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24/03/1988 | CANADA | N°[1988]_1_R.C.S._480

Canada | R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480 (24 mars 1988)


r. c. stolar, [1988] 1 R.C.S. 480

Jerry Carl Stolar Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. stolar

No du greffe: 19068.

1987: 15 mai; 1988: 24 mars.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Wilson et La Forest.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1984), 30 Man. R. (2d) 81, qui a rejeté l'appel interjeté contre une déclaration de culpabilité prononcée par le juge Scollin siégeant avec jury. Pourvoi accueilli.

1. G.

Greg Brodsky, c.r., pour l'appelant.

2. Wayne Myshkowsky et Robert Gosman, pour l'intimée.

Version française du juge...

r. c. stolar, [1988] 1 R.C.S. 480

Jerry Carl Stolar Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. stolar

No du greffe: 19068.

1987: 15 mai; 1988: 24 mars.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Wilson et La Forest.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1984), 30 Man. R. (2d) 81, qui a rejeté l'appel interjeté contre une déclaration de culpabilité prononcée par le juge Scollin siégeant avec jury. Pourvoi accueilli.

1. G. Greg Brodsky, c.r., pour l'appelant.

2. Wayne Myshkowsky et Robert Gosman, pour l'intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

3. Le juge McIntyre—L'appelant, un agent de police de la ville de Winnipeg, a été reconnu coupable de meurtre le 13 juillet 1983. Un appel a été interjeté à la Cour d'appel du Manitoba. Une requête, non datée mais à présenter le 7 septembre 1983, visant la production d'éléments de preuve nouveaux a été déposée conformément à l'art. 610 du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34. Les éléments de preuve que l'appelant voulait produire consistaient en une série de pièces décrites comme des avis de contravention au Code de la route. Ces avis sont remis par les agents de police aux contrevenants au Code de la route et sont conservés dans les dossiers de la Cour des magistrats. Ils fourniraient, a‑t‑on soutenu, une preuve des allées et venues de l'appelant à certaines époques, qui serait utile pour sa défense.

4. L'appel interjeté par l'appelant a été entendu le 28 mars 1984. Avant le début de l'audience, la requête visant la production d'éléments de preuve nouveaux a été entendue et la cour (les juges Hall, O'Sullivan et Huband), le juge Hall étant dissident, y a fait droit. La cour a alors procédé à l'audition de l'appel et, après trois jours d'audience, a mis l'affaire en délibéré. Quelque six mois plus tard, le 11 octobre 1984, l'arrêt rejetant l'appel a été rendu, le juge O'Sullivan étant dissident. Le juge Huband, au nom de Cour d'appel à la majorité (publié à (1984), 30 Man. R. (2d) 81), a conclu que ces nouveaux éléments de preuve avaient peu d'importance, affirmant, à la p. 110:

[TRADUCTION] Les nouveaux éléments de preuve n'influent pas sur l'affaire. Même si elle avait été soumise à l'appréciation du jury, la preuve qui pèse contre Stolar est si lourde qu'en dépit de ces éléments nouveaux le jury, ayant reçu des directives appropriées, serait inévitablement arrivé à la même décision.

Il conclut l'arrêt en disant: [TRADUCTION] "Je suis d'avis de rejeter l'appel de Stolar également, me fondant ici encore sur les dispositions du sous‑al. 613(1)b)(i) [sic]". (L'arrêt publié mentionne le sous‑al. 613(1)b)(i) dans ce dernier paragraphe, ce que je considère comme une erreur d'impression. Le juge avait auparavant appliqué le sous‑al. 613(1)b)(iii) relativement au coaccusé de Stolar et l'avis d'appel, de même que les mémoires tant du ministère public que de l'appelant, font référence au sous‑al. 613(1)b)(iii).)

5. Dans ses motifs de dissidence, le juge O'Sullivan a exprimé l'avis que la cour avait accueilli la requête visant l'admission d'éléments de preuve nouveaux parce qu'ils pourraient influer sur l'issue de l'affaire, et qu'elle ne pouvait pas juger, quelque six mois plus tard, qu'ils ne pouvaient avoir cet effet. Voici ce qu'il affirme, à la p. 117:

[TRADUCTION] Nous n'avons pas mis la requête en délibéré. Nous l'avons accueillie à la majorité. Il y a là chose jugée. Je ne vois pas comment nous pouvons dire en mars qu'il est raisonnable de penser que ces éléments de preuve peuvent éventuellement influencer le jury pour ensuite déclarer, en octobre, qu'ils ne le peuvent pas.

