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09/03/1989 | CANADA | N°[1989]_1_R.C.S._322

Canada | Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322 (9 mars 1989)


Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322

Ralph Dick, Daniel Billy, Elmer Dick,

Stephen Assu et James D. Wilson,

poursuivis en leur propre nom et en celui de

tous les autres membres de la bande indienne

Wewayakai, connue aussi sous le nom de bande

indienne de Cape Mudge (Défendeurs) Appelants

c.

Sa Majesté La Reine (Défenderesse) Intimée

et

Roy Anthony Roberts, C. Aubrey Roberts et

John Henderson, poursuivant en leur propre

nom et en celui de tous les autres membres

de la bande indienne Wewayakum, connu

e

aussi sous le nom de bande indienne de

Campbell River (Demandeurs) Intimés

répertorié: roberts c. canada

No du greffe: 2037...

Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322

Ralph Dick, Daniel Billy, Elmer Dick,

Stephen Assu et James D. Wilson,

poursuivis en leur propre nom et en celui de

tous les autres membres de la bande indienne

Wewayakai, connue aussi sous le nom de bande

indienne de Cape Mudge (Défendeurs) Appelants

c.

Sa Majesté La Reine (Défenderesse) Intimée

et

Roy Anthony Roberts, C. Aubrey Roberts et

John Henderson, poursuivant en leur propre

nom et en celui de tous les autres membres

de la bande indienne Wewayakum, connue

aussi sous le nom de bande indienne de

Campbell River (Demandeurs) Intimés

répertorié: roberts c. canada

No du greffe: 20377.

1988: 13 juin; 1989: 9 mars.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Lamer, Wilson et Le Dain*.

en appel de la cour d'appel fédérale

Tribunaux -- Cour fédérale -- Compétence -- Différend entre bandes indiennes concernant l'usage et l'occupation d'une réserve -- La bande demanderesse cherche à obtenir un jugement déclaratoire contre la Couronne portant qu'elle a le droit d'utiliser et d'occuper la réserve, ainsi qu'une injonction permanente enjoignant à la bande défenderesse et à ses membres de cesser de violer son droit de propriété sur la réserve -- La Cour fédérale a-t-elle compétence pour entendre la demande? -- Application du critère de l'arrêt ITO -- Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 10, art. 17(3)c).

Droit constitutionnel -- Lois du Canada -- Droit applicable au titre aborigène -- Le droit applicable au titre aborigène est‑il une "loi du Canada" au sens de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867?

Indiens -- Droit applicable au titre aborigène -- Le droit applicable au titre aborigène est‑il de la common law fédérale?

Ce pourvoi vise à déterminer si la Cour fédérale a compétence pour entendre l'action en violation du droit de propriété intentée par la bande demanderesse contre la bande défenderesse. Il s'agit de déterminer quelle bande a le droit d'utiliser et d'occuper la réserve indienne Quinsam. Dans sa déclaration produite en Division de première instance de la Cour fédérale, la bande demanderesse allègue que la Couronne a violé l'obligation de fiduciaire qu'elle avait de protéger son intérêt dans cette réserve et que la réserve est et a toujours été mise de côté pour son usage et son profit exclusifs. Elle allègue en outre que la Couronne a également violé les obligations que les diverses dispositions de la Loi sur les Indiens lui imposent à son égard. Elle affirme que la bande défenderesse n'a aucun droit légitime d'utiliser ou d'occuper la réserve et demande une injonction permanente qui l'empêcherait de le faire. La bande défenderesse a déposé une requête visant à obtenir, conformément aux Règles de la Cour fédérale, une ordonnance rejetant l'action intentée contre elle pour le motif que la Cour fédérale n'avait pas compétence pour accorder le redressement demandé. Le juge de première instance a rejeté la requête et son ordonnance a été confirmée en appel.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

La Cour fédérale a compétence pour entendre la présente demande. La compétence de la Cour fédérale est fonction: (1) d'une attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral; (2) de l'existence d'un ensemble de règles de droit fédérales essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence; et (3) d'"une loi du Canada" au sens de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, sur laquelle est fondée l'affaire. Il y a chevauchement entre les deuxième et troisième éléments du critère. Le deuxième exige qu'il existe un ensemble de règles de droit fédérales applicables à l'objet de la contestation, en l'espèce le droit relatif aux Indiens et à leurs intérêts dans les terres des réserves. Le troisième exige que la loi spécifique qui servira à trancher le litige soit une "loi du Canada" au sens de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. La compétence législative fédérale sur une matière n'est pas suffisante pour satisfaire au troisième volet du critère. Il doit y avoir du droit fédéral applicable, que ce soit une loi, un règlement ou la common law.

En l'espèce, ces conditions sont remplies. L'alinéa 17(3)c) de la Loi sur la Cour fédérale accorde la compétence nécessaire. Cet alinéa exige a) une procédure b) aux fins de juger une contestation c) dans laquelle la Couronne a ou peut avoir une obligation d) qui est ou peut être l'objet de demandes contradictoires. Il est certainement question d'une procédure visant à trancher le différend entre les deux bandes et il y a des demandes contradictoires à l'égard d'une obligation due par la Couronne fédérale. Chaque bande prétend que la Couronne, qui détient le titre de propriété sous‑jacent des terres, a envers elle seule l'obligation de détenir les terres formant la réserve indienne Quinsam pour son usage et son occupation exclusifs.

