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04/05/1989 | CANADA | N°[1989]_1_R.C.S._1038

Canada | Slaight communications inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038 (4 mai 1989)


Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038

Slaight Communications Incorporated (exploitée

sous le nom de station de radio Q107 FM) Appelante

c.

Ron Davidson Intimé

répertorié: slaight communications inc. c. davidson

No du greffe: 19412.

1987: 8 octobre; 1989: 4 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Lamer, Wilson, Le Dain*, La Forest et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel fédérale

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Liberté d'expression — Arbitre ordonnant

à l'employeur de remettre à l'employé congédié injustement une lettre de recommandation ayant un contenu déterminé -- A...

Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038

Slaight Communications Incorporated (exploitée

sous le nom de station de radio Q107 FM) Appelante

c.

Ron Davidson Intimé

répertorié: slaight communications inc. c. davidson

No du greffe: 19412.

1987: 8 octobre; 1989: 4 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Lamer, Wilson, Le Dain*, La Forest et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel fédérale

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Liberté d'expression — Arbitre ordonnant à l'employeur de remettre à l'employé congédié injustement une lettre de recommandation ayant un contenu déterminé -- Arbitre ordonnant également à l'employeur de ne répondre à une demande de renseignements concernant l'employé que par l'envoi de cette lettre -- Les ordonnances portent‑elles atteinte à la liberté d'expression de l'employeur garantie par l'art. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés -- Dans l'affirmative, la restriction à la liberté d'expression est‑elle justifiable en vertu de l'article premier de la Charte -- Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L‑1, art. 61.5(9)c).

Relations de travail -- Congédiement injuste -- Juridiction de l'arbitre -- Arbitre ordonnant à l'employeur de remettre à l'employé congédié injustement une lettre de recommandation ayant un contenu déterminé — Arbitre ordonnant également à l'employeur de ne répondre à une demande de renseignements concernant l'employé que par l'envoi de cette lettre -- L'article 61.5(9)c) du Code canadien du travail autorise‑t‑il l'arbitre à rendre de telles ordonnances? -- Les ordonnances portent‑elles atteinte à la liberté d'expression de l'employeur garantie par l'art. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés -- Dans l'affirmative, la restriction à la liberté d'expression est‑elle justifiable en vertu de l'article premier de la Charte -- Les ordonnances sont‑elles déraisonnables au sens du droit administratif?

L'intimé était à l'emploi de l'appelante à titre de "vendeur de temps d'antenne" depuis trois ans et demi lorsqu'il a été congédié au motif que son rendement était insuffisant. À la suite d'une plainte de l'intimé, un arbitre désigné par le ministre du Travail en vertu du par. 61.5(6) du Code canadien du travail a statué que l'intimé avait été congédié injustement. Se fondant sur l'al. 61.5(9)c) du Code, l'arbitre a rendu une première ordonnance qui impose à l'appelante l'obligation de remettre à l'intimé une lettre de recommandation attestant (1) que ce dernier a été à l'emploi de la station radiophonique de juin 1980 au 20 janvier 1984; (2) quels étaient les objectifs de vente qui lui avaient été assignés ainsi que le montant des ventes qu'il a effectivement réalisées durant cette période; et (3) qu'un arbitre a jugé qu'il avait été congédié injustement. L'ordonnance prévoit précisément les montants devant apparaître au chapitre des objectifs de vente et au chapitre des ventes effectivement réalisées. Une deuxième ordonnance interdit à l'appelante de répondre à une demande de renseignements concernant l'intimé autrement que par l'envoi de la lettre de recommandation. La Cour d'appel fédérale a rejeté la demande d'examen et d'annulation de la décision de l'arbitre présentée par l'appelante. Le présent pourvoi vise à déterminer si l'al. 61.5(9)c) du Code autorise un arbitre à rendre de telles ordonnances; et en particulier, si les ordonnances violent la liberté d'expression de l'appelante garantie par l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Arrêt (le juge Beetz est dissident et le juge Lamer est dissident en partie): Le pourvoi est rejeté. Les ordonnances violent l'al. 2b) de la Charte mais elles sont justifiables en vertu de l'article premier.

La Charte est applicable aux ordonnances rendues par l'arbitre. L'arbitre est une créature de la loi. Il est nommé en vertu d'une disposition législative et il tire tous ses pouvoirs de la loi. La Constitution, qui est la loi suprême du pays, rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. On ne peut donc interpréter une disposition législative attributrice de discrétion comme conférant le pouvoir de violer la Charte, à moins, bien sûr, que le pouvoir soit expressément conféré ou encore qu'il soit nécessairement implicite. Une telle interprétation obligerait cette Cour, à défaut de pouvoir justifier cette disposition législative en vertu de l'article premier de la Charte, à la déclarer inopérante. Il s'ensuit qu'un arbitre, qui exerce des pouvoirs délégués, n'a pas le pouvoir de rendre une ordonnance entraînant une violation de la Charte.

Le mot "like" dans la version anglaise de l'al. 61.5(9)c) du Code canadien du travail n'a pas pour effet de limiter les pouvoirs conférés à l'arbitre en l'autorisant seulement à rendre des ordonnances similaires aux ordonnances expressément mentionnées aux al. a) et b) du même paragraphe. Interpréter ainsi cette disposition signifierait l'application de la règle ejusdem generis. Or, cette règle est inapplicable à l'espèce puisqu'une des conditions essentielles à son application -- la présence d'une caractéristique commune ou d'un genre commun -- n'est pas remplie. L'interprétation selon laquelle le mot "like" de la version anglaise de l'al. c) ne limite pas le pouvoir conféré à l'arbitre est également plus conforme à l'économie générale du Code et en particulier au but de la division V.7 qui est d'offrir à l'employé non‑syndiqué un moyen de contester un congédiement qu'il juge injuste et parallèlement d'offrir à l'arbitre les pouvoirs nécessaires pour remédier aux effets d'un tel congédiement.

Le juge en chef Dickson et les juges Wilson, La Forest et L'Heureux-Dubé: Les deux ordonnances de l'arbitre sont raisonnables au sens du droit administratif. La norme préliminaire de contrôle que représente le caractère déraisonnable en droit administratif ne devrait pas imposer au gouvernement une norme plus exigeante que ne le ferait l'examen fondé sur la Charte. Certes, il importe de maintenir la norme du caractère déraisonnable manifeste pour les questions non touchées par la Charte, telles que le contrôle des conclusions de fait; mais, en matière d'examen des valeurs, les tribunaux devraient recourir à cette norme seulement dans les cas les plus évidents où une décision ne saurait être justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.

La première ordonnance de l'arbitre va à l'encontre de l'al. 2b) de la Charte mais elle est sauvegardée par l'article premier.

La seconde ordonnance de l'arbitre viole également l'al. 2b) de la Charte. Il s'agit d'une tentative d'empêcher l'appelante d'exprimer son opinion quant aux qualifications de l'intimé au-delà des faits prouvés énoncés dans la lettre. Mais cette ordonnance est, elle aussi, justifiable sous le régime de l'article premier. En premier lieu, l'objectif est d'une importance suffisante pour justifier l'atteinte à la liberté d'expression de l'appelante. Comme la première ordonnance, la deuxième vise à neutraliser les conséquences du congédiement injuste en accroissant la possibilité pour l'employé de chercher un nouvel emploi sans faire l'objet de mensonges de la part de l'employeur précédent. Le redressement accordé par l'arbitre constitue une tentative, que sanctionne le législateur, de remédier à l'équilibre inégal des forces qui existe normalement entre l'employeur et l'employé. En général, l'objectif gouvernemental réside dans la protection d'un groupe particulièrement vulnérable, ou des membres de celui-ci. Accorder une protection constitutionnelle à la liberté d'expression en l'espèce équivaudrait à fermer les yeux sur la continuation d'un abus de relations de travail déjà inégales. En deuxième lieu, les moyens choisis sont raisonnables. Comme la première ordonnance, la deuxième est rationnellement liée à l'objectif. Étant donné l'histoire prouvée consistant à favoriser une version fabriquée de la qualité des services de l'intimé et la crainte que l'employeur continue de le traiter injustement s'il revenait travailler pour lui, il était logique que l'arbitre prescrive dans l'ordonnance une lettre de recommandation pour s'assurer que les représentants de l'employeur ne détruiraient pas l'effet de la lettre en disant, sans justification, du mal de son employé antérieur sous prétexte de donner des références. De plus, il n'y avait aucune autre mesure moins envahissante qu'on aurait pu prendre et qui aurait vraisemblablement permis d'atteindre quand même l'objectif. Une indemnisation monétaire n'aurait pas constitué un substitut acceptable parce qu'elle n'aurait réglé que les conséquences économiques du chômage et non les conséquences personnelles. Le travail ne peut être assimilé à un produit et chaque jour de chômage considéré comme étant parfaitement réductible à une valeur monétaire. La lettre a été fermement et soigneusement conçue pour exposer seulement une variété très étroite de faits qui n'étaient pas véritablement contestés. On n'a pas forcé l'appelante à exprimer des opinions différentes des siennes. L'interdiction est également très circonscrite. Elle ne s'applique que dans les cas où on communique avec l'appelante en vue d'obtenir des références, et la lettre doit être envoyée uniquement aux employeurs éventuels. En bref, l'arbitre a fait le strict nécessaire pour atteindre l'objectif. En dernier lieu, les effets des mesures ne sont pas préjudiciables au point de l'emporter sur leur objectif. En l'espèce, l'objectif est très important, en particulier à la lumière de l'engagement du Canada dans les traités internationaux de protéger le droit du travail sous ses divers aspects. Aux fins de cette étape de l'examen de la proportionnalité, le fait qu'une valeur ait le statut d'un droit de la personne international, soit selon le droit international coutumier, soit en vertu d'un traité auquel le Canada est un État partie, devrait en général dénoter un degré élevé d'importance attaché à cet objectif.

Le juge Lamer (dissident en partie): L'arbitre n'a pas excédé sa juridiction en ordonnant à l'appelante de remettre à l'intimé une lettre de recommandation ayant un contenu déterminé. Abstraction faite de la Charte, la seule limite imposée par l'al. 61.5(9)c) est que l'ordonnance vise à "contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier". C'est le cas en l'espèce. L'ordonnance empêche que la décision de l'appelante de congédier l'intimé puisse avoir des effets négatifs sur les chances de ce dernier de se trouver un nouvel emploi. Le fait d'ordonner à un employeur de remettre à un ancien employé une lettre de recommandation ne contenant que des faits objectifs incontestés n'est pas déraisonnable en soi et rien ne démontre que l'arbitre a poursuivi une finalité impropre ou agi de mauvaise foi ou de façon discriminatoire.

L'arbitre a toutefois excédé sa juridiction en interdisant à l'appelante de répondre à une demande de renseignements concernant l'intimé autrement que par l'envoi de la lettre de recommandation. Bien que l'ordonnance vise également à contrecarrer les effets du congédiement ou à y remédier, elle a pour effet, en interdisant à l'appelante d'ajouter quelques commentaires que ce soit, de créer des circonstances susceptibles de faire en sorte que la lettre soit perçue comme l'expression des opinions de l'appelante. Ce type de sanctions est totalitaire et par conséquent étranger à la tradition de pays libres comme le Canada. Le Parlement ne peut donc pas avoir eu l'intention d'autoriser un usage si déraisonnable de la discrétion qu'il a conférée. L'arbitre a perdu cette juridiction en rendant une ordonnance manifestement déraisonnable.

La première ordonnance restreint la liberté d'expression de l'appelante mais cette restriction, qui provient d'une règle de droit -- l'ordonnance prononcée par l'arbitre n'est que l'exercice de la discrétion qui lui est accordée par la loi --, est justifiable en vertu de l'article premier de la Charte. L'ordonnance vise nettement, comme l'exige la loi, à contrecarrer les effets du congédiement injuste. Un tel objectif est suffisamment important pour justifier une certaine restriction à la liberté d'expression. Il est en effet essentiel que le législateur prévoie des mécanismes destinés à rétablir un certain équilibre dans la relation employeur/employé de façon à éviter que ce dernier soit soumis à l'arbitraire du premier. De plus, le moyen choisi pour atteindre l'objectif est raisonnable dans les circonstances. L'ordonnance est équitable et a été soigneusement conçue. La lettre de recommandation vise à corriger la fausse impression causée par le fait du congédiement et ne contient que des faits objectifs incontestés. Elle a un lien rationnel avec le congédiement puisque dans certains cas elle est la seule mesure susceptible de remédier efficacement aux effets du congédiement. Finalement, les effets de cette ordonnance sont proportionnels à l'objectif poursuivi. Ce dernier est important dans notre société. Or, la restriction apportée à la liberté d'expression n'est pas de celle qu'on peut qualifier de très grave. Elle ne supprime pas cette liberté mais se borne plutôt à en restreindre l'exercice en obligeant l'employeur à écrire quelque chose de prédéterminé.

