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17/09/1987 | CANADA | N°[1987]_2_R.C.S._99

Canada | Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99 (17 septembre 1987)


Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99

Richard Hugh Frame Appelant

c.

Eleanor Margaret Smith et Johnston Smith Intimés

répertorié: frame c. smith

No du greffe: 18164.

1986: 20 mars; 1987: 17 septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard,* Lamer, Wilson et La Forest.

*Le juge Chouinard n'a pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario qui a rejeté l'appel d'un jugement du juge Boland qui avait accordé une or

donnance de radiation pour absence de cause raisonnable d'action. Pourvoi rejeté, le juge Wilson est dissidente.

...

Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99

Richard Hugh Frame Appelant

c.

Eleanor Margaret Smith et Johnston Smith Intimés

répertorié: frame c. smith

No du greffe: 18164.

1986: 20 mars; 1987: 17 septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard,* Lamer, Wilson et La Forest.

*Le juge Chouinard n'a pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario qui a rejeté l'appel d'un jugement du juge Boland qui avait accordé une ordonnance de radiation pour absence de cause raisonnable d'action. Pourvoi rejeté, le juge Wilson est dissidente.

Stephen B. Smart, pour l'appelant.

Gregory Frink, pour les intimés.

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges Beetz, McIntyre, Lamer et La Forest rendu par

1. Le juge La Forest—La question en l'espèce est de savoir si l'appelant a un droit d'action contre son ex‑épouse et son mari actuel pour entrave à son droit de visite à l'égard de ses enfants.

Le contexte

2. Ce pourvoi découle d'une requête en radiation d'une déclaration pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action. Il faut donc présumer, aux fins de la requête, que les faits rapportés dans les plaidoiries sont exacts. Les plus importants sont les suivants.

3. Richard Frame et Eleanor Smith ont déjà été mari et femme et ils ont trois enfants maintenant âgés de 24, 19 et 18 ans. Le couple s'est séparé en 1970 et, en 1971, un tribunal manitobain a accordé à l'épouse la garde des enfants, assortie de généreux privilèges de visite à l'époux. Des ordonnances subséquentes accordant des droits de visite ont été délivrées en Ontario en 1974 et 1975. Toutefois, selon le mari, son ex‑épouse a fait tout ce qu'il lui était possible pour faire échec à son droit de visite à l'égard des enfants. Elle a habité successivement Winnipeg, Toronto, Denver et Ottawa, rendant les droits de visite, à son dire, impossibles à exercer. Elle a changé le nom de famille et la religion des enfants, leur a dit que l'appelant n'était pas leur père, leur a interdit les conversations téléphoniques avec lui et a intercepté les lettres qu'il leur adressait. Le mari allègue qu'à cause de la conduite de son ex‑épouse il a engagé des dépenses considérables et a subi de graves problèmes émotionnels et psychiques. Il prétend qu'elle et son époux actuel sont responsables de tous dommages résultant de leur entrave illégale aux rapports légaux qu'il avait avec ses enfants. Il cherche par conséquent à recouvrer non seulement ses débours (estimés à 25 000 $), mais des dommages‑intérêts généraux et punitifs de 1 000 000 $ et 500 000 $ respectivement. L'inscription sur le bref d'assignation se lit comme suit:

[TRADUCTION] Le demandeur réclame des dommages‑intérêts par suite du refus des défendeurs de lui permettre d'exercer le droit de visite à l'égard de ses enfants ou, subsidiairement, des dommages‑intérêts relatifs au refus volontaire des défendeurs de lui permettre d'exercer son droit légal de visite à l'égard de ses enfants ou, subsidiairement, les dommages‑intérêts résultant du complot des défendeurs visant à accomplir des actes destinés à empêcher le demandeur d'exercer ses droits légaux et des dommages‑intérêts relatifs à la perte de possibilité du demandeur de développer des rapports humains significatifs et de jouir de la compagnie de ses enfants et de contacts avec eux et de fournir et donner auxdits enfants l'amour, les soins et les conseils parentaux qui conviennent.

4. Les défendeurs ont demandé une ordonnance radiant l'action en vertu de l'article 126 des Règles de pratique de l'Ontario. Se considérant liée par une affaire semblable Schrenk v. Schrenk (1981), 32 O.R. (2d) 122 (H.C. Ont.), conf. (1982), 36 O.R. (2d) 480 (C.A.), le juge Boland a rendu l'ordonnance. La Cour d'appel de l'Ontario s'est également considérée liée par son arrêt Schrenk et a rejeté l'appel.

5. L'appelant a alors demandé et obtenu une autorisation de pourvoi devant cette Cour.

De la responsabilité délictuelle

6. Malgré leur profonde importance humaine et sociale, l'intérêt des parents dans l'amour et la compagnie de leurs enfants et l'intérêt réciproque des enfants dans l'amour et la compagnie de leurs parents n'ont pas, en common law, reçu de protection spécifique. Le Restatement of the Law of Torts (1938), art. 699, formule la situation des parents en common law en ces termes: [TRADUCTION] "Celui qui, sans plus, enlève à ses parents l'affection d'un enfant, qu'il soit mineur ou majeur, n'a aucune responsabilité envers les parents de l'enfant." Les anciennes actions fondées sur l'entraînement, le recel, la séduction ou la perte des services accordaient autrefois une certaine protection à l'intérêt d'un père à l'égard de ses enfants, mais elles avaient une connotation particulièrement pécuniaire. Quoi qu'il en soit, elles ont été abolies en Ontario par la Loi portant réforme du droit de la famille, L.R.O. 1980, chap. 152, par. 69(4).

7. Aux États‑Unis, on avait élaboré un délit civil distinct de "détournement d'affection" pour protéger l'intérêt réciproque des conjoints dans la compagnie de l'autre, mais vers le milieu des années 30 il a commencé à tomber en défaveur et, tout comme les actions traditionnelles déjà mentionnées, il a été aboli dans de nombreux États. Il ne s'insérait tout simplement pas bien dans une époque de [TRADUCTION] "changements rapides de conjoints et de catastrophes familiales de plus en plus nombreuses"; pour des détails, voir Alan Milner, "Injuries to Consortium in Modern Anglo‑American Law" (1958), 7 Int. & Comp. Law Q. 417, en particulier les pp. 435 et 436. L'extension du délit civil par certains tribunaux d'État de manière à permettre aux parents de poursuivre pour la perte d'affection de leurs enfants a été loin de recevoir l'approbation générale; voir Milner, ibid., Clay A. Mosberg, Note, "A Parent's Cause of Action for the Alienation of a Child's Affection" (1973‑74), 22 Kan. L. Rev. 684. La possibilité d'une multiplicité d'actions à l'intérieur du cercle familial et contre des proches de la famille n'a pas été considérée comme un bien sans réserve. En fait, au Michigan, un des rares États où on l'a ainsi étendu, la législature de l'État l'a aboli; voir Mosberg, ibid., aux pp. 689 et 690. Au Canada, dans l'arrêt Kungl v. Schiefer, [1962] R.C.S. 443, cette Cour a rejeté l'action d'un mari en dommages‑intérêts pour le détournement de l'affection de son épouse, statuant qu'aucun délit civil de cette espèce n'existait au Canada. Elle a ainsi suivi la direction indiquée par les tribunaux anglais où, dans l'arrêt Gottlieb v. Gleiser, [1957] 3 All E.R. 715, le lord juge Denning a établi clairement que ces affaires familiales ne relèvent absolument pas du droit.

8. Le mari en l'espèce cherche également à invoquer le délit civil de complot mais, comme l'explique ma collègue le juge Wilson dans ses motifs, l'application de ce délit civil à des circonstances comme celles de l'espèce comporte de graves inconvénients. Elle signale également que cette Cour a dit clairement qu'elle n'envisage pas d'un bon oeil l'extension de ce délit civil qu'elle considère comme une anomalie, voir Ciments Canada LaFarge Ltée c. British Columbia Lightweight Aggregate Ltd., [1983] 1 R.C.S. 452, le juge Estey à la p. 473. Dans ses motifs de jugement, le juge Wilson a également réglé de façon adéquate la possibilité d'application d'autres délits civils existants aux circonstances de la présente espèce. Il est également douteux, fait‑elle observer, qu'un parent ait, en common law, un droit de visite, par opposition au droit de garde, qui puisse servir de fondement à une action. Il n'existe en l'espèce aucun intérêt pécuniaire et, quoi qu'il en soit, tout intérêt éventuel semble très voisin de celui qu'aurait protégé le délit civil de détournement d'affection qui a été écarté.

9. Les tribunaux pourraient évidemment concevoir un nouveau délit civil pour régler la situation. Et la tentation de le faire est évidemment bien présente, car on ne peut s'empêcher de ressentir de la sympathie pour l'appelant et les autres personnes dans des situations semblables. Mais des arguments redoutables s'opposent à la création d'un tel redressement. J'ai déjà mentionné qu'il était peu souhaitable de provoquer des poursuites au sein du cercle familial. Le spectacle de parents poursuivant non seulement leurs ex‑conjoints mais également les grands‑parents, les tantes, les oncles de leurs enfants, sans parler des proches de la famille, pour entrave aux droits de visite donne à réfléchir. L'éclatement du milieu familial et social, tellement important pour le bien‑être d'un enfant, peut bien avoir constitué un motif mûrement réfléchi d'inaction juridique, bien qu'il y ait d'autres raisons.

10. La définition d'un tel délit civil présente également des difficultés importantes. À quelle étape et pour quels actes pourrait‑on prétendre qu'il y a entrave aux droits de visite? Des conseils ou des encouragements donnés à un enfant sont‑ils suffisants? Tout le monde sait que les conseils spontanés, et pas toujours désintéressés ni sages, abondent dans un milieu familial. Les entraves comportent évidemment différents degrés et certaines sont malveillantes, d'autres non, mais il est bien difficile de préciser où se situe la ligne de démarcation. Il me semble qu'il n'y a pas de limite claire entre les interruptions ordinaires du droit de visite et l'entrave soutenue, pouvant probablement donner ouverture à une action; et il est virtuellement impossible de prédire quand est atteint le point où s'arrêtent les avis acceptables donnés pour le bénéfice de l'enfant et où commence l'obstruction malveillante. Ceci est d'autant plus vrai que, comme l'a signalé Alan Milner, ibid., à la p. 429 [TRADUCTION] "le désir de faire du mal suit de près l'aversion." En outre, des dommages‑intérêts ont peu de chance de ramener l'amour et la compagnie, mais ils peuvent bien, dans certains cas, priver un enfant du soutien qu'il obtiendrait autrement du parent qui en a la garde et d'autres membres de la famille. Si, par contre, l'action est limitée de façon générale au recouvrement des débours, elle aura peu d'utilité pour la plupart des parents étant donné les coûts, en temps et en argent, des actions en justice. Ces considérations et d'autres d'ordre pratique suffisent pour soulever des doutes sérieux quant à savoir si une action en justice est une façon appropriée de régler ce genre de situation. C'est probablement ce qui explique la réticence des tribunaux à conclure à l'existence d'un redressement en common law.

11. Mais ce qui est vraiment concluant, à mon avis, c'est que le législateur a pris les devants sur toute initiative judiciaire éventuelle. Dans toutes les provinces (et au niveau fédéral d'ailleurs), on a adopté des mesures législatives qui traitent du phénomène moderne de l'effondrement fréquent des familles et, en particulier, qui prévoient la garde des enfants et le droit de leur rendre visite. En Ontario, la Loi portant réforme du droit de l'enfance, L.R.O. 1980, chap. 68, modifiée par la Loi de 1982 modifiant la Loi portant réforme du droit de l'enfance, L.O. 1982, chap. 20, traite maintenant de la question d'une manière détaillée. En particulier, les tribunaux ont reçu comme rôle d'assurer que les questions litigieuses concernant la garde des enfants ou les droits de visite soient tranchées en fonction du meilleur intérêt de l'enfant (al. 19a) et par. 24(1)). De nombreux moyens sont prévus pour l'exécution d'ordonnances de garde ou de droit de visite. La cour peut donner les directives qu'elle juge appropriées relativement au contrôle de ceux qui ont la garde des enfants ou un droit de visite à leur égard (art. 35). Sur requête, elle peut rendre une ordonnance enjoignant à une personne de ne pas importuner ni harceler le requérant ou un enfant dont il a garde (art. 36). Elle peut également autoriser le requérant ou son représentant à appréhender l'enfant afin de faire respecter son droit de garde ou son droit de visite (par. 37(1)). Dans certaines circonstances, elle peut ordonner au shérif ou à la police de le faire (par. 37(2)), et les autoriser à pénétrer dans tout lieu où ils sont fondés à croire que l'enfant se trouve et à y faire une perquisition, et à recourir à l'aide ou à la force nécessaires dans les circonstances (par. 37(5)). La cour peut également prendre des mesures pour empêcher qu'un enfant soit emmené à l'extérieur de la province (art. 38). Outre son pouvoir en matière d'outrage, la cour peut imposer une amende ou une peine d'emprisonnement à quiconque contrevient de façon délibérée ou résiste à ces brefs ou ordonnances de garde ou de droit de visite (art. 39).

12. Il me semble évident que le législateur a voulu créer un régime détaillé pour régler ces problèmes. S'il avait envisagé l'appui supplémentaire d'une action civile, il l'aurait prévue, surtout étant donné l'état rudimentaire de la common law. En fait, nous l'avons vu, dans une loi distincte (la Loi portant réforme du droit de la famille) le législateur est sorti des sentiers battus pour abolir tous les redressements pertinents, mais inadéquats, alors existants en common law. Dans l'affaire Schrenk, précitée, le juge Gray a pris pour acquis qu'une action comme celle‑ci fait partie des redressements de common law qui ont été abolis, et je conviens que la loi est clairement tournée vers le refus d'autoriser le recours aux tribunaux pour des actions civiles de cette nature. Il y a plus, en l'espèce, que la présomption habituelle qu'il faut considérer que le législateur connaissait le droit existant. Il a agi sur le fondement d'un rapport de la Commission de réforme du droit de l'Ontario déposé en 1969, intitulé Report on Family Law.

13. En adoptant cette position je suis simplement la méthode adoptée par cette Cour dans plusieurs arrêts récents. Dans l'affaire Seneca College of Applied Arts and Technology c. Bhadauria, [1981] 2 R.C.S. 181, la Cour a examiné la question de savoir si le refus répété d'emploi fondé sur la discrimination raciale donnait ouverture à un délit civil en common law. Comme en l'espèce, une loi détaillée, The Ontario Human Rights Code, R.S.O 1970, chap. 318, avait été adoptée pour régler le problème étant donné l'état rudimentaire de la common law. Comme en l'espèce également, la loi définissait l'essence du droit et créait un nombre imposant de recours pour le mettre à exécution. Le juge en chef Laskin, parlant au nom de la Cour, a dit clairement à la p. 189 qu'il n'était pas possible "de créer par autorisation judiciaire une obligation [...] de conférer un avantage [...] à certaines personnes [...] sur le seul fondement de la violation d'une loi qui, elle, prévoit de façon détaillée des recours en cas de violation". À mon avis, l'affaire en l'espèce présente une situation tout à fait semblable.