Seules les "lois du Canada" sont requises pour résoudre le présent pourvoi, savoir les dispositions pertinentes de la Loi sur les Indiens, qui codifient les obligations préexistantes de la Couronne envers les Indiens, l'acte que l'exécutif fédéral a accompli conformément à la Loi sur les Indiens en mettant de côté la réserve en cause pour l'usage et l'occupation de l'une ou de l'autre des deux bandes requérantes, et la common law du titre aborigène qui sous-tend les obligations de fiduciaire qu'a la Couronne envers les deux bandes. Les deux autres éléments du critère sont en conséquence respectés.

Jurisprudence

Arrêts appliqués: ITO--International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752; Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054; McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; arrêts mentionnés: Calder c. Procureur général de la Colombie‑Britannique, [1973] R.C.S. 313; Derrickson c. Derrickson, [1986] 1 R.C.S. 285; Rhine c. La Reine; Prytula c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442; Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575; Marshall c. La Reine, [1986] 1 C.F. 437; La Reine c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd., [1980] 1 R.C.S. 695; Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654; Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335; Dywidag Systems International Canada Ltd. v. Zutphen Brothers Construction Ltd. (1987), 76 N.S.R. (2d) 398; Amodu Tijani v. Southern Nigeria (Secretary), [1921] 2 A.C. 399.

Lois et règlements cités

Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(24), 101.

Loi sur la Cour de l'Échiquier, S.R.C. 1970, chap. E-11, art. 24.

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 10, art. 17(1), (3)c).

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, art. 18(1).

Doctrine citée

Evans, J. M. "Federal Jurisdiction -- A Lamentable Situation" (1981), 59 R. du B. can. 124.

Hogg, Peter W. "Constitutional Law -- Limits of Federal Court Jurisdiction — Is There a Federal Common Law?" (1977), 55 R. du B. can. 550.

Laskin, John B. et Robert J. Sharpe. "Constricting Federal Court Jurisdiction: A Comment on Fuller Construction" (1980), 30 U. of T.L.J. 283.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1987] 2 C.F. 535, 73 N.R. 234, [1987] 2 C.N.L.R. 145, qui a confirmé un jugement de la Division de première instance, [1987] 1 C.F. 155, 5 F.T.R. 13. Pourvoi rejeté.

John McAlpine, c.r, et David Paterson, pour les appelants.

M. R. V. Storrow, c.r., et Lewis Harvey, pour les intimés Dick et autres.

H. J. Wruck, pour l'intimée Sa Majesté la Reine.

//Le juge Wilson//

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE WILSON -- La question litigieuse dans ce pourvoi est de savoir si la Cour fédérale du Canada a compétence pour entendre une action en violation du droit de propriété intentée par la bande indienne intimée contre la bande indienne appelante. Sa Majesté la Reine ("la Couronne") a été jointe au litige qui a pour objet d'établir laquelle des deux bandes a droit à l'usage et à l'occupation exclusifs de la réserve indienne connue sous le nom de réserve indienne Quinsam.

Cette Cour a accordé une autorisation de pourvoi contre l'arrêt de la Cour d'appel fédérale (les juges Hugessen et Urie, le juge MacGuigan ayant rédigé des motifs concordants) rendu le 2 mars 1987, [1987] 2 C.F. 535, 73 N.R. 234, [1987] 2 C.N.L.R. 145, qui a rejeté un appel du jugement rendu le 21 juillet 1986 par le juge Joyal de la Division de première instance de la Cour fédérale, [1987] 1 C.F. 155, 5 F.T.R. 13. Le juge Joyal a conclu que la Cour fédérale avait compétence pour entendre la demande. La Cour d'appel est arrivée à la même conclusion, mais les juges formant la majorité ont fondé la compétence sur une autre disposition de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 10.

1. Les faits

Les demandeurs sont des membres de la bande indienne Wewayakum, également connue sous le nom de bande indienne de Campbell River (la "bande demanderesse") et ils poursuivent au nom de tous les membres anciens, actuels et futurs de la bande qui réside principalement sur la réserve indienne no 11 de Campbell River ("réserve no 11") située à Campbell River (Colombie‑Britannique). Les défendeurs sont des membres de la bande indienne Wewayakai, également connue sous le nom de bande indienne de Cape Mudge (la "bande défenderesse"), et ils agissent au nom de tous les membres anciens, actuels et futurs de la bande qui réside en partie sur la réserve indienne no 10 de Cape Mudge ("réserve no 10") située dans l'île Quadra (Colombie‑Britannique) et en partie sur la réserve qui fait l'objet du litige, la réserve indienne Quinsam ("réserve no 12"). La bande demanderesse allègue que la bande défenderesse viole son droit de propriété sur la réserve no 12 et elle demande une injonction permanente qui mettrait fin à cette violation. Elle demande également une déclaration portant que la réserve no 12 est et a toujours été, depuis son établissement en tant que réserve, mise de côté pour son usage et son profit exclusifs.

