La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/04/1988 | CANADA | N°[1988]_1_R.C.S._621

Canada | R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621 (28 avril 1988)


r. c. hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621

Werner E. J. Hufsky Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et

Le procureur général du Canada Intervenant

répertorié: r. c. hufsky

No du greffe: 19028.

1987: 24, 25 février; 1988: 28 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1984), 14 O.A.C. 1, 33 M.V.R. 75, qui a rejeté l'appel d'un jugement du juge Kane de la Co

ur de comté, qui avait rejeté l'appel de la déclaration de culpabilité prononcée par le juge Camblin de la Cour provinciale...

r. c. hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621

Werner E. J. Hufsky Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et

Le procureur général du Canada Intervenant

répertorié: r. c. hufsky

No du greffe: 19028.

1987: 24, 25 février; 1988: 28 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1984), 14 O.A.C. 1, 33 M.V.R. 75, qui a rejeté l'appel d'un jugement du juge Kane de la Cour de comté, qui avait rejeté l'appel de la déclaration de culpabilité prononcée par le juge Camblin de la Cour provinciale. Pourvoi rejeté. La première question constitutionnelle reçoit une réponse négative, la seconde et la troisième, une réponse affirmative, et la quatrième, une réponse négative. Il n'est pas nécessaire de répondre à la cinquième question constitutionnelle.

1. Irvin H. Sherman, c.r., et Warren Creates, pour l'appelant.

2. Michael A. MacDonald, pour l'intimée.

3. E. A. Bowie, c.r., pour l'intervenant le procureur général du Canada.

Version française du jugement de la Cour rendu par

4. Le juge Le Dain—Le pourvoi soulève les questions suivantes:

1. La proclamation non universelle de l'ancien art. 234.1 du Code criminel relatif à l'alcootest obligatoire, qui faisait que l'art. 234.1 n'était pas en vigueur dans les provinces de la Colombie‑Britannique et de Québec, porte‑t‑elle atteinte au droit à l'égalité devant la loi reconnu par l'al. 1b) de la Déclaration canadienne des droits?

2. L'arrêt au hasard d'un véhicule à moteur par un agent de police alors qu'il effectue des "contrôles routiers ponctuels" afin de vérifier les permis de conduire et la preuve d'assurance, l'état mécanique des véhicules et l'état ou la "sobriété" des conducteurs enfreint‑il le droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l'art. 9 de la Charte canadienne des droits et libertés?

3. La procédure de contrôles routiers ponctuels, par laquelle un agent de police exige la remise du permis de conduire et de la carte d'assurance pour examen, porte‑t‑elle atteinte au droit à la protection contre les fouilles abusives garanti par l'art. 8 de la Charte?

5. Le pourvoi est formé, avec l'autorisation de cette Cour, contre l'arrêt rendu le 18 septembre 1984 par la Cour d'appel de l'Ontario, qui a rejeté l'appel interjeté contre le jugement rendu le 2 novembre 1983 par le juge Kane de la Cour de comté, qui avait rejeté l'appel de la déclaration de culpabilité de l'appelant, prononcée par le juge Camblin de la Cour provinciale le 2 mai 1983, relativement à l'accusation d'avoir omis ou refusé, sans excuse raisonnable, de donner l'échantillon d'haleine pour fin d'alcootest, demandé par un agent de police, contrairement au par. 234.1(2) du Code criminel.

I

6. Le 14 janvier 1983, vers minuit et demi, l'appelant a été arrêté par un agent de police alors qu'il roulait sur l'avenue Midland, en direction nord, dans la municipalité de la communauté urbaine de Toronto. L'agent a témoigné que, lorsqu'il a demandé à l'appelant de s'arrêter, il n'avait remarqué rien d'inhabituel dans sa façon de conduire, en ce sens que ce dernier conduisait normalement. L'agent a demandé à voir le permis de conduire de l'appelant et une preuve d'assurance et a vérifié s'ils étaient valides. Au cours de sa conversation avec l'appelant, l'agent a décelé une odeur d'alcool exhalée par l'appelant et a constaté une légère hésitation dans son élocution. L'agent a demandé à l'appelant de le suivre jusqu'à sa voiture afin de subir un alcootest et, vers 0 h 36, l'agent lui a formellement demandé de fournir un échantillon d'haleine au moyen de l'alcootest approuvé appelé A.L.E.R.T. (Alcohol Level Evaluation Roadside Tester) modèle J3A. L'appelant a refusé d'obtempérer à cette demande. Suite à ce refus, l'agent a avisé l'appelant qu'il serait accusé de refus de fournir un échantillon d'haleine et l'a informé de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat. L'appelant a été relâché vers 1 h 05 après avoir reçu un avis de comparution.

