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04/05/1989 | CANADA | N°[1989]_1_R.C.S._1219

Canada | Brooks c. Canada safeway ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219 (4 mai 1989)


Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219

Susan Brooks Appelante

c.

Canada Safeway Limited Intimée

et entre

Patricia Allen, Patricia Dixon et

la Commission des droits de la personne

du Manitoba Appelantes

c.

Canada Safeway Limited Intimée

et

Le Fonds d'action et d'éducation

juridiques pour les femmes (F.A.E.S.) Intervenant

répertorié: brooks c. canada safeway ltd.

No du greffe: 20131.

1988: 15 juin; 1989: 4 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Mc

Intyre, Wilson, Le Dain*, La Forest et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel du manitoba

Libertés publiques -- Emploi -- Discrimination fondé...

Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219

Susan Brooks Appelante

c.

Canada Safeway Limited Intimée

et entre

Patricia Allen, Patricia Dixon et

la Commission des droits de la personne

du Manitoba Appelantes

c.

Canada Safeway Limited Intimée

et

Le Fonds d'action et d'éducation

juridiques pour les femmes (F.A.E.S.) Intervenant

répertorié: brooks c. canada safeway ltd.

No du greffe: 20131.

1988: 15 juin; 1989: 4 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Wilson, Le Dain*, La Forest et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel du manitoba

Libertés publiques -- Emploi -- Discrimination fondée sur le sexe — Grossesse -- Femmes enceintes privées de prestations d'invalidité pendant dix‑sept semaines en vertu du régime d'assurance maladie et d'accidents de la société -- Le régime crée‑t‑il de la discrimination envers les employées enceintes? -- La discrimination fondée sur la grossesse est‑elle de la discrimination fondée sur le sexe? -- Loi sur les droits de la personne, S.M. 1974, chap. 65, art. 6(1).

Le régime d'assurance collective de l'intimée comportait des prestations hebdomadaires en cas de perte de salaire pour cause de maladie ou d'accident. Le régime s'appliquait aux femmes enceintes sauf pendant une période de dix‑sept semaines commençant la dixième semaine précédant la semaine présumé de l'accouchement et finissant la sixième semaine après celle de l'accouchement. Pendant ces dix‑sept semaines, les femmes enceintes ne pouvaient toucher aucune prestation même si elles souffraient d'une maladie tout à fait étrangère à leur grossesse. Les appelantes, qui étaient employées par l'intimée, sont devenues enceintes en 1982 et se sont fait refuser les prestations payables en vertu du régime pendant la période d'exclusion de dix‑sept semaines. Elles ont par contre touché les prestations de maternité prévues à la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage. Les appelantes ont porté plainte auprès de la Commission des droits de la personne du Manitoba alléguant que la différence de traitement de la grossesse en vertu du régime de l'intimée créait une discrimination fondée sur le sexe et contrevenait au par. 6(1) de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba. Un arbitre a rejeté leurs plaintes. La Cour du Banc de la Reine et la Cour d'appel ont confirmé les décisions de l'arbitre.

Arrêt: Les pourvois sont accueillis.

(1) Discrimination fondée sur la grossesse

Priver complètement les femmes enceintes pendant dix‑sept semaines des prestations de maladie ou accident payables en vertu du régime de l'intimée crée une discrimination fondée sur la grossesse. En vertu de ce régime, les employées enceintes sont traitées de façon beaucoup moins avantageuse que les autres employés. Le régime singularise la grossesse par un traitement défavorable par rapport aux autres problèmes de santé qui peuvent empêcher de travailler.

Bien que la grossesse ne soit, à proprement parler, ni un accident, ni une maladie, elle constitue cependant, dans notre société, un motif de santé valable pour s'absenter du travail et, à ce titre, elle n'aurait pas dû être exclue du régime de l'intimée. Le régime de l'intimée vise à indemniser les employés qui s'absentent du travail pour des motifs de santé valables. De plus, en faisant une distinction entre la grossesse et tous les autres motifs de santé justifiant une absence du travail, le régime impose des désavantages injustes aux femmes enceintes. Tous les membres de la société profitent de la procréation, mais ce régime en fait cependant porter un des principaux coûts à un seul groupe de personnes dans la société, celui des femmes enceintes. La suppression des désavantages injustes imposés aux femmes et aux autres groupes dans la société constitue un objet clef des lois anti‑discrimination. Conclure que le régime de l'intimée est discriminatoire sert cet objet. Un employeur qui fournit un régime d'assurance santé et en exclut la grossesse comme motif valable d'indemnisation agit donc de façon discriminatoire. Un régime serait considéré discriminatoire même s'il n'excluait pas l'indemnisation des maladies et des accidents qui n'ont pas de rapport avec la grossesse. Il suffit qu'il exclut l'indemnisation pour la grossesse.

L'intimée soutient que la décision d'exclure la grossesse de la couverture du régime ne relève pas de la discrimination, mais de la décision d'indemniser certains risques et de ne pas couvrir les autres. Cette couverture sélective constitue peut‑être simplement un moyen détourné de tolérer la discrimination. Dès qu'un employeur décide d'accorder des avantages sociaux à un employé, les exclusions de ce régime ne peuvent être faites de façon discriminatoire, comme en l'espèce.

Bien que le sous‑al. 19h)(vii) du Règlement d'application de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage porte précisément sur les régimes fournis par les employeurs qui n'indemnisent pas la femme enceinte pendant la période de dix‑sept semaines, il ne constitue pas une distinction permise en vertu du par. 7(2) de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba. Les distinctions fondées sur le sexe pourraient être permises dans des régimes d'avantages sociaux s'il existait un règlement d'application du par. 7(2). Faute de règlement d'application de cette disposition, la discrimination n'est pas permise dans les régimes d'avantages sociaux des employés.

(2) Discrimination fondée sur le sexe

La discrimination fondée sur la grossesse constitue de la discrimination fondée sur le sexe. L'arrêt Bliss de cette Cour, qui a jugé le contraire, est incompatible avec l'interprétation des lois relatives aux droits de la personne suivie par cette Cour dans plusieurs arrêts subséquents et il n'y a plus lieu de le suivre. La discrimination fondée sur la grossesse constitue une forme de discrimination fondée sur le sexe à cause de la réalité biologique que seules les femmes peuvent devenir enceintes. Le traitement désavantageux auquel les appelantes ont été soumises découlait entièrement de leur grossesse, situation où seules les femmes peuvent se trouver. Celles qui donnent naissance à des enfants et favorisent ainsi l'ensemble de la société ne devraient pas en subir un désavantage économique ou social. Il est injuste d'imposer tous les coûts de la grossesse à une seule moitié de la population.

On ne saurait prétendre que la discrimination fondée sur la grossesse n'est pas de la discrimination fondée sur le sexe parce que toutes les femmes ne deviennent pas enceintes. Quoique la discrimination fondée sur la grossesse ne puisse frapper qu'une partie d'un groupe identifiable, elle ne peut frapper personne qui n'appartient pas à ce groupe. La grossesse est indissociable du sexe. Le fait que le régime ne crée pas de discrimination envers toutes les femmes, mais seulement envers les femmes enceintes, ne rend pas la distinction contestée moins discriminatoire.

Jurisprudence

Arrêt renversé: Bliss c. Procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 183; arrêts non suivis: Geduldig v. Aiello, 417 U.S. 484 (1974); General Electric Co. v. Gilbert, 429 U.S. 125 (1976); arrêts mentionnés: Nashville Gas Co. v. Satty, 434 U.S. 136 (1977); Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536; Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114; Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; Century Oils (Canada) Inc. v. Davies (1988), 22 B.C.L.R. (2d) 358; Canada Safeway Ltd. c. Manitoba Food and Commercial Workers Union, Local 832, [1981] 2 R.C.S. 180; Canada Safeway Ltd. v. Steel, [1985] 1 W.W.R. 479 (C.A. Man.), demande d'autorisation de pourvoi rejetée, [1985] 1 R.C.S. x (sub nom. Manitoba Human Rights Commission v. Canada Safeway Ltd.)

Lois et règlements cités

Code des droits de la personne, L.M. 1987‑88, chap. 45, art. 9(2)f).

Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, S.C. 1970‑71‑72, chap. 48, art. 30(2) [mod. 1974‑75‑76, chap. 66, art. 22; 1976‑77, chap. 54, art. 38(2)].

Loi no 3 modifiant la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, S.C. 1980‑81‑82‑83, chap. 150, art. 4.

Loi sur les droits de la personne, S.M. 1974, chap. 65, art. 6(1) [mod. 1976, chap. 48, art. 6; mod. 1977, chap. 46, art. 2, 3; mod. 1982, chap. 23, art. 9], 7(2) [abr. & rempl. 1976, chap. 48, art. 11; mod. 1977, chap. 46, art. 2; mod. 1982, chap. 23, art. 20], 19 [mod. 1978, chap. 43, s. 4].