La confusion quant à l'usage et à l'occupation légitimes de la réserve no 12 remonte au XIXe siècle. Par décret en date du 6 avril 1888, le lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique a approuvé la recommandation du conseil exécutif portant que [TRADUCTION] "il soit demandé au gouvernement du Dominion d'approuver la nomination d'Ashdown H. Green pour qu'il se rende sans délai à Campbell River muni du pouvoir de déterminer l'étendue et les limites de la réserve indienne à cet endroit". Le gouvernement fédéral a par la suite approuvé cette recommandation. Ashdown Green s'est rendu sans délai à Campbell River, a consulté quelques membres de la bande défenderesse et a effectué les levés de deux réserves. Ses levés ont été complétés le 4 mai 1888 et transmis au surintendant des Affaires indiennes le 28 mai 1888. Ils comprenaient l'établissement des limites de la réserve no 11 et de la réserve no 12. Suivant les faits exposés tant par la Couronne que par la bande défenderesse, le rapport d'Ashdown Green confirmait que les terres des réserves ayant fait l'objet des levés avaient été mises de côté pour l'usage et le profit de la bande défenderesse.

Le 24 septembre 1912, les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique ont conclu une entente constituant une commission, appelée commission McKenna-McBride, qui serait chargée de régler tous les différends entre les deux gouvernements concernant les terres et les affaires indiennes de façon générale dans la province de la Colombie-Britannique. Le 14 août 1914, la Commission a ordonné que [TRADUCTION] "les réserves indiennes de la [. . .] bande Wewayakum portant les numéros 11 et 12 [. . .] SOIENT CONFIRMÉES telles qu'elles sont maintenant fixées et établies . . ." Cette décision a été incluse dans le rapport McKenna‑McBride de 1916, lequel a été confirmé par des décrets des gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada. Selon la Couronne, cette mention de la bande Wewayakum, à propos de la réserve no 12, a été faite par erreur ou inadvertance. La bande défenderesse prétend que M. Green a en fait mis de côté les réserves pour elle seule.

Il s'agit donc en l'espèce de déterminer quelle bande a le droit d'utiliser et d'occuper la réserve no 12. La bande demanderesse allègue que la Couronne a violé l'obligation de fiduciaire qu'elle avait de protéger son intérêt dans la réserve no 12 et de veiller à ce que la réserve ne soit utilisée d'aucune manière ou à aucune fin incompatible avec cet intérêt. La bande demanderesse allègue en outre que la Couronne a également violé les obligations que diverses dispositions de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, lui imposent à son égard. Elle affirme que la bande défenderesse n'a aucun droit légitime d'utiliser ou d'occuper la réserve no 12 et demande une injonction permanente qui l'empêcherait de le faire.

Jusqu'à maintenant aucune décision n'a été rendue sur le fond de cette affaire. La bande demanderesse a déposé, le 2 décembre 1985, en Division de première instance de la Cour fédérale, une déclaration désignant comme défenderesses Sa Majesté la Reine et la bande indienne de Cape Mudge. Le 11 mars 1986, la bande défenderesse a déposé une requête visant à obtenir, conformément aux Règles de la Cour fédérale, une ordonnance rejetant l'action intentée contre elle pour le motif que la Cour fédérale n'avait pas compétence pour accorder le redressement demandé. Le juge Joyal a rejeté la requête et son ordonnance a été confirmée en appel. La bande défenderesse se pourvoit devant cette Cour relativement à la question de compétence.

2. Les tribunaux d'instance inférieure

Division de première instance de la Cour fédérale

Citant des arrêts de principe comme Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, ainsi que Rhine c. La Reine; Prytula c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442, le juge Joyal a dit que la question de savoir si la Cour fédérale a compétence dépend de l'application d'un triple critère: (1) la Loi sur la Cour fédérale donne-t-elle compétence à la cour? (2) le litige concerne-t-il une loi fédérale applicable? et (3) la loi fédérale relève-t-elle de la compétence législative du Parlement?

Adoptant le point de vue proposé par le juge Le Dain dans l'arrêt Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575 (C.A.), et par le juge Reed dans la décision Marshall c. La Reine, [1986] 1 C.F. 437 (D.P.I.), le juge Joyal a conclu que, dans le contexte de l'action de la demanderesse contre la Couronne, la compétence de la Cour fédérale sur les terres d'une réserve ne faisait aucun doute. L'action contre la Couronne avait été intentée à bon droit devant la Cour fédérale. Puisque la demande contre la Couronne et la demande contre la bande défenderesse étaient "étroitement liées" (Marshall) et que les droits et obligations des parties devaient être déterminés jusqu'à un certain point par le droit fédéral (Bensol), la Cour fédérale avait compétence pour entendre toutes les parties de la demande. Parce que le requérant doit s'adresser à la Cour fédérale pour obtenir un redressement contre la Couronne fédérale, "ce redressement devrait viser toutes les questions qui sont essentielles pour les fins de la décision finale". Le juge Joyal a conclu que la Loi sur les Indiens était la loi fédérale qui devait s'appliquer pour déterminer jusqu'à un certain point les droits et obligations des parties. Il a conclu que le par. 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale était la source de la compétence de la Cour fédérale. Voici le texte du par. 17(1):

17. (1) La Division de première instance a compétence en première instance dans tous les cas où l'on demande contre la Couronne un redressement et, sauf disposition contraire, cette compétence est exclusive.