7. Lorsqu'il a demandé à l'appelant de s'arrêter, l'agent procédait, depuis 23 h 30 environ, le 13 janvier 1983, à des contrôles routiers ponctuels des véhicules automobiles et des conducteurs empruntant l'avenue Midland, au nord de l'avenue Lawrence. Il a décrit ainsi ces "contrôles routiers ponctuels": [TRADUCTION] "On appelle cela ainsi lorsque nous disposons de certaines voitures, y compris des agents, pour arrêter les véhicules et vérifier leur état mécanique ainsi que les facultés du conducteur à ce moment‑là." Il a convenu avec l'avocat qui l'interrogeait que le but des contrôles routiers ponctuels était de [TRADUCTION] "vérifier les permis de conduire, les assurances, l'état mécanique des véhicules et la sobriété de leur propriétaire". L'agent a reconnu aussi qu'il arrivait couramment qu'on vérifie le titre de propriété du véhicule pour s'assurer qu'il n'avait pas été volé, mais il n'a pu se souvenir s'il l'avait fait en l'espèce. L'agent a déclaré que la seule directive à suivre pour effectuer des contrôles routiers ponctuels était qu'il devait y avoir au moins une voiture de police identifiée comme telle. Les autres voitures utilisées pour ces contrôles pouvaient être banalisées. Il n'y avait pas de critère, de norme, de directive ou de procédure à suivre pour décider quel véhicule serait arrêté. Cela était laissé à la discrétion de l'agent de police. L'agent qui a demandé à l'appelant de s'arrêter était alors en uniforme, mais il prenait place dans une voiture banalisée. Il a témoigné qu'il arrêtait les véhicules "au hasard". Il a dit qu'au cours des huit mois précédents, durant lesquels il avait été affecté aux contrôles routiers ponctuels, il avait arrêté plus de cinq cents véhicules environ et fait subir l'alcootest dans à peu près vingt cas. Le véhicule de l'appelant, a‑t‑il déclaré, n'était que l'un des nombreux véhicules qu'il avait forcé à se ranger au bord de l'avenue pendant son quart cette nuit‑là.

8. Relativement à l'accusation d'omission ou de refus, sans excuse raisonnable, de donner l'échantillon d'haleine pour fin d'alcootest, demandé par l'agent de police, contrairement au par. 234.1(2) du Code criminel, l'appelant a soutenu devant le juge Camblin de la Cour provinciale qu'elle devrait être rejetée pour le motif, notamment, que la proclamation non universelle de l'art. 234.1 portait atteinte au droit à l'égalité devant la loi reconnu par l'al. 1b) de la Déclaration canadienne des droits, et que la procédure d'arrêts au hasard et de contrôles routiers ponctuels portait atteinte aux droits à la protection contre les fouilles abusives et contre la détention arbitraire garantis par les art. 8 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le juge de la Cour provinciale a rejeté ces prétentions, a reconnu l'appelant coupable et lui a infligé une amende de 100 $. L'appel interjeté contre ce jugement a été rejeté par le juge Kane de la Cour de comté, sans qu'il ne motive sa décision.

9. La Cour d'appel de l'Ontario (le juge en chef Howland et les juges Martin et Blair) a rejeté l'appel interjeté contre le jugement du juge Kane de la Cour de comté (1984), 14 O.A.C. 1, pour les motifs suivants exposés dans la note manuscrite du juge en chef Howland:

[TRADUCTION] L'avocat de l'appelant a soulevé trois moyens d'appel:

1. Il a soutenu en premier lieu que l'art. 234.1 du Code criminel [. . .] était inopérant parce qu'il n'avait pas été proclamé en Colombie‑Britannique ni au Québec et que, par conséquent, il portait atteinte au droit de l'appelant à l'égalité devant la loi, garanti à l'al. 1b) de la Déclaration canadienne des droits...

Nous sommes incapables d'accepter cet argument. Nous considérons que le raisonnement de cette cour dans l'arrêt R. v. Negridge (1980), 6 M.V.R. 255, 17 C.R. (3d) 14, 54 C.C.C. (2d) 304 (C.A. Ont.), est concluant sur ce point.

2. Il a soutenu en deuxième lieu que l'appelant a été détenu arbitrairement, contrairement à l'art. 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. Nous considérons que cet argument a été rejeté par les arrêts de cette cour R. v. Simmons (1984), 3 O.A.C. 1, 45 O.R. (2d) 609, 26 M.V.R. 168, 39 C.R. (3d) 223, 11 C.C.C. (3d) 193, 7 D.L.R. (4th) 719 (C.A. Ont.), et R. v. Dedman (1981), 32 O.R. (2d) 641, 10 M.V.R. 59, 23 C.R. (3d) 228, 59 C.C.C. (2d) 97, 122 D.L.R. (3d) 655 (C.A. Ont.)

3. Il a soutenu en troisième lieu qu'exiger de l'appelant qu'il produise son permis de conduire et une preuve d'assurance constituait une fouille abusive, contrairement à l'art. 8 de la Charte.

Nous sommes tous d'avis qu'il n'y a pas eu de fouille abusive, compte tenu des dispositions du Code de la route, L.R.O. 1980, chap. 198, qui exigent cette production et que nous jugeons raisonnables.

10. Aux fins du pourvoi formé devant cette Cour, le juge Estey a énoncé les questions constitutionnelles suivantes dans son ordonnance du 8 janvier 1987:

1. La proclamation non universelle de l'art. 234.1 du Code criminel du Canada supprime‑t‑elle, restreint‑elle ou enfreint‑elle le droit de l'appelant à l'égalité devant la loi prévu à l'al. 1b) de la Déclaration canadienne des droits?