Règlement sur l'assurance‑chômage, C.R.C. 1978, chap. 1576, art. 19h)(vii) [aj. DORS/85‑3, art. 2].

Doctrine citée

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed. Toronto: Carswells, 1985.

MacPherson, James. "Sex Discrimination in Canada: Taking Stock at the Start of a New Decade" (1980), 1 C.H.R.R. c/7.

Pannick, David. Sex Discrimination Law. Oxford: Clarendon Press, 1985.

POURVOIS contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1986), 42 Man. R. (2d) 27, 7 C.H.R.R. D/3475, qui a confirmé une décision du juge Simonsen (1985), 38 Man. R. (2d) 192, 86 CLLC {PP} 17, 010, 7 C.H.R.R. D/3185, qui confirmait la décision d'un tribunal d'arbitrage (1985), 6 C.H.R.R. D/2560 and D/2840. Pourvois accueillis.

Aaron L. Berg et Gordon Hannon, pour les appelantes.

Roger J. Hansell, c.r., et Bruce Bowman, pour l'intimée.

C. Lynn Smith et Kathryn Thomson, pour l'intervenant.

//Le Juge en chef//

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE EN CHEF -- Les présents pourvois visent essentiellement à déterminer si le régime d'assurance maladie et accidents d'une société commerciale qui prive les femmes enceintes du versement de prestations pendant une période de dix‑sept semaines crée une discrimination fondée sur le sexe, ce qu'interdit la Loi sur les droits de la personne du Manitoba, S.M. 1974, chap. 65.

En mars 1983, Susan Brooks, de Brandon (Manitoba), a porté plainte auprès de la Commission des droits de la personne du Manitoba contre son employeur, Canada Safeway Ltd. (Safeway), pour le motif que le régime d'avantages sociaux des employés violait le par. 6(1) de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba. Selon Mme Brooks, le régime crée une discrimination fondée sur le sexe et le statut familial parce qu'il prive les femmes enceintes de certaines prestations. Par la suite, Patricia Allen et Patricia Dixon ont déposé des plaintes semblables. Le procureur général du Manitoba, l'honorable Roland Penner, c.r., a désigné Me J. F. Reeh Taylor, c.r., à titre de tribunal d'arbitrage pour juger les trois plaintes. L'arbitre a rejeté les trois plaintes, comme l'ont également fait la Cour du Banc de la Reine et la Cour d'appel du Manitoba. Cette Cour a accordé l'autorisation de pourvoi, [1987] 1 R.C.S. vi.

I

Les faits

Susan Brooks, Patricia Allen et Patricia Dixon étaient caissières à temps partiel chez Safeway. Elles sont toutes trois devenues enceintes en 1982. Safeway offre un régime d'assurance collective qui comporte dans ses avantages des prestations hebdomadaires en cas de perte de salaire pour cause de maladie ou d'accident. Dans un dépliant intitulé [TRADUCTION] Vos prestations d'assurance collective et celles des personnes à votre charge, Safeway énumère ainsi les avantages offerts:

[TRADUCTION] Des prestations hebdomadaires sont versées en cas de perte de salaire pour cause de maladie ou d'accident qui vous empêche totalement d'occuper votre emploi. Il n'est pas nécessaire que vous soyez obligé de rester chez vous, mais il faut que vous soyez suivi par un médecin.

Pour bénéficier du régime, l'employé doit avoir été au service de Safeway pendant trois mois consécutifs. Les prestations peuvent être payées pendant un maximum de 26 semaines pour chaque période d'invalidité continue. Les employés touchent les deux‑tiers de leur salaire hebdomadaire jusqu'à concurrence de 189 $ par semaine.

Avant une modification apportée le 1er janvier 1981, le régime ne s'appliquait pas à la grossesse. À l'époque où les appelantes sont devenues enceintes, le régime prévoyait ceci:

[TRADUCTION] Les prestations d'incapacité s'appliquent aussi aux maladies liées à une grossesse. Cependant aucune prestation n'est payable

a)pendant la période s'étendant de la dixième semaine précédant la semaine présumée de l'accouchement jusqu'à la fin de la sixième semaine suivant celle de l'accouchement;

b)pendant le congé officiel de maternité dont l'employée jouit en vertu d'une loi provinciale ou fédérale ou en vertu d'une entente intervenue entre l'employée et la société, ou

c)pendant la période au cours de laquelle l'employée reçoit la prestation de maternité de l'assurance‑chômage.

Personne ne conteste que le régime de Safeway traite la grossesse différemment des autres incapacités de travailler liées à la maladie. Les employées enceintes ne peuvent recevoir aucune prestation pendant la période dite "10‑1‑6", savoir pendant les dix semaines précédant la semaine prévue de l'accouchement, la semaine de l'accouchement et les six semaines qui la suivent. Pendant ces dix‑sept semaines, la couverture est inexistante quelle que soit la raison pour laquelle l'employée est incapable de travailler. Les femmes enceintes qui souffrent d'une maladie indépendante de leur grossesse n'ont droit à aucune indemnité simplement parce qu'elles sont enceintes. Les femmes incapables de travailler à cause de complications de leur grossesse n'ont pas non plus droit aux prestations hebdomadaires. Le seul fait d'être enceinte prive les employées de Safeway des prestations qui seraient normalement payables pendant la période "10‑1‑6".

Pendant une partie de la période où elle est privée des prestations du régime d'invalidité, une femme enceinte peut recevoir les prestations prévues à la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, S.C. 1970‑71‑72, chap. 48 et modifications. À l'époque, l'art. 30 de cette Loi prévoyait le versement de prestations hebdomadaires pour le chômage résultant d'une grossesse pendant quinze semaines au maximum déterminées comme suit:

30. . . .

(2) Les prestations prévues au présent article sont payables à une prestataire pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui, en retenant la première en date des semaines en question,

a) commence

(i) huit semaines avant la semaine présumée de son accouchement, ou

(ii) la semaine de son accouchement

et

b) se termine

(i) dix‑sept semaines après celle de l'accouchement, ou

(ii) quatorze semaines après la première semaine où les prestations sont demandées et payables au cours de toute période de prestations en vertu du présent article,

si cette semaine de chômage est l'une des quinze premières pour lesquelles les prestations sont demandées et payables au cours de sa période de prestations.

L'article 30 a été considérablement modifié par la Loi no 3 modifiant la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, S.C. 1980‑81‑82‑83, chap. 150, art. 4.

Les prestations de maternité payables en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage ne correspondaient pas exactement à celles que le régime de Safeway prévoyait. En vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, les femmes n'avaient droit qu'à un maximum de quinze semaines de prestations, alors qu'en vertu du régime de Safeway, elles étaient privées de dix‑sept semaines de prestation. Pendant deux semaines, les employées de Safeway incapables de travailler pour cause de grossesse se trouvaient sans aucune prestation d'assurance‑chômage. Les prestations payables en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage étaient aussi inférieures à celles auxquelles les employées auraient eu droit en vertu du régime de Safeway. En vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, les prestations étaient établies à 60 p. 100 du revenu admissible. Le régime de Safeway, par contre, octroyait 66 2/3 p. 100 des gains hebdomadaires. En vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, la période de référence était beaucoup plus longue que celle fixée dans le régime de Safeway. Le paragraphe 30(1) de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage exigeait qu'une employée ait dix semaines de revenus assurables au cours des vingt semaines qui précèdent immédiatement la trentième semaine avant la date présumée de l'accouchement. En d'autres termes, elle doit avoir commencé à travailler au moins quarante semaines avant la date prévue de l'accouchement. Le régime de Safeway donnait droit à la couverture complète après seulement trois mois d'emploi.

Les trois appelantes ont demandé les prestations hebdomadaires prévues au régime de Safeway pour la période d'incapacité causée par leur grossesse qui comprenait la période d'exclusion de dix‑sept semaines. Les trois réclamations ont été rejetées. Les appelantes ont demandé et reçu les prestations de maternité prévues à la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage. Le montant reçu par chaque appelante était inférieur à ce qu'elle aurait reçu si le régime de Safeway s'était appliqué. On nous a indiqué, par exemple, que pour Mme Brooks l'assurance‑chômage a versé 133,47 $ par semaine, alors qu'en vertu du régime de Safeway elle aurait pu recevoir environ 188 $ par semaine.

Chacune des appelantes a porté plainte auprès de la Commission des droits de la personne du Manitoba alléguant que la différence de traitement appliqué au cas de grossesse en vertu du régime de Safeway constitue une discrimination fondée sur le sexe et sur le statut familial en contravention du par. 6(1) de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba.

