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01/09/1988 | CANADA | N°[1988]_2_R.C.S._59

Canada | R. c. Kowlyk, [1988] 2 R.C.S. 59 (1 septembre 1988)


r. c. kowlyk, [1988] 2 R.C.S. 59

Raymond William Kowlyk Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. kowlyk

No du greffe: 19849.

1987: 11 décembre; 1988: 1er septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1986), 39 Man. R. (2d) 122, 27 C.C.C. (3d) 61, [1986] 3 W.W.R. 511, qui a rejeté l'appel de la déclaration de culpabilité prononcée par le juge Kroft. Pourvoi re

jeté, le juge Wilson est dissidente.

1. Martin D. Glazer, pour l'appelant.

2. Donald Melnyk, pour l'intimée.

...

r. c. kowlyk, [1988] 2 R.C.S. 59

Raymond William Kowlyk Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. kowlyk

No du greffe: 19849.

1987: 11 décembre; 1988: 1er septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1986), 39 Man. R. (2d) 122, 27 C.C.C. (3d) 61, [1986] 3 W.W.R. 511, qui a rejeté l'appel de la déclaration de culpabilité prononcée par le juge Kroft. Pourvoi rejeté, le juge Wilson est dissidente.

1. Martin D. Glazer, pour l'appelant.

2. Donald Melnyk, pour l'intimée.

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges McIntyre, Le Dain et La Forest rendu par

3. Le juge McIntyre—J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement rédigés en l'espèce par ma collègue le juge Wilson. Comme elle a exposé les faits et l'historique de ces procédures devant les tribunaux du Manitoba, je n'ai pas à y revenir d'une manière détaillée. Je souligne cependant que les motifs du juge du procès indiquent implicitement qu'il a conclu au caractère récent de la possession, ce que la Cour d'appel a précisément endossé et ce sur quoi le pourvoi est fondé. Toutefois, je me vois dans l'impossibilité de souscrire aux conclusions de ma collègue ou à sa décision en l'espèce. Le principal point de désaccord découle des termes qu'elle a utilisés à la p. 86:

Par conséquent, il semblerait qu'en droit anglais et canadien la possession de biens récemment volés ne donne pas lieu à une présomption juridique de culpabilité de vol ou de vol avec effraction. Elle constitue plutôt un fait substantiel dont il est possible de déduire la culpabilité à l'égard de l'infraction plus grave. Toutefois, la force de la déduction dépendra des circonstances de l'affaire. La question de savoir si on peut faire une telle déduction en l'absence d'un autre élément de preuve reliant l'accusé à l'infraction plus grave reste entière. [Je souligne.]

Nos divergences d'opinions découlent de ces derniers mots, car je suis d'avis que, en droit anglais et en droit canadien, la possession inexpliquée de biens récemment volés est depuis longtemps suffisante pour permettre, sans l'imposer, une déduction de culpabilité de vol et d'infractions connexes, même en l'absence d'autres preuves de culpabilité.

4. Les fondements de ce qui a fréquemment été appelé la théorie de la possession de biens récemment volés remontent au moins au début du dix‑neuvième siècle. En 1830, dans l'affaire Clement (1830), 1 Lewin 113, 168 E.R. 980, la règle a été énoncée directement et on a conclu que la possession d'un cheval trois jours après qu'il a été volé constitue un élément de preuve suffisant du vol. Dans les affaires Cockin (1836), 2 Lewin 235, 168 E.R. 1139 et R. v. Hall (1845), 1 Cox C.C. 231, on a fait des observations sur la nécessité de démontrer le caractère récent de la possession avant de pouvoir en déduire la culpabilité. La plupart des auteurs ont souligné que l'arrêt R. v. Langmead (1864), Le. & Ca. 427, 169 E.R. 1459 est le plus important des anciens arrêts. L'accusé, Langmead, y était inculpé sous deux chefs d'accusation: (1) vol de moutons et (2) recel de moutons dont il savait qu'ils avaient été volés. Il a été déclaré coupable à l'égard du second chef d'accusation. Soutenant qu'il n'y avait aucun élément de preuve pour appuyer une déclaration de culpabilité à cet égard et que, partant, on aurait dû dire au jury de prononcer un verdict d'acquittement, l'avocat de Langmead a admis, à la p. 436 Le. & Ca., 1462 E.R., que la possession inexpliquée de biens récemment volés serait en soi suffisante pour entraîner une déclaration de culpabilité de vol, mais qu'elle ne suffirait pas à elle seule pour statuer sur la question de culpabilité à l'égard d'une accusation de recel de moutons dont l'inculpé savait qu'ils avaient été volés. C'est ainsi que se posait la question dans cette affaire. La cour à l'unanimité a confirmé la déclaration de culpabilité, concluant que la possession inexpliquée de biens récemment volés constituait une preuve soit du vol soit du recel, selon les circonstances de l'affaire. Le baron en chef Pollock a dit, aux pp. 439 et 440 Le. & Ca., 1463 et 1464 E.R.:

[TRADUCTION] Nous sommes tous convaincus que le président n'aurait pu enlever cette affaire au jury ni lui dire qu'il n'y avait pas de preuve que le détenu avait recelé les moutons alors qu'il savait qu'ils avaient été volés. Pour ma part, je suis d'avis d'ajouter que, selon moi, la distinction adoptée par Me Carter entre une accusation de vol et celle de recel, en ce qui a trait à l'effet de la preuve de la possession de biens récemment volés, ne fait pas partie du droit d'Angleterre. Si aucune autre personne n'est mêlée à l'opération qui fait l'objet de l'enquête et que l'ensemble de la preuve contre le détenu porte qu'il a été trouvé en possession des biens volés, la preuve indiquerait sans aucun doute qu'il s'agit d'une affaire de vol plutôt que d'une affaire de recel; mais dans chaque cas, sauf, en fait, lorsque la possession est tellement récente qu'il est impossible que quelqu'un d'autre ait commis le vol, le jury doit simplement se demander si la personne trouvée en possession des biens volés les a volés elle‑même ou les a reçus de quelqu'un d'autre. Comme je l'ai dit, s'il n'y a aucun autre élément de preuve, le jury considérera probablement avec raison que le détenu a volé les biens; mais s'il y a d'autres éléments de preuve qui appuient la thèse qu'il a volé les biens ou qu'il les a reçus de quelqu'un d'autre, il incombera au jury de dire ce qui lui paraît être la solution la plus probable. En l'espèce, bien qu'il y ait certains éléments de preuve selon lesquels le détenu a volé les moutons, la déduction qu'il a envoyé les garçons conduire les moutons et les prendre de quelqu'un d'autre qui les avait volés en accord avec lui, me paraît être plus convaincante. Quoi qu'il en soit, la Cour est d'avis qu'il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour soumettre l'affaire au jury.

Le juge Blackburn a dit à la p. 441 Le. & Ca., 1464 E.R.:

[TRADUCTION] Je suis du même avis. Je ne suis pas d'accord avec Me Carter pour penser que la possession de biens récemment volés ne constitue pas un élément de preuve aussi fort pour le recel que pour le vol. Lorsqu'il est démontré que le bien a été volé, et qu'il a été trouvé peu après sa disparition en la possession du détenu, il lui incombe d'expliquer sa possession et, s'il ne le fait pas, le jury peut très bien présumer qu'il l'a obtenu malhonnêtement et qu'il était soit le voleur soit le receleur selon les circonstances. S'il a été vu près de l'endroit où le bien était gardé avant le vol, le jury peut, à bon droit, supposer qu'il était le voleur. Si d'autres circonstances démontrent qu'il est plus probable qu'il n'était pas le voleur, on pourra présumer qu'il était le receleur. Le jury ne devrait pas déclarer le détenu coupable de recel à moins d'être convaincu qu'il n'est pas en fait le voleur.

À mon avis, il est clair que l'arrêt R. v. Langmead, précité, signifie que la possession inexpliquée de biens récemment volés permettra de déduire la culpabilité à l'égard d'une accusation de vol ou d'une accusation de recel et il incombera au jury ou au juge des faits, après avoir examiné toutes les circonstances, de décider laquelle des deux infractions a été démontrée. Ce principe a été appliqué dans l'arrêt R. v. Exall (1866), 4 F. & F. 922, 176 E.R. 850, qui a été suivi à cet égard dans Reference re Regina v. Coffin, [1956] R.C.S. 191, et R. c. Lovis; R. c. Moncini, [1975] 2 R.C.S. 294. Dans R. v. Exall, les biens volés la nuit ont été trouvés en possession des accusés le matin suivant. Le baron en chef Pollock a dit aux pp. 924 à 928 F. & F., 851 à 853 E.R.:

[TRADUCTION] Le principe est que si une personne est trouvée en possession de biens récemment volés et ne peut donner de la possession une explication raisonnable, un jury peut en conclure qu'elle a commis le vol qualifié.

Et il en est ainsi de tout crime que le vol qualifié a accompagné, ou auquel ce vol qualifié est relié, comme le crime de cambriolage, d'incendie ou de meurtre. Car, si la possession est une preuve que la personne a commis le vol qualifié, et si l'auteur du vol qualifié est celui qui a commis l'autre crime, la possession est alors une preuve que la personne trouvée en possession des biens a commis cet autre crime.

