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05/10/1989 | CANADA | N°[1989]_2_R.C.S._796

Canada | Mackeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796 (5 octobre 1989)


MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796

T. Alexander Hickman,

Lawrence A. Poitras

et Gregory Thomas Evans Appelants

et

Ian M. MacKeigan, Gordon L. S. Hart,

Malachi C. Jones, Angus L. Macdonald

et Leonard L. Pace Intimés

et

Le procureur général du Québec,

le procureur général de la Nouvelle‑Écosse

et Donald Marshall, fils Intervenants

et entre

Donald Marshall, fils Appelant

et

Ian M. MacKeigan, Gordon L. S. Hart,

Malachi C. Jones, Angus L. Macdonald

et Leonard L. Pac

e Intimés

et

T. Alexander Hickman,

Lawrence A. Poitras

et Gregory Thomas Evans Intimés

et

Le procureur général du Québec et

le procureur général de la ...

MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796

T. Alexander Hickman,

Lawrence A. Poitras

et Gregory Thomas Evans Appelants

et

Ian M. MacKeigan, Gordon L. S. Hart,

Malachi C. Jones, Angus L. Macdonald

et Leonard L. Pace Intimés

et

Le procureur général du Québec,

le procureur général de la Nouvelle‑Écosse

et Donald Marshall, fils Intervenants

et entre

Donald Marshall, fils Appelant

et

Ian M. MacKeigan, Gordon L. S. Hart,

Malachi C. Jones, Angus L. Macdonald

et Leonard L. Pace Intimés

et

T. Alexander Hickman,

Lawrence A. Poitras

et Gregory Thomas Evans Intimés

et

Le procureur général du Québec et

le procureur général de la Nouvelle‑Écosse Intervenants

répertorié: mackeigan c. hickman

Nos du greffe: 21315, 21351.

1989: 19, 20 avril; 1989: 5 octobre.

Présents: Les juges Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour suprême de la nouvelle‑écosse, division d'appel

Droit constitutionnel -- Pouvoir judiciaire -- Privilège judiciaire — Enquête sur un renvoi à la Cour d'appel -- Ordonnance de la Commission enjoignant aux juges qui ont entendu le renvoi de comparaître -- Questions ayant trait à la composition du banc qui a entendu le renvoi, aux documents dont disposait la cour lors du renvoi et à la façon dont la cour est arrivée à ses conclusions -- Les juges peuvent‑ils être contraints à témoigner en vertu de la Public Inquiries Act? -- Public Inquiries Act, R.S.N.S. 1967, chap. 250, art. 3, 4.

Tribunaux -- Privilège judiciaire -- Enquête sur un renvoi à la Cour d'appel -- Ordonnance de la Commission enjoignant aux juges qui ont entendu le renvoi de comparaître -- Questions ayant trait à la composition du banc qui a entendu le renvoi, aux documents dont disposait la cour lors du renvoi et à la façon dont la cour est arrivée à ses conclusions -- Les juges peuvent‑ils être contraints à témoigner en vertu de la Public Inquiries Act?

Droit constitutionnel — Commission royale d'enquête constituée par la province -- Commission enquêtant sur des questions relatives à un meurtre et à une déclaration erronée de culpabilité de meurtre -- Commission sur le point d'examiner un renvoi à la Cour d'appel qui a annulé la déclaration erronée de culpabilité ‑- L'enquête sur le renvoi excède‑t‑elle les pouvoirs de la province pour le motif qu'il s'agit d'une affaire de droit criminel relevant exclusivement de la compétence fédérale? -- Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27).

Sur la foi de nouveaux renseignements, le ministre fédéral de la Justice a renvoyé la déclaration de culpabilité de Donald Marshall, fils, à la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, conformément à l'al. 617b) du Code criminel, pour qu'elle rende une nouvelle décision. Le banc qui a entendu l'affaire comprenait un juge qui avait été procureur général de la Nouvelle‑Écosse à l'époque où Marshall avait fait l'objet d'une enquête et où il avait été accusé et reconnu coupable de meurtre. Cette cour a annulé la déclaration de culpabilité de Marshall, mais a fait observer à la fin de son jugement que Marshall avait contribué à sa propre déclaration de culpabilité et que toute erreur judiciaire était plus apparente que réelle. Marshall a finalement touché une indemnité pour sa longue période d'incarcération, mais les commentaires de la Cour d'appel ont eu des répercussions sur le montant de ce versement.

Une commission royale d'enquête a été établie pour enquêter sur le meurtre, sur l'inculpation de Marshall et les poursuites engagées contre lui, sur sa déclaration subséquente de culpabilité et la sentence qui lui a été imposée, ainsi que sur d'autres questions connexes que la Commission jugerait pertinentes. On a demandé aux juges qui avaient été saisis du renvoi de comparaître et des ordonnances de comparution ont été rendues par la Commission devant leur refus de s'exécuter. Ces juges ont demandé avec succès une déclaration portant que la Commission n'avait pas le pouvoir de les contraindre à comparaître en raison de l'immunité judiciaire, ainsi que des ordonnances annulant les ordonnances de comparution et interdisant à la Commission d'enquêter sur leurs actes, délibérations, décisions et ordonnances concernant le renvoi. L'appel interjeté par les commissaires devant la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a été rejeté.

Ces pourvois soulèvent deux questions. La première est de savoir si on peut recourir aux art. 3 et 4 de la Public Inquiries Act pour contraindre des juges de cour supérieure à témoigner devant la Commission, soit quant à savoir comment et pourquoi ils sont arrivés à leur décision, soit quant à la composition du banc qui a entendu l'affaire. La seconde question est de savoir si la directive ordonnant à la Commission d'enquêter sur un renvoi adressé par le ministre de la Justice excède les pouvoirs de la province pour le motif qu'il s'agit d'une affaire de droit criminel et de procédure en matière criminelle que le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 réserve exclusivement au Parlement fédéral.

Arrêt (les juges Wilson et Cory sont dissidents en partie): Le pourvoi est rejeté.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin: Les articles 3 et 4 de la Public Inquiries Act ne donnent pas à la Commission le pouvoir de contraindre les juges qui ont été saisis du renvoi Marshall à témoigner relativement aux motifs de leur décision. Les dispositions d'une loi traitant du même sujet doivent être interprétées ensemble, si cela est possible, de manière à éviter tout conflit. Par conséquent, la Commission a reçu le pouvoir d'"assigner" toute personne en vertu de l'art. 3, mais, en vertu de l'art. 4, elle n'a pas plus de pouvoirs que ceux d'un juge de la Cour suprême siégeant en matière civile quand il s'agit d'assurer la comparution et de contraindre des témoins à déposer contre leur volonté.

L'indépendance judiciaire exige que les relations entre le pouvoir judiciaire et les autres organes du gouvernement n'empiètent pas sur les "pouvoirs et fonctions" essentiels du tribunal. La jurisprudence et les principes généraux de l'indépendance judiciaire que cette Cour a résumés dans les arrêts Valente c. La Reine et Beauregard c. Canada établissent clairement qu'un juge de la Cour suprême qui entend une affaire civile n'a pas le pouvoir de contraindre un autre juge à témoigner quant à savoir comment et pourquoi il est arrivé à ses conclusions. Il s'agit d'une question de privilège qui touche à l'impartialité judiciaire dans la prise de décisions et au rôle du pouvoir judiciaire en tant qu'arbitre et protecteur de la Constitution. De même, un juge ne peut pas contraindre un autre juge à témoigner sur les raisons pour lesquelles un juge particulier a siégé dans une affaire donnée. Cette question touche l'aspect administratif ou institutionnel de l'indépendance judiciaire. Les tribunaux doivent contrôler les questions administratives relatives à la prise de décision sans intervention de la part des organes législatif ou exécutif. Accorder au pouvoir exécutif un rôle quant à savoir quels juges entendent quelles causes ou enquêter après coup constituerait une atteinte inacceptable à l'indépendance du pouvoir judiciaire. Les exigences de l'art. 4 de la Public Inquiries Act ne sont pas respectées.

Il doit y avoir un équilibre entre les concepts de l'indépendance judiciaire et de la suprématie du Parlement. Le pouvoir des tribunaux de contrôler leur propre administration n'est pas absolu. Il peut y avoir des circonstances où les assemblées législatives ou le Parlement pourraient adopter des lois relatives au fonctionnement des tribunaux ou enquêter sur la conduite de certains juges. Le Parlement peut également destituer un juge nommé par le fédéral pour manquement à son devoir. Le principe fondamental de l'indépendance judiciaire doit, dans cette mesure tout au moins, laisser place au principe de la suprématie du Parlement. Pourtant, le Parlement et les assemblées législatives ne peuvent pas agir de manière à entraver les pouvoirs et fonctions des tribunaux.

Le texte de l'art. 3, pris isolément, n'est pas assez spécifique pour écarter le principe fondamental selon lequel les juges sont exemptés de l'obligation de témoigner relativement au processus décisionnel ou aux motifs de la composition de la cour dans un cas donné.

L'expression "administration de la justice" contenue à l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 doit être interprétée comme se rapportant à la fois à la justice civile et criminelle et elle englobe une commission établie par une province pour enquêter sur un renvoi adressé par le ministre fédéral de la Justice en vertu de l'al. 617b) du Code criminel. Une telle enquête n'empiète pas sur la compétence fédérale exclusive en matière de droit criminel. Exception faite de la réserve qu'aucune commission d'enquête constituée par une province ne peut faire enquête sur la gestion ou le fonctionnement de l'activité ou entité fédérale en question, l'enquête ne constitue pas une tentative de porter atteinte à l'intérêt valide qu'a le gouvernement fédéral à ce que soit adopté un système uniforme de procédures et de règles régissant la justice criminelle au Canada.

Le juge Lamer: Les éléments de preuve sur lesquels une cour se fonde pour arriver à une conclusion donnée font partie intégrante du processus décisionnel. Cela nécessite la prise de décisions sur l'admissibilité de la preuve, une appréciation du poids qu'il faut lui accorder et une détermination de son effet sur l'issue de l'affaire. La mesure dans laquelle une cour révèle ces choses dans un jugement fait également partie intégrante du processus décisionnel. Si une cour ne révélait pas le fondement de sa décision dans un jugement ni, lorsque cela est pertinent, les éléments de preuve sur lesquels elle s'est fondée, elle pourrait bien, dans certains cas mais sûrement pas dans tous les cas, avoir commis une faute dans l'exercice de ses fonctions décisionnelles mais non dans celui de ses fonctions administratives, et le pouvoir exécutif ne pourrait pas contraindre les juges à témoigner pour apporter des clarifications ou ajouter quelque chose à leur jugement.

Les raisons pour lesquelles un juge en chef détermine qui siège dans une affaire donnée sont protégées par un privilège judiciaire restreint. La seule situation où ce privilège peut, sans que ce soit toujours nécessairement le cas, céder le pas à la divulgation est lorsqu'est menée une enquête sur la conduite ou l'intégrité du juge en chef ou d'autres juges.

Le pouvoir d'enquêter sur la conduite ou l'intégrité des juges appartient au Conseil canadien de la magistrature créé par le fédéral. La commission n'est donc pas habilitée à poser des questions concernant la composition d'un banc donné et les raisons justifiant la façon dont il a été constitué.

Le juge La Forest: La Public Inquiries Act de la Nouvelle‑Écosse n'est pas assez spécifique pour écarter le principe fondamental selon lequel les juges sont exemptés de l'obligation de témoigner relativement au processus décisionnel ou aux motifs de la composition de la cour dans un cas donné.

Même si elle avait été suffisamment explicite, la Loi semblerait échapper dans cette mesure à la compétence de la province. Le fondement constitutionnel de l'indépendance du pouvoir judiciaire réside dans les dispositions relatives au système judiciaire que contient la partie VII de la Loi constitutionnelle de 1867, et il est révélateur que tous les pouvoirs relatifs aux cours supérieures soient conférés au gouvernement fédéral. Le statut, l'indépendance et les fonctions judiciaires de ces juges échapperaient ainsi à la compétence provinciale, même si une province peut légiférer relativement à leurs fonctions purement administratives. Le Parlement a compétence pour adopter les lois nécessaires pour répondre au besoin de procédures crédibles d'examen des plaintes qui assurent le maintien de la confiance du public dans l'administration de la justice.

Indépendamment de la question du partage des compétences, la structure institutionnelle et les modalités de la Commission ne sont pas réellement façonnées pour enquêter sur des fonctions judiciaires. En conséquence, il se pourrait bien par ailleurs qu'elle aille à l'encontre de la lettre et de l'objet des dispositions de la Constitution relatives au système judiciaire.

Le juge Wilson (dissidente en partie): Le pouvoir judiciaire jouit d'une immunité absolue dans l'exercice de sa fonction décisionnelle. L'immunité dont il jouit dans l'exercice de sa fonction administrative n'est cependant pas absolue et elle doit céder le pas lorsque l'administration de la justice fait elle‑même l'objet d'un examen par un organisme constitutionnellement habilité à y procéder. Les questions portant sur la composition d'un banc bénéficieraient normalement d'une immunité restreinte, mais permettre qu'elles soient posées dans les circonstances exceptionnelles de la présente affaire ne porterait pas atteinte au pouvoir des juges en chef en général d'assigner des juges à des causes données. Il faut répondre à la question en l'espèce compte tenu de l'existence d'une preuve suffisante à première vue d'un manque d'impartialité, du fait que quelque chose a mal fonctionné dans le système judiciaire et de l'impression du public qu'il est possible d'invoquer l'immunité judiciaire pour protéger le pouvoir judiciaire plutôt que pour protéger le système de justice. Alors que les questions visant à obtenir des explications sur l'état du dossier définitif touchent directement à la fonction décisionnelle du pouvoir judiciaire à l'égard de laquelle il jouit d'une immunité absolue, celles visant à connaître en quoi consistait effectivement le dossier définitif sur lequel on s'est fondé pour rendre justice dans un cas donné sont permises.

