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18/05/1989 | CANADA | N°[1989]_1_R.C.S._1367

Canada | Elsom c. Elsom, [1989] 1 R.C.S. 1367 (18 mai 1989)


Elsom c. Elsom, [1989] 1 R.C.S. 1367

Sheila Elizabeth Elsom Appelante

c.

Norman Dennis Elsom Intimé

répertorié: elsom c. elsom

No du greffe: 20350.

1989: 22 février; 1989: 18 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

Droit de la famille -- Biens familiaux -- Partage de biens familiaux — Attribution de 25 p. 100 des biens familiaux à l'épouse en première instance -- Réduction de la part de l'épouse en Cour d'appel -- La Cour d'appel a‑t‑elle commis u

ne erreur en intervenant dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance? -- Family Relati...

Elsom c. Elsom, [1989] 1 R.C.S. 1367

Sheila Elizabeth Elsom Appelante

c.

Norman Dennis Elsom Intimé

répertorié: elsom c. elsom

No du greffe: 20350.

1989: 22 février; 1989: 18 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

Droit de la famille -- Biens familiaux -- Partage de biens familiaux — Attribution de 25 p. 100 des biens familiaux à l'épouse en première instance -- Réduction de la part de l'épouse en Cour d'appel -- La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur en intervenant dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance? -- Family Relations Act, R.S.B.C. 1979, chap. 121, art. 51.

Les parties ont divorcé après neuf ans de mariage. Tous les biens, tant ceux utilisés à des fins familiales qu'à des fins commerciales, ont été apportés en mariage par l'intimé. À cause de la contribution indirecte de l'appelante par sa gestion domestique et l'éducation des enfants, les biens commerciaux de l'intimé ont été inclus dans les biens familiaux en application de l'al. 45(3)e) de la Family Relations Act. Dans l'évaluation et la répartition des biens familiaux, le juge de première instance a tenu compte des facteurs énumérés à l'art. 51 de la Loi et a conclu que l'appelante n'avait pas droit à une part égale des biens familiaux et lui a attribué un intérêt de 25 p. 100 dans les biens, ce qui équivalait à 1 450 000 $. La Cour d'appel a infirmé l'ordonnance et conclu que le juge de première instance avait commis une erreur parce qu'il n'avait pas examiné ni comparé la contribution de chaque conjoint à chaque bien pris individuellement. La Cour a conclu que les facteurs de l'affaire exigeaient un examen séparé des biens "commerciaux" et des biens "du ménage" et a accordé à l'appelante 10 p. 100 des biens "commerciaux" et 50 p. 100 des biens "du ménage". La valeur de la part de l'appelante dans les biens familiaux a été réduite à 681 200 $.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

La Cour d'appel a commis une erreur en intervenant dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au juge de première instance par l'art. 51 de la Loi. Une cour d'appel n'est justifiée d'intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance que si celui‑ci s'est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de créer une injustice. En l'espèce, rien dans le jugement de première instance n'indique qu'il y ait eu erreur de droit. L'article 51 accorde à la Cour suprême de la province le pouvoir discrétionnaire de s'écarter de la règle de la répartition égale des biens familiaux formulée à l'art. 43 de la Loi lorsque, compte tenu des critères énumérés à l'art. 51, une répartition égale serait inéquitable. L'article 51 permet une évaluation de chaque bien, mais cet article n'impose pas une telle évaluation, et rien n'exige que les biens "commerciaux" soient examinés séparément des biens "du ménage". L'article 51 n'exige pas non plus que la cour fasse une répartition des biens qu'elle estime proportionnée à la contribution que chaque conjoint a apportée aux biens ou aux catégories de biens visés. De plus, rien dans le jugement de première instance n'indique qu'il y ait eu injustice. La Cour d'appel n'a pas conclu que le juge de première instance avait commis une erreur quant aux faits de l'espèce ni qu'il avait pris en considération des facteurs sans pertinence ou omis de tenir compte de facteurs pertinents.

Jurisprudence

Arrêt appliqué: Harper c. Harper, [1980] 1 R.C.S. 2; arrêt mentionné: LeBlanc c. LeBlanc, [1988] 1 R.C.S. 217.

