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20/10/1988 | CANADA | N°[1988]_2_R.C.S._256

Canada | Angus c. Sun Alliance compagnie d'assurance, [1988] 2 R.C.S. 256 (20 octobre 1988)


angus c. sun alliance compagnie d'assurance, [1988] 2 R.C.S. 256

Sun Alliance Compagnie d'assurance Appelante

c.

Diane Hart Angus Intimée

et

Owen Hart et James Angus Intimés

répertorié: angus c. sun alliance compagnie d'assurance

No du greffe: 19902.

1988: 26, 27 mai; 1988: 20 octobre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Lamer et La Forest.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1986), 53 O.R. (2d) 793, qui a rejeté un appel

contre un jugement du juge Galligan (1984), 45 O.R. (2d) 667. Pourvoi accueilli.

John Nelligan, c.r., et Stuart Hendin,...

angus c. sun alliance compagnie d'assurance, [1988] 2 R.C.S. 256

Sun Alliance Compagnie d'assurance Appelante

c.

Diane Hart Angus Intimée

et

Owen Hart et James Angus Intimés

répertorié: angus c. sun alliance compagnie d'assurance

No du greffe: 19902.

1988: 26, 27 mai; 1988: 20 octobre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Lamer et La Forest.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1986), 53 O.R. (2d) 793, qui a rejeté un appel contre un jugement du juge Galligan (1984), 45 O.R. (2d) 667. Pourvoi accueilli.

John Nelligan, c.r., et Stuart Hendin, c.r., pour l'appelante.

David M. McFadyen, pour l'intimée Diane Hart Angus.

Rodger Brennan, pour les intimés Owen Hart et James Angus.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Le juge La Forest—La question principale soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si les art. 1, 5 et 6 de The Family Law Reform Act, 1975, S.O. 1975, chap. 41, qui prévoit que les conjoints ont des personnalités juridiques distinctes et ont le droit d'intenter une action en dommages‑intérêts l'un contre l'autre, s'applique rétroactivement de façon à permettre à un conjoint d'intenter une telle action relativement à un délit commis par l'autre avant l'entrée en vigueur de la Loi.

Les faits

2. Le 30 avril 1975, l'intimée Diane Angus a été grièvement blessée dans un accident d'automobile. Son mari, l'intimé James Angus, conduisait la voiture dans laquelle elle était passagère. L'accident a été causé par sa propre négligence. Le père de Diane Angus, Owen Hart était le propriétaire de l'automobile. Le 5 avril 1977, Diane Angus a intenté une action contre son mari et son père en vue d'obtenir des dommages‑intérêts pour les blessures et les pertes qu'elle a subies par suite de l'accident. Diane et James Angus ont depuis ce temps‑là divorcé.

3. Au moment de l'accident, deux textes de loi auraient interdit le recours. Voici le texte de l'art. 7 de The Married Woman's Property Act, R.S.O. 1970, chap. 262:

[TRADUCTION] 7. Toute femme mariée possède de son propre chef contre toute personne, y compris son mari, les mêmes recours en matière de protection et de sécurité de ses biens propres que s'ils lui appartenaient à titre de femme seule mais, à l'exception de ce qui précède, les époux n'ont pas de recours en dommages‑intérêts l'un contre l'autre.

Voici les parties pertinentes de l'art. 214 de The Insurance Act, R.S.O. 1970, chap. 224:

[TRADUCTION] 214. L'assureur n'est assujetti, aux termes d'un contrat constaté par une police de responsabilité automobile, à aucune responsabilité,

...

b) résultant de blessures subies

(i) par la fille, le fils, l'épouse ou le mari de toute personne assurée par le contrat...

ou de leur décès

4. La police d'assurance du père qui s'appliquait à la voiture elle‑même contenait une disposition exonérant la compagnie d'assurances appelante de toute responsabilité envers les tiers en des termes semblables à ceux de l'art. 214.

