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16/03/1989 | CANADA | N°[1989]_1_R.C.S._377

Canada | Grand montréal, commission des écoles protestantes c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 377 (16 mars 1989)


Grand Montréal, Commission des écoles protestantes c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 377

La Commission des écoles protestantes

du Grand Montréal, la Commission scolaire

Greater Québec, la Commission scolaire

Lakeshore et l'Association des commissions

scolaires protestantes du Québec Appelantes

c.

Le procureur général du Québec Intimé

et

Le procureur général de l'Ontario et

le procureur général de Terre-Neuve Intervenants

répertorié: grand montréal, commission des écoles protestantes c

. québec (procureur général)

No du greffe: 20415.

1988: 7 juin; 1989: 16 mars.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz...

Grand Montréal, Commission des écoles protestantes c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 377

La Commission des écoles protestantes

du Grand Montréal, la Commission scolaire

Greater Québec, la Commission scolaire

Lakeshore et l'Association des commissions

scolaires protestantes du Québec Appelantes

c.

Le procureur général du Québec Intimé

et

Le procureur général de l'Ontario et

le procureur général de Terre-Neuve Intervenants

répertorié: grand montréal, commission des écoles protestantes c. québec (procureur général)

No du greffe: 20415.

1988: 7 juin; 1989: 16 mars.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain* et La Forest.

en appel de la cour d'appel du québec

Droit constitutionnel -- Partage des compétences législatives -- Éducation -- Droits et privilèges relatifs aux écoles confessionnelles -- Règlements établissant un programme d'études uniforme pour toutes les écoles du Québec — Dispositions spéciales prévues pour l'enseignement religieux et moral dans les écoles reconnues comme catholiques ou protestantes -- La loi provinciale et ses règlements d'application sont-ils ultra vires de la législature du Québec? -- Loi constitutionnelle de 1867, art. 93(1), (2) -- Loi sur l'instruction publique, L.R.Q., chap. I-14, art. 16(7) -- Règlement concernant le régime pédagogique du primaire et l'éducation préscolaire, (1981) 115 G.O. II 1733 — Règlement concernant le régime pédagogique du secondaire, (1981) 115 G.O. II 1743.

Droit constitutionnel -- Partage des compétences législatives -- Éducation -- L'article 93(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 étend aux écoles dissidentes du Québec les pouvoirs, privilèges ou devoirs conférés par la loi aux écoles séparées et aux syndics d'écoles du Haut-Canada lors de l'Union -- Tous ces pouvoirs, privilèges ou devoirs bénéficient-ils de la protection constitutionnelle de l'art. 93(1)? ‑- Loi constitutionnelle de 1867, art. 93(1), (2).

Le gouvernement du Québec a adopté, en vertu du par. 16(7) de la Loi sur l'instruction publique, deux règlements ayant pour effet d'établir un programme d'études uniforme pour toutes les matières non confessionnelles dans toutes les écoles du Québec. Le gouvernement a spécialement prévu dans son programme d'études uniforme un enseignement moral et religieux dans les écoles reconnues comme catholiques ou protestantes. Le contenu de cet élément du programme d'études d'un élève n'était pas déterminé par le ministre de l'Éducation en vertu des règlements attaqués, mais par le comité catholique ou le comité protestant du Conseil supérieur de l'éducation dans des règlements faits par ces comités. Par ailleurs, la commission scolaire prend part à l'élaboration des programmes d'études dans d'autres domaines que l'enseignement religieux et moral. Il lui incombe d'adapter aux besoins locaux le régime établi pour l'ensemble de la province et de faire des ajouts, si besoin est et avec l'approbation nécessaire, aux programmes d'études prescrits. De plus, la commission scolaire participe à l'évaluation des programmes d'études.

En Cour supérieure, les appelantes ont cherché à faire déclarer ultra vires, pour cause d'incompatibilité avec le par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, le par. 16(7) de la Loi sur l'instruction publique et ses règlements d'application. La Cour a rejeté la requête des appelantes et la Cour d'appel a maintenu ce jugement. En cette Cour, les appelantes ont soutenu que le par. 16(7) de la Loi sur l'instruction publique et ses règlements d'application excèdent la compétence de la province parce qu'ils violent un droit protégé par le par. 93(1), savoir le droit de la minorité protestante au Québec d'administrer et de diriger ses propres écoles et de régler, sous réserve de règles provinciales d'application générale, le programme d'études à suivre dans ces écoles. Elles ont fait valoir subsidiairement que le par. 93(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 étend aux protestants du Québec le droit ou le privilège conféré aux syndics du Haut-Canada d'établir le contenu exact des programmes d'études.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Les juges Beetz, McIntyre, Lamer et La Forest: Aux termes du par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, la province a compétence exclusive pour légiférer en matière d'éducation, mais elle ne peut préjudicier à un droit ou à un privilège relatif aux écoles confessionnelles, que conférait à une classe particulière de personnes une loi en vigueur lors de l'Union. Le paragraphe 93(1) protège non seulement les aspects confessionnels des écoles confessionnelles mais aussi les aspects non confessionnels qui sont nécessaires pour rendre efficaces les garanties confessionnelles. Le fait qu'il s'agit d'une garantie constitutionnelle est un facteur pertinent pour son interprétation. En tant que texte constitutionnel, le par. 93(1) peut mériter d'être interprété "en fonction de son objet", mais les tribunaux doivent alors se garder de donner une portée indue à cet objet. Quoiqu'elle puisse avoir des racines dans les notions de tolérance et de diversité, l'exception énoncée au par. 93(1) ne constitue pas une affirmation générale de la liberté de religion ou de la liberté de conscience. Le droit constitutionnel reconnu à certaines classes de personnes, dans une province, d'avoir des écoles confessionnelles financées par l'État, selon une norme légale fixe, ne doit pas être interprété comme un droit ou une liberté de la personne garantis par la Charte.

En l'espèce la Loi et les règlements attaqués sont intra vires de la législature du Québec. Le ministre de l'Éducation a réussi à façonner des règlements qui restent à l'intérieur des limites de la compétence provinciale en matière d'éducation et respectent les garanties constitutionnelles énoncées au par. 93(1). Selon le système établi par les règlements, le ministre a le pouvoir général de créer un régime pédagogique pour l'éducation préscolaire et les écoles primaires et secondaires de la province. Toutefois, dans le cas des écoles reconnues comme catholiques ou protestantes, ce sont les règlements du comité catholique ou du comité protestant du Conseil supérieur de l'éducation qui régissent l'enseignement religieux et moral. Les règlements contestés dans la présente affaire n'ont pas pour effet de fixer le contenu de l'enseignement moral et religieux dans les écoles protestantes. Ils se bornent à inclure cet enseignement parmi les matières considérées comme obligatoires dans toutes les écoles. En ne touchant pas au contenu confessionnel du programme d'études, qui est laissé au comité protestant du Conseil, la province s'est conformée à la loi en vigueur lors de l'Union, qui donnait au "curé, prêtre ou ministre desservant" le droit exclusif de faire le choix des livres ayant rapport à la religion et à la morale pour les écoles confessionnelles et qui leur conférait par le fait même le pouvoir de déterminer le contenu des programmes d'études portant sur la "religion" et la "morale". Cette exception au pouvoir absolu de la province en matière d'éducation, exception à laquelle le par. 93(1) a donné valeur constitutionnelle, a été respectée.

La protection constitutionnelle des aspects non confessionnels des écoles confessionnelles qui sont nécessaires pour rendre efficaces les garanties confessionnelles est également assurée par les règlements. Le pouvoir de "régler le cours d'études" dans les écoles confessionnelles, qu'avaient en 1867 les commissaires et les syndics d'écoles, n'est constitutionnalisé que dans la mesure où ce pouvoir de réglementation limité est nécessaire pour rendre efficaces les garanties confessionnelles. La Loi et les règlements attaqués répondent à l'exigence constitutionnelle en donnant aux commissions scolaires le pouvoir d'adapter aux besoins locaux les programmes d'études prescrits, de créer, sous réserve qu'ils soient approuvés, d'autres programmes d'études lorsqu'elles le jugent nécessaire et de participer à l'évaluation des programmes d'études en général. Les règlements permettent donc aux commissions scolaires d'exercer le pouvoir qu'elles détenaient en 1867 sur les aspects non confessionnels des écoles confessionnelles qui sont nécessaires pour rendre efficaces les garanties confessionnelles.

On ne peut retenir la proposition des appelantes suivant laquelle la philosophie protestante en matière d'éducation implique une protection constitutionnelle dépassant ce qui est nécessaire pour rendre efficaces les garanties confessionnelles. Les appelantes attaquent des aspects non confessionnels du programme d'études qui ne sont pas nécessaires pour rendre efficaces les garanties confessionnelles. En associant le contenu de la garantie constitutionnelle à une philosophie protestante en matière d'éducation qui est fondée sur le pluralisme, les appelantes accorderaient à la collectivité protestante un droit ou un privilège de régler le programme d'études à suivre dans les écoles confessionnelles qui est tout à fait incompatible avec l'exercice par la province de son pouvoir général de réglementation à l'égard des questions touchant le programme d'études qui n'appartiennent pas au domaine de l'enseignement religieux et moral.

Finalement, l'argument subsidiaire des appelantes fondé sur le par. 93(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 doit être rejeté. Le paragraphe 93(2) étend aux écoles dissidentes du Québec tous les pouvoirs, privilèges et devoirs (mais non des pouvoirs et privilèges garantis par la Constitution) conférés ou imposés aux écoles séparées du Haut-Canada au moment de l'Union. Mais le par. 93(2) lui-même ne donne pas valeur constitutionnelle à des droits ou des privilèges conférés par la loi qui existaient dans l'une ou l'autre province en 1867. C'est le par. 93(1), et non le par. 93(2) pris isolément, qui érige en normes constitutionnelles les "droit[s] ou privilège[s] [. . .] relativement aux écoles confessionnelles". Par conséquent si, en application du par. 93(2), un pouvoir ou un privilège existant au moment de l'Union dans le Haut-Canada est "étendu" aux protestants ou aux catholiques dissidents du Québec, cela ne permet pas de déterminer complètement quels sont les droits et privilèges constitutionnels additionnels dont disposent les protestants et catholiques dissidents du Québec dans leur propre province. La Cour est encore obligée, non par le par. 93(2) mais par le par. 93(1), d'appliquer le par. 93(1) afin de déterminer si le pouvoir ou privilège qui existait dans le Haut-Canada et que l'on a étendu au Québec est relatif aux écoles confessionnelles et si la loi attaquée dans une cause donnée préjudicie à ce pouvoir ou à ce privilège. Si l'on tient pour acquis en l'espèce qu'en 1867 dans le Haut-Canada, en l'absence d'un règlement exprès du Conseil d'instruction publique de cette province, la loi laissait aux syndics d'écoles séparées le soin de fixer le contenu précis du programme d'études d'une école particulière, le pouvoir ou le privilège ainsi étendu n'a pas eu pour effet de faire bénéficier les appelantes d'une plus grande protection constitutionnelle. Le pouvoir d'établir le programme d'études qui a été étendu aux protestants du Québec n'est constitutionnalisé par l'application du par. 93(1) qu'autant que cela est nécessaire pour rendre efficace la garantie confessionnelle au Québec.

Le juge en chef Dickson et le juge Wilson: Le paragraphe 93(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 oblige la Cour à comparer la protection accordée par la loi aux écoles séparées de l'Ontario en 1867 et celle accordée par la loi aux écoles dissidentes du Québec en la même année. Si cette comparaison révèle que les pouvoirs, privilèges et devoirs des écoles séparées de l'Ontario en 1867 étaient plus grands, les pouvoirs, privilèges ou devoirs supplémentaires sont étendus aux écoles dissidentes du Québec par l'effet du par. 93(2). Ces pouvoirs, privilèges ou devoirs supplémentaires bénéficient en général de la protection constitutionnelle du par. 93(1). La protection du par. 93(1) ne se limite pas aux pouvoirs, aux privilèges ou aux devoirs qui se rapportent particulièrement aux aspects confessionnels de ces écoles.