II

Les textes législatifs

À l'époque des demandes, les articles applicables de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba étaient ainsi conçus:

[TRADUCTION] Discrimination interdite dans la main d'{oe}uvre

6 (1) Toute personne a le droit à l'égalité des chances, fondée sur sa véritable compétence professionnelle, dans son travail, à son emploi ou dans son cours de formation professionnelle, en matière de demande de travail, d'emploi ou de promotion ainsi qu'à l'égard de son appartenance à un syndicat ouvrier, à une association d'employeurs ou à une association professionnelle ou de son désir d'en devenir membre et, notamment:

a) ni un employeur ni un représentant d'un employeur ne peuvent refuser d'employer, de continuer à employer une personne ou d'offrir à celle‑ci un cours de formation professionnelle ni refuser à celle‑ci une promotion ou un avancement ni faire preuve de discrimination envers une personne en matière d'emploi ou de conditions de travail;

b) une agence de placement ne peut refuser d'aboucher une personne pour les fins d'un emploi ou d'un cours de formation professionnelle;

c) ni un syndicat ouvrier ni une association d'employeurs ni une association professionnelle ne peuvent refuser d'admettre une personne comme membre, expulser ou radier un membre ou faire preuve autrement de discrimination à son égard, ni négocier, au nom de cette personne, une convention qui serait discriminatoire à son égard,

pour des raisons de race, de nationalité, de religion, de couleur, de sexe, d'âge, d'état matrimonial, de déficience physique ou mentale, d'origine ethnique ou nationale, de convictions politiques ou de statut familial.

Exception

7 (2) Aucune disposition de l'article 6 ou du paragraphe (1) du présent article n'empêche d'établir une distinction fondée sur l'âge, le sexe, le statut familial, la déficience physique ou mentale, ou l'état matrimonial,

a) dans le contexte d'un régime de prestations payables aux employés ou dans un contrat qui prévoit un régime de prestations payables aux employés, si la Commission, en se fondant sur les lignes de conduite établies dans les règlements, conclut que la distinction n'est pas discriminatoire et que l'employé ne peut bénéficier des prestations que si la distinction est permise;

En 1987, la Loi sur les droits de la personne du Manitoba a été abrogée et remplacée par le Code des droits de la personne, L.M. 1987‑88, chap. 45. L'article 9 du Code a remplacé l'art. 6 de la Loi. L'article 9 interdit la discrimination fondée sur un certain nombre de motifs, notamment:

9 (2) . . .

f) le sexe, y compris la grossesse, la possibilité de grossesse ou les circonstances se rapportant à la grossesse;

III

Le tribunal des droits de la personne

1. La plainte de Susan Brooks

La plainte de Mme Brooks a été entendue avant celle des deux autres appelantes: (1984), 6 C.H.R.R. D/2560. L'arbitre Taylor a conclu que la plainte de Mme Brooks n'avait pas été déposée dans les délais requis. L'article 19 de la Loi sur les droits de la personne exigeait que la plainte soit déposée auprès de la Commission [TRADUCTION] "dans les six mois de la date à laquelle l'infraction aurait été commise ou, dans le cas d'une infraction continue, de la date où l'infraction aurait été commise la dernière fois . . ." Madame Brooks a déposé sa plainte le 22 mars 1983. L'arbitre a conclu, que s'il y avait eu infraction, elle s'était produite au début de la période d'exclusion, vers le 30 août 1982, quand Safeway a avisé Mme Brooks qu'elle n'avait pas droit aux prestations. L'arbitre Taylor n'a pas considéré que le refus de Safeway de verser les prestations pendant la période de dix‑sept semaines constituait une infraction continue au sens de la Loi.

En raison des deux autres plaintes et au cas où il aurait tort de conclure que la plainte de Mme Brooks était prescrite, l'arbitre Taylor a jugé sa plainte au fond. Il a d'abord examiné si le régime de Safeway créait effectivement une discrimination envers les employées enceintes. L'arbitre a fait les constatations suivantes (à la p. D/2562):

[TRADUCTION] Il est clair, et l'intimée ne le conteste pas, qu'en vertu du régime d'assurance maladie et accidents de Canada Safeway Limited, les employées enceintes sont traitées très différemment des autres employés. En fait, ce ne sont pas seulement les problèmes liés à la grossesse qui sont exclus du régime pendant la période de dix‑sept semaines déjà mentionnée; tous les accidents et toutes les maladies qui surviennent durant cette période de dix‑sept semaines, qu'ils aient ou non un rapport avec la grossesse, sont exclus du régime de Canada Safeway Limited. Pendant cette période, l'employée enceinte doit se contenter des prestations payables par la Commission d'assurance‑chômage. Même si elle est admissible aux prestations de la C.A.C. pendant toute la période de dix‑sept semaines, l'employée enceinte recevra un montant inférieur à celui que recevrait un employé absent de son travail pendant la même période à cause d'une incapacité autre que la grossesse.

L'arbitre Taylor n'a pas hésité à conclure que, même si le régime de Safeway [TRADUCTION] "était généreux à tous points de vue, il créait, de fait, une discrimination envers les employées enceintes".

Ayant constaté l'existence d'une discrimination fondée sur la grossesse, l'arbitre s'est ensuite demandé si une mesure discriminatoire visant une femme à cause de sa grossesse constituait une discrimination fondée "sur le sexe ou le statut familial" de cette personne. Il a conclu que la notion de statut familial n'englobait pas la grossesse puisque, d'après lui, l'enfant à naître n'est pas encore membre d'une "famille" et qu'en conséquence on ne peut en tenir compte à l'occasion d'une plainte de discrimination fondée sur le statut familial.

L'arbitre Taylor a ensuite rejeté l'argument voulant que la discrimination fondée sur la grossesse constitue de la discrimination fondée sur le sexe. Il s'est appuyé sur l'arrêt de cette Cour Bliss c. Procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 183. Dans l'arrêt Bliss, la Cour a statué que l'art. 46 de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, qui empêche les femmes enceintes de toucher les prestations de base de l'assurance‑chômage et les limite aux prestations spéciales de maternité pendant une partie de leur grossesse, ne les prive pas du droit à l'égalité sans discrimination fondée sur le sexe garanti par l'al. 1b) de la Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III. L'arbitre Taylor a souligné que l'arrêt Bliss a été suivi partout au pays et que les tribunaux anglais et américains ont aussi conclu que la discrimination en raison de la grossesse ne crée pas une discrimination fondée sur le sexe. Il a fait remarquer qu'après que la Cour suprême des États‑Unis d'Amérique eut conclu, dans les arrêts Geduldig v. Aiello, 417 U.S. 484 (1974), General Electric Co. v. Gilbert, 429 U.S. 125 (1976), et Nashville Gas Co. v. Satty, 434 U.S. 136 (1977), que la discrimination fondée sur la grossesse n'était pas synonyme de discrimination fondée sur le sexe, le Congrès des États‑Unis a adopté une loi modifiant le Titre VII de la Civil Rights Act of 1964 pour dire que l'expression [TRADUCTION] "discrimination fondée sur le sexe" vise la discrimination fondée sur la grossesse, l'accouchement et les états de santé qui y sont reliés. L'arbitre a aussi souligné que certaines provinces ont modifié leurs lois sur les droits de la personne à la suite de l'arrêt Bliss pour ajouter la grossesse dans les motifs de discrimination prohibée. L'arbitre Taylor a vu dans ces modifications la confirmation que la discrimination fondée sur le sexe n'englobe pas la discrimination fondée sur la grossesse. Vu l'absence d'une définition plus large, l'arbitre a conclu qu'il devait suivre l'arrêt Bliss et conclure que la discrimination fondée sur la grossesse ne crée pas une discrimination fondée sur le sexe.

2. Les plaintes déposées par Patricia Allen et Patricia Dixon

L'arbitre Taylor a entendu les plaintes de Mmes Allen et Dixon un mois après avoir rendu la décision relative à la plainte de Mme Brooks. Pour les motifs énoncés dans cette dernière, l'arbitre a conclu que les appelantes n'avaient pas subi de discrimination fondée sur le sexe ou le statut familial en contravention du par. 6(1) de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba: (1985), 6 C.H.R.R. D/2840.

IV

La Cour du Banc de la Reine du Manitoba

Mesdames Brooks, Allen et Dixon et la Commission des droits de la personne du Manitoba ont interjeté appel de la décision de l'arbitre Taylor. Le juge Simonsen a rendu des motifs succincts: (1985), 38 Man. R. (2d) 192, 86 CLLC {PP} 17,010, 7 C.H.R.R. D/3185. Il a d'abord rejeté la conclusion de l'arbitre selon laquelle la plainte de Mme Brooks était prescrite. De l'avis du juge Simonsen, le refus de verser les prestations pendant dix‑sept semaines constituait une discrimination continue. Selon lui, rien dans la Loi sur les droits de la personne du Manitoba n'exige que le délai de prescription commence pendant la première semaine à l'égard de laquelle il était possible de réclamer des prestations. Le juge Simonsen a conclu que les dix‑sept semaines de discrimination visées par la plainte avaient commencé le 21 août 1982 et s'étaient terminées le 22 décembre 1982 et que le délai de prescription n'avait commencé à courir qu'à cette dernière date. La plainte de Mme Brooks ayant été déposée le 22 mars 1983, elle était donc à l'intérieur du délai de prescription de six mois.

