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01/12/1988 | CANADA | N°[1988]_2_R.C.S._387

Canada | R. c. Beare; R. c. Higgins, [1988] 2 R.C.S. 387 (1 décembre 1988)


Sa Majesté La Reine Appelante

c.

Claude R. Beare Intimé

et

Le procureur général du Canada, le procureur général de l'Ontario, le procureur général du Nouveau‑Brunswick, le procureur général du Manitoba, le procureur général de l'Alberta et l'Association canadienne des chefs de police Intervenants

et

Sa Majesté La Reine Appelante

c.

Frederick G. Higgins Intimé

et

Le procureur général du Canada, le procureur général de l'Ontario, le procureur général du Nouveau‑Brunswick, le procureur général du Manit

oba, le procureur général de l'Alberta et l'Association canadienne des chefs de police Intervenants

répertorié: r. c. beare; r. c. h...

Sa Majesté La Reine Appelante

c.

Claude R. Beare Intimé

et

Le procureur général du Canada, le procureur général de l'Ontario, le procureur général du Nouveau‑Brunswick, le procureur général du Manitoba, le procureur général de l'Alberta et l'Association canadienne des chefs de police Intervenants

et

Sa Majesté La Reine Appelante

c.

Frederick G. Higgins Intimé

et

Le procureur général du Canada, le procureur général de l'Ontario, le procureur général du Nouveau‑Brunswick, le procureur général du Manitoba, le procureur général de l'Alberta et l'Association canadienne des chefs de police Intervenants

répertorié: r. c. beare; r. c. higgins

No du greffe: 20384.

Audition et jugement: 1987: 16, 17 décembre.

Motifs déposés: 1988: 1er décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey*201* McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain La Forest et L'Heureux‑Dubé.

*t sLes juges Estey et Le Dain ont pris part au jugement du 17 décembre 1987, mais n'ont pas pris part au présent jugement.

en appel de la cour d'appel de la saskatchewan

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Saskatchewan (1987), 56 Sask. R. 173, [1987] 4 W.W.R. 309, 57 C.R. (3d) 193, qui a accueilli les appels, entendus conjointement, d'une décision du juge Rutherford qui rejetait une demande d'annulation d'ordonnance de comparaître et d'une décision du juge Maurice qui rejetait une demande d'annulation d'une sommation à comparaître, à des fins d'identification, conformément à la Loi sur l'identification des criminels. Pourvoi accueilli. La première question constitutionnelle reçoit une réponse négative; il est inutile d'examiner la seconde.

1. Robert G. Richards et Kenneth J. Tyler, pour l'appelante.

2. David G. MacKay, pour l'intimé Claude R. Beare.

3. Personne n'a comparu pour l'intimé Higgins.

4. William Corbett, c.r., pour l'intervenant le procureur général du Canada.

5. S. Casey Hill, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.

6. Personne n'a comparu pour l'intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.

7. Stuart Whitley et Marva Smith, pour l'intervenant le procureur général du Manitoba.

8. Jack Watson, pour l'intervenant le procureur général de l'Alberta.

9. B. A. Crane, c.r., et Henry S. Brown, pour l'intervenante l'Association canadienne des chefs de police.

Version française du jugement de la Cour rendu par

10. Le juge La Forest—Le présent pourvoi vise à déterminer si l'art. 2 de la Loi sur l'identification des criminels, S.R.C. 1970, chap. I‑1, et les par. 453.3(3) et 455.5(5) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, modifié par S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 2, violent la Charte canadienne des droits et libertés parce qu'ils autorisent la prise des empreintes digitales d'une personne qui a été arrêtée mais n'a pas encore été déclarée coupable. La question se pose dans deux contextes distincts: a) dans le cas d'une personne qui a reçu une citation à comparaître conformément à l'art. 451 du Code; et b) dans le cas d'une personne requise, par sommation, de comparaître pour la prise d'empreintes digitales, conformément à l'art. 455.5. Devant cette Cour, le débat a principalement porté sur la question de savoir si ces dispositions enfreignent l'art. 7 de la Charte; les art. 8, 9, 10 et les al. 11c) et d) de la Charte ont aussi été invoqués, mais aucun argument n'a été présenté à leur sujet. L'article 7 se lit ainsi:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Les faits

11. En février 1983, l'intimé Beare a été inculpé d'introduction par effraction et de vol, en vertu de l'al. 306(1)b) du Code criminel. Il a reçu signification d'une citation à comparaître lui ordonnant de se présenter devant le tribunal et le convoquant aux bureaux de la Gendarmerie royale du Canada (G.R.C.) [TRADUCTION] "pour les fins de la Loi sur l'identification des criminels". Cette dernière loi, en son art. 2, dispose qu'une personne légalement sous garde peut être soumise à certains procédés d'identification, dont le plus connu de nos jours est bien sûr la prise des empreintes digitales, qui a été approuvée par le gouverneur en conseil en application de cette disposition; voir DORS/48‑412. L'article 2 porte:

2. (1) Une personne légalement sous garde, qu'elle soit accusée d'un acte criminel, ou qu'elle en ait été reconnue coupable, ou qui a été arrêtée en vertu de la Loi sur l'extradition ou de la Loi sur les criminels fugitifs, peut être soumise, par ceux qui en ont la garde ou en vertu de leurs ordres, aux mensurations, procédés et opérations exécutés d'après la méthode d'identification des criminels appelée communément bertillonnage, ou à des mensurations, procédés ou opérations qui ont le même objet et que le gouverneur en conseil a approuvés.

(2) Il est permis d'employer la force nécessaire pour effectuer et appliquer utilement ces mensurations, procédés et opérations.

(3) Les fiches signalétiques, ainsi que les autres indications obtenues, peuvent se publier à titre de renseignements à l'usage des fonctionnaires et autres personnes prenant part à l'exécution ou à l'application de la loi.

Une personne à qui l'on remet une citation à comparaître est, en vertu du par. 453.3(3) du Code criminel, présumée légalement sous garde aux fins de la Loi sur l'identification des criminels. Le paragraphe 453.3(3), à l'époque en cause, prévoyait:

453.3 ...

(3) Une citation à comparaître, une promesse de comparaître ou un engagement contracté devant un fonctionnaire responsable peuvent, lorsque le prévenu est allégué avoir commis un acte criminel, enjoindre au prévenu de comparaître aux temps et lieu y indiqués, aux fins de la Loi sur l'identification des criminels, et une personne qui comparaît ainsi est censée, aux seules fins de cette loi, être une personne légalement sous garde qui est accusée d'un acte criminel.

Cette disposition a été modifiée par la suite (S.C. 1985, chap. 19, art. 77), mais d'une manière qui reste sans effet sur la solution à donner au pourvoi.

12. Si la personne ne comparaît pas malgré la citation, un mandat d'arrestation peut être lancé contre elle (art. 453.4). Elle se rend aussi coupable d'une infraction au par. 133(5) du Code.

13. En décembre 1982, l'intimé Higgins a été inculpé de fraude, aux dépens de Soo Security Motorways, pour un montant supérieur à 200 $, aux termes du par. 338(1) du Code criminel. Il a reçu signification d'une sommation lui ordonnant de comparaître devant le tribunal et le convoquant aux bureaux de la G.R.C. [TRADUCTION] "pour les fins de la Loi sur l'identification des criminels". Selon le par. 455.5(5) du Code, une personne qui reçoit une sommation est aussi censée être une personne légalement sous garde pour les fins de la Loi sur l'identification des criminels. Le paragraphe 455.5(5) se lit ainsi:

455.5 ...

(5) Une sommation peut, lorsqu'il est allégué que le prévenu a commis un acte criminel, enjoindre au prévenu de comparaître aux temps et lieu y indiqués, aux fins de la Loi sur l'identification des criminels, et une personne qui comparaît ainsi est censée, aux seules fins de cette loi, être une personne légalement sous garde qui est accusée d'un acte criminel.

La personne qui ne se conforme pas à cette sommation peut aussi faire l'objet d'un mandat d'arrestation (art. 455.6) et se rend coupable d'une infraction (par. 133(4)).

