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25/06/1987 | CANADA | N°[1987]_1_R.C.S._1045

Canada | R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] 1 R.C.S. 1045 (25 juin 1987)


R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045

Edward Dewey Smith Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et

Procureur général de l'Ontario Intervenant

répertorié: r. c. smith (edward dewey)

No du greffe: 18561.

1985: 10 décembre; 1987: 25 juin.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Chouinard*, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

*Le juge Chouinard n'a pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑B

ritannique (1984), 11 C.C.C. (3d) 411, 39 C.R. (3d) 305, qui a rejeté l'appel de la peine infligée par le juge Wetmore de la Cour de...

R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045

Edward Dewey Smith Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et

Procureur général de l'Ontario Intervenant

répertorié: r. c. smith (edward dewey)

No du greffe: 18561.

1985: 10 décembre; 1987: 25 juin.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Chouinard*, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

*Le juge Chouinard n'a pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1984), 11 C.C.C. (3d) 411, 39 C.R. (3d) 305, qui a rejeté l'appel de la peine infligée par le juge Wetmore de la Cour de comté et renversé la décision du juge Wetmore portant que le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants est contraire à l'art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et est donc inopérant. Pourvoi accueilli, le juge McIntyre est dissident.

A. P. Serka et Ann Cameron, pour l'appelant.

S. David Frankel et James A. Wallace, pour l'intimée.

John C. Pearson, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.

Version française du jugement du juge en chef Dickson et du juge Lamer rendu par

1. Le juge Lamer—

Introduction

2. Ceux qui cèdent à l'appât du gain en important et en vendant des drogues dures sont responsables de la dégénérescence progressive mais inexorable d'un bon nombre de leurs semblables, en raison de l'état de dépendance vis‑à‑vis de la drogue qui se crée chez ces derniers. Du fait qu'ils constituent la cause directe des épreuves que subissent leurs victimes et leurs familles, on doit faire en sorte que ces importateurs assument eux aussi leur juste part de culpabilité pour toutes les sortes de crimes graves innombrables que commettent les toxicomanes en vue de satisfaire à leur besoin de drogue. Avec égards, j'estime que de telles personnes, à quelques rares exceptions près (comme par exemple la culpabilité des toxicomanes qui s'adonnent à l'importation non seulement pour répondre à leurs propres besoins mais aussi pour les défrayer, n'est pas nécessairement aussi grande que celle des non‑utilisateurs insensibles), si elles sont déclarées coupables, devraient être condamnées et purger effectivement de longues périodes d'incarcération. Toutefois, la plupart des Canadiens considéreraient cruel, et voire même, très étrange qu'un juge condamne à sept ans de pénitencier la jeune personne qui, à son retour en voiture au Canada après avoir passé son congé de mi‑session d'hiver aux États‑Unis, aurait été surprise en possession d'un seul, et même, postulons‑le, de son premier "joint de mari".

3. Et pourtant, il existe au Canada une règle de droit, soit le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N‑1, qui ne laisse à aucun juge du pays d'autre choix.

4. L'article 5 de la Loi sur les stupéfiants se lit ainsi:

5. (1) Sauf ainsi que l'autorisent la présente loi ou les règlements, nul ne peut importer au Canada ni exporter hors de ce pays un stupéfiant quelconque.

(2) Quiconque enfreint le paragraphe (1) est coupable d'un acte criminel et peut être condamné à l'emprisonnement à perpétuité, mais encourt un emprisonnement d'au moins sept ans.

5. Si une telle situation ne s'est jamais présentée à ma connaissance, c'est simplement parce que le ministère public a choisi d'exercer favorablement son pouvoir discrétionnaire d'accuser une telle personne non pas de l'infraction qu'elle a vraiment commise, mais plutôt d'une infraction moindre. Toutefois, la possibilité que cette personne soit accusée d'importation est toujours présente. À cette possibilité s'ajoute la certitude que, s'il y a déclaration de culpabilité, un minimum de sept années d'emprisonnement devra être imposé. C'est à cause de cette certitude que je conclus que l'emprisonnement obligatoire minimal que l'on trouve au par. 5(2) va à l'encontre de l'art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit à tous et chacun d'entre nous le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

6. L'appelant est rentré au Canada en provenance de Bolivie avec sept onces et demie de cocaïne pure à 85 ou 90 pour 100, dissimulées sur sa personne. Devant la Cour de comté de Vancouver (C.‑B.), il a plaidé coupable à l'accusation d'avoir importé un stupéfiant contrairement au par. 5(1) de la Loi sur les stupéfiants, précitée, et a été condamné à huit ans de pénitencier.

La question en litige

7. La question constitutionnelle suivante, formulée par le Juge en chef, demeure la seule dont la Cour est saisie, l'appelant ayant abandonné tous ces autres moyens à l'audience:

La sentence minimale obligatoire de sept ans imposée par le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N‑1, est‑elle contraire ou porte‑t‑elle atteinte aux droits et garanties énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés et, en particulier, aux droits énoncés aux art. 7, 9 et 12?

8. Pour des raisons que j'exposerai ultérieurement, je ne traiterai que de l'art. 12 de la Charte. Comme l'appelant ne conteste pas la constitutionnalité de la peine maximale d'emprisonnement à vie, mais uniquement la peine minimale d'emprisonnement de sept ans, la question en litige se limite donc à déterminer si les neuf mots qui terminent le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants ont pour effet, dans certaines circonstances, de ne laisser au juge d'autre choix que d'assujettir les personnes reconnues coupables en vertu de cette disposition à une peine cruelle et inusitée.

Les dispositions législatives

Importation

9. Le juge McIntyre, s'exprimant au nom de la Cour à la majorité, dans l'arrêt Bell c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 471, définit ainsi l'importation, aux pp. 488 et 489:

À mon avis, puisque la Loi sur les stupéfiants ne fournit pas de définition particulière de ce mot, c'est son sens ordinaire qu'il faut retenir, c'est‑à‑dire simplement d'introduire ou de faire introduire au pays.

10. Dans des motifs distincts, le juge Dickson, alors juge puîné, se dit d'accord avec cette définition, son désaccord portant sur un autre aspect de la notion d'importation qui est sans importance en l'espèce.

Stupéfiant

11. L'article 2 de la Loi définit ainsi le terme "stupéfiant":

2. ...

"stupéfiant" désigne toute substance mentionnée dans l'annexe, ou tout ce qui contient une telle substance;

12. Cette définition renvoit à une annexe qui énumère quelque vingt substances et leurs préparations, dérivés, alcaloïdes, sels et, pour certaines tel le chanvre indien (cannabis), les préparations synthétiques semblables. L'annexe couvre une grande variété de drogues allant, selon les dangers qu'elles présentent, du "pot" à l'héroïne.

13. L'objet de l'importation, que ce soit pour trafic ou pour consommation personnelle, et la quantité importée sont sans importance pour ce qui est de la culpabilité en vertu de l'art. 5. Par exemple, le vendeur de drogues dures reconnu coupable d'avoir importé une grande quantité d'héroïne et le touriste reconnu coupable d'avoir ramené un "joint" dans son pays sont traités sur le même pied et doivent tous deux être condamnés à au moins sept ans de pénitencier.

Déclaration canadienne des droits

14. Les alinéas 2a) et b) de la Déclaration portent:

2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme

a) autorisant ou prononçant la détention, l'emprisonnement ou l'exil arbitraires de qui que ce soit;

b) infligeant des peines ou traitements cruels et inusités, ou comme en autorisant l'imposition;

Charte canadienne des droits et libertés

15. Les articles 7, 9 et 12 de la Charte garantissent les droits suivants:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires.

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

Les jugements

La Cour de comté de Vancouver

16. Après avoir plaidé coupable devant le juge Wetmore de la Cour de comté, l'accusé a contesté la constitutionnalité de la peine minimale de sept ans qu'on trouve au par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, pour le motif qu'elle était incompatible avec les dispositions des art. 7, 9 et 12 de la Charte, et il a demandé au juge de statuer sur ce point avant que ne soient faites les représentations sur la sentence. Le juge de première instance, dans ses motifs ((1983), 35 C.R. (3d) 256), conclut ce qui suit au sujet des art. 7 et 9, à la p. 258:

[TRADUCTION] L'avocat du défendeur n'a pas insisté sur son argument fondé sur l'art. 7 de la Charte. Au sujet du caractère arbitraire, l'art. 9, je conclus, au nom de la courtoisie judiciaire, que l'argument a été tranché en faveur du ministère public dans la décision R. v. Newall (1982), 70 C.C.C. (2d) 10, 141 D.L.R. (3d) 26, 2 C.R.R. 156 (C.S.C.‑B.) Cette décision, comme d'autres, devra peut‑être recevoir une interprétation limitée en temps utile si on conclut que la Charte non seulement protège les citoyens qui comparaissent devant les tribunaux, mais aussi confère à ces tribunaux le pouvoir de protéger le citoyen contre l'arbitraire du législateur.

17. L'essentiel du raisonnement du juge Wetmore concernant l'art. 12 se trouve dans le passage suivant de son jugement, à la p. 261:

[TRADUCTION] L'article 5 de la Loi sur les stupéfiants peut permettre d'emprisonner pour sept ans la personne reconnue coupable de possession simple d'une quantité minimale d'un stupéfiant introduit au Canada. Il rend apparemment le juge qui inflige la peine impuissant à en mitiger la rigueur.

L'exemple que je viens de donner de la cigarette de marihuana ne diffère que sur le plan des concepts de celui de la possession du même stupéfiant à l'intérieur des frontières. Dans ce dernier cas, celui qui est en possession du stupéfiant ne risquerait probablement pas d'être emprisonné ou, tout au plus, il pourrait se voir imposer une faible peine d'incarcération. Compte tenu de cette situation, la disparité est tellement grande qu'elle choque la société contemporaine, elle n'est pas nécessaire à la lutte contre les stupéfiants et elle entraîne donc une peine cruelle et inusitée.

C'est pourquoi je me propose de considérer les termes "mais encourt un emprisonnement d'au moins sept ans", à la fin du par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants comme inopérants pour le motif qu'ils contreviennent à l'art. 12 de la Charte et qu'ils sont donc ultra vires du Parlement.

18. Cette conclusion me paraît reposer sur la disproportion potentielle de la peine obligatoire compte tenu de l'éventail des infractions, des diverses façons dont elle peuvent être commises et de la sévérité de la peine comparativement à celle infligée à d'autres personnes ayant commis des infractions identiques en gravité et en nature. Ayant décidé cela, il a alors entendu les parties avant de rendre sa sentence puis a infligé une peine d'incarcération de huit ans dans un pénitencier.

La Cour d'appel

19. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a rejeté l'appel interjeté par Smith ((1984), 11 C.C.C. (3d) 411). Le juge Craig s'est fondé sur l'arrêt R. v. Konechny (1983), 10 C.C.C. (3d) 233, également un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique. Dans cette affaire, il a été jugé que la peine minimale de sept jours qui, aux termes de la Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, chap. 288, devait être imposée aux personnes reconnues coupables d'avoir conduit leur véhicule tout en sachant que leur permis de conduire était suspendu, n'était pas incompatible avec les art. 9 et 12 de la Charte. Il s'est aussi fondé sur l'arrêt R. v. Shand (1976), 30 C.C.C. (2d) 23, un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario fondé sur la Déclaration canadienne des droits. La Cour d'appel, dans cette affaire, a jugé que la peine minimale de sept ans prescrite au par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, la même disposition dont nous sommes saisis en l'espèce, n'était [TRADUCTION] "pas disproportionnée à l'infraction au point de rendre la peine prescrite cruelle et inusitée". En l'espèce, le juge Craig a conclu que l'article n'était pas incompatible avec la Charte et, estimant que la peine de huit ans infligée par le juge Wetmore de la Cour de comté était appropriée, il a rejeté l'appel de la sentence.

20. Le juge Macdonald s'est dit d'accord avec le juge Craig, mais il s'est étendu quelque peu sur le sens et la portée de l'art. 9. À cet égard, il a cité un passage de l'arrêt R. v. Konechny, précité, où le juge Macfarlane dit, à la p. 254:

[TRADUCTION] Les tribunaux se sont vu conférer le pouvoir, en vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, de contrôler les lois, et dans les cas appropriés, de les annuler. Mais cela ne signifie pas que le juge est autorisé à substituer son opinion à celle du législateur qui, dans notre système démocratique, a le pouvoir d'énoncer des politiques générales. Le fondement de ces politiques peut être contrôlé lorsqu'on dit qu'elles entrent en conflit avec les droits individuels garantis par la Charte mais, à mon avis, la politique ainsi énoncée ne devrait pas être annulée dans le cas d'une contestation fondée sur l'art. 9, à moins qu'elle n'ait aucun fondement rationnel. Si cette politique a un fondement rationnel, je ne pense pas qu'il appartienne au juge de dire qu'elle est capricieuse, déraisonnable ou injustifiée.

Le juge Macdonald, se référant de toute évidence aux termes "capricieuse, déraisonnable ou injustifiée", ajoute ensuite, à la p. 434:

[TRADUCTION] Je souscris à ce passage, sauf que ces trois termes ne devraient pas être considérés comme une définition complète du caractère arbitraire.

En conclusion, il dit, à la p. 434:

[TRADUCTION] La démarche qu'il faut suivre est, à mon avis, indiquée dans l'extrait que je viens de citer du jugement du juge Macfarlane. L'appliquant à l'espèce, et compte tenu de ce qui a été dit dans l'arrêt R. v. Shand concernant l'adoption du par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, je ne suis pas convaincu que celui‑ci viole l'art. 7 ou l'art. 9 de la Charte.

Il a donc jugé, à l'instar du juge Craig, que la peine était appropriée.

21. Le juge Lambert, dissident, ne s'est intéressé qu'à l'art. 9 pour conclure que le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants était, à première vue, incompatible avec les droits garantis par cet article. À la page 425, il résume ainsi ses motifs de jugement:

[TRADUCTION] Bref, le par. 5(2) fait que la culpabilité ou l'innocence relativement à une accusation d'importation ou d'exportation d'un stupéfiant est déterminée judiciairement par un juge ou un jury; mais la peine n'est pas déterminée par un juge ou un jury, elle est déterminée à l'avance par le législateur. Cette détermination à l'avance par le législateur ne tient pas compte du contrevenant lui‑même ni des circonstances ayant entouré la perpétration de l'infraction. À cet égard, elle est arbitraire et l'emprisonnement qui en résulte est lui aussi arbitraire.

Il hésitait quant à la démarche appropriée à suivre pour déterminer si une loi, qui viole à première vue un article, peut être sauvegardée en vertu de l'article premier de la Charte. Cela se comprend puisque l'arrêt de la Cour d'appel dans cette affaire a été rendu bien avant l'arrêt de cette Cour R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Quoi qu'il en soit, les efforts déployés par le ministère public pour sauvegarder l'article n'ont pas satisfait le juge Lambert. Toutefois, il a choisi de ne pas rendre une ordonnance [TRADUCTION] "déclarant le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, ou ses neuf derniers mots, inconstitutionnels", se bornant à décider qu'il ne s'appliquait pas à l'accusé Smith. Il aurait infligé une peine de cinq ans d'emprisonnement.

22. Ayant conclu que la peine minimale qu'impose le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants viole l'art. 12 de la Charte, je ne me sens pas obligé d'aborder les art. 9 et 7. J'en suis bien aise vu que je préfère ne pas aborder l'art. 9, compte tenu des débats dans l'ensemble des instances. En fait, il y a eu peu ou pas du tout d'argumentation au sujet de l'art. 7; quant aux arguments portant sur l'art. 9, ils ont été plutôt limités. Bien entendu, le juge Lambert a analysé exhaustivement et exclusivement l'art. 9. Sa conclusion qu'une peine déterminée à l'avance par le législateur est imposée arbitrairement, si elle était juste, signifierait que toutes les peines minimales sont invalides et probablement aussi toutes les peines maximales.

23. De plus, l'art. 7 n'a pas vraiment été examiné en fonction de l'art. 9. Cela se comprend puisqu'à l'époque cette Cour ne s'était pas encore prononcée dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, où l'on commente le rapport entre l'art. 7 et les art. 8 à 14 et où les "principes de justice fondamentale" sont définis comme accordant plus qu'une simple protection en matière de procédure en vertu de cet article. Je ne crois pas qu'il serait sage d'aborder l'art. 9 sans profiter des opinions exprimées par les tribunaux d'instance inférieure au sujet de son rapport avec l'art. 7. Enfin, on trouve des peines fixes minimales dans des lois provinciales et toute décision qui annulerait les peines minimales comme telles toucherait toutes ces lois. Or un seul procureur général est intervenu. Je suppose que cela pourrait s'expliquer par le fait que les poursuites intentées en vertu du par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants le sont par le "ministère public fédéral". Quelle que soit la raison, je ne saurais me permettre de me prononcer sur la validité de l'ensemble des peines minimales par rapport à l'art. 9, sans avoir examiné en profondeur ces questions et sans qu'il n'y ait eu d'argumentation fondée sur l'article premier de la Charte.

Une peine cruelle et inusitée

Historique

24. Nous avons au Canada, par le préambule de notre Constitution, adopté la restriction législative énoncée en Angleterre à l'art. 10 du Bill of Rights de 1688, 1 Wm. & M., sess. 2, chap. 2 qui dispose:

[TRADUCTION] 10. Il ne pourra être exigé de cautionnement excessif, ni imposé d'amendes excessives, ni infligé de châtiments cruels et inusités. [C'est moi qui souligne.]

25. Il était donc possible pour nos tribunaux d'interpréter les lois du Canada et de choisir parmi divers sens celui qui permet d'éviter l'imposition d'une peine cruelle et inusitée. Je ne connais aucune décision publiée dans laquelle les tribunaux ont invoqué cette partie de l'art. 10 du Bill of Rights d'Angleterre.

26. L'article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, A.G. Rés. 2200 A (XXI), 21 N.U. GAOR, Supp. (no 16) 52, Doc. A/6316 N.U. (1966), est aussi digne de mention. Il dispose:

Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

27. L'expérience d'autres pays au sujet du Pacte et du Protocole facultatif, auxquels le Canada a adhéré en 1976, peut parfois être utile pour tenter d'interpréter les dispositions pertinentes de la Charte. Toutefois, je ne connais aucune jurisprudence internationale portant sur l'interprétation de l'art. 7 qui pourrait nous être utile en l'espèce, étant donné que la plupart des cas où l'on a abordé cette disposition portent sur les conditions d'incarcération ou sur le type de traitements auxquels ont été soumis des détenus.

28. L'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, 213 R.T.N.U. 223 (1950), et l'art. 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (A.G. Rés. 217 A (III), Doc. A/810 N.U. (1948), à la p. 71) offrent eux aussi une protection analogue contre les peines cruelles ou inhumaines mais, là encore, elles ne sont pas d'un grand secours en l'espèce.