Le juge Beetz (dissident): Excepté l'attestation relative au congédiement injuste, la première ordonnance viole les libertés d'opinion et d'expression de l'appelante et ne peut être justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. Cette ordonnance force l'employeur à rédiger des exposés des faits comme s'il s'agissait d'exposés de faits de son propre cru, auxquels, à tort ou à raison, il ne croit peut-être pas, ou qu'il peut en fin de compte trouver ou estimer inexacts, trompeurs ou faux. En bref, l'ordonnance peut forcer l'appelante à mentir. Ordonner la confirmation de faits, sans tenir compte de la croyance à leur exactitude par la personne qui a reçu l'ordre de les confirmer, viole à première vue les libertés d'opinion et d'expression. Une telle violation revêt un caractère totalitaire et ne peut jamais être justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.

La deuxième ordonnance, jointe à la première, viole également les libertés d'opinion et d'expression de l'ancien employeur d'une manière qui ne saurait être justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. L'envoi de la lettre telle qu'elle a été rédigée par l'arbitre, accompagné de l'interdiction de dire ou d'écrire quoi que ce soit pourrait laisser insinuer que l'ancien employeur n'a pas d'autres remarques à faire au sujet du rendement de l'intimé et que, par conséquent, la lettre traduit l'opinion de l'ancien employeur. En tout état de cause, la deuxième ordonnance est disproportionnée et déraisonnable. On devrait se méfier énormément d'une ordonnance administrative ou même une ordonnance judiciaire qui a pour effet d'empêcher les justiciables de commenter et même de critiquer les décisions d'une commission ou d'une cour.

De plus, dans les cas de congédiement injuste, la délivrance par un arbitre d'une interdiction générale et perpétuelle, à l'encontre d'un ancien employeur, d'écrire ou de dire quoi que ce soit à l'exception de ce que l'arbitre a dicté dans la lettre de recommandation peut conduire à des résultats absurdes et qui vont à l'encontre du résultat recherché. L'arbitre ne peut prévoir tous les types possibles d'échanges qui sont susceptibles d'avoir lieu entre les anciens employeurs et les employeurs éventuels. L'absurdité qui découle de la deuxième ordonnance de l'arbitre suffit à justifier son annulation. Dès lors qu'elle est disproportionnée et déraisonnable du point de vue pratique, elle doit être déraisonnable sur le plan du droit administratif, et il est difficile d'imaginer qu'elle puisse être raisonnable au sens de l'article premier de la Charte.

Jurisprudence

Citée par le juge en chef Dickson

Distinction d'avec l'arrêt: Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce, [1984] 1 R.C.S. 269; arrêts mentionnés: Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313.

Citée par le juge Lamer (dissident en partie)

Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce, [1984] 1 R.C.S. 269; Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

Citée par le juge Beetz (dissident)

Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce, [1984] 1 R.C.S. 269; Procureur général du Québec c. Quebec Association of Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66; Reference re Alberta Statutes, [1938] R.C.S. 100.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2b).

Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L‑1, art. 61.5(6) [aj. 1977‑78, chap. 27, art. 21], 61.5(9)a), b), c) [idem].

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 10, art. 52d).

Pacte international relatif aux droits économique, sociaux et culturels, A.G. Rés. 2200 A (XXI), 21 N.U. GAOR, Supp. (no 16) 49, Doc. A/6316 N.U. (1966), art. 6.

Doctrine citée

Beatty, David M. "Labour is not a Commodity". In Barry J. Reiter and John Swan, eds. Studies in Contract Law. Toronto: Butterworths, 1980.

Côté, Pierre‑André. Interprétation des lois. Cowansville: Yvon Blais Inc., 1982.

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed. Toronto: Carswells, 1985.

Kahn‑Freund, Sir Otto. Kahn‑Freund's Labour and the Law, 3rd ed. By Paul Davies and Mark Freedland. London: Stevens & Sons, 1983.

Maxwell, Sir Peter B. Maxwell on the Interpretation of Statutes, 12th ed. London: Sweet & Maxwell, 1969.

Wade, H. W. R. Administrative Law, 4th ed. Oxford: Clarendon Press, 1977.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1985] 1 C.F. 253, 58 N.R. 150, 85 C.L.L.C. {PP} 14,053, qui a rejeté la demande de l'appelante, fondée sur l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, qui visait l'annulation d'une ordonnance rendue par un arbitre en vertu de l'al. 61.5(9)c) du Code canadien du travail. Pourvoi rejeté, le juge Beetz est dissident et le juge Lamer est dissident en partie.

Brian A. Grosman, c.r., et John Martin, pour l'appelante.

Morris Cooper et Fern Weinper, pour l'intimé.

//Le Juge en chef//

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges Wilson, La Forest et L'Heureux-Dubé rendu par

LE JUGE EN CHEF --

I

L'intimé, M. Ron Davidson, vendeur de temps d'antenne à la radio, a été congédié par son employeur, l'appelante Slaight Communications Incorporated, exploitée sous le nom de station de radio Q107 FM. Monsieur Davidson s'est fondé sur le Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L‑1, modifié par S.C. 1977‑78, chap. 27, art. 21, pour déposer une plainte, et une enquête a été tenue. Comme la question ne pouvait être tranchée ou réglée, le ministre du Travail a désigné Me Edward B. Joliffe, c.r., comme arbitre chargé de rendre une décision conformément aux dispositions des par. (6) à (9) de l'art. 61.5, division V.7, partie III du Code canadien du travail. L'audience s'est déroulée pendant deux jours à Toronto. Douze jours plus tard, Me Joliffe a reçu une lettre rédigée au nom de l'employeur, dans laquelle on lui demandait d'envisager la possibilité de réexaminer le renvoi en question pour le motif que, selon ce que précisait notamment la lettre, [TRADUCTION] ". . . notre cliente nous a informés qu'elle détient certains documents indiquant que M. Davidson a peut‑être fait un faux témoignage concernant un ou plusieurs points". Me Joliffe a demandé des détails sur cette allégation très grave. L'avocat de la société ne s'est pas exécuté. La demande visant à obtenir une autre audition a été rejetée.

L'arbitre Joliffe a longuement examiné le témoignage de Mme Stitt. Celle‑ci était le seul témoin pour le compte de l'employeur et, à l'époque en cause, elle était la directrice générale des ventes de la société, bien qu'elle fût congédiée plus tard. L'arbitre a noté ce qui suit:

Dans sa lettre du 27 février 1984 à Travail Canada [. . .] Mme Stitt a précisé que le "principal grief" qu'on a fait à M. Davidson c'est de ne pas avoir atteint "depuis octobre 1983 les niveaux de vente prévus dans les budgets mensuels". Il est évidemment spécieux de choisir quatre mois (ou moins) sur un total de 43 mois de service pour prouver que le plaignant a eu un rendement insatisfaisant.

Plus loin, dans sa décision, l'arbitre s'est prononcé en ces termes:

Du début à la fin, l'attitude de Mme Stitt a traduit fidèlement le conseil suivant qu'elle attribue à M. Gary Slaight: "S'il n'exécutait pas son budget, j'en entendrais parler. Si, au contraire, il l'exécutait, il faudrait lui faire savoir alors qu'il peut en faire davantage." En vertu de cette logique perverse, il semble que plus M. Davidson vendrait, plus son rendement serait inacceptable. Des déclarations d'une telle absurdité m'ont conduit à proposer qu'on divulgue enfin "le véritable motif du congédiement", mais cela n'a eu aucun écho.

Il a tiré cette conclusion:

On a tenté ici de démontrer qu'un rendement insatisfaisant pouvait constituer un motif valable de congédiement. La tentative a échoué. Je juge que M. Davidson a été congédié sans motif valable.

Me Joliffe s'est alors penché sur la question de l'établissement d'une réparation appropriée, et il a cité le par. (9) de l'art. 61.5:

61.5 . . .

(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe (8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut, par ordonnance, requérir l'employeur

a) de payer à cette personne une indemnité ne dépassant pas la somme qui est équivalente au salaire qu'elle aurait normalement gagné si elle n'avait pas été congédiée;

b) de réintégrer la personne dans son emploi; et

c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier.

Il a ordonné le versement d'une somme de 46 628,96 $ plus les intérêts, et de 2 500 $ au titre de frais de justice. Il a rendu une autre ordonnance, qui fait l'objet principal du ­présent pourvoi. Celle‑ci est ainsi rédigée:

En vertu du pouvoir que me confère l'alinéa c) du paragraphe (9) de l'article 61.5, j'ordonne également ce qui suit:

Que l'employeur remette au plaignant, avec un double à moi‑même, une lettre de recommandation attestant:

(1) Que M. Ron Davidson a été engagé par la station Q107 à titre de vendeur de temps d'antenne à la radio, et ce de juin 1980 au 20 janvier 1984;

(2) Que son "budget" ou quota de ventes pour 1981 s'élevait à 248 000 $ et qu'il a atteint 97,3 % de ce même budget;

(3) Que son "budget" ou quota de ventes pour 1982 se montait à 343 500 $ et qu'il a atteint 100,3 % de ce budget;

(4) Que son "budget" ou quota de ventes pour 1983 était de 402 200 $ et qu'il a atteint 114,2 % de ce budget;

(5) Qu'à la suite de son congédiement survenu en janvier 1984, un arbitre (nommé par le ministre du Travail), après avoir entendu les témoignages et les observations des deux parties, a décrété que le congédiement en question avait été injuste.

J'ordonne en outre que toute demande de renseignements par voie de communication épistolaire, téléphonique ou autre faite à la station Q107, à sa direction ou à son personnel par une personne ou compagnie relativement à l'emploi de M. Ron Davidson à ladite station doit donner lieu pour toute réponse à l'envoi d'un double de la lettre de recommandation susmentionnée.

L'employeur a interjeté appel devant la Cour d'appel fédérale, et son appel a été rejeté (les juges Urie et Mahoney, le juge Marceau étant dissident): [1985] 1 C.F. 253.

La question que cette Cour doit trancher est de savoir si l'al. c) du par. 61.5(9) du Code canadien du travail autorise l'arbitre à enjoindre à l'employeur de donner à l'employé une lettre de recommandation à contenu spécifié et à ordonner à l'employeur de ne pas tenir d'autres propos au sujet de l'employé. L'alinéa c), on s'en souvient, est ainsi conçu:

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier.

La solution du problème est fonction 1) de l'interprétation et du sens et de l'effet véritables de l'al. c), 2) de la question de savoir si l'ordonnance de l'arbitre en l'espèce viole la liberté d'expression garantie à l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, et 3) dans l'affirmative, de la question de savoir si la violation est justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.

Deux questions constitutionnelles ont été formulées en l'espèce:

1.Les dispositions de l'ordonnance de l'arbitre, rendue conformément au par. 61.5(9) du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L‑1 et ses modifications, par lesquelles on a ordonné à la requérante de fournir à l'intimé une lettre de recommandation à contenu spécifié assortie de l'obligation supplémentaire de répondre exclusivement aux demandes de renseignements au sujet de l'emploi de l'intimé en envoyant ou en remettant une copie de la lettre de recommandation, violent‑t‑elles ou nient‑elles les droits et libertés garantis par l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés?

2.Si les dispositions de l'ordonnance de l'arbitre violent ou nient les droits et libertés garantis par l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, sont‑elles justifiées par l'article premier de la Charte et donc compatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982?

II

Le rapport entre le contrôle en matière de droit administratif et l'examen fondé sur la Charte.