2. L'arrêt au hasard de véhicules à moteur par les policiers, conformément à une loi fédérale ou provinciale, enfreint‑il le droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l'art. 9 de la Charte canadienne des droits et libertés?

3. Si la réponse à la question 2 est affirmative, une telle conduite autorisée par la loi est‑elle justifiée par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

4. Le droit de l'appelant d'être protégé contre les fouilles et les perquisitions abusives, garanti par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, est‑il enfreint par la procédure de contrôles routiers ponctuels employée par le policier enquêteur en l'espèce?

5. Si la réponse à la question 4 est affirmative, une telle conduite autorisée par la loi est‑elle justifiée par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

II

11. La première question qui se pose dans ce pourvoi est de savoir si la proclamation non universelle de l'ancien art. 234.1 du Code criminel, qui a été faite conformément au par. 102(3) de la Loi de 1975 modifiant le droit criminel, S.C. 1974‑75‑76, chap. 93, et qui a fait que l'art. 234.1 était en vigueur en Ontario à l'époque de l'inculpation de l'appelant, mais non en Colombie‑Britannique ni au Québec, porte atteinte au droit à l'égalité devant la loi reconnu par l'al. 1b) de la Déclaration canadienne des droits. La Cour a été saisie de cette question et a statué sur celle‑ci dans l'affaire R. c. Cornell, [1988] 1 S.C.R. 461, entendue en même temps que le présent pourvoi. Pour les motifs exposés dans l'arrêt Cornell, la proclamation non universelle de l'art. 234.1 était justifiée par un objectif fédéral régulier et n'enfreignait donc pas l'al. 1b). La première question constitutionnelle doit donc recevoir une réponse négative.

III

12. La deuxième question qui se pose dans le présent pourvoi est de savoir si l'arrêt au hasard du véhicule à moteur de l'appelant a entraîné la détention arbitraire de l'appelant, au sens de l'art. 9 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui porte:

9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires.

13. La deuxième question constitutionnelle mentionne "l'arrêt au hasard de véhicules à moteur par les policiers conformément à une loi fédérale ou provinciale". La disposition législative que l'intimée invoque pour justifier d'avoir, au hasard, demandé à l'appelant de s'arrêter pour les fins envisagées par la procédure de contrôles routiers ponctuels, est l'art. 189a du Code de la route de l'Ontario, L.R.O. 1980, chap. 198, modifié par l'art. 2 de la Highway Traffic Amendment Act, 1981 (No. 3), S.O. 1981, chap. 72. Les paragraphes 189a(1) et (2) sont ainsi conçus:

189a (1) Un agent de police, dans l'exercice légitime de ses fonctions, peut exiger du conducteur d'un véhicule automobile qu'il s'arrête. Si tel est le cas, le conducteur obtempère immédiatement à la demande de l'agent identifiable à première vue comme tel.

(2) Quiconque contrevient au paragraphe (1) est coupable d'infraction et passible, sur déclaration de culpabilité, d'une amende d'au moins 100 $ et d'au plus 2 000 $ et d'un emprisonnement maximum de six mois ou de l'une de ces peines.

Au cours des plaidoiries, on a aussi mentionné l'art. 30a du Code de la route, modifié par l'art. 1 de la Highway Traffic Amendment Act, 1981 (No. 3), qui prévoit la remise et la suspension d'un permis de conduire dans certains cas à la suite d'une demande d'échantillon d'haleine fondée sur le par. 234.1(1) ou 235(1) du Code criminel. Le paragraphe 30a(1) est ainsi conçu:

30a (1) Un agent de police aisément reconnaissable comme tel peut exiger du conducteur d'un véhicule automobile qu'il s'arrête pour établir s'il y a lieu ou non de le soumettre à l'épreuve visée à l'article 234.1 du Code criminel (Canada).

On n'a pas soutenu qu'il y avait un pouvoir légal fédéral d'arrêter au hasard, distinct de la sommation faite en vertu du par. 234.1(1), et on ne s'est pas fondé non plus sur le pouvoir de common law d'arrêter au hasard, reconnu dans l'arrêt Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2, quoique l'intimée se soit référée au raisonnement suivi dans l'arrêt Dedman pour faire valoir la constitutionnalité du pouvoir d'arrêter au hasard, conféré par le Code de la route.

14. On peut aussi mentionner à ce stade les dispositions législatives provinciales exigeant la remise, pour examen, du permis de conduire et de la carte d'assurance, à la demande d'un agent de police. Il s'agit des par. 19(1) du Code de la route et 3(1) de la Loi sur l'assurance‑automobile obligatoire, L.R.O. 1980, chap. 83, qui, à l'époque où l'on a demandé à l'appelant de s'arrêter, étaient ainsi conçus:

19 (1) Le conducteur d'un véhicule automobile doit porter en tout temps son permis de conduire lorsqu'il a la charge du véhicule. Il le présente pour inspection légitime, à la demande d'un agent de police ou d'un agent chargé de faire appliquer les dispositions de la présente loi.

3 (1) L'utilisateur d'un véhicule automobile sur une route doit détenir en tout temps:

a) une carte d'assurance du véhicule;

b) une carte d'assurance attestant qu'il est assuré en vertu d'un contrat d'assurance‑automobile.

