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27/04/1989 | CANADA | N°[1989]_1_R.C.S._1023

Canada | Maurice c. Priel, [1989] 1 R.C.S. 1023 (27 avril 1989)


Maurice c. Priel, [1989] 1 R.C.S. 1023

L. Ted Priel, David McKeague et Harvey Walker Appelants

c.

Gene Arthur Francis Maurice Intimé

répertorié: maurice c. priel

No du greffe: 20707.

1989: 3 février; 1989: 27 avril.

Présents: Les juges Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel de la saskatchewan

Compétence -- Barreau -- Discipline -- Comité du barreau constitué pour entendre une plainte portée contre un juge -- Plainte fondée sur la conduite du juge alors qu'il exe

rçait comme avocat -- Compétence disciplinaire du barreau limitée à ses membres -- Un juge est-il membre du barrea...

Maurice c. Priel, [1989] 1 R.C.S. 1023

L. Ted Priel, David McKeague et Harvey Walker Appelants

c.

Gene Arthur Francis Maurice Intimé

répertorié: maurice c. priel

No du greffe: 20707.

1989: 3 février; 1989: 27 avril.

Présents: Les juges Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel de la saskatchewan

Compétence -- Barreau -- Discipline -- Comité du barreau constitué pour entendre une plainte portée contre un juge -- Plainte fondée sur la conduite du juge alors qu'il exerçait comme avocat -- Compétence disciplinaire du barreau limitée à ses membres -- Un juge est-il membre du barreau et assujetti à ses règles disciplinaires? -- Legal Profession Act, R.S.S. 1978, chap. L‑10, art. 3, 7, 56, 57 -- Loi sur les juges, S.R.C. 1970, chap. J‑1, art. 36.

Avocats et procureurs -- Discipline -- Comité du barreau constitué pour entendre une plainte portée contre un juge -- Plainte fondée sur la conduite du juge alors qu'il exerçait comme avocat -- Compétence disciplinaire du barreau limitée à ses membres -- Un juge est-il membre du barreau et assujetti à ses règles disciplinaires?

Tribunaux -- Juges -- Discipline -- Comité du barreau constitué pour entendre un plainte portée contre un juge -- Plainte fondée sur la conduite du juge alors qu'il exerçait comme avocat -- Compétence disciplinaire du barreau limitée à ses membres -- Un juge est-il membre du barreau et assujetti à ses règles disciplinaires?

Quelques années après la nomination de l'intimé à la magistrature, la Law Society of Saskatchewan a reçu un plainte relative à sa conduite pendant qu'il exerçait la profession d'avocat. Les appelants ont été désignés pour former un comité chargé d'entendre la plainte formulée contre l'intimé après qu'un comité d'enquête eut fait rapport et que l'intimé eut reçu signification d'une plainte officielle lui reprochant d'avoir eu une conduite indigne d'un avocat. L'intimé s'est adressé directement à la Cour d'appel pour obtenir une ordonnance interdisant aux appelants de tenir l'audition, ce qui lui a été accordé. La question est de savoir si la Law Society a compétence pour engager des procédures disciplinaires contre un juge pour des manquements à son Code of Professional Conduct qui se seraient produits pendant qu'il exerçait la profession d'avocat.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Les juges Lamer, Wilson, L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory: La Law Society n'avait pas compétence pour tenir l'audition disciplinaire visant l'intimé parce que sa compétence est limitée à ses seuls membres. Le texte de The Legal Profession Act et de la Loi sur les juges empêche l'intimé d'être membre de la Law Society. Le mot "membre" n'est pas expressément défini dans The Legal Profession Act, mais l'art. 3 prévoit que "les avocats de la Saskatchewan et les personnes admises à titre d'étudiants en droit sont membres du barreau". Les dispositions de la Loi sur les juges interdisent à un juge d'exercer la profession d'avocat. Pour autant que la Law Society est concernée, le juge qui vient d'être nommé n'est pas radié, son statut est figé.

Le fait que le juge ait été membre de la Law Society à l'époque où s'est produite la conduite alléguée ne suffit pas à conférer au comité de discipline compétence pour entendre l'affaire. Une fois devenue membre de la Law Society, une personne ne l'est pas pour toujours.