En l'espèce toutefois, les pouvoirs des syndics des écoles séparées de l'Ontario sur le programme d'études dans leurs écoles, que le par. 93(2) a étendus aux écoles dissidentes du Québec, ne bénéficiaient pas de la protection du par. 93(1) de la Constitution parce qu'ils étaient soumis au pouvoir de réglementation prépondérant du Conseil d'instruction publique, qui représentait la province. Il s'ensuit que, en ce qui concerne le programme d'études, ces pouvoirs, privilèges et devoirs doivent être assujettis au même pouvoir de réglementation, détenu cette fois-ci par la province de Québec. Bien que la loi conférât à la province de l'Ontario un pouvoir de réglementation prépondérant, on ne pouvait s'en servir pour contrecarrer le dessein même dans lequel les écoles séparées avaient été établies, savoir la protection des droits de la minorité catholique en matière d'éducation. De même, la province de Québec ne saurait réglementer le programme d'études des écoles confessionnelles du Québec d'une manière qui nuirait à leur caractère confessionnel distinctif. Donc, même si le par. 93(2) avait pour objet d'augmenter la protection constitutionnelle des écoles dissidentes du Québec afin de les mettre sur un pied d'égalité avec les écoles séparées de l'Ontario, le législateur québécois aurait encore compétence pour réglementer les pouvoirs des commissions d'écoles dissidentes sur le programme d'études, pourvu que cette réglementation ne préjudiciât pas au caractère confessionnel de ces écoles. En l'espèce, la Loi et les règlements attaqués ne préjudicient pas au caractère confessionnel des écoles confessionnelles du Québec. Ils sont donc intra vires de la législature du Québec.

Jurisprudence

Citée par le juge Beetz

Arrêts mentionnés: Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148; Hirsch v. Protestant Board of School Commissioners of Montreal, [1928] A.C. 200; Procureur général du Québec c. Greater Hull School Board, [1984] 2 R.C.S. 575; Quebec Association of Protestant School Boards c. Attorney General of Quebec, [1985] C.S. 872; City of Winnipeg v. Barrett, [1892] A.C. 445.

Citée par le juge Wilson

Arrêt mentionné: Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148.

Lois et règlements cités

Acte concernant l'allocation provinciale en faveur de l'éducation supérieure, — et les écoles normales et communes, S.R.B.C. 1861, chap. 15, art. 21(3), (4), 65(2).

Acte pour perfectionner davantage les écoles de grammaire dans le Haut-Canada, S. Prov. C. 1865, 29 Vict., chap. 23.

Acte pour réintégrer les catholiques romains du Haut-Canada dans l'exercice de certains droits concernant les écoles séparées, S. Prov. C. 1863, 26 Vict., chap. 5.

Act respecting Common Schools in Upper Canada, C.S.U.C. 1859, chap. 64.

Act respecting Separate Schools, C.S.U.C. 1859, chap. 65.

Charte canadienne des droits et libertés, art. 23.

Code de procédure civile, L.R.Q., chap. C-25, art. 453.

Loi constitutionnelle de 1867, art. 93.

Loi modifiant de nouveau la Loi sur l'instruction publique, L.Q. 1979, chap. 80, art. 3.

Loi sur le Conseil supérieur de l'éducation, L.R.Q., chap. C-60, art. 2, 9a), 17, 22, 30 [mod. 1979, chap. 23, art. 27].

Loi sur l'instruction publique, L.R.Q., chap. I-14, art. 16(7) [mod. 1979, chap. 80, art. 3].

Règlement concernant le régime pédagogique du primaire et de l'éducation préscolaire, (1981) 115 G.O. II 1733.

Règlement concernant le régime pédagogique du secondaire, (1981) 115 G.O. II 1743.

Doctrine citée

Carignan, Pierre. "La raison d'être de l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 à la lumière de la législation préexistante en matière d'éducation" (1986), 20 R.J.T. 375.

Chevrette, François et Herbert Marx et André Tremblay. Les problèmes constitutionnels posés par la restructuration scolaire de l'île de Montréal. Québec: Ministère de l'Éducation, 1972.

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed. Toronto: Carswells, 1985.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1987] R.J.Q. 1028, 6 Q.A.C. 237, 41 D.L.R. (4th) 229, qui a confirmé un jugement de la Cour supérieure, [1986] R.J.Q. 48. Pourvoi rejeté.

Colin K. Irving et Allan R. Hilton, pour les appelantes.

Jean-Yves Bernard et Luc Leblanc, pour l'intimé.

John Cavarzan, c.r., pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.

Alphonsus E. Faour, pour l'intervenant le procureur général de Terre‑Neuve.

//Le juge Wilson//

Version française des motifs du juge en chef Dickson et du juge Wilson rendus par

LE JUGE WILSON ‑- J'ai eu l'avantage de lire les motifs rédigés par mon collègue le juge Beetz dans le présent pourvoi et je suis entièrement d'accord avec lui que le contenu confessionnel de l'éducation dans les écoles confessionnelles du Québec bénéficie de la protection constitutionnelle du par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867. Je partage également son avis que le contenu non confessionnel de l'éducation dans les écoles confessionnelles du Québec est protégé par le par. 93(1) de la Constitution dans la mesure où cette protection est nécessaire pour maintenir le caractère confessionnel de ces écoles.

Avec égards, je ne suis cependant pas du même avis que mon collègue sur l'effet réciproque des par. 93(1) et (2) de la Loi constitutionnelle de 1867 lorsqu'il s'agit de déterminer toute l'étendue de la protection constitutionnelle accordée aux écoles confessionnelles de la province de Québec. Voici le texte de ces dispositions:

93. Dans chaque province et pour chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer sur l'éducation, sous réserve et en conformité des dispositions suivantes:

(1)Rien dans cette législation ne devra préjudicier à un droit ou privilège conféré par la loi, lors de l'Union, à quelque classe particulière de personnes dans la province relativement aux écoles confessionnelles;

(2)tous les pouvoirs, privilèges et devoirs conférés ou imposés par la loi dans le Haut‑Canada, lors de l'Union, aux écoles séparées et aux syndics d'écoles des sujets catholiques romains de la Reine, seront et sont par les présentes étendus aux écoles dissidentes des sujets protestants et catholiques romains de la Reine dans la province de Québec;

Le paragraphe 93(1) empêche le législateur québécois d'adopter une loi qui préjudicie à un "droit ou privilège conféré par la loi" en 1867 "à quelque classe particulière de personnes" au Québec "relativement aux écoles confessionnelles". Il faut donc, dans une première étape, déterminer par une analyse historique quels étaient ces droits et privilèges. Cette analyse a été faite par mon collègue.

Suivant le par. 93(2), tous les pouvoirs, privilèges et devoirs conférés ou imposés par la loi en 1867 aux écoles séparées de l'Ontario "seront et sont par les présentes étendus" aux écoles dissidentes du Québec. Il faut donc examiner les pouvoirs, privilèges et devoirs des écoles séparées de l'Ontario en 1867 pour voir si leur étendue dépasse celle des pouvoirs, privilèges et devoirs qu'avaient les protestants et catholiques dissidents du Québec relativement à leurs écoles en 1867. Dans le Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148 (ci-après le "Renvoi relatif aux écoles séparées"), cette Cour a fait l'analyse historique nécessaire pour déterminer l'étendue des pouvoirs, privilèges et devoirs des écoles séparées de l'Ontario.

Le paragraphe 93(2) exige ensuite que nous comparions la protection accordée par la loi aux écoles séparées de l'Ontario en 1867 et celle accordée par la loi aux écoles dissidentes du Québec en la même année et, si cette comparaison révèle que les pouvoirs, privilèges et devoirs des écoles séparées de l'Ontario étaient plus grands, les pouvoirs, privilèges ou devoirs (selon le cas) supplémentaires sont étendus par le par. 93(2) aux écoles dissidentes du Québec. La question qui se pose alors est de savoir si ces pouvoirs, privilèges et devoirs supplémentaires (s'il en est) bénéficient de la protection constitutionnelle du par. 93(1), ce qui peut dépendre en partie du sens attribué à l'expression "relativement aux écoles confessionnelles" dans ce paragraphe.

Mon collègue interprète "relativement aux écoles confessionnelles" au par. 93(1) comme si cette expression signifiait: "relativement aux aspects confessionnels des écoles confessionnelles". En d'autres termes, l'expression "relativement aux écoles confessionnelles" limite, à son avis, la protection du par. 93(1) aux pouvoirs, privilèges et devoirs qui ont été étendus aux écoles dissidentes du Québec par le par. 93(2) et qui se rapportent spécifiquement aux aspects confessionnels de ces écoles. Quoique le par. 93(2) puisse étendre d'autres pouvoirs, privilèges et devoirs aux écoles dissidentes du Québec, le par. 93(1), suivant l'interprétation de mon collègue, ne protège pas ceux‑ci contre le législateur québécois.

La difficulté que présente cette interprétation du par. 93(1) tient à ce qu'elle nous oblige à déterminer quels pouvoirs, privilèges et devoirs des écoles séparées de l'Ontario, à l'époque de l'Union, se rapportaient aux aspects confessionnels de ces écoles et lesquels ne s'y rapportaient pas. Or nous savons que, selon les lois en vigueur en Ontario avant la Confédération et selon le Renvoi relatif aux écoles séparées, précité, la protection accordée aux écoles séparées de l'Ontario au moment de l'Union était assurée non par des aspects déterminables du programme d'études, mais par le large contrôle que les syndics d'écoles séparées pouvaient exercer sur le programme d'études puisqu'ils étaient autorisés à engager les instituteurs et à prescrire les matières enseignées par ces derniers. Pour les catholiques de l'Ontario, la protection du type d'enseignement dispensé dans leurs écoles, était assurée par le pouvoir conféré aux syndics sur le programme d'études. Les syndics des écoles séparées avaient obtenu le même pouvoir sur le programme d'études dans leurs écoles que celui que détenaient les syndics d'écoles communes sur le programme d'études dans les leurs.

Toutefois, et je crois que cela est au c{oe}ur de la difficulté qu'il y a à interpréter ensemble les par. 93(1) et (2), le pouvoir des syndics des écoles séparées de l'Ontario sur les cours enseignés était, comme le pouvoir des syndics des écoles communes, soumis au pouvoir de réglementation prépondérant du Conseil d'instruction publique, qui représentait la province. Le pouvoir des syndics n'était pas absolu et, bien qu'aucun règlement concernant le programme d'études n'eût en fait été pris en Ontario au moment de l'Union, la province n'en détenait pas moins, de par la loi, ce pouvoir de réglementation prépondérant. Je suis donc d'avis qu'en ce qui concerne le programme d'études, les pouvoirs, privilèges et devoirs des syndics d'écoles séparées que le par. 93(2) étend aux écoles dissidentes du Québec doivent être assujettis au même pouvoir de réglementation, détenu cette fois‑ci par la province de Québec.

Quel est donc l'effet de la disposition liminaire du par. 93(1)? Enlève‑t-elle à la province son pouvoir de réglementation, de sorte que le pouvoir des syndics d'écoles dissidentes sur le programme d'études devient absolu au Québec? Je ne le crois pas parce que les écoles dissidentes du Québec bénéficieraient alors d'une plus grande protection constitutionnelle que les écoles séparées de l'Ontario. Cela irait nettement à l'encontre de l'objet du par. 93(2). Selon moi, il y a deux manières possibles d'aborder la question. La première consiste à dire qu'en raison du pouvoir de réglementation prépondérant de la province de l'Ontario, il n'existe aucun pouvoir, privilège et devoir supplémentaire relatif au programme d'études qui reçoive la protection du par. 93(1) de la Constitution par suite de l'extension que prévoit le par. 93(2). Le pouvoir des syndics d'écoles séparées sur le programme d'études était illusoire parce qu'il pouvait lui être enlevé. Il n'y avait en conséquence rien à étendre. La deuxième consiste à dire que la province de l'Ontario ne détenait qu'un pouvoir de réglementation restreint qui ne s'étendait pas aux aspects du programme d'études nécessaires pour le maintien et la préservation du caractère confessionnel des écoles séparées. En d'autres termes, bien que la loi conférât un pouvoir de réglementation prépondérant, on ne pouvait s'en servir pour contrecarrer le dessein même dans lequel les écoles séparées avaient été établies, savoir la protection des droits de la minorité catholique en matière d'éducation. De même, la province de Québec ne saurait réglementer le programme d'études des écoles confessionnelles du Québec d'une manière qui nuit à leur caractère confessionnel distinctif.

