu de la Charte. On doit reconnaître la prééminence de la Constitution; le traité, l'audience d'extradition au Canada et l'exercice par l'exécutif de son pouvoir discrétionnaire d'extrader un fugitif doivent tous se conformer aux exigences de la Charte, y compris aux principes de justice fondamentale.

43. On ne reproche aux fonctionnaires canadiens aucune irrégularité dans la conduite des procédures. De plus, la nature de la procédure d'extradition elle‑même n'a fait l'objet d'aucune objection en cette Cour, car on a, à juste titre selon moi, abandonné l'objection invoquée devant les tribunaux d'instance inférieure selon laquelle l'art. 7 de la Charte reconnaît à la contrevenante fugitive le droit de contre‑interroger les souscripteurs des affidavits présentés à l'appui de la demande d'extradition.

44. La véritable question en litige en l'espèce est de savoir si l'extradition de la fugitive par le gouvernement du Canada aux États‑Unis pour qu'elle soit jugée pour un crime prévu par la loi d'un état, qui présente une certaine ressemblance avec un crime fédéral pour lequel elle a déjà été jugée et à l'égard duquel elle a été acquittée relativement à la même affaire, constitue une violation de l'art. 7 de la Charte, dont voici le texte:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

45. Dans la mesure où l'on pourrait prétendre d'une manière générale que l'extradition porte atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, cette objection se heurterait à des considérations semblables à celles retenues dans l'affaire Rauca à l'égard de l'art. 6 de la Charte. La question est en réalité de savoir si, dans les circonstances de la présente espèce, l'extradition envisagée aurait pour effet de priver la fugitive de ce droit d'une façon non conforme aux principes de justice fondamentale.

46. Je souligne dès le départ que la livraison d'un fugitif à un pays étranger peut faire l'objet d'un examen en vertu de la Charte, bien que cette livraison relève principalement de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'exécutif. Dans l'arrêt Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, le juge Dickson (maintenant Juge en chef) a affirmé catégoriquement que "l'exécutif du gouvernement canadien [a] l'obligation d'agir conformément aux préceptes de la Charte" (p. 455) et que "les tribunaux [sont] fondés à connaître de différends [même] d'une nature politique ou mettant en cause la politique étrangère" (p. 459); voir aussi les propos du juge Wilson, à la p. 464.

47. Je ne doute pas non plus que dans certaines situations le traitement que l'état étranger réservera au fugitif extradé, que ce traitement soit ou non justifiable en vertu des lois de ce pays‑là, peut être de telle nature que ce serait une violation des principes de justice fondamentale que de livrer un accusé dans ces circonstances. À ce propos, il suffit de se référer à une affaire portée devant la Commission européenne des droits de l'homme, Altun v. Germany (1983), 5 E.H.R.R. 611, dans laquelle il a été établi que des poursuites dans le pays requérant pourraient comprendre le recours à la torture. Il est fort possible que se présentent des cas bien moins graves où la nature des procédures criminelles dans un pays étranger ou des peines prévues choque suffisamment la conscience pour qu'une décision de livrer un fugitif afin qu'il y subisse son procès constitue une atteinte aux principes de justice fondamentale consacrés dans l'art. 7. Je dois dire toutefois que, dans la plupart des cas du moins, les tribunaux ne doivent intervenir qu'après l'exercice par l'exécutif de son pouvoir discrétionnaire, car il appartient au pouvoir exécutif et non pas aux tribunaux de décider de l'extradition et ceux‑ci ne doivent pas supposer à la légère que l'exécutif manquera à son obligation de se conformer aux normes constitutionnelles en livrant un individu à un pays étranger dans des circonstances où il serait fondamentalement injuste de le faire.

48. Je m'empresse cependant d'ajouter que, selon moi, il n'est pas injuste de livrer à un pays étranger une personne accusée d'y avoir commis un crime pour qu'elle y soit jugée en conformité de son système judiciaire simplement parce que ce dernier diffère sensiblement du nôtre et comporte des mécanismes différents. Le processus judiciaire d'un pays étranger ne doit pas être soumis à des évaluations minutieuses en fonction des règles applicables aux voies judiciaires canadiennes. Un système judiciaire n'est pas, par exemple, foncièrement injuste, en fait, sur le plan pratique, il peut être aussi juste que le nôtre, parce qu'il repose sur un mode d'enquête auquel la présomption d'innocence est étrangère ou, d'une manière générale, parce que ses mesures protectrices en matière de procédure ou de preuve n'ont pas la même rigueur que celles de notre système.

49. La question à trancher est de savoir si, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'extradition d'un fugitif en vue de son procès va à l'encontre des exigences fondamentales de la justice. Pour répondre à cette question, les tribunaux doivent partir de l'idée que l'exécutif a dû d'abord décider que le système général d'administration de la justice existant dans le pays étranger présentait une correspondance suffisante avec notre conception de la justice pour justifier la conclusion du traité au départ et a dû reconnaître qu'il a lui aussi une obligation de s'assurer de la conformité de ses actes avec les normes constitutionnelles. Bien sûr, on ne peut pas s'attendre que les tribunaux défèrent aveuglément au jugement du pouvoir exécutif. Il incombe aux tribunaux de faire respecter la Constitution. Nous parlons néanmoins d'un domaine dans lequel l'exécutif sera vraisemblablement bien mieux renseigné que les tribunaux et dans lequel ces derniers doivent se montrer extrêmement circonspects afin d'éviter toute ingérence indue dans des décisions où il y va de la bonne foi et de l'honneur du Canada dans ses relations avec d'autres états. En un mot, l'intervention des tribunaux doit se limiter aux cas où cela s'impose réellement.