J'ai pris connaissance de l'opinion exprimée par le juge Lamer et je suis parfaitement d'accord avec son analyse de l'applicabilité de la Charte au processus décisionnel administratif. Je suis également d'accord avec sa conclusion que l'ordonnance positive rendue par l'arbitre Joliffe (celle de rédiger une lettre de recommandation à contenu spécifié et de la remettre à l'intimé) viole l'al. 2b) de la Charte, mais qu'elle est sauvegardée par l'article premier. Toutefois, pour ce qui est de l'ordonnance négative (celle de répondre exclusivement aux demandes de renseignements au sujet de l'emploi de l'intimé à la station Q107 en envoyant la lettre de recommandation visée par l'ordonnance positive), je me vois, en toute déférence, dans l'obligation d'exprimer mon désaccord avec la conclusion du juge Lamer selon laquelle elle est manifestement déraisonnable, ce qui pare à la nécessité d'examiner la Charte. De plus, j'estime non seulement que l'ordonnance négative est raisonnable au sens du droit administratif, mais aussi qu'elle est raisonnable et que sa justification peut se démontrer au sens de l'article premier de la Charte.

Je souscris aux propos tenus par le juge Mahoney de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt précité, aux pp. 260 et 261:

Le fait d'ordonner l'envoi d'une lettre de recommandation portant uniquement sur des faits et d'empêcher que son effet ne soit sapé, éventualité manifestement prévisible dans les circonstances révélées par la preuve, me semble être un redressement équitable et non punitif. Il s'agit d'un redressement approprié accordé à l'employé lésé et qui ne porte d'aucune façon préjudice à l'employeur. À mon avis, l'alinéa 61.5(9)c) autorisait l'ordonnance.

Le rapport précis entre la norme traditionnelle de contrôle, en droit administratif, du caractère déraisonnable manifeste et la nouvelle norme constitutionnelle de contrôle va se dégager de la jurisprudence à venir. Néanmoins, il y a lieu de faire quelques commentaires. Une proposition minimale semblerait être que la norme préliminaire de contrôle que représente le caractère déraisonnable en droit administratif ne devrait pas imposer au gouvernement une norme plus exigeante que ne le ferait l'examen fondé sur la Charte. Certes, il importe de maintenir la norme du caractère déraisonnable manifeste pour les questions non touchées par la Charte, telles que le contrôle des conclusions de fait (voir Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476, aux pp. 494 et 495); mais, en matière d'examen des valeurs, les tribunaux devraient recourir à cette norme seulement dans les cas les plus évidents où une décision ne saurait être justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. Par opposition à l'article premier, le caractère déraisonnable manifeste repose, dans une large mesure, sur des valeurs ambiguës et non établies et n'a pas le même degré de structure et de subtilité d'analyse. À mon avis, si le juge Lamer avait procédé à un examen fondé sur l'article premier, son excellente analyse des valeurs opposées dans le contexte de l'ordonnance positive aurait été également applicable à l'ordonnance négative qu'il a plutôt jugée manifestement déraisonnable.

Je conviens avec le juge Lamer que l'ordonnance en l'espèce diffère considérablement de celle en cause dans l'arrêt Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce, [1984] 1 R.C.S. 269, et que, par conséquent, la conclusion du juge Beetz selon laquelle la lettre en cause dans l'affaire Banque Nationale était manifestement déraisonnable ne s'applique pas aux faits de l'espèce. La condamnation dans l'arrêt Banque Nationale visait surtout le fait "que l'on contraigne quiconque à professer des opinions peut‑être différentes des siennes" (le juge Beetz, à la p. 296), fait qui a été aggravé par une large diffusion de la lettre à tous les employés et au personnel de direction de la banque. Tel n'est pas le cas en l'espèce. Comme l'arbitre l'a souligné en l'espèce, il n'y avait pas de véritable conflit au sujet des comptes et des rapports.

III

L'ordonnance négative et l'al. 2b) de la Charte

L'ordonnance de l'arbitre Joliffe qui enjoignait à Slaight Communications Inc. de répondre aux demandes de renseignements exclusivement en envoyant la lettre à contenu spécifié viole la liberté d'expression garantie à l'al. 2b). Le gouvernement tente d'empêcher Q107 de pousser l'expression de son opinion quant aux qualifications de M. Davidson au‑delà des faits énoncés dans la lettre. Le préjudice qu'il voulait prévenir, c'est‑à‑dire la diminution des perspectives d'emploi de M. Davidson, n'est pertinent que pour les fins d'une analyse fondée sur l'article premier et non pour celles d'une analyse fondée sur l'al. 2b).

IV

L'article premier de la Charte

Le critère de base applicable à une analyse fondée sur l'article premier, qui a été formulé dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, aux pp. 138 et 139, a été examiné dans les motifs du juge Lamer et il n'est pas nécessaire de le reproduire en l'espèce.

1. L'importance de l'objectif

Je suis parfaitement d'accord avec les conclusions tirées par le juge Lamer au sujet de l'importance de l'objectif visé par l'ordonnance positive, savoir la neutralisation des conséquences du congédiement injuste en accroissant les possibilités pour l'employé de chercher un nouvel emploi sans faire l'objet de mensonges de la part de son employeur précédent. C'est également l'objectif de l'ordonnance négative qui, pour reprendre les mots employés par le juge Mahoney de la Cour d'appel fédérale, à la p. 260, visait à "empêcher que . . . ne soit sapé [l'effet]" de l'ordonnance positive. Les deux ordonnances tendent au même but, la négative complétant et renforçant la positive.

On ne saurait trop insister sur le fait que le redressement accordé par l'arbitre en l'espèce constituait une tentative, sanctionnée par le législateur, de remédier à l'inégalité des forces qui existe normalement entre l'employeur et l'employé. Ainsi donc, en général, l'espèce relève d'une catégorie d'affaires où l'objectif gouvernemental est de protéger un groupe particulièrement vulnérable, ou des membres de ce groupe. Dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, à la p. 779, j'ai affirmé au nom de la Cour à la majorité:

Je crois que lorsqu'ils interprètent et appliquent la Charte, les tribunaux doivent veiller à ce qu'elle ne devienne pas simplement l'instrument dont se serviront les plus favorisés pour écarter des lois dont l'objet est d'améliorer le sort des moins favorisés. Lorsque l'intérêt de plus de sept salariés vulnérables à jouir d'un congé dominical est opposé à l'intérêt qu'a leur employeur à faire des affaires le dimanche, je ne saurais blâmer le législateur de décider que la protection des employés doit l'emporter.

Conformément au point de vue exprimé ci‑dessus au sujet de la place qu'occupe la Charte, je ne vois aucune meilleure façon de décrire les relations employeur-employé que celle exprimée dans Davies et Freedland dans Kahn‑Freund's Labour and the Law (3e éd. 1983), à la p. 18:

[TRADUCTION] [L]a relation entre un employeur et un employé ou un travailleur isolé est typiquement une relation entre une personne qui est en situation d'autorité et une personne qui ne l'est pas. À son début, il s'agit d'un acte de soumission, dans son fonctionnement, il s'agit d'un acte de subordination [. . .] L'objectif principal du droit du travail a toujours été et, nous nous permettons de dire, sera toujours de neutraliser l'inégalité du pouvoir de négociation qui est et doit être inhérent dans les relations employeur-employé. La majeure partie de ce que nous appelons la législation protectrice, savoir la législation sur l'embauchage des femmes, des enfants et des jeunes, sur la sécurité dans les mines, dans les usines et dans les bureaux, sur le paiement de salaires au comptant, sur les paiements de garantie, sur la discrimination fondée sur la race ou le sexe, sur les congédiements injustes, et, en fait, la majeure partie de la législation du travail tout entière, doivent être situées dans ce contexte. Il s'agit d'une tentative d'insuffler du droit dans une relation de commande et de subordination.

L'objectif des ordonnances positive et négative rendues par l'arbitre Joliffe répond à la réalité reconnue par Kahn‑Freund, Davies et Freedland. Les tribunaux doivent tout autant prendre soin d'éviter de constitutionnaliser les inégalités de pouvoir au lieu de travail et entre les intervenants sociaux en général. Il faut se rappeler que la Cour a affirmé à la p. 136 de l'arrêt Oakes, précité, que "[l]es valeurs et les principes sous‑jacents d'une société libre et démocratique sont à l'origine des droits et libertés garantis par la Charte et constituent la norme fondamentale en fonction de laquelle on doit établir qu'une restriction d'un droit ou d'une liberté constitue, malgré son effet, une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer". Du moment que le critère de la proportionnalité est respecté, ce serait, dans les circonstances de la présente affaire, s'écarter de ces principes et de ces valeurs sous-jacents que de permettre à un employeur d'invoquer avec succès la Charte. L'inégalité dans des relations de travail se poursuivrait même après la cessation de l'emploi avec cette conséquence que le travailleur qui se chercherait un nouvel emploi serait placé dans une position de négociation, vis‑à‑vis des employeurs éventuels, encore plus inégale que c'est habituellement le cas. Compte tenu des faits de l'espèce, accorder une protection constitutionnelle à la liberté d'expression équivaudrait à fermer les yeux sur la continuation d'un abus de relations de travail déjà inégales.

2. La proportionnalité

a) Le lien rationnel

L'ordonnance négative, tout comme l'ordonnance positive, est dans une très large mesure rationnellement liée à l'objectif poursuivi. L'arbitre a clairement estimé que l'intimé avait fait l'objet d'un genre de vendetta personnelle ou d'un "coup monté", pour reprendre l'expression du juge Mahoney, précité, à la p. 258, qui avait été imaginé par le directeur général de l'employeur et mis à exécution par sa directrice des ventes qui était le supérieur immédiat de M. Davidson.

Comme je l'ai déjà indiqué, on a conclu que le représentant de l'employeur avait fait preuve de mauvaise foi et de duplicité en rendant un témoignage trompeur sur le rendement de M. Davidson tant au moment de son renvoi qu'au cours de l'audition relative au congédiement injuste. De plus, en décidant que la réintégration n'était pas un redressement viable, l'arbitre a motivé sa décision en affirmant que "[r]ien n'indique qu'il ferait l'objet d'un traitement équitable de la part d'un employeur qui a tout tenté pour justifier l'indéfendable". Étant donné cette histoire prouvée consistant à favoriser une version fabriquée de la qualité des services de M. Davidson et la crainte que l'employeur continue de le traiter injustement s'il revenait travailler pour lui, il était logique que l'arbitre prescrive dans l'ordonnance une lettre de recommandation pour s'assurer que les représentants de l'employeur ne détruiraient pas l'effet de la lettre en disant, sans justification, du mal de son employé antérieur sous prétexte de donner des références.

b) L'atteinte minimale

À mon avis, il n'y avait aucune autre mesure moins envahissante que l'arbitre aurait pu prendre et qui lui aurait vraisemblablement permis d'atteindre quand même l'objectif. Dans la mesure où il était probable que les représentants de Q107 ne se contenteraient pas de transmettre la lettre de recommandation sans faire le genre de commentaires mensongers qui avaient entraîné la conclusion qu'il y avait eu congédiement injuste, il était tout aussi probable que la lettre de recommandation deviendrait illusoire.

Certes, une ordonnance de versement d'une indemnité monétaire additionnelle empiéterait nettement moins sur la liberté d'expression de l'appelante, mais ce ne serait pas un substitut acceptable. Même si l'arbitre avait ordonné que M. Davidson puisse revenir une fois qu'il aurait obtenu un emploi et reçu une indemnité, en plus des prestations d'assurance‑chômage, pour la période vraiment chômée, il s'agirait seulement d'une indemnité pour les conséquences économiques du chômage et non pour les conséquences personnelles. Cela va directement à l'encontre de l'objectif visé par l'ordonnance, c'est‑à‑dire l'obtention d'un nouvel emploi dans les plus brefs délais possibles; cet objectif a, bien entendu, pour corollaire le souci de soulager les problèmes personnels associés au fait d'être sans emploi. Comme l'affirme le professeur Beatty dans son article intitulé "Labour is not a Commodity", dans Reiter et Swan, éd., Studies in Contract Law (1980), aux pp. 323 et 324:

[TRADUCTION] Le sens que revêt le travail pour l'individu est perçu comme étant d'une plus grande portée et ne dépend pas complètement des fins de la production [. . .] [R]eflétant la caractérisation des êtres humains en tant, pour la plupart, que personnes actives et productives, l'aspect "identité" de l'emploi est de plus en plus considéré comme répondant à des besoins psychologiques profonds [. . .] Il reconnaît l'importance de fournir aux membres de la société la possibilité d'avoir une identité propre, d'avoir de l'importance et de se valoriser dans la collectivité, et ce, indépendamment de ce qu'on peut tirer du produit matériel de l'institution [. . .] [L]'emploi est perçu comme permettant de reconnaître que l'individu s'adonne à une activité valable [. . .] [L]'emploi finit par représenter le moyen par lequel la plupart des membres de notre collectivité peuvent prétendre à un droit égal au respect et à la considération des autres. C'est par cette institution que la plupart d'entre nous acquérons, pour une grande part, le respect de soi et la dignité personnelle. L'accent étant mis sur les contributions qu'on apporte à la société, on évite la démoralisation qui accompagne inévitablement l'oisiveté et l'exil, lors même qu'elle serait soulagée par l'aide sociale.