Le principe de l'immunité judiciaire constitue le seul fondement constitutionnel qui justifie d'interdire de poser les questions en cause. Bien que la partie VII de la Loi constitutionnelle de 1867 fasse relever certaines matières précises de la compétence fédérale, elle n'empêche sûrement pas les provinces d'enquêter sur les aspects de l'administration de la justice qui ne relèvent pas directement de la partie VII de la Loi constitutionnelle de 1867. Il faut établir une distinction entre une commission chargée d'enquêter sur l'administration de la justice dans une province (y compris sur les décisions administratives du pouvoir judiciaire en sa qualité de participant à l'administration de la justice) et une commission chargée d'enquêter sur la conduite de juges qui constitue nettement un sujet de compétence fédérale. Les questions qui n'ont pas trait spécifiquement à des inconvenances de la part de juges et qui ont trait à l'administration de la justice demeurent assujetties à la compétence des provinces et peuvent être examinées à bon droit par un organisme comme la Commission.

Le juge Cory (dissident en partie): Le mandat de la Commission est suffisamment large pour comprendre le renvoi à la Cour d'appel concernant la déclaration erronée de culpabilité de Marshall et le paiement de l'indemnité qu'il a finalement obtenu.

Tous les privilèges et exemptions relatifs à l'obligation de témoigner sont exceptionnels et devraient être restreints à moins que leur existence ne soit justifiée par une bonne raison clairement démontrée. Cependant, il existe pour de très bonnes raisons un privilège absolu accordé aux juges qui les exempte de l'obligation de témoigner quant au processus mental suivi pour rendre un jugement ou quant à savoir comment ils sont arrivés à une décision dans une affaire dont ils étaient saisis. Il est essentiel à la préservation de notre système de justice qu'un juge ne soit pas tenu de répondre à des questions concernant la façon dont il est arrivé à une décision. Les motifs et les décisions parlent d'eux‑mêmes. De même, une large exemption de l'obligation de témoigner de la part des juges à l'égard de l'administration des travaux des tribunaux constitue un facteur important et nécessaire dans le fonctionnement du système judiciaire.

Une distinction importante doit être établie entre les deux types d'immunité judiciaire. Le privilège des juges de ne pas être interrogés quant aux décisions qu'ils ont rendues est d'importance fondamentale et de nature absolue. Le privilège relatif à l'administration des tribunaux n'a cependant pas la même importance fondamentale et est de nature restreinte. C'est un auxiliaire du privilège attaché à l'adjudication.

Le privilège restreint des juges relativement aux questions administratives est un privilège de common law qui s'applique clairement dans la plupart des cas. Il doit cependant céder le pas lorsqu'il est nécessaire de réaffirmer la confiance du public dans l'administration de la justice. Dans des circonstances exceptionnelles comme celles en l'espèce, ce privilège restreint ne doit ni ne peut tenir. Conformément aux art. 3 et 4 de la Public Inquiries Act, la Commission a compétence pour exiger la comparution aux fins d'obtenir des réponses à des questions concernant la composition du banc qui a entendu le renvoi et le dossier sur lequel la Cour d'appel s'est fondée pour arriver à ses conclusions.

Les questions concernant les facteurs qui ont constitué une erreur judiciaire au procès relèvent de l'immunité absolue applicable aux jugements et aux motifs de jugement.

Jurisprudence

Citée par le juge McLachlin

Arrêts appliqués: Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673; Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56; arrêt examiné: Knowles' Trial (1692), 12 How. St. Tr. 1167; arrêts mentionnés: Zanatta v. McCleary, [1976] 1 N.S.W.L.R. 230; Duke of Buccleuch v. Metropolitan Board of Works (1872), 41 L.J. Ex. 137; McKinley v. McKinley, [1960] 1 All E.R. 476; Scott v. Smith (1931), 4 M.P.R. 23; Re Clendenning and Board of Police Commissioners for City of Belleville (1976), 75 D.L.R. (3d) 33; Re Reinking (1984), 3 O.A.C. 137; Family and Children's Services v. P. B. and M. B. (1985), 49 R.F.L. (2d) 55; R. v. Moran (1987), 21 O.A.C. 257; Agnew v. Ontario Association of Architects (1987), 64 O.R. (2d) 8; Eccles c. Bourque, [1975] 2 R.C.S. 739; Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152; Procureur général (Qué.) et Keable c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 218; O'Hara c. Colombie‑Britannique, [1987] 2 R.C.S. 591.

Citée par le juge La Forest

Arrêts mentionnés: Chandler, U.S. District Judge v. Judicial Council of the 10th Circuit, 398 U.S. 74 (1970); Landreville c. La Reine, [1977] 2 C.F. 726; In the Matter of Certain Complaints under Investigation by an Investigating Committee of the Judicial Council of the Eleventh Circuit, 783 F.2d 1488 (11th Cir. 1986).

Citée par le juge Wilson (dissidente en partie)

Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307.

Citée par le juge Cory (dissident en partie)

R. v. Marshall (1983), 57 N.S.R. (2d) 286; Knowles' Trial (1692), 12 How. St. Tr. 1167; R. v. Moran (1987), 21 O.A.C. 257; Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673; In the Matter of Certain Complaints under Investigation by an Investigating Committee of the Judicial Council of the Eleventh Circuit, 783 F.2d 1488 (11th Cir. 1986); Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637; United States v. Nixon, 418 U.S. 683 (1974).

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, art. 11d).

Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 617b).

Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27), 92(14), 96, 99, 100, 101, 129.

Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S‑19.

Loi sur les juges, L.R.C. (1985), chap. J‑1, partie II.

Public Inquiries Act, R.S.N.S. 1967, chap. 250, art. 3, 4.

Doctrine citée

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.

Lederman, W. R. "The Independance of the Judiciary" (1956), 34 R. du B. can. 769, 1139.

Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, vol. 8 (McNaughton rev.) Boston: Little, Brown, 1961.

POURVOI contre un arrêt de la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (1988), 87 N.S.R. (2d) 443, qui a rejeté l'appel d'une décision du juge en chef Glube (1988), 43 C.C.C. (3d) 287, qui avait accordé une déclaration relativement à l'immunité judiciaire et annulé des ordonnances de comparution rendues par une commission royale provinciale. Pourvoi rejeté, les juges Wilson et Cory sont dissidents en partie.

James MacPherson, B. A. Crane, c.r., et W. Spicer, pour T. Alexander Hickman, Lawrence A. Poitras et Gregory Thomas Evans.

Clayton Ruby, pour Donald Marshall, fils.

R. J. Downie, c.r., et F. P. Crooks, pour Ian M. MacKeigan, Gordon L. S. Hart, Malachi C. Jones, Angus L. Macdonald et Leonard L. Pace.

Robert Décary, c.r., et Angéline Thibault, pour le procureur général du Québec.

Jamie W. S. Saunders et Peter M. Rogers, pour le procureur général de la Nouvelle‑Écosse.

//Le juge Lamer//

Version française des motifs rendus par

LE JUGE LAMER -- J'ai lu les motifs de mes collègues les juges La Forest, Cory et McLachlin. Je suis d'accord avec les principes énoncés dans les motifs du juge Cory, mais lorsque je les applique à l'espèce, j'arrive à la même conclusion que ma collègue le juge McLachlin et, par conséquent, je suis d'avis de rejeter ce pourvoi.

Le juge Cory affirme que la "seconde question" à poser aux juges a trait au "contenu du dossier dont disposait effectivement la Cour d'appel lors du renvoi". Je préfère aborder la nature de la question à poser aux juges en me référant à la lettre de Me Orsborn au Juge en chef, dont voici un extrait:

[TRADUCTION] Après avoir effectué notre propre examen, nous ne sommes pas certains du contenu du dossier sur lequel la cour s'est fondée pour arriver à ses conclusions. On ne sait pas exactement quels affidavits étaient devant la cour -- les motifs font état de certains affidavits mais les transcriptions laissent entendre qu'en fait la cour ne les avait pas devant elle. En outre, nous aimerions comprendre pourquoi les affidavits (et les contre‑interrogatoires) d'éventuels témoins policiers n'ont pas été admis, étant donné l'importance que peuvent avoir ces témoins pour déterminer pourquoi des témoins de 1971 reviennent maintenant sur leurs dépositions.

Dans ses motifs, le juge McLachlin a exposé de façon assez détaillée les événements qui ont entouré la présentation de nouveaux éléments de preuve. Il faut souligner le fait qu'"on n'a pas statué sur les demandes d'admission en preuve de l'un ou l'autre des affidavits présentés". La décision de ne pas statuer a été prise par un banc différent de celui qui a entendu les témoignages et qui a rendu une décision sur le renvoi. En statuant sur le fond du renvoi, les juges n'ont pas indiqué s'ils ont finalement admis comme faisant partie du dossier l'un ou l'autre des affidavits ou tous les affidavits présentés. Un autre sujet d'intérêt pour la Commission est le fait que les motifs des juges font état de certains affidavits alors que les transcriptions semblent indiquer que la cour ne les aurait pas eus devant elle. Dans ces circonstances particulières, la question portant sur le [TRADUCTION] "contenu du dossier sur lequel la cour s'est fondée pour arriver à ses conclusions" peut signifier l'une de deux choses. Elle peut signifier quel était le contenu du dossier dont disposait la cour lorsqu'elle s'est retirée sans statuer? Si c'est là la question qu'il faut se poser, il n'est pas sûrement pas nécessaire de convoquer les juges. En fait, le greffier de cette cour d'archives peut être convoqué pour produire le dossier de la cour. Mais il me paraît évident que ce n'est pas ce qu'on cherche à obtenir, comme cela ressort de la lecture de la lettre de Me Orsborn. Ce dernier veut savoir quels affidavits ont été admis et faisaient donc partie du dossier lorsque les décisions interlocutoires relatives à la preuve eurent été rendues. Il veut également savoir si la cour s'est fondée sur des éléments de preuve qu'elle avait décidé de ne pas admettre ou sur des éléments de preuve dont elle n'était pas régulièrement saisie pour quelque autre raison. En d'autres termes, quelle a été votre décision sur l'admissibilité des affidavits à l'égard desquels le banc précédent n'avait pas rendu de décision et vous êtes‑vous fondés sur des éléments de preuve dont vous n'étiez pas régulièrement saisis?

Les éléments de preuve sur lesquels une cour se fonde pour arriver à une conclusion donnée font partie intégrante du processus décisionnel. Cela nécessite la prise de décisions sur l'admissibilité de la preuve puis une appréciation du poids qu'il faut lui accorder et de son effet sur l'issue de l'affaire en appliquant les règles relatives au fardeau de présentation de la preuve et de persuasion. La mesure dans laquelle une cour révèle ces choses dans un jugement fait également partie intégrante du processus décisionnel. Évidemment les tribunaux devraient normalement révéler dans leur jugement le fondement de leurs décisions et, lorsque cela est pertinent, les éléments de preuve sur lesquels ils ont décidé de se fonder. Cependant, si une cour choisit de ne pas le faire, elle peut bien, dans certains cas mais sûrement pas dans tous les cas, avoir commis une faute dans l'exercice de ses fonctions décisionnelles mais non dans celui de ses fonctions administratives et le pouvoir exécutif ne peut pas contraindre les juges à témoigner pour apporter des clarifications ou ajouter quelque chose à leur jugement.

Il existe des procédures par lesquelles les cours peuvent être invitées à le faire, comme des demandes de nouvelles auditions où on leur demande de rouvrir l'affaire et de rendre des décisions qu'elles ont négligé de rendre; il y a également les diverses procédures de révision et d'appel qui permettent de remédier plus ou moins à ces lacunes. À ces problèmes en matière décisionnelle, il n'y a que des remèdes judiciaires, à l'exception de mesures disciplinaires, qui évidemment ne sont pas en cause en l'espèce. Mais, en ce qui concerne les juges, ils jouissent sous cet aspect de leurs fonctions d'une immunité absolue en vertu de laquelle ils ne peuvent être contraints à témoigner devant une commission d'enquête comme celle‑ci.

La "première question" est celle qu'on veut poser au Juge en chef, savoir pourquoi le juge Pace a fait partie du banc. Les raisons pour lesquelles un juge en chef détermine qui siège dans une affaire donnée doivent échapper aux enquêtes et, pour cette raison, elles bénéficient de l'immunité judiciaire. Mais comme le dit le juge Cory, il s'agit d'un privilège restreint. Dans des circonstances exceptionnelles, mais seulement dans ces circonstances, ce privilège devra céder le pas à la divulgation. À mon avis, la seule situation où cela peut se produire, sans que ce soit toujours nécessairement le cas, est lorsqu'est menée une enquête sur la conduite ou l'intégrité du Juge en chef ou d'autres juges.

Puisque cette commission d'enquête n'a pas le pouvoir d'enquêter sur la conduite ou l'intégrité de juges, un sujet qui est réservé au Conseil canadien de la magistrature créé par le fédéral, celle-ci n'est pas habilitée à poser des questions concernant la composition d'un banc donné et les raisons justifiant la façon dont il a été constitué.

Je m'empresse d'ajouter que les considérations qui précèdent ne visent nullement à faire connaître mon opinion sur la question de savoir si une faute a été commise en l'espèce sur le plan des fonctions décisionnelles, s'il y a eu conduite irrégulière de la part des juges ou si une enquête sur la conduite des juges devrait ou ne devrait pas être effectuée par le Conseil canadien de la magistrature. Elles ne constituent que des réponses aux questions soulevées par la tentative de la Commission de contraindre les juges à répondre à certaines questions qui ne pourraient, s'il y a lieu, leur être posées que dans ce contexte et que par cet organisme.

En définitive, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

//Le juge Wilson//

Version française des motifs rendus par

LE JUGE WILSON (dissidente en partie) -- Par les présents motifs, je viens appuyer l'opinion exprimée en l'espèce par mon collègue le juge Cory. Je suis d'accord avec lui et avec mes autres collègues pour dire que le pouvoir judiciaire jouit d'une immunité absolue dans l'exercice de sa fonction décisionnelle. Je suis également d'accord avec lui pour dire que l'immunité du pouvoir judiciaire dans l'exercice de sa fonction administrative n'est pas absolue et qu'elle doit céder le pas lorsque l'administration de la justice fait elle‑même l'objet d'un examen par un organisme constitutionnellement habilité à y procéder. D'ailleurs, il serait anormal que, dans un cas comme celui dont nous sommes saisis, la Commission puisse faire enquête sur tous les aspects du système de justice qui ont conduit à la déclaration erronée de culpabilité de M. Marshall, à sa libération subséquente et à son indemnisation, sauf sur les décisions administratives prises par le pouvoir judiciaire.

