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26/05/1988 | CANADA | N°[1988]_1_R.C.S._996

Canada | Northern Telecom Ltée c. Cormier, [1988] 1 R.C.S. 996 (26 mai 1988)


northern telecom ltée c. cormier, [1988] 1 R.C.S. 996

Communauté urbaine de Montréal et Robert Charbonneau Appelants

c.

Northern Telecom Limitée Intimée

et

Cité de Lachine et Conrad Cormier Mis en cause

répertorié: northern telecom ltée c. cormier

No du greffe: 19862.

1988: 4, 5 février; 1988: 26 mai.

Présents: Les juges Beetz, Lamer, Le Dain, La Forest et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1986] R.D.J. 147, qui a infirmé un ju

gement de la Cour supérieure1, qui avait refusé la délivrance d'un bref d'évocation. Pourvoi accueilli.

1 C.S. Mtl., no 500‑05‑005...

northern telecom ltée c. cormier, [1988] 1 R.C.S. 996

Communauté urbaine de Montréal et Robert Charbonneau Appelants

c.

Northern Telecom Limitée Intimée

et

Cité de Lachine et Conrad Cormier Mis en cause

répertorié: northern telecom ltée c. cormier

No du greffe: 19862.

1988: 4, 5 février; 1988: 26 mai.

Présents: Les juges Beetz, Lamer, Le Dain, La Forest et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1986] R.D.J. 147, qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure1, qui avait refusé la délivrance d'un bref d'évocation. Pourvoi accueilli.

1 C.S. Mtl., no 500‑05‑005803‑810, le 18 janvier 1983.

Gérard Beaupré, c.r., et Bernard Taillefert, pour les appelants.

Jean‑Marie Pâquet, pour l'intimée.

Yvon Denault, pour la mise en cause la cité de Lachine.

Le jugement de la Cour a été rendu par

1. Le juge L'Heureux‑Dubé—Ce litige met en jeu l'interprétation de divers articles de la Loi sur la fiscalité municipale, L.R.Q., chap. F‑2.1, introduite par la Loi sur la fiscalité municipale et modifiant certaines dispositions législatives, L.Q. 1979, chap. 72 ("la Loi"), sanctionnée et entrée en vigueur le 21 décembre 1979 et prenant effet à partir du ler janvier 1980. Cette Loi remplaçait la Loi sur l'évaluation foncière, L.Q. 1971, chap. 50, et se voulait une réforme majeure en matière de fiscalité municipale.

2. Northern Telecom Limitée ("Nortel") conteste, par voie de mandamus dirigé contre le commissaire à l'évaluation d'alors de la Communauté Urbaine de Montréal ("C.U.M.") (cette dernière mise en cause et ici appelante), l'évaluation foncière de son immeuble situé dans la cité de Lachine, aussi mise en cause. Cet immeuble fut porté au rôle d'évaluation de la C.U.M. pour la cité de Lachine pour l'année 1980 à une valeur de 19 001 600 $. Selon Nortel, cette valeur aurait dû être de 15 011 264 $ si la C.U.M. avait procédé à l'évaluation conformément aux dispositions de la Loi, d'où la requête en mandamus pour enjoindre à l'évaluateur de la C.U.M. de modifier l'inscription au rôle d'évaluation de cet immeuble pour l'année 1980. Le litige porte tant sur la nature du recours intenté par Nortel que sur l'interprétation, entre autres, de cette notion nouvelle de "proportion médiane" introduite par la Loi.

Les faits

3. Le 14 novembre 1979, l'évaluateur de la C.U.M. dépose les rôles d'évaluation de la C.U.M. pour l'année 1980, conformément à la Loi sur l'évaluation foncière, alors en vigueur, en y inscrivant les immeubles à leur valeur réelle tel que le prescrivait l'art. 8:

8. Sauf dispositions contraires de la présente loi, tous les immeubles doivent être inscrits au rôle et ils doivent l'être à leur valeur réelle...

4. Le 7 janvier 1980, Nortel reçoit de la cité de Lachine un compte de taxes provisoire et le 3 septembre 1980, le compte définitif. Ce dernier fait mention d'une valeur foncière de 19 001 600 $, de la médiane de 79 % et du facteur comparatif de 1.27. Le 19 mars 1981, Nortel adresse une mise en demeure au commissaire à l'évaluation de la C.U.M. l'enjoignant de modifier le rôle d'évaluation pour tenir compte d'améliorations de l'ordre de 61 000 $ apportées à l'immeuble (art. 174(7)), mise en demeure que l'évaluateur ignore, étant d'opinion que ces améliorations avaient peu d'incidence sur la valeur estimée (.003 %). Le 4 mai 1981, la requête pour délivrance d'un bref de mandamus est signifiée. Elle est reçue le 8 juin 1981 suivant la procédure en deux étapes alors prévue au Code de procédure civile (art. 834 et suiv.), procédure depuis lors modifiée, et l'affaire est instruite le 18 janvier 1983.

5. La conclusion b), ici pertinente, de la requête pour délivrance du bref de mandamus, se lit:

b) ENJOINDRE à l'intimé de modifier selon les dispositions de la Loi sur la fiscalité municipale l'inscription de la valeur de l'immeuble de la requérante au rôle d'évaluation de la mise‑en‑cause Cité de Lachine pour son exercice financier 1980 sous le numéro de rôle 007367‑00 selon les dispositions des articles 531 et 174, paragraphe 7 et 175 et suivants de la Loi sur la fiscalité municipale;

Les jugements

1. La Cour supérieure

6. Saisie du fond de la requête, la Cour supérieure l'a rejetée à l'audience essentiellement pour les motifs qu'après analyse de la preuve, les améliorations minimes faites à l'immeuble sans l'obtention d'un permis de construction, si tant qu'elles aient été des améliorations de nature immobilière, ne pouvaient affecter la valeur de l'immeuble et en conséquence ne nécessitaient pas de modifications du rôle. Par ailleurs, il a estimé que le mandamus n'était pas la procédure appropriée pour obtenir le redressement recherché au regard des art. 531, 174 et 175 de la Loi et que le forum était le Bureau de révision de l'évaluation foncière du Québec (B.R.E.F.) chargé de l'examen des plaintes portées en vertu des art. 124 et suiv. de la Loi.

7. Le juge de la Cour supérieure a été d'avis que Nortel "tente de faire revivre par un mandamus, un droit qui est éteint [. . .] droit d'appel qu'elle a laissé, par mégarde, prescrire" et il a conclu:

...la Cour est d'opinion que l'évaluateur a exercé sa discrétion, a pris connaissance des dispositions de la loi et pris sa décision en ne modifiant pas l'évaluation parce que, selon son opinion à titre d'évaluateur, il n'avait pas à le faire. Décision, peut‑être contestable, mais qui aurait dû faire l'objet d'une contestation devant un autre forum.

2. La Cour d'appel

8. Le juge Jacques, qui rend le jugement unanime de la Cour d'appel, [1986] R.D.J. 147 (les juges Bisson, Jacques et LeBel), ne discute que de la seule question qui a fait l'objet de l'appel à la p. 148:

La valeur de 19 001 600 $ inscrite au rôle représente la valeur réelle de l'immeuble. Et la proportion médiane applicable pour l'exercice financier 1980 a été établie à 79 %. L'appelante demande en conséquence que la valeur inscrite soit 15 011 264 $.

L'appelante soumet que le commissaire avait le devoir de modifier d'office l'inscription pour tenir compte de la proportion médiane, suivant le premier alinéa de l'article 531 de la Loi:

531. Avant le 15 septembre 1980, un rôle d'évaluation foncière ou un rôle de la valeur locative visé à l'article 530 doit être modifié conformément au chapitre XV pour tenir compte des dispositions de la présente loi qui lui sont applicables et qui diffèrent de celles de la Loi sur l'évaluation foncière.

(. . .)

(soulignement ajouté)

La disposition particulière de la Loi applicable à l'inscription de l'immeuble de l'appelante qui est différente de celles de la loi antérieure est le deuxième alinéa de l'article 42:

"Les valeurs inscrites au rôle d'une corporation municipale doivent, dans l'ensemble, tendre à représenter une même proportion des valeurs réelles des unités d'évaluation."

Cet alinéa prévoit l'application de la proportion médiane dont la mise en oeuvre est prévue à l'article 264. Cette proportion est la proportion médiane de la valeur foncière réelle des unités d'évaluation (soit un immeuble complet) qui correspond aux valeurs inscrites au rôle, c'est‑à‑dire que la valeur inscrite de tous les immeubles doit représenter une même proportion de leur valeur réelle respective. [Je souligne.]