5. Un peu plus de deux mois après l'accident, mais bien avant le début de la poursuite, les dispositions citées précédemment ont été abrogées par les art. 5 et 6 de The Family Law Reform Act, 1975. En outre, les parties pertinentes des art. 1 et 5 de cette loi prévoient:

[TRADUCTION] 1.—(1) Aux fins des lois de l'Ontario, la personnalité juridique du mari est indépendante, différente, distincte de celle de son épouse et réciproquement.

...

(3) Sans limiter la portée générale des paragraphes (1) et (2),

a) chacune des parties au mariage possède le même droit de poursuivre l'autre partie en dommages‑intérêts que si elle n'était pas mariée;

...

5. Le sous‑alinéa (i) de la l'alinéa b) de l'article 214 de The Insurance Act, chapitre 224 des Lois refondues de l'Ontario, 1970 est abrogé.

Les tribunaux d'instance inférieure

6. Une demande (en application de l'art. 124 des Rules of Practice; voir maintenant la règle 21 des Règles de procédure civile) a été présentée devant le juge Galligan de la Cour suprême de l'Ontario ((1984), 45 O.R. (2d) 667) pour qu'il détermine si les dispositions citées précédemment avaient un effet rétroactif de façon à éliminer les moyens de défense fondés sur l'art. 7 de The Married Woman's Property Act et l'art. 214 de The Insurance Act. La demande visait également à obtenir une ordonnance portant que la déclaration ne révélait aucune cause raisonnable d'action contre le mari, le père ou la compagnie d'assurances.

7. Le juge Galligan a décidé que ces dispositions de The Family Law Reform Act, 1975 avaient un effet rétroactif et qu'on ne pouvait se prévaloir des moyens de défense. Les deux questions fondamentales qui lui ont été soumises étaient les suivantes:

1. L'article 7 de The Married Woman's Property Act constitue‑t‑il un moyen de défense opposable à l'action intentée contre James Angus ou les dispositions de The Family Law Reform Act, 1975 s'appliquent‑elles rétroactivement de façon à éliminer ce moyen de défense en abrogeant l'art. 7?

2. L'article 214 de The Insurance Act constitue‑t‑il un moyen de défense opposable à l'action intentée contre la compagnie d'assurances, ou les dispositions de The Family Law Reform Act, 1975 s'appliquent‑elles rétroactivement de façon à éliminer ce moyen de défense en abrogeant l'art. 214?

8. D'abord, à la p. 669, le juge Galligan a reconnu la "règle fondamentale" d'interprétation des lois selon laquelle

[TRADUCTION] ... nulle loi ne doit être interprétée comme ayant une portée rétroactive dans la mesure où des droits et des obligations matériels sont visés à moins que la loi ne le prévoie clairement ou n'exige implicitement une telle application rétroactive. Toutefois, une disposition procédurale doit, prima facie, être interprétée comme étant rétroactive à moins qu'elle ne cause un préjudice à un droit important d'une partie.

9. Le juge Galligan s'est fondé sur l'arrêt Manning v. Howard (1975), 8 O.R. (2d) 728 (C.A. Ont.), pour décider que l'art. 7 contenait une règle de procédure et non pas une règle de fond. Il s'agissait simplement d'une fin de non‑recevoir procédurale à l'égard de certains demandeurs qui invoquaient par ailleurs des droits existants. Comme telle, l'abrogation de cet article doit avoir un effet rétroactif [TRADUCTION] "à moins qu'il ne cause un préjudice à un droit important du défendeur". Il a ajouté, à la p. 670, que le mari

[TRADUCTION] ... n'avait aucun droit en vertu d'une règle de fond de porter préjudice à la demanderesse[ . . . ] Tout ce qui s'est produit [lors de l'adoption de la Loi], c'est la suppression de la fin de non‑recevoir opposable au recours que cherche à exercer la personne lésée.