Je suis consciente de la crainte, exprimée par ma collègue le juge McLachlin, que l'indépendance du pouvoir judiciaire par rapport à l'organe exécutif du gouvernement soit minée sérieusement si le pouvoir exécutif peut contrôler ou entraver le pouvoir des juges en chef d'assigner des juges à des causes données. Mais à mon avis, l'immunité restreinte dont jouit le pouvoir judiciaire à l'égard des questions administratives empêcherait que cela se produise. Telle n'est pas cependant la question qui se pose à nous. Ce que la Commission veut faire, si je comprends bien, c'est enquêter sur les raisons pour lesquelles l'ancien procureur général a été désigné pour siéger malgré la preuve suffisante à première vue d'un manque d'impartialité de sa part. En d'autres termes, le public a ici l'impression que, sous réserve d'une explication satisfaisante, cela peut avoir été l'une des choses qui ont mal fonctionné dans l'affaire Marshall. Je crois que puisque l'enquête Marshall a véritablement pour objet de découvrir ce qui a mal fonctionné dans l'affaire Marshall, il y va de l'intérêt public que cette question soit posée et qu'elle reçoive une réponse.

Je ne partage pas la crainte exprimée par le juge McLachlin que si le Juge en chef de la Nouvelle‑Écosse est forcé de répondre à cette question, il y ait atteinte à la liberté qu'ont les juges en chef en général d'assigner des juges à des causes données. À cet égard, il faut avoir à l'esprit deux faits importants. Le premier est qu'on cherche à poser la question dans le cadre d'une enquête sur l'administration de la justice qui résulte du fait que quelque chose a mal fonctionné dans le système. Une telle situation n'est pas monnaie courante, mais il va sans dire que si elle se présente, il en résulte de vives inquiétudes chez le public. Le second fait d'importance est que nous avons affaire en l'espèce à une preuve suffisante à première vue d'un manque d'impartialité. Si la question n'est pas posée et ne reçoit pas une réponse satisfaisante, le public pourra bien avoir l'impression que la composition du banc y est pour quelque chose dans les motifs de jugement de la Cour d'appel et dans le montant de l'indemnité que M. Marshall a fini par toucher. Lorsqu'il y a un risque réel que le public ait l'impression que l'immunité judiciaire est invoquée pour protéger le pouvoir judiciaire plutôt que pour protéger le système de justice, l'intérêt public exige à mon avis que la question soit posée et qu'elle reçoive une réponse.

Je conviens également avec le juge Cory que la Commission ne pourra pas déterminer si justice a été rendue régulièrement dans l'affaire Marshall s'il n'est pas permis de poser à la Cour d'appel des questions sur le contenu du dossier sur lequel se fonde sa décision. Je suis d'accord avec mon collègue le juge Lamer pour dire qu'on ne peut demander aux juges des explications sur l'état du dossier définitif. En d'autres termes, on ne peut demander aux juges pourquoi ils ont admis ceci et rejeté cela puisque cela touche directement à leur fonction décisionnelle à l'égard de laquelle ils jouissent d'une immunité absolue. On peut toutefois leur demander en quoi consistait effectivement le dossier définitif pour les fins de leur décision. Le dossier est après tout le substrat sur lequel repose l'administration de la justice dans chaque cas.

J'ai lu avec intérêt les motifs de mon collègue le juge La Forest qui s'inquiète de ce qu'il perçoit comme une autre question constitutionnelle soulevée par le présent pourvoi. À mon avis, il faut établir une distinction entre une commission créée pour enquêter sur l'administration de la justice dans une province et une commission ou autre entité créée pour enquêter sur la conduite de juges. Dans ce dernier cas, je suis entièrement d'accord avec mon collègue pour dire que nous nous trouverions nettement en domaine fédéral. Cela ne signifie pas cependant qu'une commission régulièrement constituée pour enquêter sur l'administration de la justice dans une province doit s'abstenir d'examiner les décisions administratives du pouvoir judiciaire qui est l'un des participants à l'administration de la justice. Exclure les décisions administratives du pouvoir judiciaire du nombre des questions qu'une telle commission peut examiner, pour le motif que le gouvernement fédéral a déjà créé un organisme chargé d'enquêter sur les plaintes portées contre des juges de cour supérieure, reviendrait à attribuer à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 et aux dispositions de la partie II de la Loi sur les juges, L.R.C. (1985), chap. J‑1, un sens exceptionnellement général qui est incompatible avec l'objet et l'historique du par. 92(14) et la partie VII de la Loi constitutionnelle de 1867.

Notre Cour a déjà commenté le statut spécial dont jouissent les cours supérieures, soulignant qu'"elles franchissent, pour ainsi dire, la ligne de partage des compétences fédérale et provinciale . . ." (le juge Estey dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307, à la p. 327). En outre, le professeur Hogg a fait observer que chacune des provinces qui se sont unies possédait, avant la Confédération, son propre système de tribunaux et que [TRADUCTION] "L'existence de tous ces tribunaux a été expressément maintenue après la Confédération par l'art. 129 de la Loi constitutionnelle de 1867, leur organisation et leur compétence demeurant sous la responsabilité des provinces en vertu du par. 92(14)": voir Constitutional Law of Canada (2nd ed.), à la p. 134. Les gouvernements provinciaux ont donc toujours eu un intérêt majeur et légitime dans le rôle joué par les cours supérieures dans l'administration de la justice. Bien que la partie VII de la Loi constitutionnelle de 1867 fasse relever certaines matières précises (comme la nomination des juges des cours supérieures) de la compétence fédérale, elle n'empêche sûrement pas les provinces d'enquêter sur les aspects de l'administration de la justice qui ne relèvent pas directement de la partie VII de la Loi constitutionnelle de 1867. Certes, l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 investit le gouvernement fédéral du pouvoir de créer des tribunaux qui constituent des exceptions au caractère par ailleurs unitaire du système qui régit l'administration de la justice au Canada et le Conseil canadien de la magistrature est un exemple d'organisme exceptionnel créé pour connaître des plaintes concernant la conduite des juges. Cependant, les questions qui n'ont pas trait spécifiquement à des inconvenances de la part de juges et qui ont trait à l'administration de la justice demeurent, selon moi, assujetties à la compétence des provinces et peuvent être examinées à bon droit par un organisme comme la Commission.

Cette commission ne procède pas à une enquête sur la conduite des juges. Les questions qu'on veut leur poser au sujet de la composition du banc et du contenu du dossier ne visent qu'à déterminer à quel moment l'administration de la justice a fait défaut. Nous ne saurions préjuger les réponses qui pourraient être données si on permettait que les questions soient posées. Donc, il ne convient absolument pas, à mon avis, de traiter cette enquête comme si elle portait sur des allégations d'inconvenance de la part de juges nommés par le fédéral. À mon avis, le seul fondement constitutionnel qui justifierait d'interdire de poser les questions en cause serait le principe de l'immunité judiciaire et, pour les motifs que j'ai exposés, je ne crois pas que sur le plan administratif ce principe puisse l'emporter sur l'intérêt supérieur qu'a le public à ce qu'il y ait divulgation dans les circonstances plutôt particulières de l'espèce.

En conséquence, je suis d'accord avec la façon dont mon collègue le juge Cory propose de trancher ce pourvoi.

//Le juge La Forest//

Version française des motifs rendus par

LE JUGE LA FOREST — J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mes collègues les juges Cory et McLachlin. En toute déférence, je suis d'accord avec le juge McLachlin pour dire que la Public Inquiries Act, R.S.N.S. 1967, chap. 250, de la Nouvelle‑Écosse n'est pas assez spécifique pour écarter le principe fondamental selon lequel les juges sont exemptés de l'obligation de témoigner relativement au processus décisionnel ou aux motifs de la composition de la cour dans un cas donné.

Bien que ce point n'ait pas été débattu, si la Loi avait été suffisamment explicite, j'aurais été porté à croire que, dans cette mesure, elle excédait la compétence législative de la province. Les dispositions relatives au système judiciaire que contient la partie VII de la Loi constitutionnelle de 1867 établissent le fondement constitutionnel de l'indépendance du pouvoir judiciaire; l'analyse classique de ces dispositions est évidemment celle que fait le professeur W. R. Lederman dans son article intitulé, "The Independence of the Judiciary" (1956), 34 R. du B. can. 769, 1139. Ces dispositions renferment un véritable code régissant le statut constitutionnel des cours supérieures et il est révélateur que tous les pouvoirs y relatifs soient conférés au gouvernement fédéral, qu'il s'agisse de la nomination (art. 96), de la durée des fonctions à titre inamovible jusqu'à l'âge de 75 ans, assortie du pouvoir de révocation accordé au plus haut niveau gouvernemental (art. 99), et de l'établissement des traitements, allocations et pensions (art. 100). À mon avis, le statut, l'indépendance et les fonctions judiciaires de ces juges échappent ainsi à la compétence provinciale, même si une province peut évidemment légiférer relativement à leurs fonctions purement administratives en vertu de sa compétence législative en matière d'administration de la justice (par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867).

Quand je qualifie de code les dispositions relatives au système judiciaire que contient la Loi constitutionnelle de 1867, je ne veux pas dire qu'il ne peut y avoir, sur le plan constitutionnel, des mécanismes permettant de traiter d'enquêtes ou de plaintes relatives à l'exercice de fonctions judiciaires qui ne sont pas assez sérieuses pour justifier des procédures de révocation, ou pouvant précéder ou faciliter la conduite de ces procédures sans toutefois empêcher leur bon fonctionnement ou les remplacer en réalité. La taille et la complexité du système judiciaire sont maintenant devenues trop importantes pour considérer que chaque juge est complètement indépendant ou "souverain" pour reprendre l'expression du juge Douglas (dissident dans l'arrêt Chandler, U.S. District Judge v. Judicial Council of the 10th Circuit, 398 U.S. 74 (1970), à la p. 136). Le seul recours au pouvoir de révocation pour régler ces questions litigieuses n'est plus réaliste. Tout en acceptant l'opinion du juge Douglas que chaque juge doit travailler dans un cadre institutionnel qui appuie l'indépendance judiciaire même par rapport à d'autres juges, je suis d'accord avec le juge Cory pour dire que l'existence de procédures crédibles d'examen des plaintes est nécessaire pour assurer le maintien de la confiance du public dans l'administration de la justice. À mon avis, puisque, comme je l'ai noté, ce sujet paraît échapper à la compétence provinciale dans la mesure où il touche le statut, l'indépendance et les fonctions judiciaires des juges des cours supérieures, le Parlement peut, en vertu du pouvoir général que lui confère l'art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, légiférer dans ce domaine; voir Landreville c. La Reine, [1977] 2 C.F. 726 (D.P.I.), le juge Collier, à la p. 746. (Je ne dis cependant rien au sujet de la question de savoir si la commission en cause dans cette affaire respectait d'autres exigences constitutionnelles.) En ce qui concerne certaines matières tout au moins, il peut également être nécessaire ou souhaitable de recourir au pouvoir qu'a le Parlement en vertu de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 de constituer une autre cour pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada. C'est ce qui a été fait quand le Conseil canadien de la magistrature (qui a pour fonction notamment d'enquêter sur les plaintes et les allégations visant des juges nommés par le fédéral) a été constitué en 1971; voir la Loi sur les juges, L.R.C. (1985), chap. J‑1, partie II.

Pour conclure, les organismes qui, dans le cours de leurs fonctions, sont appelés à examiner la conduite adoptée par un juge de cour supérieure dans l'exercice de fonctions judiciaires, de même que ceux créés à cette fin, doivent être constitués de manière à respecter la lettre et l'objet fondamental des dispositions de la Constitution relatives au système judiciaire. Les organismes d'enquête ne peuvent pas non plus agir d'une manière susceptible de diminuer sensiblement la protection accordée par l'art. 99 ou l'indépendance et l'impartialité du pouvoir judiciaire. Un bon nombre des points qu'il faut garder à l'esprit en structurant ces organismes sont décrits avec perspicacité dans un arrêt cité par le juge Cory: In the Matter of Certain Complaints under Investigation by an Investigating Committee of the Judicial Council of the Eleventh Circuit, 783 F.2d 1488 (11th Cir. 1986). Bien que les dispositions constitutionnelles américaines diffèrent des nôtres jusqu'à un certain point, une bonne partie de ce qu'on y dit est également applicable ici. Bien que la commission en cause soit indéniablement composée de juristes très compétents et très expérimentés, ceux‑ci n'agissent évidemment pas alors en cette qualité, et la structure institutionnelle et les modalités de la Commission ne sont pas réellement façonnées pour enquêter sur des fonctions judiciaires comme celles dont il est question en l'espèce. En conséquence, tout à fait indépendamment de la question du partage des compétences, il se peut bien qu'une commission aille à l'encontre des dispositions de la Constitution relatives au système judiciaire.

J'ajouterais que je souscris également à l'opinion du juge McLachlin que le mandat de la Commission n'empiète pas sur la compétence en matière de droit criminel.

Je suis d'avis de rejeter les pourvois.

//Le juge McLachlin//

Version française du jugement des juges L'Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin rendu par

LE JUGE MCLACHLIN — Ces pourvois soulèvent la question de savoir si une commission d'enquête peut contraindre des juges qui ont joué un rôle dans les affaires faisant l'objet de l'enquête à témoigner concernant les raisons de leurs décisions et concernant la composition du banc qui a entendu l'affaire.

Historique

Les participants

Commençons par décrire les différentes personnes dont il est question dans les présents pourvois. Le 5 novembre 1971, Donald Marshall, fils, un autochtone de 17 ans, qui est visé par la plupart de ces pourvois, a été déclaré coupable du meurtre de Sandford William Seale, décédé après avoir été poignardé à plusieurs reprises dans la nuit du 28 au 29 mai 1971. Depuis le moment de son arrestation, au cours de son procès, pendant son incarcération jusqu'à son élargissement en mai 1983, Marshall a toujours protesté de son innocence. Il a été mis en liberté à la suite d'une décision favorable rendue au sujet d'un renvoi adressé par le ministre fédéral de la Justice à la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, conformément à l'al. 617b) (maintenant l'al. 690b)) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34. Il avait purgé quelque 11 années de sa peine d'emprisonnement avant que son innocence soit finalement reconnue. Devant la défaillance du système de justice de la Nouvelle‑Écosse dans le cas de Donald Marshall, fils, le procureur général de ladite province a établi en octobre 1986, conformément à la Public Inquiries Act, R.S.N.S. 1967, chap. 250, une commission royale chargée d'enquêter sur la façon dont les poursuites contre Donald Marshall, fils, ont été menées et dont son dossier a été traité par la suite.

