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17/09/1987 | CANADA | N°[1987]_2_R.C.S._193

Canada | Holt c. Telford, [1987] 2 R.C.S. 193 (17 septembre 1987)


Holt c. Telford, [1987] 2 R.C.S. 193

Richard K. Telford et Margaret S. Telford Appelants

c.

Isaac B. Holt et Edith May Holt Intimés

répertorié: holt c. telford

No du greffe: 19175.

1987: 27 février, 2 mars; 1987: 17 septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Estey, McIntyre, Wilson et Le Dain.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1984), 37 Alta. L.R. 399, [1985] 4 W.W.R. 573, qui a rejeté un appel d'un jugement du juge Foisy. Pourvoi accueilli.
r>D. E. Jermyn, pour les appelants.

James P. Low, pour les intimés.

Version française du jugement de la Cour ren...

Holt c. Telford, [1987] 2 R.C.S. 193

Richard K. Telford et Margaret S. Telford Appelants

c.

Isaac B. Holt et Edith May Holt Intimés

répertorié: holt c. telford

No du greffe: 19175.

1987: 27 février, 2 mars; 1987: 17 septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Estey, McIntyre, Wilson et Le Dain.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1984), 37 Alta. L.R. 399, [1985] 4 W.W.R. 573, qui a rejeté un appel d'un jugement du juge Foisy. Pourvoi accueilli.

D. E. Jermyn, pour les appelants.

James P. Low, pour les intimés.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Le juge Wilson—

1. Les faits

2. Ce pourvoi vise une série d'opérations intervenues entre trois parties, les Telford, les Holt et Canadian Stanley Development Ltd., comportant des contrats de vente de biens‑fonds et des hypothèques. Le pourvoi tire son origine d'une action intentée par les Holt alléguant défaut de paiement relativement à une hypothèque consentie par les Telford en faveur de Canadian Stanley ("l'hypothèque Telford"). Canadian Stanley avait cédé aux Holt l'hypothèque Telford pour garantir le solde du prix d'une parcelle de terrain que les Holt avaient vendue à Canadian Stanley.

3. L'hypothèque Telford provient d'un échange de biens‑fonds entre les Telford et Canadian Stanley. Les Telford ont vendu leur bien‑fonds (une résidence et 40 acres de terrain) à Canadian Stanley. Canadian Stanley a vendu une parcelle de terrain aux Telford. Le prix de la parcelle de terrain que les Telford ont vendue à Canadian Stanley était de 265 000 $. Le prix de la parcelle de terrain que Canadian Stanley a vendue aux Telford était également de 265 000 $.

4. Aux termes de l'opération entre les Telford et Canadian Stanley, celle‑ci devait verser aux Telford 165 000 $ pour le bien‑fonds Telford et consentir une hypothèque de deuxième rang en faveur des Telford au montant de 100 000 $ (l'hypothèque "Canadian Stanley"). Les Telford devaient verser à Canadian Stanley 115 000 $ pour sa parcelle de terrain et lui consentir une hypothèque de 150 000 $. L'opération complète devait avoir comme résultat que, au moment de la signature, Canadian Stanley verserait aux Telford la somme de 50 000 $ que ceux‑ci utiliseraient pour financer la construction d'une résidence sur leur nouveau terrain. La date de signature était le 1er octobre 1980.

5. L'opération entre les Telford et Canadian Stanley a été complétée le 1er octobre 1980 par le paiement aux Telford par Canadian Stanley de la somme de 47 885,93 $ et la signature et la remise de l'hypothèque Telford et de l'hypothèque Canadian Stanley. On est arrivé au montant du paiement de 47 885,93 $ par Canadian Stanley en soustrayant de l'acompte de 165 000 $ dû par Canadian Stanley l'acompte de 115 000 $ dû par les Telford et les rajustements.

6. Les deux hypothèques portaient le même taux d'intérêt, soit 14,75 %. Les deux derniers paiements relativement à chaque hypothèque étaient également les mêmes quant à leur montant et à leur date. Chaque débiteur devait payer 50 000 $ plus les intérêts accumulés le 31 juillet 1981, et 50 000 $ plus les intérêts accumulés le 31 janvier 1982. La seule différence était que les Telford devaient également payer 50 000 $ plus les intérêts le 31 janvier 1981.

7. Le 26 septembre 1980, Canadian Stanley a cédé aux Holt l'hypothèque Telford. Les Telford n'ont pas été avisés de cette cession. Le 5 novembre 1980, les Telford ont rencontré M. Outhwaite, le président et directeur général de Canadian Stanley. Aucune mention n'a été faite de la cession de l'hypothèque Telford. Monsieur Outhwaite a persuadé les Telford de consentir à une modification de l'hypothèque Canadian Stanley. La modification n'avait rien à voir avec la date du paiement. Elle changeait le rang de l'hypothèque. Elle avait pour effet que l'hypothèque Canadian Stanley passait du deuxième au troisième rang sur le titre de propriété du bien‑fonds Telford.

8. Le 13 novembre 1980, les Telford ont versé le premier paiement de 50 886,60 $ relativement à l'hypothèque Telford. Cette offre, on le voit, est bien antérieure au 31 janvier 1981, date d'exigibilité convenue du premier paiement. Le paiement de 50 886,60 $ a été expédié aux procureurs de Canadian Stanley, Beaumont Proctor, accompagné d'une lettre dont voici le texte:

[TRADUCTION] Veuillez trouver sous pli mon chèque de 50 886,60 $ représentant le montant requis pour payer et solder l'hypothèque de votre client sur la propriété. Le solde de 150 000 $ est compensé par le montant dû à mon client relativement à l'hypothèque que lui a consentie votre client.

Je vous expédie cette somme, étant entendu que vous me ferez parvenir une mainlevée de l'hypothèque acceptable pour l'enregistrement et le duplicata de l'hypothèque enregistrée; je vous ferai alors parvenir une mainlevée relativement à l'hypothèque que mon client détient sur la propriété de votre client.

9. Le 1er décembre 1980, Beaumont Proctor ont retourné les 50 886,60 $ au procureur des Telford l'informant qu'ils ne représentaient plus Canadian Stanley. C'était maintenant le cabinet Eden et Pirie qui la représentait. Le procureur des Telford a fait tenir les 50 886,60 $ à Eden et Pirie, leur communiquant les mêmes conditions.

10. Par lettre en date du 16 décembre 1980, Eden et Pirie ont informé le procureur des Telford que l'hypothèque Telford avait été cédée aux Holt. Différentes négociations ont suivi. Le 29 janvier 1981, le procureur des Telford a indiqué que si l'affaire n'était pas réglée le 6 février 1981, il demanderait une mainlevée judiciaire d'hypothèque. Le 2 février 1981, les Telford ont pour la première fois entendu parler des représentants des Holt. Le procureur des Holt a exigé le paiement de 50 000 $ plus les intérêts accumulés. Le procureur des Telford a demandé à Eden et Pirie de lui retourner les 50 886 60 $. La somme a été retournée le 19 février 1981 ou vers cette date.

11. Les Holt ont produit une déclaration le 13 mars 1981 réclamant aux Telford la somme de 150 000 $ plus les intérêts. Leur réclamation du montant au complet était fondée sur la clause 3 de l'hypothèque Telford qui prévoyait qu'en cas de défaut de paiement à valoir sur le capital, tout le capital deviendrait dû comme si le délai stipulé pour son paiement était expiré.

12. Après qu'ils eurent reçu signification de la déclaration des Holt, les Telford ont consigné les 50 886,60 $ auprès de la cour.