L'indemnisation monétaire ne peut être qu'une mesure de rechange si le travail est assimilé à un produit et si chaque jour sans travail est considéré comme étant parfaitement réductible à une valeur monétaire. Comme je l'ai affirmé dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, à la p. 368, "[l]'emploi est une composante essentielle du sens de l'identité d'une personne, de sa valorisation et de son bien‑être sur le plan émotionnel". Considérer le travail comme étant un produit est incompatible avec une telle perspective qui ressort de l'objectif de redressement choisi par l'arbitre. Présenter l'indemnisation monétaire comme une mesure moins envahissante revient en fait à contester la légitimité de l'objectif.

Examinons maintenant les faits de l'espèce. La lettre a été fermement et soigneusement conçue pour exposer seulement une variété très restreinte de faits qui, nous l'avons vu, n'étaient pas véritablement contestés. Comme je l'ai déjà dit, à la différence de l'arrêt Banque Nationale, précité, on n'a pas forcé l'employeur à exprimer des opinions ("opinions et sentiments", le juge Beetz, à la p. 295) différentes des siennes. L'ordonnance négative vise plutôt à empêcher l'employeur de transmettre une opinion, cette interdiction étant intimement liée à l'histoire d'abus de pouvoir dont on avait conclu à l'existence. De plus, cette interdiction est très circonscrite. En premier lieu, elle ne s'applique que dans les cas où on communique avec l'appelante en vue d'obtenir des références et, en second lieu, il n'y a aucune obligation d'envoyer la lettre à quelqu'un d'autre que les employeurs éventuels. Somme toute, il s'agit d'une ordonnance soigneusement conçue et beaucoup moins envahissante que celle de l'arrêt Banque Nationale où la banque était tenue d'envoyer à un très grand nombre de gens (tous les employés et le personnel de direction de la banque) ce qui équivalait à une lettre de contrition qui donnait l'impression que certaines opinions y exprimées étaient celles de l'employeur.

Enfin, on ne peut passer sous silence le fait qu'il se peut qu'une lettre comme celle dont il est question n'ait pas un effet bénéfique sur la recherche d'emploi par un employé. La lettre a un ton très neutre, et n'est pas du tout enjolivée par une opinion qu'on trouve habituellement dans les lettres de recommandation, et elle mentionne le fait qu'on a conclu à un congédiement injuste. Il me semble que l'arbitre s'est contenté de faire le strict nécessaire pour atteindre l'objectif et, même là, on peut dire que les mesures qu'il a prises n'ont rien fait de plus qu'améliorer la possibilité que l'intimé se trouve un emploi, plutôt que d'assurer qu'il s'en trouve un. L'arbitre n'a nullement poursuivi l'objectif sans tenir compte du droit de l'appelante à la liberté d'expression.

c) Les effets préjudiciables

À mon avis, il est clair que les effets des mesures ne sont pas préjudiciables au point de l'emporter sur leur objectif. On ne saurait trop insister sur l'importance de l'objectif analysé précédemment. Il existe plusieurs valeurs différentes qui méritent d'être protégées dans une société libre et démocratique comme la société canadienne, et seules certaines d'entre elles sont expressément prévues dans la Charte. Les valeurs fondamentales d'une société libre et démocratique garantissent les droits prévus dans la Charte et, lorsque cela est indiqué, justifient la restriction de ces droits. Comme on l'a dit dans l'arrêt Oakes, précité, à la p. 136, parmi les valeurs fondamentales essentielles à notre société libre et démocratique figurent "la dignité inhérente de l'être humain" et "la promotion de la justice et de l'égalité sociales". Compte tenu particulièrement de la ratification par le Canada du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, A.G. Rés. 2200 A (XXI), 21 N.U. GAOR, Supp. (no 16) 49, Doc. A/6316 N.U. (1966), et de l'engagement qu'on y trouve de protéger notamment le droit de travailler sous ses divers aspects figurant à l'article 6 de ce traité, on ne peut douter de l'importance très grande de l'objectif en l'espèce. Dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), précité, j'ai affirmé à la p. 349:

Le contenu des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne est, à mon avis, un indice important du sens de l'expression "bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte". Je crois qu'il faut présumer, en général, que la Charte accorde une protection à tout le moins aussi grande que celle qu'offrent les dispositions similaires des instruments internationaux que le Canada a ratifiés en matière de droits de la personne.

Étant donné la double fonction de l'article premier que l'on a identifiée dans l'arrêt Oakes, les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne devraient renseigner non seulement sur l'interprétation du contenu des droits garantis par la Charte, mais aussi sur l'interprétation de ce qui peut constituer des objectifs urgents et réels au sens de l'article premier qui peuvent justifier la restriction de ces droits. De plus, aux fins de cette étape de l'examen de la proportionnalité, le fait qu'une valeur ait le statut d'un droit de la personne international, soit selon le droit international coutumier, soit en vertu d'un traité auquel le Canada est un État partie, devrait en général dénoter un degré élevé d'importance attaché à cet objectif. Cela est en accord avec l'importance que la Cour attribue à la protection des employés en tant que groupe vulnérable dans la société.

Normalement, la suppression de son droit d'exprimer une opinion sur un sujet ou une personne constitue une violation grave de l'al. 2b) et n'est compensée que par de très importants objectifs. Dans l'analyse qui précède, j'ai cherché à démontrer que l'ordonnance négative était, relativement parlant, la moins envahissante possible, et que la conception soignée des deux parties de l'ordonnance a fait que celle‑ci viole l'al. 2b) dans une mesure bien moins grave que ce qui s'est produit notamment dans l'affaire Banque Nationale.

V

Conclusion

En conclusion, j'estime que les deux ordonnances contestées de l'arbitre (la positive et la négative) violent l'al. 2b), mais qu'elles sont sauvegardées par l'article premier. Je suis d'avis de répondre par l'affirmative aux deux questions constitutionnelles et de rejeter le pourvoi avec dépens.

//Le juge Beetz//

Version française des motifs rendus par

LE JUGE BEETZ (dissident) --

I ‑ Introduction

J'ai pris connaissance des motifs de jugement rédigés par le juge Lamer et puis de ceux du Juge en chef. Je me réfère à leur exposé des faits, des procédures et des questions constitutionnelles, ainsi qu'à leur résumé des décisions rendues par l'arbitre et par la Cour d'appel fédérale.

À l'instar du Juge en chef, je suis d'accord avec l'analyse que le juge Lamer a faite de l'applicabilité de la Charte au processus décisionnel administratif, et je suis également d'accord avec son interprétation de l'al. 61.5(9)c) du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L‑1, modifié par S.C. 1977‑78, chap. 27, art. 21.

Toutefois, je regrette de ne pouvoir souscrire à l'une des deux principales conclusions tirées par mes deux collègues, et, bien que je sois d'accord avec l'autre conclusion principale du juge Lamer, je le suis pour des motifs qui diffèrent en partie de ses propres motifs.

Les deux ordonnances contestées qui ont été délivrées par l'arbitre en l'espèce sont ainsi rédigées:

En vertu du pouvoir que me confère l'alinéa c) du paragraphe (9) de l'article 61.5, j'ordonne également ce qui suit:

Que l'employeur remette au plaignant, avec un double à moi‑même, une lettre de recommandation attestant:

(1) Que M. Ron Davidson a été engagé par la station Q107 à titre de vendeur de temps d'antenne à la radio, et ce de juin 1980 au 20 janvier 1984;

(2) Que son "budget" ou quota de ventes pour 1981 s'élevait à 248 000 $ et qu'il a atteint 97,3 % de ce même budget;

(3) Que son "budget" ou quota de ventes pour 1982 se montait à 343 500 $ et qu'il a atteint 100,3 % de ce budget;

(4) Que son "budget" ou quota de ventes pour 1983 était de 402 200 $ et qu'il a atteint 114,2 % de ce budget;

(5) Qu'à la suite de son congédiement survenu en janvier 1984, un arbitre (nommé par le ministre du Travail), après avoir entendu les témoignages et les observations des deux parties, a décrété que le congédiement en question avait été injuste.

J'ordonne en outre que toute demande de renseignements par voie de communication épistolaire, téléphonique ou autre faite à la station Q107, à sa direction ou à son personnel par une personne ou compagnie relativement à l'emploi de M. Ron Davidson à ladite station doit donner lieu pour toute réponse à l'envoi d'un double de la lettre de recommandation susmentionnée.

La première ordonnance, qualifiée de positive, se rapporte à une lettre de recommandation qui comprend cinq attestations numérotées de 1) à 5).

La deuxième ordonnance, qualifiée de négative, interdit à l'appelante de répondre à toute demande de renseignements au sujet de l'emploi de l'intimé à la station Q107 autrement que par l'envoi de la lettre de recommandation dictée par l'arbitre dans la première ordonnance.

Il s'agit principalement de savoir si ces deux ordonnances portent atteinte aux libertés garanties à l'appelante par l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l'affirmative, si elles sont justifiées par l'article premier de la Charte.

L'article premier et l'al. 2b) de la Charte sont ainsi conçus:

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:

. . .

b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

Je formule tout d'abord mes conclusions. À mon avis, la première ordonnance, c'est‑à‑dire la positive, à l'exception de sa cinquième attestation, ainsi que la deuxième ordonnance, c'est‑à‑dire la négative dans son intégralité, violent la liberté d'opinion et la liberté d'expression de l'appelante et ne sauraient être justifiées en vertu de l'article premier de la Charte.

Je m'empresse d'ajouter qu'il est facile de remédier au vice qui, selon moi, entache la première ordonnance. Quant à la deuxième ordonnance, on peut la remplacer par une autre qui tend à la même fin sans pour autant violer la Charte.

II ‑ La première ordonnance

Le vice qui, selon moi, entache la première ordonnance, particulièrement en ce qui concerne ses attestations numérotées de 1) à 4), réside dans le fait que cette ordonnance force l'employeur à rédiger des exposés de faits comme s'il s'agissait d'exposés de son propre cru, auxquels, à tort ou à raison, il ne croit peut‑être pas, ou qu'il peut en fin de compte trouver ou estimer inexacts, trompeurs ou faux. Autrement dit, la première ordonnance peut forcer l'employeur à mentir. À cet égard particulier, on ne saurait, à mon avis, distinguer l'espèce de l'affaire Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce, [1984] 1 R.C.S. 269, où cette Cour à la majorité affirme, à la p. 296:

Les remèdes no 5 et no 6 forcent donc la Banque et son président à poser un geste et à écrire une lettre peut‑être trompeurs ou mensongers.

Ce type de sanctions est totalitaire et par conséquent étranger à la tradition de pays libres comme le Canada, même pour la répression des actes criminels les plus graves. Je ne puis me convaincre que le Parlement du Canada ait voulu conférer au Conseil canadien des relations du travail le pouvoir d'imposer des mesures aussi extrêmes, si tant est qu'il soit habile à le faire, vu la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression. Ces libertés garantissent à chacun le droit d'exprimer les opinions qu'il peut avoir: à plus forte raison interdisent‑elles que l'on contraigne quiconque à professer des opinions peut‑être différentes des siennes.