14. De façon plus générale, la présente action paraît envisager la mise à exécution d'une obligation légale, ou ce qui équivaut à la même chose, d'une ordonnance rendue en vertu d'un pouvoir discrétionnaire accordé par la loi, au moyen d'une action civile plutôt qu'au moyen des redressements prévus par la Loi. Cette Cour a eu l'occasion d'examiner cette question dans l'arrêt La Reine du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205. Dans cette affaire, la Commission canadienne du blé réclamait au Pool des dommages‑intérêts par suite de la livraison de grain infesté provenant de ses élévateurs terminus contrairement à une disposition de la loi; aucune négligence n'était invoquée. L'action a échoué. La Cour a carrément rejeté la notion d'un délit civil spécial de violation d'une obligation légale; si le législateur voulait prévoir une action civile, a‑t‑elle conclu, il pouvait le faire. Autrement, on permettrait simplement aux tribunaux de choisir, d'une façon tout à fait imprévisible, d'accorder un recours civil pour une violation de la loi chaque fois qu'ils l'estimeraient convenable. On peut dégager l'essence du point de vue de la Cour de l'extrait suivant des motifs du juge Dickson, maintenant Juge en chef, aux pp. 215 et 216:

On a sévèrement critiqué l'illusion qui consiste à chercher ce qu'on a qualifié de [TRADUCTION] "volonté chimérique", savoir l'intention inexistante du Parlement de créer une cause d'action civile. Pratique empreinte de caprice et d'arbitraire, il s'agit là de [TRADUCTION] "droit prétorien" de la pire espèce.

...

Il s'agit d'une "fiction flagrante' qui va à l'encontre des règles reçues en matière d'interprétation de lois: [TRADUCTION] "le silence du législateur sur la question de la responsabilité civile porte à conclure soit qu'il ne l'a pas envisagée soit qu'il l'a omise délibérément" (Fleming, The Law of Torts, 5e éd., 1977, à la p. 123). Glanville Williams est maintenant d'avis que [TRADUCTION] "(l')indécision" des cours "ne fait que discréditer notre jurisprudence" et, avec égards, je suis d'accord. Il écrit à ce sujet:

[TRADUCTION] L'omission des juges d'élaborer un principe directeur entraîne la quasi‑impossibilité de prévoir, en dehors des précédents, dans quels cas les cours estimeront qu'il y a eu création implicite d'une obligation civile. En effet, le juge peut agir à sa guise et puis choisir, pour motiver sa décision, un des principes contradictoires énoncés par ses prédécesseurs.

15. Point n'est besoin aujourd'hui de compléter les mesures législatives de cette façon. En fait, cela pourrait bien porter atteinte au régime complet prévu par le législateur; voir l'arrêt St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier, Section locale 219, [1986] 1 R.C.S. 704, le juge Estey, particulièrement à la p. 721. J'y reviendrai plus loin. Aussi, quand on veut par la suite apporter des modifications à un régime législatif, il est difficile de traiter adéquatement des nouveautés apportées par la common law.

16. À mon avis, donc, le mari appelant n'a pas établi un fondement acceptable pour une action délictuelle.

De l'obligation fiduciaire

17. Une bonne partie de ce que j'ai déjà dit me semble s'appliquer avec une force égale à la possibilité, au sujet de laquelle la Cour a demandé aux avocats de présenter des arguments supplémentaires, que l'appelant ait un droit d'action pour violation d'une obligation fiduciaire découlant de l'ordonnance judiciaire lui accordant le droit de visite à l'égard des enfants. Tous les motifs pour écarter une action délictuelle s'appliquent également à une action pour la violation d'une telle obligation. Le législateur a créé les droits de garde et de visite et, nous l'avons vu, a fourni un nombre imposant de recours pour les mettre à exécution, des directives relatives au contrôle du droit de visite, en passant par les ordonnances interdisant toute entrave et la possibilité d'appréhender l'enfant en permettant, si nécessaire, à la police ou au shérif de pénétrer dans des lieux et d'y faire des perquisitions, jusqu'à l'autorisation d'imposer amende et emprisonnement. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi on devrait penser que le législateur a voulu permettre l'exécution au moyen d'une action pour violation d'une obligation fiduciaire lorsqu'il y a violation d'une ordonnance portant droit de visite, alors qu'on ne voit pas d'intention implicite d'autoriser une action en responsabilité délictuelle. C'est d'autant plus vrai lorsque le législateur a pris la peine d'abolir toutes les actions non prévues par la loi qui avaient quelque pertinence évidente en la matière. En fait il y a à mon avis des raisons plus fortes de douter que le législateur ait envisagé le recours à cette action. Elle est extrêmement mal définie et elle ne vient pas immédiatement à l'esprit.

18. On ne voit pas davantage quand une action pour violation d'obligation fiduciaire prendrait naissance qu'on ne le voit relativement à la possibilité d'action délictuelle pour violation du droit de visite. Même si on présume que ce ne sont pas toutes les violations du droit de visite qui peuvent donner naissance à une action, à quel point précisément une action prend‑t‑elle naissance? Comme je l'ai noté dans l'analyse de la possibilité d'une action en responsabilité délictuelle, la précision est virtuellement impossible dans ce domaine. Le pouvoir discrétionnaire que peut avoir le tribunal dans l'adjudication des dommages‑intérêts ne change rien au fait que les parties au litige peuvent penser qu'il y a une grande variété d'actes pouvant justifier une poursuite. Ce ne sont là que quelques‑unes des incertitudes qui entourent ce recours informe. Ces incertitudes présentent le danger d'engendrer éventuellement des litiges désastreux, démesurés et souvent inutiles.

19. Permettre une telle action pourrait bien contrevenir à la directive exprimée dans la Loi que la garde et le droit de visite des enfants soient, dans des situations comme celles‑ci, accordés seulement sur le fondement du meilleur intérêt des enfants. Le législateur a bien pu penser qu'autoriser une action civile aurait cet effet. Je pourrais mentionner à ce stade que les tribunaux ne permettront pas qu'on porte atteinte indirectement à un régime législatif. Dans d'autres contextes, ils ont non seulement refusé d'autoriser une action délictuelle, mais ils sont allés plus loin et n'ont pas permis ce qui avait traditionnellement été des actions autorisées en matière contractuelle; voir par exemple l'arrêt St. Anne Nackawic, précité.

20. En résumé, il n'est pas du tout certain que permettre des actions civiles contre les parents qui ont la garde puisse être dans l'intérêt véritable de l'enfant, que ce soit par la création d'un délit civil ou par la reconnaissance de rapports fiduciaires découlant d'une ordonnance judiciaire. Même le recours aux amendes et à l'emprisonnement, autorisé par la Loi, a été décrit comme n'étant pas [TRADUCTION] "tout à fait approprié"; voir James G. McLeod, "Annotation" to O'Byrne v. Koresec (1986), 2 R.F.L. (3d) 104, à la p. 105. C'est parce qu'ils peuvent réduire les ressources du parent qui a la garde et parce que l'enfant peut souffrir de savoir qu'un de ses parents a pris une mesure aussi draconienne contre l'autre. Cela est applicable, et à certains égards avec encore plus de force, à une action en justice. Des dommages‑intérêts peuvent imposer un fardeau financier beaucoup plus grand que l'amende maximale de 1 000 $ qui peut être imposée en vertu de la Loi (par. 39(1)). En outre, bien que l'incarcération d'un parent sur l'instigation de l'autre puisse être dommageable pour l'enfant, un procès mené par l'un des parents contre l'autre sur une période prolongée peut être encore bien plus dommageable.

21. Pour ces motifs, je ne peux accepter qu'une violation de l'ordonnance autorisée par la loi en l'espèce donne naissance à des rapports fiduciaires qui puissent fonder une cause d'action.

Conclusion

22. Comme on n'a montré aucun fondement possible d'une cause d'action, je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Version française des motifs rendus par

23. Le juge Wilson (dissidente)—La question principale soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si les tribunaux devraient reconnaître en common law aux parents un droit de visite à l'égard des enfants ou, subsidiairement, un droit de recouvrer des dommages‑intérêts pour la violation d'une ordonnance accordant un droit de visite rendue par un tribunal en application d'une disposition législative. La question est soulevée dans le contexte d'une demande de radiation de la déclaration du demandeur parce qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action. Dans ce contexte, il n'y a aucun élément de preuve dans le dossier à l'appui des allégations contenues dans la déclaration mais, conformément à des principes bien établis, les faits rapportés dans les plaidoiries doivent à cette fin précise être considérés comme prouvés.

1. Les faits

24. En septembre 1962, l'appelant (demandeur) et l'intimée Eleanor Smith se sont mariés à Winnipeg. Dans les années qui ont suivi, ils ont eu trois enfants. L'aîné, Richard, est né en 1963; Kathleen est née en 1967 et la cadette, Diane est née en 1969. En novembre 1970, Eleanor Smith a quitté l'appelant pour vivre avec un autre homme. Elle est par la suite revenue au domicile conjugal à Montréal pendant une brève période de temps. Toutefois, elle l'a quitté à nouveau, apparemment pour aller demeurer chez ses parents à Winnipeg et se faire conseiller. Elle a emmené les enfants avec elle. Une fois rendue à Winnipeg, elle a engagé des procédures en vue d'en obtenir la garde. À un certain moment, il ne ressort pas clairement des plaidoiries à quel moment précis, l'appelant a pris des mesures semblables au Manitoba. Le 12 août 1971, un juge du tribunal de la famille à Winnipeg a accordé à Eleanor Smith la garde des trois enfants. L'appelant a obtenu de [TRADUCTION] "généreux privilèges de visite".

25. Vers février 1972, Eleanor Smith et le codéfendeur Johnston Smith ont commencé à vivre ensemble. Au cours de 1973, ils ont quitté Winnipeg et ont emmené les enfants avec eux. Ils n'ont pas dit à l'appelant qu'ils quittaient la ville. Après plusieurs mois de recherches, l'appelant a réussi à retrouver ses enfants qui étaient à Toronto avec les intimés. On l'a empêché de voir ses enfants. Les intimés lui ont dit [TRADUCTION] "Tu n'es pas leur père. Ne t'approche pas d'eux". Alors l'appelant a demandé aux tribunaux de l'Ontario de préciser ses droits de visite. Le 22 novembre 1974, le protonotaire Davidson de la Cour suprême de l'Ontario a ordonné à Eleanor Smith d'accorder un droit de visite déterminé à l'appelant pour qu'il puisse voir ses enfants et passer du temps avec eux. Le protonotaire Davidson a rendu une autre ordonnance relative au droit de visite en janvier 1975. En octobre 1976, l'appelant est allé à Toronto pour voir ses enfants, mais il a trouvé la maison vide sans aucune indication de l'endroit où les enfants ou les intimés étaient allés. Les intimés savaient que l'appelant venait à Toronto pour voir ses enfants à cette occasion. Il a fallu six mois de recherches à l'appelant pour les retrouver. Ils vivaient avec les intimés à Denver, au Colorado. Lorsqu'ils ont été découverts, ils sont tous revenus à Toronto.

26. L'appelant soutient que, depuis 1972, les intimés ont fait en sorte qu'il lui soit extrêmement difficile, voire impossible, d'avoir des contacts avec ses enfants. Ils ont délibérément limité ou interdit les communications téléphoniques. Ils ont intercepté les lettres et les cadeaux qu'il leur avait envoyés. Ils ont également dit aux enfants de ne pas tenter de communiquer avec l'appelant. Ils ont dit aux enfants de ne pas utiliser leur véritable nom de famille, Frame; ils devaient utiliser le nom de famille Smith. Les intimés ont changé la religion des enfants contre la volonté expresse de l'appelant. Au cours des années, les intimés ont dit aux enfants que l'appelant n'était pas leur père, qu'ils devaient considérer Johnston Smith comme leur père.

27. Depuis 1972, l'appelant a dépensé des sommes d'argent importantes pour tenter de maintenir ses rapports avec ses enfants. Il a cherché en vain à obtenir l'aide des tribunaux. Le comportement des intimés l'a constamment frustré. En outre, depuis 1977, l'appelant a dû suivre des traitements médicaux en raison d'une grave dépression imputable à la conduite des intimés. Ils l'ont en fait privé des rapports normaux et significatifs parent‑enfant ou, d'ailleurs, de tous rapports avec ses enfants.

28. En avril 1982, l'appelant a intenté une action contre les intimé en Cour suprême de l'Ontario. Une déclaration a été déposée quelques mois plus tard. Elle contenait plusieurs allégations concernant la violation par les intimés du droit de visite de l'appelant et identifiait plusieurs points parmi lesquels pourrait se trouver la cause d'action, notamment causer volontairement un préjudice à l'appelant, l'atteinte intentionnelle au droit légal de l'appelant et le complot à cet effet. L'appelant a demandé des dommages‑intérêts généraux de 1 000 000 $, des dommages‑intérêts punitifs de 500 000 $ et des dommages‑intérêts spéciaux évalués à 25 000 $. Il n'a pas cherché à obtenir de droit de visite car ses enfants étaient tous à ce moment‑là âgés de plus de quinze ans et ses rapports avec eux avaient été complètement détruits.

2. Les tribunaux d'instance inférieure

29. En réponse à la déclaration, l'avocat des intimés s'est fondé sur la règle 126 des Règles de pratique de l'Ontario pour en demander la radiation pour le motif qu'elle ne comportait aucune cause d'action raisonnable. Le juge Boland, se considérant liée par la décision précédente du juge Gray dans l'arrêt Schrenk v. Schrenk (1981), 32 O.R. (2d) 122, conf. (1982), 36 O.R. (2d) 480 (C.A.), a rendu l'ordonnance de radiation.

30. L'appelant a interjeté appel à la Cour d'appel de l'Ontario. Il a été débouté. Dans une note écrite sur le dossier, le juge Blair a indiqué que la cour n'était pas en mesure d'établir une distinction entre cette demande et celle de l'affaire Schrenk, précitée, et il ne voyait aucun motif pour s'écarter de la position adoptée dans cette affaire.

3. La question en litige

(i) Considérations d'ordre général

31. L'appelant soutient que tous les éléments d'une cause d'action ont été plaidés, savoir l'infliction intentionnelle d'un préjudice ou l'atteinte intentionnelle à un droit légal. Il ajoute que le par. 69(4) de la Loi portant réforme du droit de la famille, L.R.O. 1980, chap. 152, n'interdit pas ces causes d'action:

69. ...

(4) La demande fondée sur l'entraînement, le recel, la séduction ou la perte des services de l'enfant du demandeur n'est plus recevable. Il en est de même de la demande de dommages‑intérêts pour cette cause.

En substance, les arguments de l'appelant se fondent sur la prémisse que la responsabilité délictuelle est fondée sur un principe général de responsabilité pour les dommages causés intentionnellement, sous réserve de certaines exceptions. Par conséquent, soutient‑il, l'abrogation de certains chefs de responsabilité par le par. 69(4) de la Loi portant réforme du droit de la famille enlève à un requérant la possibilité de recouvrer des dommages‑intérêts pour un préjudice causé dans ces seules situations précises. L'appelant soutient que le préjudice qu'il a subi ne s'inscrit pas dans ces catégories précises et ouvre donc droit à une action.

32. L'argument de l'appelant rappelle une position adoptée dans un débat commencé au siècle dernier et qui n'est pas encore terminé. Il a été décrit dans Solomon, Feldthusen and Mills, Cases and Materials on the Law of Torts (2nd ed. 1986) de la manière suivante (à la p. 6):

[TRADUCTION] Au départ, la recherche d'un fondement théorique pour le droit des délits se concentrait sur la question de savoir s'il y avait un principe général en matière de responsabilité délictuelle. Sir John Solomon a soutenu que le droit des délits était simplement un ensemble disparate de cause d'actions distinctes, chacune protégeant différents intérêts et chacune étant fondée sur des principes distincts de responsabilité [voir Salmond, The Law of Torts (6th ed., 1924) aux pp. 9 et 10]. Essentiellement, le droit des délits était un ensemble limité de règles indépendantes et les tribunaux n'étaient pas libres de reconnaître de nouveaux chefs de responsabilité. Par ailleurs, des auteurs tel Pollock ont soutenu que le droit des délits était fondé sur le seul principe unificateur selon lequel tous les préjudices étaient délictuels à moins qu'ils ne puissent être justifiés [voir Pollock, The Law of Torts (13th ed., 1929) à la p. 21]. Les tribunaux étaient ainsi libres de reconnaître de nouveaux délits. Glanville Williams a proposé un compromis entre ces deux opinions. Il a soutenu que le droit des délits n'est historiquement pas fondé sur une théorie générale, mais que les catégories existantes de responsabilité sont néanmoins suffisamment souples pour permettre au droit des délits de croître et de s'adapter.