Le juge Simonsen a confirmé la conclusion de l'arbitre et le raisonnement qu'il a suivi pour y arriver, savoir que le régime de Safeway créait une discrimination contre les employées enceintes. Il dit ceci:

[TRADUCTION] Il faut constater [. . .] que pendant la période d'exclusion de dix‑sept semaines, aucune prestation n'était payable à une employée enceinte pour une maladie ou un accident qu'il ait ou non un lien avec la grossesse. La couverture fournie par la police à une employée enceinte était interrompue pendant dix‑sept semaines.

Il dit encore plus loin:

[TRADUCTION] Est‑il discriminatoire qu'une assurance collective cesse de couvrir une employée enceinte pendant dix‑sept semaines au moment où une autre forme de couverture est fournie par l'assurance‑chômage? L'employée enceinte n'est pas tenue de prendre dix‑sept semaines de congé, mais si elle prend un congé, elle n'a droit qu'aux prestations de l'assurance‑chômage.

L'arbitre a conclu qu'il y avait discrimination. Je suis du même avis pour les mêmes motifs.

Le juge Simonsen a ensuite examiné si la Loi sur les droits de la personne du Manitoba interdit la discrimination fondée sur la grossesse. Il a convenu avec l'arbitre que la grossesse n'est pas comprise dans le "statut familial" et conclu qu'on ne pouvait reprocher au régime de Safeway de créer une discrimination fondée sur le statut familial. Le juge Simonsen a aussi été d'avis, principalement en raison de l'arrêt Bliss et de la jurisprudence subséquente, que l'arbitre avait eu raison de conclure que l'expression "discrimination fondée sur le sexe" ne comprenait pas la discrimination fondée sur la grossesse. Faute de définition législative plus large du mot "sexe", le juge Simonsen a estimé qu'il ne pouvait arriver à une autre conclusion.

V

La Cour d'appel du Manitoba

La Cour d'appel du Manitoba formée des juges O'Sullivan, Huband et Twaddle a rejeté à l'unanimité l'appel par des motifs très succincts: (1986), 42 Man. R. (2d) 27, 7 C.H.R.R. D/3475. Il est donc possible de citer tout arrêt de la Cour d'appel:

[TRADUCTION] Les faits sont amplement exposés par le juge Simonsen aux motifs duquel nous souscrivons en substance, mais nous allons au‑delà et nous sommes convaincus qu'il n'y a aucune discrimination en l'espèce.

Il y a lieu de souligner que le régime d'invalidité en cause fait partie d'un régime d'assurance santé qui a fait l'objet d'une convention entre l'employeur et le syndicat. On se demande pourquoi les plaintes n'ont pas été portées contre le syndicat aussi bien que contre la société.

L'appel est rejeté avec dépens.

VI

Les questions en litige et les interventions

Les appelantes ont interjeté appel de l'arrêt de la Cour d'appel du Manitoba sur les questions suivantes:

1. La Cour d'appel du Manitoba a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le régime d'invalidité offert par l'intimée à ses employés n'est pas discriminatoire?

2. La Cour d'appel du Manitoba a‑t‑elle commis une erreur de droit en adoptant les conclusions du juge de première instance et de l'arbitre d'après lesquelles la discrimination occasionnée par la "grossesse" ne crée pas une discrimination fondée sur le "sexe" qu'interdit la Loi sur les droits de la personne du Manitoba?

3. La Cour d'appel du Manitoba a‑t‑elle commis une erreur de droit en adoptant les conclusions du juge de première instance et de l'arbitre d'après lesquelles la discrimination occasionnée par la "grossesse" ne constitue pas une discrimination fondée sur le "statut familial" qu'interdit la Loi sur les droits de la personne du Manitoba?

La question de la prescription de la plainte de Mme Brooks n'a pas été soulevée en cette Cour.

Le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes (F.A.E.S.) est intervenu pour soutenir la position des appelantes.

VII

Le régime d'invalidité était‑il discriminatoire?

Que signifie discrimination? L'énoncé le plus récent sur cette question se trouve dans les motifs de mon collègue le juge McIntyre dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, aux pp. 173 à 175:

Que signifie le terme discrimination? C'est le plus souvent dans l'examen des lois sur les droits de la personne que cette question s'est posée et le concept général de discrimination en vertu de ces lois a été assez bien circonscrit. Vu les arrêts rendus par cette Cour, identifier une définition acceptable présente peu de difficulté. Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, à la p. 551, voici comment est décrit le terme "discrimination" (dans cette affaire, il s'agissait de discrimination par suite d'un effet préjudiciable): "Ce genre de discrimination se produit lorsqu'un employeur adopte . . . une règle ou une norme . . . qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés". Dans cette affaire, la Cour a également conclu que l'intention n'était pas requise comme élément de la discrimination puisque c'est essentiellement l'effet de la disposition ou de la mesure discriminatoire sur la personne touchée qui est déterminant dans l'examen de toute plainte. À la page 547, cette proposition a été formulée de la façon suivante:

Le Code vise la suppression de la discrimination. C'est là l'évidence. Toutefois, sa façon principale de procéder consiste non pas à punir l'auteur de la discrimination, mais plutôt à offrir une voie de recours aux victimes de la discrimination. C'est le résultat ou l'effet de la mesure dont on se plaint qui importe. Si elle crée effectivement de la discrimination, si elle a pour effet d'imposer à une personne ou à un groupe de personnes des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres membres de la société, elle est discriminatoire.

Dans l'arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, mieux connu sous le nom de l'affaire Action Travail des Femmes, où l'on prétendait que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada s'était rendue coupable d'actes discriminatoires en matière d'embauche et de promotions, contrairement à l'art. 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976‑77, chap. 33, en refusant aux femmes la possibilité d'occuper certains emplois non spécialisés, le juge en chef Dickson affirme ceci en rendant le jugement de la Cour, aux pp. 1138 et 1139:

On trouve une étude exhaustive de la "discrimination systémique" au Canada dans le rapport Abella sur l'égalité en matière d'emploi. La Commission royale avait pour mandat "d'enquêter sur les moyens les plus efficaces et équitables de promouvoir les chances d'emploi, d'éliminer la discrimination systémique et d'assurer à tous les mêmes possibilités de prétendre à un emploi . . ." (Décret C.P. 1983‑1924 du 24 juin 1983.) Quoique le juge Abella ait choisi de ne pas donner une définition précise de la discrimination systémique, on peut en glaner l'essentiel dans les commentaires suivants, que l'on trouve à la p. 2 de son rapport:

. . . la discrimination s'entend des pratiques ou des attitudes qui, de par leur conception ou par voie de conséquence, gênent l'accès des particuliers ou des groupes à des possibilités d'emplois, en raison de caractéristiques qui leur sont prêtées à tort . . .

La question n'est pas de savoir si la discrimination est intentionnelle ou si elle est simplement involontaire, c'est‑à‑dire découlant du système lui‑même. Si des pratiques occasionnent des répercussions néfastes pour certains groupes, c'est une indication qu'elles sont peut‑être discriminatoires.

Il existe plusieurs autres énoncés où l'on a tenté de définir succinctement le terme "discrimination". Ils sont généralement conformes aux descriptions mentionnées auparavant. J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont rarement.

La première question soulevée dans les présents pourvois est de savoir si priver complètement les femmes enceintes pendant dix‑sept semaines des prestations d'invalidité payables en vertu du régime de Safeway constitue une discrimination fondée sur la grossesse. À mon avis, il n'est pas nécessaire de s'attarder longuement à ce moyen d'appel. Je n'hésite pas à conclure que le régime d'assurance maladie et accidents de Safeway crée une discrimination envers les femmes enceintes.

Je l'ai déjà dit, l'arbitre Taylor a conclu que les employées enceintes sont traitées (à la p. D/2562):

[TRADUCTION] . . . très différemment des autres employés. En fait, ce ne sont pas seulement les problèmes liés à la grossesse qui sont exclus du régime pendant la période de dix‑sept semaines [. . .]; tous les accidents et toutes les maladies qui surviennent durant cette période de dix‑sept semaines, qu'ils aient ou non un rapport avec la grossesse, sont exclus . . .