Aussi je suis d'avis d'accueillir l'appel de Stolar pour trois motifs:

(1) il ne s'agit pas d'un cas où la réserve s'applique;

(2) la réserve ne saurait, en droit, s'appliquer à des éléments de preuve nouveaux qui ont été admis;

(3) en l'espèce, nous avons déjà décidé qu'il est raisonnable de penser que les éléments de preuve nouveaux peuvent éventuellement influer sur le verdict.

Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir l'appel et d'ordonner un nouveau procès.

6. Il est évident que la Cour d'appel a étudié la requête visant la production d'éléments de preuve nouveaux et l'appel lui‑même en deux étapes distinctes. Elle a d'abord entendu la requête visant la production d'éléments de preuve nouveaux et, bien qu'aucune ordonnance formelle n'ait été consignée au greffe, il est clair qu'elle a accueilli la requête et admis les éléments de preuve. Les motifs de l'arrêt relatifs à la requête visant la production d'éléments de preuve nouveaux portent la mention: [TRADUCTION] "Requête jugée le 28 mars 1984", et en concluant ses motifs, le juge Hall, qui a présidé à l'audience, écrit: [TRADUCTION] "En définitive, la requête est accueillie avec dissidence de ma part". Quelque cinq jours plus tard, le 2 avril 1984, suite à une requête déposée au nom de l'appelant, la Cour d'appel, réunie en dehors de la salle d'audience, a rendu une ordonnance enjoignant au magistrat qui en avait la garde de déposer onze des avis de contravention à la Cour d'appel. La Cour d'appel, ayant admis ces éléments de preuve, a alors procédé à l'audition de l'appel pour décider, par une majorité différente, que ces éléments de preuve nouveaux ne pouvaient avoir influé sur l'issue du procès. Ce faisant, la cour ne prétendait pas révoquer son ordonnance antérieure autorisant l'admission desdits éléments de preuve.

7. Le pourvoi dont nous sommes saisis n'est fondé que sur les deux moyens que voici:

[TRADUCTION] 1. La Cour d'appel du Manitoba a‑t‑elle commis une erreur de droit en s'abstenant d'ordonner un nouveau procès après avoir autorisé la production des éléments de preuve nouveaux en appel?

2. La Cour d'appel du Manitoba a‑t‑elle eu tort d'appliquer les dispositions du sous‑al. 613(1)b)(iii) du Code criminel, dans les circonstances de l'espèce?

L'appelant défend l'opinion dissidente du juge O'Sullivan. Le ministère public fait valoir que les éléments de preuve en cause n'étaient absolument pas nouveaux et il soutient que la Cour d'appel à la majorité a eu tort de rendre une ordonnance autorisant leur admission. On a aussi fait valoir que ces éléments de preuve nouveaux ne pouvaient avoir que peu de poids et que la Cour d'appel avait eu raison d'appliquer la réserve du sous‑al. 613(1)b)(iii). On a aussi soutenu qu'en fait la requête visant la production d'éléments de preuve nouveaux et l'appel lui‑même ne formaient qu'une seule instance et que la requête avait, en réalité, été rejetée par la Cour d'appel au terme de l'appel principal. Il y avait simplement eu intervalle entre le dépôt de la requête et le moment où on avait statué sur celle‑ci. Je suis d'avis de rejeter ce dernier argument en raison des faits exposés précédemment. Je suis aussi d'avis de rejeter l'argument relatif à l'application du sous‑al. 613(1)b)(iii) du Code criminel. La réserve peut s'appliquer, même si on a commis au procès une erreur de droit qui aurait pu justifier que l'appel soit tranché en faveur de l'appelant, lorsque la Cour d'appel est d'avis qu'aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave ne s'est produit. Il n'a pas été démontré qu'une erreur a été commise au procès en l'espèce. L'appelant ne demande qu'à produire des éléments de preuve nouveaux dont le juge du procès n'a pas été saisi. Ainsi, la condition d'application de la réserve n'est pas réalisée ici et c'est à tort que la Cour d'appel à la majorité a cherché à l'appliquer.