14. Ni Beare ni Higgins ne se sont présentés aux bureaux de la G.R.C. comme requis. Tous deux ont contesté l'obligation de comparaître pour le prélèvement de leurs empreintes digitales, alléguant la violation de la Charte canadienne des droits et libertés. Le 14 mars 1983, le juge Rutherford, de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, a rejeté la demande de Beare, sans motifs rapportés. Le 4 avril 1983, le juge Maurice a aussi rejeté la demande de Higgins, avec motifs.

15. Higgins, dans sa demande, voulait obtenir réparation en vertu de l'art. 8, de l'al. 11d) et du par. 24(1) de la Charte et du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Bien que le juge Maurice ait estimé que la demande comportait certains vices de procédure, il a néanmoins procédé à son examen au fond, pour conclure que la Loi sur l'identification des criminels ne contrevenait pas à l'art. 8 et à l'al. 11d) et que, même si c'était le cas, la Loi serait sauvegardée par l'article premier de la Charte.

16. Les deux intimés ont interjeté appel à la Cour d'appel de la Saskatchewan. Leurs appels ont été entendus ensemble. Tous deux ont soutenu que soumettre un inculpé à la prise d'empreintes digitales, conformément à la Loi sur l'identification des criminels, avant qu'il soit reconnu coupable d'un acte criminel, enfreignait les droits garantis par la Charte. Bien qu'on se soit fondé sur les art. 7, 8, 9, 10 et les al. 11c) et d) de la Charte, la cour s'est limitée à l'examen de l'art. 7.

17. Dans un arrêt daté du 14 avril 1987, la Cour d'appel de la Saskatchewan a accueilli les appels (1987), 56 Sask. R. 173, [1987] 4 W.W.R. 309, 57 C.R. (3d) 193 (ci‑après cité au (1987) 56 Sask. R. 173), et jugé que, dans la mesure où ils autorisaient la prise des empreintes digitales d'une personne accusée, mais non reconnue coupable, d'un acte criminel, l'art. 2 de la Loi sur l'identification des criminels et les par. 453.3(3) et 455.5(5) du Code criminel violaient l'art. 7 de la Charte et étaient donc inopérants. La violation ne constituait pas une limite raisonnable au sens de l'article premier de la Charte. Le juge en chef Bayda de la Saskatchewan (avec l'appui du juge Brownridge) et le juge Cameron ont joint leurs opinions individuelles à l'arrêt.

18. Selon le juge en chef Bayda, la notion de "vie, liberté et sécurité de [la] personne" vise l'intégrité non seulement physique mais aussi mentale de la personne. L'intégrité mentale, fait‑il observer, pourrait être subsumée sous l'expression [TRADUCTION] "dignité et valeur de la personne". À son avis, obliger une personne à donner ses empreintes digitales avant d'être reconnue coupable porte atteinte à la dignité de la personne et au respect de soi inhérents au droit protégé par l'art. 7 de la Charte. Il dit à la p. 182:

[TRADUCTION] On sait qu'on ne prend pas les empreintes digitales de tout le monde, mais uniquement de ceux qui sont soupçonnés de s'être livrés à une activité criminelle [. . .] que, dans l'esprit du public, la prise d'empreintes digitales est associée aux criminels et à l'activité criminelle: devoir donner ses empreintes digitales, c'est être traité comme un criminel. Être reconnu coupable par un tribunal, puis être traité comme un criminel est une chose, mais c'en est une autre de ne pas avoir été reconnu coupable (particulièrement lorsqu'on croit honnêtement à son innocence) mais d'être traité comme un criminel. L'humiliation de l'intéressé est exacerbée lorsqu'il apprend que les empreintes sont conservées à un dossier permanent et demeurent comme un stigmate, même si l'inculpation est retirée ou rejetée. Il est évident que, dans ce processus, la personne souffre dans sa dignité, sa réputation et le respect de soi.

19. Le juge en chef Bayda est d'avis que cette violation n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale étant donné l'absence à l'art. 2 de la Loi de toute garantie qui protège ceux qu'il est inutile d'identifier ou ceux qui tombent sous le coup de la Loi sans être des criminels. Il note que la personne en situation d'autorité qui a le pouvoir d'exiger la prise d'empreintes digitales n'a pas besoin d'avoir des motifs raisonnables et probables de croire que l'inculpé a commis l'infraction. Cette personne pourrait céder à l'arbitraire et au caprice. De l'avis du juge en chef Bayda, ce que peut croire l'accusateur n'a pas de pertinence. L'atteinte la plus grave à la dignité de la personne tient, à son avis, au fait qu'il n'y a aucune obligation de détruire les empreintes si l'inculpé est libéré. Il mentionne la loi britannique, Police and Criminal Evidence Act 1984 (R.‑U.), 1984, chap. 60, qui comporte de telles garanties.

20. Le juge en chef Bayda se demande ensuite si la Loi pourrait être sauvegardée en vertu de l'article premier de la Charte et conclut qu'elle ne le peut pas.

21. Le juge Cameron arrive à la même conclusion par une voie différente. Après avoir statué sur certains points de procédure et de compétence qui n'ont pas été soulevés en cette Cour et après s'être référé aux décisions de cette Cour dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, et dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, considérant qu'elles établissent les principes applicables, il analyse la Loi sur l'identification des criminels en fonction de ces principes.

22. Dans la mesure où la Loi s'applique à une personne sous garde, accusée, mais non reconnue coupable, d'un crime grave, elle a pour objet, dit‑il, de permettre d'établir l'identité de cette personne pour trois raisons: (1) pour permettre de déterminer si l'inculpé a commis le crime dans les cas où l'identité de l'auteur du crime est en cause; (2) pour permettre de déterminer si l'inculpé a déjà été reconnu coupable ou est accusé d'autres crimes afin d'établir si, et à quelles conditions, l'inculpé peut être libéré en attendant son procès, si la plainte doit être portée selon la procédure sommaire de déclaration de culpabilité ou par voie d'acte d'accusation, s'il faut poursuivre pour récidive, etc.; et (3) pour faciliter l'arrestation de l'inculpé s'il devait ne pas comparaître devant le tribunal. Le juge constate également qu'il n'existe aucune disposition régissant le sort ultime des empreintes en cas de retrait de l'inculpation, de suspension ou d'acquittement.

23. Le juge Cameron estime que les dispositions attaquées, dans la Loi et le Code criminel, privent la personne qu'elles visent de la liberté et de la sécurité de sa personne. La Loi l'oblige à se soumettre à la garde des autorités, ou à faire face à une arrestation et à une poursuite, et à se soumettre aux formes d'atteinte physique prévues à l'art. 2 de la Loi. La force physique nécessaire à cette fin peut licitement être employée.

24. Il ajoute que cette violation n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale. L'article 2 de la Loi et les par. 453.3(3) et 455.5(5) du Code criminel ne prévoient aucun critère d'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par ces dispositions. La Loi n'exige pas le prélèvement des empreintes digitales, elle l'autorise. L'article 2 ne comporte toutefois aucune directive que devraient suivre les autorités, agissant sur le fondement de l'article, pour décider si, et dans quelles circonstances, il y a lieu de prélever les empreintes digitales d'un inculpé. Les articles 453.3 et 455.5 ouvrent également la porte à l'arbitraire et à l'aléatoire. Quiconque est accusé d'avoir commis un acte criminel peut être obligé de comparaître, que cela serve ou non les fins de la Loi. Même si l'on interprétait les par. 453.3(3) et 455.5(5) comme conférant à un juge le pouvoir de forcer un inculpé à comparaître pour fins d'identification dans les seuls cas où sa comparution servirait l'une ou plusieurs des fins de la Loi, de graves défauts demeureraient, parce que les articles en cause ne fourniraient aucun cadre pour l'exercice de ce pouvoir. Ils n'exigent pas, par exemple, que le juge agisse uniquement sur de solides probabilités.

25. Le juge Cameron estime que la Loi est défectueuse en ce qu'elle ne restreint pas les pouvoirs qu'elle confère aux situations où seraient servies l'une ou plusieurs des fins légitimes de la Loi et, en outre, ne formule pas de principes qui définissent le cadre de l'exercice de ce pouvoir. Il étudie le rapport de l'English Royal Commission et le document de travail de la Commission de réforme du droit du Canada qui traitent de ces sujets pour conclure que les dispositions en cause ne satisfont pas aux critères de l'article premier de la Charte.