33. Bien qu'il soit sans doute intéressant que la Cour participe à ce débat, je crois que la solution pragmatique de la question que propose Glanville Williams caractérise de manière appropriée la tâche qui incombe au tribunal lorsqu'il est aux prises avec un fondement de responsabilité jusque‑là sans précédent: voir Williams, "The Foundations of Tortious Liability" (1939), 7 Cambridge Law J. 111. Il a écrit (à la p. 131):

[TRADUCTION] Pourquoi ne règlerions‑nous pas la querelle en disant simplement qu'il existe certaines règles générales créant la responsabilité (reconnaissant l'intérêt du demandeur, lui conférant un droit de ne pas subir de préjudice), et certaines règles également générales l'exemptant de la responsabilité (refusant de reconnaître l'intérêt du demandeur ou reconnaissant un intérêt contradictoire au défendeur et conférant donc un privilège au défendeur de causer des dommages)? Il y a entre les deux une zone contestée et les tribunaux constituent une commission impartiale chargée de contrôler les frontières. Si, dans un cas non prévu, la décision favorise le demandeur, ce ne sera pas en raison d'une théorie générale de la responsabilité, mais parce que le tribunal sera d'avis qu'il s'agit d'un cas où les principes existants de responsabilité peuvent à bon droit être élargis.

Par conséquent, peu importe ce qu'on considère être le fondement théorique de la responsabilité, il n'est pas suffisant que l'appelant invoque simplement un principe général de droit de ne pas subir de préjudice. Il doit plutôt démontrer pour quelle raison "les principes existants de responsabilité peuvent à bon droit être élargis", c'est‑à‑dire qu'il doit identifier la nature du droit qu'il invoque et justifier sa protection. Toutefois, l'appelant dans les circonstances de l'espèce doit aller plus loin. étant donné qu'il réclame la protection d'un droit visant le bien‑être des enfants, en plus de justifier sa protection par un principe existant de responsabilité, l'appelant doit également convaincre le tribunal qu'accorder une protection juridique à un tel droit serait dans l'intérêt véritable des enfants.

34. L'ordonnance judiciaire qui attribue la garde à un parent et le droit de visite à l'autre est fondée sur l'existence d'un rapport entre le parent gardien et l'enfant et d'un autre rapport entre le parent non gardien et l'enfant, le maintien et l'élaboration de ces deux rapports étant considérés par le tribunal qui rend l'ordonnance dans l'intérêt véritable de l'enfant. Toutefois, l'amertume qui découle du litige engagé par un parent contre l'autre peut entraîner la destruction de l'un des rapports de l'enfant ou des deux. À tout le moins, elle peut causer un conflit dans les loyautés de l'enfant. Cela ne peut être dans l'intérêt véritable de l'enfant, et le traumatisme et le bouleversement qui sont causés peuvent de toute évidence être préjudiciables.

35. D'ailleurs, il ne peut évidemment pas être dans l'intérêt véritable de l'enfant que les parents qui en ont la garde défient impunément les ordonnances du tribunal destinées à conserver ses rapports avec les parents qui n'ont pas la garde. L'ordonnance attributive du droit de visite au parent non gardien n'aurait pas été rendue si le juge de première instance n'avait pas conclu qu'elle était dans l'intérêt véritable de l'enfant. Par conséquent, le parent gardien qui refuse le droit de visite à l'autre parent sacrifie l'intérêt véritable de l'enfant ainsi établi à ses propres intérêts égoïstes et cela paraîtrait, du moins à titre de principe général, favoriser une politique législative d'intervention en vue de protéger l'intérêt véritable de l'enfant dans ces circonstances. Cela n'a pas pour effet de nier que, dans des cas précis, cette politique générale d'intervention pour le maintien de ce qu'on a estimé être dans l'intérêt véritable de l'enfant puisse devoir céder devant une plus grande menace à l'égard des intérêts de l'enfant qui découle de procédures judiciaires d'un parent contre l'autre. Cela signifie simplement que les limites imposées à toute cause d'action qui pourrait être reconnue par la loi devraient découler d'une évaluation des effets qu'ont des facteurs positifs par rapport aux facteurs négatifs sur les enfants.

36. Il faut également garder à l'esprit le critère approprié pour trancher une requête aux termes de la règle 126 (maintenant la règle 21.01(1)b)) en radiation d'une déclaration parce qu'elle ne révèle aucune cause d'action. Il est bien établi que le pouvoir de radiation doit être exercé avec modération et seulement lorsqu'il est certain qu'il n'y a aucune cause d'action. Voir Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat du Canada, [1980] 2 R.C.S. 735; Moore Dry Kiln Co. of Canada Ltd. v. Green Cedar Lumber Co. (1982), 37 O.R. (2d) 300 (H.C.) De plus, il est bien établi qu' [TRADUCTION] "un acte de procédures ne devrait pas être radié à moins qu'il ne puisse pas être corrigé par une modification proposée": Dominion Bank v. Jacobs, [1951] O.W.N. 421, à la p. 423. Bien que, selon la règle normale vis‑à‑vis de ces requêtes, tout doute doive être interprété de manière à reconnaître l'existence de la cause d'action et à permettre que l'action puisse suivre son cours, compte tenu de l'importance primordiale d'assurer qu'un procès particulier est dans l'intérêt véritable de l'enfant, le tribunal peut imposer une norme plus stricte avant de permettre que l'action puisse être intentée.

37. Tenant compte de ces considérations, j'examine maintenant les diverses causes d'actions présentées par l'appelant.

(ii) Des causes d'action

38. L'appelant souligne à juste titre que le par. 69(4) de la Loi portant réforme du droit de la famille, précitée, abolit les anciennes actions fondées sur l'entraînement, le recel, la séduction ou la perte des services. De même, il convient d'ajouter que cette Cour a déjà rejeté à l'unanimité le "détournement d'affection" à titre de chef distinct de responsabilité: voir Kungl v. Schiefer, [1962] R.C.S. 443. Dans cet arrêt, le juge Cartwright a conclu qu'il n'y avait pas d'action distincte fondée sur le détournement, si ce n'est une action pour adultère ou séduction. Maintenant que ces causes d'action ont été abolies par la Loi portant réforme du droit de la famille, de toute évidence aucun recouvrement ne peut être permis pour le "détournement d'affection" à l'égard de ces causes d'action. L'appelant plaide un certain nombre d'autres causes d'action.

a) Le complot

39. L'avocat de l'appelant a soutenu que celui‑ci pouvait faire valoir le délit civil de complot. Cette Cour, dans l'arrêt Ciments Canada LaFarge Ltée c. British Columbia Lightweight Aggregate Ltd., [1983] 1 R.C.S. 452, aux pp. 471 et 472, tout en admettant que "le droit soit loin d'être clair sur l'étendue du délit civil de complot", a conclu qu'en droit des délits il est possible d'exercer contre deux défendeurs ou plus un recours délictuel pour complot si:

(1) indépendamment du caractère légal ou illégal des moyens employés, la conduite des défendeurs vise principalement à causer un préjudice au demandeur; ou

(2) lorsqu'il s'agit d'une conduite illégale, elle est dirigée contre le demandeur seul ou contre lui et d'autres personnes en même temps et que les défendeurs eussent dû savoir dans les circonstances que le préjudice subi par le demandeur était une conséquence probable.

Il semblerait que l'espèce s'inscrive dans l'une ou l'autre de ces deux situations. Le demandeur peut très bien être en mesure d'établir au procès que la conduite des défendeurs avait principalement pour but de lui causer un préjudice. De plus, étant donné que la conduite des défendeurs était illégale parce qu'elle violait l'ordonnance du tribunal, si on démontre au procès que la conduite visait le demandeur et que les défendeurs auraient dû savoir que le demandeur était susceptible de subir un préjudice et qu'il en a en fait subi un, cette affaire correspondrait directement à la seconde situation. Donc, à mon avis, étant donné la décision de cette Cour dans l'affaire Ciments Canada LaFarge Ltée, précitée, ce délit civil peut être étendu au contexte du droit de la famille. La véritable question est de savoir si une telle extension devrait être permise.

40. Je suis d'avis que le délit civil de complot ne devrait pas être étendu au contexte du droit de la famille. Bien que "le droit soit loin d'être clair sur l'étendue du délit civil de complot", les critiques à l'égard de ce délit constituent un bon motif pour qu'on hésite à l'étendre au‑delà du contexte commercial. Comme l'a dit le juge Estey dans Ciments Canada LaFarge Ltée, à la p. 473:

Le délit civil de complot en vue de nuire, même s'il n'est pas étendu de manière à comprendre un complot en vue d'accomplir des actes illégaux lorsqu'il y a une intention implicite de causer un préjudice, a été la cible de nombreuses critiques partout dans le monde de la common law. Comme l'indique si bien lord Diplock dans l'arrêt Lonrho [...] il s'agit réellement d'un anachronisme commercial. En fait, il est possible que dans le contexte commercial actuel cette action ait perdu en grande partie son utilité et qu'elle survive comme une anomalie dans notre droit.

41. Les critiques à l'égard du délit civil auquel le juge Estey fait allusion portent sur la justification rationnelle du délit et ne se limitent donc pas au contexte commercial mais s'étendent à d'autres contextes également. La justification rationnelle du délit a été expliquée par le lord juge Bowen dans l'arrêt Mogul Steamship Co. v. McGregor, Gow, and Co. (1889), 23 Q.B.D. 598 (C.A.), à la p. 616:

[TRADUCTION] ...une combinaison qui peut rendre oppressif ou dangereux ce qui ne le serait pas si cela provenait d'une seule personne...

En soulignant que dans un grand nombre de cas le caractère erroné de cet "anoblissement de la quantité" peut être démontré, un auteur affirme que [TRADUCTION] "la question de l'abolition [...] du complot en vue de nuire doit être sérieusement envisagée": Peter Burns, "Civil Conspiracy: An Unwieldy Vessel Rides a Judicial Tempest" (1982), 16 U.B.C. L. Rev. 229, à la p. 254. Un autre auteur souligne que ce délit civil [TRADUCTION] "se fonde d'une manière plutôt chancelante sur la notion de pluralité qui découle plus de la magie que la raison": Peter G. Heffey, "The Survival of Civil Conspiracy: A Question of Magic or Logic" (1975), 1 Monash Univ. Law Rev. 136. Toutefois cette Cour a confirmé l'existence actuelle de ce délit civil dans l'arrêt Ciments Canada LaFarge Ltée. Le juge Estey a dit à la p. 473:

...il est maintenant trop tard pour déraciner de la common law le délit civil de complot en vue de nuire. Sans aucun doute, les cours tenteront dans l'avenir, pour les mêmes motifs que certains invoquent actuellement à l'appui de sa suppression, de limiter l'application de ce délit civil.

42. Compte tenu de ces observations, je suis d'avis de ne pas étendre le délit civil de complot au contexte de la garde des enfants et du droit de visite. Une telle extension ne serait pas compatible avec le raisonnement exprimé dans l'arrêt Mogul, savoir que le délit doit exister lorsque la combinaison crée un préjudice qui n'existe pas en l'absence de combinaison. Je ne crois pas que dans des affaires comme l'espèce la combinaison rende "oppressif ou dangereux ce qui ne le serait pas si cela provenait d'une seule personne". La conduite du parent gardien de l'enfant, si elle est démontrée, est également "oppressive ou dangereuse" qu'elle soit isolée ou combinée. Si on appliquait le délit civil de complot aux faits de l'espèce, il en découlerait une distinction arbitraire et injustifiable. Le complot reproché aux défendeurs ouvrirait droit à une action mais pas la même conduite de l'épouse seule (pour des motifs qui seront discutés ci‑après). Le traitement différent qui s'applique à ces deux situations pour aucun motif de principe et, en fait, l'absence de tout principe à l'appui de l'extension du délit civil au "complot" dans cette affaire, m'amènent à conclure que ce délit civil ne devrait pas être étendu au contexte du droit de la famille.

43. La distinction qui existe entre une entente réelle (qui ouvre droit à une action) et une entente vraisemblable mais non démontrée (qui n'ouvre pas droit à une action) constitue une autre distinction plutôt arbitraire propre au concept de complot: Mulcahy v. The Queen (1868), L.R. 3 H.L. 306. Il est très difficile de démontrer une telle entente. Surmonter cette difficulté dans le contexte du droit de la famille en étendant ce délit civil aux ententes "vraisemblables" ou "présumées" aurait, en fait, pour effet de présumer que l'"ami" du conjoint est responsable simplement en raison de ses relations avec l'époux gardien de l'enfant, ce qui serait une mesure plutôt draconienne.

44. Toutefois, la préoccupation principale dans l'extension du délit civil de complot au contexte du droit de la famille est, à mon avis, que cette extension ne serait pas dans l'intérêt véritable de l'enfant. Si le délit civil ne s'applique qu'à la conduite combinée de deux personnes, cela n'aura pas pour effet d'encourager le maintien et le développement de rapports entre les parents et leurs enfants. Cela favoriserait même les abus. Un époux pourrait trop facilement l'utiliser de façon malveillante contre l'autre. Le fait que l'action soit dirigée non seulement contre l'ex‑conjoint mais également contre son "ami" peut très bien donner une bonne raison au demandeur d'agir. En outre, une simple "entente" pour refuser au demandeur une seule visite pourrait ouvrir droit à une action et le succès de cette action dépendrait en grande partie d'éléments de preuve incertains relativement à l'entente et à l'intention, et on peut s'attendre à ce que chaque partie adopte une position fondamentalement différente. Ces facteurs—l'incitation à poursuivre, la facilité avec laquelle le droit d'intenter une action est reconnu, l'incertitude du succès et les questions de crédibilité en ce qui a trait aux éléments de preuve importants—laissent entrevoir un recours fréquent à cette cause d'action comme "arme" et très peu de possibilités de règlement à l'amiable. Ces préoccupations sont aggravées par le fait que si le délit civil de complot était introduit dans le contexte du droit de la famille, il serait difficile de le restreindre au domaine de la garde et du droit de visite. Les actes qui ont contribué à la dissolution du mariage pourraient également ouvrir droit à une action à titre de complot et la possibilité d'effet préjudiciable à l'égard des enfants serait importante. Compte tenu de la préoccupation primordiale de l'intérêt véritable des enfants, je ne suis pas persuadée que le délit civil de complot devrait être étendu de manière à comprendre la réclamation du demandeur.

b) Autres délits civils

45. L'avocat de l'appelant a soutenu que les délits civils que sont le fait de causer délibérément des souffrances morales et l'ingérence illégale dans les rapports d'autrui pouvaient s'appliquer aux faits allégués. Il se peut bien que le délit civil qui consiste à causer intentionnellement des souffrances morales puisse être étendu de manière à s'appliquer aux faits allégués par l'appelant. Les exigences de cette cause d'action ont été énoncées dans l'arrêt Wilkinson v. Downton, [1897] 2 Q.B.D. 57. Dans cette affaire le défendeur en guise de "blague" a dit à la demanderesse que son mari avait eu un accident et s'était fracturé les jambes. La demanderesse a cru le défendeur et a donc subi un choc nerveux, ce qui a eu un certain nombre de conséquences physiques. En accordant des dommages‑intérêts, le juge Wright a dit (à la p. 59):

La première question consiste à se demander si le défendeur avait si délibérément projeté de produire un effet semblable à celui qu'il a produit qu'il faut lui imputer l'intention de le produire, compte tenu du fait que l'acte a eu un effet sur une personne qui, d'après la preuve, était en bonne santé physique et mentale. Je crois que c'était le cas. Il est difficile d'imaginer qu'une telle déclaration, faite de manière spontanée avec un caractère sérieux apparent, pourrait ne pas produire de graves effets dans les circonstances sur toute personne qui n'est pas exceptionnellement indifférente et, par conséquent, on doit imputer l'intention de produire un tel effet et dire qu'on a causé plus de tort que prévu ne constitue pas une réponse en droit, car c'est habituellement le cas de tous les préjudices. L'autre question est de savoir si l'effet était, pour utiliser l'expression habituelle, trop éloigné pour être, en droit, considéré comme une conséquence dont doit répondre le défendeur.