Il a été allégué que la présente affaire est différente en ce que la lettre de recommandation repose totalement sur des faits, et que les faits y exposés et constatés par l'arbitre n'étaient pas contestés. Le juge Mahoney de la Cour d'appel fédérale a accepté cet argument: [1985] 1 C.F. 253. Voici ce qu'il écrit, à la p. 260:

Je connais, il va de soi, la décision Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce et autre, [1984] 1 R.C.S. 269. La lettre dont on ordonnait l'envoi dans cette affaire obligeait l'employeur à formuler, ou à tout le moins à sous‑entendre, des opinions qu'il ne partageait pas nécessairement. En l'espèce, on a tout simplement ordonné à la requérante de dire la vérité. La lettre énonce simplement des faits qui ne sont ni trompeurs ni contestés. [Je souligne.]

J'estime en toute déférence qu'en acceptant ainsi cet argument, le juge Mahoney n'a rien compris et a éludé la question essentielle: quelle est la vérité? Les faits que l'arbitre a jugés exacts s'imposent aux fins d'établir s'il y a eu congédiement injuste. Mais on ne saurait forcer l'ancien employeur à les reconnaître et à les exposer comme si c'était de la vérité, sans tenir compte de sa croyance à leur exactitude. S'il expose ces faits dans la lettre, comme il lui a été ordonné de le faire, mais qu'il ne croie pas à leur exactitude, il ne dit pas la vérité, il ment. Il n'a peut‑être pas contesté ces faits au moment de l'audition, mais il se pourrait, par exemple, que les éléments de preuve découverts après que la décision de l'arbitre eut été rendue le fasse changer d'avis.

Il peut y avoir une distinction, qu'il est quelque peu difficile d'appliquer, entre le fait d'être forcé à exprimer des opinions ou des points de vue qu'on ne partage pas nécessairement, et le fait d'être contraint à exposer des faits, dont on ne croit pas nécessairement à l'exactitude; mais j'estime que ces deux types de coercition constituent des violations flagrantes des libertés d'opinion et d'expression ou, à tout le moins, de la liberté d'expression. C'est la raison pour laquelle je ne saurais, en toute déférence, partager l'idée que la restriction de la liberté d'expression qui découle de la première ordonnance n'est ni très sérieuse ni très grave. L'innocuité superficielle de la première ordonnance ne devrait pas nous empêcher de constater sa nature et la manière positive dont elle viole la liberté d'expression. C'est une chose que d'interdire la divulgation de certains faits. C'est une toute autre chose que d'ordonner la confirmation de faits sans tenir compte de la croyance à leur exactitude par la personne qui reçoit l'ordre de les confirmer. L'interdiction viole à première vue les libertés d'opinion et d'expression, mais une telle interdiction peut, dans certaines circonstances, être justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. D'autre part, ordonner la confirmation de faits, sans tenir compte de la croyance à leur exactitude par la personne qui reçoit l'ordre de les confirmer, constitue une violation beaucoup plus grave des libertés d'opinion et d'expression, ainsi qu'il a été statué dans l'arrêt Banque Nationale du Canada, précité. À mon avis, une telle violation revêt un caractère totalitaire et ne peut jamais être justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. Essentiellement, elle équivaut à l'ordre donné à Galilée par l'Inquisition d'abjurer la cosmologie de Copernic. Tel que précisé dans les motifs unanimes de cette Cour dans l'arrêt Procureur général du Québec c. Quebec Association of Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66, à la p. 88, on ne saurait recourir à l'article premier de la Charte pour justifier la négation complète d'un droit ou d'une liberté que protège la Constitution:

Les dispositions de l'art. 73 de la Loi 101 heurtent de front celles de l'art. 23 de la Charte et ne sont pas des restrictions qui peuvent être légitimées par l'art. 1 de la Charte. Ces restrictions ne peuvent être des dérogations aux droits et libertés garanties par la Charte ni équivaloir à des modifications de la Charte. Une loi du Parlement ou d'une législature qui par exemple prétendrait imposer les croyances d'une religion d'État entrerait en conflit direct avec l'al. 2a) de la Charte qui garantit la liberté de conscience et de religion, et devrait être déclarée inopérante sans qu'il y ait même lieu de se demander si une telle loi est susceptible d'être légitimée par l'art. 1. [Je souligne.]

(Voir également Reference re Alberta Statutes, [1938] R.C.S. 100, concernant The Accurate News and Information Act de l'Alberta.)

Malgré la gravité du vice qui, selon moi, entache la première ordonnance, on peut néanmoins, comme je l'ai indiqué plus haut, y remédier facilement. Il suffirait d'ajouter à la lettre une phrase ou des phrases indiquant que les attestations numérotées de 1) à 4) se rapportent aux faits constatés par l'arbitre.

Pour ce qui est de la cinquième attestation, j'estime qu'elle ne pose aucune difficulté puisqu'elle a trait à un fait consigné.

III ‑ La deuxième ordonnance

La deuxième ordonnance prend la forme d'une interdiction de répondre aux demandes de renseignements concernant l'emploi de l'intimé à la station Q107 autrement que par l'envoi de la lettre de recommandation décrite dans la première ordonnance.

Je conviens avec le juge Lamer que l'envoi de la lettre telle qu'elle a été rédigée par l'arbitre, accompagné de l'interdiction de dire ou d'écrire quoi que ce soit d'autre, pourrait laisser insinuer que l'employeur n'a pas d'autres remarques à faire au sujet du rendement de l'intimé et que, par conséquent, la lettre traduit l'opinion de l'ancien employeur. Puisque c'est le cas, la deuxième ordonnance, jointe à la première, viole également les libertés d'opinion et d'expression de l'ancien employeur d'une manière qui, pour les motifs exposés ci‑dessus, ne saurait être justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.

Le risque d'une telle insinuation pourrait être réduit et même éliminé si on rectifiait la première ordonnance comme je l'ai proposé plus haut. Mais j'estime que nous devons statuer sur l'affaire en fonction de l'état actuel des ordonnances, et non comme nous le ferions si des corrections y étaient apportées.

En tout état de cause, la deuxième ordonnance est, selon moi, disproportionnée et déraisonnable. J'estime qu'on devrait se méfier énormément d'une ordonnance administrative ou même d'une ordonnance judiciaire qui a pour effet d'empêcher les justiciables de commenter et même de critiquer les décisions d'une commission ou d'une cour.

Les arbitres et les commissions qui, dans les cas de congédiement injuste, ordonnent aux anciens employeurs d'envoyer des lettres de recommandation se trouvent devant un dilemme. Ils ne peuvent prévoir tous les types possibles d'échanges qui sont susceptibles d'avoir lieu entre les anciens employeurs et les employeurs éventuels. Ils imposent donc une interdiction générale et perpétuelle d'écrire ou de dire quoi que ce soit à l'exception de ce qu'ils ont dicté dans la lettre de recommandation. Cela peut conduire à des résultats absurdes et qui vont même à l'encontre du but recherché.

Ainsi donc, en l'espèce, si, après avoir reçu la lettre dictée par l'arbitre, un employeur éventuel devait poser des questions précises à l'ancien employeur sur par exemple la santé de l'intimé ou sa tempérance, l'appelante devrait continuer de répondre avec des statistiques de ventes. Cela ne pourrait que compromettre les chances d'emploi de l'intimé. Ou encore si l'ancien employeur avait enfin compris et si, à cause du remords, il devenait disposé à écrire une lettre beaucoup plus flatteuse que celle dictée par l'arbitre, il ne pourrait le faire.

L'absurdité qui découle de la deuxième ordonnance de l'arbitre suffit à justifier, à mon avis, son annulation. Elle est disproportionnée et déraisonnable du point de vue pratique. Alors elle doit être déraisonnable sur le plan du droit administratif, et j'imagine difficilement qu'elle puisse être raisonnable au sens de l'article premier de la Charte.

Cela étant dit, je conviens que l'arbitre se préoccupait légitimement du risque que l'ancien employeur mine l'effet de la lettre de recommandation. Bien que j'estime que l'interdiction qu'il a imposée pour écarter cette possibilité est disproportionnée et déraisonnable, on aurait pu, à mon avis, concevoir d'autres moyens légitimes pour atteindre la même fin. L'arbitre aurait pu par exemple enjoindre à l'ancien employeur d'écrire dans la lettre qu'il avait reçu de l'arbitre l'ordre de dire aux employeurs éventuels qu'il serait sage de leur part de prendre connaissance de la décision de l'arbitre. Je ne pense pas qu'eu égard à son ton neutre une telle ordonnance soit punitive, mais elle pourrait attirer l'attention des employeurs éventuels sur l'animosité de l'ancien employeur à l'égard de l'intimé.

IV ‑ Conclusions

J'aborde un dernier point avant de tirer des conclusions proprement dites.

Je ne voudrais pas qu'on croie que je ferme les yeux sur le comportement extrêmement répréhensible de l'appelante. Mais en vertu de la Charte, les libertés d'opinion et d'expression sont garanties à "chacun", employeurs comme employés, sans tenir compte de leurs pratiques de travail et de leur pouvoir de négociation.

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer le jugement de la Cour d'appel fédérale ainsi que les première et deuxième ordonnances de l'arbitre citées dans les présents motifs de jugement et de renvoyer l'affaire à l'arbitre pour qu'il les remplace par une seule ou plusieurs ordonnances compatibles avec les présents motifs.

Je suis d'avis de répondre par l'affirmative à la première question constitutionnelle et par la négative à la deuxième question constitutionnelle.

Je suis d'avis de ne pas accorder de dépens.

//Le juge Lamer//

Les motifs suivants ont été rendus par

LE JUGE LAMER (dissident en partie) -- Un arbitre désigné par le ministre du Travail en vertu du par. 61.5(6) du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, a, en se fondant sur le par. 61.5(9) de ce Code, rendu une ordonnance en faveur d'un employé. L'employeur a contesté ladite ordonnance mais son appel fut rejeté par la Cour d'appel fédérale. L'employeur, avec la permission de cette Cour, se pourvoit maintenant devant nous de cette décision de la Cour d'appel fédérale. L'issue de ce pourvoi consiste à déterminer si l'arbitre avait le pouvoir, aux termes du par. 61.5(9) du Code canadien du travail, tel qu'il se lisait lors du prononcé de sa décision, de rendre l'ordonnance contestée en l'espèce.

Les faits

L'intimé était à l'emploi de l'appelante à titre de "vendeur de temps d'antenne" depuis trois ans et demi lorsqu'il fut congédié au motif que son rendement était insuffisant. Il n'est pas contesté que l'intimé, lors de ce congédiement, a reçu toutes les sommes auxquelles il avait droit selon son contrat de travail.

L'intimé a toutefois déposé, auprès d'un inspecteur, une plainte alléguant qu'il avait été injustement congédié. Les parties n'ayant pas réussi à régler cette plainte et l'intimé en ayant réclamé le renvoi à un arbitre, le ministre du Travail a, conformément au Code, désigné un arbitre pour entendre et décider de l'affaire.

Après avoir entendu la preuve et les représentations des parties, l'arbitre a rendu une ordonnance enjoignant à l'employeur de payer à l'intimé la somme de 46 628,96 $ avec intérêts au taux de 12 pour 100 à titre de compensation et de payer à son procureur la somme de 2 500 $ à titre de remboursement des frais légaux encourus. Ladite ordonnance impose également à l'employeur l'obligation de remettre à l'intimé une lettre de recommandation certifiant que ce dernier a été à l'emploi de la station Q107 de juin 1980 au 20 janvier 1984, qu'un arbitre a jugé qu'il avait été congédié injustement et indiquant quels étaient les objectifs de vente qui lui avaient été assignés ainsi que le montant des ventes qu'il a effectivement réalisées durant cette période. Il faut souligner que l'ordonnance rendue indique précisément les montants devant apparaître au chapitre des objectifs de vente et au chapitre des ventes effectivement réalisées. L'ordonnance enjoint finalement à l'appelante de ne répondre à une demande de renseignements concernant l'intimé que par l'envoi de cette lettre de recommandation.

Cette ordonnance est ainsi rédigée:

En ce qui concerne l'indemnité, je suis convaincu que, si le plaignant n'avait pas été congédié, ses ventes et ses commissions auraient au moins égalé celles de 1983. Après avoir pris en considération le fait qu'il a travaillé jusqu'au 20 janvier 1984 et qu'il a reçu par la suite certaines commissions (à des taux réduits), j'ordonne qu'il lui soit versé l'équivalent de 75 % de ses gains de 1983, qui se montent à 62 171,95 $, soit la somme de 46 628,96 $.