Il a aussi signalé que même si elle remplit les conditions nécessaires pour recevoir les prestations de la Commission d'assurance‑chômage, une employée enceinte reçoit (à la p. D/2562):

[TRADUCTION] . . . un montant inférieur à celui que recevrait un employé absent de son travail pendant la même période à cause d'une incapacité autre que la grossesse.

Le juge Simonsen aussi a été d'avis que le régime crée une discrimination envers les femmes enceintes.

La Cour d'appel du Manitoba n'a pas été convaincue que, dans les circonstances de l'espèce, il y ait eu quelque discrimination. Si ce n'est qu'elle a souligné que le régime de prestations d'invalidité en cause ne constituait qu'une partie d'un régime complet d'assurance santé qui avait fait l'objet d'une convention entre l'employeur et le syndicat, la Cour d'appel n'a pas énoncé les motifs pour lesquels elle a conclu à l'absence de discrimination.

À mon avis, il est absolument incontestable que les employées enceintes sont traitées de façon beaucoup moins avantageuse que les autres employés en vertu du régime de Safeway. Pendant dix‑sept semaines les femmes enceintes n'ont pas droit à des prestations en vertu de ce régime quelle que soit la raison qui les empêche de travailler. Si, pendant ces dix‑sept semaines, une femme enceinte est atteinte d'une maladie tout à fait étrangère à sa grossesse, elle ne peut toucher aucune prestation simplement parce qu'elle est enceinte. Le régime singularise la grossesse par un traitement défavorable par rapport aux autres problèmes de santé qui peuvent empêcher quelqu'un de travailler. À la seule exception de la grossesse, l'admissibilité aux prestations en vertu du régime n'est soumise à aucune restriction. Il est même généreux, sauf pour les femmes enceintes. Pour toute période continue d'incapacité pour cause de maladie, un employé peut toucher jusqu'à 26 semaines de prestations. Les employés peuvent toucher les prestations que prévoit le régime sans faire un séjour forcé à la maison. Il n'y a pas de restriction quant à la cause d'invalidité, à l'unique exception de la grossesse. Il est difficile de ne pas conclure que, parce qu'il traite la grossesse de façon moins avantageuse que tous les autres problèmes de santé, le régime de Safeway crée une discrimination fondée sur la grossesse.

Les avocats de Safeway ont soutenu à l'aide de plusieurs arguments, que le régime d'invalidité ne crée pas de discrimination fondée sur la grossesse. On peut les diviser en cinq grandes catégories. Premièrement, ils ont soutenu que, comme la grossesse n'est "ni une maladie, ni un accident", point n'est besoin de l'inclure dans un régime d'assurance maladie et accidents; deuxièmement, que la grossesse est un état voulu et que, comme les autres formes d'absence volontaire, elle ne saurait faire l'objet de prestations; troisièmement, que le régime ne pouvait être discriminatoire parce qu'il n'existait aucune intention de créer une discrimination; quatrièmement, que le régime ne créait pas de discrimination, mais qu'il était limité en ce qu'il ne couvrait pas certaines invalidités; enfin, en vertu d'une interprétation plutôt singulière du lien qui existe entre le règlement d'application de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage et la Loi sur les droits de la personne du Manitoba, ils ont soutenu que cette dernière permet implicitement que les régimes d'avantages sociaux des employés excluent les prestations pour la grossesse. À mon avis, aucun de ces arguments ne permet à Safeway de se soustraire à la conclusion que son régime d'assurance maladie et accidents créait une discrimination fondée sur la grossesse.

Les deux premières prétentions, savoir que la grossesse n'est ni un accident, ni une maladie et celle qu'il s'agit d'un état voulu sont assez semblables. Je suis tout à fait d'accord qu'on ne saurait, à proprement parler, qualifier la grossesse de maladie ou d'accident. C'est cependant un motif de santé suffisant pour ne pas se présenter au travail et, à ce titre, il n'aurait pas dû être exclu du régime de Safeway. Le caractère discriminatoire de cette exclusion ressort clairement quand on considère la nature véritable, ou la raison d'être sous‑jacente du régime de prestations de Safeway. La raison d'être sous‑jacente de ce régime est le désir louable d'indemniser les personnes incapables de travailler pour des motifs réels de santé. La grossesse appartient manifestement à ces motifs. En établissant une distinction entre la maladie et les accidents d'une part et la grossesse d'autre part, Safeway cherche à camoufler une distinction indéfendable. Il semble incontestable que dans notre société la grossesse est un motif de santé valable de s'absenter du travail. Il va sans dire que la grossesse a une importance primordiale dans notre société. De fait, son importance en rend la description difficile. Il est fallacieux d'établir un parallèle entre la grossesse et, par exemple, la décision de subir une opération de chirurgie esthétique, comparaison que l'intimée fait pourtant implicitement dans son argumentation. Si l'état de santé lié à la procréation ne constitue pas un motif légitime de s'absenter du travail, il est difficile d'en imaginer un autre. Considérée dans son contexte social, la grossesse constitue un motif de santé parfaitement légitime de ne pas se présenter au travail et, à ce titre, elle devrait donner droit aux prestations prévues par le régime de Safeway. Pour l'employée, les conséquences économiques de l'incapacité d'exécuter les tâches que son travail comporte sont les mêmes que cette incapacité résulte d'une grossesse ou d'un autre motif de santé entraînant l'absence du travail.

De plus, ne pas considérer la grossesse de cette façon va à l'encontre de l'un des objets des lois anti‑discrimination. Comme il ressort de l'extrait précité de l'arrêt Andrews, cet objet est la suppression des désavantages injustes imposés à des personnes ou à des groupes dans la société. Il peut y avoir un désavantage injuste lorsqu'on laisse porter à un seul groupe de personnes les coûts d'activités qui profitent à l'ensemble de la société. C'est l'effet du régime de Safeway. Il est incontestable que tous les membres de la société profitent de la procréation. Le régime de Safeway fait cependant porter un des principaux coûts de la procréation à un seul groupe dans la société: les femmes enceintes. Donc, en faisant une distinction entre la grossesse et toutes les autres raisons de santé pour ne pas travailler, le régime impose un désavantage injuste aux femmes enceintes. Dans la deuxième partie des présents motifs, je dis qu'il est possible de considérer ce désavantage comme un désavantage imposé à l'ensemble des femmes. Il ressort en outre de cet argument qu'en ne concluant pas que le régime de Safeway est discriminatoire, on saperait un des objectifs des lois anti‑discrimination. On le ferait en avalisant une des façons les plus marquées de désavantager les femmes dans notre société. Ce serait avaliser l'imposition aux femmes d'une part disproportionnée des coûts de la grossesse. La suppression des fardeaux injustes imposés aux femmes et aux autres groupes dans la société constitue un objet clef des lois anti‑discrimination. Conclure que le régime de Safeway est discriminatoire sert cet objet.

En résumé, si un employeur tel Safeway fournit un régime d'assurance santé et en exclut la grossesse comme motif valable d'indemnisation, il agit de façon discriminatoire. Étant donné cette conclusion, il faut souligner que le régime de Safeway serait considéré comme discriminatoire même s'il n'excluait pas l'indemnisation des maladies et des accidents qui n'ont pas de rapport avec la grossesse. Il suffit que le régime exclue l'indemnisation pour la grossesse. Qu'il exclue aussi l'indemnisation des maux sans rapport avec la grossesse ajoute à la discrimination et révèle la façon dont les concepteurs du régime considéraient la grossesse.

Il convient aussi de souligner que, selon les conditions d'application du régime, celui‑ci n'écarte pas l'indemnisation pour l'absence du travail pour raison de grossesse pendant la plus grande partie des neuf mois de la grossesse. Bien qu'une grossesse normale dure un peu moins de quarante semaines, en vertu du régime, les femmes enceintes peuvent toucher des prestations jusqu'à dix semaines avant la semaine prévue de l'accouchement. Pendant les vingt‑neuf premières semaines de la grossesse, Safeway ne refuse pas d'indemniser les employées enceintes sous prétexte que la grossesse n'est ni un accident, ni une maladie. Il n'est pas convaincant de soutenir que l'employée enceinte ne reçoit pas de prestation après vingt‑neuf semaines parce qu'il s'agit d'une situation voulue alors qu'elle pouvait en toucher jusqu'à ce moment en vertu du régime d'assurance maladie et invalidité.

Le troisième argument, selon lequel le régime ne peut pas être discriminatoire parce que l'intimée n'avait pas l'intention de faire de distinction prohibée n'a que peu de force, s'il en a, en raison de l'arrêt de cette Cour Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536. Dans cet arrêt, la Cour a statué que l'effet de la pratique contestée et non l'intention qui la motive est le facteur déterminant de la discrimination. L'intention de créer une discrimination n'est pas un élément nécessaire de la discrimination.