50. Il n'est pas inutile de mentionner que toute autre démarche nuirait gravement au fonctionnement efficace d'un système salutaire destiné à empêcher les criminels d'échapper à la justice d'un pays en se réfugiant dans un autre. Dans un monde où les moyens de communication modernes rendent de plus en plus faciles les activités criminelles et les évasions internationales et transnationales, point n'est besoin de prouver la nécessité d'un système suffisamment efficace d'extradition des fugitifs d'un pays à l'autre qui soit dégagé de tout formalisme excessif ou des exigences fastidieuses que les systèmes étrangers respectent nos normes constitutionnelles. Ce n'est pas parce que l'application de la loi étrangère dans les circonstances particulières n'a pas été soumise à un examen visant à déterminer sa conformité avec les normes établies par notre système de justice qu'on peut taxer de foncièrement injuste une décision de livrer un fugitif afin qu'il soit jugé dans un pays étranger.

51. J'ajouterais qu'il ne faut pas négliger non plus les leçons à tirer de l'histoire. Sir Edward Clarke nous apprend qu'au début du XIXe siècle les juges anglais, par une interprétation stricte et étroite, ont rendu presque complètement inopérants les quelques traités d'extradition qui existaient à l'époque: voir A Treatise Upon the Law of Extradition (4th ed. 1903), chap. V. Par suite de l'adoption en Grande‑Bretagne de l'Extradition Act, 1870 (R.‑U.), 33 & 34 Vict., chap. 52, sur laquelle est modelée notre loi ce mouvement a été renversé. Le système actuel d'extradition fonctionne parce que les tribunaux donnent aux traités une interprétation juste et libérale destinée à remplir les obligations du Canada et à réduire au minimum le recours aux formalités du droit criminel, tout en comptant sur les tribunaux du pays étranger pour donner au fugitif un procès équitable, ce qui implique notamment que l'on donne à la preuve l'importance qui lui revient et que l'on tienne dûment compte des moyens de défense possibles et des exigences de l'équité en général.

52. Que la démarche que j'ai proposée n'ait rien de déraisonnable ressort de l'expérience des États‑Unis, dont la Constitution ressemble en bien des points à la nôtre. Certes, l'application de l'expérience américaine doit être considérée à la lumière du principe de la "question politique" suivant lequel les tribunaux accordent une grande déférence à certaines décisions de l'exécutif, y compris celles relevant du domaine des relations étrangères, question qui n'a pas encore été réglée au Canada, bien qu'elle ait fait l'objet de certains commentaires de cette Cour: voir les observations du juge Wilson dans l'arrêt Operation Dismantle Inc., précité, à la p. 464. Cependant, tout en reconnaissant la prééminence de l'exécutif dans ce domaine, les tribunaux américains ont souligné que chacune des branches du gouvernement est soumise à la suprématie de la Constitution et que le pouvoir judiciaire peut avoir un rôle utile à jouer: voir Holmes v. Laird, 459 F.2d 1211 (D.C. Cir. 1972), certiorari refusé 409 U.S. 869. En particulier, ils ont affirmé qu'une audience d'extradition doit se conformer aux exigences de l'équité: voir l'affaire Gallina v. Fraser, 177 F. Supp. 856 (D. Conn. 1959), conf. 278 F.2d 77 (2d Cir. 1960), certiorari refusé 364 U.S. 851.

53. Il est toutefois évident que les droits garantis par la Constitution des États‑Unis ne sauraient être exportés dans d'autres pays, même dans des affaires où des citoyens américains sont en cause. Dans l'arrêt de principe Neely v. Henkel (No. 1), 180 U.S. 109 (1901), la Cour suprême des États‑Unis avait à concilier les lois américaines régissant l'extradition vers Cuba avec les droits garantis par la Constitution des États‑Unis. Le juge Harlan, qui a rendu le jugement de la cour, a dit, à la p. 122:

[TRADUCTION] On prétend que la loi du 6 juin 1900 est inconstitutionnelle et nulle parce qu'elle ne garantit pas aux accusés livrés à un pays étranger pour être jugés devant ses tribunaux tous les droits, privilèges et immunités dont jouissent, de par la Constitution, les personnes accusées de la perpétration chez nous d'un crime contre les États‑Unis. On fait allusion aux dispositions de la Constitution fédérale relatives au bref d'habeas corpus, aux décrets de confiscation des biens et de mort civile, aux lois à effet rétroactif, aux procès devant un jury en matière criminelle et, d'une manière générale, à la garantie fondamentale du droit à la vie, à la liberté et aux biens énoncée dans ce document. La réponse à cet argument est que ces dispositions‑là n'ont aucun rapport avec les crimes commis en dehors de la sphère de compétence des États‑Unis contre les lois d'un pays étranger.

À la page 123, il ajoute:

[TRADUCTION] On nous rappelle relativement à la proposition susmentionnée que l'appelant est citoyen des États‑Unis. Mais cette citoyenneté ne l'autorise pas à commettre impunément des crimes dans d'autres pays ni ne lui confère le droit d'exiger un procès dans une forme autre que celle prévue pour son propre peuple par le pays dont il a enfreint les lois et dont il a fui la justice. Quand un citoyen américain commet un crime dans un pays étranger, il ne peut se plaindre d'avoir à subir les formes de procès et les peines que les lois du pays en question peuvent prescrire pour ses propres citoyens, à moins qu'un traité intervenu entre ce pays et les États‑Unis ne stipule quelque chose de différent.

C'est la ligne de conduite qui a toujours prévalu depuis. Dans l'arrêt Gallina v. Fraser, précité, par exemple, la Cour d'appel fédérale (2d Cir.) a écarté une objection selon laquelle le renvoi en Italie d'un fugitif qui avait été déclaré coupable par contumace en conformité avec les voies judiciaires traditionnelles de ce pays, constituerait une violation de la clause relative au caractère équitable des procédures. Puis, dans l'affaire Holmes v. Laird, précitée, la même cour a refusé également d'admettre des objections à l'extradition d'un accusé que l'on fondait sur plusieurs droits constitutionnels, y compris le droit à un procès rapide et le droit d'être représenté par un avocat efficace de son choix.