Pour ma part, je préfère la seconde méthode, ce qui m'amène à conclure que, même si le par. 93(2) avait pour objet d'augmenter la protection constitutionnelle des écoles dissidentes du Québec afin de les mettre sur un pied d'égalité avec les écoles séparées de l'Ontario (et je crois que c'est le cas), le législateur québécois aurait encore compétence pour réglementer les pouvoirs des commissions d'écoles dissidentes sur le programme d'études, pourvu que cette réglementation ne préjudiciât pas au caractère confessionnel de ces écoles. En d'autres termes, ma conclusion en l'espèce est identique à celle à laquelle arrive mon collègue en apportant une restriction à l'expression "relativement aux écoles confessionnelles" du par. 93(1). Je crois cependant que la différence dans la façon d'aborder la question pourrait se révéler importante dans le cas de pouvoirs, de privilèges et de devoirs non reliés au contenu du programme d'études. À mon avis, tous les pouvoirs, privilèges et devoirs conférés ou imposés aux écoles séparées de l'Ontario au moment de l'Union, à l'exception de ceux qui étaient expressément soumis de par la loi au pouvoir prépondérant de la province (ainsi que l'était le programme d'études), sont étendus par le jeu du par. 93(2) aux écoles dissidentes du Québec et bénéficient de la protection du par. 93(1) de la Constitution. Selon moi, il en est ainsi parce que l'expression "relativement aux écoles confessionnelles" employée au par. 93(1) ne comporte pas en elle‑même la restriction qu'y introduit mon collègue. À mon avis, si les écoles dissidentes du Québec ne jouissent pas, par suite de l'extension qu'opère le par. 93(2), d'une protection constitutionnelle en vertu du par. 93(1) pour le large pouvoir sur le programme d'études qu'avaient en fait les écoles séparées en Ontario au moment de l'Union, cela tient à ce que la province de l'Ontario détenait de par la loi le pouvoir prépondérant de restreindre, si elle le désirait, ce pouvoir sur le programme d'études, à condition toujours qu'en le faisant elle ne nuise pas au caractère confessionnel des écoles séparées. Le paragraphe 93(2) ne peut donc pas jouer de manière à accorder aux écoles dissidentes du Québec un pouvoir plus grand que celui‑là.

Je ne crois pas que les appelantes soient parvenues à établir que la Loi et les règlements attaqués préjudicient au caractère confessionnel des écoles confessionnelles du Québec. En conséquence, je rejetterais le pourvoi avec dépens et je répondrais par la négative à la question constitutionnelle.

//Le juge Beetz//

Version française du jugement des juges Beetz, McIntyre, Lamer et La Forest rendu par

LE JUGE BEETZ --

I ‑ La procédure

Dans ce pourvoi, la Cour se trouve de nouveau saisie de la question de l'étendue de la garantie relative aux écoles confessionnelles énoncée à l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Le pourvoi, formé avec l'autorisation de la Cour, attaque l'arrêt en date du 4 mai 1987 par lequel la Cour d'appel du Québec, [1987] R.J.Q. 1028, rejette l'appel du jugement rendu par le juge Brossard de la Cour supérieure, le 31 octobre 1985, [1986] R.J.Q. 48, qui rejette également la requête en jugement déclaratoire présentée par les appelantes en vertu de l'art. 453 du Code de procédure civile, L.R.Q., chap. C-25. En Cour supérieure, les appelantes cherchaient à faire déclarer ultra vires, pour cause d'incompatibilité avec l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 et avec l'art. 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, le par. 16(7) de la Loi sur l'instruction publique, L.R.Q., chap. I‑14, et deux décrets pris sous son régime qui visent à établir un programme d'études uniforme pour toutes les écoles du Québec.

En cette Cour, les arguments invoqués par les parties portent uniquement sur la question de la conformité de la Loi et des règlements en cause à l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans la mesure où elle est encore pertinente en cette Cour, la requête modifiée en jugement déclaratoire des appelantes, datée du 4 février 1985, formule les conclusions suivantes:

[TRADUCTION] (i) Les protestants, étant une classe de personnes visée à l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, ont droit au maintien d'un système d'écoles protestantes administrées et dirigées par des commissions composées de commissaires ou de syndics d'écoles qui représentent ladite classe de personnes et qui jouissent du droit de dispenser un enseignement primaire et secondaire et du droit de régler le programme d'études à suivre dans ces écoles.

(ii) Les droits en question s'étendent aux circonscriptions relevant des commissions scolaires requérantes et de toutes les autres commissions scolaires protestantes.

ET QUE PAR CONSÉQUENT:

Le paragraphe 16(7) de la Loi sur l'instruction publique (L.R.Q. 1977, chap. I‑14), telle que modifiée par L.Q. 197[9], chap. 80, art. 3 [. . .] préjudicie à un droit relatif aux écoles confessionnelles qui existait au Québec lors de l'Union et [est] en conséquence ultra vires de l'Assemblée nationale;

Les décrets 551‑81 et 552‑81, l'un et l'autre datés du 25 février 1981, qui visent à établir un régime pédagogique uniforme pour l'éducation préscolaire et les écoles primaires et secondaires relevant de commissaires et de syndics sont également ultra vires et de nul effet.

Aussi bien en Cour supérieure qu'en Cour d'appel, l'intimé s'est opposé à la requête en jugement déclaratoire pour le motif que les appelantes auraient dû procéder par voie d'action plutôt que de requête. Cette question n'a pas été soulevée en cette Cour et je m'abstiens de me prononcer sur la justesse de la décision des appelantes de procéder par voie de requête en vertu de l'art. 453 C.p.c.

II ‑ L'article 93 et la question constitutionnelle

L'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 confère aux législatures provinciales une compétence exclusive en matière d'éducation. De plus, il garantit à certaines classes de personnes des droits relatifs aux écoles confessionnelles et relatifs aux écoles dissidentes, tant protestantes que catholiques. L'article 93 prescrit:

93. Dans chaque province et pour chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer sur l'éducation, sous réserve et en conformité des dispositions suivantes:

(1)Rien dans cette législation ne devra préjudicier à un droit ou privilège conféré par la loi, lors de l'Union, à quelque classe particulière de personnes dans la province relativement aux écoles confessionnelles;

(2)tous les pouvoirs, privilèges et devoirs conférés ou imposés par la loi dans le Haut‑Canada, lors de l'Union, aux écoles séparées et aux syndics d'écoles des sujets catholiques romains de la Reine, seront et sont par les présentes étendus aux écoles dissidentes des sujets protestants et catholiques romains de la Reine dans la province de Québec;

(3)dans toute province où un système d'écoles séparées ou dissidentes existe en vertu de la loi, lors de l'Union, ou sera subséquemment établi par la législature de la province, il pourra être interjeté appel au gouverneur général en conseil de tout acte ou décision d'une autorité provinciale affectant l'un quelconque des droits ou privilèges de la minorité protestante ou catholique romaine des sujets de la Reine relativement à l'éducation;

(4)au cas où n'aura pas été édictée la loi provinciale que, de temps à autre, le gouverneur général en conseil aura jugée nécessaire pour donner la suite voulue aux dispositions du présent article -- ou lorsqu'une décision du gouverneur général en conseil, sur un appel interjeté en vertu du présent article, n'aura pas été dûment mise à exécution par l'autorité provinciale compétente en l'espèce --, le Parlement du Canada, en pareille occurrence et dans la seule mesure où les circonstances de chaque cas l'exigeront, pourra édicter des lois réparatrices pour donner la suite voulue aux dispositions du présent article, ainsi qu'à toute décision rendue par le gouverneur général en conseil sous l'autorité de ce même article.

Le 17 décembre 1987, le Juge en chef a formulé la question constitutionnelle suivante aux fins du pourvoi:

L'article 16(7) de la Loi sur l'instruction publique, L.R.Q. 1977, chap. I‑14, et les décrets pris en vertu dudit article sous le numéro 551‑81, qui établit le programme d'études à suivre dans les écoles primaires, et sous le numéro 552‑81, qui établit le programme d'études à suivre dans les écoles secondaires, sont‑ils ultra vires de l'Assemblée nationale ou inapplicables aux commissions scolaires appelantes et aux autres membres de l'association appelante en vertu de l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867?

III ‑ La Loi et les règlements contestés

L'article 16 de la Loi sur l'instruction publique, L.R.Q., chap. I‑14, modifié par la Loi modifiant de nouveau la Loi sur l'instruction publique, L.Q. 1979, chap. 80, art. 3, dispose notamment:

16. Le gouvernement peut faire des règlements:

. . .

7o Pour établir le régime pédagogique dans les écoles placées sous le contrôle des commissaires ou syndics d'écoles.

Les appelantes allèguent en l'espèce que deux règlements pris en 1981 en vertu de l'art. 16 excèdent la compétence de la province. Il s'agit du Règlement concernant le régime pédagogique du primaire et l'éducation préscolaire, décret 551‑81, 25 février 1981, (1981) 115 G.O. II 1733 (le "Règlement sur les écoles primaires"), et le Règlement concernant le régime pédagogique du secondaire, décret 552‑81, 25 février 1981, (1981) 115 G.O. II 1743 (le "Règlement sur les écoles secondaires").

Dans des notes explicatives qui accompagnent les deux règlements, le gouvernement provincial décrit ce qu'il appelle le "triple objectif" du nouveau régime pédagogique préscolaire, primaire et secondaire:

. . . ces règlements visent la consolidation et l'amélioration des services publics d'éducation. Plus spécifiquement, ils sont promulgués pour faciliter l'accès de tous les enfants du Québec à des services éducatifs de qualité, faire progresser l'égalité des chances en éducation et favoriser une personnalisation accrue des services éducatifs.

Les préambules du Règlement sur les écoles primaires et du Règlement sur les écoles secondaires attestent que le ministre a soumis les projets de règlements au Conseil supérieur de l'éducation, un organisme administratif créé par la loi ayant pour mandat de contrôler les aspects religieux et moraux de l'instruction publique au Québec. Le 30 septembre 1980, le Conseil a donné son opinion en conformité avec l'al. 9a) et l'art. 30 de la Loi sur le Conseil supérieur de l'éducation, L.R.Q., chap. C‑60. Le Conseil se compose de vingt‑quatre membres, dont au moins seize catholiques, au moins quatre protestants et au moins un membre qui n'est ni catholique ni protestant. Ils sont nommés par le gouvernement provincial après consultation des autorités religieuses, des parents, des enseignants, des commissions scolaires et des groupes socio‑économiques (art. 2). Cette loi prévoit en outre la création des comités catholique et protestant du Conseil, qui, comme je l'explique plus loin, jouent un rôle dans la détermination du contenu moral et religieux du programme d'études établi par les règlements attaqués en l'espèce. Aux termes de l'art. 17, par exemple, le comité protestant se compose de "représentants des confessions protestantes, des parents et des éducateurs", nommés par le gouvernement provincial sur la recommandation du Conseil, qui consulte au préalable les associations ou organisations les plus représentatives des confessions protestantes, des parents et des éducateurs. L'article 22 investit ces comités de pouvoirs étendus comprenant notamment celui de reconnaître comme catholiques ou protestantes, selon le cas, les institutions d'enseignement confessionnelles; celui de faire des règlements concernant l'éducation chrétienne, l'enseignement religieux et moral et le service religieux dans les institutions susmentionnées; et celui d'approuver, au point de vue religieux et moral, les programmes, les manuels et le matériel didactique pour l'enseignement dans ces institutions.

Le Règlement sur les écoles primaires et le Règlement sur les écoles secondaires, que l'on conteste en l'espèce, sont tous les deux complexes et je n'ai pas l'intention d'en faire une étude exhaustive dans les présents motifs. Toutefois, afin de déterminer si ces règlements procèdent de l'exercice régulier de la compétence attribuée à la province en matière d'éducation, il faut examiner certaines de leurs dispositions et, tout particulièrement, celles sur lesquelles les appelantes ont insisté au cours des plaidoiries.

Le Règlement sur les écoles secondaires comporte cinq sections. Dans la section II, intitulée "Les services éducatifs", l'art. 2 autorise la commission scolaire à prendre les mesures qui s'imposent pour assurer la qualité de la langue d'enseignement. L'article 3 confère au ministre de l'Éducation le pouvoir général de fixer les programmes d'études pour les écoles secondaires. Le pouvoir des commissions scolaires se limite à adapter aux besoins locaux les programmes d'études établis pour l'ensemble de la province et à élaborer d'autres programmes, sous réserve de leur approbation par le ministre ou (vraisemblablement lorsqu'il s'agit d'ajouter aux programmes d'études religieuses ou morales) par le comité catholique ou protestant du Conseil supérieur de l'éducation. Je cite l'art. 3:

3. Programmes d'études

Les programmes d'études sont édictés ou approuvés par le ministre.

Les programmes d'études comprennent des objectifs et des contenus notionnels obligatoires. Ils comprennent aussi des objectifs et des contenus notionnels indicatifs que la commission scolaire doit adapter aux besoins de sa clientèle, selon les priorités du milieu.