26. Le ministère public a demandé et obtenu l'autorisation de se pourvoir en cette Cour. Le Juge en chef a formulé les moyens constitutionnels suivants dans le cas du pourvoi Beare:

1. L'article 2 de la Loi sur l'identification des criminels, S.R.C. 1970, chap. I‑1, et le par. 453.3(3) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, portent‑ils atteinte aux droits garantis à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés dans la mesure où ils prescrivent la prise des empreintes digitales d'une personne (qui n'est pas un adolescent au sens de la Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980‑81‑82‑83, chap. 110, et) qui a été accusée d'un acte criminel sans en être reconnue coupable?

2. Si l'article 2 de la Loi sur l'identification des criminels, S.R.C. 1970, chap. I‑1, et le par. 453.3(3) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, portent atteinte aux droits garantis à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, sont‑ils justifiés par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, non incompatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982?

27. Le Juge en chef a formulé des questions identiques dans le cas du pourvoi Higgins, en substituant le par. 455.5(5) du Code criminel au par. 453.3(3).

28. Après l'audition des pourvois, le 17 décembre 1987, la Cour y a immédiatement fait droit et jugé que les dispositions contestées n'enfreignaient pas la Charte. Puisque l'inculpé avait refusé de donner ses empreintes digitales et que la question de leur conservation ne se posait pas, la Cour ne s'est pas prononcée sur cette question. La Cour a annoncé qu'elle remettrait ses motifs ultérieurement et qu'à ce moment elle statuerait aussi sur la question des dépens que l'avocat de l'intimé Beare réclamait quelle que soit l'issue du pourvoi. Voici le texte du jugement:

Étant donné qu'une décision sur la constitutionnalité des dispositions attaquées de la Loi sur l'identification des criminels et du Code criminel est une question urgente relativement à l'administration de la justice, la Cour tranche ces pourvois immédiatement et déposera ses motifs ultérieurement.

La Cour juge les dispositions constitutionnelles et accueille les pourvois. Vu les faits de ces espèces, la question de la garde des empreintes digitales après un acquittement ne se pose pas. La question des dépens est prise en délibéré.

Nature de la législation

29. La prise d'empreintes digitales est apparue comme moyen d'identification à la fin du dix‑neuvième siècle et est devenue en 1908 la principale méthode utilisée à cette fin pour l'application de la loi au Canada; voir C.P. 1614, 21 juillet 1908, Gazette du Canada, 7 avril 1917, à la p. 3484. Dès 1948, elle avait complètement remplacé le bertillonnage, un système d'identification fondé sur la consignation dans un fichier d'une série de mesures anthropométriques précises; voir DORS/48‑412.

30. Les empreintes digitales sont un outil d'investigation criminelle d'une valeur inestimable en raison de la facilité et de la rapidité d'emploi du procédé et de sa quasi‑infaillibilité puisque deux personnes ne peuvent jamais avoir les mêmes empreintes. Aux États‑Unis et en Grande‑Bretagne, les tribunaux ont rapidement reconnu les empreintes digitales comme un moyen commode et fiable d'identification; le Canada a suivi plus tard; voir R. v. Bacon (1915), 11 Cr. App. R. 90; People v. Sallow, 165 N.Y.S. 915 (Gen. Sess. 1917); Pelletier v. Le Roi, [1952] B.R. 633, à la p. 635. Aujourd'hui, leur fiabilité scientifique et leur utilité pour la justice criminelle sont parfaitement acceptées; voir Donald Campbell "Fingerprints: A Review," [1985] Crim. L. Rev. 195, à la p. 196.

31. Les empreintes digitales servent à des fins diverses en justice criminelle. Parmi celles‑ci, elles servent à établir un lien entre l'inculpé et le crime, lorsque des empreintes sont trouvées sur les lieux ou sur des preuves matérielles; elles servent à déterminer si l'inculpé a été accusé ou reconnu coupable d'autres crimes, afin d'éclairer, par exemple, une décision sur sa libération en attendant son procès ou sur le choix de procéder par voie de déclaration sommaire de culpabilité ou par acte d'accusation; elles servent à établir si l'accusé est illicitement en liberté ou si d'autres inculpations sont pendantes, et à faciliter son arrestation en cas de défaut de comparution. De plus, les empreintes digitales prélevées au moment de l'arrestation servent à identifier les détenus aux tendances suicidaires, les délinquants sexuels, les criminels de carrière et les personnes ayant des tentatives d'évasion à leur actif, de façon qu'on puisse les séparer ou les surveiller de façon appropriée.

32. Les empreintes digitales sont aussi très utiles dans la procédure judiciaire. En effet, elles permettent d'identifier avec certitude un accusé, et peuvent aussi aider le ministère public à déterminer la peine à requérir en indiquant, par exemple, si l'accusé est ou non récidiviste. Cela, bien entendu, aidera le tribunal à prononcer la peine appropriée.

33. Ce sont là quelques‑uns des usages les plus importants des empreintes digitales. En bref, elles font maintenant partie intégrante de la justice criminelle à tous les niveaux. J'ajouterais qu'elles présentent des avantages pour l'accusé innocent. Elles permettent d'établir qu'un tiers a commis le crime dont il est accusé et d'empêcher qu'un innocent soit associé à tort au casier judiciaire d'un criminel.

34. Enfin, je dois ajouter, compte tenu de l'opinion adoptée par la Cour d'appel, que l'utilité des empreintes digitales ne se limite pas aux affaires criminelles. Elles sont utilisées aussi, par exemple, pour les enquêtes de sécurité, pour la délivrance de permis provinciaux et municipaux aux conducteurs de taxi, au personnel des services de sécurité ou à des personnes qui, dans leurs fonctions, sont en rapport avec les membres les plus vulnérables de la société, ainsi que pour des demandes de citoyenneté canadienne et de visa pour certains pays étrangers. Le procureur général de l'Alberta fait observer que certains parents y ont recours pour s'assurer qu'on pourra identifier leurs enfants s'ils se blessent ou sont portés disparus.

35. J'en viens maintenant à l'objet précis des par. 453.3(3) et 455.5(5) du Code criminel. Ils ont été adoptés en 1971 dans le cadre de la Loi sur la réforme du cautionnement, S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 2, art. 5. Auparavant, on arrêtait les personnes qu'on voulait accuser d'un acte criminel ou on leur signifiait une sommation. Les citations à comparaître n'étaient pas utilisées et les sommations ne l'étaient que rarement; voir Code criminel, partie XIV, art. 448 à 459; Débats du Sénat, 29 mars 1971, aux pp. 786 à 792. C'est dans le but de réduire le nombre de personnes arrêtées et détenues que la Loi sur la réforme du cautionnement a été adoptée; voir Débats du Sénat, ibid. La Loi reprend en grande partie les recommandations du Rapport du Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle intitulé Justice pénale et correction: un lien à forger, 1969 (Le rapport Ouimet), qui reconnaissait la nécessité de modifier les modalités applicables à la prise d'empreintes digitales et de photographies si l'on voulait réduire le nombre d'arrestations. Le rapport dit, à la p. 106:

Vu que le Comité prévoit que moins de personnes seront placées en état d'arrestation si ses recommandations sont adoptées, il sera nécessaire d'étendre la portée des dispositions de la Loi sur l'identification des criminels pour exiger d'une personne, à qui on a signifié une sommation de comparaître pour répondre à l'accusation d'avoir commis un acte criminel, qu'elle se présente et se soumette à la dactyloscopie, comme la sommation le lui ordonne. Le défaut d'obéir à ces instructions sans excuse légitime devrait entraîner l'arrestation du prévenu.

36. Comme on peut le voir, les par. 453.3(3) et 455.5(5) font donc partie intégrante d'un projet plus large qui visait à réduire le nombre d'arrestations et de détentions. Il ne s'agit pas d'une simple extension du pouvoir de prendre des empreintes digitales et des photographies.