54. Dans cette dernière affaire, la cour a souligné les problèmes d'ordre pratique qu'entraînerait l'adoption d'une autre ligne de conduite. Elle a affirmé, à la p. 1218:

[TRADUCTION] Il est évident que, si le point de vue des appelants devait être admis, un examen approfondi du dossier du procès en Allemagne de l'Ouest devrait indispensablement précéder toute tentative de trancher leurs réclamations au fond. Point n'est besoin d'étudier les difficultés, pratiques ou autres, d'une telle entreprise, car l'argument des appelants attribuant un tel effet à la Constitution est, selon nous, voué à l'échec en raison de la conclusion de la Cour suprême dans l'affaire Neely v. Henkel.

La présente instance révèle que ces craintes ne sont pas irréalistes. Comme nous l'avons déjà constaté, les tribunaux d'instance inférieure en l'espèce ont procédé à un examen fouillé du dossier du procès relatif à l'infraction fédérale d'enlèvement et des arguments détaillés fondés sur ce dossier ont été plaidés devant nous. On n'a pas besoin de beaucoup d'imagination pour conclure que, si, dans le contexte de systèmes de droit fort différents, une telle procédure devait être introduite dans un nombre important d'affaires d'extradition, cela pourrait bien compromettre l'existence d'un système efficace d'extradition. L'intervention des tribunaux dans ce domaine doit en conséquence, je le répète, se limiter à des situations particulièrement graves, car il faut se rappeler que c'est d'abord et avant tout le pouvoir exécutif qui détient la responsabilité à cet égard et que l'intervention judiciaire constitue, pour reprendre les termes du juge en chef lord Russell dans l'arrêt Re Arton, [1896] 1 Q.B. 108, à la p. 115, [TRADUCTION] "une critique des plus sévères non seulement des motifs et des actes du gouvernement responsable, mais aussi, implicitement, des autorités judiciaires d'une puissance voisine avec laquelle nous entretenons des relations amicales".

55. Quoique les arguments avancés pour le compte de Schmidt reposent généralement sur l'al. 11h) de la Charte, ils pourraient aussi être fondés sur l'art. 7, lequel a, en fait, été invoqué également. L'avocat de Schmidt a soutenu que l'extradition de celle‑ci porterait atteinte à son droit à la liberté et à la sécurité relativement à un acte pour lequel elle ne pourrait pas être poursuivie au Canada. Comme je l'ai déjà fait remarquer, je ne crois pas que nous puissions imposer à d'autres pays nos normes constitutionnelles. Une personne accusée d'avoir enfreint les lois d'un pays étranger dans son ressort est, à ce qu'il me semble, mal venue de prétendre qu'elle a été privée de sa liberté et de sa sécurité d'une manière incompatible avec les principes de justice fondamentale, du simple fait qu'elle doit être livrée à ce pays pour y être jugée selon les procédures traditionnelles dudit pays, quand bien même ces procédures ne rempliraient pas les exigences constitutionnelles précises relatives aux procès au Canada. Plus précisément, je ne crois pas que nous devrions essayer d'exporter à un pays étranger notre forme particulière des moyens de défense spéciaux d'autrefois acquit et de l'autorité de la chose jugée. Je crois encore moins que ces plaidoyers devraient être soulevés à une audience d'extradition, car les invoquer dans une situation où la règle de droit étrangère doit être prouvée et où les faits peuvent avoir à être établis sous le régime de règles de procédure et de preuve différentes de celles de l'État requérant, constitue une invitation à introduire dans des procédures d'extradition des éléments qu'il serait, d'après ce que révèle l'expérience de plus de cent ans, judicieux d'écarter.

56. Cela étant, je conclus qu'il n'est pas nécessaire d'examiner si les tribunaux étrangers devraient, dans l'hypothèse où ils disposeraient d'éléments de preuve tels que ceux produits devant nous, admettre les moyens de défense d'autrefois acquit et de l'autorité de la chose jugée. Je ne veux toutefois pas dire par là que les considérations sous‑tendant ces moyens de défense ne doivent pas être prises en considération lorsqu'il s'agit de déterminer si le pouvoir exécutif devrait refuser de livrer une personne pour le motif que l'extradition irait à l'encontre des principes de justice fondamentale. Si les mêmes poursuivants ont multiplié leurs tentatives de poursuite d'une personne pour la même infraction, cela peut bien, dans certaines circonstances, représenter un harcèlement suffisamment oppressif pour que l'extradition de ladite personne viole ces principes. Comme je l'ai déjà mentionné, cependant, les tribunaux ne doivent intervenir que dans des cas très graves.

57. Or, la présente espèce ne me semble pas satisfaire à cette norme. Je ne puis accepter la proposition selon laquelle la tentative par les autorités de l'état d'appliquer leurs propres lois porte atteinte à ces principes du seul fait que les autorités fédérales, en essayant d'appliquer les lois fédérales, ont poursuivi l'appelante pour une infraction semblable à celle qui fait l'objet des poursuites entamées par l'état. Ce cas n'est pas clair et net. Les deux infractions comportent des éléments bien différents. L'infraction d'enlèvement vise à réglementer le commerce international et entre états, la compétence maritime et s'applique en outre aux personnes bénéficiant d'une protection en droit international. L'action de l'état a pour objet d'assurer l'ordre public dans les limites de l'état et est destinée notamment à protéger les jeunes personnes. Plusieurs autres éléments et moyens de défense figurent dans une disposition mais non dans l'autre. Les intérêts en jeu sont différents et il s'agit de poursuivants différents qui fonctionnent indépendamment les uns des autres. Des situations analogues peuvent se présenter au Canada: voir Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161; R. v. Chiasson (1982), 135 D.L.R. (3d) 499 (C.A.N.‑B.), confirmé [1984] 1 R.C.S. 266. Au Canada, toutefois, ces situations ne se manifestent pas d'une manière aussi frappante parce que le droit criminel relève exclusivement du Parlement, mais, d'un autre côté, ce sont souvent les mêmes poursuivants qui s'y trouvent impliqués.