2. Les tribunaux d'instance inférieure

(1) La cour de première instance

13. Dans leur déclaration, les Holt ont réclamé le montant total dû en vertu de l'hypothèque cédée, soit 157 375 $. La demande reconventionnelle des Telford allègue que, comme ils ont consigné les 50 000 $ et les intérêts auprès de la cour, ils ont droit à une mainlevée de l'hypothèque. Le juge de première instance a décidé que les Telford devaient aux Holt 150 000 $ plus les intérêts. Il a prononcé une ordonnance de vente assortie d'une période de rachat d'un an.

14. Le juge de première instance a conclu qu'aucun avis de la cession d'hypothèque n'avait été donné aux Telford, comme l'exige le par. 150(2) de la Land Titles Act, R.S.A. 1980, chap. L‑5, avant la signification de déclaration en mars 1981 et que les Holt ont donc pris l'hypothèque sous réserve de l'état de comptes entre les Telford et Canadian Stanley à la date de signification de l'avis. Il s'est alors demandé s'il existait un droit de compensation à cette date‑là. Il a d'abord conclu qu'il n'y avait, entre les Telford et Canadian Stanley, aucun accord de compensation. Il a tiré cette conclusion après avoir examiné les témoignages relatifs aux événements qui ont mené à la signature de l'hypothèque et des documents ultérieurs. Il a constaté que les Telford croyaient que, après le paiement de la somme de 50 000 $ et des intérêts dus le 31 janvier 1981, les paiements restant dus relativement aux hypothèques Telford et Canadian Stanley se compenseraient. Cependant, les documents constatant les deux opérations n'avaient pas été rédigés de manière à prévoir une compensation. Chaque hypothèque prévoyait deux paiements après celui du 31 janvier 1981. Il n'y a aucun droit de compensation tant que la dette ou le paiement relativement à chaque hypothèque n'est pas devenu exigible. Il n'y avait donc entre les parties aucun accord exécutoire de compensation.

15. En outre, les Telford ont consenti l'hypothèque Telford à titre personnel en tant que de débiteurs hypothécaires et, conformément à la Law of Property Act, R.S.A. 1980, chap. L‑8, par. 41(1), l'engagement personnel n'est pas exécutoire comme une dette contre eux. L'hypothèque Canadian Stanley par contre est une hypothèque consentie par une société et l'engagement personnel est exécutoire comme une dette contre elle lorsque cette dette devient exigible en vertu du par. 43(1) de la Law of Property Act. L'absence de toute dette exécutoire contre les Telford exclut, selon le juge de première instance, tout droit de compensation en common law.

16. Le juge de première instance a conclu au bien‑fondé de la réclamation de 150 000 $ plus les intérêts présentée par les Holt. La clause 3 de l'hypothèque Telford stipulait qu'en cas de défaut de paiement à valoir sur le capital, de l'intérêt ou de toute somme garantie par l'hypothèque, tout le capital deviendrait dû comme si le délai stipulé pour son paiement était expiré. Les Telford ont fait un paiement avant la date de son échéance, assorti de la condition qu'une mainlevée de l'hypothèque enregistrable leur soit expédiée. Comme cette condition n'a jamais été remplie, le paiement n'a pas été fait et les Holt pouvaient exiger le paiement de l'hypothèque au complet.

(2) La Cour d'appel de l'Alberta

Le juge Lieberman (pour la majorité)

17. Suivant la majorité, la question litigieuse n'était pas de savoir s'il existait un accord de compensation, mais bien de savoir si, dans les circonstances, la compensation entre les hypothèques en cause était possible. Cette question est régie par l'arrêt antérieur de la Cour d'appel de l'Alberta Renner v. Racz, [1972] 1 W.W.R. 109. Une cour n'ordonnera la compensation d'une dette par une autre que si les deux dettes sont exécutoires par voie d'action au moment où la compensation est ordonnée.

18. La dette des Telford en vertu du contrat de vente tombait dans la catégorie de celles qui ne sont pas exécutoires. C'est ainsi que la Cour suprême du Canada a qualifié une dette hypothécaire dans l'arrêt Edmonton Airport Hotel Co. v. Crédit Foncier Franco‑Canadien, [1965] R.C.S. 441. Par conséquent, la demande de compensation des Telford ne pouvait réussir.

Le juge Kerans (dissident)

19. Le juge Kerans a suivi les motifs de la dissidence dans l'arrêt Renner. Il reconnaît qu'un débiteur ne peut compenser une dette exécutoire qu'il a envers son créancier par une créance non exécutoire qu'il a contre ce même créancier. Ce serait en fait permettre au débiteur d'exécuter sa créance non exécutoire. Mais, a‑t‑il conclu, la proposition inverse n'est pas vraie. Un créancier qui peut exécuter sa créance doit pouvoir la compenser par sa dette lorsqu'il s'agit d'une dette qu'on ne peut le forcer à payer au moyen d'une action personnelle. Le juge Kerans a estimé que c'était la situation en l'espèce.

3. La question en litige

20. On ne conteste pas que, en vertu des dispositions de l'hypothèque Telford, les Telford doivent aux Holt 150 000 $ plus les intérêts. Les Telford prétendent cependant qu'ils ont le droit de compenser la créance qu'ils ont envers Canadian Stanley avec la réclamation des Holt. Comme premier argument, ils avancent que les parties ont convenu de créer un droit de compensation. Une convention, expresse ou implicite, peut conférer ce droit: voir Freeman v. Lomas (1851), 9 Hare 109, à la p. 114. Déterminer s'il y a eu accord sur ce point est cependant une question de preuve. Le juge de première instance a conclu que cet accord n'existait pas. Il a dit:

[TRADUCTION] Quel était alors l'état des comptes au moment de la signification de la déclaration? Existait‑il en fait un droit de compensation à ce moment‑là? Prenant pour acquis que les témoignages sur ce qui s'est passé avant la signature de la pièce 18 [le contrat de vente du bien‑fonds Telford] et des documents ultérieurs ne contreviennent pas à la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque, point qui n'a pas été soulevé ni débattu, j'estime que ce droit de compensation n'existait pas et que les demandeurs doivent avoir gain de cause.

Il ne fait aucun doute que les défendeurs croyaient que, après le paiement de la somme de 50 000 $ et des intérêts dus le 31 janvier 1981, les paiements restant dus en vertu des pièces 7 [l'hypothèque Telford] et 17 [l'hypothèque Canadian Stanley] se compenseraient. Ce résultat, estimaient‑ils, serait une conséquence logique des deux opérations en cause.

Cependant, les documents constatant les deux opérations ont été rédigés d'une telle manière que l'on n'a jamais su avec certitude si un droit de compensation naîtrait ou pourrait naître. Plusieurs éventualités pourraient se présenter avant que le droit de compensation, s'il a déjà existé, puisse être déclenché. Premièrement, le droit de compensation ne prend naissance que lorsque la dette ou le paiement relativement à chaque hypothèque devient exigible. Cela ne devait pas se produire avant, premièrement, que le paiement de 50 000 $ plus les intérêts dû en vertu de la pièce 7 le 31 janvier 1981 n'ait été versé, ni avant, deuxièmement, que chacun des paiements de 50 000 $ plus les intérêts relativement à chaque hypothèque dû les 31 juillet 1981 et 31 janvier 1982, ne soit devenu exigible, et cela sous‑entend l'absence de facteurs comme une cession soit de la pièce 7, soit de la pièce 17, accompagnée de l'avis requis, ou une saisie en vertu d'un bref ou un autre événement de ce genre.

21. La Cour d'appel de l'Alberta a dit que la question de l'existence d'un accord de compensation ne se posait pas devant elle. Les Telford ont témoigné qu'une fois, avant la signature des documents, et une autre fois, après cette signature, Canadian Stanley a reconnu verbalement que, lorsqu'ils feraient le paiement de 50 000 $, les hypothèques seraient compensées. Ce témoignage était très sommaire. L'accord écrit, d'autre part, est clair. Les parties ne se sont pas contentées d'une simple hypothèque de 50 000 $ consentie par les Telford à Canadian Stanley. Elles ont plutôt préparé deux actes d'hypothèque distincts dont chacun prévoyait des paiements postérieurs au paiement de 50 000 $ par les Telford. Dans ces circonstances, je crois que le juge de première instance a eu raison de conclure qu'il n'existait aucun accord de compensation.