J'ordonne en outre qu'on lui verse un intérêt de 12 % par année, divisé par deux, sur le montant susmentionné, pour la période allant du 20 janvier au 20 novembre 1984. Par la suite, l'intérêt sur tout montant dû impayé sera versé au taux de 12 % par année, lequel ne sera pas divisé par deux.

Pour ce qui est des prestations d'assurance-chômage que le plaignant a reçues, la question sera résolue entre lui-même et la Commission.

J'ordonne aussi le paiement de 2 500 $ au titre des frais juridiques à l'avocat du plaignant, M. Morris Cooper.

D'autres ordonnances s'imposent, lesquelles ressemblent à celle rendue par l'arbitre Adams dans l'affaire Roberts, sauf que celles-là sont plus détaillées.

En vertu du pouvoir que me confère l'alinéa c) du paragraphe (9) de l'article 61.5, j'ordonne également ce qui suit:

Que l'employeur remette au plaignant, avec un double à moi-même, une lettre de recommandation attestant:

(1) Que M. Ron Davidson a été engagé par la station Q107 à titre de vendeur de temps d'antenne à la radio, et ce de juin 1980 au 20 janvier 1984;

(2) Que son "budget" ou quota de ventes pour 1981 s'élevait à 248 000 $ et qu'il a atteint 97,3 % de ce même budget;

(3) Que son "budget" ou quota de ventes pour 1982 se montait à 343 500 $ et qu'il a atteint 100,3 % de ce budget;

(4) Que son "budget" ou quota de ventes pour 1983 était de 402 200 $ et qu'il a atteint 114,2 % de ce budget;

(5) Qu'à la suite de son congédiement survenu en janvier 1984, un arbitre (nommé par le ministre du Travail), après avoir entendu les témoignages et les observations des deux parties, a décrété que le congédiement en question avait été injuste.

J'ordonne en outre que toute demande de renseignements par voie de communication épistolaire, téléphonique ou autre faite à la station Q107, à sa direction ou à son personnel par une personne ou compagnie relativement à l'emploi de M. Ron Davidson à ladite station doit donner lieu pour toute réponse à l'envoi d'un double de la lettre de recommandation susmentionnée.

Ce n'est que les parties de l'ordonnance relatives 1) à la délivrance d'une lettre de recommandation et 2) à l'interdiction de répondre à une demande de renseignements autrement que par l'envoi de cette lettre que l'appelante conteste devant cette Cour.

Les jugements antérieurs

L'appelante a contesté cette ordonnance en présentant une demande d'annulation à la Cour d'appel fédérale. La Cour d'appel fédérale, composée alors des juges Urie, Mahoney et Marceau (dissident), a toutefois rejeté cette demande d'annulation: [1985] 1 C.F. 253.

Le juge Mahoney, dans ses motifs, se dit d'abord d'avis que le but de l'al. 61.5(9)c) et le fait qu'il serait difficile, voire même impossible, de trouver des remèdes similaires aux remèdes expressément autorisés aux al. a) et b) démontrent que la présence du mot "like" dans la version anglaise de l'al. 61.5(9)c) ne vise pas à restreindre les pouvoirs conférés à l'arbitre. Selon lui, cet alinéa ne fait qu'énoncer une espèce de règle ejusdem generis qui n'a toutefois pas pour effet de restreindre l'étendue des pouvoirs conférés.

Ordonner à l'employeur de remettre une lettre de références à l'intimé constitue à son avis un remède équitable qui vise à remédier aux effets du congédiement et non à punir l'employeur. Cette lettre, selon lui, ne fait qu'énoncer des faits objectifs qui ne sont pas contestés et, en conséquence, ne fait qu'imposer à l'employeur l'obligation de dire la vérité.

Il est toutefois d'accord avec la prétention de l'appelante selon laquelle cette partie de la décision ordonnant à l'employeur de remettre une lettre de références porte atteinte à sa liberté d'expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Cette atteinte, selon lui, est toutefois justifiée aux termes de l'article premier de cette même Charte. Il souligne le fait que cette restriction à la liberté d'expression est apportée par une règle de droit puisque c'est la loi qui autorise l'arbitre à rendre une telle ordonnance.

Le juge Urie, quant à lui, se dit d'accord avec les motifs énoncés par son collègue le juge Mahoney. Il indique toutefois qu'il n'est pas certain que la règle ejusdem generis puisse s'appliquer d'une façon quelconque à l'interprétation de l'al. 61.5(9)c).

Finalement le juge Marceau rédige ses propres motifs qui, à certains égards, sont contraires aux motifs de la majorité. Dans un premier temps, il se dit d'accord avec le juge Mahoney quant à la façon d'interpréter l'al. 61.5(9)c) tout en émettant toutefois des réserves quant à l'application de la règle ejusdem generis. Il souligne que les pouvoirs conférés à l'arbitre sont déjà clairement limités par le fait que les ordonnances qu'il est habilité à rendre en vertu de l'al. c) doivent viser à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

Or, selon lui les remèdes ordonnés en l'espèce sont de deux types dont l'un est positif et l'autre négatif. La partie de l'ordonnance qui enjoint à l'employeur de remettre à l'intimé et à toute personne qui désire de l'information à son égard une lettre de références ayant un contenu déterminé est, à son avis, une ordonnance qui peut être qualifiée de positive. Elle enjoint en effet à l'employeur de faire quelque chose et vise à remédier aux effets du congédiement qualifié d'injuste, elle est en conséquence autorisée par l'al. 61.5(9)c). La partie de cette même ordonnance qui, par ailleurs, interdit à l'employeur de répondre à une demande de renseignements relative à l'intimé autrement que par la remise de cette lettre peut quant à elle être qualifiée de négative puisqu'elle interdit à l'employeur de faire quelque chose. Une telle ordonnance, selon lui, ne vise pas à remédier aux effets du congédiement et, de ce fait, n'est pas autorisée par ledit alinéa.

Cette partie de l'ordonnance, de plus, enfreint selon lui la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression garantie à l'appelante par l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il indique qu'il ne croit pas possible de dire que cette restriction est apportée par une règle de droit puisque les limites de cette restriction ne sont pas déterminées par la disposition législative en cause. Il ajoute toutefois que quoi qu'il en soit il est d'avis que ces libertés ne sont pas restreintes dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Il est en conséquence d'avis d'accueillir la demande d'annulation et de retourner le dossier à l'arbitre concerné afin que celui-ci détermine les remèdes qu'il serait approprié d'imposer afin de contrecarrer les effets du congédiement.

Les dispositions législatives

Les dispositions législatives suivantes sont pertinentes à ce pourvoi:

Code canadien du travail

61.5. . . .

(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe (8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut, par ordonnance, requérir l'employeur

a) de payer à cette personne une indemnité ne dépassant pas la somme qui est équivalente au salaire qu'elle aurait normalement gagné si elle n'avait pas été congédiée;

b) de réintégrer la personne dans son emploi; et

c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier.

Charte canadienne des droits et libertés

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:

a) liberté de conscience et de religion;

b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de presse et des autres moyens de communication;

c) liberté de réunion pacifique;

d) liberté d'association.

32. (1) La présente charte s'applique:

a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest;

b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.

Analyse

L'appelante, dans un premier temps, prétend que l'arbitre n'avait pas le pouvoir de rendre ces parties de l'ordonnance puisque les ordonnances qu'il est autorisé à rendre en vertu de l'al. 61.5(9)c) doivent être de même nature que les ordonnances expressément mentionnées aux al. 61.5(9)a) et b) vu le mot "like" apparaissant à la version anglaise.

Les versions anglaise et française de l'al. 61.5(9)c) sont, en apparence, différentes. L'alinéa 61.5(9)c) de la version anglaise confère en effet en ces termes un pouvoir général à l'arbitre:

61.5. . . .

(9) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (8) that a person has been unjustly dismissed, he may, by order, require the employer who dismissed him to

. . .

(c) do any other like thing that is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal. [Je souligne.]

La version française, quant à elle, ne contient aucun mot ou expression équivalant au mot "like" utilisé dans la version anglaise. Le pouvoir général conféré à l'arbitre lui est conféré en ces termes:

61.5. . . .

(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe (8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut, par ordonnance, requérir l'employeur

. . .

c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier.

Il faut donc, dans un premier temps, tenter de concilier ces deux versions. Pour ce faire il faut tenter de dégager des textes le sens qui est commun aux deux versions et vérifier si celui-ci semble conciliable avec l'objet et l'économie générale du Code.

En l'espèce, je suis d'avis, comme l'étaient les juges de la Cour d'appel fédérale, que la présence du mot "like" dans l'al. c) de la version anglaise n'a pas pour but et n'a pas comme conséquence de limiter les pouvoirs conférés à l'arbitre en ne lui permettant de rendre que des ordonnances similaires aux ordonnances expressément mentionnées aux al. a) et b) du même paragraphe. Interpréter ainsi cette disposition signifierait en effet l'application de la règle ejusdem generis. Or, il me semble impossible d'appliquer cette règle en l'espèce puisqu'une des conditions essentielles à son application n'est pas remplie. Il faut en effet que les termes spécifiques (en l'espèce les ordonnances énoncées aux al. a) et b)) qui précèdent le terme général (le pouvoir conféré à l'arbitre à l'al. c) de rendre toute ordonnance qu'il juge équitable) aient une caractéristique commune, un genre commun. Comme l'a écrit Maxwell dans Maxwell on the Interpretation of Statutes (12e éd. 1969), à la p. 299:

[TRADUCTION] S'il n'y a pas de genre, de classe ou de catégorie, la doctrine ejusdem generis ne peut s'appliquer.

Le professeur Côté souligne également cette nécessité lorsqu'il écrit dans son volume intitulé Interprétation des lois (1982), à la p. 266:

Troisième condition d'application: il faut que les termes spécifiques aient en commun une caractéristique significative, qu'on puisse les considérer comme des espèces d'une catégorie de choses. Sans caractéristique commune, la règle ejusdem generis est inapplicable.

En l'espèce, je ne vois pas quelle caractéristique pourrait être qualifiée de commune à une ordonnance de compensation et à une ordonnance de réintégration. La seule "caractéristique" qui me semble commune à ces deux ordonnances dans le contexte du par. 61.5(9) c'est le fait que ces ordonnances visent toutes deux à remédier ou à contrebalancer les effets du congédiement qualifié d'injuste par l'arbitre. L'alinéa c) stipule toutefois expressément que l'ordonnance rendue en vertu de cet alinéa doit viser à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier. Cette "caractéristique commune" ne peut donc être utile dans le cadre de l'application de la règle ejusdem generis puisque le législateur a déjà expressément stipulé que les ordonnances que l'arbitre a le pouvoir de rendre doivent posséder cette caractéristique. Alors même si je devais admettre que la version anglaise devrait prévaloir sur la version française, ce que je n'admets pas, je serais néanmoins d'avis que cette disposition est ambiguë et que la façon la plus rationnelle de l'interpréter consiste à dire que la présence du mot "like" dans cette version n'a pas pour effet de limiter le pouvoir général conféré à l'arbitre. Cette interprétation est d'ailleurs beaucoup plus conforme à l'économie générale du Code et en particulier au but de la division V.7 qui est d'offrir à l'employé non-syndiqué un moyen de contester un congédiement qu'il juge injuste et parallèlement d'offrir à l'arbitre les pouvoirs nécessaires pour remédier aux effets d'un tel congédiement. L'article 61.5 est une disposition clairement réparatrice qui, de ce fait, doit être interprétée largement. Interpréter l'al. c) de la façon dont le suggère l'appelante aurait pour conséquence de limiter considérablement le type d'ordonnance que pourrait rendre l'arbitre. Il serait en effet très difficile de trouver des remèdes semblables aux remèdes prévus aux al. a) et b). L'étendue de la compensation qui peut être ordonnée a été soigneusement limitée par le législateur tandis que la réintégration n'a pas vraiment de ressemblance avec une quelconque autre mesure. Or, je crois que le législateur, en édictant l'al. 61.5(9)c), a au contraire voulu investir l'arbitre de pouvoirs suffisamment larges et suffisamment souples pour que ce dernier puisse s'acquitter adéquatement des fonctions qui lui sont confiées et ce à l'égard de chacun des cas qui se présentent à lui. Je suis donc d'avis que le sens qui doit être donné aux deux versions est celui qui apparaît nettement à la face de la version française et qu'en conséquence l'on ne saurait limiter le type d'ordonnances que l'arbitre peut rendre aux ordonnances du genre de celles expressément autorisées aux al. a) et b).