Lois et règlements cités

Family Relations Act, R.S.B.C. 1979, chap. 121, art. 43, 45, 46, 51.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1987), 13 R.F.L. (3d) 231, qui a accueilli en partie l'appel de l'intimé contre un jugement du juge Locke, [1985] W.D.F.L. 1578, [1985] B.C.W.L.D. 2710, qui attribuait à l'appelante un intérêt de 25 p. 100 dans les biens familiaux. Pourvoi accueilli.

Thomas R. Berger, pour l'appelante.

B. A. Crane, c.r., pour l'intimé.

//Le juge Gonthier//

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE GONTHIER -- Cette affaire soulève encore une fois la question de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance en vertu de la législation provinciale sur les biens familiaux, en l'espèce la Family Relations Act, R.S.B.C. 1979, chap. 121, d'ordonner un partage en parts inégales des biens familiaux entre les conjoints, à la dissolution de leur mariage.

Les faits et les procédures

Les parties au présent pourvoi sont en procès depuis 1979. L'histoire du litige et les faits entourant le mariage, la séparation et le divorce des parties sont longs et complexes. Je me limiterai donc à exposer les faits et les procédures pertinents à la question en litige.

Les parties se sont mariées en 1970 et ont divorcé en 1979. L'intimé, M. Elsom, était propriétaire de plusieurs sociétés, s'occupant toutes de promotion immobilière dans le sud‑ouest de la Colombie‑Britannique. Tous les intérêts commerciaux de l'intimé avaient été financés à l'origine par une société britannique dont il était l'actionnaire majoritaire, et ils étaient tous en place avant qu'il fasse la connaissance de l'appelante.

La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a accordé aux parties un jugement conditionnel de divorce le 17 mars 1982, publié à (1982), 35 B.C.L.R. 293. Dans le même jugement, le juge Locke a conclu que les biens familiaux à répartir en application de l'art. 45 de la Family Relations Act (la "Loi"), comprenaient les biens "commerciaux" de l'intimé. Bien que l'appelante ait accompli des tâches diverses de secrétariat général pour certaines des sociétés de l'intimé, le juge Locke a estimé que ces travaux n'équivalaient pas à une contribution directe aux intérêts commerciaux de l'intimé. Elle avait cependant apporté une contribution indirecte par sa gestion domestique et l'éducation des enfants, et cette contribution indirecte faisait entrer les biens "commerciaux" de l'intimé dans la définition de biens familiaux à l'al. 45(3)e) de la Loi. Le jugement du juge Locke a été confirmé en appel. Le jugement de la Cour d'appel est publié à (1983), 49 B.C.L.R. 297, 3 D.L.R. (4th) 500, 37 R.F.L. (2d) 150.

L'affaire est revenue devant le juge Locke pour l'évaluation des biens familiaux et leur répartition entre les conjoints. L'intimé détient le titre de propriété de presque tous les biens, tant ceux utilisés surtout à des fins familiales que ceux utilisés surtout à des fins commerciales. Le juge Locke s'est écarté de la règle générale de la répartition égale des biens entre les conjoints selon le par. 43(2) de la Loi et a attribué à l'appelante un intérêt de 25 p. 100 dans les biens, ce qui équivalait à 1 450 000 $. L'intimé a de nouveau fait appel du jugement du juge Locke, cette fois avec succès. La Cour d'appel a infirmé l'ordonnance de la Cour suprême et ordonné à l'intimé de verser à l'appelante la somme de 681 200 $. L'appelante se pourvoit devant cette Cour.

Les textes de loi pertinents

La partie 3 de la Family Relations Act, qui comprend les art. 43 à 51, traite du droit aux biens familiaux à la rupture du mariage. L'article 43 établit le principe que chaque conjoint a droit à une moitié indivise des biens familiaux. Suivant la définition de l'art. 45, les "biens familiaux" sont, en général, les biens qui appartiennent à l'un ou l'autre des conjoints, ou aux deux, et qui sont utilisés à des fins familiales. Les "biens familiaux" comprennent, suivant la définition donnée à l'al. 45(3)e):

[TRADUCTION] e) un droit, une participation ou un intérêt d'un conjoint dans une entreprise à laquelle un apport en argent, ou qui s'évalue en argent, a été fait directement ou indirectement par l'autre conjoint ou pour son compte.