Cour d'appel fédérale

La Cour d'appel fédérale a confirmé la décision du juge de première instance. Le juge Hugessen, à l'opinion duquel a souscrit le juge Urie, a préféré ne pas se prononcer sur l'exactitude de la conclusion du juge Joyal que le par. 17(1) était la source de la compétence de la Cour fédérale. Il a plutôt conclu que l'al. 17(3)c) conférait à la cour la compétence nécessaire. Pour ce faire, il n'a ni accepté ni rejeté le raisonnement de la décision Marshall selon lequel le par. 17(1) de la Loi confère à la Cour fédérale une compétence exclusive lorsqu'une demande contre un particulier est "étroitement liée" à une demande distincte contre la Couronne. Tout en exprimant des réserves quant à savoir s'il s'agissait bien là de l'état du droit, il n'a pas explicitement écarté cette possibilité.

L'alinéa 17(3)c) de la Loi sur la Cour fédérale dispose:

17. . . .

(3) La Division de première instance a compétence exclusive pour entendre et juger en première instance les questions suivantes:

. . .

c) les procédures aux fins de juger les contestations dans lesquelles la Couronne a ou peut avoir une obligation qui est ou peut être l'objet de demandes contradictoires.

Suivant le juge Hugessen, l'al. 17(3)c) n'est pas limité à l'interpleader, mais il vise tous les cas où il y a des demandes contradictoires relatives à une obligation due par la Couronne fédérale et dans lesquels les quatre exigences de l'al. 17(3)c) sont respectées. Il a conclu qu'elles l'étaient en l'espèce. Les quatre exigences sont (1) une procédure (2) aux fins de juger une contestation (3) dans laquelle la Couronne a ou peut avoir une obligation (4) qui est ou peut être l'objet de demandes contradictoires. Le juge Hugessen a conclu que l'ensemble de règles de droit fédérales nécessaire au bon exercice de la compétence de la Cour fédérale était composé du droit écrit qui se présentait sous la forme de la Loi sur les Indiens, ainsi que du droit applicable au titre aborigène qui, a-t-il également conclu en se fondant sur l'arrêt récent de cette Cour Derrickson c. Derrickson, [1986] 1 R.C.S. 285, constitue du droit fédéral. Ainsi, la Cour fédérale avait compétence.

Le juge MacGuigan a statué que la compétence de la Cour fédérale en l'espèce pouvait se fonder soit sur le par. 17(1) soit sur l'al. 17(3)c). Il a convenu, avec la cour à la majorité, que les deux autres éléments du triple critère qui sert à établir la compétence étaient respectés.

3. La question en litige

Cette Cour a exposé et explicité à maintes reprises les conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale. Dans l'arrêt ITO--International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, le juge McIntyre, exprimant l'avis de la majorité et s'appuyant surtout sur les arrêts de cette Cour Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée et McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, précités, a résumé le critère à appliquer pour déterminer si la Cour fédérale est régulièrement saisie d'une affaire., à la p. 766:

1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.

3. La loi invoquée dans l'affaire doit être "une loi du Canada" au sens où cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Ce critère est bien établi comme étant celui qu'il faut appliquer dans toute affaire où la compétence de la Cour fédérale est en cause.

Bien qu'il y ait nettement un chevauchement entre les deuxième et troisième éléments du critère applicable pour établir la compétence de la Cour fédérale, le deuxième, tel que je le comprends, exige qu'il existe un ensemble de règles de droit fédérales applicables à l'objet de la contestation, en l'espèce le droit relatif aux Indiens et à leurs intérêts dans les terres des réserves, et le troisième, que la loi spécifique qui servira à trancher le litige soit "une loi du Canada" au sens de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. On n'aura aucune difficulté à respecter le troisième élément du critère si le litige doit être tranché en fonction d'un texte de loi fédéral existant. Comme on le verra, des problèmes peuvent cependant surgir si la loi du Canada invoquée est non pas un texte de loi fédéral mais ce qu'on appelle de la "common law fédérale", ou si la loi fédérale n'est pas la seule applicable à la question en litige.

Les tribunaux d'instance inférieure ont estimé que le premier élément du critère était celui qui comportait le plus d'incertitude. L'attribution de compétence à la Cour fédérale par le Parlement se trouve dans la Loi sur la Cour fédérale. Parce que la Cour fédérale n'a aucune compétence inhérente comme celle des cours supérieures des provinces, c'est le texte de la Loi qui détermine complètement l'étendue de la compétence de la cour. On a dit en l'espèce que le par. 17(1) et l'al. 17(3)c) pouvaient fournir la compétence nécessaire. Pour plus de commodité, je reproduis ensemble ces deux dispositions:

17. (1) La Division de première instance a compétence en première instance dans tous les cas où l'on demande contre la Couronne un redressement et, sauf disposition contraire, cette compétence est exclusive.

. . .

(3) La Division de première instance a compétence exclusive pour entendre et juger en première instance les questions suivantes:

. . .

c) les procédures aux fins de juger les contestations dans lesquelles la Couronne a ou peut avoir une obligation qui est ou peut être l'objet de demandes contradictoires.