L'appelante prétend également que l'arbitre a excédé sa juridiction puisqu'il n'existe aucun rapport entre l'ordonnance rendue en l'espèce, le congédiement et les conséquences de ce congédiement. Je ne peux partager entièrement son avis à cet égard. La partie de l'ordonnance relative à l'envoi d'une lettre de références vise nettement, selon moi, à contrecarrer les effets du congédiement que l'arbitre a qualifié d'injuste. En effet, cette partie de l'ordonnance vise à empêcher que la décision de l'employeur de congédier l'intimé puisse avoir des effets négatifs sur les chances de ce dernier de se trouver un nouvel emploi. La lettre de références vise à corriger l'impression donnée par le fait du congédiement en indiquant clairement que ce congédiement fut jugé injuste par un arbitre et en indiquant clairement certaines données "objectives" relatives à la prestation de travail fournie par l'intimé. Il s'agit donc d'une situation très différente de celle qui existait dans l'affaire Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce, [1984] 1 R.C.S. 269.

Dans cette affaire le Conseil canadien des relations du travail avait constaté que la Banque Nationale du Canada, qui avait fermé une succursale syndiquée pour l'intégrer à une succursale non-syndiquée, avait pris sa décision pour des motifs anti-syndicaux et avait, de ce fait, violé les al. 184(1)a) et (3)a) du Code canadien du travail. Ces dispositions interdisent à un employeur, entre autres, de s'ingérer dans la formation et l'administration d'un syndicat et de suspendre, transférer ou mettre à pied un employé au motif que ce dernier est membre d'un syndicat. Le Conseil canadien des relations du travail avait donc ordonné à la Banque de faire un certain nombre de choses. Parmi ces choses se trouvait l'obligation de créer un fonds en fidéicommis destiné à promouvoir les objectifs du Code auprès de tous ses employés et d'envoyer à ces employés une lettre les informant de la création de ce fonds. L'ordonnance indiquait précisément quel devait être le texte de ladite lettre et interdisait à l'employeur d'ajouter ou de soustraire quoi que ce soit à ce texte. Le juge Chouinard, aux motifs duquel les autres membres de cette Cour ont souscrit, s'est dit d'avis que la partie de l'ordonnance qui prescrivait la création d'un fonds en fidéicommis devait être cassée puisqu'il n'y avait pas de rapport entre ce remède d'une part et l'acte reproché et ses conséquences d'autre part. Étant d'avis que la lettre que l'employeur devait expédier avait comme élément dominant l'annonce de la création de ce fonds, il a jugé que cette partie de l'ordonnance devait subir le même sort que celui réservé à la partie de l'ordonnance relative à la création du fonds. Le juge Beetz, quant à lui, a ajouté qu'à son avis tant la création du fonds que la lettre étaient susceptibles d'être interprétées comme si c'était la Banque Nationale du Canada qui en prenait l'initiative, comme si elles reflétaient les opinions de cette dernière et plus particulièrement son approbation du Code canadien du travail et de ses objectifs. Il s'est donc dit d'avis que cette partie de l'ordonnance était contraire aux traditions démocratiques de notre pays et, qu'en conséquence, elle ne pouvait pas avoir été autorisée par le Parlement du Canada.

Dans le cas qui nous occupe en l'espèce, la lettre que l'employeur a l'obligation de remettre à l'intimé est d'une nature différente de la lettre que devait expédier la Banque Nationale du Canada dans cette dernière affaire. Elle n'exprime aucune opinion et se borne à énoncer des faits qui, comme l'a admis le procureur de l'appelante lors de l'audition, et il est important de le noter, ne sont pas contestés. Ordonner à un employeur de remettre à un ancien employé une lettre de références ne contenant que des faits objectifs qui ne sont pas contestés ne me semble pas déraisonnable en soi. Une telle ordonnance peut être tout à fait justifiée dans certaines circonstances et en l'espèce rien ne démontre que l'arbitre aurait poursuivi une finalité impropre, aurait agi de mauvaise foi ou de façon discriminatoire. Cette ordonnance n'étant pas déraisonnable, il n'appartient pas à cette Cour d'en évaluer l'opportunité ni de substituer sa propre opinion à celle de son auteur à moins bien sûr que cette décision restreigne un droit protégé par la Charte canadienne des droits et libertés.

À ce stade, je ne suis donc pas prêt à affirmer que la nature de cette partie de l'ordonnance est telle que l'arbitre a nécessairement excédé sa juridiction en la prononçant. Abstraction faite de l'argument constitutionnel à l'effet que cette ordonnance porte atteinte à la liberté d'expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, je suis donc d'avis que l'arbitre avait le pouvoir de rendre cette partie de l'ordonnance contestée en l'espèce. La seule limite imposée par le par. 61.5(9) quant au type d'ordonnance que peut rendre l'arbitre c'est que toute ordonnance doit viser à "contrebalancer les effets du congédiement ou [à] y remédier". Or, cette partie de l'ordonnance vise, selon moi, nettement ce but.

Mon opinion est toutefois différente quant à la partie de l'ordonnance qui interdit à l'employeur de répondre à une demande de renseignements concernant l'intimé autrement que par l'envoi de cette lettre de références. Quoique cette partie de l'ordonnance vise probablement à contrecarrer les effets du congédiement ou à y remédier, je suis d'avis que la remise de cette lettre dans un tel contexte pourrait en effet être interprétée comme signifiant que l'appelante n'a que les commentaires qui y sont énoncés à formuler à l'égard du travail exécuté par l'intimé. Dans ces circonstances, elle pourrait donc être interprétée comme exprimant, du moins implicitement, l'opinion de l'appelante à cet égard. Or, quoique le fait d'obliger une personne à rédiger un document n'est pas en soi déraisonnable, une telle mesure devient tout à fait déraisonnable lorsque les circonstances sont telles que ce document peut être perçu comme faisant état de ses opinions, alors qu'il n'en est pas nécessairement ainsi. Cette partie de l'ordonnance n'interdit pas à l'employeur d'affirmer les faits qui furent jugés inexacts lors de l'audition, ce qui serait peut-être raisonnable et justifié, elle interdit à l'employeur de faire quelques commentaires que ce soit. Cette partie de l'ordonnance, en interdisant ainsi à l'employeur d'ajouter quelques commentaires que ce soit, a pour effet selon moi de créer des circonstances susceptibles de faire en sorte que la lettre de références soit perçue comme l'expression des opinions de l'appelante. Comme l'a si bien écrit mon collègue le juge Beetz dans l'affaire Banque Nationale du Canada, précitée, à la p. 296:

Ce type de sanctions est totalitaire et par conséquent étranger à la tradition de pays libres comme le Canada, même pour la répression des actes criminels les plus graves.

Le Parlement ne peut pas avoir eu l'intention d'autoriser un usage si déraisonnable de la discrétion qu'il a conférée. Une discrétion, indépendamment des termes par lesquels elle est conférée, n'est jamais absolue. Il s'agit d'un principe reconnu depuis fort longtemps. H. W. R. Wade, dans son traité intitulé Administrative Law (4e éd. 1977), s'exprime ainsi aux pp. 336 et 337:

[TRADUCTION] Il est reconnu depuis plus de trois siècles que le pouvoir discrétionnaire conféré aux autorités publiques n'est pas absolu, même à l'intérieur de ses limites bien définies, mais qu'il est assujetti à des limites légales générales. Ces limites sont exprimées de plusieurs façons différentes: on dit par exemple que le pouvoir discrétionnaire doit être exercé de manière raisonnable et de bonne foi, qu'il ne faut tenir compte que des considérations pertinentes, qu'il ne doit y avoir absolument aucune malversation, ou que la décision ne doit pas être le fruit de l'arbitraire ou du caprice. [Je souligne.]

Cette limite à l'exercice d'une discrétion administrative a été clairement reconnue dans notre droit entre autres par les affaires Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, et Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476. Que ce soit l'interprétation d'une disposition législative qui soit déraisonnable ou que ce soit l'ordonnance rendue n'a, à mon avis, pas plus d'importance que la question de savoir s'il s'agit d'une erreur de droit ou d'une erreur de fait. Un tribunal administratif exerçant une discrétion ne peut jamais l'exercer de façon déraisonnable. Pour reprendre les termes que j'ai déjà utilisés dans l'affaire Blanchard, précitée, aux pp. 494 et 495:

Le tribunal administratif a la compétence voulue pour se tromper, et même gravement, mais n'a pas celle d'être déraisonnable. Ce qui est déraisonnable n'atrophie pas moins la juridiction du fait que la conclusion en est une de fait plutôt que de droit. La justification de l'intervention judiciaire est la conclusion déraisonnable.

Non seulement la distinction entre l'erreur de droit et celle de fait est superfétatoire en regard d'une détermination ou d'une conclusion déraisonnable, mais la référence à l'erreur elle-même l'est tout autant. En effet, si toutes les erreurs n'aboutissent pas à des déterminations déraisonnables, toute détermination déraisonnable résulte d'une erreur (de droit, de fait, et d'une combinaison des deux, peu importe) qui, elle, est déraisonnable.

En conclusion, une détermination déraisonnable, quelle qu'en soit la source, porte atteinte à la juridiction du tribunal.

En l'espèce, je suis d'avis que l'arbitre n'était pas autorisé, aux termes de l'al. 61.5(9)c), à ordonner à l'employeur de ne répondre à une demande de renseignements relative à l'intimé que par l'envoi de la lettre de références contenant le texte précité puisqu'une telle ordonnance est manifestement déraisonnable. Quoique l'arbitre avait clairement juridiction pour rendre une ordonnance qu'il jugeait équitable et appropriée, il a perdu cette juridiction en rendant une décision manifestement déraisonnable.

L'appelante prétend également que l'al. 61.5(9)c) ne permettait pas à l'arbitre de rendre une telle ordonnance puisque cet alinéa n'indique pas clairement que l'arbitre peut utiliser un remède qui diffère des remèdes habituellement disponibles en vertu des règles de droit commun dans des circonstances similaires. Le principe à la base de cet argument est celui selon lequel le législateur n'est pas censé, à défaut de disposition claire au contraire, avoir l'intention de modifier les règles de droit commun pré-existantes. Il n'est pas nécessaire de me prononcer sur la justesse de ce principe puisqu'en l'espèce je suis d'avis que le législateur, en édictant l'al. c), a clairement indiqué son intention de conférer à l'arbitre des pouvoirs plus larges que ceux qui lui sont habituellement dévolus, dans des circonstances similaires, par les règles de droit commun.

Il reste maintenant à soumettre au contrôle de la Charte canadienne des droits et libertés cette partie de l'ordonnance que nous avons jugée non déraisonnable eu égard aux principes de droit administratif. Le fait que cette partie de l'ordonnance relative à l'envoi de la lettre de références ne soit pas déraisonnable au sens du droit administratif ne signifie pas, en effet, qu'elle est nécessairement conciliable avec la Charte.