8. La règle applicable à la production d'éléments de preuve nouveaux lorsqu'un appel est interjeté est bien établie. La Cour a examiné cette question dans l'arrêt McMartin v. The Queen, [1964] R.C.S. 484, et plus récemment, dans l'arrêt Palmer et Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759. Dans l'affaire McMartin, il s'agissait d'un appelant reconnu coupable de meurtre qui demandait l'autorisation de produire des éléments de preuve concernant son état mental. La Cour d'appel, ayant pris connaissance des éléments de preuve offerts, les a rejetés pour le motif qu'ils n'avaient pas le poids nécessaire pour établir l'état mental de l'appelant à l'époque pertinente. Le juge Ritchie, s'exprimant à ce sujet au nom de la Cour siégeant au complet, dit à la p. 493:

[TRADUCTION] Avec égards, je crois que la déposition offerte par l'appelant à l'occasion d'une requête comme celle‑ci ne doit pas être jugée et rejetée pour le motif qu'elle "ne réfute pas le verdict prononcé par le jury" ou qu'elle ne réussit pas à établir que l'appelant était incapable de projeter et de commettre son acte de propos délibéré ou qu'elle ne réfute pas les déductions que le jury paraît avoir faites. Il suffit, à mon avis, que la déposition offerte ait suffisamment de poids pour qu'il soit raisonnable de penser qu'elle peut éventuellement influer sur le verdict du jury.

Il a aussi fait siens les propos tenus par le juge en chef Sloan de la Colombie‑Britannique dans l'arrêt R. v. Buckle (1949), 94 C.C.C. 84, aux pp. 85 et 86, où il affirme, en son propre nom et en celui du juge Sidney Smith (le juge Robertson étant dissident):

[TRADUCTION] À mon avis, la règle à appliquer dans les affaires criminelles relativement à la production d'éléments de preuve nouveaux et au redressement consécutif que peut accorder la cour, a une portée discrétionnaire plus large que celle qu'applique la cour dans les appels en matière civile. Si la preuve nouvellement communiquée est de par sa nature même concluante, alors la Cour d'appel, tant en matière civile que criminelle, peut elle‑même statuer définitivement sur l'affaire. Voir, par exemple, le juge O'Halloran dans R. v. Feeny, [1947] 1 D.L.R. 392, aux pp. 396 et suiv., 86 Can. C.C. 429, aux pp. 434 et suiv., 63 B.C.R. 131, aux pp. 136 et suiv. Si d'autre part, dans une affaire criminelle, les éléments de preuve nouveaux n'ont pas une influence aussi décisive, mais ont néanmoins suffisamment de poids pour qu'il soit raisonnable de penser qu'ils peuvent éventuellement influer sur le verdict d'un jury, alors j'estime que la cour peut admettre ces éléments et ordonner un nouveau procès afin que le tribunal de première instance puisse éventuellement les soupeser à la lumière de l'ensemble des faits.

Voir aussi l'arrêt R. v. Lakatos (1961), 129 C.C.C. 387, à la p. 391, le juge Bird, s'exprimant au nom de la Cour d'appel (le juge en chef DesBrisay de la Colombie‑Britannique, et les juges Bird et Coady).

9. Dans l'arrêt Palmer, précité, j'ai examiné certains précédents sur le sujet. Voici ce que j'y affirme au nom de la Cour, à la p. 775:

Par l'alinéa 610(1)d), le législateur a donné à la Cour d'appel un grand pouvoir discrétionnaire. On doit donner la prépondérance, dans cette disposition, à l'expression "l'intérêt de la justice" et il ne serait pas dans l'intérêt de la justice de permettre à un témoin, par la seule répudiation ou modification de ses dépositions au procès, de rouvrir des procès à volonté au détriment général de l'administration de la justice. Les demandes de cette nature sont fréquentes et les cours d'appel de diverses provinces se sont prononcées à leur égard—voir par exemple Regina v. Stewart; Regina v. Foster; Regina v. McDonald; Regina v. Demeter. Les principes suivants se dégagent de ces arrêts et d'autres dont plusieurs sont cités dans la jurisprudence susmentionnée:

(1) On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de matière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles: voir McMartin c. La Reine.