Le paragraphe 46(1) prévoit que, lorsqu'un bien appartenant à un conjoint à l'exclusion de l'autre est utilisé surtout à des fins commerciales et que l'autre conjoint n'a contribué ni directement ni indirectement à l'acquisition du bien ou au fonctionnement de l'entreprise, le bien n'est pas un bien familial. Le paragraphe 46(2) dit que la contribution indirecte comprend des économies réalisées au moyen de la gestion domestique efficace ou l'éducation des enfants par le conjoint qui ne détient aucun intérêt dans le bien. En l'espèce, les biens commerciaux de l'intimé ont été inclus dans les biens familiaux en application de l'al. 45(3)e) à cause de la contribution indirecte de l'appelante.

L'article 51 prévoit une nouvelle répartition judiciaire dans le cas notamment où le principe du partage égal des biens, énoncé à l'art. 43, serait inéquitable.

Pour plus de commodité, je reproduis les dispositions pertinentes:

[TRADUCTION] 43. (1) Sous réserve de la présente partie, chaque conjoint a droit à un intérêt dans chaque bien familial le ou après le 31 mars 1979 lorsque intervient pour la première fois

a)un accord de séparation;

b)un jugement déclaratoire en vertu de l'article 44;

c)une ordonnance de dissolution du mariage ou de séparation judiciaire; ou

d)une ordonnance déclarant que le mariage est nul et sans effet.

(2) L'intérêt visé au paragraphe (1) est une moitié indivise des biens familiaux à titre de tenant commun.

(3) Un intérêt visé au paragraphe (1) est assujetti à

a)une ordonnance en vertu de la présente partie; ou

b)à un contrat de mariage ou à un accord de séparation.

(4) Le présent article s'applique à un mariage célébré avant ou après l'entrée en vigueur du présent article.

45. (1) Sous réserve de l'article 46, le présent article définit les biens familiaux aux fins de la Loi.

(2) Le bien qui appartient à un des conjoints ou aux deux et qui est ordinairement utilisé par un conjoint ou un enfant mineur de l'un ou l'autre des conjoints à une fin familiale est un bien familial.

(3) Sans restreindre la généralité du paragraphe (2), la définition de biens familiaux comprend

. . .

e)un droit, une participation ou un intérêt d'un conjoint dans une entreprise à laquelle un apport en argent, ou qui s'évalue en argent, a été fait directement ou indirectement par l'autre conjoint ou pour son compte.

(4) La définition de biens familiaux s'applique aux mariages célébrés et aux biens acquis avant ou après le 31 mars 1979.

46. (1) Lorsqu'un bien appartient à un conjoint à l'exclusion de l'autre et est utilisé surtout à des fins commerciales et lorsque le conjoint à qui n'appartient pas le bien n'a contribué ni directement ni indirectement à l'acquisition du bien par l'autre conjoint ou au fonctionnement de l'entreprise, le bien n'est pas un bien familial.

(2) À l'alinéa 45 (3) e) ou au paragraphe (1), une contribution indirecte comprend des économies réalisées au moyen de la gestion domestique efficace ou l'éducation des enfants par le conjoint qui ne détient aucun intérêt dans le bien.

51. Lorsque les dispositions visant la répartition des biens entre les conjoints en vertu de l'article 43 ou de leur contrat de mariage, selon le cas, seraient inéquitables compte tenu

a)de la durée du mariage;

b)de la durée de la séparation de fait;

c)de la date de l'acquisition ou de l'aliénation du bien;

d)de la mesure dans laquelle le bien a été acquis par l'un des conjoints par succession ou par donation;

e)des besoins de chaque conjoint de devenir ou de demeurer économiquement indépendant et autonome; ou

f)de toute autre circonstance ayant trait à l'acquisition, à la conservation, à l'entretien, à l'amélioration ou à l'utilisation d'un bien, ou aux moyens ou dettes d'un conjoint;

la Cour suprême peut, sur demande, ordonner que les biens visés à l'article 43 ou au contrat de mariage, selon le cas, soient répartis dans des proportions qu'elle fixe. En outre ou subsidiairement, la cour peut ordonner que les autres biens non visés par l'article 43 ou par le contrat de mariage, selon le cas, appartenant à l'un des conjoints soient dévolus à l'autre conjoint.