L'article 7 de la Charte

37. L'analyse de l'art. 7 de la Charte se fait en deux temps. Pour que l'article puisse entrer en jeu, il faut constater d'abord qu'il a été porté atteinte au droit "à la vie, à la liberté et à la sécurité [d'une] personne" et, en second lieu, que cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale. Comme d'autres dispositions de la Charte, l'art. 7 doit être interprété en fonction des intérêts qu'il est censé protéger. Il doit recevoir une interprétation généreuse, mais il est important de ne pas outrepasser le but réel du droit en question; voir R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 344.

38. La Cour d'appel, nous l'avons vu, a jugé que les dispositions attaquées portaient atteinte au droit garanti par la première partie de l'art. 7, la majorité estimant que la prise des empreintes digitales est une atteinte "à la dignité et au respect de soi" dans le cas, à tout le moins, des personnes qui, à cause de leur propre perception ou de la perception de la collectivité se sentent humiliées par un tel traitement. En bref, la majorité pensait qu'être soumis à la prise d'empreintes digitales, c'était être traité comme un criminel. Cette vision des choses est large et indéfinie et introduit un élément regrettable de différenciation entre les diverses personnes qui sont soumises à la procédure. Pour ma part, je préfère la constatation plus précise du juge Cameron, que les dispositions attaquées enfreignent les droits garantis par l'art. 7 parce qu'elles obligent une personne à comparaître à une date et dans un lieu précis, et à subir une procédure d'identification sous peine d'emprisonnement en cas de refus d'obtempérer. L'appelante admet ce point, comme le fait le procureur général du Manitoba. Le litige tourne donc essentiellement autour de la question de savoir si l'atteinte alléguée aux droits garantis par l'art. 7 viole les principes de justice fondamentale. Comme je suis arrivé à la conclusion que ces principes n'ont pas été violés dans ces espèces, je vais limiter mes remarques à cette question.

39. Dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité, à la p. 512, cette Cour a dit que l'on trouve les principes de justice fondamentale non seulement dans les préceptes fondamentaux de notre processus judiciaire, mais aussi dans ceux des autres composantes de notre système juridique. Conformément à cette démarche, la Cour, dans l'arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, à la p. 327, a jugé que, pour déterminer si une législation prévoyant la détention de délinquants dangereux pour une période indéterminée violait les principes de justice fondamentale, il fallait l'examiner en fonction des préceptes fondamentaux de la politique en matière pénale qui animaient la pratique législative et judiciaire au Canada et dans d'autres ressorts de common law. En l'espèce, nous procédons à l'évaluation de mesures destinées à faire respecter la loi, plus précisément dans le cadre d'une inculpation, et il y a donc lieu de les examiner en regard des principes applicables et des politiques qui ont animé la pratique législative et judiciaire dans le domaine.

40. La majorité des juges de la Cour d'appel a souligné que, pour beaucoup de gens, il est humiliant d'être soumis à un prélèvement d'empreintes digitales, et il est indéniable que pour beaucoup le procédé est déplaisant. Mais il faut rappeler que l'obligation, d'intérêt public, de faire respecter la loi contraint l'individu à se soumettre à d'autres procédures tout aussi déplaisantes. Il est déplaisant d'être accusé d'une infraction, et cela est même extrêmement désagréable dans le cas de certains crimes, sans parler de la honte de l'arrestation, de la détention et de l'obligation de répondre de l'inculpation au procès. Comme le juge en chef Dickson le dit dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, aux pp. 119 et 120:

Un individu accusé d'avoir commis une infraction criminelle s'expose à de lourdes conséquences sociales et personnelles, y compris la possibilité de privation de sa liberté physique, l'opprobre et l'ostracisme de la collectivité, ainsi que d'autres préjudices sociaux, psychologiques et économiques.

41. Les flétrissures liées à ces aspects ordinaires de l'application de la loi et de la justice criminelle dépassent de loin tout sentiment d'indignité que susciterait la prise d'empreintes digitales. Et pourtant je ne pense pas que, lorsqu'il y a des motifs probables et raisonnables de croire qu'une personne a commis une infraction, on puisse sérieusement soutenir que la soumettre à l'une ou l'autre de ces procédures viole les principes de justice fondamentale.

42. L'application de l'art. 2 de la Loi sur l'identification des criminels est limitée aux personnes légalement sous garde, ou présumées telles, qui sont accusées ou qui ont été reconnues coupables d'un acte criminel. Il faut souligner que la common law autorise plusieurs autres atteintes, à mon avis beaucoup plus graves, à la dignité de l'individu ou des personnes sous garde dans l'intérêt de l'application de la loi. Au cours d'une arrestation licite, un agent de la paix a le droit de procéder à la fouille de la personne arrêtée et de confisquer tout bien qu'il a des raisons de croire lié à l'infraction reprochée, ou toute arme trouvée sur elle; voir R. v. Morrison (1987), 20 O.A.C. 230. Ce pouvoir est fondé sur la nécessité de désarmer le prévenu et de réunir des preuves. En détention, après l'arrestation, le prévenu peut être déshabillé. Plus pertinent encore, la taille, le poids et les marques corporelles, naturelles ou artificielles, comme les taches de naissance ou les tatouages, peuvent servir à des fins d'identification; voir Adair v. M`Garry, [1933] S.L.T. 482 (J.)

43. Ces mesures sont autorisées parce que la collectivité reconnaît qu'il faut doter la force policière de moyens adéquats et raisonnables d'investigation du crime. La prise d'empreintes digitales doit‑elle être assimilée à ces procédés? De nombreuses considérations, nous venons de le voir, plaident en faveur de cette position. La rapidité et la facilité de l'identification et de la découverte d'indices de culpabilité ou d'innocence ont une grande importance dans les enquêtes criminelles. Cela, ajouté à la certitude à laquelle elle permet d'arriver, point toujours critique quand il s'agit de justice criminelle, a généralisé la prise des empreintes digitales par les forces policières du monde entier. Ce qu'il faut vraiment décider, c'est si, dans les circonstances, ce procédé porte indûment atteinte aux droits de l'inculpé.

44. Pour trancher une telle question, il faut garder le sens des proportions. Le prélèvement d'empreintes digitales constitue‑t‑il une atteinte plus grave aux droits du prévenu sous garde qu'un examen corporel, à la recherche de taches de naissance ou autres? Je ne le pense pas et, comme je l'ai noté, être arrêté et accusé d'une infraction me semble beaucoup plus grave. Voici ce que dit le juge Augustus Hand dans la décision United States v. Kelly, 55 F.2d 67 (2nd Cir. 1932), à la p. 70:

[TRADUCTION] Ce n'est pas plus humiliant que d'autres procédés d'identification qui, suivant l'opinion universellement acceptée, n'enfreignent aucun droit constitutionnel ni de common law. On a recours à la prise d'empreintes digitales dans de nombreuses branches du commerce et dans la fonction publique, ce n'est pas en soi la marque infamante du crime. L'atteinte physique est minime et l'humiliation qu'elle suscite ne peut se comparer à celle que cause la publicité entourant la mise en accusation sensationnelle d'un innocent.

45. L'opinion exprimée dans la décision United States v. Kelly, précitée, a été reprise peu après dans la décision écossaise Adair v. M`Garry, précitée, en 1933, qui a clairement montré que la cour considérait la pratique de la prise d'empreintes digitales en détention comme relativement inoffensive, une pratique qu'on ne pouvait interdire sans gêner l'investigation et le dépistage du crime par la police. Les tribunaux canadiens ont eu tendance à suivre cette décision et le gros de la jurisprudence de notre pays dit que la prise des empreintes digitales de personnes en détention est justifiable en common law; voir R. v. Buckingham and Vickers (1943), 86 C.C.C. 76 (C.S.C.‑B.); R. v. Hayward (1957), 118 C.C.C. 365, à la p. 372 (C.A.N.‑B.); R. v. Nowakowski (1977), 40 C.R.N.S. 144 (C.S.C.‑B.); R. v. McLarty (No. 2) (1978), 40 C.C.C. (2d) 72 (C.S.P. Ont.); R. v. Jacobson, C. dist. Ont., le 31 janvier 1978, inédit; voir aussi R. v. Nielsen and Stolar (1984), 16 C.C.C. (3d) 39 (C.A. Man.), autorisation de pourvoi refusée [1985] 1 R.C.S. xi. Il est vrai que, dans l'arrêt R. v. A.N. (1978), 2 C.R. (3d) 55 (C.A.C.‑B.), conf. R. v. Nowakowski, précité, le juge d'appel Branca a exprimé l'avis contraire, mais les autres juges de la cour n'ont exprimé aucune opinion sur la question; la cour a montré ultérieurement, dans l'arrêt Brown v. Baugh and Williams (1982), 70 C.C.C (2d) 71 (C.A.C.‑B.), qu'elle pourrait être encline à considérer que la common law autorise la police à prendre les empreintes d'un suspect dans des circonstances appropriées, en ayant recours à la force raisonnable (conf. par [1984] 1 R.C.S. 192, sans mention de ce point).