10. On a soutenu au nom du mari que The Family Law Reform Act, 1975 devrait avoir un traitement semblable à celui qu'on a traditionnellement accordé aux dispositions en matière de prescription. Ces dispositions, bien que procédurales dans un certain sens, n'ont normalement pas d'effet rétroactif. Le juge Galligan a refusé de suivre ce raisonnement, concluant qu'on ne retrouvait pas en l'espèce les raisons de principe qui sous‑tendent la façon de traiter les dispositions en matière de prescription. Il a dit aux pp. 670 et 671:

[TRADUCTION] Il est depuis longtemps reconnu que des limites doivent être fixées au délai dans lequel les demandeurs peuvent intenter des actions. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi les tribunaux ont traditionnellement refusé d'interpréter les lois d'une manière qui priverait d'une personne du droit de ne pas être poursuivie dans un cas donné par application d'une interprétation rétroactive.

Il ne me semble pas que les mêmes considérations devraient s'appliquer lorsqu'une fin de non‑recevoir procédurale opposable à une personne en particulier ou à une catégorie de personnes cherchant à obtenir une compensation pour des préjudices qui leur ont été causés est enlevée par une loi.

11. Le juge Galligan a alors examiné l'effet de The Family Law Reform Act, 1975 sur l'art. 214. L'article 214, contrairement à l'art. 7 de The Married Woman's Property Act, était à son avis une disposition de fond. La présomption de non‑rétroactivité devrait donc s'y appliquer. Toutefois, il a conclu que l'abrogation de l'art. 214 découlait nécessairement du retrait de l'immunité des époux. La modification apportée à The Insurance Act

[TRADUCTION] ... constituait une modification corrélative rendue nécessaire par le retrait de l'immunité des époux. Je ne peux admettre que le législateur ait retiré cette immunité sans avoir l'intention de retirer l'interdiction d'indemnisation dans les actions qui pourraient être intentées par suite du retrait de l'immunité.

...

Permettre qu'un conjoint soit poursuivi en dommages‑intérêts par l'autre conjoint et conserver l'exemption en matière d'assurance contre une telle responsabilité me paraissent constituer une injustice que le législateur ne peut avoir voulue.

12. Le juge Galligan a dit qu'il concluait qu'il n'était pas nécessaire de décider si l'art. 214 s'appliquait rétroactivement pour accorder une indemnité à l'égard du père. Étant donné que le mari à titre de conducteur était un assuré non dénommé aux termes de la police et que l'art. 214 exigeait que la compagnie d'assurances l'indemnise en raison de sa responsabilité pour les dommages qu'il avait causés à son épouse, la question concernant l'indemnité à l'égard du père est devenue théorique.

13. Dans un bref jugement endossé, la Cour d'appel a confirmé la décision du juge Galligan. En citant l'arrêt Manning, précité, elle a ajouté que James Angus ne pouvait désormais plus invoquer le moyen de défense fourni par l'art. 7 étant donné que les parties étaient divorcées.

Analyse

14. Les arguments initiaux énumérés par le juge Galligan concernant les effets rétroactifs sont inattaquables. Il existe une présomption que les lois n'ont pas d'effet rétroactif. Toutefois, les dispositions "procédurales" ne sont pas assujetties à la présomption. Au contraire, elles sont présumées agir rétroactivement; voir E. A. Driedger, Construction of Statutes (2nd ed. 1983), aux pp. 202 et 203; Howard Smith Paper Mills Ltd. v. The Queen, [1957] R.C.S. 403.

15. Toutefois, la distinction qui existe entre les dispositions de fond et celles de nature procédurale est loin d'être claire. Ainsi, dans ce contexte, le juge Jessup de la Cour d'appel dans l'arrêt Manning, précité, a conclu que l'art. 7 était une disposition de nature procédurale. Il s'est largement fondé sur l'arrêt de lord Denning Broom v. Morgan, [1953] 1 Q.B. 597 (C.A.) L'arrêt Broom portait sur la responsabilité d'un employeur relativement aux blessures subies par une femme par suite de la négligence de son mari alors qu'ils étaient tous deux employés du défendeur. La loi anglaise visée dans l'arrêt Broom était essentiellement identique à celle qui est en cause en l'espèce. Voici ce que lord Denning a dit au sujet de la responsabilité directe du mari, aux pp. 609 et 610:

[TRADUCTION] À mon avis, il est clair que le mari devait agir de façon raisonnable à l'égard de tous ceux qui étaient autorisés à se trouver dans la maison et qu'il a été négligent en ce qui les concerne tous, y compris son épouse. Si le serveur au bar était tombé dans le trou et s'était blessé, la responsabilité délictuelle du mari serait engagée et il serait responsable des dommages. Il en est de même lorsque son épouse tombe dans le trou. La seule différence est qu'en vertu de la loi, elle ne peut le poursuivre. L'immunité du mari ne se fonde pas sur la théorie selon laquelle le mari et l'épouse ne font qu'un. Cette fiction n'a désormais plus sa place dans notre droit. De nos jours son immunité se fonde simplement sur les termes de l'art. 12 de la Married Woman's Property Act, 1882, qui s'appliquent à cet égard en vertu de l'art. 1 de la Loi de 1935. Cet article empêche l'épouse de poursuivre son mari en dommages‑intérêts à peu près de la même manière que la Statute of Frauds empêche une partie d'engager une poursuite quand un contrat n'est pas écrit; mais cela ne modifie pas le fait que le mari est coupable d'un délit. Son immunité est une simple règle de procédure et non une règle de fond. Il s'agit d'une immunité contre les poursuites et non une immunité contre une obligation ou une responsabilité.

16. Avec égards, je suis frappé par le caractère artificiel de la distinction que lord Denning a établie dans sa conclusion. Une "responsabilité" qu'on ne peut faire valoir ne semble pas avoir beaucoup de substance. Lord Denning dit que le mari a, en fait, commis un délit mais que, par l'application de la disposition de nature "procédurale", on ne peut simplement pas l'en tenir responsable. Cette position semble indéfendable. Dans l'arrêt Maxwell v. Callbeck, [1939] R.C.S. 440, le demandeur, qui conduisait une motocyclette, a subi des blessures par suite d'une collision avec l'automobile du défendeur en Alberta. L'accident est survenu le 30 octobre 1936 et le demandeur a intenté une action en dommages‑intérêts contre le défendeur le 12 octobre 1937. Cette Cour a conclu comme le juge de première instance que le demandeur était l'auteur de son propre malheur, mais elle a en outre conclu que, même s'il n'était pas le seul à avoir commis une faute, sa négligence avait contribué à la collision. Au moment de l'accident, l'interdiction de common law contre le partage de la responsabilité entre les auteurs d'un délit n'avait pas été supprimée. Toutefois, dans l'intervalle entre l'accident et le moment où l'action a été intentée, la province avait adopté The Contributory Negligence Act, S.A. 1937, chap. 18, qui prévoyait un tel partage et le demandeur a soutenu qu'il avait le droit d'invoquer ses dispositions. Toutefois, la Cour a brièvement rejeté l'argument sur le fondement de la règle "bien établie" de l'application prospective des lois. Si l'argument de lord Denning était accepté, une affaire comme l'arrêt Maxwell aurait une issue différente étant donné qu'en contribuant à l'accident la victime a, par sa négligence, certainement causé un tort; en common law, elle n'en était tout simplement pas responsable.

17. À mon avis, cet exemple fait ressortir la faiblesse de la tentative d'établir une distinction entre la responsabilité et son application. Un "délit" découle d'une loi et ne doit pas être confondu avec un "tort" dans le sens général. Il n'existe que lorsque la loi prévoit son existence, c'est‑à‑dire lorsque la loi prévoit un redressement. Bien qu'un acte puisse ne pas entraîner de responsabilité juridique et constituer quand même un "tort" dans plusieurs sens, il ne s'agit d'un tort dans le sens exigé par l'argument de lord Denning que s'il ouvre droit à une poursuite.

18. Lord Denning a jugé que l'immunité du mari contre les poursuites constituait [TRADUCTION] "une simple règle de procédure" en grande partie parce que la règle de common law initiale dont découle la disposition se fondait sur la fiction qui est maintenant discréditée selon laquelle [TRADUCTION] "le mari et l'épouse ne font qu'un". En l'absence de cette fiction, selon lord Denning, l'immunité est apparemment dénuée de contenu quant au fond. Ce qui reste est purement procédural; Broom, à la p. 609.