46. En l'espèce, la conduite des intimés peut avoir été délibérément projetée pour produire un effet semblable à celui qui s'est produit. La conduite paraît certainement du même caractère extrême et choquant que celui qui, dans l'arrêt Wilkinson v. Downton, précité, a été jugé nécessaire avant que cette cause d'action n'existe. Toutefois, il y a un certain nombre de désavantages associés à ce délit civil qui font que j'hésite à l'étendre aux faits de l'espèce. Un de ces désavantages est qu'il doit y avoir une maladie visible et prouvable, causée par l'action du défendeur pour que ce délit ouvre droit à une action: voir Guay v. Sun Publishing Co., [1953] 2 R.C.S. 216, le juge Estey à la p. 238; Radovskis v. Tomm (1957), 21 W.W.R. 658 (B.R. Man.), à la p. 664. Cette exigence est fondée sur le besoin de décourager les fausses réclamations, un besoin spécialement pressant dans le contexte du droit de la famille où les poursuites inutiles et frivoles doivent être découragées. Un autre désavantage associé à ce délit porte que, même s'il était étendu à la présente espèce, il pourrait ne pas permettre d'accorder au demandeur l'indemnisation qu'il désire. Selon John G. Fleming, The Law of Torts (6th ed. 1983), à la p. 32, [TRADUCTION] «nos tribunaux, tout en admettant enfin qu'une atteinte au système nerveux peut causer des dommages physiques perceptibles, ne sont pas encore prêts à protéger la sécurité émotionnelle comme telle . . . » Si une telle cause d'action était étendue aux faits de l'espèce, l'appelant aurait seulement le droit de recouvrer des dommages‑intérêts découlant de dommages physiques ou psychopathologiques perceptibles, causés par les actes de la dé­fenderesse. Cela ne comprendrait que les dommages‑intérêts découlant du traitement de l'appelant pour sa dépression mentale. À mon avis, si une autre cause d'action défend mieux les intérêts du demandeur et est dans l'intérêt véritable des enfants, cette cause d'action ne devrait pas être reconnue.

47. Finalement, et ce qui est plus important, l'extension de cette cause d'action au contexte de la garde et du droit de visite ne paraîtrait pas être dans l'intérêt véritable des enfants. Tout comme le délit civil de complot, le délit civil qui consiste à causer intentionnellement des souffrances morales serait relativement inefficace pour encourager une conduite favorable au maintien et au développement de rapports entre les parents et leurs enfants. De plus, il est évident qu'une telle cause d'action, si elle pouvait être invoquée dans le contexte du droit de la famille serait, tout autant que le délit civil de complot, susceptible de donner lieu à des litiges mesquins et malveillants et, pire encore, à un comportement exorbitant et vindicatif. En fait, ce délit civil paraît être une arme idéale pour les époux qui subissent un grave traumatisme émotionnel qu'ils croient causé avec malveillance par l'autre conjoint. Il ne revient pas à cette Cour de fabriquer une arme idéale pour les conjoints dont l'objectif initial, bien que, espérons‑le, de courte durée, est de se blesser mutuellement, particulièrement lorsque cela aura presque inévitablement un effet préjudiciable sur les enfants. Enfin, si cette cause d'action devait être étendue aux faits de l'espèce, il me semble qu'il n'y a aucun fondement rationnel pour éviter son extension à d'autres domaines du droit de la famille. Le point central de ce délit civil est de causer intentionnellement des souffrances morales sans tenir compte des rapports entre les parties. Il pourrait être invoqué à l'égard de tous les aspects de la conduite des époux l'un envers l'autre avant et après la dissolution du mariage. Par conséquent, je suis d'avis de ne pas étendre ce délit de common law au contexte du droit de la famille où les répercussions sur les enfants ne pourraient être que nuisibles.

48. Il ne semble pas exister de délit généralisé d'"ingérence illégale dans les rapports d'autrui" comme le soutient l'appelant. Le droit des délits jusqu'à maintenant n'a protégé qu'un certain genre de rapports contre les ingérences. On a accordé des redressements pour ingérence dans des rapports contractuels (par ex. Lumley v. Gye (1853), 2 El. & Bl. 216, 118 E.R. 749), pour ingérence au moyen d'intimidation et de moyens illégitimes (par ex. Rookes v. Barnard, [1964] A.C. 1129 (H.L.)), et pour ingérence dans des rapports économiques par un mensonge préjudiciable (par ex. Ratcliffe v. Evans, [1892] 2 Q.B. 524). Le dénominateur commun de ces délits est qu'ils constituent une ingérence illégale dans des rapports économiques et je ne crois pas qu'ils devraient être étendus à des rapports non économiques comme ceux que nous examinons en l'espèce. Comme dans le cas du délit qui consiste à causer intentionnellement des souffrances morales, s'ils étaient étendus au domaine de la garde et du droit de visite, aucun fondement rationnel ne pourrait en empêcher l'extension à d'autres domaines du droit de la famille. Ils pourraient être invoqués à l'égard de tous les aspects de la conduite des époux l'un envers l'autre avant et après la dissolution du mariage et les délits fondés sur l'intimidation et le mensonge préjudiciable sembleraient à nouveau être conçus sur mesure pour les époux, qui seraient portés à les utiliser l'un contre l'autre. Leur extension au droit de la famille ne serait pas, à mon avis, dans l'intérêt véritable des enfants.

49. Toutefois, il y a deux autres causes d'action dont on pourrait approximativement dire qu'elles s'inscrivent sous la rubrique d'"ingérence illégale dans les rapports d'autrui" et qui pourraient très bien s'appliquer l'espèce. Ce sont a) une cause d'action pour ingérence dans un droit de visite fondé sur la common law ou sur une ordonnance du tribunal et b) et une cause d'action pour violation du devoir de fiduciaire du parent gardien envers le parent non gardien de respecter les rapports de ce dernier avec l'enfant. Comme ni l'une ni l'autre n'a traditionnellement été considérée comme un "délit", je traiterai de celles‑ci sous des rubriques distinctes.

c) L'exécution d'un droit parental

50. L'appelant prétend subsidiairement à ses réclamations fondées sur le délit, qu'un parent a, en common law, le droit de rendre visite à ses enfants, droit sur lequel une poursuite civile peut être fondée. Il soutient en outre qu'un parent a un droit de visite légalement exécutoire aux termes de l'ordonnance du tribunal. On peut considérer qu'il s'agit de sources distinctes de son droit parental ou, subsidiairement, l'ordonnance du tribunal peut être considérée comme une déclaration de son droit de common law aux fins de l'exécution. Les intimés ont soutenu que le droit de visite n'existait pas en common law, que le droit de visite faisait partie d'un groupe de droits constituant ensemble la garde, que la seule source du droit de visite de l'appelant était l'ordonnance du tribunal et que les mécanismes d'exécution prévus dans la Loi de 1982 modifiant la Loi portant réforme du droit de l'enfance, L.O. 1982, chap. 20, constituaient les seuls moyens d'exécution. Ils ne comprenaient pas le genre de cause d'action plaidée en l'espèce.

51. Je crois qu'il existe un appui considérable pour l'opinion que le droit de visite en tant que concept juridique distinct est purement une création de la loi. Avant l'adoption de la loi, les pères avaient un droit de common law presque absolu à la garde de leurs enfants, à l'exclusion totale des mères: voir, par ex., R. v. Greenhill (1836), 4 Ad. & E. 624, 111 E.R. 922, et pour une analyse générale, voir Susan Maidment, Child Custody and Divorce: The Law in Social Context (1984), aux pp. 93 à 95. Ce n'est qu'en 1839 qu'il y a eu un assouplissement de cette règle de common law. Cette année‑là le Parlement britannique a donné à la Court of Chancery dans la Custody of Infants Act 1839, 2 & 3 Vict., chap. 54 (R.‑U.) (Talfourd's Act), le pouvoir de rendre une ordonnance permettant à une mère de rendre visite à ses enfants. La même loi a permis aux femmes de demander la garde de leurs enfants de moins de sept ans. Toutefois, il ne pouvait y avoir aucune ordonnance attributive de droit de visite, sauf comme ajout à une ordonnance de garde. Les droits de garde et de visite étaient liés sur le plan des concepts en vertu de la Talfourd's Act et l'ont toujours été depuis lors. Par conséquent, on peut douter qu'un droit de visite de common law existe indépendamment de la loi.

52. Même s'il existait un droit parental de visite en common law avant l'adoption de la Talfourd's Act et qu'il ait survécu à son adoption, l'évolution subséquente du droit relatif à la garde et la visite peut en fait l'avoir éliminé. En Angleterre, la Supreme Court of Judicature Act, 1873, 36 & 37 Vict., chap. 66 (R.‑U.), prévoyait de manière expresse que dans les affaires concernant la garde et la tutelle des mineurs, les règles d'equity devaient prévaloir sur la common law: voir la Judicature Act, L.R.O. 1980, chap. 223, art. 25, abrogé et remplacé par la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, L.O. 1984, chap. 11, art. 109. La suprématie de la réclamation du père en common law a dû céder devant une évaluation équitable du bien‑fondé des réclamations respectives de chaque parent et, dans ce contexte, la question de l'intérêt de l'enfant est devenu une considération importante. En 1886, le Parlement britannique a adopté la Guardianship of Infants Act, 1886, 49 & 50 Vict., chap. 27 (R.‑U.), dont l'art. 5 prévoyait qu'un tribunal pouvait rendre [TRADUCTION] "l'ordonnance qu'il estime appropriée concernant la garde d'[un] mineur et le droit de chaque parent de lui rendre visite, compte tenu du bien‑être du mineur et de la conduite des parents et également du désir de la mère et du père". En Ontario cette loi a été essentiellement reproduite dans la Guardianship of Minors Act, S.O. 1887, chap. 21.

53. Au départ les tribunaux étaient plus à l'aise pour évaluer les réclamations concurrentes des parents qu'ils ne l'étaient pour tenter de décider ce qui constituait l'intérêt véritable des enfants. Avec le temps l'intérêt véritable des enfants est devenu de plus en plus une préoccupation importante des tribunaux et aujourd'hui c'est la préoccupation principale. Pour une expression législative de ce principe, voir la Loi portant réforme du droit de l'enfance, L.R.O. 1980, chap. 68, modifiée par la Loi de 1982 modifiant la Loi portant réforme du droit de l'enfance, précitée, art. 1 qui ajoutait l'art. 24. On peut dire avec une certaine assurance que, vu ces changements, le concept de "droits parentaux" est tombé en défaveur. Il s'agit des responsabilités parentales mais non des droits. Il appert donc que l'appelant se trouve dans une situation instable lorsqu'il fonde son action en dommages‑intérêts sur la violation ou la destruction de son "droit parental" de common law de rendre visite à ses enfants. Le droit de visite est devenu le droit de l'enfant et non celui du parent et reconnaître aujourd'hui que le parent a une cause d'action fondée sur un concept démodé de droit parental à l'égard des enfants constituerait un recul: voir par exemple, M v. M (child: access), [1973] 2 All E.R. 81. Par conséquent, pour résumer, je crois que l'appelant ne peut se fonder sur la common law comme source de son droit. Il doit se fonder sur l'ordonnance du tribunal parce que: a) il est douteux qu'il existe un droit de visite de common law indépendant du droit légal accordé par le tribunal et b) même si un tel droit avait subsisté ou était né après l'adoption de la Talfourd's Act, il n'aurait pas pu subsister jusqu'à maintenant devant l'accroissement de l'importance qu'ont pris les droits des enfants au dépens des droits parentaux. À mon avis, l'ordonnance du tribunal qui établit que le droit de l'appelant de visiter ses enfants est dans l'intérêt véritable des enfants constitue la seule source possible du droit qu'il réclame.

54. Trois facteurs très convaincants m'amènent à conclure que l'appelant n'a pas une cause d'action civile fondée sur le "droit" de visite incorporé dans l'ordonnance du tribunal. Premièrement, il n'est tout simplement pas dans l'intérêt véritable de l'enfant de reconnaître la possibilité générale de recourir à une action fondée sur l'ordonnance du tribunal. Une telle action pourrait être intentée chaque fois que le parent gardien empêche l'autre parent de rendre visite à l'enfant. Des litiges pourraient se produire fréquemment, multipliant ainsi les effets traumatisant de la dissolution du mariage à l'égard de l'enfant. Deuxièmement, une action civile fondée sur la violation d'une ordonnance du tribunal n'a jamais été reconnue dans notre droit comme une méthode d'exécution des ordonnances des tribunaux. Et troisièmement, le législateur, en énonçant les mécanismes d'exécution, n'a pas prévu une telle action.

55. Depuis que l'appelant a intenté son action, la Loi de 1982 modifiant la Loi portant réforme du droit de l'enfance, précitée, a été adoptée. L'alinéa 19a) de cette loi réaffirme que toutes les questions relatives à la garde d'un enfant et au droit de visite doivent tenir compte de l'intérêt véritable de l'enfant. L'alinéa 19d) prévoit que la Loi est destinée à pourvoir à une meilleure exécution des ordonnances de garde et de visite. L'article 35 permet à la cour de rendre si nécessaire une ordonnance de droit de visite contrôlée et peut y joindre les directives qu'elle juge appropriées. L'article 37 permet à la cour d'autoriser toute personne à appréhender l'enfant de manière à faire respecter les droits de garde ou de visite de cette personne. La police ou le shérif peuvent être autorisés par la cour à appréhender l'enfant à cette fin. Une requête relative à l'appréhension peut être présentée ex parte. L'article 38 peut être utilisé pour exiger qu'une personne qui peut emmener l'enfant à l'extérieur de l'Ontario dépose une caution, remette son passeport et transfère des biens précis à un fiduciaire désigné qui les détiendra sous réserve des conditions précisées dans l'ordonnance. L'article 39 permet à la Cour provinciale (Division de la famille) d'imposer une amende qui n'est pas supérieure à 1 000 $ et une peine d'emprisonnement qui ne dépasse pas 90 jours à quiconque contrevient à une ordonnance de la cour. Finalement, l'art. 40 permet à la cour d'ordonner à un particulier ou à un organisme public d'aider un parent à retrouver son enfant en lui donnant le nom et l'adresse de la personne avec qui l'enfant demeure. Il ressort de ces dispositions que le législateur est au courant du problème relatif à l'exécution de ces ordonnances. Toutefois, il n'a pas estimé approprié de prévoir une cause d'action civile. À mon avis, nous devons présumer qu'il a agi en toute connaissance de cause à cet égard. Par conséquent, je suis d'avis de conclure qu'aucune cause d'action ne peut être fondée directement sur l'ordonnance du tribunal.

d) La violation du devoir de fiduciaire

56. La dernière cause d'action qui doit être examinée est la violation du devoir de fiduciaire. Cette possibilité n'a pas été présentée par l'avocat dans son mémoire original mais, étant donné que la question posée à la Cour était de savoir si la déclaration devait être radiée "pour le motif qu'elle ne comportait aucune cause d'action raisonnable", la Cour a été d'avis qu'elle devait être examinée. Par conséquent, l'avocat a été invité à présenter des arguments écrits dont nous avons pu profiter.

