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01/03/1989 | CANADA | N°[1990]_1_R.C.S._265

Canada | R. c. Anderson, [1990] 1 R.C.S. 265 (1 mars 1989)


R. c. Anderson, [1990] 1 R.C.S. 265

Raymond George Anderson Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

répertorié: r. c. anderson

No du greffe: 19464.

1989: 13 juin; l990: 1er mars.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, Wilson, La Forest, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel du manitoba

Droit criminel -- Négligence criminelle causant la mort -- Observations du juge du procès relatives à la pertinence des conséquences et de l'intention -- Ces observations ont-elles eu un effet sur l'issue du p

rocès? -- Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 202(1), (2), 203, 237(2), (3) [L.R.C. (1985), ch. C-46, a...

R. c. Anderson, [1990] 1 R.C.S. 265

Raymond George Anderson Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

répertorié: r. c. anderson

No du greffe: 19464.

1989: 13 juin; l990: 1er mars.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, Wilson, La Forest, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel du manitoba

Droit criminel -- Négligence criminelle causant la mort -- Observations du juge du procès relatives à la pertinence des conséquences et de l'intention -- Ces observations ont-elles eu un effet sur l'issue du procès? -- Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 202(1), (2), 203, 237(2), (3) [L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 219(1), (2), 220, 255(2), (3)].

L'appelant a été accusé de négligence criminelle causant la mort. Il pensait à autre chose lorsqu'il a brûlé un feu rouge et un passager de l'auto qu'il a heurtée est décédé des suites des blessures subies lors de l'accident. À part le fait d'avoir brûlé le feu rouge, il n'y avait aucune preuve de conduite mal assurée. Bien que légalement en état d'ébriété, l'appelant avait peu l'air d'être dans cet état. Le juge du procès a conclu que le ministère public n'avait pas réussi à faire une preuve hors de tout doute raisonnable de l'accusation. Dans ses motifs, il a affirmé que ni la mens rea ni les conséquences de la manière de conduire n'étaient pertinentes pour décider de la culpabilité ou de l'innocence. L'appel interjeté à la Cour d'appel a été accueilli. Le seul point en litige en l'espèce est de savoir si les observations du juge du procès relatives à la pertinence des conséquences et de l'intention ont eu un effet sur l'issue du procès.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

La conclusion à l'existence d'une insouciance déréglée ou téméraire doit être tirée de la conduite qui ne respecte pas la norme applicable. La conduite sur laquelle on s'est fondé en l'espèce est a) le fait d'avoir conduit en état d'ébriété et b) la violation d'un règlement de la circulation. Le juge du procès a tenu compte des deux et a conclu que la conduite ne constituait pas une dérogation marquée à la norme. Il ne pouvait donc, ni subjectivement ni objectivement, conclure que l'appelant avait fait preuve d'une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie et de la sécurité d'autrui. Le fait qu'une personne a malheureusement été tuée n'ajoute rien à la conduite de l'appelant. On a jugé que la négligence de l'appelant démontrée par la preuve qu'il a conduit après avoir bu et qu'il a brûlé un feu rouge ne constituait pas une dérogation marquée à la norme et la collision fatale n'a rien ajouté à la conduite de l'appelant qui permette de la qualifier de dérogation marquée. Dans certaines circonstances cependant, les actes de l'accusé et les conséquences qui en découlent peuvent être à ce point interreliés que les conséquences peuvent être pertinentes pour ce qui est de qualifier la conduite de l'accusé.

Les faits permettaient au juge du procès de conclure à l'existence d'un doute raisonnable. Bien qu'il ait fait certaines observations générales qu'il n'aurait peut-être pas dû faire sans préciser davantage sa pensée, il n'en est résulté aucune erreur de droit. Les affirmations du juge du procès n'ont pas eu d'effet sur l'issue du procès.

Jurisprudence

Arrêt examiné: R. c. Tutton, [1989] 1 R.C.S. 1392; arrêts mentionnés: R. v. Caldwell, [1981] 1 All E.R. 961; R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636.

Lois et règlements cités

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 202(1), (2), 203, 237(2), (3) [maintenant L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 219, 220, 255(2), (3)].

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1985), 33 Man. R. (2d) 308, qui a accueilli l'appel d'un acquittement prononcé par le juge Ferg. Pourvoi accueilli.