Pour conclure aux pp. 148 et 149:

Je suis d'avis que l'article 531 imposait au commissaire le devoir de modifier le rôle d'office.

À défaut par le commissaire de s'y conformer, il y a illégalité qui donne ouverture au recours extraordinaire prévu à l'article 844 du Code de procédure civile.

Les mots "doit être modifiée" utilisés à l'article 531 indiquent une obligation "absolue". Cette interprétation est conforme à l'article 51 de la Loi d'interprétation, L.R.Q., chap. I‑16, qui édicte que "chaque fois qu'il est prescrit qu'une chose [. . .] doit être faite, l'obligation de l'accomplir est absolue".

De plus, le contexte de la Loi supporte cette interprétation. L'article 496 édictant que la Loi a effet à compter de l'exercice financier de 1980, il était nécessaire qu'une disposition transitoire prévoit que les rôles déposés en vertu de la législation antérieure soient rendus conformes aux nouvelles dispositions. L'article 531 accorde jusqu'au 15 septembre 1980 pour ce faire et la Loi retarde en conséquence de trois mois les délais relatifs au budget (article 534), prévoit l'envoi de comptes provisoires (article 537) et enfin, interdit le recours en cassation ou en nullité du rôle fait et déposé conformément à la législation antérieure pour le motif qu'il n'est pas conforme à la nouvelle Loi (article 530).

Questions en litige

9. Devant notre Cour, l'appelante (la C.U.M. et son commissaire à l'évaluation) formule ainsi les points d'appel:

1) La Cour d'appel a erré en droit en interprétant l'article 531 de la Loi comme obligeant l'évaluateur de la Communauté urbaine de Montréal à réduire, au rôle d'évaluation foncière pour l'exercise (sic) 1980, l'évaluation de l'immeuble de l'intimée à la proportion médiane;

2) La Cour d'appel a erré en droit en intervenant dans l'exercise (sic) de la discrétion de la Cour supérieure;

3) La Cour d'appel a erré en droit en décidant qu'il y a ouverture au "mandamus" dès qu'une illégalité a été commise, méconnaissant ainsi le caractère discrétionnaire du recours en mandamus;

10. Avant d'aborder le vif du sujet, il me paraît nécessaire de rappeler le contexte dans lequel s'inscrit cette nouvelle législation sur la fiscalité municipale, ce qui aura l'avantage d'en mieux faire saisir l'objet et d'en faciliter d'autant l'interprétation.

Contexte législatif

11. L'adoption, le 21 décembre 1979, du projet de loi 57 sur la fiscalité municipale constituait l'aboutissement d'une réforme plus globale de la fiscalité au Québec, annoncée quelque dizaines d'années auparavant, et qui avait donné lieu, entre autres, à la Commission royale d'enquête sur la fiscalité. Le rapport Bélanger, du nom de son président, livré en 1965, proposait une réforme en profondeur axée sur l'équité fiscale dans tous les domaines de la fiscalité, dont la fiscalité municipale (Rapport de la Commission royale d'enquête sur la fiscalité (1965)). En 1971 était adoptée la Loi sur l'évaluation foncière, modifiée à plusieurs reprises avant l'adoption, quelque huit ans plus tard, de la Loi. Cette dernière effectuait une refonte complète de la loi précédente dans le cadre de la réforme sur la fiscalité municipale.

12. Je passerai sous silence certains aspects de cette réforme, notamment l'intégrité et l'élargissement de l'assiette fiscale, pour ne m'attarder qu'aux modifications relatives à l'évaluation foncière, ici au coeur du débat.

13. L'impôt foncier existe au Québec depuis près de deux siècles et sa pierre angulaire est la valeur réelle des immeubles. Le rôle d'évaluation y joue également un rôle primordial tel que l'explique Claude Caumartin, "Certains aspects techniques" dans La réforme de la fiscalité municipale, Formation permanente du Barreau du Québec, cours 51, 1979‑80, p. 63, à la p. 66:

Le rôle d'évaluation ne fait pas la taxe. C'est un instrument de partage des charges financières qui découlent des budgets municipaux. Dans la mesure où le rôle est équitable, chaque contribuable assume sa juste part de responsabilité financière. C'est là en fait où se trouve le drame de la fiscalité municipale.

14. Depuis nombre d'années, de multiples facteurs avaient contribué à débalancer la fiscalité municipale: une demande toujours croissante de services municipaux entraînant une augmentation considérable des subventions gouvernementales au détriment de l'autonomie des municipalités, les aléas du marché de l'immobilier, l'inflation sans précédent et l'augmentation inégale de valeur d'une catégorie d'immeubles par rapport à une autre. D'autre part, les rôles d'évaluation n'avaient pas été refaits sur une base régulière mais, la plupart du temps, simplement tenus à jour à l'aide d'indices de redressement sans que les taux de croissance des diverses catégories d'immeubles n'y soient reflétés. Lors de la confection de nouveaux rôles, il était à craindre qu'un transfert massif des charges fiscales sur certaines catégories d'immeubles ne s'opère au profit d'autres catégories (Caumartin, loc. cit., à la p. 65). Ce même auteur commente un autre aspect de la réforme à la p. 66:

Du côté des contribuables, les règles actuelles de la fiscalité foncière veulent que la charge qui découle du budget soit répartie au prorata des valeurs foncières. Or la valeur foncière ne découle pas nécessairement de la volonté d'un seul propriétaire mais bien plutôt de l'ensemble des activités économiques survenues dans un territoire donné.

15. Par ailleurs, en vertu de l'art. 69 de la Loi sur l'évaluation foncière, le B.R.E.F. devait tenir compte de l'art. 8 de cette loi qui prescrivait que tous les immeubles devaient être inscrits à "leur valeur réelle". Par suite du fait que certains immeubles comparables étaient inscrits au rôle à une valeur inférieure, il en résultait un déséquilibre dans la répartition du fardeau fiscal, déséquilibre que le B.R.E.F. était impuissant à corriger. Le seul remède consistait en une requête en cassation ou une action en nullité du rôle d'évaluation. La Loi a voulu corriger ces diverses anomalies.

La Loi

16. L'évaluation foncière est à la base d'une répartition équitable de toutes les charges fiscales municipales. La Loi introduit le principe de l'équité entre les diverses évaluations foncières en adoptant une attitude plus réaliste quant à la valeur des immeubles inscrits au rôle d'évaluation, d'une part, et d'autre part, en prescrivant que tous les immeubles doivent être évalués au même niveau par rapport à leur valeur réelle (Jean‑Marie Pâquet, "Les aspects juridiques", dans La réforme de la fiscalité municipale, op. cit., p. 21, à la p. 33). Ces principes sont formulés à l'art. 42 de la Loi tel qu'il se lisait à l'époque du présent litige:

42. Le rôle indique la valeur de chaque unité d'évaluation, sur la base de sa valeur réelle.

Les valeurs inscrites au rôle doivent, à l'égard de l'ensemble des unités d'évaluation qui y sont inscrites, représenter une même proportion de la valeur réelle de cet ensemble.

Cet article fut modifié en 1983 (Loi modifiant des dispositions législatives concernant les municipalités, L.Q. 1983, chap. 57, art. 110):

42. Le rôle indique la valeur de chaque unité d'évaluation, sur la base de sa valeur réelle.

Les valeurs inscrites au rôle d'une corporation municipale doivent, dans l'ensemble, tendre à représenter une même proportion des valeurs réelles des unités d'évaluation.

Aucune requête ou action en cassation ou en nullité ne peut être intentée à l'égard du rôle ou de l'une de ses inscriptions pour le motif d'une contravention au deuxième alinéa.

17. Cette modification, qui n'était pas en vigueur lors de l'institution des procédures en l'espèce, n'a toutefois pas d'incidence sur le présent litige. Si j'y réfère à l'occasion c'est uniquement pour fins de clarification et souci de précision.

18. Comme je l'ai déjà mentionné, antérieurement, en vertu de l'art. 8 de la Loi sur l'évaluation foncière, les immeubles devaient être portés au rôle à leur valeur réelle (la notion de valeur réelle, maintenant définie aux art. 43 à 46 de la Loi, ne fait pas l'objet du présent débat). On sait qu'en pratique tel n'était pas le cas. Les rôles d'évaluations foncières représentaient rarement la valeur réelle des immeubles y inscrits, particulièrement dans les années subséquentes à la confection du rôle alors que le même rôle, corrigé et amendé conformément à la Loi mais non refait en entier, servait pour les années subséquentes. Le législateur a sans doute voulu s'ajuster à la réalité puisqu'il n'en est plus ainsi maintenant. Conformément au premier alinéa de l'art. 42 de la Loi, c'est sur "la base de sa valeur réelle", valeur réelle telle que définie aux art. 43 et suiv. de la Loi, que la valeur des immeubles est portée au rôle. Il suffit que la valeur inscrite au rôle représente ou, depuis la modification de 1983, tende à représenter, une proportion de la valeur réelle, proportion qui peut être soit inférieure, soit même supérieure à la valeur réelle mais qui doit être uniforme pour tous les immeubles portés au rôle (Jacques L'Heureux, Droit municipal québécois (1984), t. II, à la p. 388).