57. Par le passé, la question de savoir si un rapport en particulier était assujetti à une obligation fiduciaire a été examinée en fonction des catégories de rapports dans lesquels on a déjà conclu à l'existence d'une obligation fiduciaire. Certains exemples reconnus de ces catégories sont les rapports qui existent entre les directeurs et les sociétés, les procureurs et les clients, les fiduciaires et les bénéficiaires, les mandataires et les mandants, les titulaires de domaine viager et les titulaires de domaine résiduaire, et les associés. De même, on a souvent souligné que les catégories de rapports fiduciaires ne sont pas fermées: voir, par exemple, Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, à la p. 384, le juge Dickson (maintenant Juge en chef), International Corona Resources Ltd. v. Lac Minerals Ltd. (1986), 53 O.R. (2d) 737 (H.C.), Standard Investments Ltd. v. Canadian Imperial Bank of Commerce (1985), 52 O.R. (2d) 473, English v. Dedham Vale Properties Ltd., [1978] 1 All E.R. 382, à la p. 398, Tufton v. Sperni, [1952] 2 T.L.R. 516, à la p. 522, R. Goff et G. Jones, The Law of Restitution (2nd ed. 1978), aux pp. 490 et 491. L'extension d'obligations fiduciaires à de nouvelles "catégories" de rapports présuppose l'existence d'un principe sous‑jacent qui régit l'imposition de l'obligation fiduciaire.

58. Toutefois, dans le monde de la common law, on a hésité à confirmer l'existence d'un principe fiduciaire général qui puisse être appliqué dans des circonstances appropriées et à lui donner un contenu. Sir Anthony Mason ("Themes and Prospects" dans P. Finn, ed., Essays in Equity (1985), à la p. 246) a probablement raison lorsqu'il dit que [TRADUCTION] "le rapport fiduciaire est un concept à la recherche d'un principe". En conséquence, il n'y a aucune définition du concept "fiduciaire" hors des contextes dans lesquels on a jugé qu'il prenait naissance et, en fait, on peut plus précisément parler de rapports ayant une composante de nature fiduciaire plutôt que de parler de rapports fiduciaires comme tels: voir J. C. Shepherd, The Law of Fiduciaries (1981), pp. 4 à 8. Ce qui a constitué sans doute le plus grand obstacle au développement d'un principe fiduciaire général a été le fait que le contenu du devoir fiduciaire varie selon le type de rapport auquel il s'applique. À première vue, il semble donc comprendre un ensemble de règles diverses comme la règle interdisant les transactions intéressées, la règle interdisant les détournements de fonds, la règle sur les conflits d'intérêt et les bénéfices et (au Canada) une règle concernant les débouchés d'affaires spéciales: voir R. P. Austin, "The Corporate Fiduciary: Standard Investments Ltd. v. Canadian Imperial Bank of Commerce" (1986‑87), 12 Can. Bus. L.J. 96, aux pp. 96 et 97; P. D. Finn, Fiduciary Obligations (1977). L'incapacité d'identifier un principe fiduciaire général et de l'appliquer a fait en sorte que les tribunaux se sont fondés presque exclusivement sur la liste de catégories de rapports fiduciaires déjà établie et ont été réticents à admettre de nouveaux rapports malgré leurs déclarations souvent répétées selon lesquelles les catégories de rapports fiduciaires ne sont jamais complètes.

59. Quelques auteurs ont tenté de faire ressortir un principe fiduciaire sous‑jacent mais, compte tenu de la grande variété de contextes qui ressortent de la jurisprudence, on peut comprendre qu'ils ont abordé la question de façons différentes: voir, par exemple, E. Vinter, A Treatise on the History and Law of Fiduciary Relationships and Resulting Trusts (3rd ed. 1955); Ernest J. Weinrib, "The Fiduciary Obligation" (1975), 25 U.T.L.J. 1; Gareth Jones, "Unjust Enrichment and the Fiduciary's Duty of Loyalty" (1968), 84 L.Q.R. 472; George W. Keeton et L. A. Sheridan, Equity (1969), aux pp. 336 à 352; Shepherd, précité, à la p. 94. Toutefois, des caractéristiques communes ressortent des contextes dans lesquels on a établi l'existence de devoirs fiduciaires et celles‑ci constituent un guide sommaire et existant pour déterminer si l'imposition d'une obligation fiduciaire à l'égard d'un nouveau rapport est appropriée et compatible avec ce qui existe.

60. Les rapports dans lesquels une obligation fiduciaire a été imposée semblent posséder trois caractéristiques générales:

(1) le fiduciaire peut exercer un certain pouvoir discrétionnaire.

(2) le fiduciaire peut unilatéralement exercer ce pouvoir discrétionnaire de manière à avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire.

(3) le bénéficiaire est particulièrement vulnérable ou à la merci du fiduciaire qui détient le pouvoir discrétionnaire.

61. Il n'est pas nécessaire de s'étendre sur la première caractéristique, sauf pour dire que, à moins qu'il n'y ait un tel pouvoir discrétionnaire, il n'est pas nécessaire d'ajouter l'obligation de limiter l'utilisation abusive du pouvoir discrétionnaire: voir, par exemple, R. H. Deacon & Co. v. Varga (1972), 30 D.L.R. (3d) 653 (C.A. Ont.), conf. sub nom. Varga v. F. H. Deacon & Co., [1975] 1 R.C.S. 39.

62. En ce qui a trait à la deuxième caractéristique, c'est évidemment le fait que le pouvoir discrétionnaire peut être exercé de manière à avoir un effet préjudiciable sur le bénéficiaire qui rend nécessaire l'imposition d'un devoir fiduciaire. En fait, des devoirs fiduciaires sont fréquemment imposés à ceux qui sont en mesure de porter atteinte non seulement aux intérêts juridiques du bénéficiaire mais également à ses intérêts vitaux non juridiques ou "pratiques". Par exemple, il est généralement reconnu qu'un directeur a des rapports fiduciaires avec la société. Toutefois, l'intérêt de la société qui est protégé par le devoir fiduciaire n'est pas restreint à un intérêt dans les biens de la société mais s'étend à des intérêts pratiques, non juridiques dans la santé financière de la société et sans doute à des intérêts pratiques encore moins tangibles, comme l'image publique et la réputation de la société. On trouve un autre exemple dans les affaires d'abus d'influence lorsqu'un fiduciaire utilise un pouvoir sur le bénéficiaire en vue d'obtenir de l'argent à ses dépens. L'intérêt du bénéficiaire dans un tel cas est un intérêt pécuniaire. Enfin, dans Reading v. Attorney‑General, [1951] A.C. 507 (H.L.), on a conclu qu'un soldat britannique qui a pu passer des marchandises en contrebande devant les gardes égyptiens parce que ceux‑ci n'inspectaient pas les soldats en uniforme, était un fiduciaire. L'intérêt du gouvernement était "pratique" ou même "moral", c'est‑à‑dire que son uniforme ne devrait pas être utilisé de manière malhonnête. Puisque le soldat‑fiduciaire n'avait pas le pouvoir de modifier la position juridique du gouvernement britannique, de quelle manière les intérêts juridiques du gouvernement avaient‑ils pu être touchés par l'action du soldat? On peut dire la même chose de l'intérêt du gouvernement dans Attorney‑General v. Goddard (1929), 98 L.J. (K.B.) 743, où Sa Majesté a été en mesure de recouvrer des pots‑de‑vin qui avaient été versés à son employé, un sergent de la police métropolitaine. À mon avis, ce qui était protégé dans cette affaire n'était pas un intérêt "juridique" mais un intérêt "pratique" vital et important.

63. La troisième caractéristique des rapports dans lesquels un devoir fiduciaire a été imposé est l'élément de vulnérabilité. Cette vulnérabilité découle de l'incapacité du bénéficiaire (malgré ses meilleurs efforts) d'empêcher l'exercice abusif du pouvoir discrétionnaire combiné à la grave insuffisance ou à l'absence de tout autre recours juridique ou pratique pour réparer l'exercice injustifié du pouvoir discrétionnaire. étant donné l'exigence de vulnérabilité du bénéficiaire devant le fiduciaire, les obligations fiduciaires sont rarement présentes dans les opérations entre hommes d'affaires d'expérience ayant des pouvoirs de négociation semblables et agissant sans lien de dépendance: voir, par exemple, Jirna Ltd. v. Mister Donut of Canada Ltd. (1971), 22 D.L.R. (3d) 639 (C.A. Ont.), conf. [1975] 1 R.C.S. 2. Le droit a adopté la position que ces personnes sont parfaitement capables de venir à un accord sur la portée du pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé, c'est‑à‑dire que toute "vulnérabilité" aurait pu être empêchée par l'exercice plus prudent de leur pouvoir de négociation et les recours contre l'exercice injustifié ou l'abus de ce pouvoir discrétionnaire, savoir les dommages‑intérêts, sont adéquats dans un tel cas.

64. Une formulation semblable en trois parties a récemment été adoptée par la Haute Cour d'Australie lorsqu'elle a tranché la question de savoir si le distributeur unique d'un produit a des obligations fiduciaires. Dans l'arrêt Hospital Products Ltd. v. United States Surgical Corp. (1984), 55 A.L.R. 417, le juge en chef Gibbs a conclu à la p. 432 que le critère suivant [TRADUCTION] "n'était pas approprié dans les circonstances":

[TRADUCTION] ...il y avait deux questions importantes pour décider du moment où le tribunal devrait reconnaître l'existence du devoir fiduciaire pertinent. Premièrement, si une personne est obligée d'agir, relativement à une question particulière, dans les intérêts d'une autre personne ou s'engage à le faire et a le pouvoir de modifier ses intérêts dans un sens juridique ou pratique, la situation est [...] analogue à une fiducie. Deuxièmement, [...] le principe est fondé sur la vulnérabilité spéciale de ceux dont les intérêts sont assujettis au pouvoir d'une autre personne d'abuser de ce pouvoir.

Le juge Mason a dit dans le même arrêt (à la p. 454) que la caractéristique décisive dans ces rapports est la suivante:

[TRADUCTION] ...le fiduciaire s'engage à agir pour le compte ou dans les intérêts d'une autre personne ou accepte de le faire dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire qui aura un effet sur les intérêts de cette autre personne dans un sens juridique ou pratique. Par conséquent, le rapport qui existe entre les parties donne au fiduciaire l'occasion spéciale d'exercer le pouvoir discrétionnaire au détriment de cette autre personne qui est donc vulnérable si le fiduciaire abuse de sa position.

Une formulation semblable du principe a été énoncée dans au moins un arrêt canadien. Dans H. L. Misener and Son Ltd. v. Misener (1977), 77 D.L.R. (3d) 428 (C.A.N.‑é.), le juge MacDonald a énoncé le principe de la manière suivante à la p. 440:

[TRADUCTION] La raison pour laquelle de telles personnes [directeurs] sont assujetties au rapport fiduciaire est apparemment parce qu'elles ont, dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire pour traiter avec les tiers, une certaine liberté d'action qui peut avoir un effet sur la situation juridique de leurs mandants.

De même, cette caractéristique a été proposée par un grand nombre d'auteurs: voir, d'une manière générale, Weinrib, précité, aux pp. 4 à 9; Shep‑ herd, précité, aux pp. 98, 138 à 141; Harold Brown, "Franchising—A Fiduciary Relationship" (1971), 49 Texas Law Rev. 650, à la p. 664.

65. À mon avis, les rapports entre le parent gardien de l'enfant et le parent non gardien s'inscrivent dans le principe fiduciaire que j'ai décrit. Il n'y a aucun doute que, avant l'ordonnance de garde et de visite, le parent qui deviendra le parent non gardien a un intérêt très important dans ses rapports avec l'enfant. L'ordonnance attributive du droit de visite confirme que les rapports qui existent entre le parent non gardien et l'enfant sont à l'avantage de l'enfant et doivent donc être conservés. Ces rapports sont antérieurs à l'ordonnance attributive du droit de visite et ils subsistent après que l'ordonnance a été rendue. Ils ne sont pas eux‑mêmes créés par l'ordonnance attributive du droit de visite. Toutefois, l'ordonnance de garde et de visite, en séparant les droits de visite du droit de garde, place le parent gardien dans une situation de pouvoir et d'autorité qui lui permet, s'il le désire, de modifier les rapports du parent non gardien avec son enfant d'une manière qui peut être abusive. L'exercice égoïste du droit de garde pendant une longue période sans tenir compte de l'ordonnance attributive du droit de visite peut détruire complètement les rapports du parent non gardien avec son enfant. Ce parent (et évidemment, aussi l'enfant), est complètement vulnérable dans une telle situation. Pourtant la prémisse sous‑jacente dans l'octroi de la garde à un parent et du droit de visite à un autre est que le parent gardien doit faciliter l'exercice du droit de visite de l'autre pour le bien de l'enfant. Cela ressort du par. 16(10) de la Loi de 1985 sur le divorce, S.C. 1986, chap. 4, qui prévoit:

16. ...

(10) En rendant une ordonnance conformément au présent article, le tribunal applique le principe selon lequel l'enfant à charge doit avoir avec chaque époux le plus de contact compatible avec son propre intérêt et, à cette fin, tient compte du fait que la personne pour qui la garde est demandée est disposée ou non à faciliter ce contact.

On s'attend à ce que le parent gardien agisse de bonne foi non seulement envers le parent non gardien, mais également à l'égard des enfants. Le paragraphe 16(10) établit clairement qu'il s'agit d'une des qualités d'un bon parent qui a la garde.