46. En Angleterre, la question n'est pas définitivement réglée, mais les tribunaux semblent aller dans ce sens. Il est vrai que le lord juge Scott, dans l'arrêt Dumbell v. Roberts, [1944] 1 All E.R. 326 (C.A.), a exprimé l'avis que la prise des empreintes digitales d'un prévenu qui n'avait pas été reconnu coupable était incompatible avec la présomption d'innocence. Toutefois, dans l'arrêt Callis v. Gunn, [1963] 3 All E.R. 677 (Q.B.D.), à la p. 681, le juge en chef, lord Parker, après avoir noté que les autres membres de la cour ne s'étaient pas prononcés sur la question, s'est dit favorable à la décision Adair v. M`Garry, précitée. Quoi qu'il en soit, aux États‑Unis, la décision Kelly, précitée, a été suivie et citée avec approbation par la plupart des tribunaux et, comme il a été dit, [TRADUCTION] "en règle générale, en l'absence de législation, les agents de la paix seront autorisés à prélever les empreintes digitales des personnes licitement arrêtées dans les cas d'inculpation pour un acte criminel"; voir Andre A. Moenssens, Fingerprints and the Law (1969), chap. 4, à la p. 43 (l'auteur passe en revue la jurisprudence aux pp. 40 à 43). En fait, il existe une doctrine et une jurisprudence convaincantes selon lesquelles ce pouvoir s'étend même aux infractions mineures et peut, dans certaines circonstances, servir à des enquêtes, même sans arrestation; voir Hayes v. Florida, 470 U.S. 811 (1985), à la p. 816.

47. J'estime inutile d'examiner ce dernier point ou de décider de façon définitive si, en l'absence de législation, un agent de la paix peut en common law exiger la prise des empreintes digitales d'une personne mise sous garde et accusée d'un acte criminel. Les mesures contestées pourvoient à cela. Mais il me semble que l'expérience de la common law appuie fortement l'opinion selon laquelle la prise d'empreintes digitales dans ces circonstances ne viole pas la justice fondamentale.

48. Bien que la common law ne soit pas concluante pour déterminer si une pratique donnée viole un principe de justice fondamentale, elle est certainement l'une des sources principales des préceptes fondamentaux de notre système juridique dont parle le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité. L'expérience de la common law montre que la grande majorité des juges saisis de la question n'ont pas jugé fondamentalement injuste le prélèvement des empreintes digitales de personnes en détention. En vérité, ils se sont montrés prêts à reconnaître la procédure acceptable aux yeux de la common law et, en principe, à faire un parallèle entre celle‑ci et le pouvoir de contraindre physiquement une personne sous garde et de procéder à la fouille de cette personne; voir Adair v. M`Garry, précité.

49. La pratique législative va dans le même sens. Notre pays est loin d'être le seul à autoriser les forces de police à prendre les empreintes de personnes inculpées d'acte criminel et placées sous garde. Il y a une loi de ce genre au Royaume‑Uni (voir Police and Criminal Evidence Act 1984 (R.‑U.), 1984, chap. 60) et dans un grand nombre d'États aux États‑Unis; voir Moenssens, précité, aux pp. 43 à 60. Certes rien de cela n'est décisif, mais la tendance indique que le prélèvement obligatoire des empreintes digitales des personnes placées sous garde ne porte pas atteinte aux principes de justice fondamentale.

50. Il est intéressant de noter qu'en dépit des différences des deux constitutions, les tentatives de faire déclarer inconstitutionnelle la prise des empreintes digitales des personnes placées en détention, sur le fondement d'une disposition comparable de la Constitution des États‑Unis ou en vertu d'autres dispositions de cette constitution, ont presque toutes uniformément été rejetées; voir Moenssens, précité, aux pp. 62 à 72. L'expérience découlant de l'interprétation d'autres dispositions de la Charte, que j'examine plus loin, est aussi révélatrice de l'opinion qu'on devrait se faire de cette question. Mises à part les questions concernant la procédure à suivre avant le prélèvement des empreintes digitales, l'ensemble de ce qui précède incite à conclure que la prise des empreintes des personnes placées en détention ne viole pas les principes de justice fondamentale.

51. Les intimés dans les présentes espèces n'étaient pas sous garde, mais il leur a été demandé de donner leurs empreintes. Toutefois, leur situation à cette fin n'est pas différente de celle d'une personne qui a été arrêtée. Avant l'adoption de la Loi sur la réforme du cautionnement, ils auraient pu être arrêtés puisqu'il y avait des motifs raisonnables et probables de croire qu'ils avaient commis les infractions dont ils étaient accusés. Je ne vois pas comment ils peuvent se plaindre d'une procédure qui, comme celle qui est prévue dans la Loi sur la réforme du cautionnement, constitue une intrusion moindre que l'arrestation, mais les oblige à se soumettre à une procédure à laquelle ils auraient pu être forcés de se soumettre s'ils avaient été arrêtés.

L'arbitraire

52. Les juges de la Cour d'appel sont d'avis que les dispositions contestées violent les principes de justice fondamentale parce qu'elles jouent arbitrairement. Avant de s'engager dans l'analyse des faiblesses précises qu'ils attribuent à ces dispositions, il est utile de considérer la législation dans son ensemble du point de vue de l'arbitraire.

53. Revenons d'abord à ce que j'ai déjà dit des fins visées par la législation et des diverses utilisations faites des empreintes digitales pour la réalisation de ces fins. En résumé, les fins principales de la Loi sur l'identification des criminels et des dispositions connexes du Code, en ce qui concerne un inculpé qui n'a pas été reconnu coupable de l'infraction, sont d'établir son identité et son casier judiciaire, de savoir si des mandats en vigueur le concernant ont été lancés ou si, étant légalement sous garde, il se serait évadé et enfin, dans certains cas, de réunir des preuves qui permettent de déterminer s'il a ou non commis le crime dont on l'accuse.

54. Comme je l'ai déjà noté, il est opportun et nécessaire que les agents de la paix vérifient, confirment ou établissent l'identité de l'inculpé dans des situations très diverses. Dans les zones urbaines, en particulier, l'anonymat est la règle. Presque partout, la population est très mobile. Les agents de la paix eux‑mêmes changent d'affectation et doivent donc parfois exercer leurs fonctions dans de nouvelles localités où ils ne peuvent même pas reconnaître les résidents de longue date. Dans ce contexte social, le fait que les inculpés cherchent fréquemment à cacher leur véritable identité ou leur passé criminel, au dépens d'innocents parfois, justifie très souvent l'obligation de prendre les empreintes digitales. C'est ce que la législation attaquée cherche à faire.

55. La législation n'est pas arbitraire dans son champ d'application. La Loi sur l'identification des criminels et les par. 453.3(3) et 455.5(5) du Code criminel n'instaurent pas de structure légale arbitraire ou irrationnelle. Ils ne s'appliquent qu'à trois catégories d'inculpés non reconnus coupables d'un acte criminel, c'est‑à‑dire:

(i) ceux qui sont arrêtés parce qu'un agent de la paix a des motifs raisonnables et probables de croire qu'ils ont commis un acte criminel; (par. 450(1), Code criminel)

(ii) ceux dont une personne a des motifs raisonnables et probables de croire qu'ils ont commis un acte criminel et à l'égard desquels un juge de paix a décerné une sommation ou un mandat parce qu'il estimait qu'il avait été démontré qu'il était justifié de le faire; (art. 455.3, Code criminel)

(iii) ceux qui sont accusés d'avoir commis un acte criminel, auxquels un agent de la paix a délivré une citation à comparaître et à l'égard desquels un juge de paix confirme la citation à comparaître ou lance une sommation ou un mandat, estimant qu'on a démontré qu'il est justifié de le faire, après avoir entendu un agent de la paix déclarer avoir une connaissance personnelle de l'infraction ou des motifs raisonnables et probables de croire que l'inculpé a commis l'infraction; (art. 455.1, 455.4 et Formule 2, Code criminel)

56. Les dispositions contestées, par conséquent, ne jouent que dans le cas des actes criminels qui, évidemment, constituent la catégorie des infractions criminelles les plus graves. De plus, dans le cas de chaque catégorie d'accusés, il doit y avoir des motifs raisonnables et probables de croire que les personnes visées ont commis l'acte criminel. Dans le cas des deux dernières catégories mentionnées ci‑dessus, il faut convaincre le juge de paix de la nécessité de confirmer ou de délivrer un acte obligeant l'inculpé à comparaître devant le tribunal.