19. En vertu du deuxième alinéa de l'art. 42 de la Loi, en effet, le législateur a voulu s'assurer que tous les contribuables soient traités sur un pied d'égalité. La valeur inscrite au rôle de chaque immeuble (unité d'évaluation) doit représenter une "même proportion de la valeur réelle" par rapport à l'ensemble des unités d'évaluation portées au rôle. C'est l'expression "même proportion de la valeur réelle" qui est au coeur du présent litige et j'y reviendrai. Pour le moment, il suffit de référer au mécanisme prévu à la Loi à cette fin:

264. En même temps qu'il dépose le rôle d'évaluation foncière ou le rôle de la valeur locative d'une corporation municipale, l'évaluateur indique à quelle proportion médiane de la valeur foncière réelle des unités d'évaluation, ou de la valeur locative réelle des places d'affaires ou des locaux, correspondent les valeurs inscrites. L'évaluateur indique également le facteur comparatif du rôle qui est l'inverse de la proportion médiane mesurée conformément au présent alinéa.

L'évaluateur communique par écrit au ministre la proportion médiane et le facteur qu'il a établis.

La corporation municipale peut demander au ministre d'établir la proportion médiane et le facteur de son rôle, à la place de l'évaluateur.

Sur réception de la proportion médiane et du facteur mesurés par l'évaluateur, le ministre les approuve, sous réserve du cinquième alinéa; ils sont alors censés avoir été établis par lui.

Si la proportion médiane mesurée par l'évaluateur diffère de plus de 2,5 % de celle mesurée par le ministre à l'égard du même rôle, cette dernière, ainsi que le facteur comparatif correspondant, prévalent.

Le règlement adopté en vertu du paragraphe 5o de l'article 263 s'applique lorsque l'évaluateur ou le ministre établit la proportion médiane visée au premier alinéa.

Le ministre communique par écrit la proportion et le facteur établis en vertu du présent article à la corporation municipale et à la municipalité intéressée.

La proportion et le facteur figurent sur le compte de taxes foncières municipales ou scolaires ou sur le compte de taxes d'affaires, selon le cas. [Je souligne.]

20. Cet article a été modifié à plusieurs reprises mais, pour les fins du présent débat, il suffit de reproduire les modifications introduites en 1980, rétroagissant au 1er janvier 1980 (Loi modifiant certaines dispositions législatives concernant les municipalités, L.Q. 1980, chap. 34, art. 50 et 76):

50. L'article 264 de cette loi, modifié par l'article 133 du chapitre 11 des lois de 1980, est de nouveau modifié par l'insertion, après le cinquième alinéa, du suivant:

"Si le 1er novembre l'évaluateur n'a pas communiqué par écrit au ministre la proportion médiane et le facteur du rôle, le ministre peut établir cette proportion médiane et ce facteur à sa place. Toutefois, l'évaluateur peut remédier à son défaut tant que le ministre ne s'est pas conformé au huitième alinéa."

76. Les articles 12, 13, 19, 20, 25, 27 à 30, 33 à 51, 54, 55, 57, 58 et 60 à 68, ainsi que l'article 579.1 de la Loi sur la fiscalité municipale et modifiant certaines dispositions législatives édicté par l'article 59, ont effet depuis le ler janvier 1980.

Le premier alinéa n'affecte pas une décision ou un jugement rendu ou une cause pendante au 27 novembre 1980.

21. L'article 147, qui référait à l'époque à l'art. 42, se lisait comme suit:

147. Lorsqu'il décide d'une plainte relative à la valeur inscrite au rôle d'une unité d'évaluation, le Bureau fixe la valeur à inscrire en déterminant la valeur réelle de l'unité d'évaluation conformément aux articles 43 à 46 et en appliquant la règle prévue par le deuxième alinéa de l'article 42, sous réserve des articles 47 à 54.

À cette fin, le Bureau peut fixer une valeur inférieure ou supérieure à celles proposées par les parties. [Je souligne.]

22. Il a été modifié depuis, notamment en 1983 par l'art. 116 de la Loi modifiant des dispositions législatives concernant les municipalités pour se lire:

147. Lorsqu'il décide d'une plainte relative à la valeur inscrite au rôle d'une unité d'évaluation et qu'il juge que cette valeur doit être modifiée pour éviter un préjudice réel, le Bureau fixe la valeur à inscrire en divisant la valeur réelle de l'unité d'évaluation qu'il a établie conformément aux articles 43 à 46 par le facteur du rôle déterminé en vertu de l'article 264, sous réserve des articles 47 à 54.

À cette fin, le Bureau peut fixer une valeur inférieure ou supérieure à celles proposées par les parties. [Je souligne.]

23. La définition de "proportion médiane" à laquelle réfère l'art. 264 de la Loi, se retrouve au Règlement sur les règles permettant de déterminer à quelle proportion médiane de la valeur foncière réelle des unités d'évaluation correspondent les valeurs inscrites au rôle d'évaluation foncière, R.R.Q. 1981, chap. F‑2.1, r. 11, en vigueur le 11 mars 1980 et remplacé le 31 août 1983. L'article 1 de ce Règlement, adopté sous l'autorité du par. 5 de l'art. 263 de la Loi, se lit comme suit:

1. La proportion médiane de la valeur foncière réelle des unités d'évaluation à laquelle correspondent les valeurs inscrites au rôle d'évaluation foncière d'une corporation municipale est la médiane des quotients obtenus en divisant, par le prix de vente, la valeur inscrite au rôle d'évaluation foncière de chaque unité ayant fait l'objet d'une vente retenue au sens de l'article 3 ou 4. Cette médiane est exprimée en pourcentage. [Je souligne.]

24. La méthode de calcul détaillée aux autres articles du Règlement est mieux expliquée et illustrée dans ce commentaire de Jean‑Pierre Lortie, Loi sur la fiscalité municipale, étude analytique et comparative (1980), aux pp. 16 et 17:

La proportion médiane de la valeur foncière réelle des unités d'évaluation à laquelle correspondent les valeurs inscrites au rôle d'évaluation foncière d'une corporation municipale est la médiane des quotients obtenus en divisant, par leur prix de vente, la valeur inscrite au rôle d'évaluation foncière de chaque unité ayant fait l'objet d'une vente retenue conformément à certains critères. Le facteur comparatif du rôle quant à lui est l'inverse de la proportion médiane.

Illustrons à l'aide d'un exemple: voici le rapport évaluation/vente de cinq unités d'évaluation et le ratio en pourcentage.

1) 30,000/50,000 60%

2) 35,000/40,000 90%

3) 40,000/90,000 40%

4) 300,000/700,000 40%

5) 60,000/72,000 80%

La proportion médiane serait de 60%. Le facteur est établi de la façon suivante:

100 c.a.d. 100% = 1.66

proportion médiane 60%

La valeur uniformisée est donc la valeur inscrite au rôle, multipliée par ledit facteur.

C'est à l'évaluateur qu'incombe d'indiquer la proportion médiane ainsi que le facteur comparatif du rôle. Cependant, la corporation municipale peut demander au ministre de calculer la proportion médiane et le facteur de son rôle, à la place de l'évaluateur (art. 264 L.F.M.). [Je souligne.]

25. Selon la Loi, et ceci est nouveau, trois données essentielles devaient apparaître à l'avis d'évaluation ou au compte de taxe qui en tient lieu: la valeur inscrite au rôle, la proportion médiane et le facteur comparatif. Ceci découlait, pour l'année 1980, de l'art. 527 de la Loi, "Jusqu'à ce que le règlement visé aux sous‑paragraphes a et b du paragraphe 2o de l'article 263 entre en vigueur . . .» Le 9 décembre 1980 est entré en vigueur le Règlement sur le contenu minimal de l'avis d'évaluation et des comptes de taxes municipales, R.R.Q. 1981, chap. F‑2.1, r. 1, qui comportait la même exigence que l'art. 527 quant aux données énumérées plus haut. (Ce règlement fut remplacé depuis par le Règlement sur la forme ou le contenu minimal de divers documents relatifs à l'évaluation et à la fiscalité municipales, A.M., 26 octobre 1983, (1983) 115 G.O. II 4301).