58. Je ne suis pas préoccupé par la possibilité que, si l'infraction à la loi de l'état avait été poursuivie en même temps que l'infraction fédérale, Schmidt eût bien pu être acquittée relativement à celle‑là. En réalité, cela était évidemment impossible. Le tribunal fédéral ne pouvait connaître de l'infraction à la loi de l'état. Ce n'était qu'en engageant des poursuites devant ses propres tribunaux que les autorités de l'état pouvaient assurer l'application de ses lois. Je ne vois en cela rien qui soit opprimant au point de justifier que l'on refuse l'extradition pour le motif qu'une telle poursuite constitue ipso facto une entorse aux principes de justice fondamentale. Il est intéressant que, comme nous l'avons déjà vu, la Cour suprême des États‑Unis ait souvent conclu que des poursuites successives au niveau fédéral et au niveau de l'état, ne contreviennent pas automatiquement à la clause relative au caractère équitable des procédures, clause dont l'esprit et la teneur ressemblent à certains égards à l'art. 7 de la Charte. Les tribunaux agiraient cependant pour empêcher toute conduite oppressive: voir United States v. Lanza, 260 U.S. 377 (1922); Bartkus v. Illinois, précité; Abbate v. United States, 359 U.S. 187 (1959).

59. Pour ces motifs, j'estime que l'extradition de l'appelante Schmidt dans les circonstances ne constitue pas une violation de l'art. 7 de la Charte.

Conclusion

60. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs rendus par

61. Le juge Lamer—Je suis d'accord avec le juge La Forest, pour les motifs qu'il donne, que cette Cour a compétence pour entendre le présent pourvoi. Je suis également d'accord avec le juge La Forest lorsqu'il dit, à la p. 518:

Il ne fait pas de doute que les actes entrepris par le gouvernement du Canada en matière d'extradition, comme dans d'autres domaines, sont assujettis au contrôle prévu par la Charte (art. 32). Il est cependant tout aussi certain que la Charte ne s'applique pas aux actes d'un pays étranger: voir, par exemple, l'arrêt Spencer c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 278. En particulier, on ne saurait donner à la Charte un effet qui la rendrait applicable à la conduite de procédures criminelles dans un pays étranger.

Je suis également d'accord avec lui lorsqu'il dit (à la p. 522):

Je ne doute pas non plus que dans certaines situations le traitement que l'état étranger réservera au fugitif extradé, que ce traitement soit ou non justifiable en vertu des lois de ce pays‑là, peut être de telle nature que ce serait une violation des principes de justice fondamentale que de livrer un accusé dans ces circonstances.

62. Je partage donc l'opinion qu'on ne devrait pas, si ce n'est dans des circonstances spéciales, donner à la Charte canadienne des droits et libertés un effet extra‑territorial en refusant de mener une enquête ou de livrer une personne pour le motif que le procès éventuel violerait ses dispositions. Je partage l'opinion du juge La Forest que la Charte s'applique aux procédures qui se déroulent au Canada, mais je suis toutefois d'avis qu'une personne qui fait l'objet de procédures d'extradition est un "inculpé" au sens que prend ce mot à l'art. 11 de la Charte. À vrai dire, je ne vois pas pourquoi une personne qui subit une telle enquête, dont l'objet est de déterminer s'il y a suffisamment de preuves pour la renvoyer à son procès dans un pays étranger, ne pourrait pas bénéficier de la protection qu'on lui accorderait à son enquête préliminaire relativement à une accusation en vue d'un procès devant un tribunal canadien. Par conséquent, comme les procédures au Canada sont de la nature d'une enquête préliminaire, les droits que les art. 7 à 14, y compris l'art. 11, garantissent à l'inculpé à ce stade des procédures criminelles au Canada sont également garantis aux personnes qui font l'objet de procédures d'extradition. Certains ne s'appliquent de toute évidence pas aux enquêtes préliminaires et ne devraient normalement pas s'appliquer aux procédures d'extradition. C'est le cas d'un plaidoyer d'autrefois acquit, qu'il soit soulevé en vertu de l'al. 11h) ou de l'art. 7. Généralement considéré comme prématuré au stade de l'enquête préliminaire, il devrait généralement être soulevé au procès (R. c. Prince, [1986] 2 R.C.S. 480, aux pp. 507 et 508). Mais que se passe‑t‑il si le pays étranger où le procès doit avoir lieu n'accepte pas les plaidoyers d'autrefois acquit à l'égard de décisions, comme en l'espèce, rendues dans des poursuites au niveau fédéral et au niveau des états? Ne serait‑ce pas là une situation où nous devrions permettre que le plaidoyer soit soulevé à ce stade des procédures parce que nous estimons que, pour reprendre les mots du juge La Forest, "ce serait une violation des principes de justice fondamentale que de livrer un accusé dans ces circonstances"? En ce qui concerne les plaidoyers d'autrefois acquit ou convict, je crois que oui. Mais cette conclusion ne profitera pas à l'appelante, car je partage l'opinion du juge La Forest que, en l'espèce, ce moyen de défense spécial doit échouer parce que "Les deux infractions comportent des éléments bien différents".

63. Je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs rendus par

64. Le juge Wilson—J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs du juge La Forest. Toutefois, je suis incapable d'y souscrire, quoique je souscrive à la solution qu'il propose de donner au pourvoi.

65. À mon avis, la question qui se pose en l'espèce n'est pas de savoir si le tribunal d'extradition donne à la Charte canadienne des droits et libertés un effet extra‑territorial, de façon à régir la procédure criminelle d'un autre pays, ni de savoir si le tribunal d'extradition connaît de moyens de défense au fond invoqués contre l'inculpation étrangère. La question qu'il faut se poser, à mon humble avis, est de savoir si un citoyen canadien qui fait l'objet de procédures d'extradition devant un tribunal canadien peut invoquer la Charte dans le cadre de ces procédures canadiennes. J'aurais pensé qu'il était clair que c'était le cas.