En sus des programmes d'études édictés par le ministre, la commission scolaire peut en élaborer qui répondent à ses besoins propres, sous réserve qu'ils soient approuvés par le ministre et, s'il y a lieu, par les comités catholique ou protestant du Conseil supérieur de l'éducation. Sauf avis contraire, une telle approbation ne vaut que pour la commission scolaire en question.

L'article 4 prescrit que des manuels doivent être mis à la disposition de l'élève:

4. Manuels

Lorsque la liste du matériel didactique autorisé indique, pour un programme donné, un ou plusieurs manuels, l'élève doit disposer personnellement d'un ou des manuels requis pour couvrir le programme.

Comme nous allons le voir plus loin, il est important de noter que c'est le ministre et non la commission scolaire qui approuve le matériel didactique et qui détermine quels manuels sont requis. L'article 1 contient les définitions suivantes:

"manuel": tout ouvrage imprimé, destiné à l'élève, auquel peuvent se rattacher certains documents audio‑visuels et d'autres moyens pédagogiques, et traitant de l'ensemble ou des éléments importants d'un programme d'études pour une ou plusieurs années d'études;

"matériel didactique": tout objet, document, ouvrage ou {oe}uvre, (écrit, audio‑visuel ou autre) utile à l'application de l'ensemble ou d'éléments d'un programme d'études;

Suivant l'article 5, le rôle de la commission scolaire se limite à fournir le matériel didactique qui a été approuvé par le ministre. L'article 10 donne à la commission un rôle consultatif dans l'évaluation des programmes d'études:

10. Évaluation des programmes d'études

La commission scolaire participe à l'évaluation des programmes d'études, afin de permettre au ministre de décider dans les meilleures conditions de leur maintien ou de leur révision.

La section III du Règlement sur les écoles secondaires traite du "Cadre d'organisation des services éducatifs". Elle fixe notamment l'âge d'admission, le calendrier scolaire et le nombre d'heures d'enseignement par jour. Les articles 27, 29, 31, 33 et 35 fixent la répartition des cours obligatoires offerts dans différentes matières au cours des cinq années d'enseignement secondaire. L'article 1 donne les définitions des termes "cours" et "matière" qui, on ne doit pas s'en étonner, rattachent ces notions à celle de "programme d'études":

"cours": un ensemble organisé d'activités d'apprentissage défini par un programme d'études et comptant un nombre d'heures réparties sur l'année scolaire ou partie de l'année, et sanctionnée pour les fins de la promotion ou de la certification.

. . .

"matière": une branche du savoir, circonscrite par un programme d'études faisant l'objet d'apprentissages théoriques ou pratiques.

Dans ce contexte également, le Règlement sur les écoles secondaires donne au ministre un pouvoir de contrôle important sur les programmes d'études des écoles publiques de la province. Le nombre de crédits consacrés à chaque discipline varie d'une année à l'autre. Il faut cependant qu'au moins deux crédits soient attribués chaque année à l'enseignement moral et religieux. Aux termes de l'art. 26, un crédit correspond normalement à vingt‑cinq heures d'activités, mais la commission scolaire en question peut répartir différemment ce temps, à condition de s'assurer que sont respectés tous les aspects obligatoires des programmes d'études. Les articles 28, 30, 32, 34 et 36 prescrivent les règles applicables aux cours à option approuvés par le ministre. L'article 39 énonce la règle suivante en ce qui concerne l'enseignement moral et religieux dans les écoles reconnues comme catholiques ou protestantes:

39. Enseignement moral et enseignement religieux dans les écoles reconnues comme catholiques ou protestantes

Dans les écoles reconnues comme catholiques ou protestantes, les règlements des comités catholique ou protestant du Conseil supérieur de l'éducation concernant ces institutions d'enseignement s'appliquent à l'enseignement moral et à l'enseignement religieux catholique ou protestant qui y sont dispensés.

Tout élève doit cependant en être exempté si ses parents en font la demande ou si l'élève en fait la demande et que ses parents y consentent. Dans ce cas, l'élève doit suivre un programme d'enseignement ou de recherches personnelles dans l'ordre de la formation morale ou de la connaissance du phénomène religieux.

Ainsi, dans les écoles reconnues par les comités catholique ou protestant du Conseil comme des institutions d'enseignement confessionnelles, c'est le comité compétent, et non pas le ministre, qui fixe le contenu du programme d'études religieuses et morales. Sous cet aspect, le programme d'études ne fait pas partie du régime prévu pour l'ensemble de la province et n'est pas soumis au contrôle du ministre, sauf dans la mesure où c'est lui qui nomme les membres des comités.

Pour ce qui est des niveaux primaire et préscolaire, le Règlement sur les écoles primaires prévoit un régime semblable à celui des écoles secondaires. La sous‑section 1 de sa section II traite de l'éducation préscolaire. L'article 5 confère aussi au ministre un pouvoir étendu de déterminer le contenu des programmes d'études préscolaires, tandis que la part de la commission scolaire se limite à adapter le programme prescrit aux besoins locaux et à ajouter des programmes confessionnels ou non confessionnels après avoir obtenu l'approbation nécessaire:

5. Programme d'activités de formation et d'éveil

Le programme d'activités de formation et d'éveil est édicté ou approuvé par le ministre.

Le programme d'activités de formation et d'éveil comprend des objectifs de développement obligatoires. Il comprend aussi des objectifs indicatifs que la commission scolaire doit adapter aux besoins de sa clientèle, selon les priorités du milieu.

En sus du programme d'activités de formation et d'éveil édicté par le ministre, la commission scolaire peut en élaborer qui répondent à ses besoins propres, sous réserve qu'ils soient approuvés par le ministre et, s'il y a lieu, par les comités catholique ou protestant du Conseil supérieur de l'éducation. Sauf avis contraire, une telle approbation ne vaut que pour la commission scolaire en question.

Comme pour le régime pédagogique du secondaire, le rôle de la commission scolaire au niveau préscolaire se limite à fournir un matériel didactique approuvé par le ministre (art. 6); à évaluer les élèves (art. 7); à participer à l'évaluation du "programme d'activités de formation et d'éveil" afin de permettre au ministre de décider dans les meilleures conditions de son contenu (art. 9); et à pourvoir aux besoins particuliers d'élèves dans le cadre des objectifs fixés par le ministre (art. 10 et 11).

Pratiquement les mêmes observations s'appliquent à la sous‑section 2 de la section II, qui traite de l'enseignement au niveau primaire. L'article 18 dispose que les programmes d'études sont édictés ou approuvés par le ministre et ses termes sont identiques à ceux de l'art. 3 du Règlement sur les écoles secondaires, déjà cité. Quant au reste de la sous‑section (art. 19 à 34), il est identique aux règles correspondantes de la section "Les services éducatifs" du Règlement sur les écoles secondaires, dont il a été question précédemment.

La section III du Règlement sur les écoles primaires s'intitule "Cadre d'organisation des services éducatifs". Y sont établies des règles pour les niveaux préscolaire et primaire concernant l'admission et l'inscription, le calendrier scolaire des élèves et le temps à consacrer aux activités scolaires pendant la semaine. Le niveau primaire est divisé en deux cycles de trois ans. Selon l'article 43, le ministre prescrit le nombre d'heures à consacrer par semaine à chacune des matières obligatoires du programme d'études. L'enseignement moral et religieux est obligatoire, quoique l'art. 45 précise que seul l'enseignement moral, et non l'enseignement religieux, est obligatoire dans les écoles autres que celles reconnues comme catholiques ou protestantes. L'article 44 reprend la règle, déjà citée, relative à l'enseignement moral et religieux dans les écoles reconnues comme catholiques ou protestantes, et autorise le comité catholique ou protestant du Conseil supérieur de l'éducation, et non le ministre, à déterminer le contenu de cet aspect des programmes d'études.

Le but visé par les règlements en cause est peut‑être conforme au "triple objectif" énoncé par le gouvernement dans les notes explicatives, mais il est évident que ces règlements ont aussi pour objet d'établir un régime pédagogique uniforme dans les écoles relevant de commissaires et de syndics d'écoles. Toutefois, ce n'est pas un objet que le législateur poursuit sans apporter des nuances. S'efforçant manifestement de respecter ce qui est communément considéré comme la distinction entre l'enseignement confessionnel et l'enseignement non confessionnel, le gouvernement a spécialement prévu dans son programme d'études uniforme l'existence d'un enseignement moral et religieux dans les écoles reconnues comme catholiques ou protestantes. Le contenu de cet élément du programme d'études d'un élève est déterminé non par le ministre en vertu des règlements attaqués, mais par le comité catholique ou le comité protestant du Conseil supérieur de l'éducation dans des règlements faits par ces comités en vertu de l'art. 22 de la Loi sur le Conseil supérieur de l'éducation. Par ailleurs, la commission scolaire prend part à l'élaboration des programmes d'études dans d'autres domaines que l'enseignement religieux et moral. Il lui incombe d'adapter aux besoins locaux le régime établi pour l'ensemble de la province et de faire des ajouts, si besoin est et avec l'approbation nécessaire, aux programmes d'études prescrits. De plus, la commission scolaire participe à l'évaluation des programmes d'études. Les appelantes doivent donc soutenir une thèse difficile: indépendamment de l'autorisation de dispenser comme susdit un enseignement moral et religieux dans les écoles reconnues comme protestantes et de la participation de la commission scolaire à l'élaboration des programmes d'études, dont je viens de traiter, le ministre, en imposant un programme d'études uniforme, porte atteinte à un droit ou à un privilège relatif aux écoles confessionnelles protestantes qui est protégé par l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867.

IV ‑ Moyens soulevés par les appelantes

Dans les conclusions écrites soumises en leur nom à cette Cour, les appelantes soulèvent les moyens suivants:

[TRADUCTION] 1er moyen

Les commissions scolaires appelantes et les autres membres de l'association appelante représentent une classe de personnes dont les droits relatifs aux écoles faisant partie du [système scolaire protestant actuel] sont protégés par le paragraphe 93(1).

2e moyen

Les droits que protège le paragraphe 93(1) s'étendent aux niveaux tant primaire que secondaire, au sens moderne de ces termes, du système scolaire protestant.

3e moyen

Parmi les droits ainsi protégés [. . .] figure le droit, exercé par l'intermédiaire des commissaires et syndics d'écoles, d'administrer et de diriger leurs propres écoles, ce qui comprend le droit [. . .] de régler le programme d'études à suivre.

Devant cette Cour, les parties ont surtout insisté sur le troisième moyen. En fait, le procureur général du Québec a soutenu que la question primordiale à trancher en l'espèce concerne le pourvoir du législateur provincial de fixer le programme d'études de toutes les écoles publiques de la province, y compris celles en faveur desquelles joue la garantie confessionnelle énoncée au par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867. Je conviens que la question de savoir si le gouvernement provincial peut établir un programme d'études uniforme pour l'ensemble de la province doit être résolue uniquement sur la base de la compétence législative. Quant à savoir si les restrictions constitutionnelles que le par. 93(1) impose à la compétence provinciale laissent néanmoins au gouvernement du Québec le pouvoir de prendre les règlements en cause, c'est une question logiquement distincte de celle de déterminer qui au juste bénéficie de la protection constitutionnelle. Ma conclusion en l'espèce me permet de supposer, sans en décider, que les appelantes constituent une "classe particulière de personnes" visée au par. 93(1). Pour trancher le pourvoi, il suffira de déterminer si l'art. 93 donne à la province le pouvoir législatif d'adopter le par. 16(7) de la Loi sur l'instruction publique et de prendre les règlements sur les écoles primaires et les écoles secondaires.

V ‑ L'étendue de la compétence provinciale en vertu de l'article 93

Les appelantes prétendent que le par. 16(7) de la Loi sur l'instruction publique ainsi que les règlements sur les écoles primaires et les écoles secondaires excèdent la compétence de la province parce qu'ils violent un droit protégé par le par. 93(1), savoir le droit de la minorité protestante au Québec d'administrer et de diriger ses propres écoles et de régler, sous réserve de règles provinciales d'application générale, le programme d'études à suivre dans ces écoles. Le procureur général du Québec, par contre, soutient que les règlements en cause relèvent de la compétence législative générale en matière d'éducation conférée à la province par la disposition liminaire de l'art. 93. Compte tenu de la restriction apportée par le par. 93(1), la compétence de la province suffit‑elle pour justifier les règlements en question?