(2) La déposition doit être pertinente, en ce sens qu'elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

(3) La déposition doit être plausible, en ce sens qu'on puisse raisonnablement y ajouter foi, et

(4) elle doit être telle que si l'on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu'avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

10. Vu que le critère d'admissibilité des éléments de preuve nouveaux est si bien établi, la source de la confusion en l'espèce devient aussitôt évidente. La Cour d'appel, par une décision majoritaire, a admis les éléments de preuve suite à une demande préliminaire mais, par une majorité constituée différemment, a rejeté l'appel pour le motif que les éléments de preuve nouveaux ne permettaient pas de penser raisonnablement qu'ils auraient pu influer sur le verdict du jury. On a statué ainsi malgré le fait que l'admission même de ces éléments de preuve, conformément au critère requis, ait été fondée sur la conclusion qu'il était raisonnable de penser qu'ils auraient pu influer sur l'issue du procès. Le juge O'Sullivan a reconnu cette contradiction dans ses motifs de dissidence.

11. Le juge O'Halloran, dissident, traite d'une requête semblable dans l'affaire R. v. Feeny (1946), 86 C.C.C. 429, mais le juge en chef Sloan de la Colombie‑Britannique a mentionné une telle requête en l'approuvant dans l'arrêt Buckle, précité. Voici ce qu'affirme le juge O'Halloran, aux pp. 436 et 437:

[TRADUCTION] La question de savoir s'il faut rendre une ordonnance autorisant l'admission des éléments de preuve, ou permettant d'en prendre connaissance afin de déterminer s'ils doivent être admis, doit dépendre des circonstances de chaque affaire. En l'espèce, comme dans notre arrêt R. v. Shumarin, [1928] 1 W.W.R. 300, je n'ai vu aucun inconvénient à les admettre immédiatement. Dans une autre affaire, il se pourrait que les circonstances ne permettent pas d'arriver à une conclusion sans d'abord prendre connaissance des éléments de preuve. Cela concernerait bien entendu l'admissibilité de ces éléments de preuve à titre d'éléments nouveaux.

Mais lorsqu'ils sont acceptables à titre d'éléments de preuve nouveaux et admis en tant que tels, il ne s'ensuit pas que l'affaire doit être renvoyée pour un nouveau procès. Il y a sans doute des cas où les circonstances peuvent être telles que la Cour d'appel conclurait qu'il serait dans l'intérêt de la justice d'ordonner un nouveau procès plutôt que d'exercer les pouvoirs que lui confèrent le par. 1021(1) du Code criminel et l'article 5 des Règles d'appel en matière civile. Mais on ne saurait passer sous silence la compétence que ces articles du Code criminel et des Règles d'appel en matière civile confèrent à la cour et, dans un cas comme l'espèce, où les éléments de preuve nouveaux contredisent ceux qu'on veut corroborer, j'estime qu'il y a lieu d'exercer cette compétence et de substituer une déclaration de culpabilité de tentative de vol.

Je pense que la difficulté disparaît si l'on interprète l'arrêt R. v. Martin, précité, en fonction de la compétence conférée par le par. 1021(1) du Code criminel et par l'article 5 des Règles d'appel en matière civile que cet arrêt n'avait pas à mentionner. L'un des critères d'admissibilité des éléments de preuve nouveaux dans une affaire criminelle, savoir qu'"il est raisonnable de penser qu'ils auraient pu inciter le jury ou le juge des faits à modifier son point de vue concernant la culpabilité de l'accusé" ([1945] 1 D.L.R., à la p. 130, 82 Can. C.C., à la p. 313, 60 B.C.R., aux pp. 556 et 557), envisage la situation qui existerait si le tribunal d'instance inférieure avait en fait été saisi des éléments de preuve nouveaux. On ne doit pas interpréter ce critère comme ne pouvant être respecté que si les éléments de preuve nouveaux sont renvoyés avec l'affaire en vue de tenir un nouveau procès, car ce serait nier la compétence conférée par l'art. 1015 et le par. 1021(1) du Code criminel.