66. L'appelante invoque l'al. 11h) et l'art. 7 non pas, je le souligne, comme moyen de défense dans le cadre du procès à venir dans l'état d'Ohio, mais comme moyen de défense contre la délivrance par le tribunal d'extradition d'une ordonnance de détention en attendant la décision de l'exécutif du gouvernement de la remettre ou non aux autorités américaines. Voici son argument en un mot: le tribunal d'extradition violerait les droits que lui garantissent l'al. 11h) et l'art. 7 s'il rendait cette ordonnance.

67. Cette Cour a déjà jugé dans l'arrêt Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, que l'expulsion de tout individu se trouvant au Canada (à fortiori d'une citoyenne canadienne) à destination d'un pays où sa vie, sa liberté ou la sécurité de sa personne est menacée constituerait une violation de l'art. 7 si l'ordonnance d'expulsion n'est pas rendue conformément aux principes de justice fondamentale. L'arrêt Singh montre clairement que c'est la procédure qui se déroule au Canada qui doit être conforme à la justice fondamentale. L'appelante fait valoir qu'autoriser son extradition aux États‑Unis en vue d'être jugée pour une infraction pour laquelle elle a déjà été jugée et acquittée serait contraire aux principes de justice fondamentale et, notamment, à celui qu'exprime l'al. 11h). Nous savons que l'appelante ne pourra invoquer ce principe devant le tribunal d'Ohio. Ce n'est pas un moyen de défense là‑bas. Mais la question se pose: est‑ce un moyen de défense opposable à la demande des intimés sollicitant une ordonnance de détention de l'appelante en attendant la décision discrétionnaire de l'exécutif? C'est là, me semble‑t‑il, la question dont nous sommes saisis. L'exécutif sera confronté à une question analogue lorsqu'il aura à décider d'ordonner l'extradition ou non, puisque les actes de l'exécutif sont aussi soumis à la Charte: voir l'arrêt Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441. Mais ce n'est pas la question dont nous sommes saisis: la question ne nous intéresse que dans la mesure où elle est reliée aux procédures devant le tribunal canadien.

68. Là où je suis en désaccord avec le juge La Forest, c'est quand il paraît penser que reconnaître l'application des droits conférés par la Charte dans les procédures canadiennes équivaudrait à donner un effet extra‑territorial à la Charte et constituerait une ingérence dans les voies de droit d'un tribunal étranger. Avec égards, je ne saurais y souscrire. Si le tribunal refuse d'ordonner la détention de l'appelante en attendant son extradition, à la discrétion de l'exécutif, parce que ce serait là violer les droits que la Charte confère à l'appelante, la Charte n'en acquerrait pas pour autant un effet extra‑territorial. L'effet a lieu ici même au Canada, dans les procédures canadiennes, quoique cela ait évidemment des répercussions à l'étranger. Mais il n'y a rien de mal à cela. Nous n'autoriserions pas l'extradition d'un citoyen canadien menacé de torture dans une terre étrangère pour la simple raison que refuser de l'autoriser conférerait à la Charte un effet extra‑territorial. Nous n'avons pas adopté ce point de vue dans l'arrêt Singh ni dans l'arrêt Operation Dismantle. Si la participation d'un tribunal canadien ou du gouvernement canadien est requise pour faciliter une extradition, afin de traduire en justice dans d'autres pays des suspects, il me semble que nous devons accepter de nous demander si ces individus sont protégés par la Charte dans les procédures canadiennes. Nous devons, en d'autres termes, décider si les obligations conventionnelles du Canada ont prépondérance sur les droits conférés par la Charte dans le cas de procédures canadiennes ou si ces droits doivent être reconnus dans ces procédures que la personne jouisse ou non de droits analogues dans les procédures étrangères pour lesquelles elle peut être extradée.

69. À mon avis, les droits conférés par la Charte, qui sont inscrits dans notre Constitution et font ainsi partie intégrante de la loi fondamentale du Canada, doivent être reconnus et recevoir effet dans toute instance judiciaire se déroulant au Canada, à moins qu'une restriction raisonnable, justifiée selon l'article premier, ne les limite. La Cour d'appel de l'Ontario a jugé que le processus d'extradition lui‑même constitue une restriction raisonnable. Voir l'arrêt Re Federal Republic of Germany and Rauca (1983), 4 C.C.C. (3d) 385 (C.A. Ont.) Je n'estime pas nécessaire d'exprimer une opinion en l'espèce sur cette question fort importante, puisque je pense que l'appelante n'a pas démontré que l'infraction de l'Ohio est la même que celle prévue au United States Code.

70. Quand on s'interroge sur l'identité de deux infractions, je pense qu'il importe que le tribunal canadien recherche d'abord quelle loi est applicable pour décider si deux infractions dans des ressorts étrangers sont ou ne sont pas identiques. Il me semble qu'il faut procéder en deux étapes. Premièrement, le sens, l'objet et l'effet de chaque loi étrangère doivent être établis indépendamment. Cela doit se faire, je pense, selon les règles du droit international privé canadien, par renvoi aux lois respectives des ressorts étrangers. Des experts doivent alors déposer à ce sujet devant le tribunal canadien. En second lieu, les lois étrangères sont alors comparées sous l'angle de leur sens, de leur objet et de leur effet respectifs pour déterminer si les infractions qu'elles créent sont identiques. Cela est fait, à mon avis, par recours au droit interne canadien, en l'espèce, la règle dégagée par cette Cour dans l'arrêt R. c. Prince, [1986] 2 R.C.S. 480. S'il est tout à fait approprié que la loi étrangère interprète et explique la nature, l'objet et l'effet de ses propres infractions, la comparaison de ces infractions, quand est en cause le principe canadien du double péril, semble manifestement réservée au droit canadien. Je ne crois pas, cependant, que ces deux étapes puissent être confondues en une seule.