29. Ce n'est qu'après l'adoption de notre propre Déclaration canadienne des droits, plus particulièrement de l'al. 2b), que les tribunaux se sont penchés sur le sens des termes mêmes "peine cruelle et inusitée". Quoique l'on ait invoqué dans bien des affaires la protection contre les peines ou traitements cruels et inusités que l'on trouve à l'al. 2b) de la Déclaration canadienne des droits, les tribunaux canadiens se sont souvent montrés peu disposés à examiner le bien‑fondé de cet argument. En réalité, dans la majorité des cas, les tribunaux ont sommairement rejeté l'argument de l'al. 2b) sans donner aucune raison. (Voir R. v. Dick, Penner and Finnigan, [1965] 1 C.C.C. 171 (C.A. Man.); Ex parte Kleinys, [1965] 3 C.C.C. 102 (C.S.C.‑B.); Re Laporte and The Queen (1972), 8 C.C.C. (2d) 343 (B.R. Qué.); R. v. Natrall (1972), 32 D.L.R. (3d) 241 (C.A.C.‑B.); Ex parte Matticks (1972), 10 C.C.C. (2d) 438 (C.A. Qué.), confirmé par (1973), 15 C.C.C. (2d) 213 (C.S.C.); Pearson c. Lecorre, C.S.C., le 3 octobre 1973, inédit; R. v. Hatchwell (1973), 14 C.C.C. (2d) 556 (C.A.C.‑B.), confirmé par [1976] 1 R.C.S. 39; Re Rojas and The Queen (1978), 40 C.C.C. (2d) 316 (H.C. Ont.))

30. Au cours des premières années qui ont suivi l'adoption de la Déclaration canadienne des droits, dans les rares cas où l'al. 2b) a fait l'objet d'une certaine analyse judiciaire, l'application de l'interdiction a été soit limitée au droit de ne pas se voir infliger une douleur physique excessive et inusitée (R. v. Buckler, [1970] 2 C.C.C. 4 (C. prov. Ont.), et Dowhopoluk v. Martin (1971), 23 D.L.R. (3d) 42 (H.C. Ont.)), soit rejetée par déférence pour la sagesse démontrée par le législateur en adoptant la loi attaquée (R. v. Dick, Penner and Finnigan, précitée, et R. v. Roestad (1971), 5 C.C.C. (2d) 564 (C. cté Ont.))

31. Ce n'est que quinze ans après l'adoption de la Déclaration canadienne des droits qu'une analyse plus approfondie de la protection accordée par l'al. 2b) a été entreprise. La seule décision où on a conclu qu'une peine ou un traitement était cruel et inusité au sens de la Déclaration canadienne des droits est McCann c. La Reine, [1976] 1 C.F. 570.

32. Dans cette décision, le juge Heald de la Division de première instance de la Cour fédérale a déclaré que les conditions d'incarcération auxquelles certains détenus étaient assujettis dans les cellules d'isolement du pénitencier de la Colombie‑ Britannique constituaient une peine ou un traitement cruel et inusité. À son avis, ce traitement ne servait aucune "fin pénale pratique", et même si cela avait été le cas, "il [était] contraire aux normes publiques de la décence et inutile". En outre, il existait, à son avis, "d'autres moyens plus appropriés" que ce traitement.

33. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a décidé, dans son arrêt R. v. Miller and Cockriell (1975), 24 C.C.C. (2d) 401, que la peine de mort en cas de meurtre n'était pas une peine cruelle et inusitée.

34. Insistant sur la nature non constitutionnelle de la Déclaration canadienne des droits, le juge Robertson, s'exprimant au nom du juge en chef Farris de la Colombie‑Britannique et en celui des juges Maclean et Carrothers, n'a pas jugé nécessaire de procéder à une analyse approfondie du sens des termes "cruels et inusités". On trouve un résumé de ses motifs dans le passage suivant à la p. 456:

[TRADUCTION] Pour résumer: l'art. 2 de la Déclaration des droits n'interdit pas d'appliquer les par. 214(1) et (2) et l'art. 218 du Code criminel pour le motif que la peine de mort prescrite par le Code constitue une peine cruelle et inusitée parce que (1) la peine de mort pour meurtre n'est pas inusitée au sens ordinaire et général du terme; (2) le législateur fédéral, lorsqu'il a adopté les modifications du Code, était d'avis que la peine n'était pas inusitée et la Cour ne saurait substituer son opinion (au cas où elle serait différente) à celle du législateur; et (3) le législateur a voulu que ce texte prévale et, par déduction nécessaire, a exclu l'application de l'art. 2 de la Déclaration des droits.

35. Dissident, le juge McIntyre, maintenant juge à la Cour suprême, a procédé à une analyse plus détaillée de la protection accordée par l'al. 2b) de la Déclaration canadienne des droits. À son avis, les termes "cruels et inusités" doivent être interprétés disjonctivement de sorte que [TRADUCTION] "les peines cruelles, même si elles sont usuelles dans le sens ordinaire du terme, pourraient être incluses dans la proscription". Il a souligné la nécessité que toute peine ait un effet dissuasif, mais il a affirmé qu'il y a d'autres facteurs à considérer et à évaluer par rapport à cet effet, à la p. 468:

[TRADUCTION] À mon avis, la peine capitale est une peine cruelle et inusitée si on ne peut prouver que son pouvoir de dissuasion l'emporte sur les objections qu'on peut soulever à son égard. De plus, même en lui supposant une certaine valeur de dissuasion, j'estime que la peine capitale est cruelle et inusitée si elle s'oppose aux normes de la décence et de la bienséance, si elle est inutile parce qu'il existe d'autres moyens suffisants, si elle ne peut être appliquée de façon raisonnable, conformément à des positions bien déterminées et si elle est excessive et disproportionnée aux crimes qu'elle s'efforce de réprimer.

36. Après avoir examiné les statistiques et d'autres données, le juge McIntyre a conclu que la peine capitale ne satisfait pas à ces critères et constitue donc une peine cruelle et inusitée.

37. Ce point de vue du juge McIntyre a été suivi par le juge Borins de la Cour de comté de l'Ontario dans l'affaire R. v. Shand (1976), 29 C.C.C. (2d) 199. Le juge Borins a décidé que la peine minimale obligatoire de sept ans d'emprisonnement, qu'impose le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, est cruelle et inusitée. Se fondant largement sur la jurisprudence américaine relative au Huitième amendement de la Constitution des États‑Unis, qui porte qu' [TRADUCTION] "Il ne pourra être exigé de cautionnement excessif, ni imposé d'amendes excessives, ni infligé de châtiments cruels et d'un genre inaccoutumé", et sur l'analyse à laquelle procède le juge McIntyre dans l'arrêt Miller and Cockriell, précité, le juge Borins affirme, à la p. 216:

[TRADUCTION] Ainsi, deux des facteurs qu'il faut prendre en considération pour déterminer si la peine minimale obligatoire en l'espèce constitue "une peine ou un traitement cruel et inusité" sont l'effet de la sévérité ou de la démesure de la peine par rapport à la "dignité de la personne humaine et à sa valeur" et le risque d'absence d'"égalité devant la loi" qui découle de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de poursuivre qui entraîne, à son tour, une peine arbitraire.

À son avis, exprimé à la p. 234, le par. 5(2) répondait à ces critères:

[TRADUCTION] À mon avis, une peine obligatoire de sept ans, pour un crime non violent, imposée sans considérer les antécédents personnels de l'accusé, est excessive au point de "choquer la conscience" et, à cause de sa nature arbitraire, est incompatible avec la dignité humaine. Une telle disposition constitue un empiétement inutile sur le pouvoir discrétionnaire traditionnel conféré au juge du procès quant à la peine à infliger.

38. La Cour d'appel de l'Ontario ((1976), 30 C.C.C. (2d) 23) a infirmé la décision du juge Borins de la Cour de comté et a jugé que le par. 5(2) n'impose pas une peine disproportionnée à l'infraction au point d'être cruelle et inusitée. Le juge Arnup, s'exprimant au nom des juges Brooke, Dubin, Martin et Blair, a jugé qu'il était préférable de ne pas contrecarrer l'intention expresse du législateur de dissuader les gens de commettre le crime grave d'importation de drogues, aux pp. 38 et 39:

[TRADUCTION] À supposer qu'il faille tenir compte de la disproportion, il faut le faire certainement d'abord en fonction de "la loi du Canada" qu'il faut "interpréter ou appliquer". À notre avis, une sentence minimale de sept ans pour avoir importé une drogue contrairement à la loi n'est pas disproportionnée à l'infraction au point de rendre cruelle et inusitée la peine prévue. Le problème de la drogue au Canada continue de prendre des proportions alarmantes. Les drogues qui, à l'occasion, peuvent être le plus en demande, le plus en usage ou qui représentent le plus grand danger, peuvent varier, mais le problème fondamental demeure.

La démarche du législateur est claire et directe. La plupart des drogues d'origine végétale ne proviennent pas du Canada. Si leur importation est interdite et assortie de lourdes peines en cas d'infraction, ces drogues ne pourront être introduites au pays. Leur culture est aussi interdite. Il en est de même de la fabrication sans autorisation des drogues chimiques proscrites. Le trafic de celles‑ci, quelles qu'elles soient, est une infraction grave.

Un mal national de ce genre requiert l'avis du législateur fédéral quant aux peines appropriées, non celui de chaque juge pris individuellement. Le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite est alors exercé par le choix d'accusations appropriées. Le pouvoir discrétionnaire du juge—qui demeure très large—est alors exercé, dans le cadre des peines prévues par le législateur, pour décider quelle peine est appropriée pour le contrevenant en question compte tenu de toutes les circonstances particulières de l'affaire.

39. Le débat qui oppose ceux qui favorisent une application restrictive de la Déclaration canadienne des droits par suite d'une grande hésitation à contrecarrer l'intention expresse du législateur par le recours à un texte non constitutionnel, et ceux qui sont déterminés à donner à l'al. 2b) un plus grand effet, a abouti à l'arrêt de cette Cour Miller et Cockriell c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680.

40. Dans cette affaire, tous les juges de la Cour ont convenu que la peine capitale pour meurtre ne constituait pas une peine cruelle et inusitée, mais différents raisonnements ont été adoptés pour parvenir à cette conclusion. Le juge Ritchie, à l'avis duquel ont souscrit les juges Martland, Judson, Pigeon et de Grandpré, a favorisé une attitude de déférence judiciaire pour l'objectif expressément visé par le législateur. À son avis, la nature non constitutionnelle de la Déclaration canadienne des droits exige l'application des règles d'interprétation traditionnelles. En outre, on a considéré qu'il n'est pas approprié de recourir à la jurisprudence américaine concernant le Huitième amendement comme guide d'interprétation de l'al. 2b) de la Déclaration canadienne des droits, les textes en question étant fort différents. Enfin, même si à son avis il n'est pas nécessaire, pour statuer sur le pourvoi, de donner une définition exhaustive des termes "cruels et inusités", le juge Ritchie ajoute, aux pp. 705 et 706:

Compte tenu de cette conclusion, j'estime que, pour analyser l'expression "peines ou traitements cruels et inusités" employée au par. 2b) de la Déclaration canadienne des droits, il n'est pas nécessaire d'examiner les normes morales actuelles de la collectivité ni l'effet dissuasif de la peine de mort. À mon avis, ces points soulèvent essentiellement des questions de principe qui, nécessairement, entrent en ligne de compte dans la décision du Parlement de maintenir ou non la peine de mort; . . .

À mon avis, les adjectifs "cruels et inusités" au par. 2b) de la Déclaration canadienne des droits doivent être pris conjonctivement et se rapportent aux "peines ou traitements" qui sont à la fois cruels et inusités. À ce sujet, je partage l'opinion du juge Robertson selon laquelle, puisque la peine de mort pour meurtre fait partie du droit anglais depuis des temps immémoriaux et qu'à l'époque de la perpétration du meurtre et du procès, la peine de mort existait dans notre droit et ce, depuis la Confédération, on ne peut prétendre qu'elle constitue une peine "inusitée" au sens ordinaire de ce terme.

41. Dans des motifs distincts, le juge Beetz convient avec le juge Ritchie que les termes "cruels et inusités" doivent être pris conjonctivement et, sans se demander si la Déclaration canadienne des droits crée de nouveaux droits, il souscrit à la conclusion du juge Ritchie.

42. Le juge en chef Laskin, appuyé par les juges Spence et Dickson, circonscrit plus précisément la protection accordée par l'al. 2b). Il dit, aux pp. 689 et 690:

Ces jugements de la Cour suprême des États‑Unis, que je considère au moins devoir être pris en considération, appuient l'opinion que les mots "cruel et inusité" ne doivent pas être considérés comme conjonctifs, en ce sens qu'il faudrait faire une analyse rigoureusement autonome de chaque mot et que le sens de chacun d'eux doive s'appliquer au cas en litige pour que cette disposition ait quelque effet sur la législation contestée. Il s'agit plutôt de termes qui se complètent et qui, interprétés l'un par l'autre, doivent être considérés comme la formulation concise d'une norme. C'est à mon avis une interprétation raisonnable conforme au devoir de la Cour de ne pas diminuer la protection offerte par la Déclaration canadienne des droits en interprétant de façon restrictive ce document quasi constitutionnel.

Après avoir fait une analyse détaillée de la jurisprudence américaine sur le sujet, il invite les tribunaux à recourir au critère suivant, à la p. 688:

...si la peine infligée est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine. Ce n'est pas une définition bien précise du par. 2b), mais je doute que l'on puisse faire mieux.

Il a conclu que la peine capitale infligée pour le meurtre d'un agent de la paix ne contrevient pas à cette norme et il s'est dit d'accord avec ses collègues pour rejeter le pourvoi.

43. L'arrêt de cette Cour Miller et Cockriell, précité, est le dernier arrêt important qui ait traité de l'al. 2b) de la Déclaration canadienne des droits.

44. La divergence entre ces deux points de vue principaux traduit l'hésitation de certains tribunaux à chercher dans la Déclaration canadienne des droits une justification pour contrecarrer un objectif régulier du législateur fédéral. étant donné qu'ils se sont limités dans leurs observations à circonscrire l'objectif du législateur et à reconnaître qu'il était régulier pour ensuite refuser d'intervenir, ils ont dit peu de chose sur le sens d'une peine ou traitement cruel et inusité. C'est pourquoi, dans la recherche d'un guide sur le sens à donner à cette expression, nous ne pouvons nous référer qu'aux critères élaborés en fonction de la Déclaration canadienne des droits par des juges formant une minorité.

45. Ces critères ont été fort utilement synthétisés par le professeur Tarnopolsky, maintenant juge de la Cour d'appel de l'Ontario, dans son article intitulé "Just Deserts or Cruel and Unusual Treatment or Punishment? Where Do We Look for Guidance?" (1978), 10 Ottawa L. Rev. 1. Voici le résumé qu'il en donne, aux pp. 32 et 33:

[TRADUCTION] Sans les attribuer spécifiquement au tribunal qui les a avancés, il serait utile d'examiner les divers critères spécifiques proposés:

(1) La peine va‑t‑elle au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre un objectif pénal légitime?

(2) Est‑elle inutile pour le motif qu'il existe des solutions de rechange appropriées?

(3) Est‑elle inacceptable pour une grande partie de la population?

(4) Est‑elle de nature à ne pouvoir être infligée sur une base rationnelle conformément à des normes vérifiées ou vérifiables?

(5) Est‑elle infligée arbitrairement?

(6) Est‑elle sans valeur à toute fin de réinsertion sociale, de réhabilitation, de dissuasion ou de rétribution?

(7) S'accorde‑t‑elle avec les normes publiques de la décence ou de ce qui est acceptable?

(8) La peine est‑elle de nature à choquer la conscience collective ou à être intolérable sur le plan de l'équité fondamentale?

(9) Est‑elle d'une sévérité inhabituelle et donc dégradante pour la dignité et la valeur de l'être humain?

46. Si l'on survole la jurisprudence fondée depuis sur l'art. 12 de la Charte, on constate que c'est à ces critères que l'on a essentiellement eu recours (voir par exemple Re Mitchell and The Queen (1983), 6 C.C.C. (3d) 193 (H.C. Ont.); Re Moore and The Queen (1984), 10 C.C.C. (3d) 306 (H.C. Ont.); Belliveau c. La Reine, [1984] 2 C.F. 384, 13 C.C.C. (3d) 138 (D.P.I.); Piche v. Solicitor‑General of Canada (1984), 17 C.C.C. (3d) 1 (D.P.I.C.F.); R. v. Langevin (1984), 11 C.C.C. (3d) 336 (C.A. Ont.); R. v. Morrison, C. cté Ont., le juge Mossop, le 7 juillet 1983, inédit). Abandonnant le débat quant à la question de savoir si les termes "cruels et inusités" sont disjonctifs ou conjonctifs, la plupart des tribunaux ont nettement adopté le point de vue du juge en chef Laskin énoncé dans l'arrêt Miller et Cockriell et ont considéré les termes "cruels et inusités" comme la "formulation concise d'une norme" (In re Gittens, [1983] 1 C.F. 152, 68 C.C.C. (2d) 438 (D.P.I.); Re Mitchell and The Queen, précité; Re Moore and The Queen, précité; R. v. Tobac (1985), 20 C.C.C. (3d) 49 (C.A.T.N.‑O.); voir aussi R. v. Morrison, précité).

47. Invoquant les directives énoncées dans le cadre de la Déclaration canadienne des droits, les juges appelés à statuer sur des affaires fondées sur l'art. 12 de la Charte se sont montrés un peu plus disposés, on le comprend, à mettre la loi en cause à l'épreuve. Cependant, quoi qu'il en soit, les tribunaux ont fait montre d'une certaine hésitation à mettre en doute la sagesse démontrée par le législateur en adoptant les lois attaquées. Ainsi, en dépit de la nature constitutionnelle de la Charte canadienne des droits et libertés et de l'ordre qu'elle donne aux tribunaux de surveiller la constitutionnalité de nos lois, le point de vue adopté en interprétant des lois en fonction de la Déclaration canadienne des droits a, dans une certaine mesure, guidé les tribunaux lorsqu'ils ont été saisis d'une contestation constitutionnelle de lois fondée sur la Charte.

48. Par exemple, le juge Lacourcière de la Cour d'appel affirme à la p. 360 de l'arrêt R. v. Langevin, précité:

[TRADUCTION] Dans les affaires examinées en fonction de l'al. 2b) de la Déclaration canadienne des droits, telles les affaires Hatchwell v. The Queen (1973), 14 C.C.C. (2d) 556, [1974] 1 W.W.R. 307, et Miller et Cockriell, précitée, le tribunal a tenu compte de l'objectif global du législateur fédéral qui est de protéger la société. Je ne vois aucune raison de m'écarter de cette considération prépondérante quand il s'agit d'interpréter l'art. 12 de la Charte.