26. La valeur inscrite au rôle correspond à un certain pourcentage de la valeur réelle. Ce pourcentage est reflété par la proportion médiane. Ces données permettent au contribuable d'être en mesure de déterminer la justesse de l'évaluation de son unité d'évaluation. À cette fin, le contribuable multiplie la valeur inscrite au rôle par l'inverse de la proportion médiane, le facteur comparatif. Il obtient ainsi la valeur totale uniformisée qui est censée représenter la valeur réelle de son unité d'évaluation. Cette valeur lui permet de déterminer s'il est évalué au même niveau que les autres contribuables de sa municipalité et de décider s'il doit ou non contester l'évaluation. Depuis 1985, le contribuable n'a plus à effectuer ce calcul puisqu'en plus des trois données énumérées ci‑dessus, la valeur totale uniformisée doit aussi être inscrite sur l'avis d'évaluation ou sur le compte de taxes en tenant lieu (Règlement modifiant le Règlement sur la forme ou le contenu minimal de divers documents relatifs à l'évaluation et à la fiscalité municipales, A.M., 14 novembre 1984, (1984) 116 G.O. II 5476). Donc, si la valeur totale uniformisée est supérieure à ce que le contribuable considère être la valeur réelle de son immeuble, il peut loger une plainte au B.R.E.F.

27. Si l'article 42 de la Loi énonce les principes qui doivent servir de guides dans la confection des rôles d'évaluations foncières, l'art. 264 en précise le mécanisme d'application. Selon ce dernier article, il appartient à l'évaluateur d'indiquer la proportion médiane et le facteur comparatif du rôle lorsqu'il dépose le rôle. La question ici est de déterminer si, dans la confection du rôle, l'évaluateur doit tenir compte de cette proportion médiane ou, autrement dit, confectionner son rôle sur la base de la proportion médiane. On voit tout de suite que le terme "proportion" aux art. 42 et 264 de la Loi est à l'origine de la confusion. Avant d'en traiter, cependant, il y a lieu d'examiner les dispositions transitoires qui se retrouvent à la Loi, dispositions qui ont une certaine incidence sur le présent litige qui est survenu pendant cette période de transition.

Les dispositions transitoires

28. La Loi, sanctionnée en 1979, s'appliquait en vertu de l'art. 496 à partir du ler janvier 1980. Comme, à cette date, les rôles d'évaluation pour l'année 1980 étaient généralement déposés, ce qui était le cas pour la C.U.M. à l'égard de la cité de Lachine, la Loi prévoyait que ces rôles étaient valables (art. 530) mais qu'ils devaient, avant le 15 septembre 1980, être modifiés, avec effet rétroactif au ler janvier 1980, pour tenir compte des dispositions de la Loi différentes de celles de la Loi sur l'évaluation foncière (art. 531) et elle suspendait toute contestation de ce rôle pendant une certaine période à cette fin (art. 550):

496. Sauf s'il y est autrement prévu, la présente loi a effet aux fins de tout exercice financier municipal à compter de celui de 1980.

530. Un rôle d'évaluation foncière ou un rôle de la valeur locative fait et déposé pour l'exercice financier municipal de 1980, conformément à la Loi sur l'évaluation foncière, est valable et ne peut être attaqué en cassation ou en nullité pour le motif qu'il n'est pas conforme à une disposition de la présente loi qui diffère de la Loi sur l'évaluation foncière.

Aux fins du présent article, le rôle de la valeur locative de la Ville de Montréal en vigueur le 21 décembre 1979 est censé avoir été fait et déposé le 15 novembre 1979 conformément à la Loi sur l'évaluation foncière pour son exercice financier de 1980.

531. Avant le 15 septembre 1980, un rôle d'évaluation foncière ou un rôle de la valeur locative visé à l'article 530 doit être modifié conformément au chapitre XV pour tenir compte des dispositions de la présente loi qui lui sont applicables et qui diffèrent de celles de la Loi sur l'évaluation foncière.

À cette fin, le mot "indûment", dans l'article 174, est interprété comme si le rôle avait dû être conforme à la présente loi lors de son entrée en vigueur.

L'effet d'une modification apportée en vertu du présent article ne peut être antérieur au 1er janvier 1980.

550. Une plainte, un recours en cassation ou un recours en nullité du rôle d'évaluation foncière ou du rôle de la valeur locative peut être exercé jusqu'à l'expiration d'un délai de soixante jours, trois mois ou un an, respectivement, après l'expédition visée à l'article 544 ou 547.

La prohibition d'attaquer un rôle en cassation ou en nullité prévue par l'article 530 ne s'applique plus à compter de cette expédition.

29. C'est sur cette toile de fond qu'il y a lieu maintenant d'examiner les prétentions des parties tant du point de vue substantif que procédural.

L'évaluation

30. L'évaluateur de la C.U.M. avait, le 14 novembre 1979, déposé les rôles d'évaluation pour l'année 1980 pour les diverses municipalités comprises dans son territoire, dont la cité de Lachine. Ce rôle avait été confectionné, comme il se devait, suivant les dispositions de la Loi sur l'évaluation foncière en vigueur à l'époque. Ceci signifie que les immeubles avaient été portés au rôle à leur valeur réelle ou du moins à ce que l'évaluateur de la C.U.M. considérait comme la valeur réelle. C'est ce que confirme le témoin André Massé, évaluateur responsable de la confection du rôle pour la cité de Lachine:

...R. D'accord, nous nous sommes penchés sur le texte de l'article cinq trente et un (531), et après de fort agréables et longues discussions, nous sommes d'opinion qu'il n'y avait pas lieu de modifier les valeurs telles qu'inscrites au rôle, suite à l'application de l'article cinq trente et un (531) comme tel.

Q. Quand vous dites: "de modifier les valeurs", toujours relativement à l'immeuble de Northern Telecom? Ou pour l'ensemble du rôle de Lachine?

...R. Pour Northern Telecom et pour l'ensemble des propriétés de Lachine.

Q. Est‑ce qu'y a été question de médiane, lors de vos discussions, monsieur Massé? La fameuse médiane.

...R. La médiane, pour un évaluateur, c'est une conséquence tout le temps. Nous préférons, si vous permettez, utiliser le mot "cible". Parce que la médiane s'établit une fois que les faits sont accomplis.

Q. Hm, hm.

...R. Et l'évaluateur ne peut déterminer au préalable la médiane. Il peut simplement essayer de viser une cible.

Q. Bon. Maintenant vous connaissez quand même l'expression "proportion médiane"?

...R. Oui, je la connais.

Q. Bon. Maintenant en rapport à l'article cinq cent trente et un (531), quelle a été la conclusion du service, là, pour l'exercice financier mil neuf cent quatre‑vingt (1980)?

...R. Qu'il n'y avait pas lieu de l'appliquer, et s'en tenir que pour l'année mil neuf cent quatre‑vingt (1980) les valeurs qui étaient déposées étaient les valeurs réelles.

31. La "cible" dont parle le témoin est, si je le comprends bien, le pourcentage de la valeur réelle d'un immeuble que vise l'évaluateur lorsqu'il confectionne son rôle, à partir de certains indices et données qui sont reconnus par les évaluateurs. Cette "cible" correspond généralement, semble‑t‑il, à la proportion médiane, qui peut ou non la confirmer a posteriori et que le ministre rectifiera s'il y a lieu (art. 264). C'est ainsi que j'interprète l'affirmation du témoin Massé que "la médiane, pour un évaluateur, c'est une conséquence tout le temps [. . . parce] que la médiane s'établit une fois que les faits sont accomplis".

32. C'est aussi en ce sens que j'interprète l'affirmation du procureur de la C.U.M. à l'audience selon laquelle l'évaluateur de la C.U.M. ne tient jamais compte de la médiane dans la confection des rôles d'évaluation des municipalités du territoire de la C.U.M., pas plus maintenant que lors de la confection du rôle pour l'année 1980.

33. L'évaluateur de la C.U.M. a donc confectionné le rôle pour l'année 1980 suivant les dispositions de la Loi sur l'évaluation foncière en vigueur à l'époque et n'a pas tenu compte, dans la confection du rôle, de la proportion médiane, étant d'opinion que l'art. 531 de la Loi ne l'obligeait pas à en tenir compte. Il faut noter cependant que tant la proportion médiane (79 %) que le facteur comparatif (l.27) apparaissent au compte de taxes définitif de Nortel, tel que le prescrivait la Loi (art. 527). De plus, toujours selon le témoignage d'André Massé, l'immeuble de Nortel a été porté au rôle d'évaluation foncière pour l'année 1980 à sa valeur réelle:

Q. En quatre‑vingt‑un ('81), on retrouve dix‑neuf millions huit cent vingt‑deux mille dollars ($19,822,000.00).

...R. C'est exact.