66. Il me semble que les trois caractéristiques sous‑jacentes des rapports dans lesquels les devoirs fiduciaires sont imposés se trouvent dans les rapports qui nous intéressent. Le parent gardien a été placé par suite de l'ordonnance du tribunal dans une situation de pouvoir et d'autorité à l'égard des enfants et il a la possibilité de porter atteinte à leurs rapports avec le parent non gardien et en fait de la détruire complètement par l'exercice abusif du pouvoir. De plus, il n'y a aucun doute que la vulnérabilité requise est présente et que, en pratique, il n'y a pas grand‑chose que le parent non gardien puisse faire pour empêcher le parent gardien d'exercer son pouvoir de manière abusive ou pour obtenir un redressement contre celui‑ci. Les possibilités de recours du parent lésé face à la campagne du parent gardien pour couper tout lien avec l'enfant sont extrêmement limitées. Comme je l'ai mentionné précédemment, l'art. 37 de la Loi portant réforme du droit de l'enfance accorde aux tribunaux le pouvoir d'ordonner à un shérif et à la police ou à l'un des deux de trouver, d'appréhender et de remettre l'enfant retenu illicitement à la personne qui en a la garde ou qui jouit d'un "droit de visite". Cette mesure ne paraît pas être le moyen approprié pour obliger le parent gardien de l'enfant à permettre l'exercice d'un droit de visite et il semble peu vraisemblable qu'un parent sensible aux sentiments de son enfant y ait recours. L'époux non gardien ne peut recourir à la possibilité de refuser de verser les paiements alimentaires pour l'enfant afin de garantir le droit de visite: Wright v. Wright (1973), 1 O.R. (2d) 337 (C.A.) Les pouvoirs du tribunal d'ordonner au parent gardien de déposer une caution ou une autre garantie, d'ordonner le dépôt à un fiduciaire désigné des paiements alimentaires qui les détiendra sous certaines conditions et d'ordonner la remise du passeport du parent gardien sont habituellement inefficaces. Il est possible que la confiscation de la caution ou de toute autre garantie et la retenue de paiements alimentaires par un fiduciaire ne soient pas dans l'intérêt véritable de l'enfant (cela peut avoir un effet sur la capacité du parent gardien de payer les dépenses engagées pour élever l'enfant) et la remise du passeport empêche seulement que l'enfant quitte le pays. L'article 39 de la Loi portant réforme du droit de l'enfance permet à la Cour provinciale (Division de la famille) d'imposer une amende qui n'est pas supérieure à 1 000 $ et une peine d'emprisonnement qui ne dépasse pas 90 jours ou l'une de ces peines en matière d'outrage. Toutefois, l'emprisonnement du parent gardien ou l'imposition d'une amende ne sera habituellement pas dans l'intérêt véritable de l'enfant; le parent non gardien l'utilisera donc rarement. Comme James G. McLeod l'a écrit ("Annotation" to O'Byrne v. Koresec (1986), 2 R.F.L. (3d) 104, à la p. 105):

[TRADUCTION] Lorsqu'elles [les ordonnances attributives du droit de visite] sont volontairement ignorées, des sanctions appropriées doivent être imposées. De telles actions peuvent être une amende [...] ou une peine d'emprisonnement [...] Toutefois aucune de ces sanctions n'est entièrement appropriée. Dans un grand nombre de cas, l'époux qui a la garde peut ne pas avoir les moyens de payer l'amende sans puiser dans les fonds nécessaires pour les dépenses quotidiennes, auquel cas l'enfant subira un préjudice [...] Lorsqu'une peine d'emprisonnement est ordonnée, une solution serait d'emprisonner le parent gardien les fins de semaine pendant que l'autre parent peut jouir de son droit de visite, de manière à réduire les dérangements pour les enfants. Même dans ce cas, les enfants pourront subir un préjudice lorsqu'ils sauront (ce qu'ils apprendront sûrement!) qu'un parent a fait emprisonner l'autre parent.

67. On a déjà suggéré que le transfert de la garde de l'enfant constitue un moyen approprié pour punir le parent gardien qui refuse continuellement de permettre l'exercice du droit de visite: voir, par exemple, les propositions faites dans Woodburn v. Woodburn (1975), 11 N.S.R. (2d) 528, 21 R.F.L. 179 (C.S.), aux pp. 182 et 183, Jones v. Jones (1970), 1 R.F.L. 295 (C.A. Ont.), aux pp. 295 et 296, Currie v. Currie (1975), 18 R.F.L. 47 (C.S. Alb.), à la p. 55, Donald v. Donald (1973), 6 N.B.R. (2d) 665, à la p. 668. En fait cela a été fait: voir Nayar v. Nayar (1981), 24 R.F.L. (2d) 400 (C.A.C.‑B.), et Fast v. Fast (1983), 33 R.F.L. (2d) 337 (C.A. Sask.) Mais, encore une fois, à cause du lien qui se forme entre le parent gardien et son enfant pendant une certaine période, il est possible qu'une telle mesure ne soit pas dans l'intérêt de l'enfant. Dans l'arrêt Racine c. Woods, [1983] 2 R.C.S. 173, où s'opposaient, sur la garde, les parents naturels de l'enfant indien et les parents adoptifs de les enfants, cette Cour a souligné qu'il était nécessaire pour l'enfant qu'il y ait une continuité des rapports. Elle a conclu que, bien que l'appartenance culturelle et ethnique d'un enfant indien était un facteur important dont doit tenir compte le tribunal pour appliquer la doctrine de l'intérêt de l'enfant, ces facteurs ont perdu de l'importance compte tenu du degré du lien psychologique qui s'était développé avec les parents nourriciers. À cause de ce lien psychologique, il est possible qu'un transfert de garde ne soit pas un redressement approprié. Finalement, comme je l'ai indiqué précédemment, il y a de bons motifs pour ne pas étendre les causes d'actions de common law en matière de délits civils pour permettre au parent non gardien d'obtenir un redressement contre le refus du parent gardien de lui permettre d'exercer son droit de visite.

68. J'ai déjà indiqué que des intérêts pratiques importants qui ne sont pas juridiques, sont protégés par l'imposition de devoirs fiduciaires dans les cas appropriés. On ne peut nier que l'intérêt que porte à son enfant le parent qui n'en a pas la garde mérite autant d'être protégé que certains intérêts qui sont habituellement protégés par un devoir fiduciaire. Par exemple, tout comme la société qui a un intérêt important dans ses rapports avec des occasions d'affaires et des clients qui mérite d'être protégé (voir, par exemple, Canadian Aero Service Ltd. c. O'Malley, [1974] R.C.S. 592), on peut dire que le parent non gardien a, à l'égard de ses relations avec son enfant, un intérêt important qui mérite d'être protégé. Toutefois, il y a une distinction frappante entre les rapports entre le parent non gardien et l'enfant et le rapport société‑client. Les premiers touchent un intérêt important non pécuniaire du parent alors que les derniers touchent normalement un intérêt pécuniaire important de la société. Toutefois je crois que cette distinction ne devrait pas être déterminante. L'intérêt du parent non gardien dans les rapports avec son enfant est sans doute d'une importance primordiale pour lui. Refuser un redressement en raison de la nature de l'intérêt visé, accorder protection à des intérêts matériels mais non à des intérêts humains et personnels serait, à mon avis, extrêmement arbitraire. En droit des contrats, l'equity reconnaît des intérêts qui vont plus loin que l'intérêt purement financier lorsque, au lieu d'accorder des dommages‑intérêts selon la valeur marchande d'un bien immobilier contre un vendeur qui a illégalement refusé de conclure la vente, elle accorde l'exécution intégrale. D'autres intérêts non pécuniaires devraient également pouvoir être protégés en equity par l'imposition d'un devoir fiduciaire. Par conséquent, je suis d'avis de conclure que l'intérêt de l'appelant dans le maintien de ses rapports avec son enfant peut être protégé par l'imposition d'un tel devoir.

69. Avant que l'on puisse dire qu'une cause d'action pour violation de devoir fiduciaire existe dans ce domaine restreint du droit de la famille, il est nécessaire de poser la même question qui a été posée dans le contexte des divers délits civils invoqués par l'appelant, savoir les principes fiduciaires existants devraient‑ils être étendus? Dans l'examen de cette question, il sera encore une fois nécessaire de tenir compte de la possibilité que cette cause d'action puisse être utilisée comme une arme par des conjoints vindicatifs et, ce qui est plus important, il est nécessaire de voir si l'extension des principes fiduciaires à ces rapports particuliers serait dans l'intérêt véritable des enfants.

70. À mon avis, cette cause d'action comporte un certain nombre d'avantages importants par rapport aux autres. D'abord, elle ne se présente que dans une circonstance particulière, la vulnérabilité créée par la division de la garde de l'enfant et du droit de visite par la délivrance de l'ordonnance d'un tribunal. Contrairement à certains des délits civils examinés, cette action ne pourrait pas être utilisée dans d'autres contextes du droit de la famille. Il s'agit d'une considération très importante vu l'effet préjudiciable à l'égard des enfants que peuvent avoir les poursuites périodiques engagées par un parent contre l'autre.

71. Ensuite, la cause d'action pour violation d'un devoir fiduciaire incite très fortement les parents qui ont la garde des enfants à exercer leur droit de garde de manière à favoriser l'intérêt véritable de leurs enfants, à reconnaître que leurs enfants ont droit à au maintien de leurs rapports avec l'autre parent et que l'utilisation du pouvoir qui leur a été confié par l'ordonnance d'un tribunal pour priver leurs enfants de cette autre dimension dans leur vie, est une chose grave. Je crois que cette cause d'action aidera à promouvoir des rapports sains et bénéfiques entre un enfant et les deux parents et, à cet égard, contribuera beaucoup plus à l'intérêt véritable de l'enfant que les actions en délit civil examinées précédemment.

72. Enfin, contrairement aux causes d'action délictuelle, la cause d'action pour la violation du devoir fiduciaire permet au tribunal de tenir compte de la conduite du parent non gardien (qu'elle soit reliée ou non à des questions de garde et de droit de visite) qui pourrait être contraire à l'intérêt véritable des enfants. Quand il examine les violations de devoirs reconnus en equity et qu'il accorde des redressements en equity, le tribunal a une vue d'ensemble de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire qui n'existe pas à l'égard des causes d'action de common law. Dans le contexte de la violation d'un devoir fiduciaire, ce pouvoir discrétionnaire permettrait au tribunal de refuser un redressement à une partie lésée ou d'accorder un redressement à certaines conditions si la conduite de cette partie l'a empêchée d'obtenir le redressement complet, par exemple, le non‑paiement de l'obligation alimentaire à l'époux ou un abus antérieur des droits de visite. Aucun précédent ni aucun fondement historique ne prévoyaient l'exercice d'un tel pouvoir discrétionnaire dans le cas d'une action portant sur un délit de common law. Le délit civil ouvrirait droit à une action peu importe la conduite injuste du demandeur.

73. On peut opposer que, malgré ces avantages que possède l'action pour la violation du devoir fiduciaire par rapport aux actions délictuelles que j'ai examinées, la possibilité d'avoir recours à une action serait contraire à l'intérêt véritable des enfants en raison du caractère inévitable des effets préjudiciables du contentieux sur les enfants. Dans une certaine mesure, cette objection est bien fondée. Les litiges entre les époux peuvent créer un conflit de loyauté chez les enfants et peut également avoir pour effet de nuire au soutien de l'enfant. Toutefois, les tribunaux sont compétents, particulièrement les tribunaux en matière d'equity, pour empêcher qu'une cause d'action ne soit utilisée si l'intérêt des enfants est mis en danger. L'intérêt des enfants constitue la préoccupation principale. Par conséquent, je suis d'avis que la cause d'action pour la violation du devoir fiduciaire ne pourrait être utilisée que s'il n'y a aucun risque d'atteinte au soutien des enfants et aucun risque de créer un conflit préjudiciable de loyauté chez les enfants. La première condition peut être remplie lorsque les enfants sont grands et autonomes ou lorsque le parent gardien possède des moyens importants. La dernière condition peut être remplie lorsque le rapport entre le parent non gardien et les enfants a subi des dommages si graves en raison de la conduite du parent gardien qu'il est peu vraisemblable qu'un conflit de loyauté se produise. En conséquence, il ne naîtra pas à une cause d'action pour violation du devoir fiduciaire chaque fois que le droit de visite est refusé mais seulement lorsque la conduite soutenue a causé des dommages importants au rapport entre le parent non gardien et l'enfant, au détriment de ce parent et de l'enfant.

74. Le refus d'accorder le droit de visite à certaines occasions précises fait partie de la série de redressements que le législateur a prévu pour la violation d'une ordonnance du tribunal. Comme je l'ai indiqué précédemment dans le contexte d'une cause d'action de common law appliquant un droit parental de visite, il n'est pas loisible à cette Cour d'introduire des causes d'action de common law que le législateur n'a pas jugé utile d'accorder pour remédier à la violation d'une ordonnance du tribunal. La capacité des tribunaux d'introduire des actions de common law dans des domaines où le législateur est intervenu a récemment été examinée par cette Cour dans l'arrêt Seneca College of Applied Arts and Technology c. Bhadauria, [1981] 2 R.C.S. 181. Dans cet arrêt, la demanderesse a cherché à obtenir la reconnaissance d'un nouveau délit civil en common law contre une atteinte injustifiée du droit d'une personne de ne pas être, en raison de sa race ou de son origine nationale, la victime de discrimination relativement à une possibilité d'emploi. La demanderesse a soutenu que ce droit de common law d'intenter une action découlait directement d'une violation de The Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, chap. 318, et modifications. Cette Cour a nié l'existence d'une telle action à cause de "la grande portée du Code dans ses aspects administratifs et judiciaires, ces derniers comportant un vaste droit d'appel auprès des tribunaux aussi bien sur des questions de fait que de droit" (à la p. 183, le juge en chef Laskin). Le juge en chef Laskin a fait remarquer à la p. 188 qu'il y avait "une différence subtile entre une cause d'action civile qui est fondée directement sur la violation d'une loi et qui découle de la loi elle‑même et une cause d'action civile fondée sur la common law par renvoi d'une part à des politiques exprimées dans la loi et d'autre part à des normes établies par la loi". À son avis, l'action proposée s'inscrivait dans la première catégorie. Le juge en chef Laskin a également dit à la p. 189:

C'est une chose que de faire appliquer une obligation de diligence découlant de la common law aux normes de comportement prévues par une loi; il s'agit simplement là d'appliquer le droit en matière de négligence à la reconnaissance des délits civils visés par la loi. C'est tout autre chose que de créer par autorisation judiciaire une obligation—qui n'est aucunement assimilable à une obligation de diligence dans le droit en matière de négligence—de conférer un avantage économique à certaines personnes avec lesquelles le prétendu obligé n'a aucun rapport, et ce sur le seul fondement de la violation d'une loi qui, elle, prévoit de façon détaillée des recours en cas de violation.

75. À mon avis, la reconnaissance de l'existence d'une cause d'action pour la violation du devoir fiduciaire, limitée de la manière que j'ai proposée précédemment, n'est nullement incompatible avec l'arrêt Seneca College. Deux caractéristiques distinctives m'amènent à adopter cette position. D'abord, ce qui est proposé dans cet arrêt c'est une forme de recours en equity. Les observations faites dans l'arrêt Seneca College se limitaient au recours de common law. Il y a toutes les raisons de croire qu'il faudrait un texte législatif plus précis pour écarter la compétence de la cour lui permettant d'accorder un recours en equity en réparation d'un préjudice en equity comme la violation du devoir fiduciaire. Comme je l'ai déjà souligné, l'intervention législative approfondie du législateur dans le domaine du droit des compagnies n'a pas réussi à écarter la compétence de la cour en equity lui permettant d'accorder un redressement pour la violation du devoir fiduciaire dans ce contexte. Historiquement, les tribunaux d'equity ont même été prêts à accorder des redressements en equity qui complétaient les recours prévus par la loi à l'égard de violations de la loi. Par exemple, les tribunaux d'equity ont accordé des injonctions limitant la perpétration de certains actes même lorsqu'une loi les interdit et prévoit des redressements contre leur perpétration. C'est le cas chaque fois que les redressements applicables prévus par la loi ne sont pas efficaces pour empêcher la perpétration d'un acte et qu'il en résulte un préjudice grave: Halsbury's Laws of England, vol. 16, 4th ed., paragraphe 1215, à la p. 815, Attorney‑General v. Sharp, [1931] 1 Ch. 121 (C.A.), Attorney‑General v. Premier Line, Ltd., [1932] 1 Ch. 303. Par conséquent, je suis d'avis qu'il faudrait un texte législatif clair et précis pour écarter cette large compétence inhérente d'accorder un redressement en equity dans des circonstances appropriées. Aucune loi applicable en l'espèce ne comporte un tel texte.