Cette attitude de déférence pour le législateur fédéral a été adoptée dans bien des affaires (R. v. Simon (No. 3) (1982), 69 C.C.C. (2d) 557 (C.S.T.N.‑O.); R. v. Kroeger (1984), 13 C.C.C. (3d) 277 (C.A. Alb.); R. v. Krug (1982), 7 C.C.C. (3d) 324 (C. dist. Ont.); R. v. Slaney (1985), 22 C.C.C. (3d) 240 (C.A.T.‑N.); R. v. Tobac, précitée; R. v. Randall and Weir (1983), 7 C.C.C. (3d) 363 (C.A.N.‑é.); R. v. Lewis (1984), 12 C.C.C. (3d) 353 (C.A. Ont.); R. v. Lyons (1984), 15 C.C.C. (3d) 129 (C.A.N.‑é.); R. v. Morrison, précitée). À ce propos, les observations du juge Borins dans l'affaire R. v. Guiller, C. dist. Ont., le 23 septembre 1985, inédite, nous fournissent un bon exemple, à la p. 15:

[TRADUCTION] Il n'appartient pas au tribunal de se prononcer sur la sagesse du législateur fédéral en ce qui concerne la gravité de diverses infractions et les différentes peines qui peuvent être infligées aux personnes reconnues coupables de les avoir commises. Le législateur jouit d'une compétence discrétionnaire étendue pour interdire certains comportements considérés comme criminels et pour déterminer quelle doit être la sanction appropriée. Si le jugement définitif quant à savoir si une peine excède les limites constitutionnelles fixées par la Charte constitue à bon droit une fonction judiciaire, le tribunal devrait néanmoins hésiter à intervenir dans les vues mûrement réfléchies du législateur et ne le faire que dans les cas les plus manifestes où la peine prescrite est excessive, comparativement à la peine prévue pour d'autres infractions, au point de constituer une atteinte aux normes de la décence.

L'objet et l'effet d'une loi

49. Je ne vois aucune raison d'abandonner cette tradition de déférence pour le législateur dont ont toujours fait preuve les tribunaux canadiens. Toutefois, la poursuite d'un objectif constitutionnel n'est pas, en soi, une garantie de constitutionnalité. Les tribunaux, c'est la Charte qui l'exige, doivent examiner la loi contestée afin de déterminer si elle porte atteinte à un droit garanti par la Charte. Comme l'a dit cette Cour à la majorité dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité, à la p. 496:

Ni avant ni après l'adoption de la Charte, les tribunaux n'ont été habilités à se prononcer sur l'à‑propos des politiques sous‑jacentes à l'adoption des lois. Dans l'un et l'autre cas toutefois, les tribunaux ont le pouvoir et même le devoir d'apprécier le contenu de la loi en fonction des garanties accordées par la Constitution.

50. En contrôlant le contenu d'une loi, les tribunaux doivent en examiner l'objet et l'effet. Le juge Dickson, maintenant Juge en chef du Canada, affirme au nom de la Cour à la majorité, dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 331:

À mon avis, l'objet et l'effet d'une loi sont tous les deux importants pour déterminer sa constitutionnalité; un objet inconstitutionnel ou un effet inconstitutionnel peuvent l'un et l'autre rendre une loi invalide.

Et, plus loin, à la p. 334:

...je partage l'avis de l'intimée que le premier critère à appliquer dans la détermination de la constitutionnalité est celui de l'objet de la loi en cause et que ses effets doivent être pris en considération lorsque la loi examinée satisfait ou, à tout le moins, est censée satisfaire à ce premier critère [...] Donc, si, de par ses répercussions, une loi qui a un objet valable porte atteinte à des droits et libertés, il serait encore possible à un plaideur de tirer argument de ses effets pour la faire déclarer inapplicable, voire même invalide. Bref, le critère des effets n'est nécessaire que pour invalider une loi qui a un objet valable; les effets ne peuvent jamais être invoqués pour sauver une loi dont l'objet n'est pas valable.

51. Ainsi, même si la poursuite d'un objectif inconstitutionnel entraîne l'invalidité de la loi attaquée, indépendamment de ses effets, un objectif régulier ne met pas un terme à l'analyse constitutionnelle. Les moyens choisis par le législateur pour atteindre cet objectif régulier peuvent avoir des effets qui privent les Canadiens des droits que leur garantit la Charte. Dans un tel cas, il incombe aux autorités de démontrer, en vertu de l'article premier, que l'importance de cet objectif régulier est telle que, indépendamment de l'effet de la loi, il s'agit d'une limite raisonnable apportée dans le cadre d'une société libre et démocratique.

52. Le fait incontesté que l'objet du par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants est constitutionnel n'empêche pas d'analyser ce paragraphe afin de déterminer si la peine minimale prescrite a pour effet, dans certains cas, d'obliger le juge à imposer une peine cruelle et inusitée, et si elle viole ainsi à première vue l'art. 12; et, dans l'affirmative, il n'empêche pas de réexaminer, en vertu de l'article premier, cet objet et toute autre considération utile pour déterminer si la loi attaquée peut être sauvegardée.

Le sens de l'art. 12

53. Il est généralement admis dans une société comme la nôtre que l'état peut infliger à un particulier "un traitement ou une peine" lorsque cela est nécessaire à la réalisation d'une fin légitime et que la procédure requise a été suivie. La Charte limite ce pouvoir: l'art. 7 prévoit qu'il ne peut être porté atteinte au droit de chacun à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale, l'art. 9 stipule que chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires et l'art. 12 garantit le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

54. La limite en cause en l'espèce est celle apportée par l'art. 12 de la Charte. À mon avis, la protection accordée par l'art. 12 régit la qualité de la peine et vise l'effet que la peine peut avoir sur la personne à qui elle est infligée. Je suis d'accord avec ce que dit le juge en chef Laskin dans l'arrêt Miller et Cockriell, précité, lorsqu'il définit les termes "cruels et inusités" comme la "formulation concise d'une norme". Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte consiste, pour reprendre les termes utilisés par le juge en chef Laskin à la p. 688 de l'arrêt Miller et Cockriell, précité, à se demander "si la peine infligée est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine." En d'autres termes, bien que l'état puisse infliger une peine, l'effet de cette peine ne doit pas être exagérément disproportionné à ce qui aurait été approprié.

55. En imposant une peine d'emprisonnement, le juge se doit d'évaluer les circonstances de l'affaire afin de prononcer une sentence appropriée. Le critère applicable à l'examen en vertu de l'art. 12 de la Charte est celui de la disproportion exagérée, étant donné qu'il vise les peines qui sont plus que simplement excessives. Il faut éviter de considérer que toute peine disproportionnée ou excessive est contraire à la Constitution et laisser au processus normal d'appel en matière de sentence la tâche d'examiner la justesse d'une peine. Il n'y aura violation de l'art. 12 que si, compte tenu de l'infraction et du contrevenant, la sentence est inappropriée au point d'être exagérément disproportionnée.

56. En vérifiant si une peine est exagérément disproportionnée, la cour doit d'abord prendre en considération la gravité de l'infraction commise, les caractéristiques personnelles du contrevenant et les circonstances particulières de l'affaire afin de déterminer quelles peines auraient été appropriées pour punir, réhabiliter ou dissuader ce contrevenant particulier ou pour protéger le public contre ce dernier. Ainsi, les autres objectifs que peut viser l'imposition d'une peine, en particulier la dissuasion d'autres contrevenants en puissance, sont sans importance à cette étape de l'analyse. Cela signifie non pas que le juge ou le législateur ne peut plus, en déterminant une peine, prendre en considération la dissuasion générale ou d'autres objectifs pénologiques qui vont au delà du contrevenant particulier, mais seulement que la peine qui résulte ne doit pas être exagérément disproportionnée à ce que mérite le contrevenant. Si une peine exagérément disproportionnée est prescrite "par une règle de droit", alors l'objectif qu'elle vise devra faire l'objet d'une évaluation en vertu de l'article premier. L'article 12 a pour effet d'assurer que chaque contrevenant se voie infliger une peine appropriée, ou tout au moins non exagérément disproportionnée, à sa situation particulière, alors que l'article premier permet de passer outre à ce droit afin de réaliser un objectif social important.

57. Il faut également évaluer l'effet de la peine qui est effectivement infligée. Si cet effet est exagérément disproportionné à ce qui aurait été approprié, alors elle viole l'art. 12. L'effet de la peine est souvent le produit de plusieurs facteurs et ne se limite pas à l'importance ou à la durée de cette peine, mais comprend sa nature et les circonstances dans lesquelles elle est imposée. C'est parfois en raison de sa seule longueur ou de sa nature même que la peine est exagérément disproportionnée à l'objectif poursuivi. Dans d'autres cas, c'est le résultat d'une combinaison de facteurs qui pris isolément n'engendreraient pas en soi une disproportion exagérée. À titre d'exemple, une peine de vingt années pour une première infraction contre la propriété serait exagérément disproportionnée, mais il en serait de même d'une peine de trois mois d'emprisonnement dans le cas où les autorités pénitentiaires décideraient qu'elle doit être purgée dans une cellule d'isolement. Enfin, je dois ajouter que certaines peines ou certains traitements seront toujours exagérément disproportionnés et incompatibles avec la dignité humaine: par exemple, l'imposition d'un châtiment corporel comme la peine du fouet, sans égard au nombre de coups de fouet imposé ou, à titre d'exemple de traitement, la lobotomie de certains criminels dangereux, ou la castration d'auteurs de crimes sexuels.

58. Les nombreux critères proposés conformément à l'al. 2b) de la Déclaration canadienne des droits et au Huitième amendement de la Constitution américaine sont, à mon avis, utiles comme facteurs permettant de déterminer s'il y a eu violation de l'art. 12. Ainsi, pour mentionner les critères énoncés par le professeur Tarnopolsky, les questions de savoir si la peine est nécessaire pour atteindre un objectif pénal régulier, si elle est fondée sur des principes reconnus en matière de détermination de la sentence et s'il existe des solutions de rechange valables à la peine imposée, constituent des lignes directrices qui, sans être décisives en elles‑mêmes, aident à vérifier si la peine est exagérément disproportionnée.

59. Il existe un autre aspect de la proportionnalité que les tribunaux américains ont parfois examiné: une comparaison avec les peines imposées pour d'autres crimes dans le même ressort (Solem v. Helm, 463 U.S. 277 (1983), à la p. 291). Il va de soi que le simple fait que les peines imposées pour des infractions similaires divergent ne signifie pas nécessairement que la peine plus sévère est exagérément disproportionnée et, ainsi, cruelle et inusitée. Tout au plus, la divergence de peines indique qu'il se peut que la peine plus sévère soit excessive, mais il restera nécessaire d'évaluer la peine en fonction des facteurs examinés plus haut. La notion portant qu'il doit y avoir une échelle de peines fondée sur la gravité des infractions peut être considérée comme un principe de justice fondamentale au sens de l'art. 7, mais compte tenu de ma décision au chapitre de l'art. 12, j'estime qu'il n'est pas nécessaire de traiter cette question en l'espèce.

60. À plus d'une occasion, les tribunaux au Canada ont examiné un autre facteur, savoir si la peine avait été infligée arbitrairement. Au sujet de ce facteur, quelques commentaires s'imposent car l'art. 9 traite de la détention et de l'emprisonnement arbitraires et, dans la mesure où le caractère arbitraire, dans un contexte approprié, pourrait contrevenir à un principe de justice fondamentale, il pourrait engendrer une violation à première vue de l'art. 7. Comme je l'ai dit précédemment, l'art. 12 vise l'effet d'une peine et, avec égards, j'estime que la façon, comme telle, dont la peine est infligée n'est pas très pertinente dans le cas d'une décision fondée sur l'art. 12. Par exemple, il n'y a pas d'atteinte à l'art. 12 si un juge, après avoir refusé d'entendre des représentations sur la sentence, a déclaré qu'il ne tiendrait compte d'aucun facteur pertinent, pour ensuite imposer arbitrairement une peine préconçue mais appropriée. À mon avis, vu que ce résultat serait approprié, la sentence ne pourrait être qualifiée d'exagérément disproportionnée et de contraire à l'art. 12.

61. Cette mention de la nature arbitraire de la peine comme facteur à considérer constitue une transposition directe au Canada de l'un des critères élaborés par les tribunaux américains relativement au Huitième amendement de leur constitution. Si les critères élaborés par les Américains peuvent servir de guide utile, ils n'en découlent pas moins de l'analyse d'une constitution qui diffère à bien des égards de la Charte canadienne des droits et libertés.

62. Les deux pays protègent à peu près les mêmes droits, mais les moyens d'y arriver sont différents. En sus de la protection accordée par l'art. 12, notre Charte offre une protection expresse contre l'emprisonnement arbitraire (art. 9) et contre les atteintes au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qui ne sont pas conformes aux principes de justice fondamentale (art. 7). De plus, comme l'article premier et l'art. 24 de la Charte n'ont pas d'équivalents dans la Constitution américaine, la dynamique des contestations de validité des lois américaines est différente. C'est pourquoi l'interprétation judiciaire du Huitième amendement a dû être plus large que ce qui serait nécessaire dans le cas de l'art. 12 de la Charte. Au Canada, la protection de la liberté de l'individu se retrouve dans diverses dispositions de la Charte et le contenu de chacun de ces articles doit être établi en fonction des garanties énoncées dans les autres articles et du contenu que les tribunaux attribuent à ces derniers. Ainsi, tout commentaire sur le sens de l'art. 12 doit se faire en ayant l'art. 9 à l'esprit et, dans les cas où les art. 8 à 14 sont en cause, en tenant compte de l'art. 7 (voir Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité).

63. Le critère du caractère arbitraire élaboré par la Cour suprême des États‑Unis, conformément au Huitième amendement de leur Constitution, portait en majeure partie sur des affaires mettant en cause la validité de la peine de mort. Aux États‑Unis, où le droit criminel relève de la compétence des assemblées législatives des états et varie donc d'un état à l'autre, les tribunaux se sont préoccupés des divergences possibles dans l'imposition de la peine de mort à l'échelle du pays. Les juges se sont également préoccupés du fait que la loi aux États‑Unis laisse souvent [TRADUCTION] "à la discrétion non contrôlée des juges ou des jurés la détermination de la question de savoir si les défendeurs qui ont commis ces crimes devraient mourir ou être emprisonnés", et du fait que l'on ne puisse examiner l'historique du Huitième amendement [TRADUCTION] "sans réaliser que la volonté d'égalité se reflète dans l'interdiction d'infliger des "châtiments cruels et d'un genre inaccoutumé", que l'on trouve dans le Huitième amendement" (le juge Douglas dans Furman v. Georgia, 408 U.S. 238 (1972), aux pp. 253 et 255). Cette introduction du caractère arbitraire visant précisément à assurer l'égalité devant la loi, quelque appropriée qu'elle soit aux États‑Unis, ne doit tout simplement pas être transposée dans le contexte canadien où la compétence en matière de droit criminel relève du gouvernement fédéral et est ainsi uniforme dans tout le pays. Au Canada, nous avons en outre dans la Charte d'autres dispositions qui visent à protéger l'égalité de tous devant la loi, notamment le par. 15(1). De toute manière, j'estime qu'il serait dangereux d'aborder notre disposition qui traite des peines "cruelles et inusitées" en fonction du raisonnement d'égalité pour conclure qu'appliquée uniformément, par imposition obligatoire ou autrement, une sentence ne peut plus arbitrairement être considérée comme cruelle et inusitée. Je conclus donc que le caractère arbitraire constitue un facteur minime pour ce qui est de déterminer si une peine ou un traitement est cruel et inusité.

64. Il va de soi que, parce que nous vivons dans une société libre, démocratique et progressive, la cruauté et les divergences exagérées dans le traitement de ceux que nous punissons ont généralement, en vertu du principe de la primauté du droit, été refrénées par l'adoption de mesures législatives imposant des limites à ce qui peut être fait aux autres en vertu de la loi, par l'établissement de lignes directrices élaborées en matière de détermination de la sentence et grâce au processus d'examen par voie d'appel. Par conséquent, lorsqu'une peine cruelle et inusitée est infligée, elle résulte souvent de l'inobservation de ces lois et lignes directrices et, comme tel, de l'arbitraire dont on a fait preuve en la choisissant. Toutefois, comme je l'ai dit, une sentence est ou n'est pas exagérément disproportionnée à l'objectif poursuivi ou encore une peine est ou n'est pas cruelle et inusitée sans égard à la raison pour laquelle la violation a été commise.

Le paragraphe 5(2) de la Loi sur les stupéfiants

65. C'est la peine minimale d'emprisonnement prévue par le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants qui est en cause dans le présent pourvoi. Il n'est donc pas nécessaire de délimiter la portée des termes "traitements" et "peines" puisqu'ils comprennent nettement l'imposition par un juge d'une peine d'emprisonnement. La peine minimale de sept années d'emprisonnement n'est pas conforme au critère de la proportionnalité énoncé plus haut et viole donc à première vue les garanties établies par l'art. 12 de la Charte. Le simple fait que le par. 5(2) prescrive une peine obligatoire d'emprisonnement ne conduit pas en soi à cette conclusion. Une peine minimale obligatoire d'emprisonnement n'est manifestement pas cruelle et inusitée en soi. Le législateur peut, à mon avis, prescrire une peine obligatoire d'emprisonnement dans le cas d'une déclaration de culpabilité de certaines infractions sans porter atteinte aux droits garantis par l'art. 12 de la Charte. Par exemple, une longue peine d'incarcération infligée à celui ou à celle qui a importé de grandes quantités d'héroïne à des fins de trafic n'enfreindrait certainement pas l'art. 12 de la Charte, bien au contraire. Toutefois, la peine minimale de sept ans d'emprisonnement, que prescrit le par. 5(2), est exagérément disproportionnée compte tenu de la portée du par. 5(1).

66. Comme je l'ai déjà dit, l'infraction d'importation définie au par. 5(1) de la Loi sur les stupéfiants vise de nombreuses substances plus ou moins dangereuses et ne tient absolument pas compte de la quantité de drogue importée. L'objet d'une importation donnée, tel la consommation personnelle ou le trafic, et l'existence ou l'absence de condamnations antérieures pour des infractions de nature ou de gravité similaire sont jugés sans importance et ne sont donc pas pris en considération. Ainsi la loi fait que, dans certains cas, un verdict de culpabilité entraînera inévitablement l'imposition d'une peine d'emprisonnement qui sera exagérément disproportionnée.

67. C'est ce qui porte atteinte à l'art. 12, savoir la certitude et non simplement la potentialité. Sans ce minimum, l'article reste quand même susceptible de servir à imposer une peine cruelle et inusitée. Mais cela ne se produira que si un juge choisit d'infliger, disons, sept ans ou plus au "petit contrevenant". On pourra alors avoir recours à l'art. 24. C'est la sentence du juge, et non l'article, qui viole la Charte. Toutefois, le minimum a pour effet de créer la certitude que, dans certains cas, dès qu'il y aura déclaration de culpabilité, la violation se produira. C'est cet élément de certitude qui fait que l'article lui‑même viole à première vue l'art. 12 et le minimum doit donc, sous réserve de l'article premier, être déclaré inopérant.

68. Dans son mémoire, le ministère public soutient que de telles violations éventuelles peuvent être évitées, et le sont vraiment, par l'utilisation appropriée du pouvoir discrétionnaire du ministère public d'inculper pour une infraction moindre.

69. À mon avis, l'article ne peut pas être sauvegardé en invoquant ce pouvoir discrétionnaire qu'a le ministère public de ne pas appliquer la loi dans les cas où il estime que son application entraînerait une violation de la Charte. Ce serait là ignorer totalement l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui porte que la Constitution rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit et les tribunaux ont le devoir de déclarer qu'il en est ainsi; ils ne peuvent laisser ni au ministère public ni à personne d'autre le soin d'éviter une violation. Donc, pour conclure, je suis d'avis que la peine minimale d'emprisonnement prescrite par le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants porte atteinte aux droits garantis par l'art. 12 et qu'à ce titre elle constitue une violation à première vue de la Charte. Sauf si la disposition est sauvegardée en vertu de l'article premier, le minimum doit être déclaré inopérant.