T. Alexander Hickman (Juge en chef de la Division de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve), Lawrence A. Poitras (Juge en chef adjoint de la Cour supérieure du Québec) et Gregory Thomas Evans (juge de la Haute Cour de l'Ontario) sont les commissaires que le procureur général de la Nouvelle‑Écosse a nommés, en vertu de la Public Inquiries Act, pour enquêter sur les poursuites intentées contre Donald Marshall, fils.

Ian M. MacKeigan (alors Juge en chef de la Nouvelle‑Écosse), Gordon L. S. Hart, Malachi C. Jones, Angus L. Macdonald et Leonard Pace sont les cinq juges qui ont entendu et tranché le renvoi relatif au verdict de culpabilité prononcé contre Donald Marshall, fils. Il convient de noter que le juge Pace était procureur général de la Nouvelle‑Écosse à l'époque où Marshall a été déclaré coupable.

Finalement, il y a le procureur général. Celui‑ci comparaît devant notre Cour en qualité de représentant du gouvernement de Sa Majesté pour la province de la Nouvelle‑Écosse.

Le procès de Donald Marshall, fils, et les événements qui ont suivi immédiatement

Ainsi que je l'ai déjà mentionné, Donald Marshall, fils, a été erronément déclaré coupable d'un meurtre qu'il n'a pas commis. Au cours de son procès, deux "témoins oculaires", Maynard Chant et John Pratico, ont affirmé avoir vu Marshall poignarder Seale. Un autre témoin, Patricia Harriss, a déclaré avoir vu Seale et Marshall ensemble dans le secteur où Seale a été poignardé, et ce, juste avant l'incident. Marshall a témoigné pour sa propre défense que Seale et lui-même avaient eu une conversation avec deux personnes vêtues comme des prêtres et qu'une de celles‑ci avait poignardé Seale.

Dix jours après la déclaration de culpabilité de Marshall, James MacNeil s'est présenté à la police de Sydney et a affirmé que, le soir du meurtre, Roy Ebsary et lui‑même avaient été attaqués par Seale et Marshall et qu'Ebsary avait poignardé Seale pendant la tentative de vol. MacNeil et Ebsary étaient les deux individus qui répondaient à la description que Marshall avait donnée au procès et qu'il avait également donnée à la police de Sydney le lendemain du meurtre. Ni MacNeil ni Ebsary n'avaient été retracés au cours de l'enquête ni avant le procès.

Le jour même où MacNeil a fait ses aveux à la police de Sydney, la police a retracé et interrogé Ebsary et certains membres de sa parenté. Elle a fait rapport au substitut du procureur général qui, à son tour, a fait rapport à ses supérieurs au bureau du procureur général à Halifax. À l'époque, le procureur général était l'honorable Leonard Pace. L'enquête a été confiée à la GRC.

La GRC a fait subir des tests polygraphiques à MacNeil et à Ebsary et a conclu qu'Ebsary disait la vérité quand il affirmait ne pas avoir poignardé Seale et que le témoignage de MacNeil n'était pas concluant. Les résultats de ces tests ont été remis au substitut du procureur général qui, suivant la preuve maintenant devant la Commission, les a remis au bureau du procureur général, peut‑être au procureur général Pace lui‑même. Étant maintenant décédé, le substitut du procureur général n'est donc plus là pour témoigner quant à la conversation qu'il a pu avoir avec le procureur général Pace.

Les nouvelles enquêtes et le renvoi à la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse

En 1982, l'avocat de Marshall a fourni de nouveaux renseignements à la police de Sydney. Celle‑ci a demandé à la GRC et au substitut du procureur général du Cap Breton d'ouvrir une seconde enquête sur l'affaire Marshall. Au cours de cette enquête, les témoins Chant, Pratico et Harriss sont tous revenus sur le témoignage qu'ils avaient donné au procès et ont affirmé qu'ils avaient subi des pressions de la part de certains membres du service de police de Sydney pour qu'ils fassent les récits qu'ils avaient faits au procès. Sur la foi de ces nouveaux éléments de preuve, le ministre fédéral de la Justice, l'honorable Jean Chrétien, a renvoyé la déclaration de culpabilité à la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, conformément à l'al. 617b) du Code criminel, pour qu'elle rende une nouvelle décision.

Marshall et le ministère public ont demandé l'autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve. Des affidavits à l'appui de ces demandes ont été produits par Chant, Pratico et Harriss, John F. MacIntyre et William Urquhart (les agents de la police de Sydney chargés de l'enquête Marshall), Stephen Aronson, le Dr M. A. Mian, Terence Patrick Gushue, Barbara Mary Floyd, Sandra V. Cotie, James William MacNeil, Gregory Allan Ebsary, Mary P. Ebsary, Wayne Robert Magee, Donna Elaine Ebsary, Adolphus James Evers, Keith Beaver, George William MacNeil, Simon J. Khattar, C. M. Rosenblum, Harry F. Wheaton et Donald Marshall, fils. Le Juge en chef et les juges Hart, Jones, Morrison et Macdonald ont procédé à l'audition des demandes qui ont été accueillies à l'égard de certains témoins, savoir Marshall lui‑même, Chant, Harriss, James MacNeil, Donna Ebsary, Gregory Ebsary et Adolphus Evers. Quant aux autres demandes d'autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve, oralement ou par voie d'affidavits, la cour a dit:

[TRADUCTION] Nous ne rendons pas de décision sur les demandes présentées aujourd'hui en vue d'obtenir l'autorisation d'interroger des personnes autres que celles susnommées. Nous ne statuons pas non plus sur les demandes d'admission en preuve de l'un ou l'autre des affidavits présentés.

La cour a alors entendu les témoignages les 1er et 2 décembre 1982. Elle était composée du Juge en chef et des juges Hart, Jones, Macdonald et Pace.

La Cour d'appel a rendu son jugement le 10 mai 1983. Elle a annulé la déclaration de culpabilité de Marshall et ordonné un acquittement. À la fin de son jugement, la cour fait les commentaires suivants ((1983), 57 N.S.R. (2d) 286, aux pp. 321 et 322):

[TRADUCTION] Donald Marshall, fils, a été déclaré coupable de meurtre et a purgé une longue période d'incarcération. Cette déclaration de culpabilité est maintenant annulée. Toute erreur judiciaire est cependant plus apparente que réelle.

En tentant de se défendre contre l'accusation de meurtre, M. Marshall a de son propre aveu commis un parjure qui peut encore faire l'objet d'accusations.

En mentant, il a contribué à sa propre déclaration de culpabilité. Il a trompé ses avocats et a présenté au jury une version des faits qu'il qualifie maintenant de fausse, une version tellement tirée par les cheveux qu'il était impossible de la croire.

En préparant un vol avec l'aide de M. Seale, il a déclenché une série d'événements qui se sont malheureusement terminés par la mort de M. Seale.

En cachant les faits à ses avocats et à la police, M. Marshall a en fait empêché la préparation du seul moyen de défense dont il pouvait se prévaloir, savoir qu'au cours d'un vol Seale a été poignardé par une des victimes visées. Il affirme maintenant qu'il savait à peu près où demeurait l'homme qui a poignardé Seale et qu'il avait une assez bonne description de lui. Si ces renseignements avaient été fournis, la police aurait bien pu découvrir la vérité.

Même lorsqu'on a recueilli les nouveaux éléments de preuve, quoiqu'il ait eu bien peu à perdre et beaucoup à gagner s'il pouvait obtenir un acquittement, M. Marshall a été loin d'être franc à la barre des témoins. Il a continué d'être évasif au sujet du vol et de l'agression et a même refusé de répondre à des questions jusqu'à ce que la cour lui ordonne de le faire.

Il ne peut y avoir de doute que le manque de franchise de Donald Marshall tout au long de cette affaire a contribué dans une large mesure à sa déclaration de culpabilité.

Nous accueillons donc l'appel, annulons la déclaration de culpabilité et ordonnons l'inscription d'un verdict d'acquittement. [Je souligne.]

Après l'acquittement de leur client, les procureurs de Marshall ont demandé aux autorités fédérales et provinciales le versement d'une indemnité pour le temps qu'il avait passé en prison. Le gouvernement provincial a finalement versé environ 250 000 $ à Marshall qui a signé une renonciation complète à toutes les réclamations qu'il pourrait avoir contre ce gouvernement. Il ressort cependant des documents dont dispose notre Cour que les commentaires de la Cour d'appel ont eu des répercussions sur le montant de ce versement.

L'établissement de la Commission royale

Le 28 octobre 1986, le gouverneur en conseil a établi la présente commission royale chargée [TRADUCTION] "d'enquêter, de faire rapport de ses conclusions et de formuler des recommandations au gouverneur en conseil au sujet de l'enquête sur le décès de Sandford William Seale survenu le 28 ou le 29 mai 1971, de l'inculpation de Donald Marshall, fils, et des poursuites engagées contre lui relativement à ce décès, du verdict de culpabilité subséquemment rendu contre Donald Marshall, fils, et de sa condamnation pour le meurtre non qualifié de Sandford William Seale, infraction dont il a par la suite été déclaré non coupable, et au sujet d'autres questions connexes que les commissaires jugent pertinentes aux fins de l'enquête".

Dans ses remarques préliminaires le 8 septembre 1987, le président Hickman a cité ce mandat et affirmé:

[TRADUCTION] Ce mandat comprend donc l'enquête sur le meurtre, l'inculpation de M. Marshall, la tenue du procès et de l'appel, les années que M. Marshall a passées en prison, l'acquittement prononcé par la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse et le processus qui a amené le versement de l'indemnité en 1984. Les nouvelles enquêtes menées par la GRC sur le meurtre de M. Seale seront également examinées. Cela portera sur la période allant du moment où M. Seale est décédé en 1971 jusqu'à l'établissement de la présente commission royale.

Pour formuler des recommandations utiles, tous les éléments contributifs doivent être examinés de manière attentive et critique dans le contexte de l'état actuel de l'administration de la justice en Nouvelle‑Écosse. Comme je l'ai signalé dans mon allocution préliminaire à l'audience tenue en mai, nous avons l'intention d'examiner la question du financement et, notamment, le rôle du procureur général en tant que membre du cabinet, les rapports entre les substituts du procureur général et les avocats de la défense et la police ainsi que d'autres questions connexes. J'ai également dit que nous avons l'intention d'examiner les allégations selon lesquelles les minorités de cette province ne sont pas traitées équitablement par la justice. Notre but ultime est de faire des recommandations qui assureront que les événements malheureux touchant M. Marshall ne se répéterons pas; pour ce faire, nous devons nous convaincre que l'état actuel de l'administration de la justice criminelle en Nouvelle‑Écosse est bon. Nous ne nous soustrairons pas à l'analyse de ces questions.

Dans les mêmes remarques préliminaires, la Commission a indiqué qu'elle avait accordé pleine qualité pour agir, notamment, à Donald Marshall, fils, au procureur général de la Nouvelle‑Écosse et au ministère du Procureur général.

Plus tôt, en avril 1987, le procureur général Terence Donahoe lui‑même avait décrit ainsi le mandat de la Commission devant l'Assemblée législative:

[TRADUCTION] Le rôle [des commissaires] est d'entendre les observations qui [leur] sont présentées et, à partir de ces observations, de porter un jugement sur l'opinion qu'ils se sont formée sur l'état de l'administration de la justice pendant la période en cause, savoir depuis le début des circonstances malheureuses impliquant M. Donald Marshall, fils, jusqu'à l'ouverture de l'enquête de la Commission.

Les questions qu'on demande à poser aux juges saisis du renvoi

Depuis le début de l'enquête, la Commission a entendu de nombreux témoins, dont celui qui croit avoir entendu le substitut du procureur général (maintenant décédé) discuter au téléphone avec le procureur général Pace des renseignements que MacNeil avait fournis à la police dix jours après la déclaration de culpabilité de Marshall.

Par suite de ce témoignage et d'autres dépositions, la Commission a cherché à interroger les juges qui avaient été saisis du renvoi. Le 5 janvier 1988, les procureurs de la Commission ont écrit au juge MacKeigan de la Cour d'appel et ont demandé sa comparution. Des lettres semblables ont été expédiées aux autres membres du banc qui a entendu le renvoi. Voici la teneur de la lettre adressée au juge MacKeigan:

[TRADUCTION] Le 5 janvier 1988

L'honorable juge Ian MacKeigan

Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse

Division d'appel

1815, rue Upper Water

Palais de Justice

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

B3J 1S7

Monsieur le juge,

Dans l'exécution de son mandat, la Commission examine le renvoi de 1982 que le ministre fédéral de la Justice a adressé à la Cour d'appel. Par suite de ce renvoi, la cour a annulé la déclaration de culpabilité de M. Marshall prononcée en 1971 et ordonné l'inscription d'un verdict d'acquittement.

La décision rendue dans ce renvoi a fait l'objet de certaines critiques publiques pour les observations apparemment incidentes qui figurent aux deux dernières pages. Ces observations portaient sur la responsabilité de M. Marshall quant à sa situation fâcheuse et ceux qui ont examiné la question de l'indemnité à verser à M. Marshall les ont plus tard mentionnées fréquemment. En outre, une question s'est posée concernant la participation au renvoi du juge Pace, qui était procureur général à l'époque de la déclaration de culpabilité de M. Marshall.

Après avoir effectué notre propre examen, nous ne sommes pas certains du contenu du dossier sur lequel la cour s'est fondée pour arriver à ses conclusions. On ne sait pas exactement quels affidavits étaient devant la cour — les motifs font état de certains affidavits mais les transcriptions laissent entendre qu'en fait la cour ne les avait pas devant elle. En outre, nous aimerions comprendre pourquoi les affidavits (et les contre‑interrogatoires) d'éventuels témoins policiers n'ont pas été admis, étant donné l'importance que peuvent avoir ces témoins pour déterminer pourquoi des témoins de 1971 reviennent maintenant sur leurs dépositions.