Les cours d'instance inférieure

La Cour suprême de la Colombie‑Britannique

La Cour suprême de la Colombie‑Britannique était saisie de deux questions litigieuses: l'évaluation des biens familiaux et la répartition de ces biens. Une bonne partie de la décision non publiée du juge Locke, rendue le 2 juillet 1985, porte sur la question de l'évaluation des biens, une question qui n'est pas en litige devant nous.

Les motifs de jugement du juge Locke sur la seconde question, la fixation des parts respectives des conjoints dans les biens familiaux, sont bien résumés par certains extraits de la p. 52 de sa décision:

[TRADUCTION] . . . en étant une bonne épouse et une bonne mère sauf en des circonstances très exceptionnelles l'épouse apporte une contribution indirecte et elle a donc prima facie un droit dans un bien, en ce sens qu'un lien nécessaire est établi.

. . .

Je pars de la prémisse de la répartition égale prévue à l'art. 43 pour passer directement à l'art. 51 et à chacun de ses alinéas, et je vais relater un minimum de faits avec renvoi au droit tel que je le comprends.

Le juge Locke a alors examiné chacun des facteurs énumérés à l'art. 51 de la Loi dans le contexte des faits de l'affaire et de la jurisprudence pertinente. Il a énuméré les facteurs qu'il estimait pertinents relativement à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application de l'art. 51, aux pp. 57 à 59:

[TRADUCTION] Les parties ont vécu ensemble pendant neuf ans avant leur séparation et ni l'un ni l'autre n'étaient de jeunes gens. Il n'est pas évident que la durée du mariage soit si courte qu'il faille immédiatement conclure que la répartition égale est inéquitable. Mais si je comprends bien la ligne de pensée de la jurisprudence, dans le cas d'un mariage de longue durée où il y a une contribution continue de l'épouse, même si elle n'est qu'indirecte, il devient plus difficile d'écarter la règle des 50 p. 100 sans autre motif.

. . .

Je tiens compte des facteurs suivants:

1.Il y a eu cohabitation pendant neuf ans et jugement conditionnel après douze ans, ce qui est, je pense, plutôt éloigné de ce que la famille ordinaire de classe moyenne considère comme une norme de stabilité.

2.Tous les biens ont été acquis avant l'arrivée en scène de Mme Elsom. Je ne reviens pas sur ses activités depuis.

3.Toute augmentation de valeur est venue soit des biens propres d'Elsom soit d'un héritage, ou a été produite grâce à une structure commerciale déjà en place avant le mariage.

4.Elle n'a en fait apporté aucune contribution directe mesurable à l'entreprise productrice de revenus.

5.Elle n'a en fait apporté aucune contribution d'aucune sorte depuis la séparation en 1979, si ce n'est qu'elle s'est occupée du garçon, qui fait l'objet d'un litige quant à la garde et aux droits de visite, une source de difficultés émotionnelles pour les deux parties.

Le juge Locke conclut à la p. 59:

[TRADUCTION] Je conclus qu'étant donné toutes les circonstances il est inéquitable que l'épouse ait une part égale des biens familiaux. À mon avis, une part de 25 p. 100 est équitable. Légèrement arrondi, cela équivaut à 1 450 000 $.

La Cour d'appel

Bien qu'elle ne l'ait pas dit directement, la Cour d'appel a conclu que le juge Locke s'était fondé sur des considérations erronées en droit: (1987), 13 R.F.L. (3d) 231. Le juge Macfarlane au nom de la Cour (à la p. 238) a déclaré en effet que l'art. 51 de la Loi:

[TRADUCTION] . . . exige que la cour examine les faits relativement aux biens pris individuellement et, en fait, compare la contribution apportée par chaque conjoint à chaque bien. [. . .] Par conséquent, si les facteurs de l'affaire exigent un examen séparé des biens commerciaux et des biens du ménage, comme c'est le cas en l'espèce, alors cette méthode doit être employée.