L'article premier de la Charte

70. L'article premier de la Charte porte:

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

71. Cette Cour a déjà eu l'occasion d'aborder l'article premier. Dans les arrêts Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité, et R. c. Oakes, précité, elle a clairement indiqué que lorsqu'il y a eu violation à première vue de la Charte, il appartient aux autorités de sauvegarder la disposition législative en cause. Dans l'arrêt Oakes, la Cour a énoncé les critères auxquels il faut satisfaire pour s'acquitter de cette charge. Le juge en chef Dickson, s'exprimant au nom de la Cour à la majorité, affirme ce qui suit, à la p. 138:

Pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, il faut satisfaire à deux critères fondamentaux. En premier lieu, l'objectif que visent à servir les mesures qui apportent une restriction à un droit ou à une liberté garantis par la Charte, doit être "suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution": R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352.

Et plus loin, à la p. 139:

En deuxième lieu, dès qu'il est reconnu qu'un objectif est suffisamment important, la partie qui invoque l'article premier doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l'application d'"une sorte de critère de proportionnalité": R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Même si la nature du critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances, les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes. À mon avis, un critère de proportionnalité comporte trois éléments importants. Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif en question. Deuxièmement, même à supposer qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter "le moins possible" atteinte au droit ou à la liberté en question: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l'objectif reconnu comme "suffisamment important". [Souligné dans l'original.]

72. Dans le présent pourvoi, le ministère public n'a qu'un seul argument. Il nous fait valoir que l'imposition de peines sévères aux importateurs de stupéfiants aura pour effet de décourager la perpétration d'un crime aussi grave. Les non‑utilisateurs, qui importent des drogues aussi nocives que l'héroïne et qui en font le trafic, sont des maîtres d'esclaves responsables non seulement de la destruction de nombreux êtres humains, mais aussi des activités criminelles fort importantes que génère le commerce de la drogue. À mon avis, la lutte contre l'importation et le trafic des drogues dures est sans aucun doute un objectif "suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution".

73. Cela nous amène donc au deuxième volet du critère, la proportionnalité du moyen choisi pour arriver à ce résultat "important". Il va sans dire que les moyens choisis permettent effectivement d'"atteindre l'objectif en question". La certitude que tous ceux qui enfreignent l'interdiction d'importation seront condamnés à au moins sept ans d'emprisonnement aura certainement pour résultat de dissuader les gens d'importer des stupéfiants. Donc, la rationalité, le premier volet du critère de proportionnalité, est satisfaite. Mais la justification du ministère public s'effondre dans le cas du second volet, savoir une atteinte minimale aux droits garantis par l'art. 12. Manifestement, il n'est pas nécessaire d'agir sans distinction. Il n'est pas nécessaire de condamner les petits contrevenants à sept ans de prison pour dissuader l'auteur d'une infraction grave. En réalité, la portée du par. 5(2) en matière de sentence n'a pas à être aussi large que celle du par. 5(1) en matière de déclaration de culpabilité. Le résultat recherché aurait pu être atteint en limitant l'imposition d'une peine minimale à l'importation de certaines quantités, à certains stupéfiants déterminés de l'annexe, aux récidivistes ou même à une combinaison de ces facteurs. Mais le texte de l'article et de l'annexe est beaucoup plus général. Je devrais ajouter qu'à mon avis la peine minimale crée aussi certains problèmes. En particulier, elle insère dans le système une certaine réticence à condamner et entraîne ainsi des acquittements, pour des raisons insignifiantes, d'accusés qui ne méritent pas une sentence de sept ans, et elle confère au ministère public un avantage injuste en matière de négociation de plaidoyer étant donné qu'il sera plus probable qu'un accusé plaidera coupable à une accusation d'infraction moindre ou incluse. Pour ces motifs, l'emprisonnement minimal prévu par le par. 5(2) viole l'art. 12 de la Charte et cette violation n'est pas justifiée en vertu de l'article premier.

74. Vu que j'ai rédigé ces motifs il y a quelque temps de cela, je n'ai pas fait référence aux décisions judiciaires récentes ou aux dernières publications. Toutefois, je tiens à mentionner le Rapport de la Commission canadienne sur la détermination de la peine, intitulé Réformer la sentence: une approche canadienne (1987), qui étaye jusqu'à un certain point ma conclusion. La Commission recommande l'abolition des peines minimales obligatoires dans le cas de toutes les infractions sauf le meurtre et la haute trahison parce qu'elle estime que (p. 206):

...à l'exception de celles prévues pour le meurtre et la haute trahison, les peines minimales obligatoires actuelles n'ont aucun effet susceptible de compenser leurs désavantages.

Conclusion

75. À mon avis, la question constitutionnelle doit recevoir une réponse affirmative quant à l'art. 12 de la Charte et la peine minimale prescrite par le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants doit donc être déclarée inopérante. Il n'est pas nécessaire, pour les motifs exposés plus haut, de répondre à la question en ce qui concerne les art. 7 et 9.

76. Venons‑en maintenant à l'appelant. La Cour d'appel à la majorité a maintenu la peine de huit ans imposée par le juge de première instance. Comme il ne s'agit pas en l'espèce d'un appel de sentence et parce qu'on n'a pas laissé entendre que la peine de huit ans imposée à l'appelant est cruelle et inusitée, je rejetterais normalement le pourvoi. Toutefois, la Cour d'appel a examiné la justesse de la sentence en fonction d'un minimum de sept ans et il nous est impossible de vérifier si ce minimum l'a influencée, quoique je sois porté à croire que non étant donné qu'elle a jugé qu'une peine de huit ans n'était pas inappropriée. Cependant, l'avocat du ministère public a affirmé à l'audience que, si nous devions déclarer ce minimum inopérant, la façon préférable, selon lui, de statuer sur le pourvoi serait d'accueillir le pourvoi et de renvoyer l'affaire à la Cour d'appel pour qu'elle procède à un nouvel examen de l'appel de la sentence. Compte tenu de cette concession et de ma conclusion que la peine minimale est inopérante, je suis d'avis d'ordonner qu'il en soit ainsi.

77. Je tiens à ajouter que je ne veux pas que cette façon de statuer sur le pourvoi soit interprétée comme une indication quelconque de ce que je pourrais considérer comme une sentence appropriée en l'espèce.

Version française des motifs rendus par

78. Le juge McIntyre (dissident)—Le présent pourvoi porte sur la question de savoir si le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N‑1 et ses modifications, viole les art. 7, 9 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. La principale question en litige concerne l'application de l'art. 12 qui interdit en ces termes les traitements ou peines cruels et inusités:

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

Le Juge en chef a formulé la question constitutionnelle suivante:

La sentence minimale obligatoire de sept ans imposée par le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N‑1, est‑elle contraire ou porte‑t‑elle atteinte aux droits et garanties énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés et, en particulier, aux droits énoncés aux art. 7, 9 et 12?

J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement rédigés en l'espèce par mes collègues les juges Lamer et Wilson. Les faits de la présente affaire étant relatés suffisamment en détail dans les motifs du juge Lamer, je ne les reprendrai pas ici. Avec égards pour le point de vue de mes collègues, il m'est impossible de conclure comme ils l'ont fait, pour les raisons que je vais maintenant exposer.

79. Je ferais remarquer, à titre d'observation préliminaire, qu'il y a quelque chose d'artificiel dans le présent pourvoi en ce sens que les faits de l'affaire ne semblent pas soulever la question des peines cruelles et inusitées au sens de l'art. 12 de la Charte. L'appelant a plaidé coupable à l'accusation d'importation d'un stupéfiant au Canada. On a estimé la "valeur au détail" du stupéfiant, après coupage, se situait entre 126 000 $ et 168 000 $. Le juge de première instance a déclaré que la peine minimale de sept ans, prescrite par le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, violait l'art. 12 de la Charte, mais il a néanmoins imposé à l'appelant une peine de huit ans d'emprisonnement. En appel, la Cour d'appel à la majorité a confirmé la peine imposée par le juge de première instance. Le juge dissident dans cet appel aurait infligé une peine de cinq ans d'emprisonnement. Les juges qui ont examiné l'affaire sont donc tous d'avis qu'il convenait d'imposer une longue peine d'emprisonnement et personne n'a laissé entendre que l'appelant s'est vu imposer une peine cruelle et inusitée. Reconnaissant ce fait, l'appelant conteste la validité du par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants non pas pour le motif que cette disposition viole l'art. 12 de la Charte en général, mais pour le motif que l'imposition d'une [TRADUCTION] "peine minimale obligatoire de sept ans" dans le cas hypothétique d'une [TRADUCTION] "première importation d'une seule cigarette de marijuana" constituerait une peine cruelle et inusitée. L'appelant soutient en fait que cette disposition n'est pas inconstitutionnelle dans son cas, mais qu'elle risque de l'être dans le cas d'un tiers et qu'elle devrait donc être déclarée inopérante. J'estime que ce n'est pas une bonne façon d'aborder la question de l'application de l'art. 12 de la Charte. Aux termes de l'art. 12 de la Charte, les particuliers devraient être tenus de limiter leurs arguments à la question de savoir si leur peine est cruelle et inusitée et non à celle de savoir si cette peine serait cruelle et inusitée si on l'imposait à un tiers hypothétique.

80. Cela ne veut pas dire qu'en règle générale les parties ne peuvent contester la constitutionnalité d'une loi que dans la mesure où elles peuvent démontrer que leurs droits en tant qu'individus ont été violés. Dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, cette Cour a conclu expressément qu'une personne morale accusée d'avoir commis une infraction criminelle aux termes de la Loi sur le dimanche peut soutenir que cette loi viole la liberté de religion garantie à l'al. 2a) de la Charte, sans avoir à alléguer également que cette loi porte spécifiquement atteinte à ses croyances religieuses. "La loi qui porte atteinte à la liberté de religion est, de ce seul fait, incompatible avec l'al. 2a) de la Charte et il n'importe pas de savoir si l'accusé est chrétien, juif, musulman, hindou, bouddhiste, athée ou agnostique, ou s'il s'agit d'une personne physique ou morale" (p. 314). La Loi sur le dimanche a été principalement contestée parce qu'elle avait été adoptée dans un but religieux, mais un particulier peut également attaquer la validité d'une disposition pour le motif qu'elle a pour effet d'empiéter sur les droits religieux de tiers (voir l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713). Une personne doit pouvoir contester une loi qui n'empiète pas directement sur ses droits constitutionnels mais sur ceux d'autres personnes, pour la simple raison qu'elle est parfois la personne la mieux placée pour le faire. Il se peut que les tiers dont les droits sont violés ou menacés par une loi ne soient jamais en mesure de contester la validité de cette loi, parce qu'il sont dissuadés d'exercer l'activité prohibée et qu'ils ne se retrouvent donc pas devant les tribunaux ou, simplement, parce qu'ils ne peuvent assumer les frais d'une contestation constitutionnelle. Puisqu'il est essentiel que les particuliers soient libres d'exercer leurs droits constitutionnels dans la mesure où cela est raisonnablement possible, sans être forcés d'assumer les frais d'une poursuite ou de courir le risque de violer la loi, il convient d'accorder, à l'occasion, aux parties qui ont transgressé une loi la permission d'invoquer les droits d'autrui pour contester la validité générale de la loi en question. J'estime cependant que ce raisonnement ne devrait s'appliquer en général qu'aux lois dont on pourrait dire, pour reprendre une expression connue en droit constitutionnel américain, qu'elles ont [TRADUCTION] "un effet de douche froide" sur les autres personnes qui voudraient exercer leurs droits constitutionnels. Cet "effet de douche froide" se retrouve dans toute loi ou pratique qui a pour effet de décourager l'exercice d'un droit constitutionnel: voir les arrêts North Carolina v. Pearce, 395 U.S. 711 (1969), et Gooding v. Wilson, 405 U.S. 518 (1971), à la p. 521. Si la loi ou la pratique attaquée n'interdit à personne d'exercer une activité protégée par la Constitution, il n'existe alors aucune raison d'autoriser les parties à une instance d'invoquer les droits de tiers hypothétiques pour appuyer leur contestation. C'est pourtant ce qui s'est produit en l'espèce. L'appelant ne soutient pas qu'un particulier a le droit d'importer des stupéfiants au Canada. L'importation de stupéfiants n'est pas une activité protégée par la Constitution. Il n'y aurait aucun risque qu'un particulier se voie refuser d'exercer légalement tous ses droits constitutionnels ou qu'il soit dissuadé d'exercer une activité protégée par la Constitution, si on refusait à l'appelant la qualité pour agir dans la présente affaire. Il n'existe donc aucune raison d'autoriser l'appelant à invoquer en l'espèce les droits d'un tiers hypothétique pour contester la validité d'une mesure législative. Néanmoins, l'autorisation de pourvoi a été accordée et la question constitutionnelle a été formulée. J'examinerai donc la question de la peine cruelle et inusitée aux termes de l'art. 12 de la Charte.

81. La question des traitements ou peines cruels et inusités constitue un concept spécial dans la Charte. La prohibition est absolue. L'autorité chargée d'imposer la peine ne se voit attribuer aucun pouvoir discrétionnaire et aucune exception à l'application de cette disposition n'est prévue. L'article 12 diffère en cela de nombreux autres articles qui accordent des droits et des avantages où l'on parle de délai raisonnable, sans délai anormal, cautionnement raisonnable ou sans juste cause. L'article 12 est, de par son texte et de par l'application qu'on a voulu qu'il ait, une disposition impérieuse qui ne comporte aucune réserve. On peut bien affirmer qu'à l'art. 12 la Charte a créé un droit absolu, c'est‑à‑dire le droit d'être protégé contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

82. C'est dans le Bill of Rights anglais de 1688, 1 Wm. & M. sess. 2, chap. 2, que l'on trouve pour la première fois l'expression [TRADUCTION] "peine cruelle et inusitée", qui avait pour objet d'interdire le recours aux châtiments barbares des époques antérieures, en particulier deux des derniers temps du règne des Stuart. Avec le passage du temps, l'influence civilisatrice de la fin du dix‑neuvième siècle et du vingtième siècle a fait disparaître, ou du moins a largement restreint, les risques de voir imposer des peines aussi barbares. Certains pensaient, dès le début du vingtième siècle, que cette notion était désuète (voir Hobbs v. State, 32 N.E. 1019 (1893), à la p. 1021). On commença à penser qu'on n'aurait plus recours aux châtiments barbares des époques plus primitives. Néanmoins, vu que la prohibition énoncée par l'art. 10 du Bill of Rights anglais et réitérée un siècle plus tard par le Huitième amendement de la Constitution américaine est maintenant reprise dans la Charte canadienne des droits et libertés, elle ne doit pas être considérée comme désuète. Il faut donc lui donner un sens. Sur ce point, nous profitons du fait qu'au fil des ans des décisions judiciaires ont élargi cette notion de manière à comprendre non seulement un examen de la qualité ou de la nature de la peine, mais également, sous l'angle de la proportionnalité, un examen de la sévérité ou de la durée de la peine pour déterminer si elle est visée par cette prohibition. J'estime que la Charte a encore élargi cette notion en incluant dans l'art. 12 le mot "traitements" que l'on ne trouvait ni dans la formulation initiale de la prohibition du Bill of Rights anglais, ni dans le Huitième amendement de la Constitution américaine. J'estime que l'ajout des traitements à cette prohibition a un effet important. Il en résulte que la prohibition de l'art. 12 vise non seulement la peine imposée par un tribunal à titre de sentence, mais également le traitement (qui est quelque chose de différent de la peine) qui peut accompagner la sentence. En d'autres termes, cette interdiction vise désormais les conditions dans lesquelles une sentence est purgée. Il devient donc clair que, si l'on peut se réjouir du fait qu'il est peu probable qu'on en revienne aux peines barbares à l'origine de l'adoption de cette prohibition il y a près de trois siècles, l'addition du mot "traitements" à cette interdiction permet de repousser toute idée de désuétude. Certaines conditions dans lesquelles sont purgées les peines d'emprisonnement peuvent faire l'objet d'un examen, en vertu de l'art. 12 de la Charte, non seulement en raison de leur caractère disproportionné ou excessif, mais également en fonction de la nature ou de la qualité du traitement infligé. L'isolement dans une cellule, qui est pratiqué dans certaines circonstances, en est un exemple: voir la décision McCann c. La Reine, [1976] 1 C.F. 570, 29 C.C.C. (2d) 337. On pourrait également invoquer l'art. 12 pour contester d'autres genres de traitements, comme la fréquence et les modalités des fouilles effectuées en prison, les restrictions alimentaires à titre de mesure disciplinaire, les peines corporelles, les interventions chirurgicales y compris la lobotomie et la castration, la privation de tout contact avec les personnes de l'extérieur ainsi que l'emprisonnement dans des lieux éloignés de la maison, de la famille et des amis, qui constitue virtuellement un exil et qui touche particulièrement les femmes puisqu'il n'existe qu'un seul pénitencier fédéral pour femmes au Canada. Je ne me prononce pas sur ce qu'un tribunal déciderait dans le cas de l'un ou l'autre de ces exemples de traitement, en cas de contestation. Je souligne simplement que l'art. 12 a des applications pratiques dans le domaine du droit pénal moderne. Ce n'est pas une disposition désuète. Conclure que le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants ne viole pas l'art. 12 de la Charte n'aura pas pour effet de dépouiller cette disposition de son champ d'application.

83. Comment alors devrait‑on définir la notion de traitements ou peines cruels et inusités? Au Canada, on constate dans la jurisprudence et la doctrine des divergences d'opinions quant à savoir si les mots "cruels et inusités" doivent être pris conjonctivement ou disjonctivement. On dit que je les ai interprétés disjonctivement dans mes motifs de dissidence dans l'affaire Miller and Cockriell v. The Queen, [1975] 6 W.W.R. 1 (C.A.C.‑B.), (voir par exemple, W. S. Tarnopolsky, "Just Deserts or Cruel and Unusual Treatment or Punishment? Where Do We Look for Guidance?" (1978) 10 Ottawa L. Rev. 1, à la p. 28, et S. Berger, "The Application of the Cruel and Unusual Punishment Clause under the Canadian Bill of Rights" (1978), 24 McGill L.J. 161, à la p. 170). Lorsque cette Cour a entendu l'affaire Miller et Cockriell c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680, les juges formant la majorité (les juges Martland, Judson, Ritchie, Pigeon, Beetz et de Grandpré) ont exprimé l'avis que ces mots devaient être pris conjonctivement, alors que le juge en chef Laskin, s'exprimant au nom de la Cour à la minorité (le juge en chef Laskin et les juges Spence et Dickson), a exprimé l'opinion suivante aux pp. 689 et 690:

Ces jugements de la Cour suprême des États‑Unis, que je considère au moins devoir être pris en considération, appuient l'opinion que les mots "cruel et inusité" ne doivent pas être considérés comme conjonctifs, en ce sens qu'il faudrait faire une analyse rigoureusement autonome de chaque mot et que le sens de chacun d'eux doive s'appliquer au cas en litige pour que cette disposition ait quelque effet sur la législation contestée. Il s'agit plutôt de termes qui se complètent et qui, interprétés l'un par l'autre, doivent être considérés comme la formulation concise d'une norme. C'est à mon avis une interprétation raisonnable conforme au devoir de la Cour de ne pas diminuer la protection offerte par la Déclaration canadienne des droits en interprétant de façon restrictive ce document quasi constitutionnel.