57. La Loi ne confère pas non plus le pouvoir illimité de recourir à n'importe quelle méthode d'identification. Seuls les procédés sanctionnés par le gouverneur en conseil sont autorisés. Ces procédés ont été approuvés et sont universellement acceptés parce qu'ils sont jugés fiables, efficaces et parce qu'ils ne représentent qu'une intrusion minime dans l'intimité de l'individu.

58. Ce qui a troublé la Cour d'appel, ce n'est pas tant la portée de la législation que son application différente selon les cas et l'insuffisance des procédures à cet égard. La législation contestée, notent les juges, autorise la prise des empreintes; elle ne l'exige pas. Les forces policières, par conséquent, ont le pouvoir discrétionnaire de prélever ou de ne pas prélever les empreintes d'un inculpé. Pour les juges de la Cour d'appel, l'absence de dispositions qui, soit éliminent, soit encadrent ce pouvoir discrétionnaire ou en définissent le fondement, constitue une violation de la justice fondamentale. Les empreintes digitales, disent‑ils, peuvent être exigées même si rien ne justifie de les demander. Ce problème pourrait être résolu, selon eux, en obligeant l'agent à indiquer les motifs raisonnables et probables qu'il a de croire à la nécessité de prélever les empreintes.

59. Le problème avec une telle démarche, à mon avis, c'est qu'elle ne tient pas compte de la diversité des fonctions des empreintes digitales et du fait qu'elles peuvent être utiles dans presque tous les cas. On pourrait nuire considérablement aux enquêtes criminelles en édictant des directives rigides et en imposant aux tribunaux le fardeau de décider, sur des renseignements de seconde main, que les empreintes ne peuvent servir aucune des fins importantes pour lesquelles elles pourraient légitimement être employées.

60. L'existence d'un pouvoir discrétionnaire conféré par ces dispositions législatives ne porte pas atteinte, à mon avis, aux principes de justice fondamentale. Le pouvoir discrétionnaire est une caractéristique essentielle de la justice criminelle. Un système qui tenterait d'éliminer tout pouvoir discrétionnaire serait trop complexe et rigide pour fonctionner. Les forces policières exercent nécessairement un pouvoir discrétionnaire quand elles décident de porter des accusations, de procéder à une arrestation et aux fouilles et perquisitions qui en découlent, tout comme la poursuite quand elle décide de retirer un accusation, de demander une suspension, de consentir à un ajournement, de procéder par voie d'acte d'accusation plutôt que par voie de déclaration sommaire de culpabilité, de former appel, etc.

61. Le Code criminel ne donne aucune directive sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans aucun de ces cas. L'application de la loi et le fonctionnement de la justice criminelle n'en dépendent pas moins, quotidiennement, de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

62. Cette Cour a déjà reconnu que le pouvoir discrétionnaire de la poursuite ne porte pas atteinte aux principes de justice fondamentale, voir R. c. Lyons, précité, à la p. 348, voir aussi R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, aux pp. 303 et 304. La Cour a néanmoins ajouté que si, dans un cas particulier, il était établi qu'un pouvoir discrétionnaire était exercé pour des motifs irréguliers ou arbitraires, il existerait un recours en vertu de l'art. 24 de la Charte, mais aucune allégation de ce genre n'a été faite en l'espèce.

63. Les juges de la Cour d'appel pensent qu'on peut répondre à leurs objections concernant les aspects discrétionnaires de la législation en imposant les conditions suivantes: un agent de la paix, en plus d'avoir des motifs raisonnables et probables de croire que l'inculpé a commis l'infraction, a également des motifs raisonnables et probables de croire que le prélèvement des empreintes permettra de découvrir des preuves relatives aux infractions, ou a un doute raisonnable sur l'identité de l'inculpé, ou encore a des motifs raisonnables et probables de croire que le prélèvement des empreintes apportera des éléments de preuve sur l'identité du sujet. Dans ce contexte, ils citent la Police and Criminal Evidence Act 1984 (R.‑U.), chap. 60, art. 61 et l'étude de la Commission de réforme du droit du Canada intitulée Les méthodes d'investigation scientifiques (1984). Je suis loin d'être sûr qu'on n'oublie pas alors la grande variété de raisons pour lesquelles on peut légitimement prendre les empreintes digitales. Je ne suis pas convaincu non plus que ces mesures supplémentaires offriraient une protection véritable à l'inculpé et, si des exigences plus strictes devaient être imposées, elles pourraient entraver indûment l'exercice par les forces policières de leur fonction d'investigation du crime; voir, dans ce contexte, les arguments semblables exprimés au sujet des fouilles corporelles dans United States v. Robinson, 414 U.S. 218 (1973), à la p. 235, par le juge Rehnquist, et aux pp. 237 et 238, par le juge Powell. À supposer qu'une procédure de ce genre (ou une disposition équivalente à celle de la loi anglaise exigeant que la décision de procéder au prélèvement des empreintes digitales soit prise par un officier supérieur) améliore dans une certaine mesure le système actuel non structuré, je ne pense pas qu'elle soit constitutionnellement requise. Comme le dit la Cour dans l'arrêt Lyons, précité, à la p. 362, l'art. 7 de la Charte garantit des procédures équitables sans pour autant garantir les procédures les plus favorables que l'on puisse imaginer. À mon avis, les exigences imposées pour délivrer et confirmer une citation à comparaître offrent une garantie suffisante du respect des exigences de la justice fondamentale.

64. Beaucoup des points qui sont ici en cause ont un rapport plus direct avec les arguments relatifs à la vie privée et à l'inviolabilité de la personne avancés dans l'opinion du juge Cameron, question vers laquelle je me tourne maintenant.

La vie privée et l'inviolabilité de la personne

65. Le juge Cameron pense que les dispositions contestées contreviennent aux principes de justice fondamentale en portant atteinte à l'inviolabilité de la personne des intimés, et, fort légitimement, il qualifie les art. 8 à 14 de [TRADUCTION] "clé inestimable pour l'interprétation des "principes de justice fondamentale"". Il s'appuie tout particulièrement sur l'arrêt de cette Cour Hunter c. Southam Inc., précité.

66. Je crois qu'il a été pleinement répondu aux arguments avancés dans ce domaine par ce qui a été dit précédemment. Je vais néanmoins tenter d'en traiter expressément.

67. À supposer que l'art. 7 assure la protection d'un droit à la vie privée comme le droit qui est inhérent à la garantie contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives de l'art. 8 de la Charte, une proposition que je serais enclin à admettre, il faut se rappeler que le Juge en chef actuel, dans l'arrêt Southam, a pris soin de souligner que la Constitution garantissait une "attente raisonnable" en ce qui concerne la protection de la vie privée (à la p. 159).

68. Il me semble que, lorsqu'une personne est arrêtée parce qu'il y a des motifs raisonnables et probables de croire qu'elle a commis un crime grave ou lorsqu'il a été démontré qu'il y a lieu de délivrer une sommation ou un mandat d'arrestation ou de confirmer une citation à comparaître, l'intéressé doit s'attendre à une atteinte importante à sa vie privée. Il doit s'attendre à ce qu'en corollaire à sa mise sous garde, il sera mis sous observation et devra se soumettre à la prise de mensurations, etc. La prise des empreintes digitales est de cette nature. Certains peuvent évidemment trouver le procédé déplaisant, mais il est anodin, ne prend que très peu de temps et ne laisse aucune séquelle durable. Rien n'est introduit dans le corps et il n'en est prélevé aucune substance.