"Dans chaque province et pour chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer sur l'éducation, sous réserve et en conformité des dispositions suivantes:", cette disposition liminaire de l'art. 93 confère "une compétence législative manifeste à la province", comme le fait remarquer le juge Estey dans le Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148 (ci‑après le "Renvoi relatif aux écoles séparées"), à la p. 1201. Le "caractère exclusif" de cette compétence n'est évidemment pas en cause ici, pas plus que ne l'est le fait que cette compétence est de quelque manière limitée par les autres dispositions de l'art. 93. Je souscris généralement à la façon dont le vicomte Cave, lord chancelier, décrit la compétence provinciale de base dans l'arrêt Hirsch v. Protestant Board of School Commissioners of Montreal, [1928] A.C. 200 (C.P.), à la p. 215, description citée avec approbation par le juge Chouinard dans l'arrêt Procureur Général du Québec c. Greater Hull School Board, [1984] 2 R.C.S. 575, aux pp. 585 et 586:

[TRADUCTION] Bien que l'art. 93 de la Loi de 1867 protège chaque droit ou privilège relatif aux écoles confessionnelles que la loi conférait à toute classe de personnes lors de l'Union, il ne prétend pas stéréotyper le système d'éducation de la province qui existait à ce moment‑là. Au contraire, il autorise expressément la législature de la province à légiférer en matière d'éducation sous réserve seulement des dispositions de l'article; et je peux difficilement voir comment la législature peut exercer d'une manière efficace le pouvoir qui lui a été conféré si elle n'a pas une grande marge de man{oe}uvre pour s'adapter aux circonstances et aux besoins nouveaux lorsqu'ils se présentent.

Comme le souligne le vicomte Cave, cette compétence provinciale de base connaît certaines restrictions. Suivant le par. 93(1), rien dans une loi provinciale adoptée dans l'exercice de la compétence législative de base en matière d'éducation "ne devra préjudicier à un droit ou privilège conféré par la loi, lors de l'Union, à quelque classe particulière de personnes dans la province relativement aux écoles confessionnelles". Le sort du pourvoi dépend du sens donné à cette restriction.

Au cours des plaidoiries, la méthode d'interprétation à employer dans le cas du par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 a fait l'objet d'une longue discussion. En fait, quoique les trois juges en Cour d'appel soient unanimes à dire que la province, en imposant les régimes pédagogiques prévus dans les règlements, ne préjudicie à aucun droit ou privilège relatif aux écoles confessionnelles garanti par le par. 93(1), leurs opinions divergent quant à la règle d'interprétation qu'il faut appliquer pour déterminer la teneur des droits et libertés protégés. Le juge Nichols, exprimant également l'avis du juge L'Heureux‑Dubé (maintenant juge de cette Cour) sur ce point, dit qu'il faut donner une interprétation restrictive aux droits ou privilèges visés au par. 93(1). Selon ces derniers, le pouvoir provincial exclusif conféré par la disposition liminaire de l'article doit recevoir une interprétation libérale, mais la restriction apportée à ce pouvoir, à titre d'exception à la règle générale, ne doit pas recevoir une telle interprétation. Ces droits et privilèges sont figés et doivent être déterminés par référence aux lois en vigueur dans la province "lors de l'Union". Le juge Nichols décide en conséquence que l'exception doit s'interpréter restrictivement (à la p. 1045):

L'article 93 paragraphe 1 n'a en lui‑même aucun contenu substantif constitutionnalisé comme s'il s'agissait par exemple des droits fondamentaux reconnus par la Charte canadienne des droits et libertés. La constitutionnalisation par renvoi n'invite pas à interpréter largement et libéralement, de façon évolutive et créative, les droits ainsi cristallisés. Elle invite seulement à les interpréter dans leur contexte d'énonciation, en appliquant les règles propres à l'interprétation législative.

Le juge McCarthy ne souscrit pas à cette opinion (à la p. 1033):

[TRADUCTION] À mon avis, s'il faut donner à la compétence législative exclusive de la province "sur l'éducation" l'interprétation "large et libérale" dont parle l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, il faut aussi donner la même interprétation aux droits et privilèges que la loi conférait à certaines classes de personnes "relativement aux écoles confessionnelles" au moment de la Confédération. La méthode de rédaction employée ne devrait pas avoir d'effet sur les droits et privilèges garantis par une constitution.

J'estime qu'en l'espèce, la solution du problème ne se trouve pas dans le recours à une règle d'interprétation plutôt qu'à une autre. Je remarque que, d'après le juge McCarthy, même selon une interprétation large et libérale des droits et privilèges que garantit le par. 93(1), l'adoption par la province du régime pédagogique établi dans les règlements attaqués ne préjudicie pas à ces droits ou privilèges. Il est évident que le fait qu'il s'agit d'une garantie constitutionnelle est un facteur pertinent pour son interprétation. En tant que texte constitutionnel, le par. 93(1) peut mériter d'être interprété "en fonction de son objet", mais les tribunaux doivent alors se garder de donner une portée indue à cet objet. Quoiqu'elle puisse avoir des racines dans les notions de tolérance et de diversité, l'exception énoncée à l'art. 93 ne constitue pas une affirmation générale de la liberté de religion ou de la liberté de conscience. Le droit constitutionnel reconnu à certaines classes de personnes, dans une province, d'avoir des écoles confessionnelles financées par l'État, selon une norme légale fixe, ne doit pas être interprété comme un droit ou une liberté de la personne garantis par la Charte ou, pour reprendre l'expression du professeur Peter Hogg, comme [TRADUCTION] "une petite déclaration des droits pour la protection des minorités religieuses" (voir Hogg, Constitutional Law of Canada (2nd ed. 1985), à la p. 824). Ainsi que l'explique le professeur Pierre Carignan dans "La raison d'être de l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 à la lumière de la législation préexistante en matière d'éducation" (1986), 20 R.J.T. 375, à la p. 451:

Dans le cas sous étude, le constituant, en 1867, n'y a certainement pas vu un droit fondamental. Si tel avait été le cas, il l'aurait protégé dans la même mesure partout au Canada. Or le seul effet de la disposition est d'empêcher les diverses législatures de faire marche arrière en matière de confessionnalité scolaire par rapport à la législation en vigueur en 1867 dans leurs territoires respectifs. De ce fait, la protection constitutionnelle varie en ampleur d'une province à l'autre. En se comportant de la sorte, le constituant manifeste moins une faveur pour le constitutionnalisme qu'un souci de faciliter le projet de fédération en désarmant l'opposition de ceux qui, favorables aux écoles confessionnelles, pouvaient craindre qu'une restructuration politique ne mette en danger une protection législative déjà acquise en la matière.

Ce qui ne signifie pas que l'on doit faire abstraction de l'objet manifeste du par. 93(1) ou de son contexte constitutionnel. Le juge Wilson précise dans le Renvoi relatif aux écoles séparées, précité, aux pp. 1194 et 1195, que "[l]e paragraphe 93(1) devrait [. . .] être interprété de manière à réaliser son objet manifeste qui est d'accorder une solide protection à l'enseignement catholique dans la province de l'Ontario et à l'enseignement protestant dans la province de Québec". L'exception au pouvoir provincial confère certains droits constitutionnels à des groupes déterminés et elle le fait d'une manière précise, ce qui est conforme à ce que le juge Wilson appelle l'"important compromis historique" intervenu lors de la Confédération. Certes, les droits ou privilèges résultant de textes législatifs ordinaires, dont parle le par. 93(1), sont figés depuis la Confédération. Mais tout comme la compétence provinciale de base, qui selon le vicomte Cave n'a pas été "stéréotypée" lors de l'Union, l'exception à cette compétence a également évolué au cours des années sous l'effet de l'interprétation judiciaire. La façon dont les tribunaux ont abordé l'interprétation de l'expression "relativement aux écoles confessionnelles" dans des causes comme l'affaire Hull, précitée, dont je traiterai plus loin, démontre que la loi en vigueur "lors de l'Union" ne suffit pas à elle seule pour déterminer la nature du droit constitutionnel que garantit le par. 93(1).

Le paragraphe 93(1) doit évidemment s'interpréter comme un document constitutionnel, mais non de manière à supplanter ou neutraliser ce que le professeur Carignan appelle le "mécanisme de constitutionnalisation". Le texte même du par. 93(1) contient des directives, destinées au tribunaux, sur la façon de procéder pour déterminer la teneur des droits et privilèges visés dans l'exception. Comme le fait observer le juge Wilson, dans le Renvoi relatif aux écoles séparées, précité, à la p. 1178: ". . . il faut se rappeler que le par. 93(1) ne protège que les droits et privilèges garantis par la loi. Notre tâche donc consiste à examiner les lois en vigueur avant la Confédération, afin de découvrir quels droits ou privilèges elles conféraient." La tâche d'interprétation est foncièrement différente de celle qui incombe aux tribunaux lorsqu'ils sont appelés à déterminer la teneur des droits constitutionnels reconnus dans un document tel que la Charte. J'hésiterais à trancher des affaires comme la présente en appliquant telle ou telle méthode d'interprétation au lieu de tenir compte des directives explicites que le législateur a fournies au par. 93(1). Tant la méthode restrictive que la méthode libérale d'interprétation, si elles sont utilisées à mauvais escient, deviennent des outils de rhétorique plutôt que des règles de droit, ce qui ne devrait pas être le cas.

Le texte qui énonce l'exception est clair: les expressions "par la loi" et "lors de l'Union" limitent la protection aux droits et privilèges conférés par des lois en vigueur au moment de la Confédération. Les tribunaux ont reconnu à maintes reprises, comme le signalent les parties dans leurs conclusions écrites, que le droit québécois en matière d'éducation à l'époque de la Confédération se trouve principalement dans une loi de refonte, l'Acte concernant l'allocation provinciale en faveur de l'éducation supérieure, — et les écoles normales et communes, S.R.B.C. 1861, chap. 15 (ci‑après la "Loi de 1861").

La Loi de 1861 partageait la compétence relative aux écoles entre, d'une part, un Conseil d'instruction publique dont les membres étaient nommés par le gouvernement et, d'autre part, des commissaires et syndics d'écoles représentant la collectivité locale. Les pouvoirs du Conseil d'instruction publique qui sont pertinents aux fins de la présente analyse sont énoncés aux par. 21(3) et (4):

21. Il sera du devoir du dit conseil —

. . .

3. De faire, de temps à autre, avec l'approbation du gouverneur en conseil, tels règlements que le conseil jugera à propos pour l'organisation, la gouverne et la discipline des écoles communes, et la classification des écoles et des instituteurs;

4. De choisir ou faire publier, avec telle approbation comme susdit, les livres, cartes et globes, dont on se servira à l'exclusion de tous autres dans les académies, les écoles‑modèles et élémentaires sous le contrôle des commissaires ou syndics d'école, ayant égard dans tel choix aux écoles dans lesquelles l'enseignement est donné en français, et à celles dans lesquelles l'enseignement est donné en anglais; mais ce pouvoir ne s'étendra pas au choix des livres se rattachant à la religion ou aux m{oe}urs, lequel choix sera fait tel que voulu par le second paragraphe de la soixante‑et‑cinquième section de cet acte concernant les écoles communes;

La compétence pertinente des commissaires et des syndics d'écoles est énoncée au par. 65(2):

65. Il sera du devoir des commissaires et syndics d'école:

. . .

2. De régler le cours d'études à suivre dans chaque école, pourvoir à ce que dans les écoles sous leur juridiction on ne se serve que de livres approuvés et recommandés par le conseil d'instruction publique; établir des règles générales pour la régie des écoles, et les communiquer par écrit aux instituteurs respectifs, indiquer le temps où aura lieu l'examen public annuel, et y assister;

Mais le curé, prêtre ou ministre desservant aura le droit exclusif de faire le choix des livres qui ont rapport à la religion et à la morale, pour l'usage des écoles des enfants de sa croyance religieuse.

Les appelantes font valoir que l'ampleur du pouvoir que le par. 16(7) de la Loi sur l'instruction publique confère au ministre de l'Éducation a en réalité éliminé le droit des commissaires et syndics d'écoles de "régler le cours d'études", droit qu'ils possédaient en 1867 aux termes du par. 65(2) de la Loi de 1861. Selon les appelantes, ce droit de "régler le cours d'études" implique un droit pour la minorité protestante d'administrer et de diriger ses propres écoles par l'intermédiaire de ses commissaires et syndics d'écoles, ce qui englobe le droit d'établir le programme d'études dans ces écoles. Il s'agirait là d'un "droit ou privilège" protégé par le par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867.