La Cour d'appel a conclu que le juge Locke avait commis une erreur en n'appliquant pas le principe de la comparaison de la contribution de chaque conjoint à chaque bien pris individuellement (à la p. 238):

[TRADUCTION] Si cette méthode avait été appliquée en l'espèce, je pense que le juge aurait conclu que l'épouse aurait dû avoir une part beaucoup plus petite des biens commerciaux que des biens du ménage.

De l'avis de la Cour d'appel:

[TRADUCTION] . . . les faits indiquent qu'une part de 25 p. 100 dans les biens commerciaux est sans proportion avec la contribution indirecte de l'épouse à ces biens. Je pense qu'une part équitable, compte tenu des critères contenus à l'art. 51, serait de 10 p. 100.

Cependant, puisque l'appelante s'était occupée quotidiennement des biens "du ménage", la Cour d'appel a conclu qu'une part de 50 p. 100 de ces biens était équitable. Finalement, la valeur de la part de l'appelante dans les biens familiaux a été réduite de 1 450 000 $ à 681 200 $.

La question en litige

La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur en intervenant à l'égard de l'exercice par le juge de première instance de son pouvoir discrétionnaire, conféré par l'art. 51 de la Loi, de procéder à la répartition des biens entre les parties?

Analyse

Les cours d'appel devraient avoir beaucoup d'hésitation à intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance. C'est lui qui a l'avantage d'entendre les parties et qui est le mieux placé pour apprécier l'équité d'une affaire. Cette Cour a souligné le principe de la non‑intervention dans plusieurs arrêts concernant la répartition de biens familiaux. Dans l'arrêt Harper c. Harper, [1980] 1 R.C.S. 2, la Cour est bien intervenue dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance, mais seulement parce que celui‑ci s'était fondé sur certaines considérations non pertinentes et que la Cour d'appel avait été induite en erreur par une des parties sur une question de preuve. Le juge en chef Laskin écrit au nom de la majorité à la p. 18:

[U]ne cour d'appel et particulièrement une cour de dernière instance doit habituellement éviter d'intervenir dans l'exercice par un juge de première instance des larges pouvoirs discrétionnaires prévus à l'art. 8 de la Family Relations Act . . .

Dans le même arrêt, le juge Estey au nom de la minorité, dissident seulement quant à la part que l'épouse devait avoir dans la résidence familiale, écrit à la p. 24:

Une cour d'appel doit avoir beaucoup de répugnance à modifier la décision d'un juge de première instance fondée sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Cependant, il existe des cas, et, pour les motifs que je viens d'exprimer, j'estime que le présent cas en est un, où la justice exige la révision d'une décision fondée sur l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire.

[TRADUCTION] Si un juge se fonde sur les principes applicables aux faits et tranche judiciairement, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, cette cour n'interviendra pas. Mais s'il appert qu'un juge s'est fondé sur des considérations erronées ou que sa décision est erronée au point de créer une injustice, la Cour peut et doit revoir les faits sur lesquels le jugement aurait dû être fondé. (Re Hull Estate, le juge d'appel Laidlaw, [[1943] O.R. 778 (C.A.)], à la p. 785.)

Les principes énoncés dans l'arrêt Harper, précité, indiquent qu'une cour d'appel ne sera justifiée d'intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance que si celui‑ci s'est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de créer une injustice. À mon avis, ni l'une ni l'autre de ces circonstances n'existe en l'espèce.