Q. Et cette évaluation‑là représente la valeur réelle de l'immeuble en contestation, selon votre opinion à vous?

...R. Pour quelle année, maître?

Q. Pour l'année soixante et dix‑neuf ('79) et quatre‑vingt ('80), et quatre‑vingt‑un ('81), tel qui est inscrit sur votre carte‑fiche.

...R. Soixante‑dix‑neuf ('79), quatre‑vingt ('80), elle représente la valeur réelle.

Q. Pour quatre‑vingt‑un ('81)?

...R. Ils représentent un certain pourcentage de la valeur réelle.

Q. Lequel?

...R. C'est une cible visée, puisque la médiane est une conséquence, suite au dépôt du rôle, il s'agit d'une cible visée.

Q. Alors quelle est votre cible visée en quatre‑vingt‑un ('81)?

...R. Approximativement quatre‑vingt‑dix (90).

Q. Alors quatre‑vingt‑un ('81), ça représentait quatre‑vingt‑dix pour cent (90 %) de la valeur réelle, qui est votre cible visée.

...R. C'est exact. [Je souligne.]

34. Si tel est le cas, compte tenu de la proportion médiane de 79 % et de l'inverse, 1.27, soit le facteur comparatif apparaissant au compte de taxes, la valeur réelle de l'immeuble aurait été de 24 132 032 $, calculée en multipliant la valeur portée au rôle de l'immeuble de Nortel, en 1980, soit 19 001 600 $ par le facteur comparatif de 1.27. Si cette valeur ne représentait pas, selon Nortel, la valeur réelle de cet immeuble, Nortel pouvait loger une plainte devant le B.R.E.F. conformément aux art. 124 et suiv. de la Loi, dans le délai imparti.

35. Si Nortel n'a pas déposé telle plainte en temps utile, la raison en est relatée par le juge de la Cour supérieure:

Il est important de souligner que la Cour supérieure n'est pas le bureau de révision. Il est manifeste que la requérante a omis d'en appeler de son évaluation au cours de l'année 1980. Il apparaît de la preuve qu'un appel a été logé pour l'année 1978, pour l'année 1979, et qu'un appel a également été logé pour l'année 1981, mais qu'aucun appel n'a été logé pour l'année 1980. Il est donc manifeste qu'on tente de faire revivre par un mandamus un droit qui est éteint. D'ailleurs, monsieur Bain, le représentant de la requérante, le mentionne bien honnêtement à l'interrogatoire au préalable, lorsqu'il dit au bas de la page 18:

"Bien, je pense que la raison principale c'est que, vous savez, je suis inexpérimenté, je n'ai pas demandé à nos procureurs d'interjeter un appel parce que je croyais qu'un certificat serait délivré sur le fondement du fait qu'il s'agissait de notre usine de Montréal qui comporte de nombreux socles de machines et ainsi de suite."

À cette même page 18, à une question que Me Taillefer lui pose, à savoir si, dans les faits, on ne tente pas d'obtenir un appel indirectement pour l'année 1980, monsieur Bain répond dans l'affirmative.

36. La question qui nous est posée ici n'est pas de savoir si l'immeuble Nortel a été ou non évalué à sa valeur réelle au rôle d'évaluation foncière de la C.U.M. pour l'année 1980 non plus que de déterminer quelle est cette valeur ou quelle valeur le B.R.E.F. aurait retenue dans l'éventualité où une plainte eût été déposée ni même si le délai pour le dépôt de telle plainte était ou non expiré à l'époque où les présentes procédures ont été intentées. La seule question à résoudre est de savoir si l'évaluateur de la C.U.M. a négligé ou refusé de remplir un devoir que la Loi lui imposait en ce qui concerne la valeur foncière inscrite au rôle d'évaluation de la C.U.M., de l'immeuble de Nortel dans la cité de Lachine pour l'année 1980. Dans l'affirmative, le bref émanera.

Les articles 42, 147 et 264

37. La solution du litige dépend essentiellement de l'interprétation des art. 42, 147 et 264 de la Loi tels qu'ils existaient à l'époque et que j'ai reproduits plus haut.

38. Comme je l'ai déjà souligné, l'expression "une même proportion" au deuxième alinéa de l'art. 42 de la Loi a fait l'objet de diverses interprétations. Pour l'évaluateur de la C.U.M. cette expression ne réfère aucunement à la "proportion médiane" dont parle l'art. 264 de la Loi mais vise plutôt l'uniformité d'évaluation des unités d'évaluation. Selon l'appelante la Loi permet à l'évaluateur de ne porter au rôle qu'une "proportion" de la valeur réelle des unités d'évaluation en l'obligeant toutefois à appliquer "la même proportion" à toutes les unités d'évaluation.

39. Le juge de première instance ne s'est pas prononcé à cet égard, considérant qu'il n'y avait pas lieu de substituer son opinion à la discrétion de l'évaluateur, d'autant plus que, selon lui, la Cour supérieure n'était pas le forum approprié:

L'évaluateur nous dit qu'il a considéré la proportion médiane mais que, dans son opinion, au moment où il a établi la valeur de l'immeuble de la requérante pour l'année 1980, il a considéré qu'il s'agissait de la valeur réelle telle que prévue par la Loi sur la fiscalité municipale. Était‑ce la bonne décision? La Cour n'a pas à se prononcer à ce sujet.

Il est vrai que dans le cas présent, il ne s'agit pas d'une action intentée alors qu'il existe une clause privative. Il est également vrai qu'il ne s'agit pas non plus d'un recours basé suivant l'article 33 du Code de procédure civile. Toutefois, dans le cas présent comme dans le cas de tous les brefs de prérogative, lorsque le fonctionnaire exerce sa discrétion en respectant les normes, les limites, et en agissant conformément à la loi, la Cour supérieure n'a pas à se substituer à sa décision pour la modifier si elle juge que cette décision n'a pas été la bonne dans les circonstances.

40. La Cour d'appel dispose de cet aspect du litige dans ce seul paragraphe à la p. 148:

Cet alinéa prévoit l'application de la proportion médiane dont la mise en oeuvre est prévue à l'article 264. Cette proportion est la proportion médiane de la valeur foncière réelle des unités d'évaluation (soit un immeuble complet) qui correspond aux valeurs inscrites au rôle, c'est‑à‑dire que la valeur inscrite de tous les immeubles doit représenter une même proportion de leur valeur réelle respective.

1. C.U.M. c. Dorchester Commerce Realty Ltd.

41. L'intimée s'appuie principalement et presque exclusivement sur l'arrêt Communauté urbaine de Montréal c. Dorchester Commerce Realty Ltd., [1984] C.A. 426.

42. Il est important de situer cet arrêt dans son contexte. La compagnie Dorchester Commerce Realty Ltd. avait porté plainte au B.R.E.F. contre la valeur portée au rôle de la C.U.M. de son immeuble dans la ville de Montréal pour l'année 1980. Comme le souligne l'exposé de cause auquel réfère le juge Monet de la Cour d'appel (à la p. 427):

Le seul problème soulevé par les présents appels peut se résumer comme suit: le Bureau de Révision pouvait‑il légalement et avait‑il juridiction pour appliquer aux valeurs déposées pour l'exercice 1980 la "proportion médiane" établie par le ministre des Affaires municipales et ainsi réduire les valeurs déposées.

et plus loin (à la p. 429):

Les parties sont en désaccord sur les pouvoirs de la compétence du Bureau en ce qui concerne l'application de la proportion médiane à l'évaluation (valeur imposable) des immeubles dont il s'agit.

43. La Cour d'appel a conclu que c'est avec raison que le B.R.E.F. avait tenu compte de la proportion médiane lors de l'examen de la plainte de la compagnie Dorchester. Personne aujourd'hui ne conteste cette conclusion. L'appelante exprime son accord à son mémoire en ces termes:

26. Il fallait donc que la Loi nouvelle prévoie un moyen facile, rapide et équitable permettant au contribuable et bien sûr au Bureau de révision d'établir cette proportion: ce moyen (mathématique) se nomme la "proportion médiane". Reconnaissant une fois de plus que malgré toutes les tentatives de l'évaluateur, les immeubles portés au rôle ne le sont pas tous dans la même proportion (pas plus d'ailleurs qu'ils étaient tous à leur valeur réelle sous l'ancien régime), le législateur adopte, par souci d'équité, une solution centriste: le Bureau de révision ordonnera que l'immeuble du contribuable plaignant soit porté au rôle non pas à la plus haute ni à la plus basse proportion qu'on y trouve, mais à la proportion du milieu: la médiane (art. 147 et 264). Cette fonction nouvelle du Bureau de révision a été reconnue par la Cour d'appel dans l'affaire Dorchester Commerce Realty—1984 C.A., p. 426.