Il est tenu de remettre cette carte à la demande d'un agent de police qui désire l'examiner.

15. La première question qui se pose concernant l'argument de l'appelant fondé sur l'art. 9 de la Charte, est de savoir si, en arrêtant au hasard l'appelant pour les fins d'un contrôle routier ponctuel, savoir en l'espèce, la vérification du permis de conduire et de la preuve d'assurance, ainsi que de l'état du conducteur ou de sa "sobriété", il y a eu détention de l'appelant au sens de l'art. 9. Je veux parler de la période durant laquelle l'appelant a été immobilisé pour les fins du contrôle routier ponctuel, par opposition à la période qui a suivi la sommation fondée sur le par. 234.1(1). À mon avis, l'arrêt au hasard du véhicule de l'appelant pour les fins du contrôle routier ponctuel, quoique d'une durée relativement brève, a entraîné la détention de l'appelant, au sens de l'art. 9 de la Charte. Cette procédure relève de la notion générale de détention appliquée dans l'arrêt R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, et réaffirmée par la Cour dans l'affaire R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640, qu'elle a entendue en même temps que le présent pourvoi et sur laquelle elle statue aujourd'hui. En arrêtant des véhicules au hasard pour les fins du contrôle routier ponctuel, l'agent de police a restreint la liberté d'action de l'appelant au moyen d'une sommation ou d'un ordre qui pourrait entraîner des conséquences sérieuses sur le plan juridique, et il y avait une responsabilité pénale en cas de refus d'obtempérer à la sommation ou à l'ordre. Bien que les arrêts Therens et Thomsen aient porté sur le sens du terme "détention" à l'art. 10 de la Charte, j'estime qu'il n'y a, en principe, aucune raison de ne pas appliquer au mot "détention" à l'art. 9 la définition générale du mot "détention" qui se dégage de ces arrêts. L'entrave supplémentaire à la liberté résultant de la sommation fondée sur le par. 234.1(1) constituait aussi une détention, comme on l'a conclu dans l'arrêt Thomsen, mais cette sommation n'était pas fondée directement sur un choix au hasard, comme l'arrêt d'un véhicule afin de procéder à un contrôle routier ponctuel, mais sur un soupçon raisonnable, résultant de l'observation de l'appelant au cours du contrôle routier ponctuel, que ce dernier avait de l'alcool dans son sang.

16. La question qui se pose ensuite relativement à l'argument de l'appelant fondé sur l'art. 9 de la Charte est de savoir si la détention qui s'ensuit, lorsque l'on arrête des véhicules au hasard afin de procéder à un contrôle routier ponctuel, est arbitraire au sens de l'art. 9. Le paragraphe 189a(1) du Code de la route habilite l'agent de police, dans l'exercice légitime de ses fonctions, à exiger du conducteur d'un véhicule automobile qu'il s'arrête. Il ne précise pas qu'il doit y avoir des raisons ou une cause pour demander à un automobiliste en particulier de s'arrêter mais, comme sa simple lecture l'indique, il laisse à l'agent le pouvoir discrétionnaire de choisir à quel automobiliste il va demander de s'arrêter. En réalisant les fins visées par la procédure de contrôles routiers ponctuels, dont la vérification de l'état ou de la "sobriété" du conducteur, l'agent était clairement dans l'exercice légitime de ses fonctions. Bien qu'autorisé par la loi et exécuté pour des fins légitimes, l'arrêt au hasard, effectué dans le but de procéder à un contrôle routier ponctuel, a néanmoins entraîné, à mon avis, une détention arbitraire parce qu'il n'y avait aucun critère de sélection des conducteurs à qui on demanderait de s'arrêter et de se soumettre au contrôle routier ponctuel. La sélection était laissée à l'entière discrétion de l'agent de police. Un pouvoir discrétionnaire est arbitraire s'il n'y a pas de critère, exprès ou tacite, qui en régit l'exercice. En l'espèce il n'y en avait aucun. L'appelant a donc été détenu arbitrairement, au sens de l'art. 9 de la Charte, par suite de l'arrêt au hasard effectué dans le but de procéder à un contrôle routier ponctuel, et la seconde question constitutionnelle doit, par conséquent, recevoir une réponse affirmative.

IV

17. Il est maintenant nécessaire de se demander si le droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l'art. 9 de la Charte peut, dans le cas du pouvoir d'arrêter des véhicules à moteur conféré par le par. 189a(1) du Code de la route, être restreint par une règle de droit, dans les limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, au sens de l'article premier de la Charte, qui porte:

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

18. Comme l'indiquent les arrêts Therens et Thomsen, une restriction par une règle de droit, au sens de l'article premier de la Charte, peut découler implicitement des termes d'une disposition législative ou de ses conditions d'application. À mon avis, une restriction tacite au droit à la protection contre la détention arbitraire résulte des termes du par. 189a(1) du Code de la route, qui confère à un agent de police le pouvoir de choisir, à son entière discrétion, les conducteurs de véhicules automobiles auxquels il ordonnera de s'arrêter. En d'autres termes, il autorise l'arrêt au hasard des véhicules automobiles.