Robert L. Pollack, pour l'appelant.

George Dangerfield, c.r., pour l'intimée.

//Le juge Sopinka//

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Sopinka -- Ce pourvoi est formé de plein droit contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba qui a accueilli l'appel d'une décision du juge Ferg qui avait acquitté l'appelant de l'accusation de négligence criminelle causant la mort. Le seul point en litige est de savoir si certaines observations du juge Ferg relatives à la pertinence des conséquences et de l'intention ont eu un effet sur l'issue du procès.

Les faits

Le juge du procès a constaté les faits suivants.

Vers 17 h 06 le 21 mai 1983, l'appelant conduisait l'auto de ses parents en direction ouest sur l'avenue Logan à Winnipeg. À l'angle de l'avenue Logan et de la rue Arlington, il a brûlé un feu rouge et heurté le côté d'un véhicule qui circulait en direction nord. La collision est survenue dans la partie nord‑est de l'intersection. Un passager du véhicule qui circulait en direction nord est décédé des suites des blessures subies lors de la collision. À part le fait d'avoir brûlé le feu rouge, il n'y avait aucune preuve de conduite mal assurée. Il respectait la limite de vitesse.

L'appelant avait bu. Un alcootest administré environ une heure après l'accident a révélé une alcoolémie de 200 milligrammes par 100 millilitres de sang. Le policier de 34 ans d'expérience qui a observé l'appelant et lui a fait subir l'alcootest n'a perçu aucun signe d'ébriété avancée. Il a reconnu en contre‑interrogatoire que l'appelant [TRADUCTION] "paraissait à peine en état d'ébriété". Le juge du procès a retenu la déposition de ce témoin. Une déclaration de l'appelant recueillie le lendemain de l'accident et présentée par le ministère public révèle que l'appelant a reconnu qu'il pensait à autre chose lorsqu'il a brûlé le feu rouge.

Le jugement de première instance

Le juge du procès a relaté les faits précités et les a examinés en fonction de l'argument du ministère public voulant que lorsqu'il est monté en état d'ébriété dans son auto et qu'il a ensuite brûlé un feu rouge, l'appelant a fait preuve d'une insouciance déréglée et téméraire à l'égard de la vie et de la sécurité d'autrui. Le juge Ferg a fait observer que ces facteurs ne suffisaient pas pour établir le degré de négligence requis. Après avoir examiné la jurisprudence et la doctrine, il a conclu que le ministère public n'avait pas réussi à faire une preuve hors de tout doute raisonnable de l'accusation. Il a dit:

[TRADUCTION] Compte tenu des circonstances et des faits de la présente affaire, je ne puis conclure que le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable que, par sa manière de conduire et compte tenu des circonstances et des faits qui nous ont été soumis, l'accusé a fait preuve d'insouciance flagrante à l'égard de la vie et de la sécurité d'autrui. Cependant, il conduisait certainement de façon dangereuse.

Dans ses motifs, le juge Ferg a fait l'affirmation suivante sur laquelle on s'est fondé pour attaquer son jugement devant notre Cour et devant la Cour d'appel:

[TRADUCTION] Les conséquences de la manière de conduire ne sont pas pertinentes pour décider de la culpabilité ou de l'innocence; il n'est pas nécessaire non plus que le ministère public fasse la preuve de la mens rea ou de l'intention. L'intention qu'avait la personne quand elle est montée dans l'auto pour s'en servir est sans importance. Néanmoins, il va sans dire que le ministère public doit, comme toujours, s'acquitter de son fardeau de prouver l'infraction hors de tout doute raisonnable.

La Cour d'appel (1985), 33 Man. R. (2d) 308

La Cour d'appel a fait droit à deux moyens fondés sur le passage des motifs du juge du procès que j'ai mentionné. Ces moyens sont formulés ainsi dans l'avis d'appel:

[TRADUCTION] 2. Le juge du procès a commis une erreur en refusant de tenir compte des conséquences de la manière de conduire pour arriver à un verdict;

3. Le juge du procès a commis une erreur en ne tenant compte de l'intention qu'avait l'intimé au moment où il est monté dans son auto avant la collision; . . .