44. Dans le cours de son opinion, le juge Monet a semblé approuver cet obiter du B.R.E.F. qui, rejetant la thèse de la C.U.M. pour retenir celle de Dorchester, a affirmé que "la "même proportion" de l'art. 42 est nécessairement la "proportion médiane" de l'art. 264 et que l'obligation du Bureau est d'appliquer cette dernière" (p. 432). C'est ce sur quoi s'appuie ici l'intimée.

45. Il importe de noter que le débat dans cette affaire portait sur l'interprétation de l'art. 147 tel qu'il existait à l'époque où le litige est né, soit en 1980. Cet article prévoyait alors que le B.R.E.F. devait, dans un premier temps, fixer la valeur réelle de l'unité d'évaluation et, dans un second temps, appliquer "la règle prévue par le deuxième alinéa de l'article 42". On constate facilement la difficulté que soulevait ce renvoi à l'art. 42, en particulier vu le terme "proportion" qui s'y retrouve. Donc, en 1980, saisi d'une plainte, le B.R.E.F. établissait la valeur réelle de l'immeuble dont on contestait la valeur inscrite au rôle. Afin de parvenir à l'objectif d'équité fiscale visé par la Loi, le B.R.E.F. appliquait à cette valeur réelle la proportion médiane pour ramener l'évaluation de l'immeuble au niveau du rôle. Il le faisait en interprétant le terme "proportion" de l'art. 42 de la Loi comme signifiant "proportion médiane". C'est cette interprétation que semble confirmer la Cour d'appel dans l'arrêt Dorchester Commerce Realty. Cette interprétation était favorisée par la rédaction de l'art. 147. Or, depuis, le législateur a éliminé, à l'art. 147, la référence à l'art. 42 pour lui substituer une référence à l'art. 264 qui, lui, réfère à la proportion médiane, ce qui, somme toute, réglait l'ambiguïté dans l'utilisation du terme "proportion" à l'art. 42.

46. Si tant est qu'on doive se référer à l'arrêt Dorchester Commerce Realty dans l'interprétation de l'art. 42 de la Loi, il faut, le situant dans son véritable contexte, conclure qu'il s'agit d'un obiter qui n'a pas l'autorité que lui prête l'intimée.

2. Gorham c. C.U.M.

47. L'intimée cite également l'affaire Gorham c. Communauté urbaine de Montréal, J.E. 87‑116 (C.S.) Analysant les art. 42, 43 et 46 de la Loi, le juge Durand en tire la conclusion que:

Le législateur a ainsi énoncé trois principes:

1-la valeur inscrite d'un immeuble n'est plus nécessairement sa valeur réelle;

2‑celle‑ci est établie en tenant compte des ventes qui ont effectivement eu lieu pendant une période donnée; et,

3‑ces valeurs imposables devraient, pour la plupart, se situer à peu près au même niveau par rapport aux valeurs réelles.

Par contre, si l'évaluateur n'atteint pas cette perfection, le rôle ne sera ni cassé ni annulé, car la Loi prévoit qu'un contribuable doit alors déposer une plainte au B.R.E.F., comme nous le verrons plus loin.

48. S'appuyant ensuite sur l'arrêt Dorchester Commerce Realty, précité, qu'il semble considérer comme le liant, le juge Durand affirme que "cette "même proportion des valeurs réelles" prévue à l'art. 42 est la "proportion médiane" dont nous avons parlé". Si cette affirmation semble soutenir le point de vue de l'intimée, il en va autrement de la substance du jugement. Le juge Durand dira en effet plus loin qu'il semble clair que le législateur a voulu que cette médiane soit inscrite au rôle pour deux raisons: permettre au contribuable de déterminer si l'évaluation de son immeuble est raisonnable et permettre au B.R.E.F. d'ajuster l'évaluation en tenant compte de cette proportion. Traitant des dispositions transitoires, le juge Durand explicite sa pensée:

C'est à notre avis et, à nouveau, en toute déférence pour l'opinion contraire, mal raisonner que de prétendre que l'évaluateur doive en plus appliquer cette médiane aux évaluations qu'il a déjà fixées et qui lui ont permis de la calculer. D'une part, l'article 264 ne le mentionne pas et, d'autre part, ce serait lui faire recommencer un travail qu'il a déjà fait. Prenons, par exemple, la valeur de la propriété du requérant inscrite au rôle pour l'année 1986. Avant le 15 novembre 1985, l'évaluateur a déterminé "sa valeur d'échange sur un marché libre et ouvert à la concurrence" (article 43) à la date où il l'évalue "mais en tenant compte des conditions du marché au premier janvier" 1985 (article 46), après quoi il a vérifié la liste des ventes qui ont été conclues entre le 1er juillet 1984 et le 30 juin 1985, établit la liste de celles qui sont admissibles au calcul de la médiane (règlement r. 11.1, art. 3 et 4) pour ensuite diviser la valeur qu'il a inscrite au rôle pour ces propriétés par leur prix de vente, et faire la moyenne (sic) de tous les quotients ainsi obtenus (r. 11.1, art. 1). Ce serait un non‑sens que de lui demander de réviser alors toutes les inscriptions au rôle pour s'assurer qu'elles soient toutes à la médiane car il n'agirait plus comme un évaluateur, c'est‑à‑dire une personne qui fixe approximativement la valeur de quelque chose, mais porterait jugement sur sa propre estimation et usurperait ainsi la fonction du B.R.E.F. qui est justement de faire cette vérification.

En résumé, le soussigné considère que la Loi crée, en ce qui concerne la médiane, des obligations distinctes pour chaque intervenant et que l'une n'empiète pas sur l'autre:

a‑l'évaluateur la calcule, l'indique et la transmet au ministre;

b‑celui‑ci l'approuve et la fait sienne;

c‑la municipalité l'inscrit à l'avis d'évaluation ou au compte de taxes; et,

d‑le B.R.E.F. l'applique, sans discussion, à la valeur qu'il établit pour une unité d'évaluation.

L'évaluateur n'étant pas chargé de l'application de la médiane, il ne peut, par mandamus, être contraint à le faire.

49. C'est exactement cette dernière position que soutient l'appelante devant nous. J'estime que l'appelante a raison.

3. Interprétation

50. Ni le texte des art. 42, 147 et 264 ni la logique du texte et du contexte ni l'objectif de la Loi n'appuient les prétentions de l'intimée. On ne retrouve pas à l'art. 42 de la Loi l'expression "proportion médiane" de l'art. 264 mais bien l'expression "une même proportion de la valeur réelle". Si le législateur entendait ici référer à la "proportion médiane", il lui était facile de l'exprimer clairement et ce d'autant plus qu'il s'agissait d'une notion tout à fait nouvelle dont il était à l'époque fait mention pour la première fois dans la Loi quelque deux cents articles plus loin (art. 264). Il semble beaucoup plus logique que le législateur ait entendu, dans le deuxième alinéa d'un même article, référer plutôt aux notions qu'il a élaborées au premier alinéa. Or, le premier alinéa de l'art. 42 établit qu'un immeuble sera porté au rôle "sur la base de sa valeur réelle". Cette valeur s'exprime, ou se traduit, nécessairement par une "proportion" de la valeur réelle et c'est cette "proportion" qui devra être la même pour tous les immeubles. Ainsi compris, l'art. 42 est complet par lui‑même, s'inscrit parfaitement dans l'esprit de la réforme de la fiscalité municipale qui recherche l'équité fiscale et répond au "mischief rule" en matière d'interprétation. Le correctif recherché par l'adoption de l'art. 42 en effet, est de permettre à l'évaluateur une certaine souplesse dans la confection du rôle. En prenant pour base la valeur réelle telle que définie à la Loi, il pourra désormais, en toute légalité, fixer la valeur des immeubles à une certaine proportion de la valeur réelle. Le caveat contenu au deuxième alinéa de l'art. 42 l'oblige à respecter cette proportion quant à tous et chacun des immeubles inscrits au rôle, d'où l'équité fiscale qui en résulte.