19. La question qui se pose alors est de savoir si la restriction imposée par le par. 189a(1) du Code de la route au droit à la protection contre la détention arbitraire est raisonnable et si sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, au sens de l'article premier de la Charte. Le critère applicable pour trancher cette question a été formulé dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, et réitéré par le juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, aux pp. 768 et 769:

Pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, il faut satisfaire à deux exigences. En premier lieu, l'objectif législatif que la restriction vise à promouvoir doit être suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit garanti par la Constitution. Il doit se rapporter à des "préoccupations urgentes et réelles". En second lieu, les moyens choisis pour atteindre ces objectifs doivent être proportionnels ou appropriés à ces fins. La proportionnalité requise, à son tour, comporte normalement trois aspects: les mesures restrictives doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question, ou avoir un lien rationnel avec cet objectif; elles doivent être de nature à porter le moins possible atteinte au droit en question et leurs effets ne doivent pas empiéter sur les droits individuels ou collectifs au point que l'objectif législatif, si important soit‑il, soit néanmoins supplanté par l'atteinte aux droits. La Cour a affirmé que la nature du critère de proportionnalité pourrait varier en fonction des circonstances. Tant dans son élaboration de la norme de preuve que dans sa description des critères qui comprennent l'exigence de proportionnalité, la Cour a pris soin d'éviter de fixer des normes strictes et rigides.

20. La documentation relative à l'article premier présentée à la Cour par l'intimée sur la question de la détention arbitraire se subdivise en deux parties. La première consiste en des documents, réunis dans les volumes I à VII inclusivement, portant sur le problème de la conduite avec facultés affaiblies, que la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'affaire R. v. Seo (1986), 25 C.C.C. (3d) 385, et cette Cour, dans l'affaire Thomsen, ont examinés et appliqués pour conclure que la restriction que le par. 234.1(1) du Code criminel impose au droit à l'assistance d'un avocat est justifiée aux termes de l'article premier de la Charte. Cette documentation paraît avoir été produite par l'intimée en l'espèce principalement pour justifier la détention résultant d'une sommation faite en vertu du par. 234.1(1). Les conclusions que le juge Finlayson de la Cour d'appel a tirées de cette documentation dans l'arrêt Seo ont été adoptées par cette Cour dans l'arrêt Thomsen et n'ont pas à être réitérées ici. Il suffit de rappeler ce qui semblait être particulièrement pertinent dans la documentation pour justifier un pouvoir d'arrêter au hasard. La documentation insiste non seulement sur la gravité de la conduite avec facultés affaiblies, mais encore sur la difficulté de la détecter par la simple observation de la façon de conduire, et sur l'importance, pour dissuader plus efficacement les gens de conduire en état de facultés affaiblies, d'accroître la perception du risque qu'ils soient découverts. La documentation décrit à maintes reprises l'arrêt au hasard ou le contrôle ponctuel des automobilistes, comme étant conçu pour accroître la perception du risque de détection de l'affaiblissement des facultés, du fait qu'il permet à un agent de police d'observer de plus près l'état du conducteur. On y voit un moyen de rendre plus efficace l'alcootest obligatoire.

21. Ce qu'on peut considérer comme la seconde partie de la documentation relative à l'article premier se retrouve aux volumes VIII à X inclusivement et dans les annexes jointes au mémoire de l'intimée. Elle se compose des documents suivants: les mesures législatives d'autres provinces et ressorts démocratiques habilitant à exiger du conducteur d'un véhicule automobile qu'il s'arrête; d'autres mesures législatives ontariennes conférant le pouvoir d'arrêter les véhicules automobiles [TRADUCTION] "sans raison précise"; des dispositions du Code de la route et de la Loi sur l'assurance‑automobile obligatoire qui peuvent être enfreintes [TRADUCTION] "sans qu'il en découle nécessairement des manifestations externes ou visibles", des rapports du gouvernement provincial visant plusieurs années et comportant une analyse statistique des accidents de la route, des infractions à la circulation automobile, de la suspension des permis de conduire et des réclamations au Fonds d'indemnisation des victimes d'accidents de véhicules automobiles, et des graphiques ou tableaux réunissant les données statistiques relatives à ce qui, d'après l'intimée, constituait des indications particulièrement pertinentes de la justification du pouvoir d'arrêter au hasard.

22. La documentation qui précède renforce l'impression de gravité du problème des accidents de la route, en termes de décès, de blessures et de dommages matériels, et appuie l'importance primordiale d'une application efficace des lois et règlements de la circulation automobile, en vue d'assurer la sécurité routière. Les graphiques ou tableaux préparés par l'intimée à partir des données statistiques figurant dans les rapports gouvernementaux soulignent les points suivants: l'importance relative de la suspension du permis et de la répression de la conduite automobile avec permis suspendu; la proportion relativement plus élevée des conducteurs sans permis et sans assurance, par rapport à la proportion des conducteurs titulaires d'un permis et assurés, impliqués dans des accidents de la route ayant causé un décès ou des blessures; et l'importance relative des infractions à la circulation automobile, dont la conduite sans permis, ou avec permis suspendu, ou sans assurance, qu'on ne peut déceler par la simple observation de la façon de conduire. Ici encore, un pouvoir d'arrêter au hasard est, soutient‑on, justifié parce qu'il contribue à accroître la perception du risque de détection de ces infractions.