22. En l'absence d'un pareil accord, les Telford doivent démontrer qu'ils ont un droit à la compensation en common law ou en equity.

(1) La compensation en common law

23. La compensation en common law tire son origine de deux lois: l'Insolvent Debtors Relief Act, 2 Geo. 2, chap. 22 (R.‑U.) et la Set‑off Act, 8 Geo. 2, chap. 24 (R.‑U.) Ces lois ont été abrogées, mais leur effet a été maintenu dans des lois subséquentes. Les règles promulguées en vertu de la Supreme Court of Judicature Act, 1873, 36 & 37 Vict., chap. 66 (R.‑U.), contiennent la disposition suivante:

[TRADUCTION] 199.3 Le défendeur dans une action peut opposer à titre de compensation, ou faire valoir par voie de demande reconventionnelle contre la réclamation du demandeur, tout droit ou réclamation, que cette compensation ou demande reconventionnelle soit reliée ou non à l'obtention de dommages‑intérêts, et la compensation ou demande reconventionnelle aura le même effet qu'une action incidente, de sorte que la cour pourra prononcer un jugement définitif dans la même action, tant sur la réclamation initiale que sur la réclamation incidente. Cependant, la cour ou un juge peut, sur requête du demandeur avant l'audience sur le fond, si à leur avis on ne peut statuer commodément sur la demande de compensation ou la demande reconventionnelle dans l'action en cours, ou qu'on ne saurait y faire droit, refuser au défendeur l'autorisation de se prévaloir de ce moyen.

24. En Alberta, les dispositions pertinentes se trouvent dans les Alberta Rules of Court, Alta. Reg. 390/68, dont voici la règle 93:

[TRADUCTION] 93. (1) Le défendeur peut, par voie de demande reconventionnelle visant ici la réclamation ou la cause d'action du demandeur, faire valoir toute réclamation ou cause d'action qu'il a soit contre le demandeur seul, soit contre un ou plusieurs demandeurs, soit contre le demandeur et une autre personne, même si elle n'est pas partie à l'action.

(2) Toutes les choses qui peuvent être invoquées par voie de compensation doivent, si on veut les faire valoir dans l'action, être invoquées par voie de demande reconventionnelle.

(3) Une demande reconventionnelle a le même effet qu'une action incidente, de sorte que la cour peut prononcer un jugement définitif dans la même action tant sur la demande initiale que sur la demande reconventionnelle.

(4) La demande reconventionnelle doit être présentée et plaidée en même temps que la défense.

(5) La défense à la demande reconventionnelle doit être présentée et plaidée en même temps que la réponse.

La Cour d'appel de l'Alberta a analysé les lois albertaines pertinentes dans l'arrêt Atlantic Acceptance Corp. v. Burns & Dutton Construction (1962) Ltd., [1971] 1 W.W.R. 84. Le juge Allen dit, à la p. 90:

[TRADUCTION] La règle 95 contient des dispositions qui donnent à la cour le pouvoir d'ordonner l'exclusion ou l'instruction séparée d'une demande reconventionnelle si elle ne peut pas commodément être tranchée dans la même action. Il paraît donc n'y avoir aucune différence en principe entre la règle anglaise 199.3 déjà citée et nos règles portant sur le même sujet.

Il semble en conséquence que les décisions des tribunaux anglais sur la question du caractère exécutoire de réclamations qu'un défendeur cherche à opposer en compensation d'une réclamation d'un demandeur peuvent encore être utiles pour résoudre les problèmes en l'espèce, et certaines décisions, auxquelles je me reporte maintenant, nous fournissent une certaine aide dans l'examen de la première question posée ci‑dessus.

25. L'interprétation que donne la common law anglaise au droit de compensation découlant de la loi est bien résumée dans Halsbury's Laws of England, 4th ed., vol. 42, par. 421:

[TRADUCTION] 421. Nature du droit. Ce que conféraient les lois relatives à la compensation était un droit de compenser des dettes réciproques résultant d'opérations de caractère différent et pouvant être déterminées avec certitude au moment où la compensation est invoquée. Ainsi, pas plus que la compensation légale ne pouvait être opposée à une demande en dommage‑intérêts, pas plus une réclamation de dommages‑intérêts ne pouvait en common law être opposée en compensation de la réclamation d'un demandeur. Le fait qu'il s'agissait d'une réclamation de dommages‑intérêts venait empêcher que la compensation soit soulevée en common law, et ce, même si la réclamation eût pu être formulée différemment de manière à permettre la compensation. Lorsqu'un demandeur présentait une réclamation de dommages‑intérêts accompagnée d'une réclamation de paiement d'une dette déterminée, la compensation en common law ne pouvait être opposée qu'à cette dernière réclamation. La compensation en common law constitue un moyen de défense.

Donc, comme l'a dit la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique dans l'arrêt C.I.B.C. v. Tuckerr Indust. Inc., [1983] 5 W.W.R. 602, à la p. 604, la compensation légale (ou la compensation en common law) [TRADUCTION] "exige que soient remplies deux conditions. En premier lieu, les deux obligations doivent être des dettes. En deuxième lieu, il faut que l'une et l'autre dettes représentent des obligations réciproques." Or, la réclamation en l'espèce porte sur une dette. Par conséquent, l'obstacle principal du point de vue de l'appelant est l'exigence de "réciprocité".

26. Comment les tribunaux ont‑ils interprété cette exigence de réciprocité? Dans l'arrêt Royal Trust v. Holden (1915), 22 D.L.R. 660 (C.A.C.‑B.), aux pp. 662 et 663, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a traité du sens de l'expression "dettes réciproques":

[TRADUCTION] Dans la jurisprudence ancienne, l'expression "dettes réciproques" se présente comme plutôt obscure, mais lorsque nous constatons dans la forme ancienne et approuvée du moyen de défense, énoncée par Bullen v. Leake, 3rd. ed., à la p. 682, que le demandeur avait au commencement de l'action et a encore envers le défendeur une dette égale à la somme qu'il réclame, cela nous soulage d'apprendre que l'expression "dettes réciproques" désigne en pratique soit des dettes d'une partie envers l'autre consistant en des sommes déterminées, soit des réclamations de sommes d'argent pouvant être déterminées avec certitude au moment de la procédure—le lord juge Kennedy, dans l'affaire Bennett v. White, [1910] 2 K.B., à la p. 648, 79 L.J.K.B. 1133.

Il semble, selon cette définition, que toute cession détruirait la réciprocité et, en même temps, toute possibilité de compensation en common law. C'est le point de vue adopté par la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique dans l'arrêt Coba Industries Ltd. v. Millie's Holdings (Canada) Ltd. and Tsang, [1985] 6 W.W.R. 14, aux pp. 28 et 29:

[TRADUCTION] Aucun précédent cité par l'appelante ne s'applique en l'espèce ni n'affaiblit de quelque manière l'autorité de l'arrêt Nfld. Chacun de ces précédents est un exemple de la compensation en common law. Dans de tels cas la cession d'une dette empêche que soit remplie l'exigence de la réciprocité des dettes qu'on veut voir compensées. Du moment qu'une créance est cédée, le créancier se trouve être un tiers, de sorte que les dettes perdent leur caractère de réciprocité: voir C.I.B.C. v. Tuckerr Indust. Inc., 46 B.C.L.R. 8, [1983] 5 W.W.R. 602, à la p. 605, 48 C.B.R. (N.S.) 1, 149 D.L.R. (3d) 172 (C.A.)