Votre lettre d'accompagnement du 10 mai 1983 adressée à l'honorable Mark MacGuigan indique que le jugement de la cour contenait "une opinion sur les nombreux facteurs qui sont à l'origine de cette erreur judiciaire au sein du système judiciaire". Nous serions intéressés de savoir précisément quels sont ces facteurs, si jamais vous êtes d'avis qu'il y a vraiment eu une erreur judiciaire au sens du sous‑al. 613(1)a)(iii) du Code criminel, et si le jugement entend indiquer qu'en fait il y a eu ou il n'y a pas eu d'erreur judiciaire.

Les procureurs de la Commission croient qu'il est nécessaire et approprié de demander votre comparution à l'enquête pour répondre aux questions qui découlent des points signalés précédemment. Nous ne sommes pas sans connaître les réserves qui entourent le témoignage d'un juge dans une procédure, et nous aimerions fixer toute comparution au début de février. George MacDonald et moi‑même vous serions reconnaissants de vous rencontrer bientôt pour discuter de votre comparution devant la Commission.

Veuillez recevoir, Monsieur le juge, l'expression de mes sentiments distingués.

"David Orsborn"

David B. Orsborn

Procureur de la Commission

Les cinq juges ont refusé de comparaître et la Commission a donc rendu des ordonnances de comparution. Les juges visés par ces ordonnances ont demandé une déclaration portant que la Commission n'avait pas le pouvoir de les contraindre à comparaître en raison de l'immunité judiciaire, ainsi que des ordonnances qui annuleraient les ordonnances de comparution et interdiraient à la Commission d'enquêter sur leurs actes, délibérations, décisions et ordonnances en ce qui concerne le renvoi.

Les procédures devant les tribunaux d'instance inférieure

Le juge en chef Glube a entendu la demande, accordé la déclaration et annulé les ordonnances de comparution. Elle a fondé sa décision sur l'immunité ou le privilège de common law dont jouissent les juges depuis plus de 300 ans, une immunité de common law qu'à son avis les commissaires devaient respecter en vertu de l'art. 4 de la Public Inquiries Act. Son jugement est maintenant publié à (1988), 43 C.C.C. (3d) 287 (C.S.N.‑É., D.P.I.) À la page 333, elle affirme ceci:

[TRADUCTION] Je reconnais que la Commission a le pouvoir de contraindre des personnes à comparaître et à témoigner. Bien que l'art. 3 de la Loi paraisse accorder un pouvoir illimité d'assigner "toute personne comme témoin", rien dans l'article n'écarte les privilèges et immunités de common law dont peut jouir un témoin. L'article 4 précise que les commissaires n'ont que les pouvoirs d'un juge de cour supérieure. Aucun texte de loi n'accorde à cette commission l'autorisation d'excéder ces pouvoirs. Ainsi, je conclus que cette commission n'a pas plus de pouvoir qu'un juge de cour supérieure.

Elle a ensuite examiné la jurisprudence canadienne et anglaise qui porte à l'unanimité que les juges échappent de façon absolue à l'obligation de témoigner relativement à leurs fonctions judiciaires. Elle a donc conclu que (à la p. 337) [TRADUCTION] "les juges doivent être totalement exemptés de l'obligation de témoigner sur des questions qui se sont posées dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires et, en particulier, c'est le cas des demandeurs pour ce qui est du renvoi de 1982‑83; ils ne sont pas autorisés à témoigner et ils ne sont pas tenus de le faire".

Les commissaires ont interjeté appel contre la décision du Juge en chef devant la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse. Leur appel a été rejeté. Le juge Burchell (ad hoc) a rendu le jugement de la Cour d'appel ((1988), 87 N.S.R. (2d) 443 (D.A.C.S.)) Il a rejeté les arguments des appelants selon lesquels les cinq juges, étant des "personnes" au sens où ce mot est employé aux art. 3 et 4 de la Public Inquiries Act, peuvent être contraints à témoigner, affirmant à la p. 444:

[TRADUCTION] Cette interprétation [proposée par les appelants] ignore une tendance opposée qui ressort d'un courant de jurisprudence ancien et ininterrompu, suivant lequel les juges ne sont pas des témoins contraignables en ce qui concerne toute question relative à l'exercice de leurs fonctions judiciaires. Alors que cette immunité était reconnue seulement dans le cas des juges de juridiction supérieure, elle a été étendue au Canada au cours des dernières années à une variété de fonctionnaires qui, bien qu'ils ne soient pas nécessairement juges eux‑mêmes, exécutent des fonctions de nature judiciaire.

Les appelants se pourvoient devant notre Cour contre cet arrêt de la Cour d'appel.

Les questions en litige

Ces pourvois soulèvent deux questions litigieuses. La première est de savoir si on peut recourir aux art. 3 et 4 de la Public Inquiries Act pour contraindre des juges de cour supérieure à témoigner devant la Commission, soit quant à savoir comment et pourquoi ils sont arrivés à leur décision, soit quant à la composition du banc qui a entendu l'affaire.

La seconde question est de savoir si la directive ordonnant à la Commission d'enquêter sur un renvoi adressé par le ministre de la Justice excède les pouvoirs de la province pour le motif qu'il s'agit d'une affaire de droit criminel et de procédure en matière criminelle que le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 réserve exclusivement au Parlement fédéral.

J'examinerai ces questions dans l'ordre où elles sont posées.

1.La Public Inquiries Act permet‑elle à la Commission de contraindre des juges à témoigner?

Les appelants allèguent que les juges qui ont entendu l'appel de Marshall sont tenus de témoigner devant la Commission en raison des art. 3 et 4 de la Public Inquiries Act. Les intimés soutiennent que les juges sont exemptés de témoigner en raison de la common law et d'un principe constitutionnel.

La divergence d'opinions entre les parties réside dans l'interprétation qu'elles donnent aux art. 3 et 4 de la Loi et dans leurs perceptions différentes de la nature de l'immunité judiciaire. Les appelants prétendent que l'art. 3 de la Loi, qui autorise la Commission à assigner "toute personne" à témoigner, vise également les juges. Tout en ne niant pas que les juges peuvent dans certaines circonstances être exemptés de témoigner, ils prétendent que ce privilège n'est pas absolu, mais relatif et susceptible d'être écarté lorsque l'intérêt public l'exige, comme c'est le cas selon eux en l'espèce.

Les intimés affirment d'autre part que l'art. 3, interprété dans le contexte de la Loi et particulièrement dans le contexte de l'art. 4 qui limite les pouvoirs de la Commission de contraindre à témoigner à ceux dont jouit un juge de la Cour suprême, ne donne pas à la Commission le pouvoir de contraindre des juges à témoigner, compte tenu du principe fondamental, établi depuis longtemps, de l'immunité judiciaire. Subsidiairement, ils prétendent que si l'art. 3 avait cet effet, il serait inconstitutionnel pour le motif qu'il violerait le principe constitutionnel fondamental de l'indépendance judiciaire.

Abordons d'abord l'interprétation des art. 3 et 4 de la Public Inquiries Act qui disposent:

[TRADUCTION] 3 Le ou les commissaires ont le pouvoir d'assigner devant eux toute personne comme témoin et de lui enjoindre de déposer oralement ou par écrit sous la foi du serment (ou d'une affirmation solennelle si celle‑ci en a le droit en matière civile), et de produire les documents et autres pièces qu'ils jugent nécessaires en vue de procéder d'une manière approfondie à l'enquête dont ils sont chargés.

4 Le ou les commissaires ont, pour contraindre des personnes à comparaître comme témoins et pour les forcer à témoigner et à produire des documents et autres pièces, les pouvoirs de la Cour suprême ou d'un de ses juges en matière civile, et les mêmes privilèges et immunités qu'un juge de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse.

Je suis d'avis que ces articles, interprétés conformément aux règles d'interprétation qui s'appliquent, ne donnent pas à la Commission le pouvoir de contraindre les juges à témoigner sur les questions en litige en l'espèce.

Je pars du principe fondamental d'interprétation que les dispositions d'une loi traitant du même sujet doivent être interprétées ensemble, si cela est possible, de manière à éviter tout conflit: Driedger, Construction of Statutes (2nd ed. 1983), p. 66. Ainsi, il y a plus de chance de dégager l'intention véritable du législateur. Si on interprète ensemble les art. 3 et 4 de la Public Inquiries Act, il appert que, bien que la Commission reçoive le pouvoir d'"assigner" toute personne, quand il s'agit d'assurer la comparution et la production — en contraignant des témoins à déposer contre leur volonté — la Commission n'a pas plus de pouvoirs que ceux d'un juge de la Cour suprême siégeant en matière civile.

Cela soulève la question de savoir si un juge de la Cour suprême siégeant en matière civile peut contraindre un autre juge à témoigner sur les questions de savoir a) comment et pourquoi il est arrivé à une décision judiciaire donnée, et b) pourquoi un certain juge a fait partie d'un banc donné de la cour. La réponse à ces questions dépend de la nature du principe de l'indépendance judiciaire, ce à quoi je passe maintenant.

Le principe de l'indépendance judiciaire

Notre Cour a parlé de ce principe capital, quoique dans le contexte de l'al. 11d) de la Charte, dans deux arrêts récents: Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, et Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56. Dans l'arrêt Valente c. La Reine, précité, le juge Le Dain, s'exprimant au nom de la Cour, fait observer que le principe "constitutionnel" de l'indépendance judiciaire comporte deux éléments principaux, un élément individuel et un élément institutionnel (à la p. 687):

On admet généralement que l'indépendance judiciaire fait intervenir des rapports tant individuels qu'institutionnels: l'indépendance individuelle d'un juge, qui se manifeste dans certains de ses attributs, telle l'inamovibilité, et l'indépendance institutionnelle de la cour ou du tribunal qu'il préside, qui ressort de ses rapports institutionnels ou administratifs avec les organes exécutif et législatif du gouvernement.


Synthèse
Référence neutre : [1989] 2 R.C.S. 796 ?
Date de la décision : 05/10/1989

Analyses

Dans l'arrêt Valente c. La Reine, le juge Le Dain se concentre sur la fonction du pouvoir judiciaire en tant qu'arbitre impartial. L'analyse porte sur la relation entre l'impartialité judiciaire - un état d'esprit - et l'indépendance judiciaire - la relation entre les juges et les autres, en particulier les autres qui font partie de l'organe exécutif du gouvernement. Le juge Le Dain, s'exprimant au nom de la Cour, énonce trois "conditions essentielles" de l'indépendance judiciaire: (1) l'inamovibilité, (2) la sécurité financière, et (3) l'indépendance institutionnelle des tribunaux judiciaires en ce qui concerne les questions touchant la prise de décisions. Ayant énoncé ces conditions, le juge Le Dain dit clairement qu'il ne tente pas de faire une codification exhaustive des éléments nécessaires à l'indépendance judiciaire. L'identification des conditions essentielles, avoue‑t‑il, comporte quelque difficulté; de plus, les conditions elles‑mêmes peuvent varier et évoluer avec le temps et selon les circonstances.

Il faut remarquer que l'indépendance du pouvoir judiciaire ne doit pas être confondue avec l'impartialité du pouvoir judiciaire. Comme le souligne le juge Le Dain dans l'arrêt Valente c. La Reine, l'impartialité a trait à l'état d'esprit d'un juge; l'indépendance judiciaire, par contre, se rapporte à la relation sous‑jacente qu'il y a entre le pouvoir judiciaire et les autres organes du gouvernement, qui assure que la cour fonctionnera de façon impartiale et sera perçue comme tel. Ainsi, la question qui se pose dans une affaire comme la présente n'est pas de savoir si l'acte du gouvernement en question aura en fait des répercussions sur l'impartialité d'un juge, mais plutôt de savoir s'il menace l'indépendance qui est la condition fondamentale de l'impartialité judiciaire dans un cas donné.

Dans l'arrêt Beauregard c. Canada, précité, le juge en chef Dickson (les juges Estey et Lamer souscrivant à son opinion; les juges Beetz et McIntyre étant dissidents en partie) cite l'opinion précitée du juge Le Dain dans l'arrêt Valente c. La Reine, et explique, à la p. 70, pourquoi le principe de l'indépendance judiciaire est si important dans la société démocratique libérale qu'est le Canada:

La raison d'être de cette conception moderne à deux volets de l'indépendance judiciaire est la reconnaissance que les tribunaux ne sont pas chargés uniquement de statuer sur des affaires individuelles. Il s'agit là évidemment d'un rôle. C'est également le contexte pour un second rôle différent et également important, celui de protecteur de la constitution et des valeurs fondamentales qui y sont enchâssées — la primauté du droit, la justice fondamentale, l'égalité, la préservation du processus démocratique, pour n'en nommer peut‑être que les plus importantes. En d'autres termes, l'indépendance judiciaire est essentielle au règlement juste et équitable des litiges dans les affaires individuelles. Il constitue également l'élément vital du caractère constitutionnel des sociétés démocratiques.

Dans l'arrêt Beauregard c. Canada, l'analyse du concept de la fonction judiciaire est élargie de manière à englober non seulement l'idée de la prise de décisions impartiales, mais également la notion de la cour en tant que protectrice de la Constitution. Il ne faut pas oublier ces deux fonctions quand on détermine la "portée raisonnable de l'indépendance judiciaire". Selon le juge en chef Dickson, le critère est strict; la fonction des tribunaux "en tant qu'arbitres des litiges, interprètes du droit et défenseurs de la Constitution" exige qu'ils soient complètement séparés "sur le plan des pouvoirs et des fonctions" de tous les autres organes du gouvernement.