Le juge Joyal a conclu que le par. 17(1) conférait la compétence nécessaire. Les juges Hugessen et Urie ont conclu que cette compétence était conférée par l'al. 17(3)c) et le juge MacGuigan a conclu que l'une ou l'autre des deux dispositions attribuait la compétence.

En concluant que le par. 17(1) attribuait la compétence en l'espèce, le juge Joyal a accepté la notion de compétence fondée sur des demandes "étroitement liées" établie par le juge Reed dans la décision Marshall, précitée.

Dans l'affaire Marshall, Marshall poursuivait la Couronne et un syndicat de la Fonction publique pour le motif qu'elle avait été illégalement congédiée et que les deux défendeurs avaient agi de connivence pour y arriver. L'extrait suivant des pp. 447 et 448 contient l'essentiel des motifs du juge Reed:

Il s'agit donc de déterminer si, en raison de la compétence conférée à la Cour fédérale par le paragraphe 17(1), un demandeur peut poursuivre en même temps la Couronne et l'un de ses sujets devant ladite Cour lorsque les causes d'action contre chacun d'eux sont aussi étroitement liées qu'en l'espèce (par exemple, en ce qui concerne la prétendue collusion). Il semble, à la simple lecture de cet article, qu'on ait voulu conférer une telle compétence puisqu'elle porte sur les "cas où l'on demande contre la Couronne un redressement". Cette compétence ne vise pas seulement les "réclamations contre la Couronne" comme semble l'exiger une interprétation plus étroite.

Que le Parlement ait eu l'intention de donner cette portée plus large à l'article est une conclusion qui non seulement semble ressortir de son libellé mais peut en outre être raisonnablement tirée du fait que certaines actions contre la Couronne fédérale doivent être intentées devant la Cour fédérale exclusivement. Il semble peu probable que le Parlement ait eu l'intention de désavantager les personnes qui se trouvent dans la situation de la demanderesse en les contraignant à diviser une cause d'action unique et à en faire valoir une partie devant la Cour fédérale et l'autre devant les tribunaux supérieurs des provinces. Si telle était l'intention du Parlement, cela aurait pour conséquence d'exposer un demandeur, se trouvant dans une situation semblable à celle de la demanderesse en l'espèce, à des conclusions différentes, et même contradictoires, devant des tribunaux différents et de créer des embûches juridictionnelles et financières à l'endroit de ces personnes si elles décidaient de poursuivre la Couronne fédérale. Je ne crois pas que c'était là l'intention du Parlement.

Le juge Reed conclut, à la p. 449:

En l'espèce, l'action contre la Couronne (employeur) et celle contre l'Alliance de la Fonction publique (syndicat) sont si entremêlées que les conclusions de fait qui seraient tirées à l'égard de l'un des défendeurs sont étroitement liées à celles qui devraient l'être quant à l'autre.

La solution de ce problème de compétence fait clairement intervenir un élément de principe important. Des considérations pratiques sont en jeu et il faut établir un équilibre entre l'inquiétude que provoque l'extension indue de la compétence de la Cour fédérale lorsque la Couronne fédérale n'est pas la seule défenderesse, et la nécessité d'apporter une solution rapide aux litiges à un coût raisonnable. La décision Marshall semble établir un équilibre approprié en exigeant que la ou les demandes formulées contre le particulier soient étroitement liées à celles présentées contre la Couronne. En outre, l'existence de ce lien permet d'éviter les problèmes sérieux de chose jugée qui pourraient être soulevés dans des litiges subséquents devant les cours provinciales.

Le juge Le Dain s'est concentré sur un autre problème de compétence dans l'arrêt Bensol. Il était préoccupé par les affaires où, bien que la demande ait été dirigée seulement contre la Couronne, la loi fédérale n'était pas la seule applicable. Pour régler ce problème, il a introduit une autre modification aux règles strictes régissant la compétence de la Cour fédérale, affirmant à la p. 583:

Des demandes se présenteront inévitablement dans lesquelles les droits et obligations des parties seront déterminés en partie par le droit fédéral et en partie par le droit provincial. Il devrait être suffisant, à mon avis, que les droits et obligations des parties soient déterminés jusqu'à un certain point par le droit fédéral. Il ne devrait pas être nécessaire que la cause d'action tire son origine du droit fédéral du moment que celui-ci lui est applicable. [Je souligne.]