Le quatrième argument veut que le régime ne soit pas discriminatoire, mais qu'il ne couvre pas tous les risques qu'il est possible d'assurer. Safeway soutient que la décision d'exclure la grossesse de la couverture du régime ne relève pas de la discrimination, mais de la décision d'indemniser certains risques et d'exclure les autres. Elle appuie cet argument sur deux arrêts américains par lesquels la Cour suprême des États‑Unis a statué que l'exclusion de la grossesse de régimes d'indemnisation ne constituait pas de la discrimination fondée sur le sexe. Dans l'arrêt Geduldig v. Aiello, précité, la Cour a jugé qu'un régime d'assurance invalidité qui ne comportait pas d'indemnité pour la grossesse ne violait pas les dispositions sur l'égalité du Quatorzième amendement. Deux ans plus tard, dans l'arrêt General Electric Co. v. Gilbert, précité, la Cour a confirmé cette conclusion dans le contexte du Titre VII de la Civil Rights Act of 1964. Dans les deux arrêts, la Cour a conclu que ces régimes d'assurance collective ne couvraient pas les risques qu'ils décidaient d'exclure et que cette absence de couverture n'était pas nécessairement discriminatoire.

À mon avis, le raisonnement adopté dans ces deux arrêts ne convient pas bien à l'analyse canadienne des questions de discrimination. Dans les arrêts General Electric et Geduldig, la Cour suprême des États‑Unis conclut que la constitution permet de faire des distinctions touchant la grossesse si elles ont un fondement raisonnable, pourvu que ces distinctions n'aient pas pour objet de créer une discrimination inique contre les personnes d'un sexe ou de l'autre. Je l'ai déjà signalé, au Canada, l'existence de la discrimination ne dépend pas d'une constatation d'intention inique. Les effets de la couverture dite sélective militent contre l'application de la notion de couverture sélective dans ce contexte. La couverture sélective constitue peut‑être simplement un moyen détourné de permettre la discrimination. Les avantages sociaux sont de plus en plus souvent intégrés dans les conditions de travail. Dès qu'un employeur décide de fournir un régime d'avantages sociaux, il ne peut pas faire d'exclusions de façon discriminatoire. Une indemnisation sélective de cette nature reviendrait clairement à de la discrimination fondée sur le sexe. Les avantages fournis dans le cadre de l'emploi doivent être fournis sans discrimination.

Le cinquième argument invoqué par Safeway découle d'une interprétation inusitée du par. 7(2) de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba. L'alinéa 7(2)a) permet des exceptions à l'interdiction de principe de la discrimination promulguée par l'art. 6. Cet alinéa permet expressément que des régimes d'avantages sociaux fassent des distinctions fondées sur l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la déficience physique ou mentale, ou le statut familial [TRADUCTION] "si la Commission, en se fondant sur les lignes de conduite établies dans les règlements, conclut que la distinction n'est pas discriminatoire et que l'employé ne peut bénéficier des prestations que si la distinction est permise . . ." Aucun règlement n'a jamais été établi en vertu de ce paragraphe. Safeway tente d'introduire un règlement en invoquant le règlement d'application de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage qui porte sur les régime d'assurance‑salaire fournis par les employeurs. Le sous‑alinéa 19h)(vii) du Règlement d'application de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage porte précisément sur les régimes fournis par les employeurs qui n'indemnisent pas les femmes enceintes pendant la période "10‑1‑6". L'existence de ce règlement, soutient l'intimée, indique que les rédacteurs de la Loi sur les droits de la personne ont vu dans les exceptions de cette nature une distinction permise en vertu du par. 7(2).

Je ne puis souscrire à l'interprétation proposée par l'intimée. Le législateur manitobain a expressément envisagé la question de la discrimination dans les régimes d'avantages sociaux. Les distinctions fondées sur le sexe auraient pu être permises dans des régimes d'avantages sociaux si un règlement d'application avait été adopté en vertu du par. 7(2). La seule conclusion qu'autorise l'absence de règlement d'application de cette disposition est que la discrimination n'est pas permise dans les régimes d'avantages sociaux. On ne saurait associer un règlement à la Loi sur les droits de la personne alors qu'aucun règlement d'application de la Loi n'a été promulgué.

Pour ces motifs, je suis d'avis que le régime d'assurance maladie et accidents de l'intimée crée une discrimination fondée sur la grossesse.

VIII

La discrimination fondée sur la grossesse est‑elle de la discrimination fondée sur le sexe?

Après avoir conclu que le régime de Safeway crée une discrimination fondée sur la grossesse, il est nécessaire de déterminer si cette discrimination est de la discrimination fondée sur le sexe. Je serais porté à croire qu'une personne qui n'a pas de formation juridique répondrait spontanément par l'affirmative. Après coup, on ne peut que se demander comment la discrimination fondée sur la grossesse pourrait‑elle être autre chose que de la discrimination fondée sur le sexe? Le traitement désavantageux auquel Mmes Brooks, Allen et Dixon ont été soumises découlait entièrement de leur grossesse, un état exclusivement féminin. Elles étaient enceintes à cause de leur sexe. La discrimination fondée sur la grossesse est une forme de discrimination fondée sur le sexe à cause de la réalité biologique que seules les femmes ont la possibilité de devenir enceintes.

Comme je l'ai déjà signalé, l'intimée invoque surtout l'arrêt de cette Cour Bliss c. Procureur général du Canada, précité, pour soutenir que la discrimination fondée sur la grossesse n'est pas une discrimination fondée sur le sexe. Dans l'arrêt Bliss, cette Cour devait déterminer si l'art. 46 de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, qui imposait des limites à l'admissibilité des femmes enceintes aux prestations d'assurance‑chômage, constituait de la discrimination fondée sur le sexe au sens de l'al. 1b) de la Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III. L'alinéa 1b) affirme "le droit de l'individu à l'égalité devant la loi" quel que soit son sexe. La Cour a statué que la plaignante n'avait pas été privée du droit à l'égalité devant la loi. L'article 30 de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage accordait des prestations de grossesse pendant quinze semaines à compter de la huitième semaine avant la date présumée de l'accouchement. L'article 46 limitait l'admissibilité des femmes enceintes qui étaient incapables travailler durant ces quinze semaines aux prestations prévues à l'art. 30. Les conditions d'admissibilité aux prestations prévues à l'art. 30 étaient plus onéreuses que celles qui s'appliquaient aux autres catégories de prestations d'assurance‑chômage. Pour avoir droit aux prestations prévues à l'art. 30, une femme devait avoir exercé un emploi assurable pendant au moins dix semaines dans les vingt semaines qui précédaient immédiatement la date présumée de l'accouchement. Pour toucher les prestations normales d'assurance‑chômage, il fallait avoir exercé un emploi assurable pendant au moins huit semaines pendant la période de référence. Le juge Ritchie, au nom de la Cour, reconnaît que les art. 30 et 46 de la Loi ont pour effet d'imposer aux femmes des conditions qui ne s'appliquent pas aux hommes, mais il affirme que "[t]oute inégalité entre les sexes en ce domaine n'est pas le fait de la législation, mais bien de la nature". Il poursuit en citant avec approbation l'opinion incidente suivante tirée des motifs du juge Pratte de la Cour d'appel fédérale (aux pp. 190 et 191):

La question qu'il faut déterminer en l'espèce n'est donc pas celle de savoir si l'intimée a été victime de discrimination en raison du sexe mais plutôt si elle a été privée du "droit à l'égalité devant la loi" consacré par l'alinéa 1b) de la Déclaration canadienne des droits. Ceci étant dit, je désire ajouter que je ne puis partager l'opinion du juge‑arbitre que l'application de l'article 46 à l'intimée constituait une discrimination à son égard en raison du sexe. À supposer que l'on eût fait de la "discrimination contre" l'intimée, ce n'aurait pas été en raison de son sexe. En effet, l'article 46 vise les femmes enceintes, mais non celles qui ne le sont pas, et encore moins les hommes. Si l'article 46 ne traite pas les femmes enceintes en chômage comme d'autres chômeurs, hommes ou femmes, c'est, à mon sens, parce qu'elle sont enceintes et non parce qu'elles sont des femmes.

Selon ce raisonnement, on a conclu que la discrimination fondée sur la grossesse n'était pas de la discrimination fondée sur le sexe.