Relativement à ces moyens, le ministère public intimé a fait valoir que l'ivresse volontaire ne peut pas servir de moyen de défense et que, partant, la conduite en état d'ébriété conjuguée à la création d'un risque doit toujours entraîner une déclaration de culpabilité de négligence criminelle. S'exprimant au nom de la Cour d'appel, le juge O'Sullivan s'est dit d'avis que cette proposition allait trop loin. Bien que le juge du procès doive tenir compte de la consommation d'alcool comme étant l'un des facteurs qui permettent de conclure à la conduite déréglée ou téméraire d'un véhicule, il n'existe aucune présomption de droit en ce sens comme le propose le ministère public. En outre, compte tenu des faits de l'affaire, rien n'indiquait que le juge du procès n'avait pas tenu compte du facteur de la consommation d'alcool.

Le juge O'Sullivan a cependant exprimé l'opinion que le juge du procès s'était fondé sur des considérations erronées quant à la pertinence des conséquences et de l'intention. Comme il ne pouvait pas affirmer que cette erreur n'avait pas influé sur le verdict, il a ordonné la tenue d'un nouveau procès.

La négligence criminelle -- Généralités

En abordant la critique d'un jugement de première instance portant sur une accusation de négligence criminelle, on ne peut qu'avoir une profonde sympathie pour la situation difficile dans laquelle se trouve le juge du procès. Ce domaine du droit, tant ici que dans les autres pays de common law, s'est révélé l'un des plus difficiles et des plus incertains de tout le droit criminel. Les dispositions du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, maintenant L.R.C. (1985), ch. C-46, ici en cause sont relativement simples. En voici le texte:

202. (1) [maintenant l'art. 219] Est coupable de négligence criminelle quiconque,

a) en faisant quelque chose, ou

b) en omettant de faire quelque chose qu'il est de son devoir d'accomplir,

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui.

(2) Aux fins du présent article, l'expression "devoir" signifie une obligation imposée par la loi.

203. [maintenant l'art. 220] Est coupable d'un acte criminel et passible de l'emprisonnement à perpétuité, quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d'une autre personne.

L'emploi du mot "négligence" donne à entendre que la conduite reprochée doit s'écarter d'une norme objective. Par ailleurs, l'emploi de l'expression "insouciance déréglée ou téméraire" donne à entendre qu'un élément de l'infraction comprend un état d'esprit ou une certaine qualité morale dont est assortie la conduite qui entraîne les sanctions du droit criminel. L'article dit clairement que la conclusion à l'existence d'une insouciance déréglée ou téméraire doit être tirée de la conduite qui ne respecte pas la norme. Le désaccord principal dans la jurisprudence porte sur la manière dont cette conclusion doit être tirée.

D'une part, il y a les décisions qui concluent que cela doit se faire objectivement. Si la conduite constitue une dérogation marquée à la norme, alors, si on se fonde sur la norme d'une personne prudente ordinaire, l'accusé aurait dû savoir que ses actes pouvaient mettre en danger la vie ou la sécurité d'autrui. D'autre part, il y a les décisions qui appliquent une norme subjective et exigent la preuve que l'accusé a porté une certaine attention au risque. On peut inférer qu'il y a porté attention à partir de la nature de sa conduite dans les circonstances. Une forme plus poussée de ce dernier raisonnement consiste à retenir une dérogation marquée comme une preuve suffisante à première vue de négligence. Le juge des faits peut conclure, sans toutefois être obligé de le faire, à l'existence de l'élément moral nécessaire à partir de la conduite qui, selon lui, constitue une dérogation importante à la norme.

Tant selon les méthodes objective que subjective, la cour détermine la prévisibilité des conséquences. Dans une affaire de responsabilité civile portant sur l'établissement des pertes, le lien entre la conduite et les conséquences est souvent très mince. Aux fins de l'indemnisation de la victime innocente, on a attribué beaucoup de clairvoyance à l'entité imaginaire qu'est la personne raisonnable. En réalité, il arrive souvent que le défendeur n'ait pas prévu les conséquences des actes négligents dont il est tenu responsable objectivement. Dans une affaire criminelle, le lien doit être plus important. Pour établir la témérité, les conséquences doivent être plus évidentes. C'est là la raison d'être de l'exigence d'une dérogation marquée à la norme. Plus grand est le risque créé, plus il est facile de conclure qu'une personne raisonnablement prudente aurait prévu les conséquences. De même, il est plus facile de conclure que l'accusé doit avoir prévu les conséquences. Il appert donc que plus le risque de préjudice augmente, plus l'importance de la distinction entre la méthode objective et la méthode subjective diminue. La limite de ce raisonnement est atteinte lorsque le risque est à ce point élevé que les conséquences sont le résultat normal de la conduite qui crée le risque. Dans de telles circonstances, la conduite peut être qualifiée d'intentionnelle.