Les points de vue adoptés par le juge Reed dans la décision Marshall et par le juge Le Dain dans l'arrêt Bensol avaient trouvé preneur chez plusieurs commentateurs soucieux d'éviter les problèmes de compétence fragmentée et, dans certains cas, l'absence de tribunal devant lequel une demande et une demande reconventionnelle peuvent toutes deux être entendues: voir, par exemple, Hogg, "Constitutional Law -- Limits of Federal Court Jurisdiction -- Is There a Federal Common Law?" (1977), 55 R. du B. can. 550; Laskin et Sharpe, "Constricting Federal Court Jurisdiction: A Comment on Fuller Construction" (1980), 30 U. of T.L.J. 283; Evans, "Federal Jurisdiction -- A Lamentable Situation" (1981), 59 R. du B. can. 124. Les tribunaux fédéraux américains ont pris en main les inquiétudes exprimées par les partisans de cette conception plus libérale de la compétence de la Cour fédérale par l'élaboration du concept de [TRADUCTION] "compétence globale et accessoire". Selon ce concept, si les demandes sont telles qu'on s'attendrait normalement à ce que le demandeur les fasse toutes valoir dans une seule procédure judiciaire, alors, à supposer que les questions litigieuses fédérales sont importantes, les tribunaux fédéraux ont le pouvoir d'entendre toutes les questions litigieuses. À certains égards, c'est un concept attrayant. Il ne paraît cependant pas trouver appui dans la jurisprudence existante de cette Cour ni même dans le texte de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui exige que la compétence de tout tribunal constituté en application de cet article (excepté évidemment la cour générale d'appel pour le Canada) vise à "assurer la meilleure exécution des lois du Canada". On a jugé que le fait qu'une demande fondée sur une loi provinciale soit "étroitement liée" à une autre demande susceptible d'être tranchée suivant les "lois du Canada" ou qu'elle soit touchée par cette autre demande n'a pas pour effet d'assujettir la première demande à la compétence de la Cour fédérale: voir La Reine c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd., [1980] 1 R.C.S. 695, le juge Pigeon, à la p. 713. Il n'est pas nécessaire de répondre ici à la question de savoir si la Cour fédérale pourrait, en l'espèce, instruire la demande de la bande demanderesse conformément au par. 17(1) sans au moins adopter implicitement une théorie de la compétence globale et accessoire. J'affirme cela parce que, à mon avis, l'al. 17(3)c) est une source indépendante de compétence qui habilite la Cour fédérale à entendre la demande.

L'alinéa 17(3)c) n'a aucun pendant direct dans la Loi sur la Cour de l'Échiquier, S.R.C. 1970, chap. E-11. La disposition qui s'en rapproche le plus était l'art. 24 de cette loi qui prévoyait notamment ceci:

24. . . . la Cour a compétence pour connaître des poursuites pour redressement par voie de question préjudicielle [interpleader] dans tous les cas [. . .] à l'égard desquels le procureur général prévoit que la Couronne [. . .] sera poursuivi[e] par deux personnes ou plus revendiquant ces choses contradictoirement . . .

Dans son jugement en Cour d'appel fédérale, le juge Hugessen décrit la procédure d'interpleader et souligne, correctement à mon avis, qu'il ne peut être question en l'espèce d'interpleader puisque la Couronne, en tant que détentrice du titre de propriété du bien fonds en cause, est beaucoup plus qu'un simple tiers dépositaire. En outre, une partie à un interpleader doit être neutre tandis qu'en l'espèce la Couronne a clairement pris fait et cause pour la bande défenderesse. Et l'action n'a pas été prise à la demande de la Couronne, ce qui serait le cas dans une procédure d'interpleader. Le juge Hugessen a cependant ajouté, encore une fois correctement à mon avis, que la portée de l'al. 17(3)c) est plus large que la disposition en matière d'interpleader de la Loi sur la Cour de l'Échiquier. L'alinéa 17(3)c) ne comporte aucune mention explicite de l'interpleader. La description des procédures visées par la disposition comprendrait clairement l'interpleader mais n'y est pas limitée.

À mon avis, le juge Hugessen a procédé de la bonne manière en analysant l'al. 17(3)c) lui-même pour déterminer la portée de la compétence attribuée. Comme il l'a signalé, l'alinéa exige a) une procédure b) aux fins de juger une contestation c) dans laquelle la Couronne a ou peut avoir une obligation d) qui est ou peut être l'objet de demandes contradictoires. Une procédure d'interpleader entamée par la Couronne répondrait bien à cette description. Il est même difficile à première vue d'envisager des situations autres que la procédure d'interpleader où toutes les exigences de l'al. 17(3)c) seraient respectées. Je crois cependant que nous sommes en présence d'une telle situation en l'espèce. Il est certainement question d'une procédure visant à trancher le différend entre la bande demanderesse et la bande défenderesse. L'obligation à laquelle est tenue la Couronne en l'espèce découle de la nature même du titre aborigène. L'affirmation la plus récente de cette Cour que le droit des Indiens sur leurs terres est de nature sui generis se trouve dans l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654. Tel que souligné dans l'arrêt Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, l'obligation qu'a la Couronne à l'égard des terres détenues pour les Indiens est reconnue au par. 18(1) de la Loi sur les Indiens, bien qu'elle ne soit pas créée par ce paragraphe. La Couronne doit détenir les terres formant la réserve no 12 pour l'usage et le profit de l'une des bandes. La question est de savoir laquelle. Enfin, la présente affaire relève du texte de l'al. 17(3)c) parce que les demandes contradictoires visent sans aucun doute l'obligation de la Couronne. Chaque bande prétend que la Couronne, qui détient le titre de propriété sous-jacent des terres, a envers elle seule l'obligation de détenir les terres pour son usage et son occupation exclusifs.