L'arrêt Bliss a été rendu il y a plus de 10 ans. Pendant cette période, la participation des femmes dans la main‑d'{oe}uvre a changé en profondeur. Avec dix ans de recul et d'expérience en matière de litiges relatifs à la discrimination dans les droits de la personne et la jurisprudence qui en a résulté, je suis prêt à dire que l'arrêt Bliss est erroné ou, du moins, que maintenant on ne pourrait plus rendre le même arrêt. Allier travail salarié et maternité et tenir compte des besoins des femmes enceintes au travail sont des impératifs de plus en plus pressants. Il semble aller de soi que celles qui donnent naissance à des enfants et favorisent ainsi l'ensemble de la société ne devraient pas en subir un désavantage économique ou social. Seules les femmes portent des enfants; aucun homme n'en a la possibilité. Comme je l'ai déjà affirmé, il est injuste d'imposer tous les coûts de la grossesse à une seule moitié de la population. Il est difficile de concevoir qu'une distinction fondée sur la grossesse puisse être tenue pour autre chose que de la discrimination fondée sur le sexe ou que des restrictions applicables légalement aux seules femmes enceintes ne comportent pas de discrimination contre elles en tant que femmes. Il est difficile d'accepter que l'inégalité imposée à Stella Bliss dépendait de la nature et qu'en conséquence elle ne comportait pas de discrimination; je crois maintenant pouvoir dire qu'il s'agit plutôt d'une inégalité créée par la loi, plus précisément la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage. La possibilité de devenir enceinte est propre au sexe féminin. Comme les appelantes le soutiennent dans leur mémoire: [TRADUCTION] "La possibilité d'être enceinte est une caractéristique immuable ou un trait propre au sexe, qui distingue les hommes des femmes. Une distinction fondée sur la grossesse n'établit pas seulement une distinction entre les personnes enceintes et celles qui ne le sont pas, elle établit aussi une distinction entre le sexe des personnes susceptibles de devenir enceinte et le sexe de celles qui ne le peuvent pas". Les distinctions fondées sur la grossesse ne peuvent être autre chose que des distinctions fondées sur le sexe ou, du moins, "très apparentées au sexe". Le régime de Safeway avait certainement été conçu, comme le dit le juge Brennan dans l'arrêt General Electric, aux pp. 149 et 150, [TRADUCTION] "à une époque où les femmes jouaient un rôle marginal et temporaire sur le marché du travail".

L'arrêt de cette Cour Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279, présage l'abandon de l'arrêt Bliss. Le juge Beetz y dit, au nom de la Cour, à la p. 301:

Aux fins de la présente analyse, je fais simplement remarquer que la distinction discutable, pour dire le moins, qui a été faite dans l'affaire Bliss entre la discrimination fondée sur le sexe et celle fondée sur la grossesse a été mise en doute et que, même si elle pouvait être maintenue, l'affaire ne serait peut‑être pas tranchée de la même manière aujourd'hui étant donné que dans son arrêt récent Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, cette Cour a reconnu l'existence de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable.

L'interprétation des lois relatives aux droits de la personne suivie dans l'arrêt Bliss est incompatible avec celle que la Cour a proposée dans plusieurs arrêts rendus depuis. Ce sont par exemple les arrêts Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons‑Sears Ltd., précité, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, et Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S 145. Le juge La Forest a récemment résumé le sens de ces arrêts dans l'arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, aux p. 89 et 90:

Suivant son art. 2, la Loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet au principe selon lequel tous ont droit à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment de motifs de distinction illicites dont ceux fondés sur le sexe. Comme le juge McIntyre l'a expliqué récemment, au nom de la Cour, dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, on doit interpréter la Loi de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui la sous‑tendent. Il s'agit là d'une tâche qui devrait être abordée non pas parcimonieusement mais d'une manière qui tienne compte de la nature spéciale d'une telle loi dont le juge McIntyre a dit qu'elle "n'est pas vraiment de nature constitutionnelle"; voir également Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145, le juge Lamer, aux pp. 157 et 158. Bien sûr, ce que laisse entendre cette expression n'est pas que la loi en cause est en quelque sorte enchâssée dans la Constitution, mais plutôt qu'elle exprime certains objectifs fondamentaux de notre société. Plus récemment encore, dans l'arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (l'arrêt Action Travail des Femmes), [1987] 1 R.C.S. 1114, le juge en chef Dickson a souligné la nécessité de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits énoncés dans ladite loi, conformément à la Loi d'interprétation qui exige que les lois soient interprétées de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets.

Dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia déjà mentionné, le juge McIntyre a rejeté le critère de la "situation analogue" dans une contestation fondée sur le droit à l'égalité garanti par la Charte canadienne des droits et libertés. L'affaire Bliss ne s'appuyait pas sur la Charte non plus que l'espèce, mais le commentaire du juge McIntyre à l'égard de Bliss est d'un intérêt certain. Il y dit ceci, aux pp. 167 et 168:

Ainsi, la simple égalité d'application de la loi à des groupes ou à des individus qui se trouvent dans une situation analogue ne peut constituer un critère réaliste en ce qui concerne la violation des droits à l'égalité. En effet, comme on l'a déjà dit, une mauvaise loi ne peut être sauvegardée pour la simple raison qu'elle s'applique également à ceux qu'elle vise. Pas plus qu'une loi sera nécessairement mauvaise parce qu'elle établit des distinctions.

Un critère de la situation analogue axé sur l'égalité d'application de la loi à ceux qu'elle vise pourrait entraîner des résultats semblables à ce qui s'est produit dans l'arrêt Bliss c. Procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 183. Dans l'affaire Bliss, une femme enceinte s'était vu refuser les prestations d'assurance‑chômage auxquelles elle aurait eu droit si elle n'avait pas été enceinte. Elle a fait valoir que la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage violait les garanties d'égalité contenues dans la Déclaration canadienne des droits pour le motif qu'elle établissait à son détriment une distinction illicite fondée sur le sexe. Sa demande a été rejetée par cette Cour pour le motif qu'il n'y avait pas de distinction illicite fondée sur le sexe puisque la catégorie dans laquelle elle tombait en vertu de la Loi était celle des personnes enceintes et que toutes les personnes dans cette catégorie étaient traitées également.

Le professeur Peter Hogg commente ainsi l'arrêt Bliss dans Constitutional Law of Canada (2e éd. 1985) à la p. 791:

[TRADUCTION] Le juge Ritchie, qui a rédigé les motifs unanimes de la Cour, a affirmé que la discrimination dans la Loi n'est pas fondée sur le sexe. Il cite et confirme une opinion incidente de la cour d'instance inférieure selon laquelle la catégorie défavorisée est déterminée plutôt par la grossesse que par le sexe et il conclut que "toute inégalité entre les sexes en ce domaine n'est pas le fait de la législation, mais bien de la nature". Cette partie du raisonnement prête le flanc à la critique. Madame Bliss ne demandait pas des prestations spéciales de maternité qui auraient pu justifier une période de référence plus longue. Elle demandait les prestations normales auxquelles elle aurait eu droit si l'impossibilité pour elle de travailler avait résulté d'une mise à pied, de la maladie ou de toute autre cause hormis la grossesse. Le refus des prestations découlait de sa grossesse. Puisque la grossesse est un état qui s'applique seulement aux femmes, le refus aurait dû être qualifié de discrimination fondée sur le sexe. Il est vrai que la Loi ne créait pas de discrimination envers toutes les femmes, mais seulement à l'égard des femmes enceintes, mais la discrimination à l'égard de certaines femmes ne devrait pas être traitée différemment de la discrimination à l'égard de toutes les femmes.

L'argument selon lequel la discrimination fondée sur la grossesse ne peut équivaloir à de la discrimination fondée sur le sexe parce que toutes les femmes ne sont pas enceintes en même temps ne me convainc pas. Quoique la discrimination fondée sur la grossesse ne puisse frapper qu'une partie d'un groupe identifiable, elle ne peut frapper personne en dehors de ce groupe. Un grand nombre, sinon la majorité, des cas de discrimination partielle possèdent cette caractéristique. Comme de nombreux arrêts et de nombreux auteurs l'ont affirmé, cette réalité ne rend pas la distinction contestée moins discriminatoire.

David Pannick, Barrister et Fellow du All Souls College, Oxford, dit dans son ouvrage Sex Discrimination Law (1985), aux p. 147 et 148:

[TRADUCTION] Le EAT [Employment Appeals Tribunal] avait raison de conclure que s'il y avait traitement désavantageux d'une femme enceinte, il dépendait d'une distinction fondée sur le sexe de cette personne. Parce que seules les femmes peuvent être enceintes, la plaignante qui a été renvoyée parce qu'elle était enceinte peut soutenir qu'elle n'aurait pas été traitée de façon désavantageuse si ce n'était de son sexe. Il faudrait interpréter les lois de façon très restrictive pour arriver à écarter un traitement désavantageux qui se fondrait sur une caractéristique exclusive d'un seul sexe. Certes, toutes les femmes ne sont pas enceintes ou ne le deviennent pas. Mais il faut souligner qu'il n'y a pas de discrimination directe seulement si le défendeur applique un critère qui traite toutes les femmes moins favorablement. Il y a aussi discrimination si l'on applique un traitement spécial et défavorable à une classe de personnes uniquement composée de femmes, même si cela n'inclut pas toutes les femmes. Prenons l'exemple d'un employeur qui indiquerait qu'il embauchera tout homme qui possède certaines qualifications, mais seulement une femme qui possède les mêmes qualifications et qui mesure plus de six pieds. Même si toutes les femmes ne se trouvent pas exclues, cet employeur a exercé de la discrimination envers les femmes parce qu'il a imposé des conditions désavantageuses pour une catégorie de personnes composée uniquement de femmes.