Le fait que la Charte s'applique à l'ordonnance rendue par l'arbitre en l'espèce ne fait, à mon avis, aucun doute. L'arbitre est en effet une créature de la loi; il est nommé en vertu d'une disposition législative et tire tous ses pouvoirs de la loi. La Constitution étant la loi suprême du pays et rendant inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit, il est impossible d'interpréter une disposition législative attributrice de discrétion comme conférant le pouvoir de violer la Charte à moins, bien sûr, que ce pouvoir soit expressément conféré ou encore qu'il soit nécessairement implicite. Une telle interprétation nous obligerait en effet, à défaut de pouvoir justifier cette disposition législative aux termes de l'article premier, à la déclarer inopérante. Or, quoique cette Cour ne doive pas ajouter ou retrancher un élément à une disposition législative de façon à la rendre conforme à la Charte, elle ne doit pas par ailleurs interpréter une disposition législative, susceptible de plus d'une interprétation, de façon à la rendre incompatible avec la Charte et, de ce fait, inopérante. Une disposition législative conférant une discrétion imprécise doit donc être interprétée comme ne permettant pas de violer les droits garantis par la Charte. En conséquence, un arbitre exerçant des pouvoirs délégués n'a pas le pouvoir de rendre une ordonnance entraînant une violation de la Charte et il excède sa juridiction s'il le fait. Le professeur Hogg a très bien exprimé cette idée lorsqu'il a écrit dans son volume intitulé Constitutional Law of Canada (2e éd. 1985), à la p. 671:

[TRADUCTION] La mention du "Parlement" et d'une "législature" à l'art. 32 montre clairement que la Charte agit comme une limite aux pouvoirs de ces organes législatifs. Tout texte de loi adopté par le Parlement ou une législature, qui est incompatible avec la Charte excédera les pouvoirs (sera ultra vires) de l'organisme qui l'a adopté et sera invalide. Il s'ensuit que tout organisme qui exerce un pouvoir statutaire, par exemple le gouverneur en conseil, le lieutenant‑gouverneur en conseil, les ministres, les fonctionnaires, les municipalités, les commissions scolaires, les universités, les tribunaux administratifs, les officiers de police, est également lié par la Charte. Les mesures prises en vertu d'un pouvoir statutaire ne sont valides que si elles se situent à l'intérieur de la portée de ce pouvoir. Puisque ni le Parlement ni une législature ne peuvent eux-mêmes adopter une loi qui contrevient à la Charte, ni l'un ni l'autre ne peuvent autoriser des mesures qui contreviendraient à la Charte. Ainsi, les limites que la Charte impose à un pouvoir statutaire s'étendront à la famille des autres pouvoirs statutaires et s'appliqueront aux règlements, aux statuts, aux ordonnances, aux décisions et à toutes les autres mesures (législatives, administratives ou judiciaires) dont la validité dépend d'un pouvoir statutaire.

Il faut donc interpréter l'al. 61.5(9)c) comme conférant à l'arbitre le pouvoir de requérir l'employeur de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier sous réserve toutefois que cette ordonnance, si elle restreint un droit ou une liberté protégés, ne les restreigne que dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Ce n'est en effet que si la restriction apportée à un droit ou à une liberté n'est pas contenue dans des limites qui soient raisonnables et justifiables que l'on peut parler de violation de la Charte. La Charte ne garantit pas d'une façon absolue les droits et les libertés qu'elle énonce. Elle garantit plutôt le droit de ne pas voir ces droits ou ces libertés restreints autrement que par une règle de droit dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Rien ne s'oppose donc à ce que l'on impute au Parlement, lorsque les termes qu'il emploie le laissent croire, l'intention de restreindre un droit ou une liberté énoncés dans la Charte ou de permettre qu'un droit ou une liberté protégés soient restreints.

Il me semble utile de décrire la démarche qui doit être effectuée afin de déterminer la validité d'une ordonnance prononcée par un tribunal administratif de la façon suivante.

Il faut tout d'abord garder en vue l'existence de deux principes importants:

--un tribunal administratif ne peut excéder la compétence qui lui est dévolue par la loi; et

--il faut présumer qu'un texte législatif attribuant une discrétion imprécise ne confère pas le pouvoir de violer la Charte à moins que ce pouvoir ne soit expressément conféré ou qu'il le soit par implication nécessaire.

L'application de ces deux principes à l'exercice d'une discrétion nous mène alors à l'une ou l'autre des situations suivantes:

1.L'ordonnance contestée a été rendue en vertu d'un texte qui confère expressément ou par implication nécessaire le pouvoir de porter atteinte à un droit protégé.

--Il faut alors soumettre le texte législatif au test énoncé à l'article premier en vérifiant s'il constitue une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

2.Le texte législatif en vertu duquel le tribunal administratif a prononcé l'ordonnance contestée confère une discrétion imprécise et ne prévoit, ni expressément, ni par implication nécessaire, le pouvoir de limiter les droits garantis par la Charte.

--Il faut alors soumettre l'ordonnance prononcée au test énoncé à l'article premier en vérifiant si elle constitue une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique;

--si elle n'est pas ainsi justifiée le tribunal administratif a nécessairement commis un excès de juridiction;

--si au contraire elle est ainsi justifiée alors le tribunal administratif a agi à l'intérieur de sa juridiction.

En l'espèce la partie de l'ordonnance relative à la remise d'une lettre de références apporte, à mon avis, une restriction à la liberté d'expression. On ne peut nier, en effet, que la liberté d'expression comporte nécessairement le droit de ne rien dire ou encore le droit de ne pas dire certaines choses. Le silence est en soi une forme d'expression qui peut, dans certaines circonstances, exprimer quelque chose plus clairement que des mots ne pourraient le faire. L'ordonnance enjoignant à l'appelante de remettre à l'intimé une lettre comportant certaines données objectives restreint, selon moi, incontestablement la liberté d'expression de l'appelante.

Cette restriction provient toutefois d'une règle de droit et, de ce fait, peut être justifiée aux termes de l'article premier. L'arbitre tire en effet tous ses pouvoirs de la loi et il ne peut faire plus que ce que la loi lui permet. C'est la disposition législative attributrice de discrétion qui restreint le droit ou la liberté puisque c'est elle qui autorise le détenteur de ladite discrétion à rendre une ordonnance ayant pour effet d'apporter des limites aux droits et libertés énoncés dans la Charte. L'ordonnance prononcée par l'arbitre n'est que l'exercice de la discrétion qui lui est accordée par la loi.

Pour déterminer si cette restriction est contenue dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, il faut donc évaluer si l'utilisation qui fut faite de la discrétion a pour effet de contenir la restriction dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Si la réponse est positive nous devons conclure que l'arbitre avait le pouvoir de rendre une telle ordonnance puisqu'il était autorisé à rendre une ordonnance restreignant un droit ou une liberté énoncés à la Charte dans des limites qui soient raisonnables et justifiables. Si la réponse est au contraire négative il faut alors conclure que l'arbitre a excédé sa juridiction puisque le Parlement ne lui a pas délégué le pouvoir de violer la Charte. Ayant excédé sa juridiction sa décision est donc nulle et sans effet.

Le test qui doit être appliqué dans le cadre de cette évaluation a été énoncé principalement par mon collègue le juge en chef Dickson dans l'affaire R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Selon ce test, il faut, dans un premier temps, que l'objectif poursuivi par la mesure contestée soit suffisamment important pour justifier la restriction d'un droit ou d'une liberté garantis par la Charte. Dans un second temps, la partie qui demande le maintien de cette restriction doit démontrer que les moyens choisis pour atteindre cet objectif sont raisonnables et justifiables. Pour ce faire, il doit y avoir application d'une espèce de critère de proportionnalité comportant trois éléments distincts: les mesures contestées doivent être équitables et non arbitraires, être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif poursuivi et avoir un lien rationnel avec celui-ci. Le moyen choisi doit de plus être de nature à restreindre le moins possible le droit ou la liberté et ses effets doivent finalement être proportionnels avec l'objectif poursuivi.

En l'espèce je suis d'avis que l'objectif poursuivi par l'ordonnance rendue est suffisamment important pour justifier une certaine restriction à la liberté d'expression. L'ordonnance vise nettement, comme l'exige le Code et comme je l'ai indiqué plus haut, à contrecarrer les effets du congédiement jugé injuste par l'arbitre ou, à tout le moins, à y remédier. Un tel objectif est à mon avis suffisamment important pour justifier une restriction à un droit ou une liberté énoncés dans la Charte. Il me semble en effet important que le législateur prévoie certains mécanismes destinés à rétablir l'équilibre dans la relation existant entre un employeur et son employé de façon à éviter que ce dernier puisse être soumis à l'arbitraire du premier. Ces propos ne doivent pas être interprétés comme signifiant qu'à mon avis tous les employeurs tentent nécessairement d'abuser de leur position. On ne peut nier toutefois que certains employés sont dans une situation particulièrement vulnérable à l'égard de leur employeur et que les forces en présence sont habituellement inégales. Des mécanismes destinés à contrecarrer les effets d'une mesure illégale prise par l'employeur ou à y remédier me semblent donc justifiés dans un tel contexte. Il faut d'ailleurs noter que dans ces circonstances la restriction aux droits ou aux libertés n'est effectivement apportée qu'après que l'acte posé par l'employeur a été jugé illégal par un arbitre et que dans le but de remédier aux effets de cet acte jugé illégal.

Une ordonnance enjoignant à l'employeur de remettre à l'intimé une lettre de références contenant des faits objectifs me semble également raisonnable et justifiable dans ces circonstances. Elle possède en effet les trois caractéristiques nécessaires pour que le critère de proportionnalité soit rencontré. Comme je l'ai déjà mentionné, la lettre de références vise à corriger l'impression donnée par le fait du congédiement en indiquant clairement que ce congédiement fut jugé injuste par un arbitre et en indiquant clairement certaines données "objectives" et non contestées relatives à la prestation de travail fournie par l'intimé. Une ordonnance de réintégration n'est pas toujours souhaitable alors qu'une ordonnance de compensation n'est pas toujours suffisante pour remédier aux effets d'un congédiement injuste. Il est possible en effet qu'un congédiement ait des conséquences très négatives, dans certains cas, sur les chances de l'ex-employé de se trouver un nouvel emploi. Une telle ordonnance me semble donc parfois le seul moyen d'atteindre l'objectif poursuivi qui est de contrecarrer ou de remédier aux effets du congédiement. Elle a certainement un lien très rationnel avec celui-ci puisque dans certains cas elle est la seule mesure susceptible de remédier efficacement aux effets du congédiement. Elle se limite de plus à exiger de l'employeur l'expression de faits "objectifs" qui, en l'espèce, ne sont pas contestés et ne requiert aucunement, de sa part, l'expression d'une opinion quelconque puisque la partie de l'ordonnance relative à l'interdiction de répondre à une demande de renseignements concernant l'intimé autrement que par la remise de cette lettre a été jugée déraisonnable et, partant, à l'extérieur de la juridiction conférée à l'arbitre. Il est en effet permis à l'employeur, si l'on écarte cette partie déjà jugée déraisonnable, d'indiquer, par exemple, qu'il lui fut ordonné de rédiger cette lettre et que de ce fait elle ne contient pas nécessairement toutes ses opinions à l'égard du travail effectué par l'intimé. Compte tenu de ces circonstances, je ne vois pas de moyen susceptible en l'espèce d'atteindre ce même objectif tout en portant moins atteinte à la liberté d'expression de l'employeur. Finalement, je suis d'avis que les effets de cette ordonnance sont proportionnels à l'objectif poursuivi. Ce dernier, comme je l'ai souligné, est important dans notre société. Or, la restriction apportée à la liberté d'expression n'est pas de celle qu'on peut qualifier de très grave. Elle ne supprime pas cette liberté mais se borne plutôt à en restreindre l'exercice en obligeant l'employeur à écrire quelque chose de prédéterminé. Cette restriction apportée à la liberté d'expression énoncée à la Charte est donc selon moi contenue dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. L'arbitre en rendant cette partie de l'ordonnance n'a donc pas violé la Charte et a agi à l'intérieur de sa juridiction.

Ce pourvoi étant régi par l'al. 52d) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 10, je suis d'avis de renvoyer cette affaire à l'arbitre concerné afin qu'il puisse rendre une ordonnance conciliable avec le présent jugement.

En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le présent pourvoi, d'infirmer le jugement de la Cour d'appel fédérale, de déclarer nulle l'ordonnance prononcée par l'arbitre et de retourner le dossier à celui-ci afin qu'il émette une nouvelle ordonnance qui soit conciliable avec le présent jugement. Le tout avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens, le juge BEETZ est dissident et le juge LAMER est dissident en partie.

Procureur de l'appelante: Brian A. Grosman, Toronto.

Procureur de l'intimé: Morris Cooper, Toronto.

* Le juge Le Dain n'a pas pris part au jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1989] 1 R.C.S. 1038 ?
Date de la décision : 04/05/1989

Parties
Demandeurs : Slaight communications inc.
Défendeurs : Davidson
Proposition de citation de la décision: Slaight communications inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038 (4 mai 1989)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-05-04;.1989..1.r.c.s..1038 ?
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