En droit, si, peu de temps après la perpétration du crime, une personne est trouvée en possession des biens volés, cette personne est appelée à expliquer comment il se fait qu'elle se trouve en leur possession, c'est‑à‑dire, à donner une explication qui ne soit ni absurde ni improbable. La force de la présomption qui découle de cette possession est proportionnelle à la courte durée de temps qui s'est écoulé. Si l'intervalle n'a été que d'une heure ou deux et non d'une demi‑journée, la présomption est si forte qu'elle équivaut presque à une preuve, parce qu'on peut raisonnablement déduire que la personne doit avoir volé le bien. Dans le cours ordinaire de la vie, il n'est pas probable que la personne aurait pu avoir en sa possession le bien d'une autre manière. De plus, les jurés ne peuvent juger les questions qu'en se fondant sur leur connaissance et leur expérience de la vie courante.

Donc, par exemple (en l'espèce), si le bien était le produit d'un cambriolage, alors le fait de l'avoir en sa possession, peu après le cambriolage constitue un certain élément de preuve que la personne en la possession de qui il a été trouvé a participé au cambriolage. Car, de toute façon, cette dernière doit l'avoir reçu de quelqu'un qui y a participé; et il s'agit d'un élément de preuve convaincant qu'il en était au courant et un certain élément de preuve qu'il y était partie. Pour décider si c'est le cas, il faut se fonder sur les autres circonstances de l'affaire.

L'énoncé du droit anglais sur cette question qui est le plus souvent cité—qui a été approuvé de manière précise par cette Cour dans les arrêts Richler v. The King, [1939] R.C.S. 101, Ungaro v. The King, [1950] R.C.S. 430, Tremblay v. La Reine, [1969] R.C.S. 431, R. c. Graham, [1974] R.C.S. 206, R. c. Newton, [1977] 1 R.C.S. 399, R. c. Paul, [1977] 1 R.C.S. 181, et Hewson c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 82—est celui de lord Reading dans R. v. Schama and Abramovitch (1914), 11 Cr. App. R. 45, à la p. 49:

[TRADUCTION] Quand l'accusé est inculpé de recel de biens récemment volés, si le ministère public a prouvé la possession par l'accusé et prouvé que les biens ont été récemment volés, il faut dire au jury qu'il peut, non pas qu'il doit, à défaut de toute explication raisonnable, déclarer l'accusé coupable. Mais s'il existe une explication qui pourrait être vraie, il appartient au jury de dire, d'après l'ensemble de la preuve, si l'accusé est coupable ou non; c'est‑à‑dire que si le jury croit, bien qu'il ne soit pas convaincu qu'elle l'est, l'accusé a droit à un acquittement parce que le ministère public n'a pas satisfait au fardeau qui lui incombe de convaincre le jury, hors de tout doute raisonnable, de la culpabilité de l'accusé. Ce fardeau ne se déplace jamais, il incombe toujours au ministère public. Tel est le droit. La Cour n'énonce pas un principe nouveau, elle ne fait que le formuler à nouveau et il est à espérer que cette nouvelle formulation sera utile à ceux qui ont à connaître de ce genre d'affaires.

Dans un arrêt plus récent, R. v. Aves, [1950] 2 All E.R. 330, la Cour d'appel d'Angleterre énonce clairement que la possession inexpliquée de biens récemment volés ne peut suffire à elle seule pour entraîner une déduction acceptable de culpabilité. Il s'agissait d'un appel d'une déclaration de culpabilité de recel de biens volés. La question était de savoir si le jury avait reçu des directives appropriées conformes à la position adoptée dans l'arrêt Schama and Abramovitch. Le juge en chef lord Goddard a dit à la p. 330:

[TRADUCTION] Lorsque la preuve démontre seulement qu'un accusé est en possession d'un bien récemment volé, les jurés peuvent déduire qu'il a une connaissance coupable a) s'il ne donne aucune explication pour justifier sa possession ou b) si les jurés sont convaincus que l'explication qu'il donne est fausse. Toutefois, si l'explication donnée soulève un doute dans l'esprit des jurés quant à savoir si l'accusé savait que le bien avait été volé, on doit leur dire que la preuve n'a pas été faite et que, par conséquent, ils devraient rendre un verdict de non‑culpabilité.

Je crois que je peux ajouter ceci à la formule énoncée précédemment. S'il y a des éléments de preuve selon lesquels le détenu était en possession d'un bien récemment volé et également d'autres éléments de preuve qui tendent à démontrer une connaissance coupable, alors le juge devrait formuler ses directives au jury comme je les ai exposées pour la question de la possession de biens récemment volés et devrait alors traiter des autres éléments de preuve à charge qui peuvent ou non être compatibles avec l'explication, s'il y a lieu, qu'il a donnée.

Les arrêts anglais ultérieurs R. v. Loughlin (1951), 35 Cr. App. R. 69 (C.A.), et R. v. Smith (1983), 148 J.P. 215 (C.A.), vont dans le même sens.

5. Les arrêts les plus importants que nous devons examiner en l'espèce sont ceux de cette Cour qui énoncent le droit en vigueur au Canada et qui sont compatibles avec les arrêts antérieurs qui ont élaboré le droit anglais. Deux des arrêts de principe qui portent sur cette question sont R. c. Graham, précité et R. c. Newton, précité. Ces deux arrêts traitent en grande partie de la question de savoir si le ministère public, avant de chercher à se fonder sur la possession de biens récemment volés, est tenu de présenter des éléments de preuve sur la question de savoir si l'accusé a expliqué sa possession. On a conclu dans les deux arrêts que le ministère public n'avait pas cette obligation. Cette question n'est pas soulevée en l'espèce parce qu'on a admis qu'il n'y avait pas eu d'explication. L'appelant n'a pas témoigné à son procès et le caractère récent de la possession et la connaissance du fait que les biens avaient été volés n'ont pas été contestés devant cette Cour. La seule question soulevée en l'espèce est de savoir si la déduction qui peut être tirée de la possession des biens récemment volés en l'espèce, prise de façon isolée, appuierait une déclaration de culpabilité relativement à l'accusation de vol avec effraction des articles trouvés en la possession de l'accusé.

6. Avant d'ajouter autre chose, il sera utile de reconnaître ce qui est visé par ce qu'on appelle la théorie de la possession de biens récemment volés. En fait, il est difficile de dire qu'il s'agit d'une théorie car on n'y enseigne rien et on ne peut, à bon droit, dire qu'elle vise une présomption qui découle de la possession inexpliquée de biens volés, étant donné qu'aucune conclusion n'en découle nécessairement. Le juge Laskin (plus tard Juge en chef) (avec l'appui du juge Hall) dans des motifs concordants dans l'arrêt R. c. Graham, précité, a dit à la p. 215:

L'emploi du terme "présomption", qu'on associe à cette doctrine, est trop général et c'est le terme "déduction" qu'il conviendrait d'employer. Bref, lors d'une accusation de possession de biens volés où le ministère public a établi qu'il y avait possession récente et inexpliquée et que les biens avaient été volés, il convient de dire au jury de partir, comme il convient que fasse le juge de première instance lorsqu'il n'y a pas de jury, de la prémisse qu'il est possible (mais non nécessaire) de déduire, à l'encontre de l'accusé qu'il y a eu de sa part une connaissance coupable laquelle, à défaut d'élément de preuve contraire, peut justifier une déclaration de culpabilité.

Il a ensuite souligné qu'il faut régler deux questions, celle du caractère récent de la possession et celle de la contemporanéité de l'explication, avant que la déduction puisse être faite à bon droit. Il a dit clairement qu'aucune déduction défavorable ne peut être tirée contre un accusé uniquement du fait de la possession de biens à moins qu'ils ne soient récemment volés et si l'accusé a fait, avant son procès, une déclaration pour expliquer la possession et si elle possédait ce degré de contemporanéité rendant admissible l'élément de preuve, aucune déduction défavorable ne pourrait être tirée sur le seul fondement de la possession de biens récemment volés si l'explication peut raisonnablement être vraie. Il ressort implicitement de l'analyse du juge Laskin, selon laquelle la possession de biens récemment volés ne justifierait pas à elle seule une déduction de culpabilité lorsqu'une explication considérée comme contemporaine a été donnée, que, en l'absence d'une telle explication, la possession de biens récemment volés est à elle seule tout à fait suffisante pour entraîner une déduction de vol fondée sur les faits.

7. Quatre ans plus tard, cette Cour a rendu l'arrêt R. c. Newton, précité. Cet arrêt visait à déterminer si une directive au jury sur le droit relatif à la possession de biens récemment volés qui faisait allusion à une possession inexpliquée constituerait un commentaire sur l'abstention de l'accusé de témoigner, contrairement au par. 4(5) de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E‑10. Cet argument a été rejeté et n'a pas été présenté devant cette Cour. Aux pages 401 et 402, le juge Dickson (maintenant Juge en chef), avec l'appui du juge en chef Laskin dans des motifs concordants quant au résultat, a dit:

La question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si le ministère public est obligé de prouver l'existence ou l'inexistence d'une explication par l'accusé avant de pouvoir invoquer ce qu'on est convenu d'appeler la "doctrine de la possession de biens récemment volés". Il est généralement reconnu que tout ce que le ministère public doit établir dans un premier temps est que les biens ont été récemment volés et qu'on les a trouvés en la possession de l'accusé. Il faut ensuite dire au jury qu'il peut, non pas qu'il doit, déclarer l'accusé coupable. En l'espèce, le juge de première instance a refusé de donner ces directives au jury, étant d'avis qu'il incombe au ministère public de prouver si l'accusé a fourni une explication quelconque du fait qu'il était en possession de biens volés. En toute déférence, je suis d'avis que le juge s'est trompé.