Avant de déterminer si les règlements attaqués violent la garantie constitutionnelle que contient le par. 93(1), il faut répondre à deux questions préliminaires. Premièrement, quelle était l'étendue du pouvoir des commissaires et syndics d'école sur le programme d'études sous le régime de la Loi de 1861? Je consacrerai à cette question le reste de la présente partie. La seconde question est de déterminer dans quelle mesure ce pouvoir conféré en 1861 constitue un "droit ou privilège [. . .] relativement aux écoles confessionnelles" auquel s'applique la garantie prévue au par. 93(1). Cette question sera examinée dans la partie VI des présents motifs. Si la réponse à la seconde question est qu'il s'agit d'un droit et privilège reconnu par la Constitution, les règlements attaqués enfreignent‑ils la norme constitutionnelle et doivent‑ils donc être déclarés ultra vires?

Dans son étude de la première question, le juge Brossard de la Cour supérieure a examiné l'interaction des art. 21 et 65 de la Loi de 1861 afin de déterminer si le pouvoir de régler le contenu du programme d'études, appartenait au Conseil ou aux commissaires et syndics (à la p. 61):

Nul n'a besoin d'un doctorat en pédagogie pour conclure immédiatement que le pouvoir exclusif du Conseil d'instruction publique sur le choix des livres implique nécessairement un contrôle au moins indirect sur la matière et le contenu du cours d'études à suivre dans chaque école, et dont le "règlement" est laissé au pouvoir des commissaires et syndics, mais dans le cadre des règlements adoptés par le conseil pour "l'organisation et la gouverne" des écoles. En d'autres mots, le pouvoir des commissaires de "régler le cours d'études à suivre dans chaque école" n'était pas absolu. [Renvois supprimés.]

Le juge Nichols est le seul parmi les juges de la Cour d'appel à considérer spécifiquement l'interaction des art. 21 et 65. Il insiste sur l'attribution de pouvoirs aux commissaires et aux syndics d'écoles par l'art. 65. Le paragraphe 65(2) imposait aux commissaires d'écoles le "devoir" de régler le programme d'études dans chaque école. Le juge Nichols estime que ce mot est important car, lorsque le législateur impose un devoir, on peut présumer qu'il confère implicitement le pouvoir nécessaire pour s'acquitter de ce devoir, mais rien de plus (à la p. 1048):

Mais cette délégation implicite de l'exercice d'un pouvoir ne dépouille pas le délégant du pouvoir lui‑même.

Ainsi, lorsque l'assemblée législative du Canada décrète qu'il sera du devoir des commissaires et syndics d'école "de régler le cours d'études à suivre" elle leur accorde implicitement le pouvoir de régler le cours d'études, mais on ne saurait voir dans cette délégation un abandon absolu du pouvoir lui‑même.

Le juge Nichols fait ensuite une étude détaillée de l'évolution historique du pouvoir des commissaires et des syndics d'écoles de régler le programme d'études dans les écoles, pouvoir qui a finalement trouvé son expression au par. 65(2). Il procède à l'analyse des pouvoirs légaux des commissaires et syndics d'écoles selon les lois en vigueur de 1801 jusqu'à la refonte de 1861. Il conclut, aux pp. 1054 et 1055:

Ce survol de la législation antérieure à 1867 démontre à mon sens que les structures du système scolaire ne permettaient pas aux commissaires et syndics d'écoles d'adopter à loisir le régime pédagogique de leur choix.

Ils étaient ceux qui, au dernier échelon de la hiérarchie, avaient le devoir de mettre en {oe}uvre dans les écoles soumises à leur juridiction le régime pédagogique que l'État cherchait à généraliser et uniformiser.

. . .

Il se dégage [. . .] une constante à l'effet que la législature a toujours voulu garder la mainmise sur le cours d'études que les commissaires et syndics, au bas de l'échelle hiérarchique, avaient pour mission d'instaurer dans leurs écoles.

À mon avis, le sens manifeste des par. 21(3) et (4), lorsqu'on les rapproche du par. 65(2), est que le Conseil d'une part et les commissaires et syndics d'écoles d'autre part jouaient des rôles distincts dans l'administration de l'éducation dans la province au moment de la Confédération, particulièrement à l'égard du programme d'études suivi dans les écoles de la province. Le pouvoir de l'autorité centrale, exercé par le Conseil en vertu des par. 21(3) et (4), était large mais non illimité. Ainsi, pour reprendre ce que dit le juge Wilson dans le Renvoi relatif aux écoles séparées, il s'agissait d'un pouvoir de réglementation et non pas d'un pouvoir d'interdiction. Ce qui nous intéresse ici c'est la compétence relative aux programmes d'études. Je vois dans le pouvoir du Conseil, selon par. 21(4), "de choisir ou faire publier" les livres dont on se servira à l'exclusion de tous autres dans les écoles, y compris celles qui relèvent des commissaires d'écoles, la source du pouvoir sur le contenu du programme d'études suivi dans ces écoles. Est‑il besoin de souligner qu'en 1861 les livres représentaient l'élément primordial, voire dominant, du contenu des programmes d'études dans les écoles. (Cela tient encore aujourd'hui; comme nous avons pu le constater, la province concrétise son pouvoir d'établir les programmes d'études, aux termes des règlements contestés, en se réservant le pouvoir d'approuver les manuels et le matériel didactique.) Le lien qui existe entre le contenu réel d'un programme d'études et les manuels utilisés ressort plus nettement encore de la restriction apportée à la compétence du Conseil relativement aux livres. Le pouvoir de choisir les "livres qui ont rapport à la religion et à la morale" a été attribué non pas à l'autorité centrale mais plutôt au "curé, prêtre ou ministre desservant" en vertu du par. 65(2), probablement parce qu'on le considérait trop voisin de ce qui allait devenir le droit constitutionnel de la minorité religieuse d'établir l'aspect confessionnel du programme scolaire.

Le pouvoir des commissaires et des syndics d'écoles de "régler le cours d'études à suivre dans chaque école" n'entrait pas en conflit avec la compétence du Conseil relative aux livres à utiliser. Le paragraphe 65(2) est formel à cet égard: il était du devoir des autorités locales de "pourvoir à ce que dans les écoles sous leur juridiction on ne se serve que de livres approuvés et recommandés par le conseil d'instruction publique". Les commissaires et les syndics d'écoles paraissent avoir joué un rôle complémentaire. En effet, ils s'occupaient de la mise en {oe}uvre et du contrôle du programme d'études qui, à l'exception de l'enseignement religieux et moral, était établi par l'autorité centrale. Comme nous l'avons vu, c'est la conclusion à laquelle le juge Nichols de la Cour d'appel est arrivé à la suite de son examen de textes législatifs antérieurs à la Confédération. Sur le plan pratique, ce partage des pouvoirs serait logique, car il serait normal que les autorités locales aient été chargées de l'administration locale du programme d'études, tandis que l'autorité centrale s'appliquait à assurer une qualité et un contenu uniformes partout dans la province. L'exception à la règle — le curé, le prêtre ou le ministre desservant choisissait les livres ayant rapport à la religion ou à la morale — était destinée à enlever à l'autorité centrale le pouvoir d'établir l'élément confessionnel du programme d'études.

Pour conclure, je ferais donc observer que le Conseil d'instruction publique était investi d'un pouvoir général de choisir les livres et possédait de ce fait un large pouvoir sur l'établissement du programme d'études dans l'ensemble de la province. Le Conseil ne pouvait cependant pas fixer le contenu de programmes d'études se rapportant "à la religion et à la morale". De plus, cette exception, qui est visiblement une exception "relativement aux écoles confessionnelles", pour reprendre l'expression employée au par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, bénéficie en conséquence de la protection accordée à la minorité religieuse. Pour ce qui est du pouvoir des commissaires et syndics d'écoles de "régler le cours d'études à suivre dans chaque école" en vertu du par. 65(2) de la Loi de 1861, il était compatible avec le pouvoir du Conseil de fixer les programmes d'études en général. Cela dit, le pouvoir de régler le cours d'études, bien que ne constituant pas en soi une compétence relative au contenu du programme d'études, permettait certainement aux commissaires et aux syndics d'écoles de contrôler et de mettre en {oe}uvre le programme que le Conseil imposait à leurs écoles. Dans quelle mesure ce pouvoir de réglementation conféré aux commissaires et aux syndics d'écoles en 1861 constitue‑t‑il un "droit ou privilège [. . .] relativement aux écoles confessionnelles" qui relève de la garantie énoncée au par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867? Comme je l'expliquerai dans la partie suivante des présents motifs, je crois que ce pouvoir de réglementation à l'égard des programmes d'études est protégé en partie par le par. 93(1) de la Constitution. Cela, je le répète, est distinct de la protection clairement accordée à "l'enseignement religieux et moral" à titre d'exception au pouvoir général de l'autorité centrale de fixer les programmes d'études. Certains aspects des programmes d'études non confessionnels, comme je tenterai de l'expliquer plus loin, se rapportent néanmoins aux écoles confessionnelles et sont maintenant, en raison du pouvoir de réglementation conféré aux commissaires d'écoles en 1861, constitutionnalisés et hors de l'atteinte de l'autorité centrale.

VI ‑La loi et les règlements attaqués sont‑ils conformes au paragraphe 93(1) de la Constitution?

Il reste à déterminer si les règlements attaqués enfreignent la garantie constitutionnelle du par. 93(1), compte tenu de l'interprétation que je donne à cette garantie en l'espèce. À mon avis, le ministre a réussi à façonner des règlements qui restent à l'intérieur des limites de la compétence provinciale en matière d'éducation et respectent les garanties constitutionnelles énoncées au par. 93(1).

Selon le système établi par les règlements, le ministre a le pouvoir général de créer un régime pédagogique pour l'éducation préscolaire et les écoles primaires et secondaires de la province. Toutefois, aux termes de l'art. 44 du Règlement sur les écoles primaires et de l'art. 45 du Règlement sur les écoles secondaires, un traitement différent est donné à l'enseignement religieux et moral dans les écoles reconnues comme catholiques ou protestantes. Dans le cas des écoles reconnues comme protestantes, par exemple, ce sont les règlements du comité protestant du Conseil supérieur de l'éducation qui régissent l'enseignement religieux et moral, lesquels règlements ne sont pas attaqués par les appelantes en l'espèce. Comme je l'ai déjà signalé, les règlements contestés dans la présente affaire n'ont pas pour effet de fixer le contenu de l'enseignement moral et religieux dans les écoles protestantes. Ils se bornent à inclure cet enseignement parmi les matières considérées comme obligatoires dans toutes les écoles. En ne touchant pas au contenu confessionnel du programme d'études qui est laissé au comité protestant du Conseil, la province, à mon avis, s'est conformée au par. 65(2) de la Loi de 1861, qui donnait au curé, au prêtre ou au ministre du culte le droit exclusif de faire le choix des livres ayant rapport à la religion et à la morale pour les écoles confessionnelles. Cette exception au pouvoir absolu des provinces en matière d'éducation, exception à laquelle le par. 93(1) a donné valeur constitutionnelle, a été respectée. Les appelantes ne prétendent pas que le pouvoir du ministre de nommer les membres du comité protestant, sur la recommandation des membres de la confession, en vertu de l'art. 17 de la Loi sur le Conseil supérieur de l'éducation enfreint le par. 93(1). On peut supposer qu'aux fins de la présente discussion, elles ont accepté la décision du juge Brossard qui a statué en première instance que le pouvoir conféré en 1861 était en fait passé du "curé, prêtre ou ministre" au comité correspondant du Conseil et qu'il s'agit là d'une délégation qui ne préjudicie pas aux droits et aux privilèges que protège le par. 93(1): voir [1986] R.J.Q. 48, à la p. 62, où le juge Brossard renvoie à sa propre décision dans l'affaire Quebec Association of Protestant School Boards c. Attorney General of Quebec, [1985] C.S. 872, à la p. 905.