Je citerai aussi l'article du professeur James MacPherson, intitulé "Sex Discrimination in Canada: Taking Stock at the Start of a New Decade" (1980), 1 C.H.R.R. c/7, à c/11:

[TRADUCTION] Dans l'arrêt Bliss c. Procureur général (Canada) on a statué que les dispositions de la Loi sur l'assurance‑chômage, une loi fédérale, qui traitait les femmes enceintes moins avantageusement que tous les autres prestataires de l'assurance‑chômage, ne créait pas de discrimination fondée sur le sexe. Le juge Ritchie a écrit, dans le jugement unanime de la Cour, que "toute inégalité entre les sexes en ce domaine n'est pas le fait de la législation, mais bien de la nature".

Pour étayer cette conclusion on peut soutenir que les dispositions relatives à l'assurance‑chômage traitent toutes les femmes, sauf les femmes enceintes, sur le même pied que les hommes pour ce qui est de l'admissibilité aux prestations et que la distinction fondée sur la grossesse défavorise les femmes non pas en tant que femmes, mais à cause d'une caractéristique physique. Il en résulte, selon cet argument, que la distinction apportée par les dispositions législatives s'applique à des catégories de femmes, mais ne constitue pas une distinction entre les hommes et les femmes.

À mon avis, cet argument est sans valeur. Que la discrimination ne soit que partielle n'en change pas la nature. Ainsi, une loi fédérale qui traiterait certains Indiens, mais pas tous les Indiens, plus durement que les blancs serait discriminatoire. De même, un employeur qui refuserait d'embaucher un noir particulier uniquement parce qu'il est noir contreviendrait aux lois provinciales sur les droits de la personne même si cet employeur embauchait d'autres noirs. Un texte de loi ou l'acte d'un individu n'est pas protégé parce qu'il n'est que partiellement discriminatoire. La loi visée par l'arrêt Bliss a un effet partiellement discriminatoire. Quoique presque toutes les femmes soient traitées comme les hommes le sont, une classe de personnes, soit les femmes enceintes, est traitée plus durement parce que ces femmes sont enceintes. Puisque la grossesse est un état où seules les femmes se trouvent, la loi prive ces femmes de l'égalité devant la loi. En refusant de le reconnaître et en concluant que la distinction fondée sur la grossesse n'est pas fondée sur le sexe, la Cour suprême du Canada a décidé de ne pas attaquer un des obstacles les plus vieux et les plus graves auxquels les femmes sont confrontées au Canada, savoir les lois et les pratiques d'embauche qui défavorisent les femmes enceintes.

On pourrait aussi citer la décision du juge Oppal, de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans Century Oils (Canada) Inc. v. Davies (1988), 22 B.C.L.R. (2d) 358, rendu le 28 janvier 1988, aux pp. 364 et 365:

[TRADUCTION] Il est peut‑être trop limitatif et même artificiel de soutenir qu'une distinction fondée sur un état, comme la grossesse, que tous les membres d'un groupe ne partagent pas, ne crée pas de discrimination à l'égard de la totalité du groupe. On ne peut se justifier en affirmant que, puisque la discrimination fondée sur la grossesse ne vise pas toutes les femmes, il ne s'agit pas d'une discrimination fondée sur le sexe. En effet la discrimination qui vise ou atteint quelques membres d'un groupe particulier plutôt que la totalité du groupe n'en est pas moins discriminatoire. C'est ce qu'a affirmé un comité d'enquête entendant une plainte en vertu de l'ancien Human Rights Code, R.S.B.C. 1979, chap. 186, dans l'affaire Zarankin v. Johnstone (1984), 5 C.H.R.R. D/2274, à la p. D/2276 [. . .] en ces termes:

. . . un employeur qui soumet certaines de ses employées au harcèlement sexuel et n'importune pas d'autres employées exerce de la discrimination fondée sur le sexe parce que le harcèlement défavorise seulement un groupe.

On ne peut pas dire qu'il y a absence de preuve de discrimination à moins que tous les membres d'une catégorie particulière ne soient également touchés. L'interprétation de la discrimination fondée sur le sexe proposée par le demandeur est indûment restrictive et va probablement à l'encontre des attentes de la société contemporaine.

Enfin, sur ce point, l'intimée a invoqué l'arrêt Canada Safeway Ltd. c. Manitoba Food and Commercial Workers Union, Local 832, [1981] 2 R.C.S. 180, par lequel cette Cour a rétabli une sentence arbitrale qui avait statué que le règlement de Safeway contre le port de la barbe était "raisonnable". Safeway soutient que, par analogie, cette Cour a déjà statué que la discrimination fondée sur la grossesse n'est pas une discrimination fondée sur le sexe. On a aussi mentionné l'affaire Manitoba Human Rights Commission v. Canada Safeway Ltd., [1985] 1 R.C.S. x, par lequel cette Cour a rejeté la demande d'autorisation de pourvoi de la Commission des droits de la personne à l'encontre de l'arrêt selon lequel la règle interdisant le port de la barbe n'était pas de la discrimination fondée sur le sexe. La Cour d'appel du Manitoba avait décidé à l'unanimité que la règle interdisant le port de la barbe n'était [TRADUCTION] "manifestement pas un sujet de discrimination fondée sur le sexe" ([1985] 1 W.W.R. 479, à la p. 480). On a soutenu qu'il y a une analogie entre cet arrêt et la situation en l'espèce; la barbe est spécifique aux hommes comme la grossesse est spécifique aux femmes, mais tous les hommes ne portent pas la barbe et toutes les femmes ne sont pas enceintes. Je ne trouve aucun appui dans ces arrêts. Je ne puis voir d'analogie utile entre une règle imposée par une société interdisant aux hommes le port de la barbe et un régime d'assurance maladie et accidents qui crée de la discrimination envers les employées qui sont enceintes. À essayer de voir une analogie, on ne réussit qu'à banaliser la fonction de procréation des femmes qui est essentielle pour la société et à chercher à conférer un statut constitutionnel au droit de se laisser pousser la barbe.

L'argument invoqué par l'intimée, selon lequel les modifications législatives visant à contrer la discrimination fondée sur la grossesse adoptées après l'arrêt Bliss constituent une indication que l'expression discrimination fondée sur le sexe n'inclut pas la grossesse ne me convainc pas. On ne peut conclure, parce que certaines provinces ont ajouté la grossesse à la liste des motifs exprès de discrimination prohibée à cause d'une définition restrictive du mot sexe, que la discrimination fondée sur le sexe n'englobe pas la discrimination fondée sur la grossesse.

IX

La discrimination fondée sur le statut familial

En plus de soutenir que la discrimination fondée sur la grossesse est de la discrimination fondée sur le sexe, les appelantes soutiennent qu'il y a discrimination en raison du statut familial. Puisque j'ai déjà conclu que la discrimination fondée sur la grossesse viole l'interdiction de la discrimination fondée sur le sexe énoncée dans la Loi sur les droits de la personne du Manitoba, il est inutile que j'examine cette question et je ne fais pas en l'espèce.

X

Dispositif

Je suis d'avis que le régime d'assurance maladie et accidents de l'intimée crée une discrimination fondée sur le sexe en privant les femmes enceintes de prestations pendant dix‑sept semaines. En conséquence, je suis d'avis d'accueillir les pourvois, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel du Manitoba, avec dépens des procédures devant les cours du Manitoba et en cette Cour. Je suis d'avis de renvoyer la plainte des appelantes à l'arbitre pour qu'il fixe le redressement approprié en vertu de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba.

Pourvois accueillis avec dépens.

Procureur des appelantes: Tanner Elton, Winnipeg.

Procureurs de l'intimée: Aikins, MacAulay & Thorvaldson, Winnipeg.

Procureur de l'intervenant: C. Lynn Smith, Vancouver.

*Le juge Le Dain n'a pas pris part au jugement.



Parties
Demandeurs : Brooks
Défendeurs : Canada safeway ltd.

Références :
Proposition de citation de la décision: Brooks c. Canada safeway ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219 (4 mai 1989)


Origine de la décision
Date de la décision : 04/05/1989
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1989] 1 R.C.S. 1219 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-05-04;.1989..1.r.c.s..1219 ?
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