Dans ces circonstances, le ministère public n'est pas obligé de faire la preuve de l'inexistence d'une explication.

Le jugement du juge Ritchie (avec l'appui des juges Martland et de Grandpré et avec l'appui des juges Martland, Judson, Spence, Pigeon et Beetz dans des motifs distincts) est encore plus important pour l'espèce. Il y dit que la directive qu'il convenait de donner à un jury dans les affaires de possession de biens récemment volés est celle qui est décrite par lord Reading dans R. v. Schama and Abramovitch, précité, qui, comme je l'ai mentionné, a été approuvée dans un grand nombre d'arrêts de cette Cour. Il a ensuite dit que la preuve de la possession inexpliquée de biens récemment volés constitue à elle seule une preuve prima facie permettant au juge des faits de rendre un verdict de culpabilité de vol avec effraction, d'après les faits soumis. Il a dit à la p. 405:

Les auteurs et un grand nombre de juges en sont venus à désigner cela comme énoncé de "principe" ou de "doctrine", mais, quant à moi, j'y vois plutôt une règle de preuve sur laquelle tous les juges doivent donner des directives au jury. La règle a été formulée de façon différente dans divers arrêts, mais, à mon avis, elle porte essentiellement que dans une affaire comme celle‑ci, où il a été établi que l'accusé était en possession de biens récemment volés et où aucune explication quelconque n'a été fournie, on doit donner au jury des directives portant que le seul fait de cette possession constitue une preuve prima facie sur laquelle le jury est fondé à déclarer l'accusé coupable. [Je souligne.]

Bien que dans l'arrêt R. c. Newton, précité, on n'ait pas demandé à la Cour de trancher la question de savoir si la possession de biens récemment volés en elle‑même, en l'absence de toute autre circonstance qui relierait un accusé au vol, pouvait justifier une conclusion de culpabilité, le passage précité du juge Ritchie accorderait certainement gain de cause au ministère public en l'espèce. C'est particulièrement vrai si l'on considère qu'aucun autre arrêt en droit canadien ou anglais ne laisse entendre qu'il doit y avoir un autre élément de preuve pour relier l'accusé au crime avant que l'on puisse déduire la culpabilité. À mon avis, la jurisprudence et la théorie n'admettent pas qu'un élément de preuve supplémentaire, outre celui de la possession inexpliquée de biens récemment volés, soit nécessaire pour permettre une déduction de culpabilité.

8. Deux arrêts récents de tribunaux d'appel sont intéressants. Dans R. v. Nickerson (1977), 37 C.C.C. (2d) 337 (C.A.N.‑É.), un accusé inculpé de vol avec effraction aux termes de l'al. 306(1)b) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34 a été trouvé en possession de cigarettes qui avaient été volées dans la roulotte où l'introduction par effraction avait été perpétrée. Il a donné une explication qui a été écartée par le juge du procès et il a été déclaré coupable sur le fondement de la possession de biens récemment volés. Son appel a été rejeté. Le juge Macdonald, qui a rendu le jugement au nom de la Cour, après avoir commenté la théorie et la jurisprudence, a dit à la p. 343:

[TRADUCTION] Selon la jurisprudence établie par l'arrêt Langmead, j'estime qu'il incombe d'abord au jury ou au juge du procès s'il n'y a pas de jury, après avoir considéré toutes les circonstances, de dire si la présomption qui découle de la possession de biens récemment volés justifie une accusation de vol, de vol qualifié, de vol avec effraction, etc., ou seulement une accusation de possession de biens volés.

À la page 344, il a reconnu que la déduction qui doit être tirée de la possession de biens récemment volés est seulement facultative, en disant:

[TRADUCTION] Même si la présomption qui découle de la possession de biens récemment volés peut être utilisée par le ministère public, celui‑ci est toujours assujetti au fardeau ultime et général de faire sa preuve hors de tout doute raisonnable. La règle précise qu'un tribunal peut et non doit rendre une déclaration de culpabilité en l'absence de toute explication.

et plus loin,

[TRADUCTION] À nouveau, le principe que je tire de la jurisprudence que j'ai mentionnée porte que la possession inexpliquée de biens récemment volés constitue un élément de preuve qui peut, selon toutes les circonstances d'une affaire en particulier, établir la perpétration d'une infraction par laquelle ces biens ont été obtenus de façon illégale.

On laisse entendre que la déduction à tirer de cette affaire, vu l'utilisation par le juge Macdonald des termes "selon toutes les circonstances d'une affaire en particulier", est que la possession inexpliquée de biens récemment volés n'est pas suffisante à elle seule pour justifier un verdict de culpabilité. Je suis d'avis de rejeter cette opinion sur le fondement qu'elle est contraire à la jurisprudence que j'ai examinée. Évidemment, il doit y avoir des éléments de preuve indiquant que les biens ont été volés et, lorsque cela est pertinent, qu'il y a eu introduction par effraction. Il doit également y avoir une preuve de la possession, du caractère récent de la possession et une preuve de l'identité des biens; or toutes ces preuves sont présentes en l'espèce. Il peut y avoir, et ce sera souvent le cas, d'autres éléments de preuve qui peuvent être pertinents relativement à la question de la culpabilité ou de l'innocence qui devront être examinés par le jury, mais lorsqu'on conclut qu'il y a possession inexpliquée de biens récemment volés, cet élément seul permet d'arriver à une conclusion de culpabilité, sans toutefois l'imposer. Dans l'arrêt Russell v. R. (1983), 32 C.R. (3d) 307, la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse a examiné la question de savoir si l'application de la théorie de la possession de biens récemment volés portait atteinte au droit à la présomption d'innocence que garantit l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette question n'a pas été soulevée devant cette Cour. Toutefois, l'arrêt est pertinent en l'espèce en raison de l'explication de la nature de la déduction donnée au nom de la Cour par le juge Jones qui, après avoir examiné une grande partie de la jurisprudence mentionnée en l'espèce, a dit, à la p. 316:

[TRADUCTION] Il ressort clairement de ces décisions que la déduction qui découle de la possession inexpliquée de biens volés vise simplement les faits et ne modifie pas le fardeau fondamental de la preuve qui incombe au ministère public de démontrer la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable. Si on la considère ainsi, la déduction ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence que garantit la Charte des droits et libertés.

Il est intéressant de souligner le commentaire de Don Stuart à l'égard de cet arrêt, qui se trouve à la p. 308 du recueil.

9. Sur le fondement de la jurisprudence canadienne mentionnée précédemment, je suis d'avis qu'il est clairement établi en droit canadien que la possession inexpliquée de biens récemment volés permettra à elle seule de déduire que le possesseur a volé les biens. La déduction n'est pas obligatoire; elle peut être tirée, mais ne l'est pas nécessairement. En outre, lorsqu'on fournit une explication de cette possession qui pourrait raisonnablement être vraie, le juge des faits ne peut tirer aucune déduction de culpabilité sur le fondement de la seule possession de biens récemment volés, même s'il n'est pas convaincu de la véracité de l'explication. Le fardeau de la preuve de la culpabilité incombe au ministère public qui, pour obtenir une déclaration de culpabilité face à une telle explication doit démontrer par une autre preuve la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable.

10. La question qui est soulevée en l'espèce est de savoir si la possession inexpliquée des biens récemment volés justifierait également à elle seule une déduction de culpabilité de vol avec effraction aux termes de l'al. 306(1)b) du Code criminel. Je suis d'avis qu'il convient de répondre à cette question en faveur du ministère public. Ce point a été examiné par cette Cour dans l'arrêt R. c. Lovis; R. c. Moncini, précité. Les accusés étaient inculpés de deux infractions: vol qualifié et possession d'une automobile volée. Certains articles personnels se trouvant à l'intérieur de l'automobile lorsqu'elle a été volée ont été trouvés en la possession des accusés après le vol qualifié et la voiture avait été utilisée pour fuir. Le juge Martland, parlant au nom de la Cour à l'unanimité et siégeant au complet, a traité de cette question à partir de la p. 303. Il s'est référé à Reference re Regina v. Coffin, précité, ainsi qu'aux termes du baron en chef Pollock dans l'arrêt anglais ancien R. v. Exall, précité, aux pp. 924 à 927 F. & F., 851 et 852 E.R., cités précédemment, qui ont été précisément approuvés dans l'arrêt Coffin, précité, par les juges Kellock, Rand et Fauteux et appuyés par les juges Kerwin et Taschereau dans des motifs distincts concordants. Le juge Martland a dit à la p. 305:

À la lumière de ces énoncés sur ce que peut être l'effet de la possession récente d'articles volés, non seulement en relation avec un vol des articles eux‑mêmes, mais aussi en relation avec la preuve concernant la perpétration d'un autre crime, je ne crois pas que soit un motif valable de renverser la décision du jury le fait que le juge de première instance peut avoir insisté sur les exigences de l'art. 3, par. (4), quant à l'établissement de la possession des quatre articles qu'il a mentionnés. En l'espèce, tout comme dans le renvoi Coffin, on a recours à une règle relative à la possession de certains articles pour relier les accusés à des morceaux de preuve relativement à un crime ou leur possession n'est pas, autrement, un élément important.