Bien que les règlements protègent manifestement la garantie constitutionnelle relative au contenu confessionnel du programme d'études, on pourrait prétendre que certains aspects non confessionnels du programme d'études, qui devraient également bénéficier de la protection du par. 93(1), n'ont pas été respectés. Il peut paraître illogique de parler d'aspects non confessionnels de l'éducation protégés par une garantie constitutionnelle "relativement aux écoles confessionnelles" mais l'idée n'est pas nouvelle. En décidant qu'une loi provinciale prévoyant un nouveau mode de financement des écoles dans la province allait à l'encontre du par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, le juge Chouinard explique dans l'arrêt Hull, précité, que la protection constitutionnelle de droits ou de privilèges "relativement aux écoles confessionnelles" dépasse parfois les limites de ce qui est "confessionnel" au sens strict du terme puisque "[l]a confessionnalité n'existe pas dans un vacuum" (p. 584). Il cite à l'appui de ce point de vue le passage suivant tiré d'un texte des professeurs François Chevrette, Herbert Marx et André Tremblay:

Il est certain que dans son esprit l'article 93 vise à garantir la confessionnalité de l'enseignement telle que cette confessionnalité se présentait en 1867, c'est‑à‑dire au niveau de l'enseignement dispensé dans les écoles dissidentes de la province et dans les écoles de Montréal et de Québec. À ce titre l'objectif final de cet article est de nature religieuse et il ne fait pas de doute que cet objectif ait été constitutionnalisé. Reste la question de savoir si c'est cet objectif final seul qui l'a été, ou si ne l'ont pas été aussi certains moyens concrets d'y parvenir, c'est‑à‑dire un certain nombre de pouvoirs et de structures administratives assurant que la confessionnalité de l'enseignement serait en pratique respectée et maintenue. La réponse à cette question ne fait pas de doute non plus; on a aussi constitutionnalisé un certain nombre de moyens d'y parvenir et le texte même de l'article 93 semble clair à ce sujet puisqu'il parle de "droit ou privilège relativement aux écoles confessionnelles" au lieu de parler plus simplement "d'écoles confessionnelles".

Remarquons qu'en eux‑mêmes et considérés isolément ces moyens n'ont pas nécessairement une nature religieuse, car il pourra éventuellement s'agir de pouvoirs financiers, du pouvoir d'engager des maîtres, etc. Mais il demeure que ces moyens doivent être relatifs à la confessionnalité de l'enseignement et reliés directement au maintien de celle‑ci.

(Les problèmes constitutionnels posés par la restructuration scolaire de l'île de Montréal (1972), à la p. 22.)

De la même façon, certains aspects non confessionnels du programme d'études peuvent bénéficier de la protection offerte par la garantie énoncée au par. 93(1) parce qu'ils sont relatifs aux écoles confessionnelles. En d'autres termes, la protection constitutionnelle "relativement aux écoles confessionnelles" comporte aussi bien des éléments confessionnels que des éléments non confessionnels. Le problème dans l'affaire Hull, dans la présente affaire et dans des affaires analogues, est de déterminer dans quelle mesure ces aspects non confessionnels du programme d'études méritent d'être protégés par la Constitution.

Les appelantes, dans leurs conclusions écrites, plaident en faveur d'une interprétation très large des droits ou privilèges qui sont accordés à l'égard des écoles confessionnelles et qui bénéficient de la protection du par. 93(1). Elles préconisent en fait la protection d'aspects du programme d'études qui ne sont pas normalement considérés comme confessionnels. Selon elles, la nature de l'éducation confessionnelle protestante est telle que cette interprétation large s'impose pour protéger les écoles confessionnelles protestantes. Cette position se dégage nettement de leur mémoire:

[TRADUCTION] La preuve produite décrit ce qu'est essentiellement la nature des écoles confessionnelles protestantes et fait ressortir la différence entre cette nature essentielle et le concept tout à fait distinct, mais plus familier, d'éducation confessionnelle catholique.

. . .

Il ressort de cette preuve, qui par ailleurs n'a pas été contredite, que l'éducation protestante revêt un caractère fondamentalement pluraliste. Quoique la Bible et la religion en général soient étudiées, on les aborde d'une manière objective et les écoles n'essaient pas d'enseigner les dogmes d'une église en particulier. L'accent est mis sur la tradition judéo‑chrétienne. En ce qui concerne les matières laïques, on insiste sur l'objectivité et sur l'ouverture d'esprit dans les recherches. Traditionnellement, il y a eu une grande mesure de participation par les membres de la collectivité à tous les aspects importants des écoles, y compris le programme d'études. Le juge Brossard a constaté qu'il existe des différences fondamentales entre les écoles confessionnelles catholiques et les écoles confessionnelles protestantes.

. . .

. . . les appelantes désirent protéger et préserver un aspect vital d'un système d'éducation qui reflète les valeurs et les priorités de la collectivité qu'elles représentent.

Les appelantes soutiennent que les règlements minent la protection constitutionnelle dont bénéficient les écoles protestantes parce qu'ils vont à l'encontre de la philosophie protestante en matière d'éducation. Suivant leur point de vue, en raison du caractère fondamentalement pluraliste de la foi protestante, une bonne partie de ce qui est généralement considéré comme l'aspect non confessionnel de l'éducation est influencée par la philosophie confessionnelle en matière d'éducation en fonction de laquelle l'école est organisée. Puisque certains aspects non confessionnels du programme d'études sont nécessairement touchés par cette philosophie protestante en matière d'éducation, ils devraient bénéficier également d'une protection constitutionnelle. Les appelantes font valoir que, comme les règlements ont pour effet de conférer exclusivement au ministre le plein contrôle du programme d'études, sauf en ce qui concerne l'enseignement religieux et moral, ils suppriment cet aspect du droit garanti aux commissions scolaires confessionnelles. S'il faut une preuve du préjudice causé par les règlements, les appelantes citent les exemples suivants:

[TRADUCTION]

a)Le concept d'universalité inhérent aux deux régimes est contraire à la philosophie protestante en matière d'éducation. La souplesse requise pour répondre adéquatement aux besoins des élèves moins doués ou plus doués que la moyenne s'en trouve considérablement réduite.

b)Il est presque impossible d'offrir des cours à option dans les écoles secondaires en raison du nombre et de l'étendue des cours obligatoires imposés par les régimes.

c)Pour la période de 1929 à aujourd'hui, le cours obligatoire d'histoire canadienne ("Histoire du Québec et du Canada"), qui est le seul offert, porte uniquement sur l'histoire du Québec. Aucun cours à option traitant de l'histoire du Canada ne peut être enseigné sans le consentement du ministre.

d)L'enseignement de l'anglais comme langue seconde est interdit avant la quatrième année, ce qui est contraire à la fois aux bonnes pratiques pédagogiques et aux désirs des parents.

e)Les appelantes sont tenues d'enseigner à tous les élèves dans chacune des années déterminées par les régimes plusieurs cours pratiques tels que "Formation personnelle et sociale", "Éducation au choix de carrière" et "Économie familiale". Ces exigences rigides viennent limiter davantage les possibilités d'offrir un plus grand nombre de cours théoriques aux élèves qui en profiteraient le plus.

Les appelantes affirment qu'elles invoquent le par. 93(1) dans le but de protéger et de préserver un aspect vital d'un système d'enseignement qui reflète les valeurs et les priorités de la collectivité qu'elles représentent. De toute évidence, elles estiment qu'une partie du programme d'études non confessionnel des écoles relève du par. 93(1). Les appelantes ne prétendent cependant pas détenir un pouvoir exclusif relativement au programme d'études. Je cite à nouveau les plaidoiries écrites présentées en leur nom, où l'on trouve, à la p. 27, le passage suivant:

[TRADUCTION] Le droit [des appelantes] d'établir un programme d'études qui reflète les valeurs et les priorités de la collectivité à laquelle elles appartiennent n'est nullement incompatible avec le droit de la province de légiférer relativement au programme d'études ou d'adopter des règlements d'application générale s'y rapportant, par exemple, afin de s'assurer que tous les élèves acquièrent une connaissance suffisante dans les disciplines principales et dans les matières qui présentent un intérêt particulier pour les élèves du Québec. Ce n'est que lorsqu'il est porté atteinte à un droit protégé, comme c'est le cas en l'espèce, que les garanties énoncées à l'art. 93 viennent restreindre la compétence de la province.

Je ne puis me persuader que le par. 93(1) confère aux protestants un pouvoir sur le programme d'études aussi étendu que le prétendent les appelantes. En associant le contenu de la garantie constitutionnelle à une philosophie protestante en matière d'éducation qui est fondée sur le pluralisme, les appelantes accorderaient à la collectivité protestante un droit ou un privilège de régler le programme d'études à suivre dans les écoles confessionnelles qui est tout à fait incompatible avec l'exercice par la province d'un pouvoir général de réglementation à l'égard de questions touchant le programme d'études qui n'appartiennent pas au domaine de l'enseignement religieux et moral. On peut faire un parallèle entre l'effet de cette position et l'effet du point de vue adopté par les intimés dans l'affaire City of Winnipeg v. Barrett, [1892] A.C. 445 (C.P.) En déclarant valide The Public Schools Act, 1890 du Manitoba à laquelle la collectivité catholique locale reprochait de violer des droits ou privilèges protégés par la disposition de la Loi de 1870 sur le Manitoba qui correspond à l'art. 93, lord MacNaghten affirme, à la p. 459:

[TRADUCTION] Leurs Seigneuries ne s'intéressent pas à la politique de la Loi de 1890. Toutefois, elles ne peuvent s'empêcher de remarquer que, si les opinions des intimés devaient s'appliquer, il serait extrêmement difficile pour la législature de la province, qui a le pouvoir exclusif d'adopter des lois relatives à l'éducation, de combler les besoins en matière d'éducation des districts les moins peuplés d'un pays presque aussi grand que la Grande‑Bretagne et que les pouvoirs de la législature qui, d'après la Loi, paraissent tellement étendus seraient limités à la tâche utile, mais plutôt humble, d'établir des règlements portant sur les conditions d'hygiène dans les écoles, sur le prélèvement d'impôts pour le financement des écoles confessionnelles, sur le respect de la présence obligatoire des élèves et sur des questions de ce genre.

Pour déterminer le sens exact du par. 93(1) en l'espèce, la Cour doit décider quels aspects non confessionnels du programme d'études sont, du point de vue du droit constitutionnel, "relativement aux" écoles confessionnelles protestantes. Le juge McCarthy, qui conclut que les règlements attaqués en l'espèce sont intra vires, trace très habilement la ligne de démarcation entre les aspects du programme d'études qui bénéficient de la protection de la Constitution et ceux qui n'en bénéficient pas. À la page 1035, il dit:

[TRADUCTION] . . . pour bien interpréter l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, on doit d'abord faire une distinction entre les aspects confessionnels et les aspects non confessionnels des écoles confessionnelles, puis faire une distinction aussi entre les aspects non confessionnels, tels que le financement, qui sont nécessaires pour rendre efficaces les garanties confessionnelles, et ceux qui ne le sont pas. Les régimes pédagogiques ici en cause tombent dans cette dernière catégorie. Ils relèvent donc de la compétence législative de la province en matière d'éducation.

En outre, la protection des aspects non confessionnels des écoles confessionnelles qui sont nécessaires pour rendre efficaces les garanties confessionnelles, comme le dit le juge McCarthy, est également assurée par les règlements. Le pouvoir de "régler le cours d'études" dans les écoles confessionnelles, conféré en 1861 aux commissaires et aux syndics d'écoles, n'est constitutionnalisé que dans la mesure où ce pouvoir de réglementation limité est nécessaire pour rendre efficaces les garanties confessionnelles. Pour ma part, je crois que la Loi et les règlements attaqués répondent à l'exigence constitutionnelle en donnant aux commissions scolaires le pouvoir d'adapter aux besoins locaux les programmes d'études prescrits, de créer, sous réserve qu'ils soient approuvés, d'autres programmes d'études lorsqu'elles le jugent nécessaire et de participer à l'évaluation des programmes d'études en général. C'est avec raison que le procureur général du Québec souligne dans ses plaidoiries écrites:

Les syndics des écoles dissidentes, catholiques ou protestantes sont donc soumis à la réglementation sur les programmes d'études. Mais, compte tenu de la protection constitutionnelle dont ils sont revêtus, ils peuvent adapter ces programmes d'études en les dispensant d'une façon conforme à leurs valeurs religieuses et régir leurs écoles de façon à les imprégner des valeurs religieuses qui leur sont propres.

Les règlements permettent aux commissions scolaires d'exercer le pouvoir qu'elles détiennent depuis 1861 sur les aspects non confessionnels des écoles confessionnelles qui sont nécessaires pour rendre efficaces les garanties confessionnelles.

Le juge McCarthy trace une ligne précise qui, je crois, permet d'élucider une large part du débat jurisprudentiel concernant le par. 93(1). Voici un exemple de la manière dont la distinction faite par le juge McCarthy nous aide à comprendre la jurisprudence relative aux décisions rendues dans ce domaine compliqué. Après avoir souligné que "[l]a confessionnalité n'existe pas dans un vacuum" lorsqu'il s'agit de distinguer entre les aspects protégés et les aspects non protégés des écoles confessionnelles, le juge Chouinard cite et approuve l'opinion suivante dans l'arrêt Hull, précité, à la p. 584:

Dans l'arrêt Hirsch en cette Cour, [1926] R.C.S. 246, le juge en chef Anglin, qui sur ce point n'est pas contredit par le Conseil privé, écrit à la p. 269:

[TRADUCTION] Il ressort de ce qui précède que nous considérons que la loi destinée à amoindrir le droit des protestants, comme classe de personnes dans la province de Québec, au contrôle exclusif, financier et pédagogique de leurs écoles, est ultra vires de la législature de la province. [Je souligne.]