Ma conclusion que l'al. 17(3)c) de la Loi sur la Cour fédérale attribue à la Cour fédérale compétence pour examiner les questions litigieuses en l'espèce est évidemment fondée sur la constitutionnalité de cette disposition. Dans l'arrêt Dywidag Systems International Canada Ltd. v. Zutphen Brothers Construction Ltd. (1987), 76 N.S.R. (2d) 398, la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse a conclu que la compétence exclusive de la Cour fédérale à l'égard de demandes contre la Couronne fédérale, qui fait que la Couronne fédérale peut poursuivre le sujet devant les cours supérieures d'une province mais que le sujet ne peut poursuivre la Couronne devant ces mêmes cours, viole la garantie d'égalité devant la loi contenue à l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Une autorisation de se pourvoir contre cet arrêt devant la Cour a été accordée le 29 juillet 1987, [1987] 2 R.C.S. ix. Aucune contestation constitutionnelle n'a cependant été soulevée en l'espèce.

Ayant conclu que le premier élément du critère de l'arrêt ITO est respecté, c.-à-d. qu'un texte de loi accorde compétence à la Cour fédérale, je passe maintenant aux deux autres éléments. Le deuxième élément est qu'il doit y avoir un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence. La Cour d'appel fédérale a dégagé cet ensemble de règles de droit fédérales d'une combinaison du droit applicable au titre aborigène et des dispositions de la Loi sur les Indiens. Le juge Hugessen a conclu que le titre aborigène doit être dévolu soit à la bande demanderesse soit à la bande défenderesse et qu'il est essentiel à la solution de l'appel. Il a noté que, bien que la Loi sur les Indiens n'ait pas créé le droit à la possession des terres d'une réserve, les dispositions de cette loi qui traitent de ce droit seraient des éléments essentiels pour statuer sur le fond de l'affaire. Il a en outre conclu qu'il ne faisait pas de doute que la Loi sur les Indiens et le droit applicable au titre aborigène sont des "lois du Canada" au sens de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, ce qui satisfait au troisième et dernier élément du critère de l'arrêt ITO.

En cette Cour, la bande demanderesse a reconnu que sa demande n'était pas fondée sur le titre aborigène, mais elle a prétendu que ce titre serait pertinent pour déterminer le droit d'occuper la réserve. Bien que je ne sois pas en désaccord avec la conclusion du juge Hugessen que tant le droit applicable au titre aborigène que les dispositions de la Loi sur les Indiens sont pertinents en l'espèce, je ne crois pas que cela soit suffisant pour satisfaire à la troisième exigence du critère qui sert à établir la compétence de la Cour fédérale, savoir que la demande elle-même doit être "fondée" sur "une loi du Canada" au sens de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Le droit à l'usage et à l'occupation des terres d'une réserve résulte de la nature sui generis du titre indien. Cependant, quand la question en litige est de savoir laquelle de deux bandes requérantes a le droit d'utiliser et d'occuper une réserve en particulier, il nous faut examiner d'autres sources. L'une d'elles est l'acte de l'exécutif qui a établi à l'origine la réserve indienne et l'a attribuée, soit par le rapport d'Ashdown Green soit par le rapport de la commission McKenna-McBride, à l'une ou l'autre des bandes requérantes. Parmi les autres sources que nous devons examiner, il y a les dispositions de la Loi sur les Indiens qui, bien qu'elles ne créent pas les obligations qu'a la Couronne envers les Indiens, codifient les obligations préexistantes de la Couronne à l'égard des Indiens. Une autre source est la common law relative au titre aborigène qui sous-tend la nature fiduciaire des obligations de la Couronne. Il est intéressant de noter que le juge Hugessen s'est fondé sur le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et sur l'arrêt Derrickson pour affirmer qu'"on ne peut sérieusement soutenir que la loi applicable au titre ancestral des autochtones est aujourd'hui autre chose que la loi fédérale actuelle" (p. 540). On renvoie ici à la conclusion du juge Chouinard qui a rédigé l'opinion de la Cour dans l'arrêt Derrickson sur la question de savoir si une loi provinciale en matière de droit de la famille portant sur les biens familiaux pouvait s'appliquer à des terres situées dans une réserve indienne. Le juge Chouinard a affirmé, à la p. 296:

Le droit de posséder des terres sur une réserve indienne relève manifestement de l'essence même de la compétence législative fédérale exclusive que confère le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il s'ensuit que la loi provinciale ne peut s'appliquer au droit de possession sur les terres des réserves indiennes.

Tout en ne mettant pas en doute la justesse de la conclusion du juge Chouinard portant que la loi provinciale ne peut s'appliquer aux terres des Indiens à cause du pouvoir fédéral exclusif de légiférer sur les matières concernant "les Indiens et les terres réservées aux Indiens" en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, j'estime que cette conclusion ne s'applique pas à la question dont nous sommes saisis et qui est de savoir si le droit applicable au titre aborigène est une "loi du Canada" au sens de l'art. 101. Pour ma propre gouverne, je me reporte à l'avis exprimé par le juge en chef Laskin dans les arrêts McNamara Construction et Quebec North Shore.