De plus, voir également les arrêts R. v. Langmead, précité, et R. v. Nickerson, précité.

11. Je reviens maintenant à l'espèce. Le juge du procès connaissait bien le problème qui lui était présenté. Après certaines observations préliminaires sur la crédibilité du frère de l'appelant, il a dit:

[TRADUCTION] De toute évidence, pour rendre une déclaration de culpabilité, je dois être convaincu hors de tout doute raisonnable à l'égard de tous les éléments de preuve pris ensemble. En l'espèce, je ne crois pas que l'on conteste que tout repose sur l'application de la théorie de la possession de biens récemment volés étant donné qu'il n'y a aucun élément de preuve reliant directement cet accusé aux introductions par effraction en question.

Il a ensuite conclu qu'il y avait possession des biens visés dans trois des chefs d'accusation. Il a fait remarquer que plus d'un bien provenant de chacune des maisons en question avait été trouvé dans la chambre personnelle et verrouillée de l'appelant, que les biens avaient été identifiés de façon positive et que certains des articles étaient groupés de la même manière ou dans les mêmes contenants que lorsqu'ils avaient été volés. Il a également tenu compte de la réaction de l'appelant et de son comportement à l'arrivée de la police, y compris ses gestes près de la fenêtre de la chambre auxquels il a estimé qu'il ne devait pas accorder trop d'importance mais qu'il ne devait pas ignorer. Il a conclu en disant:

[TRADUCTION] J'ai tenu compte de l'absence totale de toute explication valable et je suis arrivé à la conclusion que, en ce qui a trait aux trois autres accusations, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé et je suis d'avis que je peux arriver à cette conclusion sans aucune crainte de m'engager dans une voie difficile pour y arriver.

12. En Cour d'appel, le juge en chef Monnin du Manitoba et le juge O'Sullivan ont convenu que l'appel devait être rejeté. Le juge Philp était dissident (voir (1986), 39 Man. R. (2d) 122, à la p. 123). Dans de très courts motifs, le juge en chef Monnin a exprimé son accord avec le juge du procès en disant:

[TRADUCTION] Je suis convaincu que, d'après la preuve présentée, le juge Kroft est arrivé à la bonne conclusion et ne s'est trompé sur aucun des aspects de l'affaire.

Le juge O'Sullivan a également exprimé son accord avec le juge Kroft en concluant ses motifs de la manière suivante à la p. 128:

[TRADUCTION] À mon avis, le juge Kroft a appliqué la théorie de la possession de biens récemment volés avec réalisme et précision. Bien que les délais puissent être trop longs pour appuyer la description de "récente" dans le cas où les biens provenaient d'une seule maison, le fait que les biens provenaient de trois maisons ayant toutes fait l'objet d'introduction avec effraction qui aurait été planifiée, soulève la même présomption en l'espèce que si la possession n'avait remonté qu'à quelques heures ou à quelques jours dans une autre affaire.

Toutefois, le juge O'Sullivan, avant d'arriver à sa conclusion a dit à la p. 125:

[TRADUCTION] À mon avis, la théorie de la possession de biens récemment volés porte que, lorsqu'elle s'applique, un accusé peut être déclaré coupable soit de vol, soit de recel, même s'il demeure absolument impossible de dire de quelle infraction il est coupable. Il est de règle que, lorsqu'un jury conclut hors de tout doute que l'accusé est coupable de l'une ou l'autre de ces infractions, il peut le déclarer coupable même s'il a un doute raisonnable quant à l'infraction dont il doit le déclarer coupable.

13. Bien que je sois d'accord avec le résultat auquel est arrivé la majorité, je me vois dans l'impossibilité de souscrire à l'énoncé du juge O'Sullivan en ce qui a trait à la théorie de la possession de biens récemment volés. À mon avis, cet énoncé est erroné et est fondé sur une mauvaise interprétation de certains des arrêts qu'il a examinés pour arriver à sa conclusion. Lorsqu'un jury n'est pas certain de la culpabilité d'un accusé à l'égard de l'une ou l'autre de deux infractions, il ne peut être convaincu hors de tout doute raisonnable à l'égard de chaque infraction et il en résultera un acquittement.

14. En résumé donc, me fondant sur les jurisprudences anglaise et canadienne que j'ai mentionnées, je suis d'avis que ce qui a été appelée la théorie de la possession de biens récemment volés peut être énoncée de façon succincte de la manière suivante. Dès que la possession inexpliquée de biens récemment volés a été démontrée, le juge des faits peut—sans y être obligé—tirer une déduction de culpabilité de vol ou d'infractions accessoires. Lorsque les circonstances sont telles que la question de savoir si l'accusé est un voleur ou simplement un possesseur peut être soulevée, il incombera au juge des faits après examen de toutes les circonstances de décider quelle déduction, sinon les deux, devraient être tirées. Dans toutes les affaires de possession de biens récemment volés, la déduction de culpabilité est facultative et non obligatoire et lorsqu'on fournit une explication qui pourrait raisonnablement être vraie, même si le juge des faits n'est pas convaincu de sa véracité, la théorie ne s'applique pas.

15. Compte tenu de tous les faits de l'espèce, je fais mienne l'opinion du juge Monnin que le juge de première instance a bien appliqué la théorie et je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs rendus par

16. Le juge Wilson (dissidente)—La question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir s'il est loisible au juge du procès de déclarer un accusé coupable de l'infraction de vol avec effraction aux termes de l'al. 306(1)b) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34 lorsque le seul élément de preuve reliant l'accusé à l'infraction est la possession par celui‑ci de biens récemment volés. Afin de régler cette question, la Cour doit examiner ce que certaines personnes ont appelé la théorie de la possession de biens récemment volés.

I Les faits

17. Au cours de l'été 1982, à Winnipeg, trois introductions par effraction ont été commises dans des maisons dont les propriétaires étaient récemment décédés. Ces cambriolages se sont produits pendant les funérailles qui avaient auparavant été annoncées. Les introductions par effraction ont eu lieu le 1er juin, du 6 au 8 juin et le 11 juillet 1982.

18. Le 27 août 1982, Barry Kowlyk, le frère de l'accusé, a été arrêté pendant qu'il commettait un vol. Lors de l'interrogatoire effectué par les agents enquêteurs, Barry Kowlyk a admis qu'il avait commis les trois introductions par effraction en question. Il a ensuite conduit les agents à une maison qu'il partageait avec l'accusé. À cet endroit, les policiers ont trouvé soixante‑seize articles volés au cours des introductions par effraction mentionnées précédemment. En entrant dans la maison avec les policiers, Barry Kowlyk a crié [TRADUCTION] "Réveille‑toi Ray. Les policiers sont ici. Ils nous ont eu. Tout est terminé".

19. L'accusé était dans sa chambre à coucher. La porte était fermée et un policier lui a demandé de sortir. L'accusé a dit qu'il le ferait après s'être habillé. Cinq minutes plus tard, l'accusé est sorti de la chambre. Un policier qui se trouvait à l'extérieur a déposé que l'accusé avait ouvert les rideaux, déverrouillé la fenêtre et tenté de l'ouvrir, mais s'était arrêté en voyant le policier. Quatorze articles volés se trouvaient dans la chambre de l'accusé. Les articles étaient réunis selon les différents cambriolages.

20. Le prévenu a été arrêté et trois chefs d'accusation de vol avec effraction ont été portés contre lui. Lorsque les policiers l'ont interrogé sur sa participation aux cambriolages, l'accusé a répondu [TRADUCTION] "Tout ce que vous pouvez me reprocher, c'est la possession. Je ne dirai rien". Il n'a pas fait d'autres observations et n'a pas déposé lors de son procès. Le juge Kroft de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba l'a déclaré coupable relativement aux trois chefs d'accusation de vol avec effraction et l'a condamné à purger concurremment trente mois d'emprisonnement pour chaque chef d'accusation. La Cour d'appel du Manitoba (le juge Philp étant dissident) a maintenu ces déclarations de culpabilité: voir (1986), 39 Man. R. (2d) 122.

II Les tribunaux d'instance inférieure

La Cour du Banc de la Reine

21. Le juge Kroft a d'abord fait remarquer qu'on ne devait pas accorder de force probante au témoignage de Barry Kowlyk, le frère de l'accusé. Il n'était tout simplement pas un témoin crédible. Il a également souligné que Barry Kowlyk était un voleur et qu'il agissait, du moins à certaines occasions, sans son frère. Le juge Kroft a établi clairement que sa façon d'aborder l'affaire était fondée sur "la théorie de la possession de biens récemment volés". Il a dit:

[TRADUCTION] En l'espèce, je ne crois pas que l'on conteste que tout repose sur l'application de la théorie de la possession de biens récemment volés étant donné qu'il n'y a aucun élément de preuve reliant directement cet accusé aux introductions par effraction en question.