La conclusion que la conduite reprochée constitue une dérogation marquée à la norme est donc le point central de la méthode objective aussi bien que de la méthode subjective. Dans l'arrêt R. c. Tutton, [1989] 1 R.C.S. 1392, notre Cour n'a pas fait l'unanimité sur la question de savoir quelle est la bonne méthode. Le juge McIntyre, à l'avis duquel ont souscrit les juges Lamer et L'Heureux‑Dubé, a estimé qu'il faut adopter un critère objectif. Le juge Wilson, à l'avis de laquelle ont souscrit le Juge en chef et le juge La Forest, a préféré un critère subjectif. Le juge McIntyre affirme, à la p. 1431:

Le critère vise le caractère raisonnable de la conduite en cause, et la preuve d'une conduite qui révèle une dérogation marquée et importante à ce que l'on est en droit d'attendre d'une personne raisonnablement prudente dans les circonstances, justifiera un verdict de négligence criminelle.

Le juge Wilson a également souligné l'importance d'une constatation de conduite qui constitue une dérogation marquée à la norme. Elle dit, à la p. 1408:

On peut supposer que quiconque est normalement conscient et qui a une conduite représentant une dérogation aussi grave à la norme, est conscient du danger ou refuse délibérément de le voir. En d'autres termes, la preuve de la conduite en question imposera à l'accusé l'obligation d'expliquer pourquoi il n'y a pas lieu d'en arriver à l'inférence normale qu'il était conscient du risque ou qu'il a délibérément refusé de le voir.

Dans des motifs au même effet que ceux du juge McIntyre, le juge Lamer a exprimé l'avis que le critère objectif est le bon et qu'il faut tenir largement compte de certains facteurs individuels. Il a mentionné le fait que la conduite examinée "comporte beaucoup de risques".

La négligence criminelle -- Application à la présente affaire

En l'espèce, comme dans la plupart des affaires de ce genre, il n'y a pas de preuve directe de l'état d'esprit de l'appelant. La conclusion qu'il a fait preuve d'une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie et de la sécurité d'autrui doit émaner de la conduite qui, allègue‑t‑on, constitue une dérogation marquée à la norme. Si on emploie une norme objective, cela sera établi en fonction de l'état d'esprit d'une personne prudente ordinaire dans les circonstances. Si on applique la norme subjective ou la forme plus poussée du raisonnement qui la sous-tend, la conclusion, si elle est tirée, doit l'être à partir de la conduite de l'appelant.

La conduite sur laquelle on s'est fondé en l'espèce est a) le fait d'avoir conduit en état d'ébriété et b) la violation d'un règlement de la circulation. Il est clair que le juge du procès a tenu compte des deux. Il a conclu que la conduite ne constituait pas une dérogation marquée à la norme. Cela étant, il ne pouvait, ni subjectivement ni objectivement, conclure que l'appelant avait fait preuve d'une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie et de la sécurité d'autrui.

Le juge du procès a spécifiquement abordé la question de la conduite en état d'ébriété. La Cour d'appel a reconnu qu'il l'avait fait. Néanmoins, il n'était pas disposé à conclure que cet élément, conjugué à la violation d'un règlement de la circulation, était suffisant. Il subsistait un doute dans son esprit. Il est certain que prendre le volant après avoir bu peut, dans certaines circonstances, être suffisant pour conclure objectivement ou subjectivement à une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie et de la sécurité d'autrui. Il n'en sera cependant pas toujours ainsi. La conclusion contraire rendrait superflus les par. (2) et (3) de l'art. 237 du Code criminel (maintenant l'art. 255) qui prescrivent des peines spécifiques pour la personne qui cause la mort ou des lésions corporelles en conduisant un véhicule automobile alors que ses facultés sont affaiblies. Dans chaque cas cependant, il s'agit d'une décision de fait et, en l'espèce, le juge du procès n'était pas disposé à tirer cette conclusion.