Dans ces deux arrêts, le juge en chef Laskin a bien précisé que la compétence législative fédérale sur une matière n'est pas suffisante pour satisfaire au troisième volet du critère qui sert à établir la compétence de la Cour fédérale. Voici ce qu'il affirme, aux pp. 658 et 659 de l'arrêt McNamara Construction:

Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Company c. Le Canadien Pacifique Limitée, (arrêt rendu après les jugements de la Cour d'appel fédérale en l'espèce), cette Cour a statué que les dispositions de l'art. 101 posent comme condition préalable à l'exercice par la Cour fédérale de sa compétence, l'existence d'une législation fédérale applicable sur laquelle on puisse fonder les procédures. Il ne suffit pas que le Parlement du Canada puisse légiférer sur un domaine dont relève la question soumise à la Cour fédérale. Comme l'a indiqué cette Cour dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Company, la compétence judiciaire en vertu de l'art. 101 ne recouvre pas le même domaine que la compétence législative fédérale. Il s'ensuit qu'il ne suffit pas que la compétence exclusive du Parlement s'exerce dans les domaines de "la dette et la propriété publiques" en vertu de l'art. 91(1A) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et à l'égard de "l'établissement, du maintien, et de l'administration des pénitenciers" en vertu de l'art. 91(28) et que l'objet du contrat de construction en l'espèce puisse relever de l'un ou l'autre de ces domaines législatifs, ou des deux, pour fonder la compétence de la Cour fédérale à l'égard de la présente action en dommages-intérêts.

Il ajoute, à la p. 659:

Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Company, cette Cour a souligné au sujet de cette disposition que pour traduire des personnes devant la Cour de l'Échiquier, la Couronne du chef du Canada doit au préalable établir que son action relève de la législation fédérale applicable, que ce soit une loi, un règlement ou la common law.

Il ne s'agit donc pas de décider en l'espèce si la demande de redressement de la Couronne relève d'un domaine de compétence législative fédérale, mais de déterminer si elle est fondée sur la législation fédérale applicable. [Je souligne.]

Commentant les arrêts Quebec North Shore et McNamara Construction, le professeur Evans, loc. cit., fait observer à la p. 125:

[TRADUCTION] L'effet des arrêts Quebec North Shore et McNamara Construction a été de nier, en termes généraux, l'existence d'un ensemble de règles de common law fédérales recouvrant le même domaine que la compétence législative constitutionnelle du Parlement non exercée sur des matières qui lui ont été attribuées. Ainsi, une loi ne sera normalement une loi du Canada aux fins de l'art. 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique que si elle est édictée par une mesure législative fédérale ou sous son régime. [Je souligne.]

Si le professeur Evans dit dans le paragraphe précité que seule une mesure législative fédérale peut répondre à la description d'une "loi du Canada" au sens de l'art. 101, je crois qu'il doit avoir tort puisque le juge en chef Laskin inclut clairement la "common law" dans le droit fédéral applicable dans la mesure où il affirme que la cause d'action doit relever de "la législation fédérale applicable, que ce soit une loi, un règlement ou la common law". Le professeur Evans peut avoir raison de dire que les arrêts Quebec North Shore et McNamara Construction nient l'existence d'un ensemble de règles de common law fédérales recouvrant le même domaine que la compétence législative du Parlement fédéral non exercée sur des matières qui lui ont été attribuées. Cependant, je crois que le juge en chef Laskin a reconnu expressément l'existence d'une "common law fédérale" dans certains domaines et que la question à laquelle nous devons donc répondre est donc de savoir si la loi applicable au titre aborigène est de la common law fédérale.

Je crois qu'elle l'est. Dans l'arrêt Calder c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313, cette Cour a reconnu le titre aborigène comme un droit, en common law, découlant de l'occupation et de la possession historiques par les Indiens de leurs terres tribales. Comme l'a souligné le juge Dickson (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Guerin, précité, le titre aborigène existait avant la colonisation par les Britanniques et a continué d'exister après les revendications de souveraineté britanniques. Le droit d'occupation et de possession des Indiens a continué d'exister [TRADUCTION] "comme une charge sur le titre radical ou final du Souverain": le vicomte Haldane dans l'arrêt Amodu Tijani v. Southern Nigeria (Secretary), [1921] 2 A.C. 399 (C.P.), à la p. 403. Bien que, comme le dit clairement l'arrêt Guerin, le par. 18(1) de la Loi sur les Indiens n'ait pas créé la relation unique qui existe entre la Couronne et les Indiens, il l'a certainement incorporée dans la loi fédérale en affirmant que "Sa Majesté détient des réserves à l'usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté".

Je suis donc d'avis de conclure que seules les "lois du Canada" sont requises pour résoudre le présent pourvoi, savoir les dispositions pertinentes de la Loi sur les Indiens, l'acte que l'exécutif fédéral a accompli conformément à la Loi sur les Indiens en mettant de côté la réserve en cause pour l'usage et l'occupation de l'une ou de l'autre des deux bandes requérantes, et la common law du titre aborigène qui sous-tend les obligations de fiduciaire qu'a la Couronne envers les deux bandes. Les deux autres éléments du critère établi dans l'arrêt ITO, précité, sont en conséquence respectés.

Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs des appelants: McAlpine & Hordo, Vancouver.

Procureurs des intimés Roberts et autres: Davis & Company, Vancouver.

Procureur de l'intimée Sa Majesté la Reine: F. Iacobucci, Ottawa.

* Le juge Le Dain n'a pas pris part au jugement.



Parties
Demandeurs : Roberts
Défendeurs : Canada

Références :
Proposition de citation de la décision: Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322 (9 mars 1989)


Origine de la décision
Date de la décision : 09/03/1989
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1989] 1 R.C.S. 322 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-03-09;.1989..1.r.c.s..322 ?
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