En appliquant la théorie de la possession de biens récemment volés, le juge du procès a fait remarquer que d'importantes quantités de biens volés avaient été découvertes dans la chambre de l'accusé. Il a souligné que les biens trouvés n'étaient pas des articles isolés mais plutôt des groupes d'objets provenant des mêmes maisons. Il a également [TRADUCTION] "tenu compte de la réaction de l'accusé au moment de son arrestation, de ses remarques et de ses gestes à la fenêtre". Enfin, il a tenu compte [TRADUCTION] "de l'absence totale de toute explication raisonnable" de la part de l'accusé concernant la façon dont les biens volés s'étaient retrouvés dans sa chambre.

22. Pour ces motifs, le juge Kroft a déclaré l'accusé coupable relativement aux trois chefs d'accusation de vols avec effraction.

La Cour d'appel

23. La Cour d'appel (le juge Philp étant dissident) a rejeté l'appel. Le juge en chef Monnin du Manitoba, dans un court jugement, a dit simplement qu'il était d'avis de maintenir la décision du juge de première instance pour les motifs donnés par ce dernier. Le juge O'Sullivan a convenu avec le juge en chef Monnin que l'appel devait être rejeté. Il a souligné que les deux parties avaient admis que l'accusé savait qu'il était en possession de biens volés. Toutefois, il a souligné que l'accusé avait été inculpé non pas de possession, mais de vol avec effraction. Le juge O'Sullivan a dit que, sans l'aide de la théorie de la possession de biens récemment volés, l'accusé ne pouvait être déclaré coupable de cette infraction. Comme il l'a fait remarquer, à la p. 124, [TRADUCTION] "il est absolument impossible de dire hors de tout doute en l'espèce si l'accusé était un voleur ou seulement un receleur".

24. Toutefois, le juge O'Sullivan a conclu que l'accusé avait, à bon droit, été déclaré coupable de vol avec effraction. Il est arrivé à cette conclusion en appliquant la théorie de la possession de biens récemment volés. Comme le fait observer le juge O'Sullivan à la p. 125:

[TRADUCTION] À mon avis, la théorie de la possession de biens récemment volés porte que, lorsqu'elle s'applique, un accusé peut être déclaré coupable soit de vol, soit de recel, même s'il demeure absolument impossible de dire de quelle infraction il est coupable. Il est de règle que, lorsqu'un jury conclut hors de tout doute que l'accusé est coupable de l'une ou l'autre de ces infractions, il peut le déclarer coupable même s'il a un doute raisonnable quant à l'infraction dont il doit le déclarer coupable.

Le juge O'Sullivan cite l'ancien arrêt R. v. Langmead (1864), Le. & Ca. 427, 169 E.R. 1459, 9 Cox C.C. 464, (ci‑après cité à 9 Cox C.C.) qui établit péremptoirement que [TRADUCTION] "la possession inexpliquée de biens récemment volés est suffisante pour rendre une déclaration de culpabilité de vol (ou vol avec effraction) ou de recel même s'il est absolument impossible de dire quel crime a été commis par l'accusé".

25. Le juge Philp a exprimé une dissidence. Il a convenu que [TRADUCTION] "la "théorie" ou le "principe" dit de la possession de biens récemment volés s'applique dans les circonstances du présent appel". Toutefois, il ne partageait pas l'opinion du juge du procès et des juges formant la majorité de la Cour d'appel quant à l'effet de cette théorie. Il a passé en revue la jurisprudence et la doctrine pour conclure que l'effet de la théorie était bien résumé dans Phipson on Evidence, 13th ed., par. 4‑11, à la p. 49:

[TRADUCTION] Par exemple, dans le cas d'une accusation de vol ou de détention de biens volés, la preuve de la possession de biens récemment volés par l'accusé, sans explication ou avec une explication à laquelle il n'est pas ajouté foi, fait naître une présomption de fait (et non de droit) qu'il en est le voleur ou le détenteur (selon les circonstances) et le jury peut le déclarer coupable (même s'il n'est pas tenu de le faire) à la condition d'être convaincu que les autres éléments de l'infraction particulière sont démontrés. Il n'appartient pas à l'accusé de prouver que l'opération était honnête mais à la poursuite de prouver le contraire. Donc si le jury pense que l'explication donnée peut être vraie, même s'il n'en est pas convaincu, il doit acquitter l'accusé parce que le fardeau de la preuve incombait toujours à la poursuite et qu'elle ne s'en est pas acquittée.

26. En appliquant cette théorie aux faits de l'espèce, le juge Philp s'est demandé si [TRADUCTION] "compte tenu de toutes les circonstances, on peut dire hors de tout doute que l'accusé a commis l'infraction beaucoup plus grave de vol avec effraction ou a aidé ou encouragé à la perpétrer". Il a répondu à cette question par la négative en disant, aux pp. 135 et 136:

[TRADUCTION] Outre les soupçons, les conjectures et les suppositions (ainsi que l'aveu du frère impliquant l'accusé, sans constituer une preuve contre ce dernier), il n'y a aucune circonstance reliant l'accusé aux cambriolages qui se sont produits au cours des deux mois qui ont précédé son arrestation. Il n'a pas été vu sur la scène des crimes ni près de celle‑ci. Une autre personne, le frère de l'accusé, a reconnu sa culpabilité et a déposé qu'il était l'unique participant aux infractions. Le juge du procès a conclu que le frère n'était pas un témoin crédible, mais il a également conclu que le frère avait commis d'autres infractions sans la participation de l'accusé. Le juge du procès a dit:

"Toutefois il y a certains éléments de preuve concernant Barry Kowlyk que je tiens pour acquis et qui influent dans une certaine mesure sur ma décision. Je conclus qu'il était lui‑même un voleur, qu'il a agi, du moins à certaines occasions, sans son frère, et qu'il avait lui‑même pris possession de biens volés."

Je conclus que le juge du procès, en appliquant la règle, l'a fait en se fondant sur le fait que la possession inexpliquée de biens volés par l'accusé était un élément de preuve prima facie de sa participation aux trois infractions de vol avec effraction. À mon avis, une telle déduction était erronée en l'absence de tout élément de preuve reliant l'accusé à la perpétration de ces infractions.

En raison de mon interprétation de l'effet et de l'application de la règle concernant la possession des biens récemment volés, je me suis tenu d'accueillir l'appel de l'accusé et de l'acquitter. Je dois le faire nonobstant le fait que l'accusé était sans aucun doute coupable (mais n'en a pas été accusé) de l'infraction de possession de biens criminellement obtenus.

III La question en litige

27. Il est clair que le présent pourvoi dépend de la portée en droit de la possession de biens récemment volés. La possession de biens récemment volés a été diversement qualifiée de théorie juridique, de présomption, de principe juridique et de règle de preuve de bon sens. Ses origines sont relativement anciennes. Elle a été invoquée dès 1830 dans l'affaire Clement (1830), 1 Lewin 113, 168 E.R. 980, où Clement a été déclaré coupable du vol d'un cheval. L'affaire Clement est rapportée ainsi dans le recueil de jurisprudence:

[TRADUCTION] Assises sp. de Carlisle, 1830.

Affaire Clement.

(Possession en Écosse preuve du vol en Angleterre.)

L'accusé a été inculpé de vol de cheval. Selon la preuve, il avait un cheval en sa possession à Kirkcudbright trois jours après qu'il eut été volé dans le comté de Cumberland.

Le juge Parke a conclu qu'il s'agissait d'un élément de preuve suffisant pour établir que l'accusé avait commis un vol à Cumberland.

Il est difficile de déterminer le sens exact qu'il faut attribuer à cette décision. Le manque de détails en ce qui a trait aux circonstances de l'affaire nous empêche de déterminer exactement de quelle manière on a utilisé le fait de posséder des biens récemment volés. Toutefois, si cette affaire permet de faire valoir que la possession de biens récemment volés, en l'absence de toute autre circonstance incriminante, peut justifier une déclaration de culpabilité de vol, elle a été éclipsée par la jurisprudence ultérieure.

28. L'arrêt R. v. Hall (1845), 1 Cox C.C. 231, constitue un premier exemple de cette jurisprudence ultérieure. Dans cette affaire, il ressortait de la preuve que le détenu avait eu accès aux locaux du poursuivant et que le détenu avait été trouvé en possession de la chemise de ce dernier. Le baron en chef Pollock (à l'avis duquel a souscrit le juge Coleridge) a conclu que dans ces circonstances, on devrait donner des directives au jury pour qu'il rende un verdict d'acquittement. Le baron en chef Pollock a dit:

[TRADUCTION] Ce serait pousser la théorie de la possession un peu trop loin que de conclure que cela est suffisant. Il y a une certaine période après laquelle je croirais qu'il serait très injuste de présumer qu'il y a eu vol à partir de la simple possession de biens volés, même s'il existe une preuve aliunde que le bien a été volé.