La nécessité d'éviter que le public considère que les juges sont à l'abri des conséquences de leur inconduite ne fait pas en sorte qu'il y va de l'intérêt public que la Law Society conserve la compétence disciplinaire sur les juges pour l'inconduite professionnelle dont ils ont fait preuve avant leur nomination à la magistrature. Un juge peut être poursuivi en matière civile, sous réserve des délais de prescription prévus par la loi. De même, un juge peut avoir à répondre devant les tribunaux des actes criminels commis avant sa nomination à la magistrature.

Le juge La Forest: Selon le texte de The Legal Profession Act, l'intimé n'est pas membre de la Law Society of Saskatchewan.

Jurisprudence

Le juge Cory

Arrêt approuvé: Re Law Society of Upper Canada and Robinette, [1954] 2 D.L.R. 692.

Lois et règlements cités

Legal Profession Act, R.S.S. 1978, chap. L‑10, art. 3, 7, 54, 55, 56, 57.

Loi sur les juges, S.R.C. 1970, chap. J‑1, art. 36.

Rules of the Law Society of Saskatchewan, art. 84.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Saskatchewan (1987), 60 Sask. R. 241, [1988] 1 W.W.R. 491, interdisant, à la suite d'une demande expresse, la tenue d'une audition disciplinaire pour inconduite professionnelle. Pourvoi rejeté.

S. Halyk, c.r., et G. Blue, pour les appelants.

G. L. Gerrand, c.r., pour l'intimé.

//Le juge Cory//

Version française du jugement des juges Lamer, Wilson, L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory rendu par

LE JUGE CORY -- La question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si la Law Society of Saskatchewan a compétence pour engager des procédures disciplinaires contre l'intimé, un juge de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, pour des manquements au Code of Professional Conduct de la Law Society of Saskatchewan, qui, allègue‑t‑on, se seraient produits alors que l'intimé exerçait la profession d'avocat.

Les faits

L'intimé a été admis à la pratique du droit le 3 août 1967 par la Law Society of Saskatchewan. Il a exercé la profession d'avocat en Saskatchewan depuis cette date jusqu'à sa nomination à titre de juge de la Cour du Banc de la Reine, le 13 octobre 1981, poste qu'il occupe encore présentement.

Quelques années après sa nomination à la magistrature, la Law Society of Saskatchewan a reçu une plainte relative à sa conduite pendant qu'il exerçait la profession d'avocat. Un comité d'enquête a été mis sur pied conformément à l'art. 56 de The Legal Profession Act, R.S.S. 1978, chap. L‑10, et ses modifications. Suite au rapport de ce comité, le premier vice‑président du comité de discipline de la Law Society a désigné les appelants pour former un comité chargé d'entendre la plainte formulée contre l'intimé. Le 11 août, l'intimé s'est vu signifier la plainte officielle suivante:

[TRADUCTION] Je, soussigné, IAIN ALEXANDER MENTIPLAY, de la ville de Regina, province de Saskatchewan, secrétaire de la Law Society of Saskatchewan, atteste par les présentes que le premier vice‑président du comité de discipline du conseil de la Law Society a désigné, conformément au par. 57(1) de The Legal Profession Act, un comité d'audition composé de L. Ted Priel, président, de David McKeague et de Harvey Walker, pour entendre et juger les plaintes officielles ci‑après portées, conformément au par. 56(1) de The Legal Profession Act, par un comité d'enquête formé de Morris Bodnar, Daniel Ish et Lawrence Zatlyn contre GENE A. F. MAURICE, de la ville de Regina, province de Saskatchewan, savoir:

QUE GENE A. F. MAURICE, alors de la ville de Swift Current, dans la province de Saskatchewan, exerçait, pendant toute l'époque visée, la profession d'avocat dans la province de la Saskatchewan, qu'il était inscrit au barreau selon The Legal Profession Act et qu'il est coupable de conduite indigne d'un avocat en ce que:

1.En 1974, ou vers cette époque, à Cabri, dans la province de Saskatchewan, il a demandé à M. Gerald L. Morris de la Cabri Credit Union Limited de confier des affaires à son cabinet d'avocat et a, de ce fait, participé à de la sollicitation, du racolage de client et du démarchage et adopté ainsi une conduite contraire au Code of Professional Conduct de la Law Society of Saskatchewan.