Il importe de souligner que, dans l'arrêt Beauregard c. Canada, on propose non pas la séparation absolue du pouvoir judiciaire, dans le sens d'une absence totale de rapports avec les autres organes du gouvernement, mais une séparation de ses pouvoirs et fonctions. Il est impossible de concevoir un pouvoir judiciaire dénué de tout rapport avec les pouvoirs législatif et exécutif du gouvernement. Les lois régissent la nomination et la mise à la retraite des juges; elles dictent les modalités de l'exercice de leurs fonctions et de leur rémunération. Le Parlement détient le pouvoir de destituer pour un motif déterminé les juges nommés par le fédéral, et des textes de loi comme la Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S‑19, traitent de matières telles que le nombre de juges requis pour qu'il y ait quorum. Des relations de ce genre sont inévitables et nécessaires entre les organes judiciaire et législatif du gouvernement. La condition capitale du maintien de l'indépendance judiciaire est que les relations entre le pouvoir judiciaire et les autres organes du gouvernement ne doivent pas empiéter sur les "pouvoirs et fonctions" essentiels du tribunal, pour reprendre les termes du juge en chef Dickson. Suivant mon interprétation de l'arrêt Beauregard c. Canada, il est nécessaire d'éviter des incidents et des rapports qui pourraient avoir des répercussions sur l'indépendance du pouvoir judiciaire relativement à deux fonctions judiciaires cruciales: l'impartialité judiciaire dans la prise de décisions et le rôle du pouvoir judiciaire en tant qu'arbitre et protecteur de la Constitution.

En résumé, en tant que principe constitutionnel fondamental du régime de gouvernement canadien, l'indépendance judiciaire comporte à la fois des éléments individuels et des éléments institutionnels. Les actes des autres organes du gouvernement qui minent l'indépendance du pouvoir judiciaire nuisent donc à l'intégrité de notre Constitution. En tant que protecteurs de notre Constitution, les tribunaux ne prendront pas ces empiétements à la légère.

Tenant compte de cet historique, j'aborde maintenant les questions en litige dans ce pourvoi.

L'interprétation des art. 3 et 4 de la Public Inquiries Act

L'indépendance judiciaire et l'exemption dont jouissent les juges de l'obligation de témoigner quant aux motifs de leurs décisions

L'exemption dont jouissent les juges de l'obligation de témoigner quant aux motifs de leurs décisions est établie par la jurisprudence et par les principes généraux de l'indépendance judiciaire résumés dans les arrêts Valente c. La Reine et Beauregard c. Canada.

Abordons d'abord les affaires où la question s'est posée. Une des premières affirmations de cette exemption remonte à l'arrêt Knowles' Trial (1692), 12 How. St. Tr. 1167. Deux juges avaient été enjoints de comparaître devant un comité de la Chambre des lords pour expliquer pourquoi ils avaient annulé un acte d'accusation de meurtre. En réponse à cette demande, le lord juge en chef Holt affirme, à la p. 1179:

[TRADUCTION] J'ai rendu le jugement qui paraît au dossier.

Ce serait me soumettre à une interpellation pour avoir rendu jugement si je devais donner des raisons ici. J'ai exposé mes motifs ailleurs publiquement.

Si vos Seigneuries en font rapport à la Chambre, je désire savoir quand, car je peux alors vouloir être entendu sur un point de droit.

Le jugement peut être attaqué suivant une procédure appropriée, mais je ne dois pas être attaqué pour mon jugement.

M. le juge Eyres (qui siégeait alors avec moi et a exprimé son accord avec moi et les autres juges) vit toujours. Je ne dois en aucune façon être interpellé pour ce que je fais d'une façon judiciaire. Le jugement peut être contesté par voie de bref d'erreur qui est la procédure appropriée. Je pourrais répondre si je le voulais, mais je crois plus prudent de rester sous la protection que la loi m'a accordée; je considère ceci comme une interpellation; je le répète, si je suis interpellé, je me dois de ne pas répondre.

Le juge Eyres à qui on avait également demandé de témoigner devant le comité affirme, à la p. 1180:

[TRADUCTION] Je me souviens que nous avons conclu que le plaidoyer du comte de Bansbury était bien fondé en droit; il a été accusé sous le nom de Charles Knowles; il a invoqué des lettres patentes accordées à son grand‑père par le roi Charles premier et a allégué la possession par voie d'héritage; son plaidoyer était bien fondé et j'étais de cet avis, et ce, suivant mon jugement et ma conscience.

Le roi me confie l'administration de la justice. J'ai toujours donné mon opinion après l'examen le plus approfondi et suivant ma conscience.

En toute déférence, je regrette de devoir dire que la loi interdit que je sois cité à comparaître pour rendre compte des motifs de mon opinion. Si nous commettons une erreur, le jugement peut être rectifié par bref d'erreur, mais la loi nous acquitte.

En toute déférence, ce sont là les motifs de mon opinion; si les lords sont saisis de cette affaire par voie de bref d'erreur, j'exposerai mes motifs ainsi que mon opinion si je suis assigné par bref ad consulendum. Mais permettez-moi de ne pas donner de motifs aujourd'hui.

Les deux juges ont plus tard été cités à comparaître devant la Chambre des lords [TRADUCTION] "pour expliquer pourquoi [ils] avaient agi ainsi" (à la p. 1181). Le lord juge en chef Holt a répété ce qu'il avait dit au comité et plus tard, étant de nouveau forcé à comparaître, il a dit à la p. 1182:

[TRADUCTION] Je n'ai jamais entendu dire qu'on a demandé à un juge de donner les raisons ayant motivé son jugement. Je ne crois pas que la loi m'oblige à donner cette réponse.

On ne peut jamais interpeller un juge pour ce qu'il a fait en audience.

Finalement, on a respecté les assertions d'immunité des juges (à la p. 1204).

Je souligne que le principe de l'immunité judiciaire, énoncé dans l'arrêt Knowles Trial, a été maintenu sur une base constitutionnelle, le Roi ayant confié aux juges l'application du droit. Des arrêts subséquents sont venus confirmer que les juges étaient exemptés de l'obligation de témoigner relativement aux procédures judiciaires dans lesquelles ils avaient joué un rôle: Zanatta v. McCleary, [1976] 1 N.S.W.L.R. 230 (C.A.); Duke of Buccleuch v. Metropolitan Board of Works (1872), 41 L.J. Ex. 137; McKinley v. McKinley, [1960] 1 All E.R. 476 (B.R.); Scott v. Smith (1931), 4 M.P.R. 23 (C.A.N.‑B.); Re Clendenning and Board of Police Commissioners for City of Belleville (1976), 75 D.L.R. (3d) 33 (H.C. Ont.); Re Reinking (1984), 3 O.A.C. 137 (C.A.); Family and Children's Services v. P. B. and M. B. (1985), 49 R.F.L. (2d) 55 (C. dist. Ont.); R. v. Moran (1987), 21 O.A.C. 257 (C.A.); Agnew v. Ontario Association of Architects (1987), 64 O.R. (2d) 8 (C. div.)

Le droit du juge de refuser de répondre aux organes exécutif ou législatif du gouvernement ou à leurs représentants quant à savoir comment et pourquoi il est arrivé à une conclusion judiciaire donnée, est essentiel à l'indépendance personnelle de ce juge, qui constitue l'un des deux aspects principaux de l'indépendance judiciaire: Valente c. La Reine et Beauregard c. Canada, précités. Le juge ne doit pas craindre qu'après avoir rendu sa décision, il puisse être appelé à la justifier devant un autre organe du gouvernement. L'analyse faite dans l'arrêt Beauregard c. Canada appuie la conclusion que l'immunité judiciaire est au c{oe}ur du concept de l'indépendance judiciaire. Comme l'a affirmé le juge en chef Dickson dans l'arrêt Beauregard c. Canada, pour jouer le bon rôle constitutionnel, le pouvoir judiciaire doit être complètement séparé, sur le plan des pouvoirs et des fonctions, des autres organes du gouvernement. Cette séparation signifie implicitement que les organes exécutif ou législatif du gouvernement ne peuvent pas exiger d'un juge qu'il explique son jugement et en rende compte. Donner suite à l'exigence qu'un juge témoigne devant un organisme civil, émanant du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif, quant à savoir comment et pourquoi il a rendu sa décision, serait attaquer l'élément le plus sacro‑saint de l'indépendance judiciaire.

Je reviens aux art. 3 et 4 de la Public Inquiries Act. Rien dans le texte de ces articles ne laisse entendre que le législateur a voulu investir la Commission du pouvoir d'abroger le principe fondamental selon lequel un juge ne peut être contraint à témoigner quant à savoir comment et pourquoi il est arrivé à sa décision. Je souligne à cet égard le principe selon lequel un langage vague et général de la loi ne saurait être interprété comme écartant des droits fondamentaux: Eccles c. Bourque, [1975] 2 R.C.S. 739. Interprétant les art. 3 et 4 ensemble conformément aux principes reconnus d'interprétation législative, je conclus que la Loi ne donne pas à la Commission le pouvoir de contraindre les juges qui ont siégé dans l'appel Marshall à témoigner quant aux motifs de leur décision et notamment quant au contenu du dossier sur lequel ils se sont fondés.

L'exemption dont jouissent les juges de l'obligation de témoigner quant aux motifs de la composition d'un banc donné

La question suivante est de savoir si les termes généraux des art. 3 et 4 habilitent la Commission à contraindre un juge à témoigner sur les raisons pour lesquelles un juge particulier a siégé dans une affaire donnée. Je souligne qu'après les décisions en appel le juge en question, savoir le juge Pace, a été interrogé et a déclaré qu'il n'avait eu aucune conversation qui aurait pu le rendre inhabile à siéger. Néanmoins, la Commission semble vouloir interroger le Juge en chef afin de savoir pourquoi il a désigné le juge Pace comme membre du banc, étant donné que celui‑ci avait été procureur général à l'époque des événements cruciaux de l'affaire Marshall.

Cette question touche l'aspect administratif ou institutionnel de l'indépendance judiciaire: Valente c. La Reine et Beauregard c. Canada, précités. Dans les arrêts Valente c. La Reine et Beauregard c. Canada, notre Cour a confirmé très vigoureusement la nécessité que les tribunaux contrôlent les questions administratives relatives à la prise de décision sans intervention de la part des organes législatif ou exécutif. Dans l'arrêt Valente c. La Reine, on a estimé que le contrôle exclusif des tribunaux sur l'assignation des juges était essentiel à l'indépendance institutionnelle du pouvoir judiciaire. Dans l'arrêt Beauregard c. Canada, précité, le Juge en chef a affirmé à cet égard que le rôle même des tribunaux "en tant qu'arbitres des litiges, interprètes du droit et défenseurs de la Constitution exige qu'ils soient complètement séparés, sur le plan des pouvoirs et des fonctions, de tous les autres participants au système judiciaire" (souligné par le Juge en chef), à la p. 73.

Je ne dis pas que le pouvoir des tribunaux de contrôler leur propre administration est absolu, si, par absolu, on veut dire que l'Assemblée législative ou le Parlement ne peut en aucun cas adopter des lois relatives au fonctionnement des tribunaux ni enquêter sur la conduite de certains juges. Comme je l'ai déjà souligné, le Parlement et les assemblées législatives ont depuis longtemps adopté des lois créant des tribunaux et établissant des lignes directrices générales concernant leur fonctionnement. Il ne fait également pas de doute que le Parlement peut destituer un juge nommé par le fédéral pour manquement à son devoir. Dans cette mesure, le principe fondamental de l'indépendance judiciaire doit laisser place à un autre principe essentiel, celui de la suprématie du Parlement. Mais en même temps il est évident que le Parlement et les assemblées législatives ne peuvent agir de manière à entraver ce que le juge en chef Dickson appelle dans l'arrêt Beauregard c. Canada les pouvoirs et fonctions des tribunaux. Comme l'affirme le juge Le Dain dans l'arrêt Valente c. La Reine, précité, à la p. 709, la troisième condition essentielle de l'indépendance judiciaire, l'indépendance collective des tribunaux, porte sur des questions qui influent directement sur la prise de décision, savoir "l'assignation des juges aux causes, les séances de la cour, le rôle de la cour, ainsi que les domaines connexes de l'allocation de salles d'audience et de la direction du personnel administratif qui exerce ces fonctions."

Il semble donc tout à fait clair que l'assignation de juges est une question qui relève exclusivement de la cour. Il serait impensable que le ministre de la Justice ou le procureur général donne au Juge en chef des directives quant à savoir qui doit ou ne doit pas siéger dans une affaire donnée; cette prérogative appartient exclusivement au Juge en chef en tant que directeur de la cour. Accorder au pouvoir exécutif un rôle quant à savoir quels juges entendent quelles causes constituerait une atteinte inacceptable à l'indépendance du pouvoir judiciaire. Les enquêtes après coup doivent également être interdites à mon avis. Un juge en chef qui sait qu'il peut être interrogé et contre‑interrogé par le pouvoir exécutif ou son représentant quant à savoir pourquoi il a assigné un juge en particulier à une affaire donnée peut se sentir obligé, consciemment ou non, de choisir quelqu'un qui plaît au pouvoir exécutif. Même si le Juge en chef ne se laissait pas influencer par une telle éventualité, le public pourrait penser qu'il a pu être influencé, ce qui pourrait déconsidérer notre système de justice. En résumé, le principe de l'indépendance judiciaire qui sous‑tend l'impartialité judiciaire et le bon fonctionnement des tribunaux serait menacé par la possibilité de la tenue d'enquêtes publiques quant aux motifs de l'assignation de certains juges à des affaires données.

Compte tenu de ces principes, je conclus qu'il ne faut pas interpréter les art. 3 et 4 de la Public Inquiries Act comme habilitant la Commission à entraver l'exercice du droit exclusif qu'ont les tribunaux, par l'intermédiaire de leurs juges en chef, de contrôler l'assignation des juges indépendamment de toute contrainte, avant ou après coup, de la part d'autres organismes. On ne doit pas penser que je suggère qu'un juge ne pourrait jamais être appelé à rendre compte devant une tribune de la façon dont il est arrivé à une décision ou de la composition de la cour dans une affaire donnée. Je m'abstiens en l'espèce de trancher la question de savoir si des juges pourraient être appelés à témoigner sur des questions comme celle‑ci devant d'autres organismes qui ont des pouvoirs exprès d'exiger ce témoignage et qui offrent des garanties suffisantes pour protéger l'intégrité du principe de l'indépendance judiciaire.

2.La directive ordonnant à la Commission d'enquêter sur le renvoi adressé par le ministre de la Justice excède-t-elle les pouvoirs de la province?

Il s'agit d'abord de savoir si une commission établie par une province peut enquêter sur un renvoi adressé par le ministre fédéral de la Justice en vertu de l'al. 617b) du Code criminel. On prétend qu'une telle enquête est invalide parce qu'elle empiète sur la compétence fédérale exclusive en matière de droit criminel.