23. Vu l'importance de la sécurité routière et du rôle qu'est appelé à jouer à ce sujet le pouvoir d'arrêter au hasard afin d'accroître tant la détection que la perception du risque de détection des infractions à la circulation automobile, dont plusieurs sont indétectables par la simple observation de la façon de conduire, je suis d'avis que la restriction que le par. 189a(1) du Code de la route impose au droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l'art. 9 de la Charte est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. De par sa nature et son degré, l'intrusion que représente l'arrêt au hasard effectué afin de procéder à un contrôle routier ponctuel en l'espèce, en ayant à l'esprit que la conduite d'un véhicule automobile est une activité autorisée et assujettie à une réglementation et à un contrôle pour des motifs de sécurité, est proportionnelle à la fin recherchée. Si l'arrêt de véhicules automobiles pour ces fins ne doit pas être sérieusement entravé, il faut éviter, à mon avis, de l'assujettir au genre de conditions ou de restrictions qui se dégagent de la jurisprudence américaine (cf. Delaware v. Prouse, 440 U.S. 648 (1979), et Little v. State, 479 A.2d 903 (Md. 1984)), qui sembleraient miner gravement son efficacité tout en ne diminuant pas sensiblement l'intrusion qui s'ensuit. Quant à la publicité, dont on a fait mention dans l'arrêt Dedman relativement au pouvoir de common law d'arrêter au hasard pour les fins visées par le programme R.I.D.E., je pense qu'on peut maintenant tenir pour acquis que le public connaît très bien l'existence de ce pouvoir d'arrêter en raison de son exercice fréquent et répandu et de sa reconnaissance par les corps législatifs.

24. Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis que l'arrêt au hasard du véhicule de l'appelant, afin de procéder à un contrôle routier ponctuel, constituait une atteinte justifiée au droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l'art. 9 de la Charte, aussi suis‑je d'avis de répondre par l'affirmative à la troisième question constitutionnelle.

V

25. La dernière question soulevée en l'espèce est de savoir si, comme le soutient l'appelant, la demande de l'agent de police, que l'appelant lui remette son permis de conduire et sa carte d'assurance pour examen, comme le requièrent les par. 19(1) du Code de la route et 3(1) de la Loi sur l'assurance‑automobile obligatoire, portait atteinte au droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti par l'art. 8 de la Charte, que voici:

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

26. L'appelant soutient que la production forcée de son permis de conduire et de sa carte d'assurance constituait une fouille au sens de l'art. 8 et que cette fouille était abusive parce qu'il n'y avait aucun critère ni aucune directive permettant de déterminer quand un automobiliste devrait être requis de remettre ces documents pour examen. À mon avis, la demande de l'agent de police, faite conformément aux dispositions législatives précitées, que l'appelant lui remette son permis de conduire et sa carte d'assurance pour examen, ne constituait pas une fouille au sens de l'art. 8, parce qu'elle ne constituait pas une atteinte à une expectative raisonnable en matière de vie privée. Cf. Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145. Il n'y a pas d'atteinte de ce genre lorsqu'une personne est requise de produire une licence ou un permis, ou une autre preuve documentaire d'un statut ou du respect de quelque exigence légale constituant une condition licite de l'exercice d'un droit ou d'un privilège. Il n'y a donc pas eu atteinte au droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives et, par conséquent, je suis d'avis de répondre par la négative à la quatrième question constitutionnelle.

27. Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de répondre ainsi aux questions constitutionnelles:

1. La proclamation non universelle de l'art. 234.1 du Code criminel du Canada supprime‑t‑elle, restreint‑elle ou enfreint‑elle le droit de l'appelant à l'égalité devant la loi prévu à l'al. 1b) de la Déclaration canadienne des droits?

Réponse: Non.

2. L'arrêt au hasard de véhicules à moteur par les policiers, conformément à une loi fédérale ou provinciale, enfreint‑il le droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l'art. 9 de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse: Oui.

3. Si la réponse à la question 2 est affirmative, une telle conduite autorisée par la loi est‑elle justifiée par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Réponse: Oui.

4. Le droit de l'appelant d'être protégé contre les fouilles et les perquisitions abusives, garanti par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, est‑il enfreint par la procédure de contrôles routiers ponctuels employée par le policier enquêteur en l'espèce?

Réponse: Non.

5. Si la réponse à la question 4 est affirmative, une telle conduite autorisée par la loi est‑elle justifiée par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Réponse: Il n'est pas nécessaire de répondre à cette question.

Pourvoi rejeté. La première question constitutionnelle reçoit une réponse négative, la seconde et la troisième, une réponse affirmative, et la quatrième, une réponse négative. Il n'est pas nécessaire de répondre à la cinquième question constitutionnelle.

Procureur de l'appelant: Irvin H. Sherman, Toronto.

Procureur de l'intimée: Le ministère du Procureur général, Toronto.

Procureur de l'intervenant: Frank Iacobucci, Ottawa.