51. Si l'on s'en rapporte à l'expression "proportion médiane" de l'art. 264 de la Loi et au Règlement qui la définit, on voit immédiatement que la "même proportion" dont parle l'art. 42 ne saurait référer à "proportion médiane" de l'art. 264. L'évaluateur, en effet, ne saurait inscrire au rôle une proportion qu'il lui est impossible de connaître avant que le rôle ne soit confectionné. Il ne saurait non plus calculer la proportion médiane au moment de la confection du rôle puisque c'est à partir de la valeur inscrite au rôle que cette proportion médiane est calculée, suivant le Règlement reproduit plus haut.

52. Comme l'exprime l'appelante à son mémoire:

La médiane d'un rôle n'est calculée qu'après la confection du rôle. Ce calcul se fait sur la base des valeurs que l'évaluateur y a portées. Il ne peut être question pour lui de reprendre le rôle qu'il vient de confectionner pour le réduire à une proportion résultant de cette confection: autrement l'évaluateur n'établira jamais le rôle car après l'avoir réduit il obtiendra une nouvelle médiane qu'il devra à nouveau appliquer et ainsi de suite jusqu'à ce que le rôle disparaisse.

53. La proportion médiane, de par sa définition même, est celle de l'ensemble du rôle et elle ne peut être déterminée qu'une fois le rôle confectionné à partir de ce rôle même qui lui sert de base de calcul. C'est cette démonstration que fait d'ailleurs le juge Durand dans l'affaire Gorham, précitée. Cette interprétation s'harmonise d'ailleurs parfaitement avec l'art. 264 de la Loi; cet article qui, comme je l'ai dit, introduit le concept nouveau de "proportion médiane" ne fait aucunement mention de l'obligation de l'évaluateur d'en tenir compte dans la confection du rôle. Bien au contraire, l'évaluateur doit, aux termes de cet article, indiquer à quelle proportion médiane correspondent les valeurs inscrites. Ceci implique nécessairement un à posteriori et non un à priori. De plus, cette proportion peut être établie par le ministre en cas de défaut de l'évaluateur. Personne ne pourrait prétendre que le ministre a le pouvoir de confectionner le rôle ou que la "proportion médiane" établie par le ministre aurait pour effet de modifier les valeurs inscrites au rôle par l'évaluateur. Comme je la conçois, la proportion médiane se veut une mesure du niveau du rôle; elle n'est pas un facteur de correction du rôle. Elle sert d'instrument au contribuable pour lui permettre de vérifier si la valeur inscrite au rôle correspond à la valeur réelle de son immeuble une fois le facteur comparatif appliqué. Sinon, le contribuable pourra loger une plainte auprès du B.R.E.F. (art. 124) qui, lui, une fois établie la valeur réelle de l'immeuble en question, devra tenir compte de la proportion médiane (art. 147).

54. Tel que mentionné précédemment, l'art. 147 fut modifié en 1983 afin de faire référence expressément au concept de proportion médiane. La Loi modifiant des dispositions législatives concernant les municipalités, qui modifiait l'art. 147, modifiait dans un même souffle l'art. 42 sans pour autant insérer le terme "médiane" à la suite du mot "proportion", ce que le législateur aurait pu faire s'il avait voulu ce résultat. Ceci semble s'harmoniser avec l'intention du législateur en adoptant l'art. 42 de la Loi. Si le B.R.E.F. applique la proportion médiane à l'évaluation d'un immeuble, c'est en vertu de l'art. 147 et non pas de l'art. 42 de la Loi, ce qui est maintenant clair depuis la modification apportée à l'art. 147.

55. Par ailleurs, tout ce que l'art. 264 requiert de l'évaluateur c'est qu'il indique au rôle et la proportion médiane et le facteur comparatif qui en découle. Ces informations figurant au compte de taxes foncières comme je l'ai déjà souligné, le contribuable est à même de calculer facilement la valeur réelle de son immeuble et de décider de porter ou non plainte devant le B.R.E.F. C'est là le but recherché par le législateur par l'adoption des art. 147 et 264 de la Loi, ce qui constitue une innovation par rapport à la Loi antérieure où le contribuable n'avait aucun moyen de vérifier la valeur réelle de son immeuble par rapport à la valeur inscrite au rôle et le B.R.E.F. aucune possibilité de tenir compte d'une inégalité de traitement d'un immeuble par rapport à un autre inscrit sur un même rôle, vu qu'il devait uniquement déterminer la valeur réelle de l'immeuble au sujet duquel une plainte avait été déposée.

56. La Cour d'appel interprète la disposition transitoire de l'art. 531 de la Loi comme obligeant l'évaluateur à tenir compte de la "proportion médiane" dans la confection du rôle.

57. S'il est exact que, selon l'art. 531 de la Loi, l'évaluateur a "le devoir de modifier le rôle d'office" pour "tenir compte des dispositions de la présente [Loi] qui lui sont applicables et qui diffèrent" de la Loi sur l'évaluation foncière, encore faut‑il que la Loi nouvelle crée une telle obligation. Or, à mon avis, la Loi n'oblige pas l'évaluateur à tenir compte de la "proportion médiane" dans la confection du rôle mais uniquement de l'indiquer au rôle, obligation ici remplie. Ces dispositions qui "lui sont applicables et qui différent" se retrouvent à plusieurs articles de la Loi. L'article 174 de la Loi, auquel réfère le deuxième alinéa de l'art. 531, fait état, entre autres, des cas où une modification doit être apportée au rôle. De plus, la Loi innove à plusieurs points de vue: les immeubles portés au rôle y sont inscrits par unités d'évaluation (art. 33), certains immeubles ne sont plus portés au rôle (art. 63 et suiv.), le rôle doit contenir certaines mentions (art. 55 et suiv.) et ainsi de suite. Ce sont toutes ces modifications que vise l'art. 531 de la Loi de façon à ce que le rôle confectionné sous l'ancien régime devienne conforme à la nouvelle Loi. L'article 531 de la Loi ne vise la "proportion médiane" que dans la mesure où l'évaluateur doit l'indiquer au rôle avec le facteur comparatif et communiquer ces informations au ministre dans le délai imparti (art. 264). Ainsi interprété, l'art. 531 conserve toute son utilité.

Conclusion

58. J'en viens donc à la conclusion que l'évaluateur de la C.U.M. n'avait pas, aux termes de la Loi, à tenir compte dans la confection du rôle d'évaluation foncière de la C.U.M. pour l'année 1980, de la "proportion médiane". Par voie de conséquence, n'ayant ni omis ni refusé de se conformer à la Loi en ce qui concerne la valeur inscrite au rôle de la C.U.M. pour l'année 1980 de l'immeuble de Nortel dans la cité de Lachine, le bref de mandamus ne saurait émaner.

59. S'il demeure possible, et je ne me prononce pas à cet égard, que la valeur foncière de l'immeuble de Nortel, telle qu'inscrite au rôle de la C.U.M. pour l'année 1980, ne représente pas sa valeur réelle si on tient compte du facteur comparatif inscrit au compte de taxe, Nortel pouvait porter plainte devant le B.R.E.F. comme elle l'avait d'ailleurs fait l'année précédente et l'a fait pour les années subséquentes. Le recours qu'elle a choisi d'intenter n'est pas pour autant recevable.

60. Vu cette conclusion, il n'y a pas lieu de discuter des autres moyens soulevés.

61. Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel, j'infirmerais le jugement a quo et je rejetterais la requête en mandamus, le tout avec dépens de toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs des appelants: Beaupré, Trudeau, Montréal.

Procureurs de l'intimée: Pâquet, Galardo & Nantais, Montréal.

Procureurs de la mise en cause la cité de Lachine: Viau, Hébert, Denault, Montréal.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit municipal - Évaluation foncière - Modification du rôle d'évaluation - Mandamus - Rôle d'évaluation déposé pour l'exercice financier municipal de 1980 - Rôle préparé suivant les dispositions de la législation antérieure à la nouvelle loi sur la fiscalité municipale - Refus du commissaire à l'évaluation de modifier le rôle d'évaluation pour tenir compte de la proportion médiane prévue dans la nouvelle loi - Le commissaire a‑t‑il refusé d'accomplir un devoir que la nouvelle loi lui impose? - Loi sur la fiscalité municipale et modifiant certaines dispositions législatives, L.Q. 1979, chap. 72, art. 42, 147, 264, 531.