Ainsi, le simple fait d'être en possession de biens volés ne peut constituer une preuve du vol que lorsqu'il est associé aux circonstances de l'affaire, comme l'existence d'un lien temporel suffisant entre le vol et la possession.

29. Ce point a été expliqué dans l'exposé que le juge Coleridge a fait au jury dans l'affaire Cockin (1836), 2 Lewin 235, 168 E.R. 1139. Dans cette affaire, l'accusé avait été inculpé d'avoir volé deux sacs. La preuve révélait que les sacs avaient été volés en février et qu'ils avaient été trouvés en la possession de l'accusé en mars, environ vingt jours plus tard. Le juge Coleridge a donné la directive suivante au jury:

[TRADUCTION] Si je devais maintenant perdre ma montre et que dans quelques minutes on devait la trouver sur la personne de l'un d'entre vous, cela donnerait d'excellentes raisons de présumer que vous l'avez volée; mais si, dans un mois, on devait la trouver en votre possession, la présomption que vous l'ayez volée serait grandement affaiblie parce que d'habitude les biens volés passent par plusieurs mains.

Cette directive souligne deux points importants. Elle indique que la possession de biens récemment volés a une grande force probante à l'égard du vol, seulement lorsque le caractère récent de la possession repousse la possibilité que le bien ait été volé par un tiers pour être ensuite transmis au défendeur par le voleur. D'une manière plus générale, elle souligne la nécessité d'examiner toutes les circonstances de l'affaire pour déterminer la portée en droit de la possession de biens récemment volés.

30. Dans l'arrêt R. v. Langmead, précité, on a souligné la nécessité d'examiner la possession de biens récemment volés en fonction de toutes les circonstances de l'affaire. Dans ce cas, Langmead a été déclaré coupable d'avoir recelé des moutons dont il savait qu'ils avaient été volés. Langmead a soutenu qu'on aurait dû dire au jury qu'il ne pouvait le déclarer coupable aux termes du chef d'accusation de recel parce que, prétendait‑il, les éléments de preuve n'établissaient que la possession inexpliquée de moutons récemment volés. La Court of Criminal Appeal a conclu qu'il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour justifier de laisser au jury le soin de déterminer la culpabilité ou l'innocence de l'accusé. Les observations de la Cour sur les effets de la possession de biens récemment volés s'apparentent au présent débat.

31. Le baron en chef Pollock a considéré le fait que l'accusé ait été trouvé en possession de moutons volés très récemment comme une preuve soit du vol soit du recel selon les circonstances de l'affaire. De toute évidence, certaines circonstances écartent la possibilité qu'il y ait eu recel. Toutefois, le baron en chef Pollock a conclu que ce n'était pas le cas dans cette affaire. Il a dit, à la p. 468:

[TRADUCTION] En l'espèce, je crois que la preuve du recel était plus convaincante que celle du vol. Il est très probable que l'accusé a envoyé les deux garçons conduire les moutons et qu'ils les ont innocemment pris de quelqu'un d'autre qui les avait volés d'autres personnes.

Le juge Blackburn est arrivé à une conclusion très semblable dans un bref jugement qui est très important pour comprendre la portée en droit de la possession de biens récemment volés. Il a dit à la p. 468:

[TRADUCTION] Je suis du même avis. Comme principe de droit, il n'y a aucune présomption que la possession de biens récemment volés indique qu'il s'agit plus d'un vol que d'un recel. Si une partie est en possession de biens récemment volés après le vol, il lui incombe d'expliquer sa possession et si elle ne le fait pas de manière satisfaisante, on peut raisonnablement présumer qu'elle les a obtenus malhonnêtement; mais la question de savoir si elle est coupable de recel ou de vol dépend des circonstances de l'affaire. Chaque fois que les circonstances sont telles qu'il est plus probable qu'une personne n'a pas volé les biens, ou présume qu'elle les a recelés. En l'espèce, je crois que le jury a tiré la bonne conclusion.

32. On a souscrit à ce point de vue dans l'arrêt R. v. Exall (1866), 4 F. & F. 922, 176 E.R. 850. Les faits de cette affaire sont exposés ainsi dans le jugement, à la p. 922 F. & F., 850 E.R.:

[TRADUCTION] Pendant la nuit du 21 décembre dernier, on est entré par effraction dans les lieux et, peu après 23 h cette nuit‑là, l'argent et les biens mentionnés ont été volés.

Les accusés ont été vus ensemble la même nuit dans un endroit public situé non loin de là. Ils ont été également vus ensemble tôt le matin.

Le matin, deux d'entre eux, Edwards et Exall ont été arrêtés ensemble en raison de soupçons pesant contre eux; et la montre a été trouvée sur l'un d'eux, soit Exall. L'autre accusé, Skelton a été arrêté quelque temps après, et on a trouvé sur lui une pièce d'argent identifiée comme faisant partie de l'argent volé et dont il a dit qu'elle provenait d'Edwards ce que ce dernier n'a pas nié.

Le baron en chef Pollock a fait observer ce qui suit au jury concernant la nature du droit relatif à la possession de biens récemment volés, aux pp. 924 à 928 F. & F., 851 à 853 E.R.:

[TRADUCTION] Le principe est que si une personne est trouvée en possession de biens récemment volés et ne peut donner de la possession une explication raisonnable, un jury peut en conclure qu'elle a commis le vol qualifié.

Et il en est ainsi de tout crime que le vol qualifié a accompagné, ou auquel ce vol qualifié est relié, comme le crime de cambriolage, d'incendie ou de meurtre. Car, si la possession est une preuve que la personne a commis le vol qualifié, et si l'auteur du vol qualifié est celui qui a commis l'autre crime, la possession est alors une preuve que la personne trouvée en possession des biens a commis cet autre crime.

En droit, si, peu de temps après la perpétration du crime, une personne est trouvée en possession des biens volés, cette personne est appelée à expliquer comment il se fait qu'elle se trouve en leur possession, c'est‑à‑dire, à donner une explication qui ne soit ni absurde ni improbable. La force de la présomption qui découle de cette possession est proportionnelle à la courte durée de temps qui s'est écoulé. Si l'intervalle n'a été que d'une heure ou deux et non d'une demi‑journée, la présomption est si forte qu'elle équivaut presque à une preuve, parce qu'on peut raisonnablement déduire que la personne doit avoir volé le bien. Dans le cours ordinaire de la vie, il n'est pas probable que la personne aurait pu avoir en sa possession le bien d'une autre manière. De plus, les jurés ne peuvent juger les questions qu'en se fondant sur leur connaissance et leur expérience de la vie courante.

Donc, par exemple (en l'espèce), si le bien était le produit d'un cambriolage alors le fait de l'avoir en sa possession, peu après le cambriolage constitue un certain élément de preuve que la personne en la possession de qui il a été trouvé a participé au cambriolage. Car, de toute façon, cette dernière doit l'avoir reçu de quelqu'un qui y a participé; et il s'agit d'un élément de preuve convaincant qu'il en était au courant et un certain élément de preuve qu'il y était partie. Pour décider si c'est le cas, il faut se fonder sur les autres circonstances de l'affaire. [Je souligne.]

En appliquant ce point de vue aux faits de l'affaire, le baron en chef Pollock a laissé entendre, à la p. 929 F. & F., 853 E.R., que le fait de posséder des biens récemment volés devrait être considéré simplement comme un élément de preuve circonstancielle dont on doit tenir compte avec toutes les autres circonstances:

[TRADUCTION] On a dit que la preuve circonstancielle doit être considérée comme une chaîne et chaque élément de preuve comme un maillon de la chaîne mais ce n'est pas le cas, car si un maillon est brisé la chaîne cédera. Il s'agit davantage d'une corde composée de plusieurs cordelettes. Un brin de la corde peut être insuffisant pour soutenir le poids, alors que trois brins ensembles peuvent être suffisamment solides.

Il peut en être ainsi dans le cas de la preuve circonstancielle: il peut y avoir un ensemble de circonstances dont aucune n'entraînerait une déclaration de culpabilité raisonnable ou plus qu'un simple soupçon, mais qui prises toutes ensemble peuvent donner lieu à une forte conclusion de culpabilité c'est‑à‑dire avec autant de certitude que les affaires humaines peuvent exiger ou permettre.

Dans l'ensemble, la décision semble permettre de faire une déduction plutôt modeste de la possession de biens récemment volés. Si la possession est récente au point qu'il semble improbable que la personne ait pu obtenir le bien autrement qu'en le volant, la déduction que le possesseur est également le voleur est forte. Si, toutefois, il n'y a pas un lien temporel aussi étroit, la déduction est faible. De toute façon, le fait de posséder des biens récemment volés constitue simplement un élément de preuve qui doit être évalué avec toutes les autres circonstances.

33. Les auteurs semblent convenir que la possession de biens récemment volés est au mieux considérée comme un fait dont on peut faire certaines déductions plutôt que comme une présomption ou une théorie juridique. Comme Delisle l'affirme dans Evidence, Principles and Problems (1984), à la p. 79:

[TRADUCTION] Comme la situation de fait du vol et de la possession se produit régulièrement et la pratique de faire une déduction est devenue normale, les tribunaux, peut‑être malheureusement, ont commencé à parler de la "présomption" qui découle de la possession de biens récemment volés, et à partir de là il était facile de parler de la "théorie" de la possession de biens récemment volés. Cela est malheureux, car la tournure du langage juridique sert souvent à masquer la simplicité et le bon sens de la proposition et peut imposer un fardeau trop lourd à l'accusé. [Je souligne.]