71. Le témoin Spiros Gonakis, qualifié d'expert tant en droit pénal fédéral qu'en droit de l'Ohio, voulait les fusionner en une seule et a donné son opinion d'expert non seulement sur la nature des deux infractions étrangères en cause, mais aussi sur la mesure dans laquelle elles seraient identiques pour les fins du double péril, tout en reconnaissant que ce principe n'était pas un moyen de défense opposable à l'inculpation fondée sur le droit de l'Ohio. Selon son témoignage, les deux infractions sont identiques. Il a reconnu toutefois que les éléments essentiels des infractions diffèrent et que les moyens de défense possibles diffèrent aussi. Le juge Steele, de même que la Cour d'appel, a donc écarté cette opinion quant à leur identité.

72. Il me semble que, à l'audience d'extradition, l'avocat de l'appelante ne s'est pas acquitté de la charge qui lui était impartie, en vertu de l'art. 7 et de l'al. 11h) de la Charte, de démontrer que l'infraction fédérale était la même que celle de l'état d'Ohio. N'étant pas parvenu à le démontrer, il n'est pas parvenu à démontrer qu'il y aurait violation des droits conférés par la Charte à l'appelante si l'ordonnance que recherchaient les intimés était rendue. Cela suffit à mettre fin au litige en l'espèce.

73. Par ces motifs, je souscris à la solution apportée au pourvoi par le juge La Forest. Je conviens aussi avec lui, pour les motifs qu'il donne, que la Cour a compétence pour entendre le présent pourvoi.

74. J'ai maintenant eu l'avantage de prendre aussi connaissance des motifs du juge Lamer. Tout en convenant parfaitement avec lui de l'applicabilité de la Charte aux procédures d'extradition de l'appelante (sans trancher la question de l'article premier), j'ai néanmoins quelques réserves quand il dit qu'une personne qui fait l'objet de procédures d'extradition au Canada est un "inculpé" au Canada aux termes de la disposition liminaire de l'art. 11. Je rappellerai plutôt que cette disposition ne fait l'objet d'aucune réserve géographique. L'appelante est, on ne saurait prétendre le contraire, une "inculpée", quoiqu'elle ne le soit pas au Canada, mais en Ohio, c.‑à‑d. inculpée de vol d'enfant, mais il s'agit d'une personne se trouvant "au Canada", qui a droit à la protection de l'art. 7 et de l'al. 11h) dans toutes procédures se déroulant au Canada concernant cette inculpation, que ces procédures tiennent ou non du procès. C'est sur cette base que je serais portée à conclure que l'appelante aurait eu droit à la protection de l'al. 11h) (sous réserve, bien entendu, de l'application de l'article premier, question que je laisse en suspens) si elle avait pu démontrer qu'elle était inculpée en Ohio de la même infraction que celle pour laquelle elle avait été acquittée en vertu du United States Code. On peut douter que l'appelante puisse se prévaloir de l'al. 11h) au texte fort strict, mais il me semble clair qu'elle peut profiter de l'art. 7, au texte beaucoup plus large et qu'elle a droit à sa protection dans des procédures d'extradition, sous réserve encore une fois de l'application de l'article premier.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l'appelante: Jack L. Pinkofsky, Toronto.

Procureur des intimés: Roger Tassé, Ottawa.


Synthèse
Référence neutre : [1987] 1 R.C.S. 500 ?
Date de la décision : 14/05/1987
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Pourvoi - Cour suprême du Canada - Compétence - Extradition - Habeas corpus - Compétence de la Cour suprême du Canada pour entendre un pourvoi interjeté dans le cadre de procédures d'habeas corpus dans une affaire d'extradition - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 719(5) - Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S‑19, art. 40.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Application de la Charte - Double péril - Extradition - Fuite de l'appelante au Canada après son acquittement relativement à une accusation d'enlèvement aux termes de la loi fédérale américaine, mais avant son procès relativement à l'accusation de vol d'enfant aux termes de la loi de l'état par suite du même acte - Applicabilité de la Charte aux actes d'un pays étranger - Applicabilité de l'art. 11h) de la Charte à une audience d'extradition - Charte canadienne des droits et libertés, art. 11h), 32.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Justice fondamentale - Fuite de l'appelante au Canada après son acquittement relativement à une accusation d'enlèvement aux termes de la loi fédérale américaine, mais avant son procès relativement à l'accusation de vol d'enfant aux termes de la loi de l'état par suite du même acte - La remise de la fugitive à un pays étranger viole‑t‑elle l'art. 7 de la Charte?.

Extradition - Compétence des juges d'extradition - Moyen de défense d'autrefois acquit invoqué à l'audience d'extradition - Compétence du juge d'extradition pour examiner des moyens de défense qui pourraient être soulevés au procès.

L'appelante, une citoyenne canadienne, alléguant qu'elle a déjà été acquittée relativement à une accusation d'enlèvement fondée sur le même acte et portée en vertu de la loi fédérale américaine, s'oppose à son extradition aux États‑Unis pour y répondre à une accusation d'avoir enfreint la loi de l'état d'Ohio en commettant le vol d'un enfant. Elle prétend que l'extradition constitue une violation à la fois des droits que lui confèrent l'art. 7 et l'al. 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés et des dispositions du traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis. Le juge d'extradition, le juge qui a révisé l'affaire sur habeas corpus et la Cour d'appel de l'Ontario ont tous écarté ce moyen de défense.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

(1) La question de compétence

Le paragraphe 719(5) du Code criminel attribue à la Cour compétence pour entendre le pourvoi. Eu égard à l'évolution qu'a suivie cette disposition, il ne fait pas de doute qu'elle est destinée à conférer aux tribunaux d'appel et à cette Cour un droit général d'entendre des appels en matière d'habeas corpus, y compris celles découlant d'une demande d'extradition. Quand il a adopté cette disposition, le législateur n'a manifestement pas tenu compte de l'art. 40 de la Loi sur la Cour suprême. Il faut toutefois présumer que l'art. 719 l'emporte sur l'art. 40. Dans la mesure donc où il y a conflit entre l'art. 40 de la Loi sur la Cour suprême et l'art. 719 du Code, l'art. 40 a été implicitement abrogé.