La mention de l'intention a‑t‑elle influé sur cette conclusion? L'affirmation en contexte est la suivante: "il n'est pas nécessaire non plus que le ministère public fasse la preuve de la mens rea ou de l'intention. L'intention qu'avait la personne quand elle est montée dans l'auto pour s'en servir est sans importance." À mon avis, cette affirmation ne signifie pas que la preuve que l'appelant a choisi de conduire son auto alors qu'il savait qu'il avait bu n'était pas pertinente. Une telle interprétation constituerait une analyse trop minutieuse des motifs du juge du procès. Il est clair que le juge du procès a examiné par la suite la pertinence de cette preuve. Le juge du procès parlait alors de l'obligation du ministère public. Il n'est pas nécessaire que le ministère public prouve l'intention. Du point de vue du ministère public, il était sans importance que l'appelant ait eu l'intention de conduire prudemment quand il est monté dans l'auto. La phrase qui suit le passage précité montre que c'est là le contexte dans lequel cette affirmation a été faite: "Néanmoins, il va sans dire que le ministère public doit [. . .] s'acquitter de son fardeau . . ."

L'affirmation du juge du procès portant que les conséquences ne sont pas pertinentes doit également être examinée en fonction du contexte dans lequel elle a été faite. Cette mention vise sans aucun doute le décès tragique du passager de l'autre véhicule impliqué dans la collision. Le décès du passager est un élément nécessaire de l'actus reus. Il n'est pas par ailleurs pertinent à moins qu'il ne permette de tirer une conclusion quant à savoir s'il y a eu insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie et de la sécurité d'autrui. Le ministère public n'a pas laissé entendre qu'il s'agissait d'une circonstance qui permettait de tirer une telle conclusion que ce soit objectivement ou subjectivement.

Dans les circonstances de la présente affaire, le fait qu'une personne a malheureusement été tuée n'ajoute rien à la conduite de l'appelant. Le degré de négligence de l'appelant démontré par la preuve qu'il a conduit après avoir bu et qu'il a brûlé un feu rouge n'est pas augmenté par le fait qu'il y a eu une collision causant mort d'homme. Si le fait de conduire en état d'ébriété et de brûler un feu rouge ne constituait pas une dérogation marquée à la norme, il n'en devenait pas une parce qu'une collision est survenue. Dans certaines circonstances, peut‑être, les actes de l'accusé et les conséquences qui en découlent peuvent être à ce point interreliés que les conséquences peuvent être pertinentes pour ce qui est de qualifier sa conduite. Ce n'est pas le cas ici.

À mon avis, le juge du procès est arrivé à la conclusion, après examen de la preuve, qu'il y avait un doute raisonnable que la conduite de l'accusé constituait de la négligence criminelle. Les faits lui permettaient de tirer cette conclusion. Bien qu'il ait fait certaines observations générales qu'il n'aurait peut‑être pas dû faire sans préciser davantage sa pensée, je suis convaincu qu'il n'en est résulté aucune erreur de droit. Quoi qu'il en soit, les affirmations auxquelles j'ai fait allusion n'ont pas eu d'effet sur l'issue du procès. L'intimée ne m'a pas convaincu que le verdict n'aurait pas nécessairement été le même. La Cour d'appel n'aurait pas dû annuler le verdict d'acquittement.

Étant donné cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner les arguments de l'appelant au sujet de l'arrêt R. v. Caldwell, [1981] 1 All E.R. 961, ni sa prétention que l'arrêt de la Cour d'appel du Manitoba est incompatible avec le principe de l'arrêt R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636.

Dispositif

En définitive, le pourvoi est accueilli, l'arrêt de la Cour d'appel est infirmé et le verdict d'acquittement est rétabli.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l'appelant: Skwark, Myers, Kussin, Weinstein, Winnipeg.

Procureur de l'intimée: Le procureur général du Manitoba, Winnipeg.


Synthèse
Référence neutre : [1990] 1 R.C.S. 265 ?
Date de la décision : 01/03/1989

Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Anderson
Proposition de citation de la décision: R. c. Anderson, [1990] 1 R.C.S. 265 (1 mars 1989)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-03-01;.1990..1.r.c.s..265 ?
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