McWilliams a fait une remarque semblable dans Canadian Criminal Evidence, 2nd ed., (1984), où il a affirmé au sujet de la théorie de la possession de biens récemment volés aux pp. 81 et 82, que: [TRADUCTION] "Il s'agit d'une conclusion de fait dictée par le bon sens et non par une théorie ou une présomption".

34. Wigmore est d'accord avec cela. À la page 417 de Wigmore on Evidence, 3rd ed., vol. 9 (1940), l'auteur déclare que [TRADUCTION] "l'une des controverses les plus embarrassantes et les plus stériles a été de savoir si dans certaines circonstances la possession par l'accusé de biens volés soulève une présomption qu'il en est le voleur". Après un examen attentif de la jurisprudence anglaise et américaine, Wigmore conclut que la meilleure position est celle voulant qu'une telle présomption n'existe pas; "...le [TRADUCTION] caractère suffisant de la preuve présentée au jury dépend habituellement des diverses circonstances de chaque affaire" (p. 422). Donc, les auteurs semblent s'entendre pour dire que la possession de biens récemment volés est un fait à partir duquel on peut déduire le vol. La force de cette déduction dépendra de toutes les circonstances d'une affaire en particulier.

35. La jurisprudence canadienne s'accorde, dans une large mesure, avec la position adoptée par les tribunaux anglais et les auteurs. La Cour suprême du Canada a régulièrement adopté la position que l'importance qu'on doit donner en droit à la possession de biens récemment volés a été énoncé correctement par lord Reading dans R. v. Schama and Abramovitch (1914), 11 Cr. App. R. 45, à la p. 49 (voir Richler v. The King, [1939] R.C.S. 101, Ungaro v. The King, [1950] R.C.S. 430, Graham v. The Queen, [1959] R.C.S. 652, Tremblay v. La Reine, [1969] R.C.S. 431, R. c. Graham, [1974] R.C.S. 206, et R. c. Newton, [1977] 1 R.C.S. 399). Dans cet arrêt, lord Reading a donné la directive suivante au jury:

[TRADUCTION] "Quand l'accusé est inculpé de recel de biens récemment volés, si le ministère public a prouvé la possession par l'accusé et prouvé que les biens ont été récemment volés, il faut dire au jury qu'il peut, non pas qu'il doit, à défaut de toute explication raisonnable, déclarer l'accusé coupable. Mais s'il existe une explication qui pourrait être vraie, il appartient au jury de dire, d'après l'ensemble de la preuve, si l'accusé est coupable ou non; c'est‑à‑dire que si le jury croit, bien qu'il ne soit pas convaincu qu'elle l'est, l'accusé a droit à un acquittement parce que le ministère public n'a pas satisfait au fardeau qui lui incombe de convaincre le jury, hors de tout doute raisonnable, de la culpabilité de l'accusé. Ce fardeau ne se déplace jamais, il incombe toujours au ministère public. Tel est le droit. La Cour n'énonce pas un principe nouveau, elle ne fait que le formuler à nouveau et il est à espérer que cette nouvelle formulation sera utile à ceux qui ont à connaître de ce genre d'affaires." [Je souligne.]

Le fait que la possession de biens récemment volés permet à un jury, sans l'obliger à le faire, de déclarer l'accusé coupable de l'infraction reprochée est important. Il établit clairement que le jury doit examiner le fait de la possession de biens récemment volés conjointement avec toutes les autres circonstances pertinentes. Cette conclusion n'est pas surprenante. Après tout, lord Reading énonçait simplement de nouveau le point de vue de la common law anglaise alors en vigueur.

36. Par conséquent, il semblerait qu'en droit anglais et canadien la possession de biens récemment volés ne donne pas lieu à une présomption juridique de culpabilité de vol ou de vol avec effraction. Elle constitue plutôt un fait substantiel dont il est possible de déduire la culpabilité à l'égard de l'infraction plus grave. Toutefois, la force de la déduction dépendra des circonstances de l'affaire. La question de savoir si on peut faire une telle déduction en l'absence d'un autre élément de preuve reliant l'accusé à l'infraction plus grave reste entière.

37. Le problème que pose la réponse à cette question découle du fait que le cas typique où on fait valoir la possession de biens récemment volés comporte habituellement d'autres éléments de preuve reliant l'accusé à l'infraction reprochée. En fait, la note à l'arrêt Exall, précité, indique que, [TRADUCTION] "[l]a question ne s'est jamais posée strictement dans l'abstrait et n'aurait jamais pu se poser de cette façon, et il y a toujours des circonstances pour appuyer ou réfuter la présomption qui découle de la possession" (à la p. 925 F. & F., 852 E.R.) Il est certainement vrai que cette question se pose rarement dans l'"abstrait". Comme nous l'avons vu précédemment, le lien temporel entre la possession et le vol constitue souvent un fait supplémentaire qui appuie la déduction portant que le possesseur soit également le voleur. Toutefois, si l'on présume que le seul élément de preuve reliant l'accusé au vol était sa possession des biens volés, cela serait‑il suffisant pour justifier qu'il soit déclaré coupable de vol?

38. La jurisprudence ancienne examinée précédemment peut appuyer jusqu'à un certain point la position selon laquelle l'accusé ne peut être déclaré coupable de vol dans ces circonstances. Comme le juge Blackburn l'a conclu dans l'arrêt Langmead, précité, la possession de biens récemment volés constitue la preuve que l'accusé a [TRADUCTION] "obtenu [le bien] malhonnêtement ...mais la question de savoir s'[il] est coupable de recel ou de vol dépend des circonstances de l'affaire". Il semblerait en découler que s'il n'y a aucune autre circonstance reliant l'accusé au vol, alors cette infraction ne peut lui être reprochée. Cette conclusion semble particulièrement inévitable dans le contexte canadien où il existe une infraction qui vise précisément la simple possession de biens volés.

39. Cette conclusion est appuyée par une opinion incidente dans l'arrêt R. v. Nickerson (1977), 37 C.C.C. (2d) 337 (C.A.N.‑É.) Dans cette affaire, le juge Macdonald a expliqué ainsi l'effet de la théorie de la possession de biens récemment volés à la p. 343:

[TRADUCTION] Selon la jurisprudence établie par l'arrêt Langmead, j'estime qu'il incombe d'abord au jury ou au juge du procès s'il n'y a pas de jury, après avoir considéré toutes les circonstances, de dire si la présomption qui découle de la possession de biens récemment volés justifie une accusation de vol, de vol qualifié, de vol avec effraction, etc., ou seulement une accusation de possession de biens volés.

Ce qui découle de cette affaire, c'est qu'à elle seule la possession de biens récemment volés n'est pas suffisante pour justifier un verdict de culpabilité de l'infraction plus grave; elle ne devient suffisante que si elle est combinée avec des circonstances incriminantes.

40. Toutefois, l'arrêt Nickerson lui‑même n'était pas une affaire où on s'est fondé sur le seul fait de la possession de biens récemment volés pour prononcer une déclaration de culpabilité de vol avec effraction. Les faits de l'affaire sont énoncés dans l'arrêt de la manière suivante, à la p. 344:

[TRADUCTION] En l'espèce, il est incontestable qu'on est entré par effraction dans une roulotte stationnée sur le terrain de Eastern Transport Limited entre 23 h 40 le 24 mai 1977 et 00 h 15 le 25 mai 1977 et qu'on y a dérobé quatre cartouches de cigarettes. De même, il est incontestable que l'appelant a été trouvé en possession de l'une de ces cartouches "tôt le matin du 25 mai" dans un endroit situé à environ un mille et demi de la roulotte. L'agent Gunn du service de police de la ville de Halifax qui a appréhendé l'appelant, a déposé qu'il avait remarqué que l'appelant transportait la cartouche de cigarettes sur son épaule...

Donc, on était venu très près de prendre l'accusé en flagrant délit. Il se trouvait près du lieu de l'introduction par effraction et peu après qu'elle eut été perpétrée et il avait une cartouche des cigarettes volées sur son épaule. Par conséquent, même si le fait de posséder des biens récemment volés n'avait pas en soi justifié une déclaration de culpabilité de vol avec effraction, il justifiait une déclaration de culpabilité lorsqu'il était joint aux circonstances de l'affaire.

41. Cette position semble conforme à la jurisprudence et à l'ensemble des dispositions du Code criminel relatives au vol. Le fait de posséder des biens récemment volés peut, lorsqu'il est joint à d'autres circonstances incriminantes, justifier de déclarer le possesseur coupable de l'infraction par laquelle les biens ont été obtenus illégalement. En l'absence de ces autres circonstances incriminantes, seule une déclaration de culpabilité de possession de biens volés (art. 312 du Code criminel) est justifiée.