Parties
Demandeurs : Canada
Défendeurs : Schmidt

Références :

Jurisprudence
Arrêts examinés: Re Federal Republic of Germany and Rauca (1983), 4 C.C.C. (3d) 385
Re Meier and The Queen (1983), 8 C.C.C. (3d) 210
arrêts non suivis: Re Lazier (1899), 29 R.C.S. 630
Gaynor and Greene v. United States of America (1905), 36 R.C.S. 247
arrêts mentionnés: Re Low (1932), 41 O.W.N. 468
Ecrement v. Séguin (1921), 39 C.C.C. 113
Re Storgoff, [1945] R.C.S. 526
Re Wattebled (1952), 106 C.C.C. 200
Re Johnston and Shane (1959), 18 D.L.R. (2d) 102.
(2) Les questions relatives à l'extradition et à la Charte
Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Le Dain et La Forest: Une audience d'extradition n'est pas un procès. C'est simplement une audience visant à déterminer s'il existe une preuve suffisante d'un crime donnant lieu à extradition pour justifier que le gouvernement, dans l'exécution de ses obligations conventionnelles, livre un fugitif à un pays étranger pour qu'il y subisse son procès relativement à une infraction commise dans son ressort. Donc, le juge qui préside une audience d'extradition n'a pas compétence pour examiner les moyens de défense qui pourraient être soulevés au procès, à moins que, bien entendu, la Loi ou le traité n'en dispose autrement. En l'espèce, le sous‑alinéa 4(1)(i) du traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis porte expressément que l'extradition ne doit pas être accordée "Lorsque l'individu dont l'extradition est demandée ou bien fait l'objet de poursuites ou bien a été jugé et acquitté ou puni, sur le territoire de l'État requis, pour l'infraction motivant la demande d'extradition". Si les parties avaient estimé que le double péril dans l'État requérant devait constituer un moyen de défense valable à une audience d'extradition, le traité en aurait fait mention puisque, de toute évidence, cette question était présente à leur esprit.
L'alinéa 11h) de la Charte ne s'applique pas à une audience d'extradition. Il ne fait pas de doute que les actes accomplis par le gouvernement du Canada en matière d'extradition, comme dans d'autres domaines, font l'objet de contrôle en vertu de la Charte (art. 32). La Charte ne s'applique toutefois pas aux actes d'un pays étranger. En particulier, on ne saurait donner à la Charte un effet qui la rendrait applicable à la conduite de procédures criminelles dans un pays étranger. L'article 11 se rapporte aux accusations portées par les gouvernements visés par l'art. 32 de la Charte. Une audience d'extradition ne tombe pas dans cette catégorie.
Il ne s'ensuit pas que la Charte est inapplicable à l'extradition. Bien que la procédure générale d'extradition constitue aux fins de l'article premier de la Charte une restriction raisonnable apportée au droit que peut avoir un fugitif de ne pas être extradé pour qu'il soit jugé, la manière dont les procédures se déroulent au Canada et les conditions dans lesquelles s'effectue la livraison d'un fugitif peuvent faire l'objet d'un examen en vertu de la Charte. On doit reconnaître la prééminence de la Constitution
le traité, l'audience d'extradition au Canada et l'exercice par l'exécutif de son pouvoir discrétionnaire d'extrader un fugitif doivent tous se conformer aux exigences de la Charte, y compris les principes de justice fondamentale.
D'une manière générale, il n'y a rien d'injuste à livrer à un pays étranger une personne accusée d'y avoir commis un crime pour qu'elle y soit jugée selon les procédures ordinaires en vigueur dans le pays en question, même si ces procédures ne remplissent pas les exigences constitutionnelles précises relatives aux procès dans notre pays. Mais les tribunaux peuvent intervenir si, dans les circonstances particulières d'une affaire, la décision de l'exécutif d'extrader un fugitif allait à l'encontre des principes de justice fondamentale. Cette compétence doit toutefois s'exercer avec prudence. Le pouvoir discrétionnaire de prendre la décision d'extrader appartient surtout à l'exécutif et il s'agit d'un domaine où l'exécutif sera vraisemblablement bien mieux renseigné que les tribunaux et où ces derniers doivent se montrer extrêmement circonspects afin d'éviter toute ingérence indue dans des décisions où il y va de la bonne foi et de l'honneur du Canada dans ses relations avec d'autres états. En un mot, l'intervention des tribunaux doit se limiter aux cas où cela s'impose réellement. Finalement, à moins de circonstances criantes ou urgentes, les tribunaux ne devraient pas normalement intervenir avant que l'exécutif n'ait ordonné l'extradition.
En l'espèce, l'extradition de l'appelante ne viole pas l'art. 7 de la Charte. La tentative par les autorités de l'état d'Ohio d'appliquer leurs propres lois ne constitue pas une atteinte aux principes de justice fondamentale du seul fait que les autorités fédérales, en essayant d'appliquer les lois fédérales, ont poursuivi l'appelante pour une infraction assez semblable à celle qui fait l'objet des poursuites entamées par l'état. Les deux infractions comportent des éléments différents
les intérêts en jeu sont différents et il s'agit de poursuivants différents qui fonctionnent indépendamment les uns des autres. Par conséquent, il n'y a rien qui soit opprimant au point de justifier que l'on refuse l'extradition pour le motif que de telles poursuites constituent ipso facto une entorse aux principes de justice fondamentale.