La réponse à cette question se trouve dans le mandat de la Commission. L'article premier de la Public Inquiries Act autorise une telle enquête pourvu qu'elle porte sur une [TRADUCTION] "matière de nature publique sur laquelle l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse peut légiférer". La question est de savoir si l'enquête porte sur "l'administration de la justice", auquel cas elle relèverait des pouvoirs de la province en vertu du par. 92(14), ou sur le "droit criminel" ou la "procédure en matière criminelle", auquel cas elle empiéterait sur la compétence fédérale en matière de droit criminel.

La réponse à cette question dépend de l'interprétation que l'on donne à l'expression "administration de la justice" relativement à la compétence fédérale en matière de droit criminel et de procédure en matière criminelle. Dans l'arrêt Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152, notre Cour a conclu que l'expression "administration de la justice" devait recevoir une interprétation large de manière à comprendre la justice criminelle. La Cour a dit aux pp. 199 et 200:

La question à résoudre en l'espèce est s'il faut interpréter de façon juste, large et libérale les mots "l'administration de la justice dans la province" ou, si en raison de la soustraction du droit criminel et de la procédure en matière criminelle, on doit les interpréter si restrictivement que "l'administration de la justice" s'applique uniquement à "l'administration de la justice en matière civile". Selon moi, l'historique de la législation canadienne, aussi bien que l'évolution des institutions juridiques à l'intérieur de la province depuis la Confédération, favorise l'interprétation large. Dans l'ensemble, les précédents peu nombreux, il est vrai, vont dans le même sens.

L'arrêt Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal établit que la police, les enquêtes et poursuites criminelles, les prisons et l'organisation des tribunaux font tous partie de "l'administration de la justice" (à la p. 205). Ce sont toutes des questions visées par l'enquête de la Commission. L'expression "procédure en matière criminelle", réservée exclusivement au gouvernement fédéral, ne doit pas être confondue avec le concept plus large de la "justice criminelle". Comme on l'affirme dans l'arrêt Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, aux pp. 209 et 210:

Il n'est pas nécessaire et il est peut‑être impossible de rechercher une définition satisfaisante de la "procédure en matière criminelle". Même si je rejette l'opinion qui limiterait la procédure criminelle à ce qui se passe dans la salle d'audience lors d'une poursuite, je suis également d'avis que "procédure en matière criminelle" n'est pas synonyme de "justice criminelle" et que l'expression "procédure en matière criminelle" employée dans l'A.A.N.B. ne retranche pas des mots "l'administration de la justice" au par. (14) de l'art. 92 une partie essentielle de leur signification — l'élément "justice criminelle".

Je suis persuadée que la province a la compétence constitutionnelle pour examiner l'enquête, la mise en accusation, la poursuite, la déclaration de culpabilité et la libération subséquente de Donald Marshall, fils. Ce sont des questions qui ont trait à l'administration de la justice dans la province et, exception faite de la réserve formulée par le juge Pigeon dans l'arrêt Procureur général (Qué.) et Keable c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 218, qu'aucune commission d'enquête constituée par une province ne peut faire enquête sur la gestion ou le fonctionnement de l'activité ou entité fédérale en question (la GRC dans cette affaire), l'examen de ces questions ne constitue pas une tentative de porter atteinte à l'intérêt valide qu'a le gouvernement fédéral à ce que soit adopté un système uniforme de procédures et de règles régissant la justice criminelle au Canada: Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, précité; O'Hara c. Colombie‑Britannique, [1987] 2 R.C.S. 591, à la p. 610.

Compte tenu de ma conclusion que les juges ne sont pas tenus de témoigner devant la Commission, je n'ai pas à examiner la question de savoir si une telle exigence porterait atteinte à la compétence qu'a le Parlement sur les juges nommés par le fédéral en vertu des art. 96 et 63 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Conclusion

Je suis d'avis de rejeter les pourvois.

//Le juge Cory//

Version française des motifs rendus par

LE JUGE CORY (dissident en partie) — J'ai lu avec beaucoup d'intérêt les motifs rédigés par ma collègue le juge McLachlin. Bien que je sois presque entièrement d'accord avec elle, j'arrive à une conclusion partiellement différente de la sienne. Vu les circonstances spéciales de la présente affaire, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi dans la mesure nécessaire pour permettre l'interrogatoire relativement à deux des trois questions que l'on cherche à poser au nom de la commission d'enquête. Ce sont les deux questions qui concernent d'abord la composition du banc qui a entendu l'appel, particulièrement en ce qui concerne la présence du juge Pace qui était procureur général à l'époque de la déclaration de culpabilité de M. Marshall, et ensuite le contenu du dossier dont disposait la cour au moment du renvoi, particulièrement pour ce qui est de savoir quels affidavits faisaient partie de ce dossier.

Historique de l'établissement de la commission Hickman

En mai 1971, alors qu'il n'avait que dix‑sept ans, Donald Marshall, fils, a été impliqué dans des événements qui ont abouti en novembre de la même année à sa déclaration erronée de culpabilité de meurtre, une infraction qui depuis Caïn et Abel est considérée comme le plus grave des crimes avec violence. Il a purgé onze longues années d'emprisonnement pour un meurtre qu'il n'a pas commis. En 1983, se fondant sur de nouveaux éléments de preuve, le ministre fédéral de la Justice a renvoyé la déclaration de culpabilité à la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, conformément à l'al. 617b) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, pour qu'elle rende une nouvelle décision. Le banc qui a entendu le renvoi était composé du Juge en chef de la Nouvelle‑Écosse et des juges Hart, Jones, Macdonald et Pace. Le juge Pace était procureur général de la Nouvelle‑Écosse à l'époque de la déclaration de culpabilité de Marshall. La poursuite et la défense ont demandé à un banc de la Cour d'appel l'autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve. Il est difficile, voire impossible, de déterminer quels documents ou affidavits composaient le dossier de la cour aux fins du renvoi. Les motifs font état de certains affidavits bien que la transcription laisse fortement entendre que la cour ne les avait pas en main.

Dans sa décision ((1983), 57 N.S.R. (2d) 286) annulant la déclaration de culpabilité de Marshall et ordonnant son acquittement, la cour a ajouté les paragraphes suivants à sa conclusion aux pp. 321 et 322:

[TRADUCTION] Donald Marshall, fils, a été déclaré coupable de meurtre et a purgé une longue période d'incarcération. Cette déclaration de culpabilité est maintenant annulée. Toute erreur judiciaire est cependant plus apparente que réelle.

En tentant de se défendre contre l'accusation de meurtre, M. Marshall a de son propre aveu commis un parjure qui peut encore faire l'objet d'accusations.

En mentant, il a contribué à sa propre déclaration de culpabilité. Il a trompé ses avocats et a présenté au jury une version des faits qu'il qualifie maintenant de fausse, une version tellement tirée par les cheveux qu'il était impossible de la croire.

En préparant un vol avec l'aide de M. Seale, il a déclenché une série d'événements qui se sont malheureusement terminés par la mort de M. Seale.

En cachant les faits à ses avocats et à la police, M. Marshall a en fait empêché la préparation du seul moyen de défense dont il pouvait se prévaloir, savoir qu'au cours d'un vol Seale a été poignardé par une des victimes visées. Il affirme maintenant qu'il savait à peu près où demeurait l'homme qui a poignardé Seale et qu'il avait une assez bonne description de lui. Si ces renseignements avaient été fournis, la police aurait bien pu découvrir la vérité.

Même lorsqu'on a recueilli les nouveaux éléments de preuve, quoiqu'il ait eu bien peu à perdre et beaucoup à gagner s'il pouvait obtenir un acquittement, M. Marshall a été loin d'être franc à la barre des témoins. Il a continué d'être évasif au sujet du vol et de l'agression et a même refusé de répondre à des questions jusqu'à ce que la cour lui ordonne de le faire. Il ne peut y avoir de doute que le manque de franchise de Donald Marshall tout au long de cette affaire a contribué dans une large mesure à sa déclaration de culpabilité.

Nous accueillons donc l'appel, annulons la déclaration de culpabilité et ordonnons l'inscription d'un verdict d'acquittement.

Après son acquittement, Marshall a finalement reçu quelque 250 000 $ de la province de la Nouvelle‑Écosse en échange de quoi il a signé une renonciation complète à toutes les réclamations qu'il pourrait avoir contre le gouvernement. Il appert, ce qui n'est guère surprenant, que les commentaires dérogatoires de la Cour d'appel, que je viens de citer, ont eu des répercussions défavorables sur le montant de l'indemnité versée à Marshall. Malgré ces commentaires défavorables, étant donné qu'il avait eu gain de cause en tant qu'appelant, Marshall n'avait plus aucun autre recours par voie d'appel.

La conclusion inévitable est que l'administration de la justice a été défaillante en ce qui concerne Donald Marshall, fils. Il a été reconnu coupable et emprisonné à tort pour un meurtre qu'il n'a pas commis. Le banc qui a entendu le renvoi comprenait un membre qui, aux yeux d'un profane pouvait paraître partial (peu importe jusqu'à quel point cette apparence peut être fausse). Il aurait été impossible que Marshall sache de quels affidavits disposait réellement la cour. À titre de partie, il avait le droit de savoir quels documents feraient partie du dossier de manière à pouvoir contredire la preuve présentée contre lui. Quelque chose a vraiment mal fonctionné dans le système judiciaire en l'espèce, ce qui a entraîné des résultats désastreux pour Donald Marshall, fils.

L'établissement de la commission Hickman

La province de la Nouvelle‑Écosse a pris des mesures pour savoir pourquoi et comment l'administration de justice avait été défaillante dans cette affaire. Trois éminents juristes très expérimentés et respectés ont été désignés pour faire partie d'une commission d'enquête. Le juge en chef Hickman a été nommé président et le juge en chef adjoint Poitras et le juge Evans ont été nommés membres. Le juge en chef Hickman a été nommé juge en chef de la Haute Cour de Terre‑Neuve en 1975. Le juge en chef adjoint Poitras a été nommé à la Cour supérieure du Québec en 1975, puis juge en chef adjoint de la Cour supérieure de cette province en 1983. Le juge Evans a été nommé à la Haute Cour de l'Ontario en 1964 et, l'année suivante, à la Cour d'appel de l'Ontario. Il a été juge en chef de la Haute Cour de l'Ontario de 1976 à 1985, année où il a abandonné le poste de juge en chef pour devenir juge puîné de cette cour. J'ai mis l'accent sur l'éminence et l'expérience de ces trois commissaires pour démontrer qu'il ne s'agissait pas d'une commission formée de bureaucrates qui n'avaient aucune connaissance du rôle des juges ou de l'administration judiciaire; elle était plutôt composée de juristes hautement qualifiés et expérimentés qui saisissaient bien l'importance de tous les aspects de l'indépendance du pouvoir judiciaire, y compris l'administration des tribunaux et des affaires judiciaires. Dans leur rôle de juges en chef, tous les membres ont connu les problèmes de l'administration d'une cour et senti la nécessité d'une indépendance judiciaire raisonnable dans ce domaine.

Les commissaires se sont vu confier le large mandat suivant:

[TRADUCTION] . . . pour être, à titre amovible, nos commissaires en vertu de la Public Inquiries Act afin de constituer une commission sous la présidence de l'honorable juge T. Alexander Hickman, chargée d'enquêter, de faire rapport de ses conclusions et de formuler des recommandations au gouverneur en conseil au sujet de l'enquête sur le décès de Sandford William Seale survenu le 28 ou le 29 mai 1971, de l'inculpation de Donald Marshall, fils, et des poursuites engagées contre lui relativement à ce décès, du verdict de culpabilité subséquemment rendu contre Donald Marshall, fils, et de sa condamnation pour le meurtre non qualifié de Sandford William Seale, infraction dont il a par la suite été déclaré non coupable, et au sujet d'autres questions connexes que les commissaires jugent pertinentes.

À mon avis, le mandat de la Commission est suffisamment large pour comprendre une enquête non seulement sur la déclaration erronée de culpabilité de Donald Marshall, fils, mais aussi sur la réaction du système judiciaire suite au renvoi de cette erreur à la Cour d'appel et sur le paiement de l'indemnité que Marshall a finalement obtenu. Ces points relevaient du mandat de la Commission à titre ". . . d'autres questions connexes que les commissaires jugent pertinentes".

Les procureurs de la Commission ont demandé au juge MacKeigan de comparaître devant la Commission pour répondre à des questions relatives à trois sujets: (1) l'inclusion du juge Pace dans le banc qui a entendu le renvoi, (2) le contenu du dossier dont disposait effectivement la Cour d'appel lors du renvoi, et (3) les facteurs qui, de l'avis du Juge en chef, ont constitué une erreur judiciaire et quant à savoir s'il y a réellement eu erreur judiciaire. À mon avis, il convient que la Commission pose des questions au juge MacKeigan les deux premiers sujets mais non sur le troisième.

La portée de l'exemption de l'obligation de témoigner dont jouissent les juges

Dans son traité intitulé Evidence in Trials at Common Law (McNaughton, édition révisée 1961) {SS} 2192, Wigmore souligne que tous les privilèges et exemptions relatifs à l'obligation de témoigner sont exceptionnels et devraient être restreints à moins que leur existence ne soit justifiée par une bonne raison clairement démontrée. Voici ce qu'il affirme, à la p. 73:

[TRADUCTION] Le caractère restreint et individuel du procès disparaît lorsque nous pensons que notre obligation de témoigner est due non pas aux parties en cause, mais à la collectivité en général et pour toujours . . .

Il s'ensuit [. . .] que tous les privilèges et exemptions relatifs à cette obligation sont exceptionnels et qu'ils doivent donc être restreints. Leur existence doit être justifiée par une bonne raison clairement démontrée. [En italique dans l'original.]

Néanmoins, je m'empresse de dire que je partage l'avis de ma collègue qu'il existe pour de très bonnes raisons un privilège absolu accordé aux juges qui les exempte de l'obligation de témoigner quant au processus mental suivi pour rendre un jugement ou quant à savoir comment ils sont arrivés à une décision dans une affaire dont ils étaient saisis. C'est la règle qui s'applique depuis l'arrêt Knowles' Trial (1692), 12 How. St. Tr. 1167, et il en a toujours été invariablement ainsi jusqu'à nos jours. Voir, par exemple, l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario R. v. Moran (1987), 21 O.A.C. 257, à la p. 269, le juge Martin.