IV Application de la règle

42. En l'espèce, le juge du procès a déclaré que, n'eût été la théorie de la possession de biens récemment volés, il n'aurait pas été en mesure de déclarer l'accusé coupable de vol avec effraction. Toutefois, par application de la théorie, le juge du procès a conclu qu'il était en mesure de déclarer Kowlyk coupable de vol avec effraction malgré l'absence d'un élément de preuve indiquant que l'accusé avait commis cette infraction ou qu'il avait simplement commis l'infraction de possession.

43. La Cour d'appel du Manitoba, à la majorité, a maintenu la déclaration de culpabilité de Kowlyk. Le juge en chef Monnin du Manitoba a simplement dit qu'il était convaincu que le juge du procès [TRADUCTION] "est arrivé à la bonne conclusion et ne s'est trompé sur aucun des aspects de l'affaire". Le juge O'Sullivan était également d'avis que l'appel devait être rejeté. Il a conclu explicitement que la déclaration de culpabilité n'était possible qu'en raison de la théorie de la possession de biens récemment volés, aux pp. 124 et 125:

[TRADUCTION] Je suis d'avis qu'il est absolument impossible d'affirmer hors de tout doute en l'espèce que l'accusé était un voleur ou seulement une personne en possession des biens volés.

...

À mon avis, la théorie de la possession de biens récemment volés porte que, lorsqu'elle s'applique, un accusé peut être déclaré coupable soit de vol, soit de recel, même s'il demeure absolument impossible de dire de quelle infraction il est coupable. Il est de règle que, lorsqu'un jury conclut hors de tout doute que l'accusé est coupable de l'une ou l'autre de ces infractions, il peut le déclarer coupable même s'il a un doute raisonnable quant à l'infraction dont il doit le déclarer coupable. [Je souligne.]

Cette caractérisation de la théorie de la possession de biens récemment volés, qui est explicite dans les motifs du juge O'Sullivan et implicite dans ceux du juge du procès et du juge en chef Monnin, constitue une erreur donnant lieu à réformation.

44. La jurisprudence indique que le fait de posséder des biens récemment volés permet au jury de prononcer un verdict de culpabilité relativement à l'infraction de vol avec effraction si les circonstances de l'affaire établissent la culpabilité hors de tout doute raisonnable. La jurisprudence n'appuie pas l'argument selon lequel le fait de posséder des biens récemment volés permet une déclaration de culpabilité de vol avec effraction lorsqu'il est "absolument impossible" (pour reprendre les termes du juge O'Sullivan) de déterminer si l'accusé a commis une infraction.

V Conclusion

45. En l'espèce, il n'y a aucun élément de preuve reliant l'accusé au vol avec effraction autre que la possession par celui‑ci de biens volés. Cet élément de preuve ne peut justifier en soi une déclaration de culpabilité relativement à l'infraction plus grave. Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel et d'annuler la déclaration de culpabilité de l'accusé.

Pourvoi rejeté, le juge Wilson est dissidente.

Procureur de l'appelant: Martin D. Glazer, Winnipeg.

Procureur de l'intimée: Le procureur général du Manitoba, Winnipeg.


Synthèse
Référence neutre : [1988] 2 R.C.S. 59 ?
Date de la décision : 01/09/1988
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Vol par effraction - Biens récemment volés - Déclaration de culpabilité fondée seulement sur la théorie de la possession de biens récemment volés - Portée à accorder en droit à la possession de biens récemment volés - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 306(1)b).

L'appelant a été accusé de vol par effraction en application de l'al. 306(1)b) du Code criminel. Son frère a admis avoir commis les trois cambriolages en question et les policiers ont trouvé des articles provenant des maisons ayant fait l'objet de vols dans la maison que l'appelant partageait avec son frère et certains dans sa chambre. En entrant dans la maison avec les policiers, le frère de l'appelant a crié "Ils nous ont eu"; l'appelant a tenté de s'échapper par la fenêtre de sa chambre mais s'est arrêté en apercevant un policier à l'extérieur. L'appelant a été déclaré coupable en application de la théorie de la possession de biens récemment volés et la Cour d'appel a maintenu la déclaration de culpabilité. La question en litige vise la portée à accorder en droit à la possession de biens récemment volés.

Arrêt (le juge Wilson est dissidente): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Le Dain et La Forest: La théorie de la possession de biens récemment volés peut être énoncée succinctement. Dès que la possession inexpliquée de biens récemment volés a été démontrée, le juge des faits peut—mais sans y être obligé—tirer une déduction de la culpabilité de vol ou d'infractions accessoires. Une telle déduction peut être faite même en l'absence d'un autre élément de preuve reliant l'accusé à l'infraction plus grave. Lorsque les circonstances sont telles que la question de savoir si l'accusé est un voleur ou simplement un possesseur peut être soulevée, il incombera au juge des faits après examen de toutes les circonstances de décider quelle déduction, sinon les deux, devraient être tirées. La théorie ne s'appliquera pas lorsqu'on fournit une explication qui pourrait raisonnablement être vraie, même si le juge des faits n'est pas convaincu de sa véracité.

Le juge Wilson (dissidente): La possession de biens récemment volés ne soulève pas une présomption juridique de culpabilité de vol ou de vol par effraction. Elle constitue plutôt un fait substantiel duquel on peut déduire la culpabilité de vol. Toutefois, la force de la déduction dépendra des circonstances de l'affaire. S'il n'y a aucune autre preuve reliant l'accusé au vol (par opposition à la simple possession), alors l'infraction de vol ne peut lui être imputée. La possession de biens récemment volés ne permet pas une déclaration de culpabilité de vol par effraction lorsqu'il est "absolument impossible" de déterminer si l'accusé a commis un vol. Cette conclusion est particulièrement inévitable dans le contexte canadien où il existe une infraction qui vise précisément la simple possession de biens volés.

En l'espèce, il n'y a aucun élément de preuve reliant l'accusé au vol par effraction autre que sa possession des biens volés. Cet élément de preuve en lui‑même ne peut justifier une déclaration de culpabilité relativement à l'infraction la plus grave.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Kowlyk

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge McIntyre
Arrêts examinés: R. v. Langmead (1864), Le. & Ca. 427, 169 E.R. 1459
R. v. Exall (1866), 4 F. & F. 922, 176 E.R. 850
R. c. Graham, [1974] R.C.S. 206
R. c. Newton, [1977] 1 R.C.S. 399
R. v. Nickerson (1977), 37 C.C.C. (2d) 337
arrêts mentionnés: Clement's Case (1830), 1 Lewin 113, 168 E.R. 980
Cockin's Case (1836), 2 Lewin 235, 168 E.R. 1139
R. v. Hall (1845), 1 Cox C.C. 231
Reference re Regina v. Coffin, [1956] R.C.S. 191
R. c. Lovis
R. c. Moncini, [1975] 2 R.C.S. 294
Richler v. The King, [1939] R.C.S. 101
Ungaro v. The King, [1950] R.C.S. 430
Tremblay v. La Reine, [1969] R.C.S. 431
R. c. Paul, [1977] 1 R.C.S. 181
Hewson c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 82
R. v. Schama and Abramovitch (1914), 11 Cr. App. R. 45
R. v. Aves, [1950] 2 All E.R. 330
R. v. Loughlin (1951), 35 Cr. App. R. 69
R. v. Smith (1983), 148 J.P. 215
Russell v. R. (1983), 32 C.R. (3d) 307.
Citée par le juge Wilson (dissidente)
R. v. Langmead (1864), Le. & Ca. 427, 169 E.R. 1459, 9 Cox C.C. 464
Clement's Case (1830), 1 Lewin 113, 168 E.R. 980
R. v. Hall (1845), 1 Cox C.C. 231
Cockin's Case (1836), 2 Lewin 235, 168 E.R. 1139
R. v. Exall (1866), 4 F. & F. 922, 176 E.R. 850
R. v. Schama and Abramovitch (1914), 11 Cr. App. R. 45
Richler v. The King, [1939] R.C.S. 101
Ungaro v. The King, [1950] R.C.S. 430
Graham v. The Queen, [1959] R.C.S. 652
Tremblay v. La Reine, [1969] R.C.S. 431
R. c. Graham, [1974] R.C.S. 206
R. c. Newton, [1977] 1 R.C.S. 399
R. v. Nickerson (1977), 37 C.C.C. (2d) 337.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 11d).
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 306(1)b), 312.
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E‑10, art. 4(5).
Doctrine citée
Delisle, Ronald Joseph. Evidence, Principles and Problems. Toronto: Carswells, 1984.
McWilliams, Peter K. Canadian Criminal Evidence, 2nd ed. Aurora, Ont.: Canada Law Book, 1984.
Phipson, Sidney Lovell. Phipson on Evidence, 13th ed. By John Huxley Buzzard, Richard May and M. N. Howard. London: Sweet & Maxwell, 1982.
Stuart, Don. Annotation (1983), 32 C.R. (3d) 308.
Wigmore, John Henry. Wigmore on Evidence, vol. 9, 3rd ed. Boston: Little, Brown & Co., 1940.

Proposition de citation de la décision: R. c. Kowlyk, [1988] 2 R.C.S. 59 (1 septembre 1988)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1988-09-01;.1988..2.r.c.s..59 ?
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