Comme il y a eu cession en l'espèce, les Telford ne peuvent bénéficier de la compensation en common law. On doit donc décider s'ils peuvent invoquer la compensation en equity.

(2) La compensation en equity

27. La distinction entre la compensation en common law et la compensation en equity a été étudiée par la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique dans l'arrêt C.I.B.C. v. Tuckerr Indust. Inc., précité, à la p. 605:

[TRADUCTION] Cette compensation tire son origine de l'equity et ne découle pas de la loi de 1728. Elle peut s'appliquer là où la réciprocité a disparu ou n'a jamais existé. Elle peut s'appliquer en outre lorsque les obligations réciproques ne sont pas des dettes.

On peut recourir à la compensation en equity lorsqu'on réclame une somme d'argent, que celle‑ci soit ou non déterminée. Voir Aboussafy v. Abacus Cities Ltd., [1981] 4 W.W.R. 660 (C.A. Alb.), à la p. 666. Plus important encore dans le contexte de la présente affaire, on peut y recourir lorsqu'il y a eu cession. Il n'y a aucune exigence de réciprocité. D'après la jurisprudence que nous allons examiner, les tribunaux d'equity suivaient deux règles en ce qui concernait l'effet d'un avis de cession sur le droit à la compensation. Premièrement, on pouvait opposer au cessionnaire la compensation à l'égard d'une somme d'argent devenue exigible antérieurement à l'avis de cession. Deuxièmement, on pouvait opposer au cessionnaire la compensation à l'égard d'une somme d'argent qui provenait du même contrat ou de la même série d'événements que ceux d'où provenait la somme d'argent faisant l'objet de la cession, ou était étroitement reliée avec ce contrat ou cette série d'événements.

28. Commençons par l'affaire Watson v. Mid Wales Railway Co. (1867), L.R. 2 C.P. 593. Dans cette affaire, la cessionnaire d'une obligation Lloyd's a poursuivi l'émettrice au nom du premier détenteur de cette obligation. L'émettrice a invoqué la compensation à l'égard d'un arriéré de loyer dû par le premier détenteur, et devenu exigible depuis l'avis de cession, en vertu d'un bail conclu avant que cet avis ne soit donné. La question était de savoir si un débiteur jouissait en equity d'un droit d'opposer au cessionnaire de sa dette la compensation à l'égard d'une créance que ledit débiteur avait envers son ancien créancier et qui était devenue exigible après qu'il eut reçu avis de la cession. Les trois juges, dans des motifs distincts, ont répondu qu'un débiteur ne pouvait invoquer la compensation dans un cas pareil. Le juge Montague Smith a dit, aux pp. 600 et 601:

[TRADUCTION] Si la dette opposée en compensation dans une action introduite pour le compte du cessionnaire d'une autre dette avait existé au moment de la cession, l'equity n'interviendrait pas pour empêcher que les parties se prévalent de la compensation légale. En l'espèce, toutefois, au moment de la cession et de l'avis, il n'y avait pas de dette pouvant donner lieu à compensation. On prétend que si des dettes réciproques existent en vertu de contrats indépendants et que aucune ne soit exigible lors de la cession, la compensation est opposable dans la mesure où, lorsqu'une action est intentée relativement à l'une de ces dettes, l'obligation représentée par l'autre s'est transformée en dette effectivement exigible. Le moment pertinent n'est cependant pas celui où l'action a été intentée, c'est plutôt le moment où la cession a été effectuée et où avis en a été donné, et les droits des parties doivent être déterminés en fonction de la situation telle qu'elle était alors.

Chaque juge a toutefois précisé que la réponse serait différente dans un cas où [TRADUCTION] "les deux opérations étaient en quelque sorte reliées de manière à amener la cour à conclure qu'elles se rapportaient l'une à l'autre" (à la p. 598). Par exemple, le juge en chef Bovill, se référant à l'affaire Smith v. Parkes (1852), 16 Beav. 115, a exprimé, à la p. 598, l'opinion suivante:

[TRADUCTION] ...cette décision avait pour fondement que les deux dettes découlaient des mêmes opérations relatives à une société de personnes et que lesdites dettes étaient inséparablement reliées. Cette décision ne s'applique donc pas à l'affaire dont nous nous trouvons saisis, car les opérations en l'espèce paraissent tout à fait distinctes et, qui plus est, on ne nous a présenté aucune allégation ni déclaration nous permettant de conclure à l'existence d'un lien quelconque.

29. L'arrêt Newfoundland (Government of) v. Newfoundland Railway Co. (1888), 13 App. Cas. 199 (C.P.), est le premier arrêt important concernant la compensation dans le cas de dettes découlant du même contrat ou de contrats connexes. La cour a interprété le contrat dont il s'agissait dans cette affaire et a conclu: (1) que le droit du chemin de fer de recevoir du gouvernement de Terre‑Neuve une concession de terres était parfait au moment de l'achèvement de la construction du tronçon de chemin de fer qui était la contrepartie de la concession et (2) qu'à l'achèvement de la construction de chaque tronçon, une partie proportionnelle de la subvention gouvernementale devenait payable pendant la période spécifiée, pourvu que soit respectée la condition du maintien d'un service efficace. Le 15 juillet 1882, le chemin de fer a cédé à une autre société la partie sud de sa ligne. Aux termes du contrat, la construction du chemin de fer aurait dû être terminée le 20 avril 1886. Elle ne l'était pas. Le gouvernement a en conséquence cessé d'effectuer les paiements requis. La cessionnaire a donc présenté une demande en paiement des sommes en question. Le gouvernement de Terre‑Neuve pour sa part a demandé reconventionnellement à la cessionnaire des dommages‑intérêts non déterminés. Leurs Seigneuries ont dit, aux pp. 212 et 213:

[TRADUCTION] La présente affaire est tout à fait différente de celles citées par l'avocat de la demanderesse. Les deux réclamations en cause tirent leur origine de la même partie du même contrat et les obligations dont elles découlent sont très étroitement reliées. La réclamation du gouvernement ne résulte pas d'un accord nouveau qu'il a conclu librement après avoir reçu de la société avis de la cession. Il était complètement impuissant à empêcher la société de lui porter préjudice par la rupture du contrat. Il serait déplorable d'avoir à conclure en droit qu'une partie à un contrat peut légalement en céder une portion, peut‑être une portion profitable, de sorte que c'est le cessionnaire qui en bénéficie, et ce, tout en demeurant à l'abri de toute demande reconventionnelle formulée par l'autre partie relativement au reste du contrat, qui peut se révéler désavantageux. Il n'y a pas de règle universelle établissant que les réclamations découlant d'un même contrat peuvent dans toutes les circonstances être compensées entre elles. Mais leurs Seigneuries affirment sans aucune réserve que, dans le cas du contrat dont il s'agit en l'espèce, il y a lieu de compenser l'une avec l'autre la réclamation du paiement de la subvention et la réclamation résultant du défaut d'achever la construction.

Il n'est guère besoin de citer de la jurisprudence à l'appui d'une conclusion qui repose sur des principes aussi bien connus. Leurs Seigneuries se réfèrent simplement à l'affaire Smith v. Parkes, [16 Beav. 115], non pas tant en raison de la décision elle‑même qu'à cause de l'énoncé concis que fait lord Romilly du principe qui constitue son fondement. Lord Romilly dit: "Toutes les dettes à l'égard desquelles on invoque la compensation contre le défendeur Parkes sont des dettes effectivement exigibles de lui au moment de la signature de l'acte (c'est‑à‑dire auquel le tiers opposé à la compensation est partie) ou découlant de ses opérations précédentes avec la société et inséparablement liées à celles‑ci." Cette affaire concernant la compensation en equity a été jugée en 1852, époque à laquelle les dommages‑intérêts non déterminés ne pouvaient légalement faire l'objet de compensation. Puisque cette règle de droit, a‑t‑on jugé, menait à l'injustice, elle a été modifiée. Les parties originaires peuvent maintenant invoquer la compensation à l'égard de dommages‑intérêts non déterminés et, pour autant qu'ils découlent des opérations d'où résulte également l'objet de la cession et sont intimement reliés auxdites opérations, les dommages‑intérêts non déterminés peuvent aussi donner lieu à une compensation opposable au cessionnaire.