Je conviens avec le juge O'Halloran qu'il y a une différence entre une ordonnance qui admet effectivement la preuve offerte et une autre qui autorise l'examen de cette preuve afin de déterminer si elle doit être admise. Je conviens aussi qu'un nouveau procès n'est pas toujours nécessaire car il y a des cas où les nouveaux éléments de preuve peuvent être à ce point concluants que la Cour d'appel peut elle‑même statuer sur l'affaire. Il semblerait que la première affirmation directe d'un tel pouvoir pour une cour d'appel dans la jurisprudence canadienne soit ce qu'a dit le juge O'Halloran dans l'arrêt Feeny. Son opinion, cependant, est appuyée par la jurisprudence subséquente: voir les arrêts Buckle et McMartin, précités. Dans l'affaire R. v. Kissick (1951), 100 C.C.C. 130 (C.A. Man.), confirmée en cette Cour, [1952] 1 R.C.S. 343, des déclarations de culpabilité de complot de possession et de vente de stupéfiants, contrairement à la Loi de l'opium et des drogues narcotiques, 1929, S.C. 1929, chap. 49, avaient été inscrites en première instance. La nature de la substance trouvée en la possession des accusés avait été établie par les certificats d'analystes qui n'avaient pas été appelés à témoigner au procès. Ces certificats étaient admissibles en vertu de la Loi de l'opium et des drogues narcotiques, 1929, mais on s'est demandé en appel s'ils étaient admissibles dans des poursuites intentées en vertu du Code criminel. Le ministère public a été autorisé à présenter des éléments de preuve nouveaux en appelant les analystes à témoigner de vive voix en Cour d'appel. Sur ce fondement, les déclarations de culpabilité ont été confirmées, malgré l'argument de la défense portant qu'il y aurait dû y avoir un nouveau procès suite à l'admission des nouveaux éléments de preuve. Le juge Dysart dit, au nom de la Cour, à la p. 135:

[TRADUCTION] Si des éléments de preuve nouveaux sont recevables en vertu du par. 1021(1) "Pour les fins d'appel", sûrement ils doivent pouvoir servir à toutes et chacune de ces "fins", dont l'une est de confirmer une déclaration de culpabilité si la justice l'exige. Et l'art. 1014 prescrit qu'un appel sur lequel on ne peut statuer autrement doit être rejeté. Ces deux articles confèrent à la Cour une compétence qui doit pouvoir prévaloir. [Je souligne.]

Il s'est référé à l'arrêt Feeny pour dire que, si l'élément de preuve n'est pas concluant ni décisif, il faut le soumettre à l'appréciation du jury. Il dit alors, à la p. 136:

[TRADUCTION] Mais, lorsque l'élément de preuve est de nature concluante, la cour peut le traiter tout aussi sûrement et plus efficacement qu'un jury. Cet élément ne devrait pas être l'unique motif d'ordonner un nouveau procès; la cour devrait statuer définitivement sur celui‑ci.

Et de plus, après avoir reconnu le manque de précédents et avoir cité l'arrêt Buckle, il a affirmé aux pp. 136 et 137:

[TRADUCTION] On peut invoquer les principes premiers. Ils exigent que, dans l'intérêt de la justice, une affaire qui devient parfaitement claire en cette cour et qui ne peut se terminer que d'une seule façon, soit tranchée par cette cour et non renvoyée, après un procès long, coûteux et difficile, pour être jugée nécessairement de la même façon par le jury.

12. La Cour à la majorité a confirmé l'arrêt de la Cour d'appel. Le juge Taschereau a affirmé, à la p. 356, que puisque [TRADUCTION] "les éléments de preuve nouveaux étaient de nature concluante et ne révélaient aucun fait nouveau susceptible d'amener le jury à conclure dans un sens donné", il serait approprié de confirmer les déclarations de culpabilité. Il a souligné que l'exactitude des faits rapportés dans les certificats irrégulièrement admis n'était pas en cause. La Cour d'appel, en agissant sur la foi des témoignages des analystes, n'a fait que corriger une erreur en fonction de laquelle le jury avait agi et elle [TRADUCTION] "a situé l'affaire exactement au même point que le jury avait cru qu'elle était lorsqu'il a reconnu l'accusé coupable" (à la p. 356). Le juge Estey, dans ses motifs concordants, dit, à la p. 361:

[TRADUCTION] Au contraire, les dispositions pertinentes du Code criminel prévoient plutôt que l'élément de preuve reçu doit être versé au dossier et considéré avec les éléments de preuve soumis au procès. Si la cour d'appel constate qu'il y a des motifs, au sens des al. 1014(1)a), b) et c), d'accueillir l'appel, elle doit le faire, sinon, elle doit rejeter l'appel en vertu de l'al. 1014(1)d).