69. Je ne puis admettre qu'une disposition prévoyant la prise des empreintes digitales, en corollaire d'une mise sous garde, dans le cas d'un crime grave, viole les principes de justice fondamentale. Certes la perquisition d'un domicile requiert une autorisation préalable, fondée sur des motifs raisonnables et probables de croire à la fois qu'il y a eu infraction et que l'on pourra y trouver des éléments de preuve, cependant la procédure de prise d'empreintes digitales en détention est totalement différente. Elle ne comporte pas cette immixtion dans la vie privée et les biens d'un individu qui caractérise une perquisition.

70. Cela mis à part, l'atteinte à la vie privée que constitue l'arrestation fondée sur des motifs raisonnables et probables, est une violation beaucoup plus grave du droit à la vie privée. Elle n'est guère aggravée par la prise des empreintes digitales du détenu. Comme je l'ai déjà mentionné, une jurisprudence fort abondante aux États‑Unis, y compris certains arrêts de la Cour suprême, refuse d'accorder une protection constitutionnelle contre le pouvoir discrétionnaire général de la force policière de prendre les empreintes digitales des personnes sous garde; voir Moenssens, précité, aux pp. 62 à 70.

La conservation des empreintes

71. Enfin la Cour d'appel a été très influencée par l'absence de disposition prévoyant la destruction des empreintes digitales d'un inculpé qui n'est pas reconnu coupable. Cette question soulève d'importantes considérations, mais elle ne se pose pas dans les faits en cause. Les empreintes des intimés n'ont jamais été prélevées, de sorte qu'elles ne peuvent pas être conservées. Je serais plutôt porté à douter que l'art. 2 de la Loi sur l'identification des criminels traite même de ce point mais, si c'est le cas, cela n'a rien à voir avec le prélèvement des empreintes, visé par les par. 2(1) et (2). Le paragraphe 2(3) prévoit bien la publication des fiches, à titre de renseignements à l'usage des responsables de l'exécution ou de l'application de la loi, mais je ne pense pas qu'il autorise leur conservation inconstitutionnelle.

Autres droits garantis par la Charte

72. Devant les tribunaux d'instance inférieure, les avocats se sont fondés sur les art. 8, 9, 10 et les al. 11c) et d), outre l'art. 7 de la Charte. On n'a fait valoir aucun argument devant cette Cour sur ces points, quoique l'avocat de Beare ait déclaré ne pas abandonner ces moyens. Sans débat sur ces points, il est difficile d'en traiter. Je me propose donc de le faire de mon mieux mais aussi strictement et succinctement que possible.

73. L'article 8 garantit le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. À supposer qu'on puisse considérer le prélèvement d'empreintes digitales comme une fouille (une opinion rejetée dans les affaires qui en traitent; voir R. v. McGregor (1983), 3 C.C.C. (3d) 200 (H.C. Ont.), et Re M. H. and The Queen (No. 2) (1984), 17 C.C.C. (3d) 443) (B.R. Alb.) conf. sans motifs écrits (1985), 21 C.C.C. (3d) 384 (C.A. Alb.), autorisation de pourvoi en cette Cour accordée le 19 septembre 1985, [1985] 2 R.C.S. ix), il semble clair que la prise des empreintes digitales n'est pas déraisonnable dans les présentes espèces pour les mêmes raisons qu'il ne viole pas les principes de justice fondamentale.

74. L'article 9 confère le droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires. J'ai largement traité de cette question dans mon examen de l'arbitraire au regard de l'art. 7. Cela mis à part, sa pertinence ne saute pas immédiatement aux yeux. Les intimés auraient pu être arrêtés en raison de l'existence de motifs raisonnables et probables justifiant leur arrestation et, comme je l'ai dit précédemment, je ne puis voir comment ils peuvent se plaindre d'une procédure qui permet de ne pas les arrêter en vertu des dispositions de la Loi sur la réforme du cautionnement, sous réserve de leur obligation de se conformer à une citation à comparaître leur imposant de se présenter et de se soumettre à une procédure à laquelle ils auraient pu être soumis s'ils avaient été arrêtés; voir à ce sujet Re Jamieson and The Queen (1982), 70 C.C.C. (2d) 430 (C.S. Qué.), Re McGregor, précité, et R. v. Halpern (1986), 73 A.R. 276 (B.R.)

75. Je ne puis saisir le rapport qu'il y a entre l'art. 10 (le droit à un avocat) et les points litigieux en l'espèce, compte tenu des circonstances. Je ne vois pas non plus comment les intimés peuvent être considérés comme obligés de témoigner contre eux‑mêmes, en contravention à l'al. 11c) de la Charte (voir Re Jamieson and The Queen, précité; voir aussi la jurisprudence relative à la disposition beaucoup plus large du Cinquième amendement de la Constitution des États‑Unis interdisant l'auto‑incrimination, en particulier l'affaire Schmerber v. California, 384 U.S. 757 (1966), à la p. 764, analysée dans Moenssens, précité, aux pp. 62 à 66.

76. L'alinéa 11d) garantit un procès équitable. Si les empreintes digitales ont été prélevées conformément aux principes de justice fondamentale, on ne voit guère comment leur utilisation comme élément de preuve pourrait avoir un effet sur l'équité d'un procès.

L'article premier de la Charte

77. Comme j'ai déjà décidé que la prise des empreintes digitales en l'espèce ne viole pas les principes de justice fondamentale au sens de l'art. 7 de la Charte, il est inutile de prendre en compte l'article premier de la Charte.

Dispositif

78. Comme la Cour a déjà fait droit au pourvoi, il ne reste qu'à répondre aux questions constitutionnelles et à statuer sur les dépens. Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis de répondre à la première question constitutionnelle dans chaque espèce par la négative. Il devient donc inutile de traiter de la seconde question constitutionnelle. Quant aux dépens, je ne vois aucune raison de déroger à la pratique ordinaire dans ce domaine et je n'adjuge donc aucuns dépens.

Pourvoi accueilli.

Procureur de l'appelante: Brian Barrington‑Foote, Regina.

Procureurs de l'intimé Claude R. Beare: MacKay & McLean, Regina.

Procureurs de l'intimé Frederick G. Higgins: Gates & Herle, Regina.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: Frank Iacobucci, Ottawa.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le ministère du procureur général, Toronto.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick: Barry Athey, Fredericton.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Manitoba: Le procureur général du Manitoba, Winnipeg.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Alberta: Jack Watson, Edmonton.

Procureur de l'Association canadienne des chefs de police: John J. Robinette, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1988] 2 R.C.S. 387 ?
Date de la décision : 01/12/1988
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli. La première question constitutionnelle doit recevoir une réponse négative dans chaque cas; il est inutile de traiter de la seconde question constitutionnelle

Analyses

Droit constitutionnel—Charte des droits—Droit à la liberté—Prise des empreintes digitales d'un accusé avant qu'il soit reconnu coupable—Y a‑t‑il atteinte au droit à la liberté?—Y a‑t‑il violation de principes de justice fondamentale?—S'il y a violation de l'art. 7, est‑elle justifiée en vertu de l'article premier?—Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 8, 9, 10, 11c), d)—Loi constitutionnelle de 1982, art. 52(1)—Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 453.3(3), 455.5(5)—Loi sur l'identification des criminels, S.R.C. 1970, chap. I‑1, art. 2.

Droit criminel—Prise des empreintes digitales d'un accusé avant qu'il soit reconnu coupable—Y a‑t‑il atteinte au droit à la liberté?—Y a‑t‑il violation des principes de justice fondamentale?—S'il y a violation de l'art. 7, est‑elle justifiée en vertu de l'article premier?.