2.Entre 1974 et 1981, il a adopté une conduite indigne d'un avocat alors qu'il a encouragé un régime de partage des honoraires avec un nommé Gerald L. Morris et y a participé en remettant à ce dernier un pourcentage des honoraires perçus pour des opérations juridiques confiées à son cabinet d'avocat, contrairement au Code of Professional Conduct de la Law Society of Saskatchewan.

3.Entre 1974 et 1981 inclusivement, à Swift Current, dans la province de Saskatchewan, il a sciemment et volontairement omis de rendre compte à des clients des débours faits pour leur compte, contrairement au Code of Professional Conduct de la Law Society of Saskatchewan.

4.Entre 1974 et 1981 inclusivement, à Swift Current, dans la province de Saskatchewan, il a sciemment et volontairement incité un nommé Gerald L. Morris, de la Cabri Credit Union Limited à agir comme mandataire de son cabinet d'avocat dans des opérations juridiques entre son cabinet et des clients et a, de ce fait, encouragé une personne non autorisée à exercer la profession d'avocat, et lui a permis de le faire, contrairement au Code of Professional Conduct de la Law Society of Saskatchewan.

La Law Society a porté des accusations semblables contre un ancien associé de l'intimé, qui relativement à deux chefs, a été déclaré coupable d'infraction au Code of Professional Conduct. L'appel de cette décision devant la Cour d'appel a été rejeté. Gerald L. Morris a été déclaré coupable de concussion pour avoir touché illicitement des honoraires d'un cabinet d'avocat. Cette déclaration de culpabilité a fait l'objet d'un appel à la Cour d'appel et l'appel a aussi été rejeté.

L'audition de la plainte contre l'intimé devait avoir lieu le 22 septembre 1987. Le 25 août, l'intimé s'est adressé directement à la Cour d'appel pour obtenir une ordonnance interdisant aux appelants de tenir cette audition. Le 4 novembre 1987, la Cour d'appel a rendu un arrêt interdisant la tenue de l'audition.

L'arrêt de la Cour d'appel

Le juge en chef Bayda a conclu, au nom de la cour à la majorité, que la Law Society n'avait pas compétence pour tenir l'audition puisque l'intimé n'était pas membre de ladite Law Society. Le juge Tallis a estimé que la demande était prématurée et que la question de la compétence devait être tranchée au départ par le comité d'audition. Il a toutefois examiné le fond de l'appel. Il a conclu que le comité d'audition avait compétence pour procéder à l'enquête. À son avis, l'art. 54 de The Legal Profession Act exigeait seulement que la personne contre qui la plainte est portée soit un membre de la Law Society à l'époque de l'inconduite alléguée. Cette condition suffisait, à son avis, pour conférer au comité compétence en la matière.

Les dispositions législatives pertinentes

Pour trancher la question de la compétence du comité de discipline, il est nécessaire de citer certaines dispositions de The Legal Profession Act et de la Loi sur les juges. L'article 3 de The Legal Profession Act traite des membres de la Law Society, soit le barreau:

[TRADUCTION] 3 Les avocats de la Saskatchewan et les personnes admises à titre d'étudiants en droit sont membres du barreau.

La seule mention concernant les juges se trouve à l'art. 7 de la Loi, qui est ainsi conçu:

[TRADUCTION] 7 Les juges de la Cour d'appel, de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan et de la Cour provinciale de la Saskatchewan sont des "visitors".

Les procédures disciplinaires sont régies par les art. 54 à 57 de la Loi, dont voici le texte:

[TRADUCTION] 54 Le président ou le vice‑président du comité de discipline examine toute plainte ou allégation soumise à son attention, qui reproche à un membre du barreau une conduite indigne d'un avocat et

a) s'il juge que l'objet de la plainte ou de l'allégation ne constitue pas une conduite indigne d'un avocat, il ordonne de classer l'affaire; ou

b) désigne un comité d'enquête conformément au paragraphe 56(1) pour faire enquête sur la plainte ou l'allégation, ou sur une partie de celles‑ci.