Il ajoute que la citation à témoigner des analystes a eu pour effet de verser au dossier des faits considérés, à tort, comme des éléments de preuve admissibles au procès, affirmant à la p. 362: [TRADUCTION] "En effet, il s'agissait donc d'une modification de forme plutôt que de fond, sur un point qui n'avait pas fait l'objet de contestations au procès. On n'a soumis aucune raison pour laquelle un jury, agissant judiciairement, ne serait pas arrivé à la même conclusion". Le juge Locke dit, aux pp. 369 et 370:

[TRADUCTION] L'article 1021 permet de recevoir des éléments de preuve additionnels "Pour les fins d'appel, aux termes de la présente Partie". Je ne vois aucune ambiguïté dans ces termes ni rien dans l'article ou ailleurs dans les articles traitant des appels en matière criminelle, qui limite, ou indique quelque intention de limiter, l'effet que la cour doit donner à l'élément de preuve supplémentaire, dans l'exercice des pouvoirs que lui confère l'art. 1014. Avec égards, je reconnais avec le juge Dysart que la preuve dont la Cour d'appel a été saisie en l'espèce est concluante à cet égard presque autant qu'un témoignage oral peut l'être et qu'il entrait dans les pouvoirs de la cour de confirmer la déclaration de culpabilité et de rejeter les appels.

13. Le même problème s'est posé dans l'affaire R. v. Huluszkiw (1962), 37 C.R. 386 (C.A. Ont.) La déposition d'un témoin devait être corroborée. Le témoin qui devait la corroborer est décédé après avoir témoigné à l'enquête préliminaire, mais avant le procès. Au procès, il n'a pas été démontré que l'accusé était présent lorsque le témoin décédé a témoigné. Le juge de première instance a refusé de rouvrir le dossier pour permettre de recevoir la preuve qui aurait remédié au vice et a acquitté l'accusé. En appel, la Cour d'appel a admis la preuve, a annulé les acquittements et les a remplacés par des déclarations de culpabilité. Le juge McLennan, s'exprimant au nom de la cour, dit, à la p. 390:

[TRADUCTION] ...la présentation de la défense ne pouvait pas subir de préjudice, et n'en a pas subi, à cause de l'absence de preuve formelle que l'accusé était présent à l'enquête préliminaire, au moment où le témoin décédé a témoigné.

Et d'ajouter:

[TRADUCTION] Il serait malheureux que les fins de la justice soient contournées par l'inadvertance dont a fait preuve un avocat en ne prouvant pas ce qui est essentiellement une question de forme concernant la procédure, pourvu toujours que la présentation d'un élément de preuve supplémentaire, quelle qu'en soit sa nature, se fasse dans un but honnête et qu'il n'y ait pas de conséquence injuste pour la partie adverse, en ce qui concerne la présentation de sa preuve.

14. Un problème semblable, apparu dans des circonstances inhabituelles, a été étudié dans l'arrêt R. v. Boles (1984), 57 A.R. 232 (C.A.) Dans un arrêt per curiam, la cour a suivi l'arrêt Kissick et exprimé l'avis qu'en agissant en vertu des pouvoirs conférés par l'art. 610 du Code criminel, elle pouvait confirmer une déclaration de culpabilité tout autant que l'annuler.

15. Il semblerait donc découler de la jurisprudence qui précède que, lorsque la Cour d'appel a statué définitivement sur l'élément de preuve nouveau, sans ordonner un nouveau procès, il s'agissait d'affaires où l'élément de preuve soumis visait ce qu'on peut appeler des vices de formes ou de procédure, ou encore où il avait révélé l'existence d'erreurs dans l'admission de la preuve, et alors seulement où l'élément de preuve lui‑même était nettement concluant quant aux questions portées en appel. Toutefois, lorsque l'élément de preuve n'est pas en lui‑même concluant à ce point, mais qu'il revêt néanmoins une force probante telle qu'il serait raisonnable de penser qu'il pourrait, pris conjointement avec les autres éléments de preuve soumis au procès, modifier le verdict rendu au procès, la cour devrait alors ordonner un nouveau procès pour permettre au juge des faits d'être saisi de la question et de statuer sur celle‑ci. Pour un précédent anglais à ce sujet, voir l'arrêt R. v. Flower, [1966] 1 Q.B. 146 (C.C.A.)