La cour a conclu que le gouvernement pouvait compenser sa demande reconventionnelle avec la réclamation de la cessionnaire parce que la réclamation et la demande reconventionnelle tiraient toutes les deux leurs origines de la même partie du même contrat et que les obligations dont elles découlaient étaient étroitement reliées.

30. Dans l'affaire In re Pinto Leite and Nephews, [1929] 1 Ch. 221, la question était de savoir si un fiduciaire pouvait bénéficier de la compensation à l'égard d'une dette de 15 000 £ devenue exigible après réception de l'avis de cession. Selon la cour, la dette existait à la date de l'avis de cession sinon avant, mais comme elle n'était pas encore exigible à ce moment‑là, il ne s'agissait pas d'un debitum in praesenti et, en conséquence, ce n'était pas non plus une dette à l'égard de laquelle le fiduciaire pouvait bénéficier de la compensation. Le juge Clauson dit, à la p. 233:

[TRADUCTION] Il est évidemment bien établi que, le cessionnaire d'un droit incorporel [...] demeure assujetti à tous les droits de compensation qu'on pouvait faire valoir contre le cédant. Ce principe n'admet qu'une seule exception, savoir que, après avoir reçu avis d'une cession en equity d'un droit incorporel, un débiteur ne saurait invoquer contre le cessionnaire la compensation à l'égard d'une dette qui devient exigible postérieurement à la date de l'avis, quand même cette dette pourrait découler d'une obligation qui existait à cette date‑là ou avant. Le débiteur peut toutefois opposer au cessionnaire la compensation relativement à une dette qui devient exigible avant l'avis de cession, bien qu'elle ne soit payable qu'après cette date.

À la p. 236, le juge Clauson ajoute:

[TRADUCTION] ...quand la dette cédée est, à la date de l'avis de cette cession, remboursable dans l'avenir, le débiteur peut alors invoquer contre le cessionnaire la compensation à l'égard d'une dette qui devient payable par le cédant au débiteur après réception de l'avis de cession mais avant que la dette cédée ne devienne exigible, seulement si la dette devant être opposée en compensation était un debitum in praesenti à la date de l'avis de cession.

Le juge Clauson poursuit, toujours à la p. 236:

[TRADUCTION] Pour éviter tout malentendu, il convient de préciser qu'on ne prétend pas qu'il existe entre la dette cédée et les obligations avec lesquelles on cherche à la compenser un lien suffisant pour rendre applicable en l'espèce la jurisprudence dont l'arrêt Government of Newfoundland v. Newfoundland Ry. Co. est un exemple typique.

31. Dans l'affaire Business Computers Ltd. v. Anglo‑African Leasing Ltd., [1977] 1 W.L.R. 578 (Ch. D.), la défenderesse devait à la demanderesse la somme de 10 587 £ à l'égard de deux opérations relatives à des ordinateurs achetés par la défenderesse et par la suite cédés au moyen de contrats de location‑vente à des tiers. Dans une troisième opération, la demanderesse a fabriqué un ordinateur à son propre usage, l'a vendu à la défenderesse et, par un contrat de location‑vente, l'a repris en location. La demanderesse étant devenue insolvable, un séquestre a été nommé le 17 juin 1974. À ce moment‑là, la défenderesse avait le droit en vertu d'une condition du contrat de location‑vente de le résilier. Elle ne l'a pas fait. Le 31 juillet, le séquestre a dénoncé le contrat. Le 8 août, cette dénonciation a été acceptée par la défenderesse. Elle a vendu l'ordinateur et réclamé une somme s'élevant à plus de 32 000 £ à titre de dommages‑intérêts en vertu d'une autre condition du contrat de location‑vente. Le juge Templeman, ayant passé en revue la jurisprudence pertinente, a conclu à la p. 585:

[TRADUCTION] Il se dégage de la jurisprudence pertinente qu'une dette qui devient exigible avant la réception d'un avis de cession, qu'elle soit ou non payable avant cette date, ou une dette qui résulte du même contrat que celui qui a donné naissance à la dette cédée ou qui est étroitement reliée au contrat, peut être opposée en compensation au cessionnaire. Toutefois, une dette qui n'est pas exigible ni relié au contrat ne peut pas donner lieu à compensation, même si elle découle d'un contrat intervenu antérieurement à la cession.

Il a conclu que la dette en cause n'était ni exigible ni reliée au contrat. En conséquence, on ne pouvait invoquer la compensation.

32. Dans l'arrêt Canadian Admiral Corp. v. L. F. Dommerich & Co., [1964] R.C.S. 238, cette Cour a confirmé la validité de la règle voulant que, dans le cas d'une dette devenue exigible avant la réception d'un avis de cession, la compensation puisse être opposée au cessionnaire. Il s'agissait d'une affaire où une cessionnaire réclamait une somme d'argent à une société. Celle‑ci invoquait en compensation une créance qu'elle avait envers la cédante et qui était devenue exigible antérieurement à l'avis de cession. La Cour, qui a approuvé la compensation, a dit, à la p. 240: [TRADUCTION] "Il ne fait pas de doute quant à la règle générale. Le débiteur jouit envers le cessionnaire du même droit de compensation que celui qu'il aurait eu à l'endroit du cédant au moment de la réception de l'avis de cession."

33. Ainsi les affaires où il s'agit de dettes découlant d'un même contrat ou de contrats étroitement reliés constituent une exception à la règle générale. En effet, une dette de ce genre peut être opposée en compensation au cessionnaire, même si elle devient exigible après l'avis de cession. La question en l'espèce est donc de savoir si la dette cédée et l'obligation avec laquelle on veut la compenser sont suffisamment reliées pour entraîner l'application du principe posé dans l'arrêt Newfoundland Railway.

34. Je n'ai trouvé aucun arrêt de cette Cour permettant une compensation en equity fondée sur le principe posé dans l'arrêt Newfoundland Railway et aucun n'a été porté à notre connaissance. Toutefois, dans l'affaire Coba Industries, précitée, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a appliqué l'arrêt Newfoundland Railway à l'opération exposée ci‑après. L'intimée avait acheté une propriété commerciale à un nommé Polacco. L'accord provisoire prévoyait qu'une hypothèque de second rang soit consentie à Polacco et que celui‑ci reprenne les locaux à bail pendant une période de trois ans. Pendant la durée du bail, l'intimée devait verser à Polacco environ 5 000 $ au titre de l'hypothèque de deuxième rang et ce dernier pour sa part était tenu de verser à l'intimée des mensualités d'environ 10 000 $. Des chèques postdatés ont été échangés. Presque immédiatement, Polacco a cédé son hypothèque de deuxième rang à la pétitionnaire et a endossé au profit de cette dernière tous les chèques de l'intimée. Peu après, Polacco a manqué à son obligation d'effectuer les paiements prévus par le bail. Il y a eu par la suite défaut de payer l'hypothèque et la pétitionnaire a engagé des procédures de forclusion. L'intimée a réussi à obtenir un jugement déclarant qu'elle avait droit à une compensation en equity à l'égard des sommes dues à la pétitionnaire en vertu de l'hypothèque. L'appel de la pétitionnaire a été rejeté. Le juge Macfarlane de la Cour d'appel a fait une revue de la jurisprudence anglaise et il en a tiré les principes suivants énoncés à la p. 22:

[TRADUCTION] 1. La partie qui invoque la compensation doit établir qu'il existe un motif en equity de la protéger contre les revendications de son adversaire: Rawson v. Samuel, [1841] Cr. & Ph. 161, 41 E.R. 451 (L.C.)