Un jugement et les motifs de jugement d'un juge doivent être consignés et peuvent faire l'objet d'un examen par voie d'appel interjeté par la communauté juridique ou par le public en général. Il est essentiel à la préservation de notre système de justice qu'un juge ne soit pas tenu de répondre à des questions concernant la façon dont il est arrivé à une décision. Les motifs et les décisions parlent d'eux‑mêmes. S'ils doivent être mis en doute, les procédures d'appel fournissent un moyen efficace et complet de les contester.

De même, une large exemption de l'obligation de témoigner de la part des juges à l'égard de l'administration des travaux des tribunaux constitue un facteur important et nécessaire dans le fonctionnement du système judiciaire. Par exemple, il serait impensable qu'un organisme extérieur, fût‑il un ministère ou un organisme gouvernemental ou encore un barreau, puisse dire quel juge entendra une affaire en particulier ou quels membres d'une cour d'appel siégeront dans un appel. Il est important que les juges jouissent d'une exemption relativement à leurs conversations avec le personnel administratif tout autant qu'avec leurs collègues et leurs clercs. Néanmoins, une distinction importante doit être établie entre les deux types d'immunité judiciaire. Il y a d'abord le privilège des juges de ne pas être interrogés quant aux décisions qu'ils ont rendues. Ce privilège attaché à l'adjudication est d'importance fondamentale et de nature absolue. Ensuite, il y a le privilège relatif à l'administration des tribunaux. Ce privilège attaché à l'administration n'a pas la même importance fondamentale et est de nature restreinte.

Le privilège relatif aux fonctions administratives est un auxiliaire du privilège attaché à l'adjudication. Dans l'arrêt Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, le juge Le Dain, s'exprimant au nom de notre Cour, a examiné le fondement et l'étendue de l'indépendance judiciaire visée à l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a mentionné la distinction entre l'indépendance décisionnelle et l'indépendance administrative. Il a souligné que l'indépendance décisionnelle constitue le point central et essentiel de l'indépendance judiciaire alors que l'aspect administratif joue le rôle d'auxiliaire. Il s'exprime ainsi, à la p. 712:

Les aspects essentiels de l'indépendance institutionnelle qui peuvent raisonnablement être perçus comme suffisants pour les fins de l'al. 11d) [. . .] [peuvent se] résumer comme étant le contrôle par le tribunal des décisions administratives qui portent directement et immédiatement sur l'exercice des fonctions judiciaires. Dans la mesure où la distinction entre l'indépendance dans l'administration et l'indépendance dans les décisions se veut le reflet de cette limitation, je n'y vois aucune objection. On peut s'y opposer toutefois dans la mesure où le degré souhaitable ou recommandé d'indépendance ou d'autonomie administrative des tribunaux est concerné. À mon avis, le fait que [. . .] l'exécutif exerce un contrôle administratif sur certains bénéfices ou avantages discrétionnaires touchant les juges, n'empêchait pas la Cour provinciale (Division criminelle) [. . .] d'être raisonnablement perçue comme possédant l'indépendance institutionnelle essentielle pour les fins de l'al. 11d).

Ces motifs montrent que l'indépendance judiciaire n'est pas nécessairement compromise par tous les actes du pouvoir exécutif ou législatif qui portent sur l'administration des tribunaux.

Le privilège attaché à l'administration dont jouissent les juges n'est pas aussi essentiel à l'intégrité de l'administration de la justice que le privilège attaché à l'adjudication. Il convient que le privilège attaché à l'administration soit de portée restreinte et limitée. Un arrêt de principe américain sur l'aspect du privilège judiciaire relatif à l'administration le décrit spécifiquement comme étant restreint et non absolu. Voici comment on l'a formulé dans l'arrêt In the Matter of Certain Complaints under Investigation by an Investigating Committee of the Judicial Council of the Eleventh Circuit, 783 F.2d 1488 (11th Cir. 1986), à la p. 1520:

[TRADUCTION] Nous concluons donc à l'existence d'un privilège (quoique restreint . . .) qui protège les communications confidentielles entre les juges et leur personnel dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires [. . .] Il incombe à la partie qui invoque le privilège judiciaire de démontrer que l'objet de l'enquête relève bien de ce privilège. Le privilège judiciaire est fondé sur le besoin de caractère confidentiel dans l'exercice efficace des fonctions du juge fédéral. Somme toute, le privilège ne peut s'appliquer qu'aux communications entre les juges et d'autres personnes relativement aux fonctions judiciaires officielles comme, par exemple la rédaction et la recherche d'opinions, d'ordonnances et de décisions. [Je souligne.]

Même s'ils portaient sur le privilège du pouvoir exécutif, les propos que le juge La Forest a tenus au nom de la Cour dans l'arrêt Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637, sont pertinents en l'espèce. Voici ce qu'il écrit à la p. 660, au sujet de l'affaire United States v. Nixon, 418 U.S. 683 (1974):

La cour a reconnu la nécessité de protéger les communications entre personnes occupant des charges importantes dans le gouvernement. Elle a accordé un certain poids à l'argument relatif à la franchise, mais elle a aussi souligné l'importance de protéger le Président contre tout harcèlement par des subp{oe}nas vexatoires et inutiles.

D'un autre côté, la nécessité d'assurer la confidentialité au sein du gouvernement, selon la cour, doit être soupesée par rapport à la reconnaissance historique de la suprématie du droit. L'intégrité du système judiciaire et la confiance du public en celui‑ci dépendaient de la divulgation intégrale de tous les faits dans les limites prescrites par les règles de la preuve, particulièrement en matière pénale.

Puis il conclut, à la p. 673:

La divulgation est d'autant plus importante de nos jours que le public revendique un gouvernement plus ouvert. La divulgation sert à renforcer la confiance du citoyen en ses institutions gouvernementales. Cela est lourd de conséquences pour l'administration de la justice qui constitue une préoccupation majeure pour les tribunaux.

Le privilège restreint des juges relativement aux questions administratives s'applique clairement dans la plupart des cas. Il y a cependant des cas exceptionnels comme celui‑ci où le privilège restreint qui exempte de l'obligation de témoigner doit céder le pas; cela se produit lorsqu'il est nécessaire de réaffirmer la confiance du public dans l'administration de la justice.

Prenons un exemple extrême. Si le banc d'une cour d'appel était de trois juges ayant tous à un moment ou à un autre agi comme substitut du procureur général dans les poursuites engagées contre l'appelant, l'exemption de témoigner dont jouissent les juges ne devrait pas tenir. Dans ces circonstances, une commission d'enquête régulièrement constituée et qualifiée (comme celle en l'espèce) devrait avoir le droit de poser des questions et de recevoir des réponses quant aux motifs de la composition du banc qui a entendu l'appel. Une décision administrative comme celle‑là, contrairement à un jugement ou à des motifs de jugement, ne peut être révisée par la voie de procédures d'appel. Le contrôle des décisions administratives par un organisme approprié dans des cas d'abus évidents aura un effet salutaire et assurera le maintien de la confiance du public dans le travail des tribunaux. Pour paraphraser un adage bien connu, non seulement une équité absolue doit‑elle être démontrée dans les décisions administratives relatives aux tribunaux, mais le public doit être en mesure de sentir qu'une équité absolue a été démontrée dans ces décisions.

En l'espèce, il convient d'examiner certaines décisions administratives. En soi, la déclaration erronée de culpabilité de Marshall pour le crime de meurtre exige une enquête publique. Plus tard, la composition du banc qui a entendu son appel aurait pu faire l'objet de critiques de la part du public. L'incertitude quant aux documents qui composaient le dossier d'appel est troublante. Tout comme la déclaration erronée de culpabilité, ces deux derniers points soulèvent de graves inquiétudes. On peut probablement y répondre facilement et complètement, mais il faut y répondre.

À mon avis, il existe en common law un privilège ou une immunité restreinte mais non absolue dont bénéficient les juges et qui, de façon générale, les exemptera de témoigner quant aux décisions rendues dans le cours de l'administration des affaires de la cour. Dans des circonstances exceptionnelles comme celles qui se présentent en l'espèce, ce privilège restreint ne doit ni ne peut tenir. À mon avis, un juge de cour supérieure peut décider que le privilège restreint ne doit pas s'appliquer en l'espèce et exiger la comparution et le témoignage quant aux décisions administratives. Il s'ensuit que, conformément aux art. 3 et 4 de la Public Inquiries Act, R.S.N.S. 1967, chap. 250, la Commission a compétence pour exiger la comparution pour obtenir des réponses aux deux questions que j'ai mentionnées.

Le juge McLachlin s'est expressément abstenue d'évaluer la constitutionnalité de l'art. 3 de la Public Inquiries Act, à la suite de sa décision que, sur le plan de l'interprétation des lois, les juges ne pouvaient être contraints à témoigner. Mon interprétation de cette même loi m'amène à conclure que l'art. 3 confère un pouvoir limité de contraindre les juges à témoigner sur la question très restreinte du contenu du dossier et de la composition du banc. En conséquence, il n'est pas nécessaire d'entreprendre un examen détaillé de la question de savoir si l'art. 3, dans sa portée limitée, viole la précepte constitutionnel de l'indépendance judiciaire. Il suffit de dire que peu importe qu'on le qualifie de règle de common law ou de norme constitutionnelle fondamentale, le principe de l'indépendance judiciaire n'est pas absolu. Comme nous l'avons déjà vu, le privilège attaché aux décisions que comporte l'immunité judiciaire doit être distingué du privilège attaché à l'administration des tribunaux. Le premier est absolu alors que le second est restreint et doit céder le pas quoique seulement dans des circonstances rares et particulières comme celles qui se présentent en l'espèce. Ce privilège restreint attaché à l'administration doit être perçu comme une restriction nécessaire de toute expression constitutionnelle du principe de l'indépendance judiciaire. Par conséquent, je suis d'avis de conclure que l'art. 3 ne viole pas le principe constitutionnel de l'indépendance judiciaire.

Il est vrai que dans l'arrêt Valente c. La Reine, précité, le juge Le Dain fait observer à la p. 709:

Le contrôle judiciaire sur les questions mentionnées par le juge en chef Howland, savoir l'assignation des juges aux causes, les séances de la cour, le rôle de la cour, ainsi que les domaines connexes de l'allocation de salles d'audience et de la direction du personnel administratif qui exerce ces fonctions, a généralement été considéré comme essentiel ou comme une exigence minimale de l'indépendance institutionnelle ou "collective". Voir Lederman, "The Independance of the Judiciary", dans The Canadian Judiciary (1976, ed. A. M. Linden), aux pp. 9 et 10; Deschênes, Maîtres chez eux, aux pp. 83, 84 et 130.

Néanmoins, il avait affirmé auparavant, à la p. 689:

Tant l'indépendance que l'impartialité sont fondamentales non seulement pour pouvoir rendre justice dans un cas donné, mais aussi pour assurer la confiance de l'individu comme du public dans l'administration de la justice. Sans cette confiance, le système ne peut commander le respect et l'acceptation qui sont essentiels à son fonctionnement efficace. Il importe donc qu'un tribunal soit perçu comme indépendant autant qu'impartial et que le critère de l'indépendance comporte cette perception . . . [Je souligne.]

L'indépendance judiciaire, sous tous ses aspects, vise à préserver et à favoriser la confiance du public dans l'administration de la justice. Sans la confiance du public, il est impossible pour les tribunaux de jouer efficacement leur rôle dans la société. Si, comme en l'espèce, la confiance du public dans l'administration de la justice a été mise en doute, alors dans l'intérêt de cette confiance qui est essentielle au fonctionnement des tribunaux, le privilège restreint devrait céder le pas.

Il s'ensuit que, dans la présente affaire où la confiance du public dans l'administration de la justice est en jeu, des questions concernant la composition du banc et le contenu du dossier ne violeraient pas le principe de l'indépendance judiciaire. Ces questions portent avant tout sur la façon dont la justice a été administrée en l'espèce, un sujet d'intérêt public, et elles relèvent de la compétence de la province et de la Commission.

Restriction quant aux réponses demandées

Le troisième sujet sur lequel la Commission désire poser des questions est formulé de la manière suivante par les procureurs de la Commission:

[TRADUCTION] Votre lettre d'accompagnement du 10 mai 1983 adressée à l'honorable Mark MacGuigan indique que le jugement de la cour contenait "une opinion sur les nombreux facteurs qui sont à l'origine de cette erreur judiciaire au sein du système judiciaire". Nous serions intéressés de savoir précisément quels sont ces facteurs, si jamais vous êtes d'avis qu'il y a vraiment eu une erreur judiciaire au sens du sous‑al. 613(1)a)(iii) du Code criminel, et si le jugement entend indiquer qu'en fait il y a eu ou il n'y a pas eu d'erreur judiciaire.

On ne devrait pas répondre à cette question. Cela obligerait un juge à expliquer comment on est arrivé à une conclusion sur une question qui faisait partie du jugement. La question relève donc de l'immunité absolue applicable aux jugements et aux motifs de jugement. De même, les questions que l'avocat de Marshall voulait poser relèvent de la même catégorie et, pour la même raison, ne doivent pas être autorisées.

Conclusion

En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi dans la mesure où doivent être données les réponses demandées par la Commission quant à la composition du banc et quant aux documents qui faisaient partie du dossier devant la Cour d'appel lors du renvoi.

Pourvoi rejeté, les juges WILSON et CORY sont dissidents en partie.

Procureurs de T. Alexander Hickman, Lawrence A. Poitras et Gregory Thomas Evans: McInnes, Cooper & Robertson, Halifax.

Procureurs de Donald Marshall, fils: Ruby & Edwardh, Toronto.

Procureurs de Ian M. MacKeigan, Gordon L. S. Hart, Malachi C. Jones, Angus L. Macdonald et Leonard L. Pace: Cox, Downie & Goodfellow, Halifax.

Procureurs du procureur général du Québec: Le procureur général du Québec, Ste‑Foy.

Procureurs du procureur général de la Nouvelle‑Écosse: Patterson Kitz, Halifax.


Parties
Demandeurs : Mackeigan
Défendeurs : Hickman
Proposition de citation de la décision: Mackeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796 (5 octobre 1989)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-10-05;.1989..2.r.c.s..796 ?
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