16. La procédure qui devrait être suivie lorsque la Cour d'appel est saisie d'une demande d'admission d'éléments de preuve nouveaux consiste à entendre la requête pour ensuite, si elle n'est pas rejetée, la mettre en délibéré et entendre l'appel. De cette façon, la Cour d'appel a la possibilité d'examiner la question des éléments de preuve nouveaux en fonction de l'ensemble de l'affaire et de tous les autres éléments de preuve s'y rapportant. Elle est alors en mesure de décider réalistement si on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que la preuve offerte influe sur l'issue de l'affaire. Alors, si après avoir entendu l'appel, la cour était d'avis qu'on ne pouvait pas raisonnablement s'attendre à ce que cette preuve influe sur l'issue du procès, elle rejetterait la requête visant la production d'éléments de preuve nouveaux, pour ensuite statuer sur l'appel. D'autre part, si elle était d'avis que les éléments de preuve nouveaux sont de telle nature que, joints aux autres éléments de preuve, ils seraient concluants quant aux points en litige, la Cour d'appel pourrait alors statuer séance tenante sur l'affaire. Toutefois, si les éléments de preuve nouveaux n'ont pas ce caractère décisif qui permet de statuer immédiatement sur l'appel et qu'ils ont néanmoins suffisamment de poids ou de force probante pour être susceptible, si le juge des faits les accepte et s'ils sont pris conjointement avec les autres éléments de preuve offerts, d'influer sur l'issue du procès, la Cour d'appel devrait alors les admettre et ordonner un nouveau procès où le juge des faits pourrait être saisi de ces éléments et statuer en conséquence. Ce point de vue est conforme à celui adopté dans l'arrêt Palmer, précité, où il est dit, aux pp. 776 et 777:

Puisque la déposition n'était pas disponible au procès et qu'elle porte sur une question décisive, l'étude en l'espèce se limite à deux points. Premièrement, la déposition présente‑t‑elle suffisamment de vraisemblance pour que le juge du fond ait raisonnablement pu la croire? Si la réponse est négative, la question est réglée, mais si elle est affirmative, il faut se poser la seconde question en ces termes. Si la déposition est présentée au juge du fond qui y ajoute foi, aura‑t‑elle un poids et une force probante tels qu'elle puisse, compte tenu des autres éléments de preuve produits, influer sur le résultat? Si la réponse à la seconde question est affirmative, la requête en production de nouveaux éléments de preuve doit être accueillie et un nouveau procès ordonné au cours duquel la déposition pourra être produite.

Toutefois, ce passage doit être interprété en fonction du pouvoir qu'a la Cour d'appel de statuer sur l'affaire lorsque les éléments de preuve offerts sont clairs et décisifs.

17. Après avoir procédé à l'audition du pourvoi, la Cour a invité les avocats à débattre la question de savoir si la Cour d'appel, après avoir admis les éléments de preuve sans mettre en délibéré la requête préliminaire, pouvait, après plus ample examen et de son propre chef, modifier son ordonnance et rejeter lesdits éléments de preuve. Je n'estime pas nécessaire cependant d'examiner les limites du pouvoir d'un tribunal de modifier ainsi ses ordonnances. Nul n'a demandé à la cour de réviser sa position sur le sujet et elle ne paraît pas l'avoir fait. Je souscris à l'argumentation écrite de l'avocat de l'appelant portant que nous ne sommes donc pas saisi de la question.

18. Pour ce qui est de l'espèce dont nous sommes saisis, je ne me prononce pas sur le poids des éléments de preuve nouveaux admis en Cour d'appel. Je me contenterai de dire que la Cour d'appel, ayant admis les éléments de preuve nouveaux, et il faut présumer qu'elle les a admis parce qu'il était raisonnable de croire qu'ils auraient pu influer sur l'issue du procès, ne pouvait par la suite conclure qu'ils n'avaient pas cet effet, car si elle l'avait fait, elle aurait empiété sur le rôle du jury et aurait apprécié les éléments de preuve elle‑même. Les éléments de preuve, une fois admis, pouvaient être invoqués pour statuer sur l'appel seulement s'ils étaient clairement décisifs. Il est manifeste que la Cour d'appel ne les a pas considérés dans cette optique. Alors, dans de telles circonstances, il était nécessaire d'avoir un nouveau procès où le jury pourrait apprécier la preuve et statuer sur celle‑ci. J'ajouterais que les éléments de preuve controversés ne sont pas, à mon avis, de nature telle qu'ils autorisent la Cour d'appel à statuer sur la question sans un nouveau procès. Il ne sont pas concluants en soi. Ils ne visent pas quelque vice de forme ou de procédure; il s'agit simplement d'éléments de preuve documentaire dont on dit qu'ils appuient le témoignage de la femme de l'appelant qui, à son tour, porte sur les allées et venues de l'appelant à certains moments, et qui étaient donc pertinents quant à la question de sa participation au crime et de sa culpabilité ou de son innocence. Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner un nouveau procès.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l'appelant: Walsh, Micay & Company, Winnipeg.