2. Le motif d'equity susmentionné doit toucher le fondement même de la réclamation du demandeur pour que la compensation soit recevable: . . . [Br. Anzani (Felixstowe) Ltd. v. Int. Marine Mgmt (U.K.) Ltd., [1980] Q.B. 137, [1979] 3 W.L.R. 451, [1979] 2 All E.R. 1063].

3. Une demande de compensation doit être reliée si clairement avec la réclamation du demandeur qu'il serait manifestement injuste de permettre au demandeur d'exiger le paiement sans qu'on tienne compte de la demande de compensation:...[Fed. Commerce and Navigation Co. v. Molena Alpha Inc., [1978] Q.B. 927, [1978] 3 W.L.R. 309, [1978] 3 All E.R. 1066].

4. Il n'est pas nécessaire que la réclamation du demandeur et la demande de compensation résultent du même contrat: Bankes v. Jarvis, [1903] 1 K.B. 549 (Div. Ct.); Br. Anzani.

5. Les réclamations de sommes non déterminées sont sur un pied d'égalité avec les réclamations de sommes déterminées: [Nfld. v. Nfld. Ry. Co., [1888] 13 App. C. 199 (C.P.)]

35. De l'avis du juge Macfarlane, bien que l'hypothèque et le bail fussent des documents distincts constatant deux relations juridiques différentes et ne se rapportant pas l'un à l'autre, et bien que les sommes payables ainsi que les dates prévues pour les versements fussent tout à fait différentes dans chaque document, il ressortait de la preuve que les parties envisageaient que le loyer fournirait les fonds nécessaires à l'acquittement des versements hypothécaires. C'est pourquoi la durée du bail dépassait celle de l'hypothèque et le montant du loyer était supérieur aux sommes exigibles en vertu de l'hypothèque. étant donné le lien entre les deux documents, les différences entre eux étaient négligeables.

36. Dans l'affaire Hanak v. Green, [1958] 2 Q.B. 9, [1958] 2 W.L.R. 755, [1958] 2 All E.R. 141, dont le juge Macfarlane a tiré en grande partie le principe des obligations reliées, la Cour d'appel d'Angleterre se trouvait saisie d'une action que la demanderesse avait intentée au constructeur en raison du défaut de celui‑ci d'achever la construction d'une maison. Alléguant l'enrichissement sans cause, le constructeur a présenté une demande reconventionnelle, ou a réclamé la compensation, à l'égard de travaux supplémentaires non prévus par le contrat. La Cour d'appel a conclu que le défendeur pouvait bénéficier de la compensation en equity qui jouait de manière à faire échouer la réclamation de la demanderesse. En raison des liens étroits entre les opérations donnant lieu aux réclamations respectives, l'equity ne permettait pas que l'exécution de l'une d'elles soit exigée sans que l'autre ne soit prise en considération. On a donc suivi l'arrêt Newfoundland Railway.

37. Le juge Macfarlane s'est fondé en outre sur l'arrêt Federal Commerce, [1978] Q.B. 927, [1978] 3 W.L.R. 309, [1978] 3 All E.R. 1066, où la Cour d'appel d'Angleterre a statué que l'affréteur d'un navire pouvait, par voie de compensation en equity, déduire du prix de l'affrètement les montants de certaines réclamations qu'il avait contre les propriétaires du navire. Cet arrêt a ceci d'intéressant que lord Denning souligne dans ses motifs que, depuis la fusion de la common law et de l'equity, il n'est plus nécessaire d'examiner les questions de forme de la compensation en common law. Il dit [[1978] 3 All E.R. 1066], à la p. 1078:

[TRADUCTION] Plus de cent ans se sont écoulés depuis l'adoption de la Supreme Court of Judicature Act 1873. Dans l'intervalle la common law et l'equity ont fonctionné ensemble et se sont confondus, si bien qu'il n'y a pas de distinction entre les deux. Nous n'avons plus à nous demander ce qu'auraient fait les cours de common law ou les cours d'equity antérieurement à la Supreme Court of Judicature Act 1873. La question que nous devons nous poser est plutôt celle de savoir ce qu'il convient de faire maintenant pour assurer aux parties un traitement équitable (voir United Scientific Holdings Ltd. v. Burnley Borough Council [[1977] 2 All E.R. 62, à la p. 68, [1977] 2 W.L.R. 806, aux pp. 811 et 812], motifs de lord Diplock). Cette question doit se poser dans chaque affaire qui parvient devant les tribunaux; ainsi nous établirons, cas par cas, une série de précédents pour la gouverne de ceux qui nous suivront. Il reste cependant que ce ne sont pas toutes les demandes de compensation qui peuvent donner lieu à déduction. Ce sont seulement les demandes de compensation qui découlent de la même opération ou qui lui sont étroitement reliées. Et ce sont seulement les demandes de compensation qui attaquent directement les réclamations du demandeur, c'est‑à‑dire si étroitement reliées à ces réclamations qu'il serait manifestement injuste de lui permettre d'exiger le paiement sans qu'il ne soit tenu compte de la demande de compensation.

Selon la cour, il serait injuste que le créancier obtienne le paiement de sa réclamation sans permettre au débiteur de lui opposer un droit en equity sous la forme de sa propre réclamation, dans la mesure où celle‑ci a été jugée bien fondée.

38. Je reviens maintenant aux faits de la présente espèce afin de déterminer l'effet de l'avis de cession sur la demande en compensation formulée par les Telford. L'article 150 de la Land Titles Act, R.S.A. 1980, chap. L‑5, énumère les conditions à remplir pour qu'il y ait cession valable d'une hypothèque en ces termes:

[TRADUCTION] 150(1) Tout contrat écrit portant sur la vente d'un bien‑fonds, d'une hypothèque ou d'une charge est cessible nonobstant toute stipulation contraire dudit contrat et toute cession de celui‑ci a pour effet de transférer au cessionnaire tout droit, titre et intérêt que peut posséder le cédant, en common law et en equity, sous réserve des conditions et stipulations énoncées dans l'acte de cession.

(2) Le présent article ne porte pas atteinte aux droits, en common law ou en equity, dont jouit le premier vendeur ou propriétaire du bien‑fonds, de l'hypothèque ou de la charge, tant que l'on ne lui aura pas fait parvenir sous pli recommandé ou qu'on ne lui aura pas signifié de la manière dont les exploits sont normalement signifiés un avis écrit de la cession, et l'avis mentionné à l'article 134 est réputé constituer un tel avis.