Le juge Lamer: La Charte ne s'applique pas aux actes d'un pays étranger et, en particulier, elle est inapplicable à la conduite de procédures criminelles dans un pays étranger. Cela étant, on ne devrait pas, si ce n'est dans des circonstances spéciales, donner à la Charte un effet extra‑territorial en refusant de mener une enquête ou de livrer une personne pour le motif que le procès éventuel dans le pays étranger violerait ses dispositions. La Charte s'applique toutefois aux procédures d'extradition qui se déroulent au Canada. Ces procédures sont de la nature d'une enquête préliminaire et il n'existe aucune raison pour laquelle une personne qui subit une telle enquête, dont l'objet est de déterminer s'il y a suffisamment de preuves pour la renvoyer à son procès dans un pays étranger, ne pourrait pas bénéficier de la protection qu'on lui accorderait à l'enquête préliminaire relativement à une accusation en vue d'un procès devant un tribunal canadien. Donc, les art. 7 à 14 de la Charte s'appliquent à ces procédures dans la mesure où ils seraient applicables à une enquête préliminaire.
Le plaidoyer d'autrefois acquit, qu'il soit soulevé en vertu de l'al. 11h) ou de l'art. 7, est prématuré au stade de l'enquête préliminaire et devrait généralement être soulevé au procès. Mais l'autrefois acquit pourrait être soulevé à l'audience d'extradition lorsque le pays étranger où le procès doit avoir lieu n'accepte pas ce plaidoyer à l'égard de décisions, comme en l'espèce, rendues dans des poursuites au niveau fédéral et au niveau des états. Ici, cependant, le plaidoyer d'autrefois acquit soulevé par l'appelante doit échouer parce que les deux infractions en question comportent des éléments bien différents.
Le juge Wilson: Un citoyen canadien qui fait l'objet de procédures d'extradition au Canada peut bénéficier de la protection de la Charte dans le cadre de ces procédures. Les droits conférés par la Charte sont inscrits dans notre Constitution
ils font ainsi partie intégrante de la loi fondamentale du Canada et doivent être reconnus et recevoir effet dans toute instance judiciaire se déroulant au Canada, à moins qu'une restriction raisonnable, justifiée en vertu de l'article premier, ne les limite. Certes, le fait de reconnaître l'application des droits conférés par la Charte dans les procédures d'extradition canadiennes peut avoir des répercussions à l'étranger, mais cela n'équivaut pas à donner un effet extra‑territorial à la Charte ni ne constitue une ingérence dans les voies de droit d'un tribunal étranger. En l'espèce, l'appelante avait le droit d'invoquer l'art. 7 et l'al. 11h) comme moyen de défense contre la délivrance par le tribunal d'extradition d'une ordonnance de détention en attendant la décision de l'exécutif du gouvernement sur l'extradition. N'ayant cependant pas prouvé que l'infraction fédérale et celle de l'état étaient identiques, elle n'est pas parvenue non plus à démontrer qu'il y aurait eu violation des droits que lui conférait la Charte si l'ordonnance que recherchaient les intimés avait été rendue.
Jurisprudence
Citée par le juge La Forest
Arrêts mentionnés: Re Federal Republic of Germany and Rauca (1983), 4 C.C.C. (3d) 385
Bartkus v. Illinois, 359 U.S. 121 (1959)
Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228
Re Burley (1865), 1 C.L.J. 34
Atkinson v. United States of America Government, [1971] A.C. 197
Re Windsor (1865), 6 B. & S. 522, 122 E.R. 1288
Re Collins (No. 3) (1905), 10 C.C.C. 80
Spencer c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 278
R. v. Heit (1984), 11 C.C.C. (3d) 97
Re Ryan, 360 F. Supp. 270 (1973)
Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441
Altun v. Germany (1983), 5 E.H.R.R. 611
Holmes v. Laird, 459 F.2d 1211 (D.C. Cir. 1972), certiorari refusé 409 U.S. 869
Gallina v. Fraser, 177 F. Supp. 856 (D. Conn. 1959), conf. 278 F.2d 77 (2d Cir. 1960), certiorari refusé 364 U.S. 851
Neely v. Henkel (No. 1), 180 U.S. 109 (1901)
Re Arton, [1896] 1 Q.B. 108
Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161
R. v. Chiasson (1982), 135 D.L.R. (3d) 499 (C.A.N.‑B.), conf. [1984] 1 R.C.S. 266
United States v. Lanza, 260 U.S. 377 (1922)
Abbate v. United States, 359 U.S. 187 (1959).
Citée par le juge Lamer
Arrêt mentionné: R. c. Prince, [1986] 2 R.C.S. 480.
Citée par le juge Wilson
Arrêts mentionnés: Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177
Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441
Re Federal Republic of Germany and Rauca (1983), 4 C.C.C. (3d) 385
R. c. Prince, [1986] 2 R.C.S. 480.
Lois et règlements cités
18 United States Code, art. 1201.
Accord d'extradition entre le Canada et Israël, 10 mars 1967, R.T. can. 1969 no 25, art. 4.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 6, 7, 8, 9, 10, 11d), e), f), h), 12, 13, 14, 15, 32.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 535, 719(5) [antérieurement art. 691 (aj. 1964‑65, chap. 53)].
Extradition Act, 1870 (R.‑U.), 33 & 34 Vict., chap. 52.
Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1952, chap. 259, art. 57, 58.
Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S‑19, art. 40 [mod. 1974‑75‑76, chap. 18, art. 4].
Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, chap. E‑21, art. 3, 13, 18.
Ohio Rev. Code Ann., art. 2905.04.
Traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique, 3 décembre 1971, R.T. can. 1976 no 3, art. 2, 4(1)(i), 8.
Doctrine citée
Clarke, Sir Edward. A Treatise Upon the Law of Extradition, 4th ed. London: Stevens & Haynes, 1903.
La Forest, Gérard Vincent. Extradition To and From Canada, 2nd ed. Toronto: Canada Law Book, 1977.

Proposition de citation de la décision: Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500 (14 mai 1987)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1987-05-14;.1987..1.r.c.s..500 ?
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