76. Ensuite, la cause d'action pour la violation du devoir fiduciaire n'est pas fondée "directement sur la violation d'une loi". Elle s'inscrit plutôt dans le sens de la différence établie par le juge en chef Laskin, c'est‑à‑dire que c'est une cause d'action qui existe indépendamment de la loi fondée "par renvoi d'une part à des politiques exprimées dans la loi et d'autre part à des normes établies par la loi". Alors que le régime d'exécution que le législateur a prévu vise l'exécution de l'ordonnance du tribunal même, la cause d'action pour violation d'un devoir fiduciaire vise à protéger les rapports de l'enfant avec le parent non gardien sur lesquels l'ordonnance du tribunal est fondée. Les rapports n'ont pas été créés par l'ordonnance. En conséquence, le redressement est accordé non pas pour attaquer des violations individuelles de l'ordonnance du tribunal ou de la loi, mais pour attaquer un comportement général destiné à miner ou à détruire le rapport que le droit de visite devait maintenir et encourager.

77. Par conséquent, je suis d'avis que la cause d'action pour la violation d'un devoir fiduciaire devrait être étendue à ce domaine étroit mais extrêmement important du droit de la famille dans lequel le parent non gardien est complètement à la merci du parent gardien en vertu de la position de pouvoir et d'autorité de ce parent à l'égard des enfants. S'il s'agit d'une situation à laquelle pour de très bonnes raisons la common law ne peut faire face, il est tout à fait approprié de recourir à l'equity de manière qu'aucune juste cause ne soit sans redressement. La violation ne fera l'objet d'une action que lorsque le jugement n'aura pas d'effet préjudiciable sur le soutien de l'enfant et lorsque le rapport entre le parent non gardien et l'enfant aura subi, en raison de la conduite de l'autre parent, des dommages à ce point graves qu'il est très improbable que l'action intentée par le parent non gardien soit la cause de quelque conflit de loyauté chez les enfants. Une telle cause d'action, adaptée de manière appropriée comme seul l'equity peut le faire et l'a fait dans d'autres contextes, créera de solides mesures incitatives pour promouvoir l'intérêt véritable des enfants tout en éliminant les effets plus préjudiciables qui sont habituellement associés aux litiges entre les époux.

78. Il convient de faire une mise en garde. Quelquefois, l'exercice parfaitement légitime par le parent gardien de ses droits ou obligations en matière de garde entraînera un refus isolé de permettre à l'autre parent d'exercer son droit de visite. Ce n'est pas le rôle du tribunal d'examiner ce genre d'exercice du pouvoir discrétionnaire à l'égard de l'enfant. Il n'y a violation du devoir que lorsqu'un parent adopte de manière continue un comportement destiné à détruire le rapport avec l'enfant. Lorsque le parent gardien croit que le maintien de l'exercice du droit de visite par l'autre parent n'est pas dans l'intérêt de l'enfant ou lui cause un préjudice, la bonne chose à faire pour lui n'est pas de violer volontairement et de manière continue l'ordonnance accordant le droit de visite mais plutôt de demander au tribunal de la modifier ou de l'annuler.

(iii) Le redressement

79. Les redressements qui sont normalement accordés dans le cas de violation du devoir fiduciaire sont l'imposition d'une fiducie par interprétation et la comptabilisation des bénéfices. Aucun de ces redressements ne s'appliquent en l'espèce. Toutefois, l'indemnité reconnue en equity est également un redressement possible: voir, par exemple, Seager v. Copydex Ltd., [1967] 1 W.L.R. 923 (C.A.), Dawson and Mason Ltd. v. Potter, [1986] 2 All E.R. 418 (C.A.), Nocton v. Lord Ashburton, [1914] A.C. 932 (H.L.), aux pp. 946, 956 et 957, U.S. Surgical Corp. v. Hospital Products International Pty. Ltd., [1982] 2 N.S.W.L.R. 766 (S.C., Div. Eq.), à la p. 816. Le but de l'indemnité reconnue en equity est de remettre au demandeur ce que la violation du défendeur lui a fait perdre, ou la valeur de ce qu'il a perdu.

80. La question soulevée dans l'arrêt de principe Nocton v. Lord Ashburton portait sur la responsabilité du procureur de l'appelant envers son client, l'intimé, en ce qui a trait à un avis donné par le procureur selon lequel le client devait céder une partie de l'immeuble visé par une hypothèque qu'il détenait. Le juge Neville a rejeté l'action, mais la Cour d'appel a statué que l'appelant était responsable des dommages découlant de la tromperie. La Chambre des lords n'a pas convenu que le procureur était responsable d'un délit civil, mais a conclu qu'il ne s'était pas acquitté de son devoir fiduciaire envers le client. Il s'agissait d'une question qui s'inscrivait dans le cadre de la compétence exclusive d'equity. Le vicomte Haldane a expliqué que la Court of Chancery, étant le tribunal de la conscience, [TRADUCTION] "pouvait ordonner au défendeur, non pas [...] de payer les dommages‑intérêts comme tels, mais de remettre des biens ou d'indemniser le demandeur en le replaçant dans une situation financière aussi bonne que celle dans laquelle il se trouvait avant le préjudice".

81. Le vicomte Haldane a souligné que le fait que le demandeur aurait eu un recours en dommages‑intérêts pour violation de contrat n'interdisait pas qu'on lui accorde une indemnité en equity. Il pourrait être à l'avantage du demandeur de réclamer une telle indemnité. Le vicomte Haldane a dit à la p. 957:

[TRADUCTION] Vos Seigneuries, depuis la Judicature Act, toute division de la Cour peut accorder les deux genres de redressements et peut entendre ce qu'on allègue être soit un cas de négligence en common law soit un cas de violation d'un devoir fiduciaire. La décision du maître des rôles Jessel dans Cockburn v. Edwards [(1881) 18 Ch. D. 449] peut, à mon avis, vraiment être considérée comme l'illustration de ce dernier pouvoir. Dans l'affaire qui nous occupe, la déclaration a été rédigée principalement en fonction de la violation d'un devoir fiduciaire. Cela a probablement été fait de façon délibérée pour tenter de contourner la difficulté causée par la Statute of Limitations en ce qui concerne une simple affaire de négligence dans la première opération relative à l'hypothèque de 1904. Par conséquent, la fraude a fait l'objet d'une action dans le sens particulier dans lequel c'était la pratique d'intenter une accusation dans une procédure de Chancery dans les affaires de ce genre. Toutefois, les faits allégués, s'ils étaient démontrés, auraient néanmoins constitué un fondement pour une action pour simple négligence.

Il a ensuite conclu à la p. 957:

[TRADUCTION] Il s'agissait réellement d'une action fondée sur la compétence exclusive d'un tribunal d'equity à l'égard d'un défendeur dans une situation de fiduciaire relativement à des questions qui, en droit, auraient donné droit à des dommages‑intérêts pour négligence.

82. Dans un article détaillé sur "The Equitable Remedy of Compensation" (1982), 13 Melbourne Univ. Law Rev. 349, l'auteur, Ian E. Davidson, discute le fait que le montant des dommages‑intérêts de common law et de l'indemnité reconnue en equity ne doit pas nécessairement être le même en raison de l'application des différents principes. En le citant à la p. 352:

[TRADUCTION] Bien que l'indemnisation reconnue en equity produise souvent le même résultat que les dommages‑intérêts, les recours en common law et les recours en equity utilisent des règles différentes pour atteindre le but semblable qui est d'indemniser un demandeur pour le préjudice qu'il a subi. Cela peut entraîner des différences importantes dans les montants accordés. Par exemple, les dommages‑intérêts de common law en matière de négligence et de contrat sont assujettis à des exigences relatives au caractère prévisible et à l'éloignement qui ne sont pas pertinentes en equity lorsqu'elle permet de recouvrer des biens ou de l'argent perdus par suite de la violation d'une obligation qui découle de l'equity. Cela ressort de la décision du juge Street dans Re Dawson (deceased) [(1966) 2 N.S.W.R. 211] qui illustre les différents principes applicables à l'évaluation de l'indemnisation reconnue en equity et des dommages‑intérêts en common law.

Bien qu'il soit prématuré à ce stade‑ci d'examiner le montant de l'indemnisation approprié si l'appelant avait gain de cause en l'espèce, je pense que l'indemnisation reconnue en equity permettrait à l'appelant de recouvrer non seulement les débours qu'il a subis au cours de la campagne qui visait à détruire ses rapports avec ses enfants, mais également une somme réaliste représentant sa douleur et ses souffrances qui, en l'espèce, comprendrait l'indemnisation relative à la grave dépression dont il a souffert par suite de la conduite des intimés. Les décisions accordant un recouvrement pour la "perte de conseils, de soins et de compagnie" dans des actions intentées suite au décès imputable à une faute aux termes de l'art. 60 de la Loi portant réforme du droit de la famille, précitée (maintenant art. 61 de la Loi de 1986 sur le droit de la famille, L.O. 1986, chap. 4) peuvent nous aider à évaluer le montant approprié au titre "de la douleur et des souffrances". En examinant ces affaires nous devons tenir compte des observations appropriées faites par le juge J. Holland dans l'affaire Zik v. High (1981), 35 O.R. (2d) 226 (H.C.), à la p. 237:

[TRADUCTION] ...l'art. 60 de la Loi de 1978 portant réforme du droit de la famille demande l'exercice d'une retenue judiciaire dans l'intérêt général du public dans l'évaluation des dommages‑intérêts qui découlent d'une enquête à l'égard d'un autre comme en l'espèce. J'affirme cela parce que, s'il n'était pas contrôlé par cette retenue, le plafond des montants accordés sous le chef de la perte de conseils, de soins et de compagnie pourrait être illimité. À mon avis, la plus grande partie de l'art. 60 était une tentative du législateur pour codifier le principe établi dans l'arrêt St. Lawrence & Ottawa Railway Co. v. Lett (1885), 11 R.C.S. 422 et réitéré par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Vana v. Tosta et al., [1968] R.C.S. 71 [...] selon lequel la perte de soins et de conseil lorsqu'une mère était tuée, laissant des enfants, était une perte financière mesurable mais que le montant de l'indemnisation accordée sous ce chef devrait être modeste, bien qu'il ne soit pas simplement conventionnel.

Ces observations sont particulièrement appropriées dans le présent contexte où l'éventualité d'adjudication de sommes très importantes peut encourager des actions frivoles au détriment peut‑être de l'intérêt véritable des enfants.

83. L'utilité du redressement qu'est l'indemnisation reconnue en equity pour la violation d'un devoir fiduciaire est difficile à évaluer d'après la jurisprudence étant donné que le montant accordé dans un grand nombre d'affaires n'est pas toujours identifié comme une indemnité reconnue en equity. Par exemple, dans l'affaire Seager v. Copydex, précitée, le demandeur, tout en négociant avec la société défenderesse pour commercialiser son adhésif à tapis breveté "Invisigrip", a divulgué des détails à ce sujet. Par la suite, la défenderesse a demandé un brevet pour un adhésif très semblable à celui de la demanderesse en utilisant le même nom "Invisigrip". Son directeur adjoint qui était présent lors de l'entrevue confidentielle était désigné comme l'inventeur dans la demande de brevet. La Cour d'appel a conclu que la défenderesse était responsable de la violation d'une communication confidentielle et a conclu que la demanderesse avait le droit à des dommages‑intérêts à être évalués par le protonotaire le fondement d'une indemnisation raisonnable pour l'utilisation de renseignements confidentiels. Le Maître des rôles Lord Denning a dit à la p. 932:

[TRADUCTION] Il se peut que ce ne soit pas une affaire où il faut accorder une injonction ou même une comptabilisation des bénéfices, mais seulement des dommages‑intérêts, selon la valeur du renseignement confidentiel à ses yeux [la défenderesse] pour lui épargner du temps et des ennuis.

La Cour n'a mentionné aucun problème quant à l'attribution de dommages‑intérêts pour violation d'obligations purement d'equity, particulièrement dans une affaire où une injonction ne serait pas accordée, elle n'a pas non plus mentionné la compétence inhérente d'equity en matière d'indemnisation qui paraîtrait être le fondement approprié de l'attribution d'un montant. Elle n'a pas non plus analysé la compétence inhérente d'equity pour accorder une indemnité reconnue en equity lorsque la question du choix du fondement sur lequel il fallait évaluer les dommages‑intérêts lui a été renvoyée dans Seager v. Copydex Ltd. (No. 2), [1969] 1 W.L.R. 809. Davidson a conclu dans son article que les attributions de dommages‑intérêts dans des affaires comme Seager sont des applications de la compétence d'equity en matière d'indemnisation confirmée dans l'arrêt Nocton v. Lord Ashburton, bien qu'elles n'aient pas été identifiées comme telles par les tribunaux.

4. Conclusion

84. Les faits tels qu'ils ont été plaidés dans la déclaration pourraient, s'ils étaient démontrés, donner naissance à une cause d'action pour violation d'un devoir fiduciaire. Le demandeur allègue que les défendeurs ont eu pendant une période importante un comportement qui avait pour but de l'empêcher d'exercer son droit de visite et de détruire les rapports qu'il entretenait avec ses enfants, qu'ils ont en fait réussi et que cela a occasionné une perte financière, la destruction de ses rapports avec ses enfants et des dommages à sa santé mentale et physique. Par conséquent, je suis d'avis que l'action vienne à audience.

5. Dispositif

85. Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler les ordonnances de la Cour d'appel de l'Ontario et du juge Boland et d'ordonner aux intimés de déposer leur défense à l'action dans un délai de vingt jours. L'appelant a droit à ses dépens dans toutes les cours.

Pourvoi rejeté avec dépens, le juge Wilson est dissidente.

Procureurs de l'appelant: Osler, Hoskin, Harcourt, Toronto.

Procureur des intimés: Gregory Frink, Ottawa.


Synthèse
Référence neutre : [1987] 2 R.C.S. 99 ?
Date de la décision : 17/09/1987
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Pratique - Requête en radiation - Droit de la famille - Refus délibéré à l'appelant (un parent non gardien) du droit de visite à l'égard de ses enfants malgré des ordonnances du tribunal à cet effet - Conduite des intimés causant à l'appelant des frais considérables et un grave stress émotionnel et psychique - L'appelant a‑t‑il un droit d'action fondé sur l'ingérence des intimés dans son droit légal de visite à l'égard de ses enfants? - Loi portant réforme du droit de la famille, L.R.O. 1980, chap. 152, art. 69(4) - Loi portant réforme du droit de l'enfance, L.R.O. 1980, chap. 68 (mod.), art. 19a), d), 24, 35, 36, 37(1), (2), (5), 38, 39, 40 - Règles de pratique de l'Ontario, art. 126.

Droit de la famille - Garde et droit de visite - Refus délibéré au parent non gardien du droit de visite à l'égard de ses enfants malgré les ordonnances du tribunal à cet effet - Refus du droit de visite causant à l'appelant des frais considérables et un grave stress émotionnel et psychique - L'appelant a‑t‑il un droit d'action fondé sur l'ingérence des intimés dans son droit légal de visite à l'égard de ses enfants?.

Richard Frame et Eleanor Smith ont eu trois enfants au cours de leur mariage. Après leur séparation, l'épouse a obtenu la garde des enfants, avec de généreux privilèges de visite pour le mari et, par la suite, des ordonnances plus précises sur le droit de visite ont été rendues. Le mari soutient que son ex‑épouse a tout fait en son pouvoir pour le frustrer de son droit de visite à l'égard des enfants: elle a déménagé dans des villes éloignées sans l'avertir, elle a changé le nom et la religion des enfants, elle leur a dit que l'appelant n'était pas leur père, elle leur a interdit de lui parler au téléphone et a intercepté les lettres qu'il leur avait envoyées. Le mari soutient qu'il a engagé des frais importants et a subi un grave stress émotionnel et psychique en raison de cette conduite et réclame des dommages‑intérêts des intimés pour leur ingérence illégale dans le rapport juridique qu'il avait avec ses enfants.