Synthèse
Référence neutre : [1988] 1 R.C.S. 621 ?
Date de la décision : 28/04/1988
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté. La première question constitutionnelle reçoit une réponse négative, la seconde et la troisième, une réponse affirmative, et la quatrième, une réponse négative. Il n'est pas nécessaire de répondre à la cinquième question constitutionnelle

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Détention arbitraire - Arrêt au hasard de véhicules automobiles afin de vérifier les permis de conduire et la preuve d'assurance, l'état mécanique des véhicules et la sobriété des conducteurs - Arrêt autorisé par la loi - Choix des véhicules devant être arrêtés laissé à la discrétion de l'agent de police - Y a‑t‑il détention? - Y a‑t‑il détention arbitraire? - Dans l'affirmative, est‑elle justifiée en vertu de l'article premier de la Charte? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 9 - Code de la route, L.R.O. 1980, chap. 198, art. 19(1), 30a, 189a(1), (2), mod. - Loi sur l'assurance‑automobile obligatoire, L.R.O. 1980, chap. 83, art. 3(1).

Droit constitutionnel - Charte des droits - Fouille abusive - Arrêt au hasard de véhicules automobiles afin de vérifier les permis de conduire et la preuve d'assurance - Présentation forcée du permis de conduire et de la carte d'assurance pour examen - Y a‑t‑il fouille? - Dans l'affirmative, s'agit‑il d'une fouille abusive? - Dans l'affirmative, est‑elle justifiée en vertu de l'article premier de la Charte? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 8 - Code de la route, L.R.O. 1980, chap. 198, art. 19(1), 30a, 189a, mod. - Loi sur l'assurance‑automobile obligatoire, L.R.O. 1980, chap. 83, art. 3(1).

Droit criminel — Refus de fournir un échantillon d'haleine pour fin d'alcootest — Arrêt au hasard de véhicules automobiles afin de vérifier les permis de conduire et la preuve d'assurance, l'état mécanique des véhicules et la sobriété des conducteurs — L'arrêt au hasard pour les fins de la procédure de contrôles routiers ponctuels porte‑t‑il atteinte au droit à la protection contre la détention arbitraire? — Dans l'affirmative, est‑il justifié en vertu de l'article premier de la Charte? — La vérification ponctuelle des permis de conduire et de la preuve d'assurance porte‑t‑elle atteinte au droit à la protection contre les fouilles et les perquisitions abusives? — Dans l'affirmative, est‑elle justifiée en vertu de l'article premier de la Charte? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 8, 9 — Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 234.1, mod. — Code de la route, L.R.O. 1980, chap. 198, art. 19(1), 30a, 189a, mod. — Loi sur l'assurance‑automobile obligatoire, L.R.O. 1980, chap. 83, art. 3(1).

Droit criminel - Droit constitutionnel - Déclaration canadienne des droits - Égalité devant la loi - Alcootest obligatoire - Disposition du Code criminel non proclamée dans toutes les provinces - La proclamation et l'application non universelles portent‑elles atteinte au droit à l'égalité devant la loi? - Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III, art. 1b) - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 234.1, mod.

Un agent de police a, au hasard, demandé à l'appelant de s'arrêter pour un contrôle routier ponctuel; il n'y avait rien eu d'inhabituel dans sa façon de conduire. Les contrôles routiers ponctuels avaient pour but de vérifier les permis de conduire, les assurances, l'état mécanique des voitures et la sobriété des conducteurs, avec comme unique directive d'utiliser au moins une voiture de police identifiée comme telle pour effectuer ces contrôles. Il n'y avait pas de critère, de norme, de directive ou de procédure à suivre pour décider quel véhicule serait arrêté. Cela était laissé à la discrétion de l'agent de police.

L'agent a demandé à voir le permis de conduire de l'appelant et une preuve d'assurance et a vérifié s'ils étaient valides. Ayant décelé une odeur d'alcool exhalée par l'appelant et constaté une légère hésitation dans son élocution, l'agent a demandé à l'appelant de le suivre jusqu'à sa voiture où il lui a formellement demandé de fournir un échantillon d'haleine pour fin d'alcootest. Suite au refus de l'appelant d'obtempérer à cette sommation, l'agent l'a avisé qu'il serait accusé de refus de fournir un échantillon d'haleine et l'a informé de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat. L'article 234.1 du Code criminel était en vigueur en Ontario à l'époque, mais il n'avait pas été proclamé en Colombie‑Britannique ni au Québec.

En Cour provinciale, l'appelant a été reconnu coupable de refus d'obtempérer à la sommation de l'agent, contrairement au par. 234.1(2) du Code criminel. La Cour de comté et la Cour d'appel ont toutes les deux confirmé ce verdict. Voici les points litigieux visés par les questions constitutionnelles formulées par la Cour: (1) La proclamation non universelle de l'art. 234.1 du Code criminel porte‑t‑elle atteinte au droit à l'égalité devant la loi reconnu par l'al. 1b) de la Déclaration canadienne des droits? (2) L'arrêt au hasard de véhicules à moteur par les policiers, conformément à une loi fédérale ou provinciale, enfreint‑il le droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l'art. 9 de la Charte canadienne des droits et libertés? (3) Dans l'affirmative, une telle conduite autorisée par la loi est‑elle justifiée par l'article premier de la Charte? (4) Le droit à la protection contre les fouilles et les perquisitions abusives, garanti par l'art. 8 de la Charte, est‑il enfreint par la procédure de "contrôles routiers ponctuels"? (5) Dans l'affirmative, une telle conduite autorisée par la loi est‑elle justifiée par l'article premier de la Charte?