À ce point de vue approuvé par le juge Chouinard j'apporterais la nuance qu'exprime le juge McCarthy de la Cour d'appel dans la présente affaire. Le contrôle pédagogique dont parle le juge en chef Anglin n'est exclusif que dans la mesure où il est nécessaire pour assurer le respect d'une valeur protégée par la Constitution. Les seuls aspects non confessionnels d'un régime pédagogique qui bénéficient de la protection du par. 93(1) sont ceux qui sont "nécessaires pour rendre efficaces les garanties confessionnelles".

De toute évidence, les experts en matière d'éducation des commissions scolaires appelantes et ceux du ministre de l'Éducation diffèrent en toute bonne foi dans leur opinion quant au régime pédagogique le mieux adapté aux besoins des élèves des niveaux préscolaire, primaire et secondaire. Quelle que soit la valeur des positions respectives des commissions scolaires appelantes et du ministre vis‑à‑vis de l'éducation, ce n'est pas au par. 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 qu'il convient de recourir pour régler leur différend. La garantie constitutionnelle porte explicitement qu'elle est "relativement aux écoles confessionnelles". En contestant le principe de l'uniformité des programmes d'études pour toutes les écoles, les appelantes formulent en termes constitutionnels un argument qui pourrait être un argument pédagogique valable mais, selon moi, cette démarche n'est pas appropriée. Comme je l'ai déjà dit, je n'accepte pas la proposition des appelantes suivant laquelle la philosophie protestante en matière d'éducation implique une protection constitutionnelle dépassant ce qui est nécessaire pour rendre efficaces les garanties confessionnelles. Les appelantes attaquent des aspects non confessionnels du programme d'études qui ne sont pas nécessaires pour rendre efficaces les garanties confessionnelles. Comme le juge McCarthy, j'estime que, quelle que soit la valeur pédagogique des règlements, ils relèvent de la compétence législative de la province en matière d'éducation.

VII ‑La loi et les règlements attaqués sont‑ils conformes au paragraphe 93(2) de la Constitution?

Les appelantes invoquent subsidiairement le par. 93(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 pour attaquer la Loi et les règlements en cause. Le paragraphe 93(2) dispose que "tous les pouvoirs, privilèges et devoirs conférés ou imposés par la loi dans le Haut‑Canada, lors de l'Union, aux écoles séparées et aux syndics d'écoles des sujets catholiques romains de la Reine, seront et sont par les présentes étendus aux écoles dissidentes des sujets protestants et catholiques romains de la Reine dans la province de Québec".

S'appuyant sur l'arrêt de cette Cour dans le Renvoi relatif aux écoles séparées, prononcée après le jugement de la Cour d'appel en l'espèce, les appelantes soutiennent dans leur mémoire que [TRADUCTION] "le droit des protestants du Québec relativement au programme d'études ne peut être moins étendu que celui dont jouissent les catholiques en Ontario", tel qu'il a été décrit par le juge Wilson dans cet arrêt. Cet argument semble supposer que la Commission des écoles protestantes du Grand Montréal et la Commission scolaire Greater Quebec ainsi que la Commission scolaire de Lakeshore et toutes les commissions scolaires représentées par l'Association des commissions scolaires protestantes du Québec sont des commissions d'écoles dissidentes. Quoique cela ne soit peut‑être pas absolument certain, je suis prêt à tenir pour avéré, sans toutefois trancher la question, que cette hypothèse est bien fondée.

Le paragraphe 93(2) lui‑même ne donne pas valeur constitutionnelle à des droits ou des privilèges qui existaient dans l'une ou l'autre province lors de l'Union. C'est le par. 93(1), et non le par. 93(2) pris isolément, qui érige en normes constitutionnelles les "droit[s] ou privilège[s] [. . .] relativement aux écoles confessionnelles". Le paragraphe 93(2) ne fait qu'ajouter une étape à l'analyse à laquelle il faut nécessairement procéder pour déterminer quels droits et privilèges conférés par la loi lors de l'Union ont été constitutionnalisés au Québec en vertu du par. 93(1). Essentiellement, le par. 93(2) étend aux écoles dissidentes des sujets protestants et catholiques de Sa Majesté au Québec tous les pouvoirs, privilèges et devoirs (mais non des pouvoirs et privilèges garantis par la Constitution) conférés ou imposés dans le Haut‑Canada aux écoles séparées et aux syndics d'écoles des sujets catholiques de la Reine. Le paragraphe 93(2) ne remplace pas la règle énoncée au par. 93(1); il la complète. Si, par exemple, en application du par. 93(2), des pouvoirs et privilèges existant au moment de la Confédération dans le Haut‑Canada sont "étendus" aux écoles protestantes et catholiques dissidentes du Québec, cela ne permet pas de déterminer complètement quels sont les droits constitutionnels additionnels dont disposent les protestants et catholiques dissidents du Québec dans leur propre province. La Cour est encore obligée, non par le par. 93(2) mais par le par. 93(1), de déterminer si le pouvoir ou privilège qui existait dans le Haut‑Canada et que l'on a étendu au Québec est relatif aux écoles confessionnelles et si la loi attaquée dans une cause donnée préjudicie à ce droit, pouvoir ou privilège. (D'autres pouvoirs étendus par le par. 93(2) pourraient être pertinents, du moins en théorie, relativement à la protection qu'accordent les par. 93(3) et (4).)

Le procureur général de l'Ontario est intervenu en faveur de l'intimé sur cette question. Tous deux font valoir que la loi en vigueur dans le Haut‑Canada lors de l'Union partageait le pouvoir sur le programme d'études entre l'autorité centrale, le Conseil d'instruction publique, et les syndics d'écoles séparées, d'une manière semblable au partage du pouvoir opéré par la Loi de 1861 au Québec. Ils soutiennent en outre que, dans le Renvoi relatif aux écoles séparées, le juge Wilson n'a pas reconnu aux syndics d'écoles séparées une compétence relative au contenu des programmes d'études qui, par l'effet du par. 93(2), invaliderait la Loi et les règlements québécois en cause. L'intimé termine ainsi son argument sur ce point: ". . . la situation est la même au Québec qu'en Ontario. La Province établit les programmes d'études et les syndics, catholiques comme protestants, les dispensent en les empreignant de leur propre philosophie."

Dans le Renvoi relatif aux écoles séparées, le juge Wilson explique que quatre lois en vigueur dans le Haut‑Canada lors de la Confédération sont pertinentes aux fins de l'interprétation du par. 93(1): An Act respecting Common Schools in Upper Canada, C.S.U.C. 1859, chap. 64 (la "Common Schools Act, 1859"); An Act respecting Separate Schools, C.S.U.C. 1859, chap. 65; Acte pour réintégrer les catholiques romains du Haut‑Canada dans l'exercice de certains droits concernant les écoles séparées, S. Prov. C. 1863, 26 Vict., chap. 5 (la "Loi Scott, 1863"), et l'Acte pour perfectionner davantage les écoles de grammaire dans le Haut‑Canada, S. Prov. C. 1865, 29 Vict., chap. 23. Je ne me propose pas d'entreprendre ici une analyse exhaustive de ces lois. Le juge Wilson l'a déjà fait, quoique dans une perspective différente, dans le Renvoi relatif aux écoles séparées et je vais puiser abondamment dans son analyse.

Aux pages 1182 à 1185 passim, le juge Wilson décrit comment la compétence relative au programme d'études était partagée entre l'autorité centrale et les autorités locales au moment de la Confédération. La loi en vigueur lors de l'Union ne conférait pas aux syndics des écoles séparées du Haut‑Canada le pouvoir exprès de prescrire les matières à enseigner dans leurs écoles mais, selon le juge Wilson ce pouvoir découlait implicitement de l'économie de la loi. Le juge a fondé cette conclusion sur le pouvoir que détenaient les syndics d'engager des instituteurs et, dans le cas des syndics de conseils scolaires urbains, sur leur pouvoir de fixer les fonctions de ces instituteurs. Le juge Wilson décrit en détail le pouvoir du Conseil de l'instruction publique d'établir des règlements concernant l'organisation, l'administration et la discipline des écoles communes et celui de recommander ou de rejeter des manuels, ainsi que de l'obligation correspondante imposée aux syndics de veiller à ce qu'aucun livre non autorisé par le Conseil d'instruction publique ne soit utilisé dans les écoles. Puis elle conclut, à la p. 1184:

Mais le contenu exact des matières au programme d'une école particulière semblait, en l'absence de réglementation expresse du Conseil de l'instruction publique, laissé, de par la loi, au pouvoir discrétionnaire des syndics.

Les appelantes font valoir que le par. 93(2) étend aux protestants du Québec le pouvoir ou privilège conféré aux syndics du Haut‑Canada d'établir le contenu exact des programmes d'études.

Même si elle accepte aux fins de la présente discussion les conclusions du juge Wilson, la Cour doit encore déterminer jusqu'à quel point ce pouvoir ou privilège étendu par l'effet du par. 93(2) aux protestants du Québec est constitutionnalisé dans cette province par le par. 93(1) comme "droit ou privilège [. . .] relativement aux écoles confessionnelles". La mesure dans laquelle le pouvoir des syndics d'écoles séparées de déterminer l'élément non confessionnel des programmes d'études dans le Haut‑Canada est constitutionnalisé dans le cas du Québec revêt une importance capitale pour l'issue du présent pourvoi. Le pouvoir ou privilège ainsi étendu confère‑t‑il aux appelantes une protection constitutionnelle plus large en vertu du par. 93(1) que la protection accordée par la Constitution aux programmes d'études non confessionnels dont je parle plus haut?

À mon avis, cela n'est pas possible. Même si la teneur précise de la loi en vigueur pouvait varier d'une province à l'autre lors de l'Union, la façon dont la Cour doit procéder pour déterminer dans quelle mesure un droit, un pouvoir ou un privilège est, du point de vue du droit constitutionnel, "relativement aux écoles confessionnelles" dans une province donnée ne change pas, même lorsque ces droits, pouvoirs et privilèges sont "étendus". La distinction faite en l'espèce par le juge McCarthy en Cour d'appel concernant les aspects du programme d'études qui bénéficient d'une protection constitutionnelle au Québec aux termes du par. 93(1) s'applique également lorsque le droit, pouvoir ou privilège de fixer les programmes d'études est étendu par le jeu du par. 93(2). Comme dans le cas des pouvoirs accordés aux commissaires et syndics d'écoles au Québec par la Loi de 1861, le pouvoir d'établir le programme d'études qui a été étendu aux protestants du Québec n'est constitutionnalisé qu'autant que cela est nécessaire pour rendre efficace la garantie confessionnelle au Québec. Puisque ce pouvoir n'est pas nécessaire pour asseoir la garantie énoncée au par. 93(1), laquelle est, je le répète, amplement protégée ailleurs, je ne crois pas que l'argument basé sur le par. 93(2) puisse renforcer l'attaque contre la Loi et les règlements contestés en l'espèce. L'argument des appelantes fondé sur le par. 93(2) est donc rejeté.

VIII ‑ Conclusion

Pour les raisons qui précèdent, le par. 16(7) de la Loi sur l'instruction publique ainsi que les règlements sur les écoles primaires et les écoles secondaires sont intra vires de la province suivant l'art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. Je suis d'avis de répondre à la question constitutionnelle par la négative et de rejeter le pourvoi avec dépens. Aucune ordonnance n'est rendue quant aux dépens pour ou contre les intervenants.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs des appelantes: Colin K. Irving et Allan R. Hilton, Montréal.

Procureurs de l'intimé: Bernard, Roy & Associés, Montréal.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le ministère du Procureur général de l'Ontario, Toronto.

Procureur de l'intervenant le procureur général de Terre-Neuve: Ronald J. Richards, St. John's.

*Le juge Le Dain n'a pas pris part au jugement.



Parties
Demandeurs : Grand montréal, commission des écoles protestantes
Défendeurs : Québec (Procureur général)

Références :
Proposition de citation de la décision: Grand montréal, commission des écoles protestantes c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 377 (16 mars 1989)


Origine de la décision
Date de la décision : 16/03/1989
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1989] 1 R.C.S. 377 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-03-16;.1989..1.r.c.s..377 ?
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