19. Je trouve également difficile de suivre cet argument. Que la disposition soit fondée ou non sur une fiction de common law n'est pas pertinent. Voici ce que le juge Oliver a dit dans l'arrêt Midland Bank Trust Co. v. Green (No. 3), [1979] 2 All E.R. 193 (Ch. D.), à la p. 211:

[TRADUCTION] Évidemment, le fait que l'évolution du droit ait produit une règle appliquant par principe une fiction particulière dans des circonstances données, ne signifie pas qu'un tribunal est libre de modifier la règle parce qu'il croit que la politique générale a changé, bien que celle‑ci puisse être un facteur pertinent dans la recherche de ce qu'est le droit en l'absence de guides clairs et certains dans la jurisprudence. Le tribunal ne peut légiférer pour modifier une règle claire et établie...

Une disposition est considérée de nature procédurale ou de fond aux fins de l'application rétroactive non parce qu'elle est ou non fondée sur une fiction juridique mais parce qu'elle a ou non un effet sur des droits matériels. P.‑A. Côté, dans Interprétation des lois (1982), a dit aux pp. 149 et 150:

Lorsqu'il est question de l'application des lois dans le temps, le terme "procédure" est employé dans un sens tout à fait particulier: pour savoir si une disposition est d'application immédiate [c.‑à‑d. aux affaires en cours] " . . . il faut décider non seulement si le texte touche la procédure, mais aussi s'il ne touche que la procédure, sans toucher le fond du droit des parties". [Citant De Roussy c. Nesbitt (1920), 53 D.L.R. 514, 516 (traduction).]

20. En l'espèce, il est difficile de voir de quelle façon la procédure est touchée. La disposition en question offre un moyen de défense complet. Quelles que puissent en être les raisons et qu'on les approuve ou non, une disposition offrant un moyen de défense complet, tout autant que la création d'une cause d'action elle‑même, est un élément de fond.

21. Même si l'on présume que la disposition en question est de nature procédurale dans un certain sens, les tribunaux qui ont créé des présomptions concernant l'effet rétroactif des règles de procédure n'avaient pas ce genre de distinction à l'esprit. Normalement, les règles de procédure n'ont pas d'effet sur le contenu ou sur l'existence d'une action ou d'un moyen de défense (ou d'un droit, d'une obligation ou de quelque autre objet de la loi), mais seulement sur la manière de l'appliquer ou de l'utiliser. Dans Maxwell on Statutory Interpretation (12th ed. 1969), à la p. 222, P. St. J. Langan dit à ce sujet:

[TRADUCTION] La présomption d'interprétation non‑rétroactive ne s'applique pas aux dispositions qui n'ont seulement d'effet que sur la procédure et la pratique des tribunaux. Nul n'a de droit acquis sur une procédure particulière; une personne a seulement le droit de poursuivre ou de se défendre de la manière prescrite à ce moment‑là par ou pour les tribunaux devant lesquels elle poursuit et, si une loi du Parlement modifie ce mode de procédure, elle ne peut agir que selon ce nouveau mode.

Le changement d'un "mode" de procédure dans la production d'une défense est une chose très différente du retrait complet du moyen de défense. Ce dernier est essentiellement une atteinte à un droit acquis.

22. C'est ce qui explique l'exception créée par les tribunaux pour les lois relatives à la prescription. Bien que dans un certain sens, elles soient "procédurales", on ne présumera pas qu'elles ont un effet rétroactif étant donné qu'elles peuvent priver un demandeur du droit d'action qu'il avait au moment de l'adoption de la loi; voir Upper Canada College v. Smith (1920), 61 R.C.S. 413; Merrill v. Fisher (1975), 11 O.R. (2d) 551 (C.A.) à la p. 552. Dans un arrêt qui se rapproche de l'espèce, cette Cour a récemment conclu que la prorogation ou la modification d'un délai de prescription ne privera pas une personne du moyen de défense qu'elle pouvait faire valoir en vertu du délai de prescription qui existait avant la modification; voir Martin c. Perrie, [1986] 1 R.C.S. 41. Toutefois, à mon humble avis, malgré toute la sympathie que l'on peut éprouver pour Diane Angus, la conclusion selon laquelle l'art. 7 est de nature procédurale de manière à entraîner une interprétation rétroactive ne peut être acceptée. La règle de la non‑rétroactivité devrait certainement s'appliquer dans un contexte comme l'espèce où une partie est privée d'un moyen de défense contre une action en raison de l'application de la nouvelle loi; voir Foy v. Foy (1978), 20 O.R. (2d) 747 (C.A.), aux pp. 747 et 748, opinion incidente du juge Jessup. C'est la raison d'être de la présomption. Le droit considère avant tout avec suspicion une loi à effet rétroactif; on ne présumera pas facilement que le législateur a eu l'intention d'accorder un effet rétroactif à une disposition lorsqu'elle porte nettement atteinte aux droits acquis d'une partie.