Je ne suis pas convaincu qu'il y ait sur ce point une divergence vraiment marquée entre le point de vue des juges formant la majorité et celui des juges formant la minorité. Dans les deux cas, l'examen de l'expression au complet porte à la fois sur le caractère cruel et le caractère inusité de la peine. Pour ce motif, j'adopterais l'interprétation donnée par le juge en chef Laskin selon laquelle cette expression est "la formulation concise d'une norme". Cette conception a été souvent adoptée dans d'autres affaires et j'estime qu'elle constitue une bonne façon d'aborder l'interprétation des mots en question (voir R. v. Bruce, Wilson and Lucas (1977), 36 C.C.C. (2d) 158 (C.S.C.‑B.), aux pp. 169 et 170; In re Gittens, [1983] 1 C.F. 152, 68 C.C.C. (2d) 438, à la p. 445; Re Mitchell and The Queen (1983), 6 C.C.C. (3d) 193 (H.C. Ont.), à la p. 213; Re Moore and The Queen (1984), 10 C.C.C. (3d) 306 (H.C. Ont.), à la p. 311; R. v. Tobac (1985), 20 C.C.C. (3d) 49 (C.A.T.N.‑O.), à la p. 53). Bien que cette interprétation ait été donnée relativement à la Déclaration canadienne des droits, elle est également applicable à l'expression utilisée dans la Charte.

84. Comment alors doit‑on définir cette formulation concise d'une norme? Il n'est pas difficile de définir ou de reconnaître ce qui constitue un traitement ou une peine cruels et inusités dans les cas extrêmes, mais il est évident que nous ne sommes plus à l'époque où les personnes déclarées coupables d'un crime risquaient de se voir imposer les peines barbares d'une autre époque. À mon avis, le sens actuel de l'expression "traitements ou peines cruels et inusités" doit refléter [TRADUCTION] "l'évolution des normes de la décence d'une société qui mûrit", Trop v. Dulles, 356 U.S. 86 (1958), à la p. 101. Le juge en chef Laskin donne, dans l'arrêt Miller et Cockriell, précité, une définition qui satisfait à cette exigence et qui répond aux conditions actuelles. Après avoir fait remarquer que ces mots ne peuvent s'appliquer uniquement aux peines barbares infligées dans le passé, il affirme à la p. 688:

...[cela] en raison des considérations morales et sociales qui influencent la portée et l'application de ce paragraphe. La dureté d'une peine et la sévérité de ses conséquences sont fonction de l'infraction commise. Ceci dit, on peut encore se demander (et, à ce sujet, l'histoire peut nous être de quelque utilité) si la peine infligée est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine. Ce n'est pas une définition bien précise du par. 2b), mais je doute que l'on puisse faire mieux.

Je souscris également à ces paroles et je dirais, en résumé, que pour qu'il y ait "traitements ou peines cruels et inusités" violant l'art. 12 de la Charte, il faut que ces peines ou traitements soient "excessi[fs] au point de ne pas être compatible[s] avec la dignité humaine". Bien qu'elle ne soit pas précise, cette définition de l'expression "traitements ou peines cruels et inusités" reflète l'objet et l'intention de l'art. 12 de la Charte et est conforme aux opinions exprimées sur ce point dans la jurisprudence canadienne. À mon avis, insister sur les mots "ne pas être compatible avec la dignité humaine" ne revient pas à fixer un seuil trop élevé en matière de violation de l'art. 12.

85. Comme nous l'avons déjà noté, alors que l'interdiction d'infliger des traitements ou peines cruels et inusités visait à l'origine des peines qui, de par de leur nature, étaient fondamentalement cruelles, cette prohibition a été étendue depuis à des peines qui, sans être fondamentalement cruelles, sont disproportionnées à l'infraction commise au point de devenir cruelles et inusitées: voir Miller et Cockriell, précité; R. v. Shand (1976), 30 C.C.C. (2d) 23 (C.A. Ont.), Re Mitchell and The Queen, précité, Re Moore and The Queen, précité, Re Konechny (1983), 10 C.C.C. (3d) 233 (C.A.C.‑B.), R. v. Langevin (1984), 11 C.C.C. (3d) 336 (C.A. Ont.), et les décisions américaines, Coker v. Georgia, 433 U.S. 584 (1977) (décision de la pluralité), People v. Broadie, 371 N.Y.S.2d 471 (1975), Carmona v. Ward, 576 F.2d 405 (2nd Cir. 1978), et Solem v. Helm, 463 U.S. 277 (1983). Cependant, lorsque des considérations de proportionnalité se présentent dans le cadre d'un examen fondé sur l'art. 12 de la Charte, il faut faire preuve d'une grande prudence en appliquant la norme des traitements ou peines cruels et inusités. Une peine qui n'est pas en soi cruelle et inusitée peut le devenir si elle est excessive ou disproportionnée, mais seulement si elle est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine. La peine imposée n'est pas nécessairement cruelle et inusitée chaque fois qu'un tribunal ou une assemblée législative s'écarte de ce que l'on pourrait appeler la peine véritablement appropriée. Dans le meilleur des cas, la détermination de la peine est une procédure imprécise et imparfaite et il existe toujours un choix important de sentences appropriées. En outre, il existe toute une gamme de sentences qui peuvent être considérées comme excessives, mais pas excessives ou disproportionnées au point "de ne pas être compatibles avec la dignité humaine" et de justifier ainsi l'intervention des tribunaux en vertu de l'art. 12 de la Charte. En d'autres termes, il existe une vaste zone grise entre la peine vraiment appropriée et la peine cruelle et inusitée au sens de la Charte. Le seul fait de pénétrer dans cette zone grise ne justifie pas l'application de l'interdiction constitutionnelle absolue qu'énonce l'art. 12 de la Charte.

86. Il conviendrait de formuler une autre remarque au sujet de la proportionnalité de la peine. Le critère de la proportionnalité doit s'appliquer sur une base générale et non individuelle. La question n'est pas de savoir si la peine est trop sévère compte tenu de la situation particulière du contrevenant "A", mais si elle est cruelle et inusitée et incompatible avec la dignité humaine compte tenu de la nature et de la gravité de l'infraction commise, et par conséquent, trop sévère pour toute personne qui commet la même infraction. Cette conception s'impose, à mon avis, si l'on veut reconnaître la nature très spéciale de la prohibition établie par l'art. 12 de la Charte et lui donner effet. La prohibition formulée à l'art. 12 ne peut avoir d'effet constitutionnel si son application varie d'un cas à l'autre, d'une personne à l'autre. Ce qui est inconstitutionnel pour l'un doit être inconstitutionnel pour tous ceux qui sont accusés d'avoir commis la même infraction. En l'absence d'une application uniforme de la prohibition, on ne pourrait répondre que "Parfois oui et parfois non" à la question constitutionnelle posée en l'espèce. Cela ne constituerait pas un fondement acceptable pour une décision en matière constitutionnelle. L'article 12 délimite l'éventail des sentences acceptables dans notre société; il n'a pas pour objet de créer un mécanisme permettant d'examiner et de réviser toutes les sentences en appel pour les adapter à la situation particulière de chaque contrevenant et il ne devrait pas être utilisé à cette fin. Cet objectif souhaitable peut être atteint, au cours du processus même de détermination de la peine, par l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire judiciaire de faire un choix parmi le large éventail des sentences non visées par la prohibition de l'art. 12. Comme j'ai tenté de le montrer, l'art. 12 n'a pas été conçu ni adopté dans le but d'adapter à chaque individu la peine imposée; l'intention était d'énoncer le droit absolu de tous à la protection contre les peines et les traitements excessifs au point de ne pas être compatibles avec la dignité humaine.

87. Quels sont les facteurs à considérer pour déterminer si une peine donnée peut être qualifiée de cruelle et inusitée? La jurisprudence déjà citée et la doctrine sur ce point ont proposé divers critères qui ne sauraient tous être pertinents dans tous les cas. Certains critères visent clairement la nature ou la qualité de la peine, d'autres s'intéressent davantage à la durée de la peine sous l'angle de la proportionnalité. La jurisprudence américaine sur la question des peines cruelles et inusitées est plus abondante que la jurisprudence canadienne et contient de nombreux énoncés de principes généraux qui méritent d'être pris en considération au Canada. L'arrêt Furman v. Georgia, 408 U.S. 238 (1972), constitue un bon point de départ pour examiner l'expérience américaine. Chacun des neuf membres de la Cour suprême des États‑Unis a rédigé des motifs distincts, ceux formant la majorité de la Cour déclarant que l'imposition de la peine capitale par diverses lois des états constituait une peine cruelle et inusitée qui violait les Huitième et Quatorzième amendements de la Constitution des États‑Unis. Dans leurs motifs, les juges formant la majorité, en particulier les juges Brennan et Marshall, ont tenté de définir une série de principes sur lesquels pourrait se fonder la constitutionnalité d'une peine. Le juge Brennan a exprimé le point de vue que [TRADUCTION] "Le principe fondamental est qu'une peine ne doit pas être sévère au point de porter atteinte à la dignité de l'être humain" (p. 271). "L'état, même lorsqu'il punit", a‑t‑il dit, "doit traiter ses citoyens avec le respect qui leur est dû en tant qu'êtres humains". Une peine qui [TRADUCTION] "n'est pas compatible avec la dignité humaine" serait donc cruelle et inusitée (p. 270). Comme second principe, il s'est dit d'avis, à la p. 274, que:

[TRADUCTION] ...l'état ne doit pas imposer arbitrairement une peine sévère. Ce principe découle de l'idée que l'état ne respecte pas la dignité humaine lorsque, sans raison, il inflige une peine sévère à certaines personnes, et non à d'autres.

Il est appuyé sur ce point par les juges Douglas et Stewart. Son troisième principe porte que [TRADUCTION] ". . . une peine sévère ne doit pas être inacceptable à notre société contemporaine" (p. 277). Le dernier principe proposé, à la p. 279, porte que:

[TRADUCTION] ...une peine sévère ne doit pas être excessive. Une peine est excessive en vertu de ce principe lorsqu'elle n'est pas nécessaire. L'imposition d'une peine sévère par l'état est incompatible avec la dignité humaine lorsqu'elle a pour seul effet d'infliger gratuitement des souffrances. Lorsqu'il existe une peine nettement moins sévère qui permettrait d'atteindre le but dans lequel la peine est infligée [...] la peine infligée est inutile et donc excessive.

Le juge White a souscrit à son opinion sur ce point.

88. Le juge Marshall a également proposé quatre raisons de conclure qu'une peine est cruelle et inusitée. Il a déclaré:

[TRADUCTION] Premièrement, certaines peines comportent en soi tant de souffrances et de douleurs physiques que des personnes civilisées ne peuvent les tolérer; par exemple, le supplice du chevalet, des poucettes ou d'autres modes de torture [p. 330]. Deuxièmement, il existe des peines qui sont inusitées en ce sens qu'elles n'ont jamais été imposées auparavant pour une infraction donnée [p. 331]. Troisièmement, une peine peut être cruelle et inusitée du fait qu'elle est excessive et ne répond à aucun objectif législatif régulier [p. 331] [...] Quatrièmement, une peine qui n'est pas excessive et qui répond à un objectif législatif régulier peut néanmoins être invalide, si elle soulève le ressentiment populaire [p. 332].

89. Dans l'affaire ultérieure Gregg v. Georgia, 428 U.S. 153 (1976), la cour a examiné une loi de l'état de Georgie qui avait été modifiée expressément pour la rendre conforme aux opinions majoritaires prononcées dans l'arrêt Furman. La nouvelle loi établissait certaines garanties en matière d'imposition de la peine capitale. La cour à la majorité a appliqué le critère de la proportionnalité pour déclarer que la peine de mort n'était pas cruelle et inusitée dans tous les cas.

90. Par la suite, la cour a entendu l'affaire Coker v. Georgia, 433 U.S. 584 (1977), qui portait sur la question de savoir si la peine de mort pour viol était cruelle et inusitée. La cour à la majorité a déclaré que l'imposition de la peine de mort dans le cas d'un viol serait exagérément dispropor‑ tionnée et excessive et, par conséquent, cruelle et inusitée. Le juge White, s'exprimant au nom de la pluralité des juges (les juges Stewart, Blackmun et Stevens), affirme à la p. 592:

[TRADUCTION] Selon l'arrêt Gregg, une peine est "excessive" et inconstitutionnelle si (1) elle ne contribue pas de façon appréciable à la réalisation d'objectifs pénaux acceptables et ne constitue ainsi que l'imposition gratuite et inutile de souffrances et de douleurs; ou si (2) elle est exagérément disproportionnée à la gravité du crime. Une peine pourrait entraîner l'application de ce critère pour l'un ou l'autre de ces motifs. En outre, ces jugements qui portent sur le Huitième amendement ne devraient pas uniquement refléter, ou sembler refléter, les opinions subjectives de chacun des juges; un jugement doit se fonder sur des facteurs objectifs dans la mesure du possible. C'est pourquoi il faut tenir compte des attitudes du public à l'égard d'une sentence particulière; il faut examiner l'historique de la sentence et les précédents, les attitudes législatives ainsi que la réaction des jurys qui ressort des peines qu'ils décident d'imposer.

Plus tard, l'arrêt Solem v. Helm, précité, a mis fin à toute question de savoir si la notion de peine cruelle et inusitée pouvait être élargie de manière à viser autant les peines excessives que les peines barbares. Le juge Powell, s'exprimant au nom de la Cour à la majorité, a déclaré que le Huitième amendement [TRADUCTION] "interdit non seulement les peines barbares mais également les peines qui sont disproportionnées au crime commis" (p. 284).

91. Même s'il va de soi que les principes élaborés aux États‑Unis sous le régime du Huitième amendement ne lient pas notre Cour, ils sont utiles pour comprendre et appliquer la prohibition des peines cruelles et inusitées que contient l'art. 12 de la Charte. Un bon nombre de ces principes se retrouvent déjà dans la jurisprudence canadienne, en particulier dans les premières décisions interprétant la disposition de la Déclaration canadienne des droits en matière de peine cruelle et inusitée. À la page 71 des motifs de dissidence que j'ai rédigés dans l'arrêt Miller and Cockriell, précité, j'ai proposé d'utiliser les normes suivantes pour déterminer la validité d'une peine:

[TRADUCTION] Il me paraît essentiel de fixer certaines normes qui permettent d'évaluer la peine de mort. Il ne serait pas acceptable d'imposer une peine qui n'a aucune valeur en ce sens qu'elle ne protège pas la société en réprimant certains comportements criminels ou qu'elle répond à quelque autre objectif social. Une peine qui n'aurait pas ces attributs serait certainement cruelle et inusitée. La peine capitale ne vise évidemment par la réinsertion sociale ou la réhabilitation et les seuls objectifs qu'elle vise ne peuvent donc être que la dissuasion et la rétribution. Bien qu'il ne puisse y avoir de doute quant à l'effet qu'elle a sur la personne qui la subit, cette peine devrait, pour répondre à un objectif social au sens large, avoir un effet dissuasif sur la population en général et tendre ainsi à réduire le nombre des crimes violents. À mon avis, la peine capitale est une peine cruelle et inusitée si on ne peut prouver que son pouvoir de dissuasion l'emporte sur les objections qu'on peut soulever à son égard. De plus, même en lui supposant une certaine valeur de dissuasion, j'estime que la peine capitale est cruelle et inusitée si elle s'oppose aux normes de la décence et de la bienséance, si elle est inutile parce qu'il existe d'autres moyens suffisants, si elle ne peut être appliquée de façon raisonnable, conformément à des positions bien déterminées et si elle est excessive et disproportionnée aux crimes qu'elle s'efforce de réprimer.

92. Les mêmes normes ont été adoptées expressément par le juge Heald dans l'arrêt McCann c. La Reine, précité, à la p. 601, par le juge Borins dans la décision R. v. Shand (1976), 29 C.C.C. (2d) 199 (C. cté Ont.), à la p. 209, et par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Shand, précité, où le juge adjoint Arnup, s'exprimant au nom de la cour, affirme aux pp. 37 et 38:

[TRADUCTION] Nous reconnaissons que le législateur pourrait imposer une peine si nettement excessive, du fait qu'elle dépasserait toutes les limites logiques du châtiment aux yeux des Canadiens raisonnables et sensés, qu'il faudrait la qualifier de "cruelle et inusitée". C'est pourquoi nous sommes disposés à accepter que ce que l'on a appelé le "principe de la disproportionnalité", dans ce sens, est applicable pour déterminer ce qui constitue une peine cruelle et inusitée mais il s'agit là d'un principe qu'il faut concevoir dans le contexte canadien de notre constitution, de nos coutumes et de notre jurisprudence. Dans cette tâche, les précédents américains grâce à leur diversité peuvent être d'un grand secours, tout comme peuvent l'être, dans une mesure moindre, certains articles de périodiques américains.

Dans le jugement minoritaire et concordant qu'il a rédigé dans l'affaire Miller et Cockriell, le juge en chef Laskin a adopté soit implicitement soit explicitement un grand nombre de ces normes. Voici ce qu'il affirme, aux pp. 693 et 694:

...le juge Brennan avait proposé un critère global correspondant aux arguments avancés par les appelants et l'intervenante devant cette Cour:

[TRADUCTION] Si une peine est exceptionnellement sévère, s'il est très probable qu'elle soit infligée arbitrairement, si elle est fondamentalement rejetée par la société contemporaine et s'il n'y a aucune raison de croire qu'elle sert la justice plus efficacement qu'une peine moins sévère, alors l'imposition de cette peine enfreint la clause qui interdit à l'état d'infliger aux criminels des peines inhumaines et barbares.

Les appelants n'ont pas allégué que ces différents éléments étaient nécessairement cumulatifs, mais je déduis de leurs argumentations que si l'on établissait la sévérité et le caractère excessif de la peine de mort (selon leur conception de ces notions), cela suffirait pour que leur contestation de cette peine en l'espèce soit accueillie. Je suis disposé à accepter ces prémisses, mais je ne puis admettre que leurs conclusions sont bien fondées.