Les intimés Beare et Higgins ont été inculpés d'infractions criminelles distinctes et ont reçu signification respectivement d'une citation à comparaître et d'une sommation leur ordonnant de se présenter aux bureaux de la G.R.C. pour que soient prises leurs empreintes digitales en vertu de la Loi sur l'identification des criminels. L'article 2 de cette loi prévoit la prise des empreintes digitales d'une personne légalement sous garde et les par. 453.3(3) et 455.5(5) du Code criminel, qui prévoient la comparution, prévoient aussi qu'une personne qui comparaît ainsi est censée être une personne légalement sous garde qui est accusée d'un acte criminel. Ni l'un ni l'autre des intimés ne s'est présenté aux bureaux de la G.R.C. comme requis. L'obligation de comparaître pour la prise d'empreintes digitales après l'arrestation mais avant la déclaration de culpabilité a été contestée sans succès dans des demandes distinctes mais les appels, qui ont été entendus ensemble, ont été accueillis. Cette Cour est saisie de questions constitutionnelles visant à déterminer si l'art. 2 de la Loi sur l'identification des criminels et les par. 453.3(3) ou 455.5(5) du Code criminel, dans la mesure où ils prescrivent la prise des empreintes digitales d'une personne qui a été accusée d'un acte criminel sans en être reconnue coupable, enfreignent l'art. 7 de la Charte et, dans l'affirmative, si ces violations sont justifiées par l'article premier. Les articles 8, 9, 10 et les al. 11c) et d) de la Charte ont aussi été invoqués.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli. La première question constitutionnelle doit recevoir une réponse négative dans chaque cas; il est inutile de traiter de la seconde question constitutionnelle.

Les empreintes digitales sont un outil d'investigation criminelle d'une valeur inestimable qui ne se limite pas à la justice criminelle ni à la procédure judiciaire. Les paragraphes 453.3(3) et 455.5(5) ne sont pas une simple extension du pouvoir de prendre des empreintes digitales et des photographies; ils font partie intégrante d'un projet plus large visant à réduire le nombre d'arrestations et de détentions.

Les dispositions attaquées enfreignent les droits garantis par l'art. 7 parce qu'elles obligent une personne à comparaître à une date et dans un lieu précis et à subir une procédure d'identification sous peine d'emprisonnement en cas de refus d'obtempérer. L'atteinte à ces droits ne viole toutefois pas les principes de justice fondamentale car le procédé ne porte pas indûment atteinte aux droits de l'inculpé. Pour trancher une telle question, il faut garder le sens des proportions.

Lorsqu'il y a des motifs probables et raisonnables de croire qu'une personne a commis une infraction, la soumettre à la prise d'empreintes digitales ne viole pas les principes de justice fondamentale. Les flétrissures liées à de nombreux aspects ordinaires de l'application de la loi dans le cas de personnes sous garde qui sont accusées d'une infraction dépassent de loin tout sentiment d'indignité que susciterait la prise d'empreintes digitales. La pratique législative et l'expérience de la common law montrent que la prise des empreintes digitales de personnes sous garde n'a pas été considérée fondamentalement injuste. En l'espèce, les appelants n'étaient pas sous garde, mais leur situation devrait être considérée à cet égard comme identique à celle d'une personne sous garde pour ce qui concerne la prise d'empreintes digitales. Avant l'adoption de la Loi sur la réforme du cautionnement, ils auraient pu être arrêtés puisqu'il y avait des motifs raisonnables et probables de croire qu'ils avaient commis les infractions dont ils étaient accusés.

Les dispositions attaquées ne violent pas les principes de justice fondamentale pour des motifs fondés sur l'arbitraire ou l'atteinte à la vie privée des intimés. La législation n'est pas arbitraire dans son champ d'application et elle n'instaure pas de structure légale arbitraire ou irrationnelle. Le pouvoir discrétionnaire, dont celui de la police quant à la prise d'empreintes digitales, est une caractéristique essentielle, reconnue par les tribunaux, de la justice criminelle. Les conditions imposées pour délivrer et confirmer une citation à comparaître offrent une garantie suffisante du respect des exigences de la justice fondamentale. Une personne qui est accusée parce qu'il y a des motifs raisonnables et probables de croire qu'elle a commis un crime grave doit s'attendre à une atteinte importante à sa vie privée à la suite de sa mise sous garde.

La question de la conservation des empreintes d'un accusé qui n'a pas été reconnu coupable ne se pose pas en l'espèce parce que les empreintes des intimés n'ont jamais été prises.

Les articles 8, 9, 10 et les al. 11c) et d) de la Charte n'ont pas été violés. L'article 8 garantit le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives et l'art. 9 le droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires. Aucun de ces articles n'a été enfreint pour les motifs donnés relativement à l'art. 7. L'article 10 (le droit à un avocat) et l'al. 11c) (le droit pour l'inculpé de ne pas être contraint de témoigner contre lui‑même) ne sont pas applicables en l'espèce. L'alinéa 11d) (la garantie d'un procès équitable) ne peut avoir été violé si les empreintes utilisées en preuve ont été prises conformément aux principes de justice fondamentale.

Il est inutile de prendre en compte l'article premier de la Charte.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Beare; R.

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486
Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145
R. v. Bacon (1915), 11 Cr. App. R. 90
People v. Sallow, 165 N.Y.S. 915 (1917)
Pelletier v. Le Roi, [1952] B.R. 633
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
R. v. Morrison (1987), 20 O.A.C. 230
Adair v. M`Garry, [1933] S.L.T. 482
United States v. Kelly, 55 F.2d 67 (1932)
R. v. Buckingham and Vickers (1943), 86 C.C.C. 76
R. v. Hayward (1957), 118 C.C.C. 365
R. v. Nowakowski (1977), 40 C.R.N.S. 144
R. v. McLarty (No. 2) (1978), 40 C.C.C. (2d) 72
R. v. Jacobson, C. dist. Ont., le 31 janvier 1978, inédit
R. v. Nielsen and Stolar (1984), 16 C.C.C. (3d) 39, autorisation de pourvoi refusée [1985] 1 R.C.S. xi
R. v. A.N. (1978), 2 C.R. (3d) 55
Brown v. Baugh and Williams (1982), 70 C.C.C. (2d) 71, conf. par [1984] 1 R.C.S. 192
Dumbell v. Roberts, [1944] 1 All E.R. 326
Callis v. Gunn, [1963] 3 All E.R. 677
Hayes v. Florida, 470 U.S. 811 (1985)
R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284
United States v. Robinson, 414 U.S. 218 (1973)
R. v. McGregor (1983), 3 C.C.C. (3d) 200
Re M. H. and The Queen (No. 2) (1984), 17 C.C.C. (3d) 443 (B.R. Alb.), conf. par (1985), 21 C.C.C. (3d) 384 (C.A. Alb.), autorisation de pourvoi accordée [1985] 2 R.C.S. ix
Re Jamieson and The Queen (1982), 70 C.C.C. (2d) 430
R. v. Halpern (1986), 73 A.R. 276
Schmerber v. California, 384 U.S. 757 (1966).
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 8, 9, 10, 11c), d), 24(1). L ECode criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 133(4), 134(4), 306(1)b), 338(1), 450(1), 451, 453.3(3), 453(4), 455.1, 455.5(5), 455.6. L EC.P. 1614, 21 juillet 1908, Gazette du Canada, 7 avril 1917, à la p. 3484. DORS/48‑412. L ELoi constitutionnelle de 1982, art. 52(1). L ELoi sur la réforme du cautionnement, S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 2, art. 5. L ELoi sur l'identification des criminels, S.R.C. 1970, chap. I‑1, art. 2. L EPolice and Criminal Evidence Act 1984, 1984, chap. 60, art. 61 (R.‑U.)
Doctrine citée
Campbell, Donald. "Fingerprints: A Review," [1985] Crim. L. Rev. 195. L ECanada. Comité sur la correction. Rapport du Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle. Justice pénale et correction: un lien à forger. (Le rapport Ouimet). Ottawa: Imprimeur de la Reine, 1969. L ECanada. Commission de réforme du droit. Les méthodes d'investigation scientifiques (document de travail 34). Ottawa: Commission de réforme du droit, 1984. L ECanada. Sénat. Débats du Sénat. Ottawa: Imprimeur de la Reine, 1971. L EMoenssens, Andre A. Fingerprints and the Law. Philadelphia: Chilton Book Co., 1969.

Proposition de citation de la décision: R. c. Beare; R. c. Higgins, [1988] 2 R.C.S. 387 (1 décembre 1988)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1988-12-01;.1988..2.r.c.s..387 ?
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