23. Le juge Galligan a également soutenu que James Angus n'avait aucun [TRADUCTION] "droit de porter préjudice" à sa femme et, par conséquent, qu'il n'était privé d'aucun droit. La réalité me semble tout à fait différente. Une application rétroactive de l'art. 7 priverait de toute évidence James Angus d'un moyen de défense complet.

24. Il n'est pas nécessaire en l'espèce de démêler les distinctions complexes qui existent entre les dispositions législatives de fond et procédurales. En l'espèce, la disposition porte de toute évidence sur le fond. De toute façon, qu'on considère que la disposition porte sur le fond ou sur la procédure, il ne s'agit pas d'une disposition à laquelle on peut appliquer une présomption de rétroactivité. Cela équivaudrait à une privation grave d'un droit acquis du mari et on ne devrait pas présumer à la légère que c'était l'intention du législateur.

25. La Cour d'appel, en se fondant sur son arrêt antérieur Manning, précité, a également conclu que le divorce de Diane et de James Angus après le début de l'action a placé les parties hors de la portée de l'art. 7. Toutefois, il me semble que cette conclusion est, en fin de compte, fondée sur la qualification de l'immunité des époux comme procédurale, ce que j'ai déjà rejeté. Dans le domaine de la responsabilité civile, "les droits de la victime sont établis au jour de l'acte dommageable", Côté, précité, à la p. 112. Aucune modification subséquente d'un simple statut ne peut priver une partie d'un droit matériel qui existe à ce moment‑là. Lord Denning dans l'arrêt Broom a convenu à la p. 610:

[TRADUCTION] Dans la mesure où [Phillips v. Barnet] était fondé sur la fiction selon laquelle le mari et l'épouse ne font qu'un, le raisonnement n'est désormais plus valide; toutefois je ne voudrais pas laisser entendre que l'affaire aurait pu trouver une solution différente aujourd'hui. Le divorce ne fait pas disparaître l'immunité contre les poursuites que confère l'article 12, lorsqu'elle entre en jeu.

L'arrêt Phillips v. Barnet, [1875‑76] 1 Q.B.D. 436, visait précisément la même situation que celle qui nous intéresse en l'espèce, c'est‑à‑dire une femme divorcée qui tente de poursuivre son ex‑mari pour des préjudices causés pendant le mariage. Il convient de souligner que l'arrêt Broom et plusieurs autres arrêts sur lesquels se fonde l'appelant comportaient des faits nettement différents de ceux de l'espèce. Ils visaient la responsabilité d'un employeur lorsque le mari et la femme étaient tous deux ses employés et que la femme avait subi un préjudice par suite de la négligence du mari. Par conséquent, l'effet de l'immunité du mari était indirect, alors qu'en l'espèce il est direct.

26. L'analyse qui précède est suffisante pour régler la poursuite contre le mari et la poursuite contre la compagnie d'assurances quant à la responsabilité qui lui incombe du fait de la conduite du mari. En fait, la compagnie d'assurances serait exonérée de la responsabilité simplement sur le fondement des modalités de la police d'assurance. Toutefois, la responsabilité du père, Owen Hart, ne dépend absolument pas de l'art. 7. Comme l'avocat de l'appelante l'a souligné, pendant de nombreuses années, les enfants ont eu le droit de poursuivre leurs parents pour des préjudices résultant de l'utilisation négligente d'un véhicule automobile. Toutefois, l'art. 214 de The Insurance Act, empêchait tout recours contre la compagnie d'assurances du père. Cette situation entraîne donc la question de savoir si l'abrogation de l'art. 214 par l'art. 5 de The Family Law Reform Act, 1975 doit être interprétée comme ayant un effet rétroactif.