Il a rejeté l'argument voulant que la Cour examine si cette peine était acceptable pour une grande partie de la population canadienne, pour le motif que cela revenait, semble‑t‑il, à demander à la Cour de définir ce qu'est une peine cruelle et inusitée "en fonction de statistiques sur les partisans et les adversaires", un sondage dans lequel la Cour devrait éviter de se lancer (p. 692). Quant à la question de l'application arbitraire, il a déclaré à la p. 690:

Puisque la peine de mort est obligatoire dans le cas qui nous occupe, je ne mentionnerai pas la question de l'application inégale des peines autorisées, ni la question de l'application discrétionnaire, arbitraire ou inconséquente de la peine de mort. On ne peut dire que la limitation de la peine de mort aux seuls meurtres de policiers et de gardiens de prison, personnes précisément chargées de faire respecter le droit pénal et préposées à la garde et à la surveillance des condamnés, est arbitraire ou inconséquente. La diminution graduelle des cas dans lesquels la peine de mort pouvait être imposée dans notre pays (jusqu'à sa récente abolition pour les infractions civiles, par opposition aux infractions militaires dont il n'est pas question en l'espèce), ne fait pas ressortir que lorsqu'elle était obligatoire pour les infractions relevant de catégories restreintes, elle était imposée de façon désordonnée.

Il a appliqué les autres critères pour conclure que, bien que toute peine soit dégradante, la peine de mort n'est pas particulièrement dégradante si l'on examine les infractions pour lesquelles elle est prescrite. En outre, après avoir considéré les justifications fondées sur la dissuasion et la rétribution, il a affirmé, à la p. 697, qu'il lui était impossible de conclure "que l'imposition obligatoire de la peine de mort enfreint [la clause de la Déclaration canadienne des droits concernant les peines cruelles et inusitées] parce qu'elle ne sert aucune fin social". Ces commentaires établissent clairement que le juge en chef Laskin a, dans l'ensemble, adopté les critères formulés dans la jurisprudence américaine et dans la jurisprudence canadienne antérieure que nous avons déjà examinée. Je devrais ajouter qu'étant donné le point de vue qu'ils ont adopté au sujet du statut de la Déclaration canadienne des droits, les juges formant la majorité dans l'arrêt Miller et Cockriell n'ont pas jugé nécessaire d'examiner quelles normes devraient être établies en appliquant la clause interdisant les peines cruelles et inusitées.

93. Les divers critères proposés dans ces décisions ont été résumés de façon fort utile par le professeur Tarnopolsky dans son article intitulé "Just Deserts or Cruel and Unusual Treatment or Punishment? Where Do We Look for Guidance?" précité, aux pp. 32 et 33:

[TRADUCTION]

(1) La peine va‑t‑elle au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre un objectif pénal légitime?

(2) Est‑elle inutile pour le motif qu'il existe des solutions de rechange appropriées?

(3) Est‑elle inacceptable pour une grande partie de la population?

(4) Est‑elle de nature à ne pouvoir être infligée sur une base rationnelle conformément à des normes vérifiées ou vérifiables?

(5) Est‑elle infligée arbitrairement?

(6) Est‑elle sans valeur à toute fin de réinsertion sociale, de réhabilitation, de dissuasion ou de rétribution?

(7) S'accorde‑t‑elle avec les normes publiques de la décence ou de ce qui est acceptable?

(8) La peine est‑elle de nature à choquer la conscience collective ou à être intolérable sur le plan de l'équité fondamentale?

(9) Est‑elle d'une sévérité inhabituelle et donc dégradante pour la dignité et la valeur de l'être humain?

Comme le juge Lamer l'a indiqué, à la p. 1069 de ses motifs, ce sont là les critères qui ont été généralement appliqués dans les affaires entendues jusqu'ici sous le régime de l'art. 12 de la Charte. À mon avis, ces critères constituent une bonne base pour déterminer la validité d'une peine aux termes de l'art. 12 de la Charte. Je crois cependant qu'ils pourraient être rassemblés et énoncés de façon plus concise de la manière suivante:

94. Une peine est cruelle et inusitée et porte atteinte à l'art. 12 de la Charte si elle présente une ou plusieurs des caractéristiques suivantes:

(1) La peine, de par sa nature ou sa durée, choque la conscience collective ou porte atteinte à la dignité humaine;

(2) La peine va au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre un objectif social régulier, compte tenu des objectifs pénaux légitimes et du caractère adéquat des solutions de rechange possibles; ou

(3) La peine est infligée arbitrairement en ce sens qu'elle n'est pas infligée sur une base rationnelle conformément à des normes vérifiées ou vérifiables.

95. Quand au premier critère, la peine, de par sa nature ou sa durée, choque‑t‑elle la conscience collective ou porte‑t‑elle atteinte à la dignité humaine? On n'a pas prétendu devant cette Cour, ce qui d'ailleurs était impossible de faire, que l'emprisonnement, tel que réglementé par le droit canadien, est de nature à choquer la conscience collective ou à porter atteinte à la dignité humaine. Au lieu de cela, l'appelant a soutenu que, dans certains cas, la peine minimale de sept ans d'emprisonnement pourrait, de par sa seule durée, être excessive et disproportionnée à l'infraction commise au point de constituer une peine cruelle et inusitée. D'après le premier volet du critère que je propose, il faudrait que l'appelant établisse que la durée de la peine choquerait la conscience collective ou porterait atteinte à la dignité humaine. J'estime que l'appelant ne peut réussir sur ce point. Les tribunaux imposent tous les jours des peines beaucoup plus longues que sept ans d'emprisonnement pour diverses infractions au Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, ou à d'autres lois pénales. Pour ne donner que quelques exemples, mentionnons que le vol d'un bien dont la valeur dépasse 1 000 $ est punissable d'un emprisonnement de dix ans (art. 294); le vol qualifié peut être puni par l'emprisonnement à perpétuité (art. 303); l'introduction par effraction dans une maison d'habitation dans l'intention d'y commettre une infraction est punissable de l'emprisonnement à perpétuité (art. 306); le faux est punissable d'un emprisonnement de quatorze ans (art. 325); la supposition de personne est punissable d'un emprisonnement de quatorze ans (art. 361); l'homicide involontaire coupable est punissable de l'emprisonnement à perpétuité (art. 219); et, enfin, le trafic de stupéfiants est punissable de l'emprisonnement à perpétuité (art. 4 de la Loi sur les stupéfiants).

96. Puisqu'on se plaint uniquement de la durée de la peine minimale prévue au par. 5(2), il devient utile de considérer la durée de la peine réellement purgée. La personne déclarée coupable d'importation d'un stupéfiant aux termes de l'art. 5 de la Loi sur les stupéfiants et condamnée à la peine minimale de sept ans sera, en l'absence de peines supplémentaires imposées pour d'autres infractions ou de perte de la réduction de peine méritée, admissible à la libération de jour après avoir purgé quatorze mois d'emprisonnement (art. 9, Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78‑428, et mod.). Elle sera admissible à la libération conditionnelle totale après avoir purgé le tiers de sa peine (28 mois), et aura droit à la libération sous surveillance obligatoire après avoir purgé les deux tiers de sa peine (56 mois), à moins qu'il n'existe des motifs raisonnables de croire qu'elle risque de commettre une infraction causant la mort ou des lésions corporelles graves à une autre personne après sa libération (art. 5, Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78‑428, et mod.; Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P‑2, art. 15, et modifications; et Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P‑6, art. 24, et modifications). Compte tenu des autres peines que prévoit actuellement le droit canadien et de la durée de la peine qui sera réellement purgée ainsi que de la gravité de l'infraction, je suis incapable d'affirmer que la peine minimale prévue au par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants est de nature à choquer la conscience collective et à porter atteinte à la dignité humaine. Elle peut bien être excessive mais elle doit être plus qu'excessive pour satisfaire au critère formulé par le juge en chef Laskin: elle ne doit "pas être compatible avec la dignité humaine". Le législateur a décidé qu'une peine minimale de sept ans d'emprisonnement est nécessaire pour lutter contre le trafic de stupéfiants. On pourrait s'interroger sur la sagesse ou l'opportunité de cette décision législative mais, à mon avis, compte tenu de la possibilité d'obtenir une libération anticipée, on ne peut dire que cette peine minimale est sévère au point de choquer la conscience collective ou de porter atteinte à la dignité humaine.

97. J'en viens maintenant au deuxième critère qui, évidemment, recoupe le premier à certains égards. La peine va‑t‑elle au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre un objectif social régulier, compte tenu des objectifs légitimes et du caractère adéquat des solutions de rechange possibles? Il ne fait aucun doute que le Parlement a adopté la Loi sur les stupéfiants pour tenter de supprimer le trafic des drogues illicites, poursuivant ainsi un objectif social tout à fait régulier. L'un des objectifs pénaux légitimes est clairement de dissuader les gens de se livrer à des activités pernicieuses comme le commerce des stupéfiants. Notre société a toujours reconnu qu'il est nécessaire de supprimer les maux qui l'affligent en adoptant des lois et que, pour assurer le respect de ces lois, il faut imposer une peine aux personnes qui les violent. étant donné la gravité de l'infraction qui consiste à importer des stupéfiants, on ne peut pas s'en prendre au fait que la Loi prescrit une peine d'emprisonnement pour le motif qu'elle va plus loin que ce qui est nécessaire pour réaliser l'objectif social régulier. Ce qu'on doit examiner est non pas le fait de l'emprisonnement, mais la question de savoir si la durée de l'emprisonnement est excessive compte tenu du caractère adéquat des solutions de rechange possibles. Il est évident, et aucune preuve n'est nécessaire ici puisque nous [TRADUCTION] "ne devrions pas ignorer en tant que juges ce que nous savons en tant qu'hommes" (le juge Frankfurter dans Watts v. Indiana, 338 U.S. 49 (1949), à la p. 52), que la peine minimale prévue au par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants n'a pas permis de réduire l'importation illicite de stupéfiants dans la mesure souhaitée par le Parlement et il est probable qu'aucune peine, si sévère soit‑elle, ne permettrait d'en enrayer complètement l'entrée dans notre pays. En examinant le caractère approprié des solutions de rechange possibles, la question est de savoir si elles répondraient aux objectifs sociaux de la Loi et aux objectifs pénaux aussi efficacement que la peine conçue par le Parlement. Il va de soi que l'évaluation de peines de rechange ne peut se faire avec précision, puisque notre connaissance de l'efficacité d'une peine est tout au mieux rudimentaire. Le Parlement doit donc jouir d'une large mesure de latitude pour déterminer la peine appropriée, particulièrement lorsque ce qui est en question est non pas la nature de la peine mais seulement sa sévérité. Pour reprendre les termes utilisés par le juge Tarnopolsky, alors professeur, précité, à la p. 33:

[TRADUCTION] ...en fait, un tribunal peut difficilement se substituer au Parlement pour décider si l'objectif pénal poursuivi est légitime ou s'il existe des solutions de rechange adéquates.

98. Il appartient au Parlement d'établir des politiques générales. C'est à lui de déterminer les objectifs des politiques sociales et de prévoir les moyens de les atteindre. Il est vrai qu'il faut désormais évaluer en fonction de la Charte les mesures législatives adoptées par le Parlement et que celles qui ne respectent pas les dispositions de la Charte peuvent être annulées. Toutefois, un tribunal ou un juge ne doit pas en venir là simplement parce qu'il n'est pas d'accord avec la décision du Parlement, mais seulement s'il y a violation de la Charte. Le Parlement dispose des ressources et des instruments nécessaires pour effectuer des enquêtes détaillées sur les éléments pertinents à l'établissement de ses politiques. Il est beaucoup mieux en mesure qu'un tribunal de procéder à un examen approfondi des questions relatives aux politiques sociales. Il peut vérifier l'opinion publique, examiner et débattre l'opportunité d'adopter tel ou tel programme et rendre des décisions fondées sur des considérations plus larges et sur beaucoup plus d'éléments de preuve que ce dont peut disposer un tribunal. On peut trouver un exemple de la méthode utilisée par le Parlement dans la démarche suivie pour adopter le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, que le juge Arnup expose en détail dans les motifs qu'il a rédigés dans l'affaire R. v. Shand, précitée. Dans cette affaire, on contestait la validité de la disposition même qui est soumise à notre examen en l'espèce, en invoquant l'interdiction d'infliger des peines ou traitements cruels et inusités contenue à l'al. 2b) de la Déclaration canadienne des droits. Le juge Arnup a rédigé l'arrêt de la cour (les juges Brooke, Arnup, Dubin, Martin et Blair) et a conclu que cette disposition n'imposait pas une peine cruelle et inusitée. Il a examiné l'historique du par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants aux pp. 29 et 30. Bien que ce passage de son jugement soit long, je le reproduis ici en entier:

[TRADUCTION] Historique de la disposition pénale

La "Loi prohibant l'importation, la fabrication et la vente de l'opium à toutes fins autres que celles de la médecine", 1908 (Can.), chap. 50 (la première loi canadienne en la matière) ne prescrivait pas de peine minimale d'emprisonnement. Elle faisait de l'importation d'opium un acte criminel dont l'auteur était passible d'un emprisonnement de trois ans ou d'une amende n'excédant pas 1 000 $ et d'au moins 50 $, ou des deux peines à la fois.

Cette loi fut remplacée par la Loi de l'opium et des drogues, 1911 (Can.), chap. 17. La cocaïne, la morphine et l'eucaïne (et les sels de ces substances) furent ajoutées à l'opium. Une catégorie d'infractions consistait à importer, fabriquer, vendre, posséder ou transporter quelque drogue d'un endroit à l'autre au Canada; la peine prévue était une amende d'au plus 500 $ ou un emprisonnement d'au plus un an, ou les deux peines à la fois. Un autre article constituait en infraction le commerce de drogues avec des personnes non autorisées et prévoyait des peines moindres.

En 1920, il y eut adoption de la Loi de l'opium et des drogues narcotiques, chap. 31; une série de modifications déboucha sur une nouvelle loi refondue (1923, chap. 22) qui demeura inchangée pour l'essentiel jusqu'en 1954. La première peine minimale d'emprisonnement fut adoptée en 1922 (chap. 36, par. 2(2)); elle était de six mois. Cette peine minimale fut reprise dans les S.R.C. 1927, chap. 144, art. 4, et les S.R.C. 1952, chap. 201, art. 4.

En 1954, le Parlement adopta, vers la fin de la session, la loi 1953‑54, chap. 38. On y définissait "le fait de trafiquer" comme l'importation, la fabrication, la vente, etc. La peine maximale passait à 14 ans et la peine du fouet pouvait être ajoutée à la discrétion du juge. Cette infraction ne comportait pas de peine minimale, même si le minimum de six mois était conservé pour la possession de drogue et la culture du pavot somnifère ou du cannabis sativa.

En 1955, le problème de la drogue au Canada fut examiné par un comité spécial du Sénat qui fit rapport le 23 juin 1955. Il recommanda l'adoption de peines beaucoup plus sévères pour le trafic, notamment "une longue peine minimale obligatoire qui augmenterait en cas de récidive". Le but était de lutter contre la dépendance à l'égard des drogues en augmentant les risques et les coûts du commerce des drogues. On mentionnait les importateurs et on recommandait la création d'une infraction spéciale "assortie de la peine la plus sévère possible pour l'importation illicite de drogues au Canada".

Un projet de loi fut déposé en 1957 mais "mourut au feuilleton" à la suite du déclenchement d'élections fédérales. La nouvelle Loi sur les stupéfiants, 1960‑61 (Can.), chap. 35, fut présentée et adoptée. Entre temps, on avait adopté la Déclaration des droits. (Les dates d'adoption respectives de ces lois sont sans importance compte tenu du par. 5(2) de la Déclaration des droits.) Le paragraphe 5(2) de la nouvelle Loi sur les stupéfiants prescrivait une peine minimale de sept ans pour l'infraction d'importation, ce qui est demeuré inchangé. La peine maximale d'emprisonnement pour le trafic, la possession aux fins de trafic et l'importation fut portée à l'emprisonnement à perpétuité.

Cet historique démontre que le Parlement s'est préoccupé de plus en plus du trafic des drogues en général et de l'importation en particulier. Il est évident que la peine minimale pour l'importation, adoptée à la suite de recommandations en ce sens, traduisait une politique législative mûrement réfléchie qui avait pour but d'apporter des remèdes précis à des maux précis.

99. Vu l'examen détaillé et approfondi de cette question par le Parlement et l'absence, en cette Cour, d'éléments de preuve indiquant l'existence d'une solution de rechange adéquate qui permettrait de réaliser l'objectif social régulier consistant à dissuader les gens de s'adonner à l'importation de stupéfiants, je ne puis conclure que la peine minimale de sept ans va au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre un objectif social régulier, compte tenu des objectifs pénaux légitimes et du caractère adéquat des solutions de rechange possibles.

100. Cela m'amène au dernier critère à considérer: la peine est‑elle infligée arbitrairement en ce sens qu'elle n'est pas infligée sur une base rationnelle conformément à des normes vérifiées ou vérifiables? Une peine peut être proportionnée à l'infraction commise en ce sens qu'elle ne choque pas la conscience collective ou qu'elle ne va pas au delà de ce qui est nécessaire pour réaliser un objectif social régulier, tout en étant cruelle et inusitée pour le motif qu'elle est infligée arbitrairement. C'est ce qu'a fait remarquer le juge Stewart dans l'arrêt Gregg, précité, à la p. 188, lorsqu'il a déclaré que, si la peine de mort était imposée de façon arbitraire et capricieuse, elle serait cruelle et inusitée [TRADUCTION] "de la même façon que le fait d'être atteint par la foudre est cruel et inusité", bien qu'elle soit proportionnée à l'infraction de meurtre. En d'autres termes, une peine proportionnée à l'infraction commise peut néanmoins être cruelle et inusitée si elle est imposée de façon arbitraire, inégale et sans raison à certaines personnes et pas à d'autres.

101. Le mot "arbitraire" a été défini de différentes façons, notamment par les termes "capricieux", "frivole", "déraisonnable", "injustifié" et "non régi par des règles ou des principes" (voir, par exemple, Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, le juge Rand, aux pp. 139 et 140; R. v. Simon (No. 1) (1982), 68 C.C.C. (2d) 86, (C.S.T.N.‑O.), aux pp. 90 à 92; Levitz v. Ryan, [1972] 3 O.R. 783 (C.A.), à la p. 790; et Mitchell, précité). Bien que ces expressions soient d'un certain secours pour définir la notion de caractère arbitraire, j'estime que la principale considération est de savoir si la peine est autorisée par la loi et imposée conformément à des normes ou à des principes qui ont un lien rationnel avec les objectifs de la mesure législative. Cette condition garantit que la peine ne sera pas imposée sans motif ni sans respecter certaines normes.

102. Il existe au moins trois cas dans lesquels on peut dire que l'imposition d'une peine est arbitraire: la décision législative d'adopter la loi prévoyant la peine pourrait être arbitraire, la mesure législative pourrait à première vue imposer la peine de façon arbitraire, et enfin, l'autorité chargée d'imposer la peine pourrait, en pratique, l'imposer arbitrairement. Pour ce qui est de la première possibilité, je suis d'accord avec le juge Lambert de la Cour d'appel pour dire qu'il ne s'agit pas là d'une question qui relève des tribunaux. Comme il l'a déclaré, [TRADUCTION] "il n'appartient pas aux tribunaux d'examiner si des décisions politiques sont judicieuses ou rationnelles ni de juger de la sagesse d'une mesure législative ou du caractère rationnel de son processus d'adoption. Ces tâches relèvent du Parlement et des assemblées législatives [...] Les tribunaux ne peuvent que statuer sur la constitutionnalité d'une mesure législative adoptée conformément au processus parlementaire." Cependant, les tribunaux peuvent et devraient examiner les deux autres sources de caractère arbitraire.