Arrêt: Le pourvoi est rejeté. La première question constitutionnelle reçoit une réponse négative, la seconde et la troisième, une réponse affirmative, et la quatrième, une réponse négative. Il n'est pas nécessaire de répondre à la cinquième question constitutionnelle.

Dans l'arrêt R. c. Cornell, on a jugé que la proclamation non universelle de l'ancien art. 234.1 du Code criminel n'enfreignait pas le droit à l'égalité devant la loi reconnu par l'al. 1b) de la Déclaration canadienne des droits.

L'arrêt au hasard du véhicule de l'appelant pour les fins d'un contrôle routier ponctuel, quoique d'une durée relativement brève, a entraîné la détention de l'appelant, au sens de l'art. 9 de la Charte. En arrêtant des véhicules au hasard, l'agent de police a restreint la liberté d'action de l'appelant au moyen d'une sommation ou d'un ordre qui pourrait avoir des conséquences sérieuses sur le plan juridique, et il y avait une responsabilité pénale en cas de refus d'obtempérer à la sommation ou à l'ordre.

Il y a eu détention arbitraire de l'appelant, au sens de l'art. 9 de la Charte, par suite de l'arrêt au hasard de son véhicule afin de procéder à un contrôle routier ponctuel. Même si l'arrêt était autorisé par la loi et exécuté pour des fins légitimes, il n'y avait aucun critère de sélection des conducteurs à qui on demanderait de s'arrêter et de se soumettre au contrôle routier ponctuel. La sélection était laissée à l'entière discrétion de l'agent de police. Un pouvoir discrétionnaire est arbitraire s'il n'y a pas de critère, exprès ou tacite, qui en régit l'exercice.

Une restriction, prescrite par une règle de droit, au droit à la protection contre la détention arbitraire résulte implicitement des termes du par. 189a(1) du Code de la route. Vu l'importance de la sécurité routière et du rôle qu'est appelé à jouer à ce sujet le pouvoir d'arrêter au hasard afin d'accroître tant la détection que la perception du risque de détection des infractions à la circulation automobile, dont plusieurs sont indétectables par la simple observation de la façon de conduire, la restriction que le par. 189a(1) du Code de la route impose au droit à la protection contre la détention arbitraire est raisonnable et sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, au sens de l'article premier de la Charte. De par sa nature et son degré, l'intrusion que représente l'arrêt au hasard effectué afin de procéder à un contrôle routier ponctuel, en ayant à l'esprit que la conduite d'un véhicule automobile est une activité autorisée et assujettie à une réglementation et à un contrôle pour des motifs de sécurité, est proportionnelle à la fin recherchée. Si l'arrêt de véhicules automobiles pour ces fins ne doit pas être sérieusement entravé, il faut éviter de l'assujettir au genre de conditions ou de restrictions qui se dégagent de la jurisprudence américaine, qui sembleraient miner gravement son efficacité tout en ne diminuant pas sensiblement l'intrusion qui s'ensuit. Quant à la publicité, on peut maintenant tenir pour acquis que le public connaît très bien l'existence de ce pouvoir d'arrêter en raison de son exercice fréquent et répandu et de sa reconnaissance par les corps législatifs. L'arrêt au hasard du véhicule de l'appelant, afin de procéder à un contrôle routier ponctuel, constituait une atteinte justifiée au droit à la protection contre la détention arbitraire.

La demande de l'agent de police, faite conformément à des dispositions législatives, que l'appelant lui remette son permis de conduire et sa carte d'assurance pour examen, ne constituait pas une fouille au sens de l'art. 8 de la Charte, parce qu'elle ne constituait pas une atteinte à une expectative raisonnable en matière de vie privée. Il n'y a pas d'atteinte de ce genre lorsqu'une personne est requise de produire une licence ou un permis, ou une autre preuve documentaire d'un statut ou du respect de quelque exigence légale constituant une condition licite de l'exercice d'un droit ou d'un privilège.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Hufsky

Références :

Jurisprudence
Arrêts appliqués: R. c. Cornell, [1988] 1 R.C.S. 461
R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613
R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713
arrêts mentionnés: Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2
R. v. Seo (1986), 25 C.C.C. (3d) 385
Delaware v. Prouse, 440 U.S. 648 (1979)
Little v. State, 479 A.2d 903 (Md. 1984)
Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 8, 9.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 234.1(1), (2), 235(1).
Code de la route, L.R.O. 1980, chap. 198, art. 19(1), 30a(1), 189a(1), (2).
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III, art. 1b).
Highway Traffic Amendment Act, 1981 (No. 3), S.O. 1981, chap. 72, art. 1, 2.
Loi de 1975 modifiant le droit criminel, S.C. 1974‑75‑76, chap. 93, art. 102(3).
Loi sur l'assurance‑automobile obligatoire, L.R.O. 1980, chap. 83, art. 3(1).

Proposition de citation de la décision: R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621 (28 avril 1988)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1988-04-28;.1988..1.r.c.s..621 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award