55 Lorsque un avocat membre du barreau est radié du barreau d'une autre province ou d'un autre endroit ou est interdit d'exercice dans cet autre endroit, pour un motif qui, de l'avis du président, du premier ou du second vice‑président du comité de discipline, constitue une conduite indigne d'un avocat,

a) il est radié du barreau ou interdit d'exercice, selon le cas, en Saskatchewan, jusqu'à la prochaine réunion du conseil du barreau; et

b) un comité d'enquête peut être désigné pour enquêter sur l'affaire.

56(1) Le président ou un des vice‑présidents du comité de discipline peut désigner un comité d'enquête formé des membres du conseil du barreau qu'il choisit et dont il désigne le président. Ce comité fait enquête sur toute question qui lui est soumise en application de l'alinéa 54b) ou 55b).

(2) Un comité d'enquête examine toute question qui lui est soumise en application de l'alinéa 54b) ou 55b) et il peut examiner toute autre question qui se pose au cours de l'enquête et qui paraît constituer une conduite indigne d'un avocat.

(3) Sous réserve d'approbation par le président ou un vice‑président du comité de discipline, ou par le conseil du barreau, un comité d'enquête peut interdire un avocat d'exercice jusqu'à la fin de son enquête et la présentation de son rapport ou la présentation du rapport d'un comité d'audition désigné pour trancher la question.

(4) L'interdiction d'exercice imposée en application du paragraphe (3) se termine le dernier jour de la réunion suivante du conseil du barreau, à moins que le conseil;

a) ne lève l'interdiction avant cette date; ou

b) ne prolonge l'interdiction au‑delà de cette date.

(5) Un comité d'enquête ou deux des personnes suivantes:

a) le président du barreau;

b) le vice‑président du barreau;

c) le président du comité de discipline; ou

d) un des vice‑présidents du comité de discipline;

peut demander la nomination d'un syndic conformément à l'article 73.

(6) Après avoir terminé son enquête, un comité d'enquête présente un rapport écrit au président ou au vice‑président du comité de discipline et recommande:

a) qu'un comité d'audition soit désigné pour entendre et trancher la plainte officielle énoncée au rapport écrit; ou

b) qu'aucune autre mesure ne soit prise à l'égard de l'objet de l'enquête;

et le rapport signé par une majorité des membres du comité d'enquête constitue la décision du comité d'enquête.

(7) Le comité d'enquête qui a fait un rapport conformément à l'alinéa 6a) agit comme poursuivant devant le comité d'audition, le comité de discipline et la Cour d'appel, selon le cas, à l'égard de la plainte officielle énoncée dans le rapport, mais les membres de ce comité ne doivent agir à aucun autre titre à l'égard de la plainte auprès du comité d'audition, du comité de discipline ou du conseil du barreau, si ce n'est comme témoins, si cela est nécessaire.

57(1) Sur réception du rapport présenté par un comité d'enquête conformément à l'alinéa 56(6)a), le président ou le vice‑président du comité de discipline désigne un comité d'audition pour examiner la plainte officielle et en disposer.

(2) Sur réception d'un rapport présenté par un comité d'enquête conformément à l'alinéa 56(6)b), ou à la demande de toute personne, le comité de discipline peut désigner un comité d'audition pour entendre et trancher une plainte officielle formulée par le comité de discipline.

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), un comité d'audition formé en application du paragraphe (1) ou du paragraphe (2) se compose d'au moins trois et d'au plus cinq personnes membres du comité de discipline.

(3.1) Aucun membre du comité de discipline qui a fait partie du comité d'enquête qui a examiné l'affaire faisant l'objet de la plainte officielle ne peut faire partie du comité d'audition désigné en application du paragraphe (1) ou du paragraphe (2).

(3.2) Le quorum du comité d'audition est de trois membres.

(4) Dès la désignation d'un comité d'audition, son secrétaire transmet un exemplaire de la plainte officielle au membre dont la conduite est visée par l'audition.

(5) Au moins deux semaines avant la date fixée pour le début des audiences du comité, son secrétaire avise le membre dont la conduite est visée par l'audition de la date, de l'heure et du lieu de l'audience.

On constate qu'il n'est possible de tenir des audiences disciplinaires qu'à l'égard des membres de la Law Society.