27. Les arguments présentés concernant l'art. 7 de The Married Woman's Property Act s'appliquent également en l'espèce. Toutefois, l'argument invoqué contre l'abrogation rétroactive de l'art. 214 est encore plus fort. Tout d'abord, il n'y a aucun doute que l'art. 214 est une disposition de fond à l'égard de laquelle s'applique le principe ordinaire de non‑rétroactivité. Le juge Galligan en convient, mais il conclut à la rétroactivité de l'abrogation en raison du rapport qui existe entre l'art. 5 et l'art. 7. Compte tenu de ma conclusion à l'égard de l'art. 7, cet argument perd toute sa force.

28. Cette affaire constitue une bonne illustration des raisons de politique générale pour lesquels les lois ne doivent pas avoir d'application rétroactive en l'absence d'une intention à cet effet que la loi décrète expressément ou exige implicitement. Les droits matériels des compagnies d'assurances sont touchés par la décision du juge Galligan. Le raisonnement concernant la prescription s'applique à fortiori à la situation des compagnies d'assurances. Celles‑ci calculent leurs primes en tenant compte des facteurs de risque connus. Lorsque les taux relatifs au contrat en question en l'espèce ont été calculés, il était "connu" que ce risque en particulier—une poursuite en responsabilité civile par Diane Angus contre son mari—était écarté par l'art. 7. La compagnie d'assurances s'est fondée sur cette "connaissance" pour fixer ses taux. Une modification rétroactive de cette situation ne devrait pas être présumée à la légère. Dans l'arrêt Martin c. Perrie, précité, cette Cour a conclu que la modification d'un délai de prescription pour intenter des poursuites pour faute médicale (d'une année à compter de l'acte à une année à compter de la date de la découverte du préjudice) ne pouvait pas avoir d'effet rétroactif étant donné que les médecins auraient pu se fonder sur l'ancienne disposition pour organiser leurs affaires (p. ex. en détruisant des dossiers) d'une telle manière qu'ils auraient subi des préjudices en raison de la modification. À mon avis, l'analogie en l'espèce est évidente.

Dispositif

29. Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'ordre de la Cour d'appel de l'Ontario et de rejeter l'action intentée contre Sun Alliance Compagnie d'assurance. L'action intentée contre James Angus est également rejetée. L'action intentée contre Owen Hart est renvoyée devant le juge de première instance pour être traitée conformément à la loi. Il n'y a pas lieu d'adjuger de dépens.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l'appelante: Hendin, Hendin & Casey, Ottawa.

Procureur de l'intimée Diane Hart Angus: David M. McFadyen, Willowdale.

Procureurs des intimés Owen Hart et James Angus: Bell, Baker, Ottawa.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Législation—Interprétation—Application rétroactive—Lois empêchant une action en vigueur au moment de l'accident—Abrogation desdites lois avant le début de l'action—L'abrogation s'applique‑t‑elle rétroactivement?—Married Woman's Property Act, R.S.O. 1970, chap. 262, art. 7—Insurance Act, R.S.O. 1970, chap. 224, art. 214b)(i)—Family Law Reform Act, 1975, S.O. 1975, chap. 41, art. 1(3)a), 5, 6.

Droit de la famille—Immunité des époux—Lois empêchant une action en vigueur au moment de l'accident—Abrogation desdites lois avant le début de l'action—L'abrogation s'applique‑t‑elle rétroactivement?.