La requête en radiation a été accordée et maintenue en appel. La question posée en l'espèce est de savoir si l'appelant avait un droit d'action contre son ex‑épouse et son mari actuel en raison de l'ingérence dans son droit de visite à l'égard de ses enfants.

Arrêt (le juge Wilson est dissidente): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Lamer et La Forest: Il n'existe pas d'action en responsabilité délictuelle. Les anciennes actions fondées sur l'entraînement, le recel, la séduction ou la perte des services qui accordaient autrefois une certaine protection à l'intérêt d'un père à l'égard de ses enfants et qui avaient une connotation particulièrement pécuniaire ont été abolies en Ontario par la Loi portant réforme du droit de la famille. Cette Cour a statué que le détournement d'affection d'un conjoint n'existait pas au Canada; de telles affaires familiales ne relèvent absolument pas du droit. L'application du délit civil de complot en l'espèce comporterait de graves inconvénients et serait contraire à l'opinion de cette Cour décourageant son extension. Un parent n'a probablement aucun droit de visite fondé sur la common law (par opposition au droit de garde) qui puisse servir de fondement à une action. Il n'y a en l'espèce aucun intérêt pécuniaire et, quoi qu'il en soit, tout intérêt éventuel est très voisin de celui qu'aurait protégé le délit civil de détournement d'affection qui a été supprimé.

Le législateur a pris les devants sur toute initiative judiciaire éventuelle. Le législateur a voulu créer un régime détaillé pour régler les problèmes de rupture familiale, de la garde des enfants et du droit de leur rendre visite. S'il avait envisagé l'appui supplémentaire d'une action civile, il l'aurait prévue, surtout étant donné l'état rudimentaire de la common law. La présente action paraît envisager la mise à exécution d'une ordonnance rendue en vertu d'un pouvoir discrétionnaire accordé par la Loi, au moyen d'une action civile plutôt qu'au moyen des redressements prévus par la Loi. Point n'est besoin aujourd'hui de compléter les mesures législatives de cette façon. En fait, cela pourrait bien porter atteinte au régime complet prévu par le législateur.

Une violation de l'ordonnance autorisée par la loi en l'espèce ne peut donner naissance à des rapports fiduciaires qui puissent fonder une cause d'action. Tous les motifs pour écarter une action délictuelle s'appliquent également à une action pour la violation d'une telle obligation. En outre, ce recours est extrêmement mal défini et la précision est virtuellement impossible. Les incertitudes qui entourent ce recours informe présentent le danger d'engendrer éventuellement des litiges désastreux, démesurés et souvent inutiles. Il n'est pas du tout certain que permettre des actions civiles contre les parents qui ont la garde puisse être dans l'intérêt véritable de l'enfant, que ce soit par la création d'un délit civil ou par la reconnaissance de rapports fiduciaires découlant d'une ordonnance judiciaire. À l'instar du recours aux amendes et à l'emprisonnement, autorisés par la Loi, ces recours proposés pourraient réduire les ressources du parent gardien et faire souffrir l'enfant qui saurait qu'un parent a pris une mesure aussi draconienne contre l'autre.

Le juge Wilson (dissidente): Les faits plaidés dans la déclaration ne permettraient pas, s'ils étaient prouvés, une cause d'action fondée sur des délits civils tels le complot, le fait de causer délibérément des souffrances morales et l'ingérence illégale dans les rapports d'autrui, ou sur un droit de visite à l'égard des enfants en common law, mais ils pourraient donner naissance à une cause d'action pour violation d'un devoir fiduciaire.

Les délits civils tels le complot, le fait de causer délibérément des souffrances morales et l'ingérence illégale dans les rapports d'autrui ne devraient pas être étendus à la situation du droit de la famille, nonobstant l'existence des circonstances préliminaires qui leur sont nécessaires. Chacun de ces délits civils possèdent des caractéristiques contraires à leur extension dans ce domaine, mais le dénominateur commun est que leur extension ne serait pas dans l'intérêt véritable des enfants. Ils seraient inefficaces pour encourager une conduite favorable au maintien et au développement de rapports entre les parents et leurs enfants. Plutôt, leur extension dans ce domaine du droit de la famille créerait des conditions juridiques qui entraîneraient des abus, et serait susceptible de donner lieu à des litiges mesquins et malveillants et à un comportement exorbitant et vindicatif.

L'appelant ne peut se fonder sur la common law comme source de son droit de visite. Il doit se fonder sur l'ordonnance du tribunal parce que: a) il est douteux qu'il existe un droit de visite de common law indépendant du droit légal accordé par le tribunal et b) même si un tel droit avait existé à un moment donné, il n'aurait pas pu subsister jusqu'à maintenant devant l'accroissement de l'importance qu'ont pris les droits de l'enfant au dépens des droits parentaux. L'appelant n'a pas une cause d'action civile fondée sur le "droit" de visite incorporé dans l'ordonnance du tribunal. Premièrement, il n'est tout simplement pas dans l'intérêt véritable de l'enfant de reconnaître la possibilité générale de recourir à une action fondée sur l'ordonnance du tribunal compte tenu de la possibilité que des litiges se produisent fréquemment, multipliant ainsi les effets traumatisants de la dissolution du mariage à l'égard de l'enfant. Deuxièmement, une action civile fondée sur la violation d'une ordonnance du tribunal n'a jamais été reconnue dans notre droit comme une méthode d'exécution des ordonnances des tribunaux. Et troisièmement, le législateur, en énonçant les mécanismes d'exécution, n'a pas prévu une telle action.

Les rapports dans lesquels une obligation fiduciaire a été imposée semblent posséder trois caractéristiques générales:

(1) Le fiduciaire peut exercer un certain pouvoir discrétionnaire.

(2) Le fiduciaire peut unilatéralement exercer ce pouvoir discrétionnaire de manière à avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire.

(3) Le bénéficiaire est particulièrement vulnérable ou à la merci du fiduciaire qui détient le pouvoir discrétionnaire.

Ces trois caractéristiques sous‑jacentes se trouvent dans les rapports qui nous intéressent. Le parent gardien a été placé par suite de l'ordonnance de la cour dans une situation de pouvoir et d'autorité à l'égard des enfants et a la possibilité de porter atteinte aux rapports avec le parent non gardien et en fait de les détruire complètement par l'exercice abusif de ce pouvoir. La vulnérabilité requise est présente et, en pratique, il n'y a pas grand chose que le parent non gardien puisse faire pour empêcher le parent gardien d'exercer son pouvoir de manière abusive ou pour obtenir un redressement contre celui‑ci. Les possibilités de recours du parent non gardien lésé face à la campagne du parent gardien pour couper tout lien avec l'enfant sont extrêmement limitées.

Les principes fiduciaires existants devraient être étendus à cette situation particulière du droit de la famille. D'abord, cette cause d'action ne se présente que dans une circonstance particulière, la vulnérabilité créée par la division de la garde de l'enfant et du droit de visite par l'ordonnance d'un tribunal. Ensuite, la cause d'action pour violation d'un devoir fiduciaire incite très fortement les parents gardiens à exercer leur droit de garde de manière à favoriser l'intérêt véritable de leurs enfants, à reconnaître que leurs enfants ont droit à des rapports permanents avec l'autre parent et que l'utilisation du pouvoir qui leur a été confié par une ordonnance d'un tribunal pour priver leurs enfants de cette autre dimension dans leur vie est un acte grave. Enfin, contrairement aux causes d'action délictuelle, la cause d'action pour la violation du devoir fiduciaire permet au tribunal de tenir compte de la conduite du parent non gardien (qu'elle soit reliée ou non à des questions de garde et de droit de visite) qui pourrait être contraire à l'intérêt véritable des enfants.

Les tribunaux sont compétents, particulièrement les tribunaux d'equity, pour empêcher qu'une cause d'action ne soit utilisée s'il y a un risque de préjudice à l'égard de l'intérêt des enfants. La cause d'action pour la violation du devoir fiduciaire ne pourra être utilisée que s'il n'y a aucun risque de porter atteinte au soutien de l'enfant ni de créer un conflit préjudiciable de loyauté chez les enfants. En conséquence, il ne naîtra pas une cause d'action pour violation du devoir fiduciaire chaque fois que le droit de visite est refusé, mais seulement lorsque la conduite permanente a causé des dommages importants au rapport entre le parent non gardien et l'enfant, au détriment de ce parent et de l'enfant.

Historiquement, les tribunaux d'equity ont même été prêts à accorder des redressements en equity qui complétaient les recours prévus par la législation à l'égard de violations de la loi. Le texte législatif clair et précis nécessaire pour écarter cette large compétence inhérente d'accorder un redressement en equity dans des circonstances appropriées n'existe dans aucune mesure législative applicable à l'espèce. La cause d'action pour la violation du devoir fiduciaire n'est pas fondée "directement sur la violation d'une loi", mais existe plutôt indépendamment de la loi fondée "par renvoi d'une part à des politiques exprimées dans la loi et d'autre part à des normes établies par la loi".

Les redressements qui sont normalement accordés dans le cas de violation du devoir fiduciaire sont l'imposition d'une fiducie par interprétation et la comptabilisation des bénéfices: aucun de ces redressements ne s'appliquent en l'espèce. Toutefois, l'indemnité reconnue en equity est également un redressement possible et permettrait à l'appelant de recouvrer non seulement les débours qu'il a subis au cours de la campagne qui visait à détruire ses rapports avec ses enfants, mais également une somme réaliste représentant sa douleur et ses souffrances qui, en l'espèce, comprendrait l'indemnisation relative à la grave dépression dont il a souffert par suite de la conduite des intimés.


Parties
Demandeurs : Frame
Défendeurs : Smith

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge La Forest
Arrêts appliqués: Seneca College of Applied Arts and Technology c. Bhadauria, [1981] 2 R.C.S. 181
La Reine du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205
arrêts mentionnés: Schrenk v. Schrenk (1982), 36 O.R. (2d) 480, confirmant (1981), 32 O.R. (2d) 122
Kungl v. Schiefer, [1962] R.C.S. 443
Gottlieb v. Gleiser, [1957] 3 All E.R. 715
Ciments Canada LaFarge Ltée c. British Columbia Lightweight Aggregate Ltd., [1983] 1 R.C.S. 452
St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier, Section locale 219, [1986] 1 R.C.S. 704
O'Byrne v. Koresec (1986), 2 R.F.L. (3d) 104.
Citée par le juge Wilson (dissidente)
Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat du Canada, [1980] 2 R.C.S. 735
Moore Dry Kiln Co. of Canada Ltd. v. Green Cedar Lumber Co. (1982), 37 O.R. (2d) 300
Dominion Bank v. Jacobs, [1951] O.W.N. 421
Kungl v. Schiefer, [1962] R.C.S. 443
Ciments Canada LaFarge Ltée c. British Columbia Lightweight Aggregate Ltd., [1983] 1 R.C.S. 452
Mogul Steamship Co. v. McGregor, Gow, and Co. (1889), 23 Q.B.D. 598
Mulcahy v. The Queen (1868), L.R. 3 H.L. 306
Wilkinson v. Downton, [1897] 2 Q.B.D. 57
Guay v. Sun Publishing Co., [1953] 2 R.C.S. 216
Radovskis v. Tomm (1957), 21 W.W.R. 658
Lumley v. Gye (1853), 2 El. & Bl. 216, 118 E.R. 749
Rookes v. Barnard, [1964] A.C. 1129
Ratcliffe v. Evans, [1892] 2 Q.B. 524
R. v. Greenhill (1836), 4 Ad. & E. 624, 111 E.R. 922
M v. M (child: access), [1973] 2 All E.R. 81
Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335
International Corona Resources Ltd. v. Lac Minerals Ltd. (1986), 53 O.R. (2d) 737
Standard Investments Ltd. v. Canadian Imperial Bank of Commerce (1985), 52 O.R. (2d) 473
English v. Dedham Vale Properties Ltd., [1978] 1 All E.R. 382
Tufton v. Sperni, [1952] 2 T.L.R. 516
Varga c. F. H. Deacon & Co., [1975] 1 R.C.S. 39, confirmant sub nom. R. H. Deacon & Co. v. Varga (1972), 30 D.L.R. (3d) 653
Reading v. Attorney‑General, [1951] A.C. 507
Attorney‑General v. Goddard (1929), 98 L.J. (K.B.) 743
Jirna Ltd. c. Mister Donut of Canada Ltd., [1975] 1 R.C.S. 2, confirmant (1971), 22 D.L.R. (3d) 639
Hospital Products Ltd. v. United States Surgical Corp. (1984), 55 A.L.R. 417
H. L. Misener and Son Ltd. v. Misener (1977), 77 D.L.R. (3d) 428
Wright v. Wright (1973), 1 O.R. (2d) 337
Woodburn v. Woodburn (1975), 11 N.S.R. (2d) 528, 21 R.F.L. 179
Jones v. Jones (1970), 1 R.F.L. 295
Currie v. Currie (1975), 18 R.F.L. 47
Donald v. Donald (1973), 6 N.B.R. (2d) 665
Nayar v. Nayar (1981), 24 R.F.L. (2d) 400
Fast v. Fast (1983), 33 R.F.L. (2d) 337
Racine c. Woods, [1983] 2 R.C.S. 173
Canadian Aero Service Ltd. c. O'Malley, [1974] R.C.S. 592
Seneca College of Applied Arts and Technology c. Bhadauria, [1981] 2 R.C.S. 181
Attorney‑General v. Sharp, [1931] 1 Ch. 121
Attorney‑General v. Premier Line, Ltd., [1932] 1 Ch. 303
Seager v. Copydex Ltd., [1967] 1 W.L.R. 923
Dawson and Mason Ltd. v. Potter, [1986] 2 All E.R. 418
Nocton v. Lord Ashburton, [1914] A.C. 932
U.S. Surgical Corp. v. Hospital Products International Pty. Ltd., [1982] 2 N.S.W.L.R. 766
Zik v. High (1981), 35 O.R. (2d) 226
Seager v. Copydex Ltd. (No. 2), [1969] 1 W.L.R. 809.
Lois et règlements cités
Custody of Infants Act 1839 (Talfourd's Act), 2 & 3 Vict., chap. 54 (R.‑U.)
Guardianship of Infants Act, 1886, 49 & 50 Vict., chap. 27 (R.‑U.)
Guardianship of Minors Act, S.O. 1887, chap. 21.
Judicature Act, L.R.O. 1980, chap. 223, art. 25, abr. et rempl. par la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, L.O. 1984, chap. 11, art. 109.
Loi de 1982 modifiant la Loi portant réforme du droit de l'enfance, L.O. 1982, chap. 20, art. 1.
Loi de 1985 sur le divorce, S.C. 1986, chap. 4, art. 16(10).
Loi portant réforme du droit de la famille, L.R.O. 1980, chap. 152, art. 60, 69(4).
Loi portant réforme du droit de l'enfance, L.R.O. 1980, chap. 68, art. 19a), d), 24, 35, 36, 37(1), (2), (5), 38, 39, 40.
Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, chap. 318, mod.
Règles de pratique de l'Ontario, art. 126.
Supreme Court of Judicature Act, 1873, 36 & 37 Vict., chap. 66 (R.‑U.)
Doctrine citée
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Proposition de citation de la décision: Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99 (17 septembre 1987)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1987-09-17;.1987..2.r.c.s..99 ?
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