La Loi sur les juges interdit à un juge d'exercer toute autre occupation que ses fonctions judiciaires. Il ne peut donc exercer la profession d'avocat. L'article 36 de la Loi sur les juges, S.R.C. 1970, chap. J‑1, est ainsi conçu:

36. Aucun juge ne doit se livrer directement ni indirectement, en qualité d'administrateur ou de gérant de corporation, compagnie ou maison d'affaires, non plus qu'en une autre manière, pour lui‑même ou pour d'autres personnes, à une occupation ou entreprise autre que ses fonctions judiciaires. Chaque juge est tenu de se consacrer exclusivement à ses fonctions judiciaires, sauf qu'un juge de district en amirauté peut continuer à exercer les fonctions d'une charge publique relevant de Sa Majesté du chef du Canada ou d'une province, qu'il détenait lors de sa nomination comme juge de district en amirauté.

L'intimé est‑il membre de la Law Society of Saskatchewan?

Application de The Legal Profession Act et de la Loi sur les juges

Il appert que la compétence de la Law Society of Saskatchewan pour tenir une audition disciplinaire visant l'intimé dépend de la question de savoir si ce dernier est membre ou non de la Law Society. Selon moi, l'intimé n'est pas membre de la Law Society. Pour arriver à cette conclusion, je me fonde sur les articles spécifiques déjà mentionnés et sur l'ensemble de The Legal Profession Act.

On se rappellera que, même si le mot "membre" n'est pas expressément défini dans la Loi, l'art. 3 prévoit que "Les avocats de la Saskatchewan et les personnes admises à titre d'étudiants en droit sont membres du barreau". Les dispositions de la Loi sur les juges interdisent à un juge d'exercer la profession d'avocat. Pour autant que la Law Society est concernée, le juge qui vient d'être nommé n'est pas radié, son statut est figé. Un juge ne peut exercer comme avocat, ni faire partie du conseil, ni proposer quelqu'un au conseil, ni voter pour un membre du conseil, ni participer aux délibérations de la Law Society. Conformément aux Rules of the Law Society of Saskatchewan (règle 84), un juge ne peut reprendre l'exercice de la profession d'avocat qu'après avoir cessé d'être juge et avoir rempli les autres conditions que le conseil peut imposer, et après avoir versé le montant de la cotisation et s'être procuré le certificat annuel.

La situation particulière d'un juge se traduit dans l'art. 7 de The Legal Profession Act par le titre de "visitor" que cet article attribue aux juges. Ce titre est vide et constitue un anachronisme: le "visitor" n'a ni rôle, ni fonction. Il n'occupe aucun poste, il n'acquiert aucun droit de la Law Society ni n'a aucun droit à l'égard de celle‑ci pas plus qu'il n'assume de responsabilités envers elle. Quoi qu'il en soit, un "visitor" n'est pas avocat.

Dans l'affaire Re Law Society of Upper Canada and Robinette, [1954] 2 D.L.R. 692, la question à trancher était de savoir si M. Robinette continuait de faire partie de la Law Society of Upper Canada et d'être membre de son conseil après sa nomination à titre de juge, mais avant d'être assermenté et d'entrer en fonction. La loi alors en vigueur en Ontario (qui a été largement modifiée depuis) comportait des dispositions relatives aux membres très semblables à celles de The Legal Profession Act en vigueur actuellement en Saskatchewan. Le juge en chef McRuer de la Haute Cour a conclu que M. Robinette avait cessé d'être membre du barreau dès sa nomination à la Cour d'appel de l'Ontario. Il a décidé que conclure le contraire amènerait nécessairement à affirmer que, sur le plan du droit, [TRADUCTION] "quelqu'un qui a été nommé juge peut continuer d'exercer comme avocat devant les tribunaux". J'estime que cette décision est correcte et qu'elle s'applique à l'espèce.

J'arrive à la conclusion qu'en raison du texte de The Legal Profession Act et de la Loi sur les juges, l'intimé n'est pas membre de la Law Society of Saskatchewan.