103. Une mesure législative est arbitraire à première vue si elle impose une peine pour des motifs ou selon des critères qui n'ont pas de liens rationnels avec les objectifs qu'elle poursuit. Par exemple, une loi qui prescrirait une procédure essentiellement aléatoire de détermination de la peine, sans aucun égard pour le rapport existant entre la peine et l'objet social poursuivi, serait cruelle et inusitée même si la peine imposée en réalité était proportionnée à l'infraction commise. Dans le cas de deux contrevenants qui auraient des antécédents et des caractéristiques identiques et qui auraient commis la même infraction dans les mêmes circonstances, la loi ne pourrait enjoindre de leur imposer des peines différentes. L'une des conséquences nécessaires de l'imposition des peines selon des normes ayant un lien rationnel avec l'objet poursuivi par la loi, est que les contrevenants se trouvant dans des situations semblables recevront, dans la mesure du possible, un traitement égal.

104. En l'espèce, l'appelant soutient que la peine minimale de sept ans d'emprisonnement prévue au par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants est arbitraire parce qu'elle [TRADUCTION] "doit être imposé par le juge de première instance sans égard au type ou à la quantité de stupéfiant importé ou exporté, ni à l'utilisation prévue, ni aux antécédents criminels de l'accusé". En d'autres termes, l'appelant soutient qu'une loi qui limite le pouvoir discrétionnaire du juge de première instance d'examiner et d'évaluer la situation du contrevenant et les circonstances de l'infraction en vue de déterminer la durée de la peine, est arbitraire et, par conséquent, cruelle et inusitée. J'estime qu'on ne peut retenir cet argument. Sous le prétexte de protéger les individus contre les peines cruelles et inusitées, il limiterait indûment le pouvoir du Parlement d'établir les politiques générales en matière d'imposition de peines aux criminels. Retenir un tel argument aurait pour effet, en réalité, d'enchâsser dans la Constitution le pouvoir discrétionnaire absolu des juges de déterminer la peine appropriée. Il est vrai qu'en général, au moment d'imposer une peine, un juge examine la nature et la gravité de l'infraction, les circonstances qui l'entourent ainsi que la réputation et les antécédents criminels du contrevenant, tout en gardant à l'esprit les buts premiers de la peine: la réhabilitation, la dissuasion, la neutralisation et la rétribution. Mais comme je l'ai déjà noté, le processus de détermination de la peine est imprécis et il existera toujours une grande variété de sentences appropriées. Pour certaines infractions, c'est la protection du public qui prime et on accorde peu d'importance à la possibilité de réhabiliter le contrevenant. Dans d'autres cas, la gravité de l'infraction peut à elle seule commander l'imposition d'une peine sévère comme, par exemple, dans le cas du meurtre au premier degré. Il existe d'autres infractions et circonstances qui appellent une peine fondée principalement sur les possibilités de réhabilitation. En fixant une peine minimale de sept ans pour l'importation de stupéfiants, le Parlement a décidé que la gravité de l'infraction, la protection du public et la lutte contre le commerce des drogues revêtaient une importance primordiale et que, par conséquent, on devrait accorder un importance relativement moindre à la situation particulière de l'accusé. Cette décision du législateur n'a pas pour effet de transformer le processus de détermination de la peine en un processus arbitraire. Aux termes du par. 5(2) de la Loi, la peine continue d'être imposée pour des motifs qui ont un lien rationnel avec les objets de la Loi, c'est‑à‑dire, la lutte contre le trafic illicite des drogues. De plus, le juge de première instance conserve un large pouvoir discrétionnaire d'examiner la situation particulière de l'accusé en vue de décider de l'opportunité d'imposer une peine inférieure à la peine maximale d'emprisonnement à perpétuité. Le Parlement a seulement conclu que la gravité de l'infraction justifiait à elle seule une peine d'au moins sept ans d'emprisonnement. On pourrait bien sûr s'interroger sur la sagesse d'une telle conclusion, mais je ne puis accepter que cela rende le processus de détermination de la peine arbitraire et, par conséquent, cruel et inusité au sens de l'art. 12 de la Charte.

105. Enfin, dans la mesure où le processus même de détermination de la peine peut devenir arbitraire, une erreur judiciaire n'influe pas sur la constitutionnalité et peut normalement être corrigée en appel. Cette question n'est pas soulevée en l'espèce. Je suis donc d'avis que le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants ne viole pas l'art. 12 de la Charte.

106. Outre les arguments fondés sur l'art. 12 de la Charte, l'appelant prétend également que le par. 5(2) viole les art. 9 et 7 de la Charte. L'article 9 prévoit que "Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires." À mon avis, cet article n'ajoute rien, en l'espèce, aux arguments déjà examinés dans le contexte de l'art. 12 de la Charte. J'ai déjà mentionné au sujet de l'art. 12 qu'à mon avis le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants n'impose pas une peine arbitrairement.

107. J'estime également que l'appelant ne peut invoquer avec succès l'art. 7 de la Charte. L'article 7 proclame des droits de nature générale et de portée très large qui recoupent parfois les autres droits énoncés dans la Charte, mais on ne saurait lui donner une interprétation large au point de rendre nuls ces autres droits. Si on concluait que l'art. 7 impose des restrictions plus sévères que l'art. 12 en matière de peine, comme par exemple en interdisant les peines simplement excessives, il subsumerait complètement l'art. 12 et le rendrait inutile. C'est pourquoi il m'est impossible de conclure que l'art. 7 soulève des droits ou des questions qui n'ont pas déjà été examinés dans le contexte de l'art. 12.

108. En résumé, j'estime que l'art. 12 de la Charte est une disposition constitutionnelle spéciale qui n'a rien à voir avec les principes généraux de la détermination de la peine ni avec les problèmes sociaux connexes. Il a pour fonction de fixer des bornes constitutionnelles que le Parlement ou les personnes agissant sous son autorité ne peuvent dépasser en imposant une peine ou un traitement relativement aux crimes ou à l'incarcération. Lorsqu'il agit à l'intérieur des limites ainsi fixées, le Parlement conserve un pouvoir discrétionnaire complet d'adopter des lois et règlements en matière de détermination de la peine et d'incarcération. Par contre, les tribunaux ont le devoir, lorsqu'ils fixent une peine, d'empêcher toute incursion dans le domaine des traitements ou peines cruels et inusités et lorsqu'aucune incursion de ce genre n'a eu lieu, ils ont le devoir d'imposer la peine appropriée selon les limites acceptables fixées par le Parlement. Ce faisant, les tribunaux appliqueront les principes généraux reconnus en matière de détermination de la peine afin de tenter d'adapter la peine à l'infraction commise et au criminel.

109. La disposition de la Charte, à l'art. 12, est le mécanisme de limitation constitutionnelle du pouvoir discrétionnaire du Parlement en matière d'imposition des peines. Il n'est pas possible d'affirmer que la Charte a voulu réaliser cet objectif en accordant aux tribunaux une pouvoir discrétionnaire absolu dans ce domaine. Si l'on devait interpréter l'art. 12 comme autorisant le juge de première instance à adoucir la peine prescrite par le Parlement pour la seule raison qu'elle est, d'après lui, trop sévère, il s'ensuivrait que la fonction du Parlement en matière de peines infligées pour des actes criminels deviendrait assujettie au contrôle judiciaire discrétionnaire. On éliminerait alors le rôle que joue le Parlement dans la détermination et la définition de cet aspect de l'ordre public. Le concept des traitements ou peines cruels et inusités serait dépouillé de son caractère spécial et deviendrait en fait une simple mise en garde contre les peines sévères. Il faut se rappeler que l'art. 12 énonce une prohibition absolue. Si la portée de cette prohibition n'est pas contenue dans des limites bien définies, si les tribunaux peuvent l'invoquer à leur gré dans chaque affaire, alors ce qui est cruel et inusité à l'égard de "A" dans un cas donné pourra devenir acceptable à l'égard de "B" dans un autre cas. Un tel résultat diminue l'importance de la prohibition absolue de l'art. 12 de la Charte et ne constitue pas, à mon avis, une façon acceptable d'aborder une question constitutionnelle.

110. Pour tous les motifs qui précèdent, je ne puis conclure que la peine minimale de sept ans d'emprisonnement prescrite par le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants porte atteinte à la dignité humaine, qu'elle est inutile pour réaliser un objectif social régulier, ou encore qu'elle est arbitraire. Cette peine n'est pas exagérément dispropor‑ tionnée à l'infraction d'importation de stupéfiants au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine. Cette disposition ne viole pas les art. 7, 9 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de répondre par la négative à la question constitutionnelle.

Version française des motifs rendus par

111. Le juge Wilson—J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mon collègue le juge Lamer et je tiens à traiter brièvement de ce qu'est, selon moi, le droit garanti par l'art. 12 de la Charte. Ce faisant, j'aborderai également l'art. 9.

112. Il me semble qu'il ressort de la lecture de l'art. 12 que cette disposition porte avant tout sur la nature ou le type de traitement ou de peine. En fait, ses origines historiques semblent étayer ce point de vue. Le chevalet et les poucettes, le pilori, la torture sous toutes ses formes, les conditions carcérales insalubres, les périodes prolongées d'incarcération dans des cellules d'isolement ont été progressivement reconnus comme inhumains et dégradants et complètement défavorables à la réhabilitation du prisonnier qui tôt ou tard serait relâché dans la société. Cependant, je suis d'accord avec mon collègue pour dire que l'art. 12 n'est pas limité aux peines cruelles par nature. Il vise aussi les peines qui sont, pour reprendre ses termes, "exagérément disproportionnées". Et, par cela, je veux dire qu'elles sont cruelles et inusitées en raison de leur disproportion, du fait que personne, que ce soit le contrevenant ou le public, n'aurait pu croire que l'infraction commise par l'accusé lui attirerait un tel châtiment. Personne, ni lui ni le public, ne s'attendait à ce qu'il soit aussi sévère. Il a choqué la conscience collective. Il est "inusité" à cause de sa nature extrême. Si j'adopte le concept du juge en chef Laskin des "termes qui se complètent et qui [s'interprètent] l'un par l'autre" (voir Miller et Cockriell c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680, aux pp. 689 et 690), il était inusité au point d'être cruel et cruel au point d'être inusité.

113. Il reste que, comme le souligne le juge Lamer, le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants empêche l'imposition d'une peine moindre que sept ans d'emprisonnement pour l'importation d'une quantité minime de marihuana, voire une seule cigarette. Je suis d'accord avec mon collègue pour dire que cela constituerait une peine cruelle et inusitée dans le cas d'un jeune contrevenant sans antécédents judiciaires; en fait, ce serait une peine "excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine": voir Miller et Cockriell c. La Reine, précité, à la p. 688. Pourtant, le juge n'a pas le choix en vertu de cette disposition.

114. Toutefois, je ne suis pas d'accord avec le juge Lamer pour dire que la nature arbitraire de la peine minimale prescrite par le par. 5(2) de la Loi est sans importance pour ce qui est de la qualifier de "cruelle et inusitée" au sens de l'art. 12. Bien au contraire, je crois que c'est tout à fait fondamental. Une peine de sept années d'emprisonnement pour l'importation d'une drogue n'est pas en soi cruelle et inusitée. Il se peut fort bien qu'on la mérite et qu'elle soit tout à fait convenable. C'est le fait que cette peine doit être imposée sans égard aux circonstances de l'infraction ou à la situation du contrevenant qui fait que, dans certains cas particuliers, elle est exagérément disproportionnée et, par conséquent, cruelle et inusitée. Le concept de "la sentence appropriée", que je décris comme essentiel à toute théorie des peines contemporaine dans les motifs concordants que j'ai rédigés dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, est inconciliable avec la peine minimale obligatoire que prescrit le par. 5(2). Les tribunaux sont dans l'impossibilité d'exercer leur pouvoir discrétionnaire d'imposer une peine d'une durée plus courte si les circonstances le justifient et il en résulte inévitablement, dans certains cas, une sentence exagérément disproportionnée prescrite par la loi.

115. Il ne fait pas de doute que des peines peuvent être cruelles et inusitées au sens de l'art. 12, sans être imposées arbitrairement. D'autres peines peuvent être arbitraires au sens de l'art. 9 sans pour autant être cruelles et inusitées. Cependant, je ne partage pas l'avis de mon collègue lorsqu'il tient à ce que les deux articles demeurent mutuellement exclusifs. Je crois qu'il s'agit en l'espèce d'un cas où la nature arbitraire de la sentence minimale prescrite par la loi entraîne inévitablement l'imposition d'une peine cruelle et inusitée. Ceci pourrait être différent si la peine minimale prescrite par la loi était, par exemple, de six mois ou d'un an puisque, même si ceci pouvait être arbitraire, la peine ne serait certes pas "excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine". Par contre, une peine de sept ans est excessive à ce point et c'est pourquoi, à mon avis, elle ne peut pas survivre à la contestation constitutionnelle fondée sur l'art. 12.

116. Je suis d'accord avec le juge Lamer pour dire que l'article premier ne permet pas de sauvegarder le par. 5(2), dans la mesure où il prescrit une peine minimale obligatoire, parce que le moyen utilisé pour atteindre l'objectif gouvernemental légitime de refréner l'importation de drogues porte atteinte, plus qu'il n'est nécessaire, au droit garanti par l'art. 12 de la Charte.

117. Je suis d'avis de répondre ainsi à la question constitutionnelle:

Question La sentence minimale obligatoire de sept ans imposée par le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N‑1, est‑elle contraire ou porte‑t‑elle atteinte aux droits et garanties énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés et, en particulier, aux droits énoncés aux art. 7, 9 et 12?

Réponse La sentence minimale obligatoire de sept ans prescrite par le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N‑1, porte atteinte au droit énoncé à l'art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.

118. J'estime, compte tenu de ma réponse au sujet de l'art. 12, qu'il n'est pas nécessaire de déterminer si le par. 5(2) porte atteinte aux droits énoncés à l'art. 7 ou à l'art. 9 de la Charte et, dans l'affirmative, si la violation ou la négation des droits conférés par l'un ou l'autre de ces articles peut être justifiée en vertu de l'article premier.

119. Je suis d'accord avec la façon dont mon collègue propose de trancher le pourvoi.

Version française des motifs rendus par

120. Le juge Le Dain—J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement de mes collègues les juges McIntyre, Lamer et Wilson. D'une manière générale, je suis d'accord avec la façon dont le juge McIntyre a formulé le critère applicable pour déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte, y compris la façon dont il aborde l'application des critères du caractère disproportionné et du caractère arbitraire. Je partage en outre son avis qu'une peine jugée cruelle et inusitée ne saurait être justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. Avec égards, je ne puis toutefois souscrire à sa conclusion que la peine minimale obligatoire de sept ans d'emprisonnement prévue au par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants ne porte pas atteinte au droit garanti par l'art. 12 de la Charte.

121. La question, telle que je la perçois, et j'avoue qu'elle m'a causé beaucoup de difficultés, est de savoir si la peine minimale obligatoire de sept ans d'emprisonnement prévue au par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants doit, compte tenu de l'art. 12 de la Charte, être évaluée en fonction de la gravité générale de l'infraction créée par le par. 5(1) ou plutôt en fonction de la gravité relative de toute la gamme des actes qui pourraient en principe constituer l'infraction. J'ai des doutes sérieux quant à savoir s'il convient de fonder sur de simples hypothèses une décision concernant la constitutionnalité à première vue de la peine minimale obligatoire qu'impose le par. 5(2). On reconnaît qu'une peine d'emprisonnement de sept ans ne serait ni cruelle ni inusitée dans bien, voire la plupart, des cas imaginables d'importation ou d'exportation illicite d'un stupéfiant. Je me suis demandé si cela ne devrait pas suffire pour établir la validité à première vue de la peine minimale obligatoire de sept ans d'emprisonnement, sous réserve du pouvoir que détiennent les tribunaux de conclure, dans un cas d'espèce, que cette peine minimale obligatoire va à l'encontre de la Constitution pour le motif que, compte tenu de l'ensemble des circonstances en présence, elle serait cruelle et inusitée. Bien que la souplesse de cette démarche me plaise, j'en suis venu à la conclusion que ce ne serait pas la bonne manière d'aborder la question de la validité et de l'application d'une disposition qui crée une peine minimale obligatoire et qui vise une grande variété d'actes, ne serait‑ce qu'en raison de l'incertitude qu'elle créerait et des effets préjudiciables que pourrait avoir, dans des cas particuliers, la présomption de la validité ou de l'applicabilité de ladite disposition. En arrivant à cette conclusion, cependant, je ne formule aucune hypothèse quant à savoir si la disposition du par. 5(2), qui prescrit la peine minimale obligatoire, pourrait être ainsi restructurée, avec des distinctions quant à la nature et à la quantité des stupéfiants, quant au but de la possession de ceux‑ci et peut‑être aussi quant aux déclarations de culpabilité antérieures, de manière à pouvoir résister à toute attaque future tout en conservant son caractère de mesure législative pratique et utile permettant la répression d'un phénomène complexe et multi‑dimensionnel.

122. En conclusion, je suis d'accord avec le juge Lamer pour dire que la peine de sept ans d'emprisonnement pour l'importation ou l'exportation illicite d'une faible quantité de cannabis destinée à l'usage personnel serait cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte et que, pour cette raison, les mots "mais encourt un emprisonnement d'au moins sept ans" figurant au par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants doivent être déclarés inopérants. Je suis d'avis de répondre à la question constitutionnelle et de trancher le pourvoi de la manière qu'il propose.

123. En ce qui concerne la question de l'intérêt ou de la qualité pour agir sur laquelle s'est penché le juge McIntyre, j'ajouterais que, à mon avis, on devrait reconnaître à un accusé la qualité pour contester la constitutionnalité d'une peine minimale obligatoire, indépendamment de la question de savoir si, dans son cas, cette peine serait cruelle et inusitée. Dans un tel cas, l'accusé a intérêt à ce que la peine soit considérée sans égard à une disposition inconstitutionnelle qui prescrit une peine minimale obligatoire.

Version française des motifs rendus par

124. Le juge La Forest—Je suis essentiellement d'accord avec mon collègue le juge Lamer. Toutefois, je préfère ne rien dire au sujet du rôle que joue le caractère arbitraire lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a eu imposition d'une peine ou d'un traitement cruel et inusité.

Pourvoi accueilli, le juge McIntyre est dissident.

Procureurs de l'appelant: Serka & Shelling, Vancouver.

Procureur de l'intimée: Frank Iacobucci, Ottawa.

Procureur de l'intervenant: Procureur général de l'Ontario, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1987] 1 R.C.S. 1045 ?
Date de la décision : 25/06/1987
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Peine cruelle et inusitée - Prescription d'une peine minimale pour l'importation de stupéfiants indépendamment de la gravité de l'infraction - La peine minimale est‑elle cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte? - Dans l'affirmative, est‑elle justifiable en vertu de l'article premier de la Charte? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 12 - Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N‑1, art. 5(2).