Les Telford n'ont reçu l'avis de cession requis par cette loi qu'au moment où les Holt ont produit leur avis de déclaration. La date de l'avis de cession était en conséquence le 13 mars 1981. D'après le calendrier initial des paiements, la seule dette qui devenait exigible antérieurement au 13 mars 1981 était la somme de 50 000 $ que les Telford devaient verser à Canadian Stanley le 31 janvier 1981. Les dettes que les Telford cherchent à compenser ne sont pas devenues exigibles avant la date de l'avis de cession. Il ne peut donc y avoir compensation que si les Telford peuvent démontrer que les dettes en question résultent du même contrat ou de contrats étroitement reliés. À mon avis, les Telford ont réussi à faire cette preuve. En l'espèce, ce qui s'est produit en somme est que les Telford et Canadian Stanley ont "troqué" des parcelles de terre. Les Telford ont acheté un bien‑fonds à Canadian Stanley et ont consenti à cette dernière une hypothèque, mais ils ont en outre vendu un bien‑fonds à Canadian Stanley et se sont vu consentir une hypothèque par elle. Les hypothèques sont intervenues le même jour. Le prix des deux biens‑fonds était le même, c'est‑à‑dire 265 000 $. Sauf le paiement prévu pour le 31 janvier 1981, les versements en vertu des deux hypothèques devaient s'effectuer à la même date et ils s'élevaient au même montant. C'est à l'égard de ces deux derniers versements en vertu de l'hypothèque Canadian Stanley et de l'hypothèque Telford que les Telford essayent d'obtenir la compensation. Puisque l'hypothèque Telford et l'hypothèque Canadian Stanley font partie intégrante de l'échange de biens‑fonds en ce sens qu'elles représentent un élément de la contrepartie des transferts réciproques, j'estime qu'elles sont étroitement reliées et qu'elles satisfont aux exigences à remplir pour qu'il y ait compensation en equity. Elles ont été conclues en relation l'une avec l'autre. Il serait injuste de n'exécuter qu'une des parties de l'accord portant sur l'échange de biens‑fonds.

39. Les Telford ont toutefois encore un obstacle à franchir; il s'agit de l'opinion exprimée par la Cour d'appel de l'Alberta que leur dette n'était pas exécutoire et, par conséquent, ne pouvait pas faire l'objet d'une compensation. La Cour d'appel à la majorité a fondé cette conclusion sur son propre arrêt dans l'affaire Renner v. Racz, précitée, où la cour était appelée à examiner la Law of Property Act, R.S.A. 1980, chap. L‑8. Le paragraphe 41(1) de cette loi porte:

[TRADUCTION] 41(1) Dans une action fondée sur une hypothèque immobilière, en common law ou en equity, ou sur un contrat de vente de bien‑fonds, le droit du créancier hypothécaire ou du vendeur se limite au bien‑fonds auquel se rapporte l'hypothèque ou le contrat et à la forclusion de l'hypothèque ou à l'annulation du contrat de vente, selon le cas, et aucune action ne peut être engagée

a) relativement à un engagement de paiement contenu dans l'acte d'hypothèque ou dans le contrat de vente,

b) relativement à un engagement, exprès ou implicite, pris par ou pour une personne à laquelle le bien‑fonds faisant l'objet de l'hypothèque ou du contrat de vente a été transféré ou cédé sous réserve des stipulations de l'hypothèque ou du contrat, pour le paiement du capital ou du prix à payer en vertu de l'hypothèque ou du contrat ou d'une partie de ces sommes, selon le cas, ou

c) pour les dommages‑intérêts découlant de la vente ou de la confiscation, pour non‑paiement de l'impôt d'un bien‑fonds faisant l'objet de l'hypothèque ou du contrat de vente, que la vente ou la confiscation soit attribuable ou non au défaut de paiement du débiteur hypothécaire ou de l'acheteur du bien‑fonds ou de leur cessionnaire.

Le paragraphe 43(1) dispose:

[TRADUCTION] 43(1) Les articles 41 et 42 ne s'appliquent pas à une procédure visant à obtenir l'exécution d'une disposition

a) d'un contrat de vente d'un bien‑fonds à une société, ou

b) d'un acte constatant une hypothèque consentie par une société.

40. Dans son interprétation de ces articles, la Cour d'appel s'est référée à l'arrêt Edmonton Airport Hotel Co. v. Crédit Foncier Franco‑Canadien, précité, de cette Cour et, en particulier, à l'observation selon laquelle l'article remplacé par l'art. 41 créait une [TRADUCTION] "dette non exécutoire". La Cour d'appel de l'Alberta a conclu en conséquence que, dans un cas où il s'agissait d'une dette hypothécaire et où la loi interdisait toute action fondée sur l'engagement personnel, la cour ne pouvait pas ordonner la compensation. Elle ne le pouvait parce qu'il n'existait pas de dette exécutoire.

41. Avec égards, je ne suis pas d'accord avec cette interprétation de l'arrêt Edmonton Airport Hotel. Il faut en effet mettre en contexte l'observation susmentionnée de cette Cour. Dans l'affaire Edmonton Airport Hotel, un garant avait fourni une garantie personnelle à l'égard de la dette d'une débitrice hypothécaire. Le garant a fait valoir que la loi frappait de nullité toute garantie portant sur une dette hypothécaire parce que cela constituait une façon indirecte d'essayer d'imposer une responsabilité personnelle en vertu de l'hypothèque. La Cour a rejeté cet argument pour le motif que le garant n'était pas (et ne pouvait être) le débiteur hypothécaire. Dans son raisonnement, la Cour a dit, aux pp. 444 et 445:

[TRADUCTION] En ce qui concerne la garantie, Superstein a soutenu qu'il n'était pas responsable en qualité de garant parce que le débiteur principal ne devait rien. Il a dit que l'al. 34(17)a) a pour effet d'empêcher la création d'une dette de la compagnie d'hôtellerie. La solution est simple: l'hôtel a emprunté de l'argent au Crédit Foncier en retour d'une garantie mobilière et immobilière. Cet emprunt n'était ni illégal ni ultra vires; il en découlait une dette. La cause Swan v. Bank of Scotland [(1836), 10 Bli. N.S. 627], ne s'applique pas. Elle portait sur la question de l'illégalité. Mais en l'espèce, le par. 34(17) impose des conditions de forme. Il y a eu emprunt et dette non exécutoire qui ne s'éteindra, aux termes du par. 34(18), que lorsqu'une ordonnance d'attribution sera rendue.

À mon avis, la Cour soulignait que l'exécution de la garantie n'équivalait pas à l'exécution de l'engagement personnel du débiteur hypothécaire. La mention d'une dette non exécutoire veut simplement dire que l'engagement personnel de payer donné par un débiteur hypothécaire n'est pas exécutoire en vertu de la loi. L'article 41 ne crée pas une dette non exécutoire. Il n'a pas non plus pour effet d'éteindre ou d'acquitter la dette. Il ne fait qu'exclure l'exercice contre le débiteur hypothécaire d'un recours en jugement personnel fondé sur l'engagement personnel du débiteur. Le créancier hypothécaire peut toujours recourir à la forclusion. Il s'ensuit donc que les Telford et Canadian Stanley ont des dettes exécutoires. Certes, la loi prévoit des recours différents selon qu'il s'agit d'un particulier ou d'une société. Quoi qu'il en soit, ni la correspondance entre les recours ni l'équivalence des dettes n'est requise pour qu'il y ait compensation.

4. Conclusion

42. En résumé, les Telford n'ont pas droit à compensation légale parce qu'il ne s'agit pas de dettes réciproques. Ils ont cependant droit à compensation en equity parce qu'ils ont le droit d'opposer en compensation aux cessionnaires, les Holt, une somme d'argent provenant du même contrat ou de contrats reliés d'où provient la somme d'argent cédée. Ce résultat n'est pas exclu par les dispositions de la Law of Property Act de l'Alberta.

43. Le pourvoi est accueilli. Le solde à payer au titre de l'hypothèque Telford s'élève à 50 886,60 $ et, sur paiement de cette somme aux Holt par les Telford, l'ordonnance de forclusion doit être annulée ou radiée et l'hypothèque doit être supprimée du titre. Les appelants ont droit à leurs dépens en cette Cour et devant les tribunaux d'instance inférieure qui seront déduits du montant de 50 886,60 $.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureur des appelants: D. E. Jermyn, Calgary.

Procureur des intimés: James P. Low, Calgary.


Synthèse
Référence neutre : [1987] 2 R.C.S. 193 ?
Date de la décision : 17/09/1987
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Actions - Conclusions - Demande reconventionnelle et compensation - échange de biens‑fonds et d'hypothèques - Cession d'une des hypothèques touchant à la réciprocité - Possibilité d'obtenir soit la compensation en common law, soit la compensation en equity.