Les appelants ont soutenu que, si on devait conclure qu'un juge n'est pas membre de la Law Society pendant qu'il remplit ses fonctions judiciaires, alors subsidiairement les dispositions précitées de The Legal Profession Act indiquaient qu'une fois devenue membre de la Law Society une personne l'était pour toujours. Le juge Tallis a accepté à peu près le même argument. Il a conclu que même si une personne n'était plus membre de la Law Society, le fait d'en avoir fait partie à l'époque où s'est produite la conduite alléguée suffit à conférer au comité de discipline compétence pour entendre l'affaire. Cet argument ne saurait être accepté. S'il en était ainsi, il s'ensuivrait qu'il serait possible d'engager des procédures disciplinaires contre des membres décédés ou qui sont à la retraite depuis plusieurs années. On a soutenu que si la Cour devait rejeter l'argument "membre un jour, membre toujours", cela pourrait mener à des abus puisque quelqu'un pourrait démissionner comme membre de la Law Society juste avant une audition en matière de discipline. Vu la conclusion qu'un juge n'est pas membre de la Law Society of Saskatchewan, il n'est pas nécessaire de traiter cet argument quelque peu fondé sur la crainte. De toute façon, il convient de souligner que la Loi a été modifiée de manière à ce qu'une personne ne puisse démissionner comme membre de la Law Society sans l'autorisation de son conseil.

Il ne convient pas dans les circonstances de l'espèce d'examiner les arguments portant sur les droits, les obligations et la compétence des corps professionnels autonomes à l'égard des procédures disciplinaires, ou ceux portant sur l'indépendance de la magistrature. Ces questions importantes devraient plutôt être tranchées dans un cas approprié, tout comme la conclusion du Juge en chef que le Conseil de la magistrature aurait compétence à l'égard de l'inconduite professionnelle dont un juge aurait fait preuve pendant qu'il était avocat. Là encore, il ne convient pas en l'espèce d'examiner ce point.

La question, en l'espèce, n'a pas trait aux limites de l'immunité judiciaire, ni à ce qui peut constituer une atteinte à l'indépendance de la magistrature. La présente affaire porte plutôt sur la question limitée de savoir si, selon The Legal Profession Act de la Saskatchewan, la Law Society de cette province peut engager des procédures disciplinaires contre un juge pour l'inconduite dont il aurait fait preuve pendant qu'il était encore avocat. La réponse à cette question dépend uniquement du texte de The Legal Profession Act et de la Loi sur les juges.

Au départ, les appelants ont soutenu que, pour des motifs d'intérêt public, il était nécessaire que la Law Society conserve la compétence en matière disciplinaire sur les juges pour l'inconduite professionnelle dont ils ont fait preuve pendant qu'ils étaient avocats, avant leur nomination à la magistrature. Ils ont soutenu que si la Law Society n'avait pas cette compétence, le public pourrait considérer que les juges sont à l'abri des conséquences de leur inconduite. Cet argument ne saurait être exact. La fonction de juge ne confère pas une immunité entière. Sous réserve des délais de prescription prévus par la loi, un juge peut être poursuivi en matière civile pour avoir fait ce qu'il n'aurait pas dû faire ou n'avoir pas fait ce qu'il était tenu de faire à titre d'avocat. Ainsi, un juge peut faire face à une action pour une faute commise pendant qu'il exerçait la profession d'avocat, pour abus de confiance ou pour violation de contrat. De même un juge peut avoir à répondre devant les tribunaux des actes criminels commis avant sa nomination à la magistrature. Il faut aussi rejeter cet argument fondé sur le moyen difficile et incertain de l'intérêt public.

Dispositif

En définitive, je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

//Le juge La Forest//

Version française des motifs rendus par

LE JUGE LA FOREST -- Je suis d'accord avec mon collègue le juge Cory, pour les raisons qu'il donne, pour dire que, selon le texte de The Legal Profession Act, R.S.S. 1978, chap. L-10, et ses modifications, l'intimé n'est pas membre de la Law Society of Saskatchewan et, pour ce motif, je suis d'avis de statuer sur le pourvoi de la manière qu'il propose.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs des appelants: Halyk Brent Dovell, Saskatoon.

Procureurs de l'intimé: Gerrand & Company, Regina.


Synthèse
Référence neutre : [1989] 1 R.C.S. 1023 ?
Date de la décision : 27/04/1989

Parties
Demandeurs : Maurice
Défendeurs : Priel
Proposition de citation de la décision: Maurice c. Priel, [1989] 1 R.C.S. 1023 (27 avril 1989)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-04-27;.1989..1.r.c.s..1023 ?
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