Procureur de l'intimée: Le ministère du Procureur général, Winnipeg.


Synthèse
Référence neutre : [1988] 1 R.C.S. 480 ?
Date de la décision : 24/03/1988
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Tribunaux - Procédure - Demande d'admission d'éléments de preuve nouveaux en appel - La cour a‑t‑elle eu tort de ne pas ordonner un nouveau procès après avoir admis des éléments de preuve nouveaux? - La Cour d'appel a‑t‑elle eu tort d'appliquer la réserve relative à l'absence d'erreur judiciaire grave? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 610, 613(1)b)(iii).

L'appelant, reconnu coupable de meurtre, a interjeté appel à la Cour d'appel devant laquelle une requête visant la production d'éléments de preuve nouveaux a été faite en vertu de l'art. 610 du Code criminel. La requête a été entendue avant l'appel et accueillie, à la majorité des juges de la cour, parce qu'il était raisonnable de croire que les éléments de preuve auraient pu influer sur l'issue du procès. La cour a alors entendu l'appel, puis l'a rejeté par une majorité de juges différents qui a conclu que les éléments de preuve nouveaux ne portaient guère à conséquence. Les questions en litige sont les suivantes: (1) la Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur de droit en s'abstenant d'ordonner un nouveau procès après avoir autorisé la production des éléments de preuve nouveaux en appel et (2) a‑t‑elle eu tort d'appliquer les dispositions du sous‑al. 613(1)b)(iii) du Code criminel compte tenu des circonstances de l'espèce?

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

La condition d'application du sous‑al. 613(1)b)(iii) n'est pas réalisée en l'espèce parce qu'il n'a pas été démontré qu'une erreur se serait produite au procès.

La règle applicable à la production d'éléments de preuve nouveaux lorsqu'un appel est interjeté est bien établie: ces éléments doivent être raisonnablement susceptibles d'influer sur l'issue du procès. Lorsque la Cour d'appel est saisie d'une demande d'admission d'éléments de preuve nouveaux, la requête doit être entendue pour ensuite, si elle n'est pas rejetée, la mettre en délibéré et entendre l'appel. La Cour d'appel peut alors examiner la question des éléments de preuve nouveaux en fonction de l'ensemble de l'affaire et de tous les autres éléments de preuve s'y rapportant. Elle dispose alors des options suivantes: (1) rejeter la requête et statuer sur l'appel; (2) considérer que l'ensemble des preuves règle les points en litige et rendre une décision définitive immédiatement; (3) admettre les éléments de preuve qui pourraient avoir suffisamment de force probante pour influer sur l'issue du procès et ordonner un nouveau procès. La troisième option devrait être adoptée en l'espèce: la cour ne peut admettre les éléments de preuve parce qu'on peut raisonnablement penser qu'ils pourraient influer sur l'issue du procès et ensuite conclure qu'ils n'avaient pas cet effet.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Stolar

Références :

Jurisprudence
Arrêts appliqués: McMartin v. The Queen, [1964] R.C.S. 484
Palmer et Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759
arrêts examinés: R. v. Buckle (1949), 94 C.C.C. 84
R. v. Feeny (1946), 86 C.C.C. 429
R. v. Kissick (1951), 100 C.C.C. 130, conf. Kissick v. The King, [1952] 1 R.C.S. 343
R. v. Huluszkiw (1962), 37 C.R. 386
arrêts mentionnés: R. v. Lakatos (1961), 129 C.C.C. 387
R. v. Boles (1984), 57 A.R. 232
R. v. Flower, [1966] 1 Q.B. 146.
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 610, 613(1)b)(iii).
Loi de l'opium et des drogues narcotiques, 1929, S.C. 1929, chap. 49.

Proposition de citation de la décision: R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480 (24 mars 1988)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1988-03-24;.1988..1.r.c.s..480 ?
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