En novembre 1979, l'évaluateur de la C.U.M. a déposé les rôles d'évaluation pour l'année 1980 pour les diverses municipalités comprises dans son territoire. Le rôle a été confectionné suivant les dispositions de le Loi sur l'évaluation foncière en vigueur à l'époque, et conformément à l'art. 8, les immeubles ont été portés au rôle à leur valeur réelle. En décembre 1979, la Loi sur l'évaluation foncière a été remplacée par la Loi sur la fiscalité municipale et modifiant certaines dispositions législatives. La nouvelle loi prévoyait que les rôles d'évaluation déjà déposés pour l'année 1980 étaient valables (art. 530) mais qu'ils devaient être modifiés, avec effet rétroactif au 1er janvier 1980, pour "tenir compte des dispositions de la [nouvelle loi] qui lui sont applicables et qui diffèrent de celles de la Loi sur l'évaluation foncière" (art. 531). Pour l'année financière 1980, l'immeuble de l'intimée a été évalué à 19 001 600 $ et la proportion médiane a été établie à 79 %. Selon l'intimée, la valeur foncière de l'immeuble aurait dû être de 15 011 264 $ si la C.U.M. avait procédé à l'évaluation de l'immeuble en tenant compte de la proportion médiane prévue à la nouvelle loi. Devant le refus du commissaire à l'évaluation de la C.U.M. de modifier le rôle d'évaluation, l'intimée, se fondant principalement sur l'art. 531 de la nouvelle loi, s'est adressée à la Cour supérieure pour obtenir la délivrance d'un bref de mandamus. La Cour supérieure a rejeté la requête mais la Cour d'appel a infirmé le jugement. Celle‑ci, s'appuyant sur les art. 531, 42 et 264 de la nouvelle loi, a conclu que le commissaire avait le devoir de modifier d'office l'inscription pour tenir compte de la proportion médiane. Le présent pourvoi vise à déterminer si l'évaluateur de la C.U.M. a négligé ou refusé de remplir un devoir que la nouvelle loi sur la fiscalité municipale lui imposait en ce qui concerne la valeur foncière inscrite au rôle d'évaluation de la C.U.M.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

L'évaluateur n'avait pas, aux termes de la Loi sur la fiscalité municipale et modifiant certaines dispositions législatives, à tenir compte de la "proportion médiane" dans la confection du rôle d'évaluation foncière de la C.U.M. pour l'année 1980. N'ayant ni omis ni refusé de remplir un devoir que la Loi lui imposait, la requête de l'intimée pour la délivrance d'un bref de mandamus doit donc être rejetée.

La proportion médiane, de par sa définition même, est celle de l'ensemble du rôle et elle ne peut être déterminée qu'une fois le rôle confectionné puisque c'est à partir des valeurs inscrites au rôle qu'elle est calculée. L'article 264 de la Loi, qui introduit le concept nouveau de "proportion médiane" ne fait aucunement mention de l'obligation de l'évaluateur d'en tenir compte dans la confection du rôle. Bien au contraire, tout ce que cet article requiert de l'évaluateur c'est qu'il indique au rôle la proportion médiane et le facteur comparatif qui en découle. De plus, cette proportion peut être établie par le ministre en cas de défaut de l'évaluateur. Personne ne pourrait prétendre que le ministre a le pouvoir de confectionner le rôle ou que la "proportion médiane" établie par le ministre aurait pour effet de modifier les valeurs inscrites au rôle. La proportion médiane se veut une mesure du niveau du rôle; elle n'est pas un facteur de correction du rôle. Elle sert d'instrument au contribuable pour lui permettre de vérifier si la valeur inscrite au rôle correspond à la valeur réelle de son immeuble une fois le facteur comparatif appliqué. Sinon, le contribuable pourra loger une plainte auprès du Bureau de révision de l'évaluation foncière du Québec qui, lui, après avoir établi la valeur réelle de l'immeuble en question, devra tenir compte de la proportion médiane (art. 147). C'est là le but recherché par le législateur par l'adoption des art. 147 et 264 de la Loi.

L'expression "même proportion" dont parle l'art. 42 ne saurait référer à la "proportion médiane" de l'art. 264. L'article 42 prévoit que le "rôle indique la valeur de chaque [immeuble] sur la base de sa valeur réelle" et que les "valeurs inscrites au rôle doivent, à l'égard de l'ensemble des [immeubles] qui y sont inscrites, représenter une même proportion de la valeur réelle de cet ensemble". L'article 42 vise à permettre à l'évaluateur une certaine souplesse dans la confection du rôle. En prenant pour base la valeur réelle telle que définie à la Loi, il peut désormais fixer la valeur des immeubles à une certaine proportion de cette valeur réelle. Le deuxième alinéa de l'art. 42 l'oblige à respecter cette proportion quant à tous et chacun des immeubles inscrits au rôle, d'où l'équité fiscale qui en résulte. En adoptant l'art. 42, le législateur a voulu s'assurer que tous les contribuables soient traités sur un pied d'égalité.

Finalement, la disposition transitoire de l'art. 531 de la Loi n'oblige pas l'évaluateur à tenir compte de la "proportion médiane" dans la confection du rôle. Cet article ne vise la "proportion médiane" que dans la mesure où l'évaluateur doit l'indiquer au rôle avec le facteur comparatif et communiquer ces informations au ministre dans le délai imparti (art. 264).


Parties
Demandeurs : Northern Telecom Ltée
Défendeurs : Cormier

Références :

Jurisprudence
Arrêts examinés: Communauté urbaine de Montréal c. Dorchester Commerce Realty Ltd., [1984] C.A. 426
Gorham c. Communauté urbaine de Montréal, J.E. 87‑116.
Lois et règlements cités
Code de procédure civile, L.R.Q. 1977, chap. 25, art. 834 et suiv.
Loi modifiant certaines dispositions législatives concernant les municipalités, L.Q. 1980, chap. 34, art. 50, 76.
Loi modifiant des dispositions législatives concernant les municipalités, L.Q. 1983, chap. 57, art. 110, 116.
Loi sur l'évaluation foncière, L.Q. 1971, chap. 50, art. 8 [rempl. 1973, chap. 31, art. 4
mod. 1975, chap. 68, art. 7
rempl. 1979, chap. 22, art. 65], 69 [mod. 1973, chap. 31, art. 34
rempl. 1975, chap. 68, art. 26].
Loi sur la fiscalité municipale, L.R.Q., chap. F‑2.1, art. 33, 42, 43 à 46, 55 et suiv., 63 et suiv., 124, 147, 174, 175, 263(5), 264, 496, 527, 530, 531, 550.
Loi sur la fiscalité municipale et modifiant certaines dispositions législatives, L.Q. 1979, chap. 72 [maintenant L.R.Q., chap. F‑2.1], art. 33, 42, 43 à 46, 55 et suiv., 63 et suiv., 124, 147, 174, 175, 263(5), 264, 496, 527, 530, 531, 550.
Règlement modifiant le Règlement sur la forme ou le contenu minimal de divers documents relatifs à l'évaluation et à la fiscalité municipales, (1984) 116 G.O. II. 5476.
Règlement sur la forme ou le contenu minimal de divers documents relatifs à l'évaluation et à la fiscalité municipales, (1983) 115 G.O. II. 4301.
Règlement sur le contenu minimal de l'avis d'évaluation et des comptes de taxes municipales, R.R.Q. 1981, chap. F‑2.1, r. 1.
Règlement sur les règles permettant de déterminer à quelle proportion médiane de la valeur foncière réelle des unités d'évaluation correspondent les valeurs inscrites au rôle d'évaluation foncière, R.R.Q. 1981, chap. F‑2.1, r. 11, art. 1.
Doctrine citée
Caumartin, Claude. "Certains aspects techniques". Dans La réforme de la fiscalité municipale. Formation permanente du Barreau du Québec, cours 51, 1980, pp. 63 à 82.
L'Heureux, Jacques. Droit municipal québécois, t. II. Wilson & Lafleur/Sorej, 1984.
Lortie, Jean‑Pierre. Loi sur la fiscalité municipale, étude analytique et comparative. Montréal: Yvon Blais Inc., 1980.
Pâquet, Jean‑Marie. "Les aspects juridiques". Dans La réforme de la fiscalité municipale. Formation permanente du Barreau du Québec, cours 51, 1980, pp. 21 à 59.
Québec. Gouvernement du Québec. Rapport de la Commission royale d'enquête sur la fiscalité. Québec: La Commission, 1965.

Proposition de citation de la décision: Northern Telecom Ltée c. Cormier, [1988] 1 R.C.S. 996 (26 mai 1988)


Origine de la décision
Date de la décision : 26/05/1988
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1988] 1 R.C.S. 996 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1988-05-26;.1988..1.r.c.s..996 ?
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