L'intimée Diane Angus était passagère dans une automobile conduite par son mari, l'intimé James Angus, et a été grièvement blessée dans un accident causé par la négligence de celui‑ci. Le père de Diane Angus, Owen Hart, était le propriétaire de l'automobile. Diane Angus a intenté une action en dommages‑intérêts contre son mari et son père. Depuis ce temps‑là, Diane et James Angus ont divorcé. Au moment de l'accident, l'art. 7 de The Married Woman's Property Act empêchait les conjoints d'intenter une action en dommages‑intérêts l'un contre l'autre et l'art. 214 de The Insurance Act prévoyait qu'un assureur n'était assujetti à aucune responsabilité résultant de blessures subies par une fille, un fils, une épouse ou un mari ou de leur décès. The Family Law Reform Act, 1975 a abrogé ces dispositions après l'accident mais avant le début de la poursuite. La police d'assurance automobile du père contenait également une disposition exonérant la compagnie d'assurances appelante de toute responsabilité envers les tiers en des termes semblables à ceux de l'art. 214. La question principale soulevée en l'espèce est de savoir si The Family Law Reform Act, 1975 a un effet rétroactif de façon (1) à permettre à un conjoint d'intenter une action relativement à un délit commis par l'autre avant l'entrée en vigueur de la Loi et (2) à éliminer l'art. 214 de The Insurance Act en tant que moyen de défense opposable à l'action intentée par la compagnie d'assurances.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Une disposition est dite de nature procédurale ou de fond aux fins de l'application rétroactive non parce qu'elle est ou non fondée sur une fiction juridique, mais parce qu'elle a ou non un effet sur des droits matériels. En l'espèce, la procédure n'est absolument pas touchée. La disposition en question offre un moyen de défense complet et constitue ainsi un élément de fond tout autant que la création d'une cause d'action elle‑même. De toute façon, que la disposition soit considérée porter sur le fond ou sur la procédure, il ne s'agit pas d'une disposition à laquelle on peut appliquer une présomption de rétroactivité. Cela équivaudrait à une privation grave d'un droit acquis du mari et on ne devrait pas présumer à la légère que c'était l'intention du législateur.

L'article 214 de The Insurance Act empêchait tout recours contre la compagnie d'assurances du père. Cet article est également une disposition de fond à l'égard de laquelle s'applique le principe ordinaire de non‑rétroactivité.


Parties
Demandeurs : Angus
Défendeurs : Sun Alliance compagnie d'assurance

Références :

Jurisprudence
Arrêt critiqué: Broom v. Morgan, [1953] 1 Q.B. 597
arrêts mentionnés: Manning v. Howard (1975), 8 O.R. (2d) 728
Howard Smith Paper Mills Ltd. v. The Queen, [1957] R.C.S. 403
Maxwell v. Callbeck, [1939] R.C.S. 440
Midland Bank Trust Co. v. Green (No. 3), [1979] 2 All E.R. 193
Upper Canada College v. Smith (1920), 61 R.C.S. 413
Merrill v. Fisher (1975), 11 O.R. (2d) 551
Martin c. Perrie, [1986] 1 R.C.S. 41
Foy v. Foy (1978), 20 O.R. (2d) 747
Phillips v. Barnet, [1875‑76] 1 Q.B.D. 436.
Lois et règlements cités
Contributory Negligence Act, S.A. 1937, chap. 18.
Family Law Reform Act, 1975, S.O. 1975, chap. 41, art. 1(3)a), 5, 6.
Insurance Act, R.S.O. 1970, chap. 224, art. 214b)(i).
Married Woman's Property Act, R.S.O. 1970, chap. 262, art. 7.
Règles de procédure civile, règle 21, auparavant Rules of Practice, art. 124.
Doctrine citée
Côté, Pierre‑André. Interprétation des lois. Cowansville, Québec: Yvon Blais, 1982.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.
Maxwell, Sir Peter B. Maxwell on Statutory Interpretation, 12th ed. By P. St. J. Langan. London: Sweet & Maxwell, 1969.

Proposition de citation de la décision: Angus c. Sun Alliance compagnie d'assurance, [1988] 2 R.C.S. 256 (20 octobre 1988)


Origine de la décision
Date de la décision : 20/10/1988
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1988] 2 R.C.S. 256 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1988-10-20;.1988..2.r.c.s..256 ?
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