L'appelant a plaidé coupable à l'accusation d'importation au Canada de sept onces et demie de cocaïne, contrairement au par. 5(1) de la Loi sur les stupéfiants. Avant que ne soient faites les représentations sur la sentence, l'accusé a contesté la constitutionnalité de la peine minimale de sept ans qu'impose le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, pour le motif qu'elle est incompatible avec les art. 7, 9 et 12 de la Charte. Le juge de première instance a conclu que l'emprisonnement obligatoire minimum de sept ans que prescrit le par. 5(2) constitue une peine cruelle et inusitée contraire à la Charte, en raison de la disproportion potentielle de la peine obligatoire. Il a néanmoins infligé une peine de huit ans. La Cour d'appel a décidé que le par. 5(2) n'est pas incompatible avec la Charte et a conclu que la sentence imposée était appropriée. La question constitutionnelle dont la Cour est saisie est de savoir si le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants est contraire à la Charte et, en particulier, aux art. 7, 9 et 12.

Arrêt (le juge McIntyre est dissident): Le pourvoi est accueilli.

Le juge en chef Dickson et le juge Lamer: La peine minimale prescrite par le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants viole l'art. 12 de la Charte et cette violation n'est pas justifiée en vertu de l'article premier.

Le fait incontesté que l'objet du par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants est constitutionnel n'empêche pas d'analyser ce paragraphe afin de déterminer si la peine minimale prescrite a pour effet d'obliger le juge à imposer une peine cruelle et inusitée, et si elle viole ainsi à première vue l'art. 12; dans l'affirmative, il doit être réexaminé, en vertu de l'article premier, sous l'angle de son objet et de toute autre considération utile pour déterminer si la loi attaquée peut être sauvegardée.

La protection accordée par l'art. 12 de la Charte régit la qualité de la peine et vise l'effet que la peine peut avoir sur la personne à qui elle est infligée. Le critère applicable à l'examen en vertu de l'art. 12 de la Charte est celui de la disproportion exagérée, étant donné que cet article vise les peines qui sont plus que simplement excessives. En vérifiant si une peine est exagérément disproportionnée, le tribunal doit prendre en considération la gravité de l'infraction commise, les caractéristiques personnelles du contrevenant et les circonstances particulières de l'affaire afin de déterminer quelles peines auraient été appropriées pour punir, réhabiliter ou dissuader ce contrevenant particulier ou pour protéger la société contre ce dernier. Le tribunal doit aussi évaluer l'effet de la peine qui ne se limite pas à l'importance ou à la durée de cette peine, mais comprend aussi sa nature et les circonstances dans lesquelles elle est imposée. Les questions de savoir si la peine est nécessaire pour atteindre un objectif pénal régulier, si elle est fondée sur des principes reconnus en matière de détermination de la sentence et s'il existe des solutions de rechange valables à la peine imposée, constituent des lignes directrices qui, sans être décisives en elles‑mêmes, aident à vérifier si la peine est exagérément disproportionnée. Le caractère arbitraire constitue un facteur minime pour ce qui est de déterminer si une peine ou un traitement est cruel et inusité.

La peine minimale d'emprisonnement prescrite par le par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants n'est pas conforme au critère de la proportionnalité et viole donc à première vue les garanties établies par l'art. 12 de la Charte. Une peine minimale obligatoire d'emprisonnement n'est pas cruelle et inusitée en soi. Le législateur peut prescrire une peine obligatoire d'emprisonnement dans le cas d'une déclaration de culpabilité de certaines infractions sans porter atteinte aux droits garantis par l'art. 12 de la Charte. Cependant, un verdict de culpabilité en vertu du par. 5(1) entraînera inévitablement l'imposition d'une peine d'emprisonnement tout à fait disproportionnée, car le par. 5(1) vise de nombreuses substances plus ou moins dangereuses, ne tient absolument pas compte de la quantité de drogue importée et juge sans importance le motif de l'importation et l'existence de condamnations antérieures. Le minimum a pour effet de créer la certitude que, dans certains cas, dès qu'il y aura déclaration de culpabilité, la violation se produira. C'est cet élément de certitude, et non uniquement la potentialité, qui fait que le par. 5(2) viole à première vue l'art. 12. Le minimum doit, sous réserve de l'article premier, être déclaré inopérant.

L'article ne peut être sauvegardé en invoquant le pouvoir discrétionnaire qu'a le ministère public de ne pas porter d'accusation d'importation dans les cas où il estime que cela entraînerait une violation de la Charte. Ce serait là ignorer totalement l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

L'article ne saurait pas plus être sauvegardé en vertu de l'article premier de la Charte. Le premier critère applicable en vertu de l'article premier est respecté: la lutte contre l'importation et le trafic des drogues dures est un objectif suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit garanti par la Constitution. Le second critère, savoir la proportionnalité du moyen choisi, ne l'est pas. Le minimum a sûrement pour effet de dissuader les gens d'importer des stupéfiants. Cependant, il n'est pas nécessaire de condamner les petits contrevenants à sept ans de prison pour dissuader l'auteur d'une infraction grave.

Le juge Wilson: L'article 12 de la Charte, s'il porte avant tout sur la nature ou le type de traitement ou de peine, n'est pas limité aux peines cruelles par nature mais vise aussi celles qui sont "exagérément disproportionnées". L'imposition obligatoire de la peine minimale de sept ans prévue au par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants à un jeune contrevenant sans antécédents judiciaires contreviendrait à l'art. 12 de la Charte en ce sens qu'elle constituerait une peine cruelle et inusitée, "excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine". L'article premier ne permet pas de sauvegarder le par. 5(2), dans la mesure où ce paragraphe ne donne pas le choix, parce que le moyen utilisé pour atteindre l'objectif gouvernemental légitime de refréner l'importation de drogues porte atteinte, plus qu'il n'est nécessaire, aux droits garantis par l'art. 12 de la Charte.

La nature arbitraire de la peine minimale obligatoire est fondamentale pour ce qui est de la qualifier de cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte. La peine minimale de sept ans n'est en soi ni cruelle ni inusitée, mais elle le devient du fait qu'elle doit être imposée sans égard aux circonstances de l'infraction ni à la situation du contrevenant. Son imposition arbitraire entraîne inévitablement, dans certains cas, une sentence exagérément disproportionnée prescrite par la loi.

Certaines peines peuvent être cruelles et inusitées au sens de l'art. 12 sans être imposées arbitrairement, alors que d'autres peuvent être arbitraires au sens de l'art. 9 sans pour autant être cruelles et inusitées. Les articles 9 et 12 ne s'excluent pas mutuellement.

Le juge Le Dain: La peine de sept ans d'emprisonnement pour l'importation ou l'exportation illicite d'une faible quantité de cannabis destinée à l'usage personnel serait cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte et, pour cette raison, les mots "mais encourt un emprisonnement d'au moins sept ans", figurant au par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants, doivent être déclarés inopérants. Malgré la conclusion à laquelle il arrive, le critère applicable pour déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte devrait, en général, être celui formulé par le juge McIntyre, y compris la façon dont il aborde l'application des critères du caractère disproportionné et du caractère arbitraire. Une peine jugée cruelle et inusitée ne saurait être justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.

La peine minimale obligatoire de sept ans d'emprisonnement ne saurait être jugée valide à première vue en raison de la gravité générale de l'infraction créée par le par. 5(1), sous réserve du pouvoir que détiennent les tribunaux de conclure qu'elle va à l'encontre de la Constitution dans un cas donné. Une telle solution doit être rejetée en raison de l'incertitude qu'elle créerait et des effets préjudiciables que pourrait avoir, dans des cas particuliers, la présomption de la validité ou de l'applicabilité de la peine minimale obligatoire. En arrivant à cette conclusion, aucune hypothèse n'est formulée quant à savoir si la disposition du par. 5(2) qui prescrit la peine minimale obligatoire, pourrait être ainsi restructurée, avec des distinctions quant à la nature et à la quantité des stupéfiants, quant au but de la possession de ceux‑ci et peut‑être aussi quant aux déclarations de culpabilité antérieures, de manière à pouvoir résister à toute attaque future tout en conservant son caractère de mesure législative pratique et utile permettant la répression d'un phénomène complexe et multidimensionnel.

En ce qui concerne la question de l'intérêt ou de la qualité pour agir, on devrait reconnaître à un accusé la qualité pour contester la constitutionnalité d'une peine minimale obligatoire, indépendamment de la question de savoir si, dans son cas, cette peine serait cruelle et inusitée. Dans un tel cas, l'accusé a intérêt à ce que la peine soit considérée sans égard à une disposition inconstitutionnelle qui prescrit une peine minimale obligatoire.

Le juge La Forest: Tout en étant essentiellement d'accord avec le juge Lamer, rien n'a été dit au sujet du rôle que joue le caractère arbitraire lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a eu imposition d'une peine ou d'un traitement cruel et inusité.

Le juge McIntyre (dissident): L'article 12 de la Charte est une disposition constitutionnelle spéciale qui n'a rien à voir avec les principes généraux de la détermination de la peine ni avec les problèmes sociaux connexes. Il a pour fonction de fixer des bornes constitutionnelles que le Parlement ou les personnes agissant sous son autorité ne peuvent dépasser en imposant une peine ou un traitement relativement aux crimes ou à l'incarcération. Lorsqu'il agit à l'intérieur des limites ainsi fixées, le Parlement conserve un pouvoir discrétionnaire complet d'adopter des lois et des règlements en matière de détermination de la peine et d'incarcération. Par contre, les tribunaux ont le devoir, lorsqu'ils fixent une peine, d'empêcher toute incursion dans le domaine des traitements ou peines cruels et inusités et lorsqu'aucune incursion de ce genre n'a eu lieu, ils ont le devoir d'imposer la peine appropriée selon les limites acceptables fixées par le Parlement. Ce faisant, les tribunaux appliqueront les principes généraux reconnus en matière de détermination de la peine afin de tenter d'adapter la peine à l'infraction commise et au criminel.

Le droit que confère la Charte à la protection contre tout traitement ou peine cruel et inusité est absolu. Cette notion est "la formulation concise d'une norme" qui reflète l'évolution des normes de la décence, et des décisions judiciaires l'ont élargi de manière à comprendre non seulement la qualité ou la nature de la peine mais également, sous l'angle de la proportionnalité, sa sévérité ou sa durée. (La proportionnalité doit être déterminée sur une base générale et non individuelle.) La Charte a élargi davantage cette notion en incluant dans l'art. 12 le mot "traitements", puisque la nature et la qualité du traitement ou les conditions dans lesquelles une peine est purgée sont désormais visées par l'interdiction.

Une peine est cruelle et inusitée et porte atteinte à l'art. 12 de la Charte si elle présente une ou plusieurs des caractéristiques suivantes:

(1) La peine, de par sa nature ou sa durée, choque la conscience collective ou porte atteinte à la dignité humaine;

(2) La peine va au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre un objectif social régulier, compte tenu des objectifs pénaux légitimes et du caractère adéquat des solutions de rechange possibles; ou

(3) La peine est infligée arbitrairement en ce sens qu'elle n'est pas infligée sur une base rationnelle conformément à des normes vérifiées ou vérifiables.

L'appelant à été incapable d'établir que la peine minimale du par. 5(2) de la Loi sur les stupéfiants choque la conscience collective ou porte atteinte à la dignité humaine spécialement lorsqu'on la considère en fonction des autres peines que prévoit actuellement le droit canadien, de la durée de la peine qui sera réellement purgée ainsi que de la gravité de l'infraction. Cette peine ne va pas au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif social régulier de dissuader les gens de s'adonner au trafic de la drogue; le Parlement a procédé à un examen détaillé et approfondi de la question et la Cour n'a été saisie d'aucun élément de preuve quant à l'existence de solutions de rechange adéquates qui permettraient de réaliser cet objectif social régulier. Enfin, la peine a été imposée conformément à des normes ou à des principes qui ont un lien rationnel avec les objectifs de la mesure législative.

Le Parlement, en fixant une peine minimale, a simplement conclu que la gravité de l'infraction justifiait à elle seule cette peine. La loi ne limite pas le pouvoir discrétionnaire du juge de première instance d'examiner et d'évaluer les circonstances de l'infraction pour déterminer la durée de la peine et elle ne peut pas être considérée comme arbitraire et donc comme cruelle et inusitée.

Dans la mesure où le processus même de détermination de la peine peut devenir arbitraire, une erreur judiciaire n'influe pas sur la constitutionnalité et peut normalement être corrigée en appel.

L'appelant ne peut invoquer avec succès l'art. 7 de la Charte. L'article 7 proclame des droits de nature générale et de portée très large qui recoupent parfois les autres droits énoncés dans la Charte. On ne saurait donner à ces droits une interprétation large au point de rendre nuls les autres droits et, pour cette raison, l'art. 7 ne peut soulever des droits ou des questions qui n'ont pas déjà été examinés dans le contexte de l'art. 12.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Smith (Edward Dewey)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Lamer
Arrêt appliqué: R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
arrêts examinés: Miller et Cockriell c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680, conf. [1975] 6 W.W.R. 1, (1975), 24 C.C.C. (2d) 401
R. v. Shand (1976), 30 C.C.C. (2d) 23, inf. (1976), 29 C.C.C. (2d) 199
arrêts mentionnés: Bell c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 471
R. v. Konechny (1983), 10 C.C.C. (3d) 233
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486
R. v. Dick, Penner and Finnigan, [1965] 1 C.C.C. 171
Ex parte Kleinys, [1965] 3 C.C.C. 102
Re Laporte and The Queen (1972), 8 C.C.C. (2d) 343
R. v. Natrall (1972), 32 D.L.R. (3d) 241
Ex parte Matticks (1973), 15 C.C.C. (2d) 213 (C.S.C.), conf. (1972), 10 C.C.C. (2d) 438
Pearson c. Lecorre, Cour suprême du Canada, le 3 octobre 1973, inédit
R. c. Hatchwell, [1976] 1 R.C.S. 39, conf. (1973), 14 C.C.C. (2d) 556
Re Rojas and The Queen (1978), 40 C.C.C. (2d) 316
R. v. Buckler, [1970] 2 C.C.C. 4
Dowhopoluk v. Martin (1971), 23 D.L.R. (3d) 42
R. v. Roestad (1971), 5 C.C.C. (2d) 564
McCann c. La Reine, [1976] 1 C.F. 570, 29 C.C.C. (2d) 337
Re Mitchell and The Queen (1983), 6 C.C.C. (3d) 193
Re Moore and The Queen (1984), 10 C.C.C. (3d) 306
Belliveau c. La Reine, [1984] 2 C.F. 384, 13 C.C.C. (3d) 138
Piche v. Solicitor‑General of Canada (1984), 17 C.C.C. (3d) 1
R. v. Langevin (1984), 11 C.C.C. (3d) 336
R. v. Morrison, C. de cté Ont., le juge Mossop, le 7 juillet 1983, inédit
In re Gittens, [1983] 1 C.F. 152, 68 C.C.C. (2d) 438
R. v. Tobac (1985), 20 C.C.C. (3d) 49
R. v. Simon (No. 3) (1982), 69 C.C.C. (2d) 557
R. v. Kroeger (1984), 13 C.C.C. (3d) 277
R. v. Krug (1982), 7 C.C.C. (3d) 324
R. v. Slaney (1985), 22 C.C.C. (3d) 240
R. v. Randall and Weir (1983), 7 C.C.C. (3d) 363
R. v. Lewis (1984), 12 C.C.C. (3d) 353
R. v. Lyons (1984), 15 C.C.C. (3d) 129
R. v. Guiller, C. de dist. Ont., le juge Borins, le 23 septembre 1985, inédit
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
Solem v. Helm, 463 U.S. 277 (1983)
Furman v. Georgia, 408 U.S. 238 (1972)
Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.
Citée par le juge Wilson
Arrêts mentionnés: Miller et Cockriell c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486.
Citée par le juge McIntyre (dissident)
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713
North Carolina v. Pearce, 395 U.S. 711 (1969)
Good‑ ing v. Wilson, 405 U.S. 518 (1971)
Hobbs v. State, 32 N.E. 1019 (1893)
McCann c. La Reine, [1976] 1 C.F. 570, 29 C.C.C. (2d) 337
Miller et Cockriell c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680, conf. [1975] 6 W.W.R. 1, (1975), 24 C.C.C. (2d) 401
R. v. Bruce, Wilson and Lucas (1977), 36 C.C.C. (2d) 158
In re Gittens, [1983] 1 C.F. 152, 68 C.C.C. (2d) 438
Re Mitchell and The Queen (1983), 6 C.C.C. (3d) 193
Re Moore and The Queen (1984), 10 C.C.C. (3d) 306
R. v. Tobac (1985), 20 C.C.C. (3d) 49
Trop v. Dulles, 356 U.S. 86 (1958)
R. v. Shand (1976), 30 C.C.C. (2d) 23
Re Konechny (1983), 10 C.C.C. (3d) 233
R. v. Langevin (1984), 11 C.C.C. (3d) 336
Coker v. Georgia, 433 U.S. 584 (1977)
People v. Broadie, 371 N.Y.S.2d 471 (1975)
Carmona v. Ward, 576 F.2d 405 (1978)
Solem v. Helm, 463 U.S. 277 (1983)
Furman v. Georgia, 408 U.S. 238 (1972)
Gregg v. Georgia, 428 U.S. 153 (1976)
Coker v. Georgia, 433 U.S. 584 (1977)
R. v. Shand (1976), 29 C.C.C. (2d) 199 (C. cté Ont.)
Watts v. Indiana, 338 U.S. 49 (1949)
Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121
R. v. Simon (No. 1) (1982), 68 C.C.C. (2d) 86
Levitz v. Ryan, [1972] 3 O.R. 783.
Lois et règlements cités
Bill of Rights, (Angl.), 1 Wm. & M. sess. 2, chap. 2, art. 10.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2a), 7, 9, 12.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 219, 294, 303, 306, 325, 361.
Constitution des États‑Unis d'Amérique, Huitième amendement, Quatorzième amendement.
Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, 213 R.T.N.U. 223 (1950), art. 3.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III, art. 2a), b).
Déclaration universelle des droits de l'homme, A.G. Rés. 217 A (III), Doc. A/810 N.U., à la p. 71 (1948), art. 5.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.
Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P‑2, art. 15 et mod.
Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P‑6, art. 24 et mod.
Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N‑1, art. 2, 4, 5(1), (2).
Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, chap. 288.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, A.G. Rés. 2200 A (XXI), 21 N.U. GAOR, Supp. (no 16) 52, Doc. A/6316 N.U. (1966), art. 7.
Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78‑428, art. 5, 9 et mod.
Doctrine citée
Berger S. "The Application of the Cruel and Unusual Punishment Clause Under the Canadian Bill of Rights" (1978), 24 McGill L.J. 161.
Canada. Commission canadienne sur la détermination de la peine. Rapport de la Commission canadienne sur la détermination de la peine: Réformer la sentence: une approche canadienne. Ottawa, Centre d'édition du gouvernement du Canada, 1987.
Tarnopolsky, W. S. "Just Deserts or Cruel and Unusual Treatment or Punishment? Where Do We Look for Guidance?" (1978), 10 Ottawa L. Rev. 1.

Proposition de citation de la décision: R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] 1 R.C.S. 1045 (25 juin 1987)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1987-06-25;.1987..1.r.c.s..1045 ?
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