Le pourvoi vise une série d'opérations intervenues entre trois parties, les Telford, les Holt et Canadian Stanley Development Ltd. Les Telford et Canadian Stanley ont échangé des biens‑fonds de valeur égale. Chaque partie a versé à l'autre une somme différente en espèces et elles se sont consenti des hypothèques, de premier rang dans un cas et de deuxième rang dans l'autre. Canadian Stanley, sans en aviser les Telford, a cédé son hypothèque aux Holt avant que l'opération ne soit complétée. On a par la suite persuadé les Telford de consentir à ce que l'hypothèque Canadian Stanley soit modifiée de manière qu'elle passe du deuxième au troisième rang sur le titre de propriété. Les Telford n'ont été mis au courant de la cession qu'après avoir essayé de faire le premier paiement au titre de l'hypothèque et ils ont fini par manifester leur intention de demander à la cour la mainlevée de l'hypothèque. Peu après, l'avocat des Holt a exigé que soit effectué le versement dû à ce moment‑là ainsi que les intérêts échus et a en outre produit une déclaration réclamant aux Telford le remboursement intégral de la dette. Cette réclamation était fondée sur une clause de l'hypothèque Telford qui prévoyait qu'à défaut de tout paiement à valoir sur le capital, la totalité du capital deviendrait due. Après qu'ils eurent reçu signification de la déclaration des Holt, les Telford ont consigné à la cour leur paiement puis ont demandé reconventionnellement la mainlevée de l'hypothèque. Le juge de première instance a conclu (1) que les Telford devaient aux Holt la somme de 150 000 $, (2) qu'il n'y avait pas d'accord prévoyant la compensation, et (3) qu'on avait satisfait aux conditions à remplir pour que puisse être exigé le paiement de la dette hypothécaire au complet. En Cour d'appel on a jugé qu'il ne pouvait pas y avoir de compensation parce que la dette des Telford en vertu du contrat de vente tombait dans la catégorie des dettes non exécutoires. La question en litige en l'espèce est de savoir si les Telford ont le droit d'opposer la créance qu'ils ont envers Canadian Stanley en compensation de la réclamation des Holt.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Les Telford n'ont pas droit à compensation légale parce qu'il ne s'agit pas de dettes réciproques. Ils peuvent néanmoins bénéficier d'une compensation en equity. En effet, il leur est loisible d'opposer en compensation aux cessionnaires, les Holt, une somme d'argent provenant du même contrat ou de contrats reliés d'où provient la somme d'argent cédée. Ce résultat n'est pas exclu par les dispositions de la Law of Property Act de l'Alberta.

En l'espèce, on ne peut recourir à la compensation conventionnelle ni à la compensation en common law. Il n'y a pas d'accord quant à la compensation parce que les parties ont préparé deux actes d'hypothèque distincts dont chacun prévoyait des paiements postérieurs au versement initial des Telford. La compensation légale (ou la compensation en common law) exige que soient remplies deux conditions: les deux obligations doivent être des dettes et il faut que l'une et l'autre dettes représentent des obligations réciproques. Les Telford ne peuvent obtenir la compensation en common law parce que la cession a eu pour effet de détruire la réciprocité telle qu'elle est définie en droit.

La compensation en equity peut être invoquée chaque fois qu'on réclame une somme d'argent, déterminée ou non, indépendamment de toute cession qui a pu être effectuée. Il n'y a aucune exigence de réciprocité. On peut (1) opposer en compensation au cessionnaire une somme d'argent devenue exigible antérieurement à l'avis de cession, et (2) invoquer contre le cessionnaire la compensation relativement à une somme d'argent provenant du même contrat ou de la même série d'événements que ceux d'où provient la somme d'argent cédée, ou présentant un lien étroit avec ce contrat ou cette série d'événements.

Les dettes que les Telford cherchent à compenser ne sont pas devenues exigibles avant qu'ils reçoivent l'avis de cession et, par conséquent, il ne peut y avoir compensation que si les dettes résultent du même contrat ou de contrats étroitement reliés. En l'espèce, les Telford et Canadian Stanley ont "troqué" des parcelles de terre et les hypothèques représentaient un élément de la contrepartie des transferts réciproques. étant donné ce lien étroit, on a satisfait aux exigences à remplir pour qu'il y ait compensation en equity.

L'article 41 de la Law of Property Act ne crée pas une dette non exécutoire et n'a pas non plus pour effet d'éteindre ou d'acquitter la dette. Il empêche simplement d'exercer contre le débiteur hypothécaire un recours en jugement personnel fondé sur l'engagement personnel dudit débiteur. Le créancier hypothécaire peut encore exercer le recours de forclusion. Il s'ensuit donc que les Telford et Canadian Stanley ont des dettes exécutoires. Certes, la loi peut prévoir des recours différents selon qu'il s'agit d'un particulier ou d'une société. Quoi qu'il en soit, ni correspondance entre les recours ni équivalence des dettes n'est requise pour qu'il y ait compensation.


Parties
Demandeurs : Holt
Défendeurs : Telford

Références :

Jurisprudence
Arrêts examinés: Watson v. Mid Wales Railway Co. (1867), L.R. 2 C.P. 593
Newfoundland (Government of) v. Newfoundland Railway Co. (1888), 13 App. Cas. 199
In re Pinto Leite and Nephews, [1929] 1 Ch. 221
Business Computers Ltd. v. Anglo‑African Leasing Ltd., [1977] 1 W.L.R. 578
Canadian Admiral Corp. v. L. F. Dommerich & Co., [1964] R.C.S. 238
distinction d'avec l'arrêt: Edmonton Airport Hotel Co. v. Crédit Foncier Franco‑Canadien, [1965] R.C.S. 441
arrêts mentionnés: Renner v. Racz, [1972] 1 W.W.R. 109
Freeman v. Lomas (1851), 9 Hare 109
Atlantic Acceptance Corp. v. Burns & Dutton Construction (1962) Ltd., [1971] 1 W.W.R. 84
C.I.B.C. v. Tuckerr Indust. Inc., [1983] 5 W.W.R. 602
Royal Trust v. Holden (1915), 22 D.L.R. 660
Coba Industries Ltd. v. Millie's Holdings (Canada) Ltd. and Tsang, [1985] 6 W.W.R. 14
Aboussafy v. Abacus Cities Ltd., [1981] 4 W.W.R. 660
Smith v. Parkes (1852), 16 Beav. 115
Federal Commerce and Navigation Ltd. v. Molena Alpha Inc., [1978] Q.B. 927, [1978] 3 W.L.R. 309, [1978] 3 All E.R. 1066
Hanak v. Green, [1958] 2 Q.B. 9, [1958] 2 W.L.R. 755, [1958] 2 All E.R. 141.
Lois et règlements cités
Alberta Rules of Court, Alta. Reg. 390/68, art. 93(1).
Insolvent Debtors Relief Act, 2 Geo. 2, chap. 22 (R.‑U.)
Land Titles Act, R.S.A. 1980, chap. L‑5, art. 150(1), (2).
Law of Property Act, R.S.A. 1980, chap. L‑8, art. 41(1), 43(1).
Set‑off Act, 8 Geo. 2, chap. 24 (R.‑U.)
Supreme Court of Judicature Act, 1873, 36 & 37 Vict., chap. 66, art. 199.3 (R.‑U.)
Doctrine citée
Halsbury's Laws of England, vol. 42, 4th ed. London: Butterworths, 1983.

Proposition de citation de la décision: Holt c. Telford, [1987] 2 R.C.S. 193 (17 septembre 1987)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1987-09-17;.1987..2.r.c.s..193 ?
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