La Cour d'appel a conclu que le juge de première instance s'était fondé sur un principe erroné parce qu'il n'avait pas examiné chaque bien individuellement, ni comparé les contributions des époux relativement à ce bien. Je cite de nouveau le principe que la Cour d'appel a tenu pour correct (à la p. 238):

[TRADUCTION] . . . l'art. 51 [. . .] exige que la cour examine les faits relativement aux biens pris individuellement et, en fait, compare la contribution apportée par chaque conjoint à chaque bien [. . .] Par conséquent, si les facteurs de l'affaire exigent un examen séparé des biens commerciaux et des biens du ménage, comme c'est le cas en l'espèce, alors cette méthode doit être employée.

Il est exact que l'art. 51 de la Loi permet une évaluation de chaque bien (voir les al. 51c), d), f)), mais cet article n'exige pas une telle évaluation. Par exemple, une comparaison de la contribution de chaque conjoint aux différents biens formant les biens familiaux n'aurait aucune utilité pour décider si une répartition égale des biens serait inéquitable compte tenu des moyens ou des dettes d'un époux (al. 51e), f)). Il est certain que la Loi n'exige pas que les biens "commerciaux" soient examinés séparément des biens "du ménage". En l'espèce, les biens "commerciaux" et les biens "du ménage" sont considérés comme des biens "familiaux" au sens de la définition de l'art. 43 de la Loi.

L'article 51 de la Loi n'exige pas non plus que la cour compare les contributions respectives des conjoints et accorde à chacun une part proportionnelle à ces contributions. L'article 51 accorde à la Cour suprême le pouvoir discrétionnaire de s'écarter de la règle de la répartition égale des biens familiaux formulée à l'art. 43 de la Loi lorsque, compte tenu des critères énumérés à l'art. 51, une répartition égale serait inéquitable. Le législateur a décidé que chaque conjoint a droit, de manière générale, à la moitié des biens familiaux. Cette Cour a dit dans son arrêt récent LeBlanc c. LeBlanc, [1988] 1 R.C.S. 217, à la p. 222, que le principe de la répartition égale doit être respecté. Bien que suivant les faits particuliers d'une affaire, la contribution d'un conjoint puisse être pertinente en vertu de l'art. 51 qui, en son al. f), mentionne "toute autre circonstance ayant trait à l'acquisition, à la conservation, à l'entretien, à l'amélioration ou à l'utilisation d'un bien", l'art. 51 n'exige pas que la cour fasse une répartition des biens qu'elle estime proportionnée à la contribution que chaque conjoint a apportée aux biens ou aux catégories de biens visés. La contribution d'un conjoint, fût‑elle directe ou indirecte, peut être une considération déterminante pour établir quels sont les biens familiaux, mais tel n'est pas le cas quand il s'agit de décider de leur répartition entre les conjoints lorsque plusieurs autres facteurs entrent en jeu.

Une cour d'appel peut juger nécessaire d'intervenir à l'égard de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré à un juge de première instance, lorsque sa décision est erronée au point de créer une injustice. Toutefois en l'espèce, la Cour d'appel n'a pas conclu que la façon dont le juge de première instance avait exercé son pouvoir discrétionnaire créait une injustice. Elle n'a pas conclu que le juge Locke avait commis une erreur quant aux faits de l'affaire (bien qu'elle ait corrigé une erreur mineure dans l'évaluation d'un des biens). Elle n'a pas conclu que le juge de première instance avait pris en considération des facteurs sans pertinence ou avait omis de tenir compte de facteurs pertinents.

À mon avis, rien dans le jugement de première instance n'indique qu'il y ait eu erreur de droit ou injustice dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au juge de première instance par l'art. 51 de la Loi de façon à justifier l'intervention de la Cour d'appel.

Conclusion

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel et de rétablir le jugement de première instance. L'appelante a droit à ses dépens en cette Cour et en Cour d'appel.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureur de l'appelante: Thomas R. Berger, Vancouver.

Procureurs de l'intimé: Gowling & Henderson, Ottawa.


Synthèse
Référence neutre : [1989] 1 R.C.S. 1367 ?
Date de la décision : 18/05/1989

Parties
Demandeurs : Elsom
Défendeurs : Elsom
Proposition de citation de la décision: Elsom c. Elsom, [1989] 1 R.C.S. 1367 (18 mai 1989)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-05-18;.1989..1.r.c.s..1367 ?
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