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12/10/1989 | CANADA | N°[1989]_2_R.C.S._879

Canada | Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 (12 octobre 1989)


Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879

Syndicat des employés de production

du Québec et de l'Acadie Appelant

c.

Commission canadienne des droits de

la personne Intimée

et

Société Radio‑Canada et le

procureur général du Canada Mis en cause

répertorié: syndicat des employés de production du québec et de l'acadie c. canada (commission canadienne des droits de la personne)

No du greffe: 20181.

1989: 2 fév

rier; 1989: 12 octobre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre*, Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé et So...

Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879

Syndicat des employés de production

du Québec et de l'Acadie Appelant

c.

Commission canadienne des droits de

la personne Intimée

et

Société Radio‑Canada et le

procureur général du Canada Mis en cause

répertorié: syndicat des employés de production du québec et de l'acadie c. canada (commission canadienne des droits de la personne)

No du greffe: 20181.

1989: 2 février; 1989: 12 octobre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre*, Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé et Sopinka.

en appel de la cour d'appel fédérale

Tribunaux ‑- Compétence ‑- Cour d'appel fédérale ‑- Contrôle judiciaire ‑- Plainte de discrimination rejetée par la Commission canadienne des droits de la personne en vertu de l'art. 36(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ‑- La décision rendue par la Commission en vertu de l'art. 36(3) est‑elle légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire? ‑- Dans l'affirmative, la Commission a-t‑elle commis une erreur donnant lieu à examen? ‑- Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 10, art. 28 ‑- Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976‑77, chap. 33, art. 11, 36(3).

L'appelant a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne une plainte fondée sur les dispositions de l'art. 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la "Loi") relatives à la parité salariale pour les employés exerçant des fonctions équivalentes. La plainte principale portait que les employés, majoritairement masculins, de la Section fabrication et manipulation des décors de Radio‑Canada, touchaient un salaire plus élevé que celui des employés, majoritairement féminins, de la Section fabrication et manipulation des costumes, qui exerçaient des fonctions équivalentes. Un enquêteur a été nommé en vertu de l'art. 35 de la Loi pour enquêter sur la plainte et pour établir un rapport. L'enquêteur a comparé les niveaux de classification existant chez Radio‑Canada avec ceux qu'avaient établis les experts de la Commission en se servant d'abord de l'ancien plan d'évaluation d'emplois de Radio‑Canada, puis du plan Aiken. Au cours de l'enquête, l'enquêteur est demeuré constamment en contact avec l'appelant et avec Radio‑Canada, qui l'ont à l'occasion fait bénéficier de leurs observations. Quoique l'enquêteur ait découvert certaines anomalies, celles‑ci ont été jugé insignifiantes compte tenu de la cohérence globale des évaluations de classification. L'enquêteur a conclu que les disparités salariales constatées venaient d'une classification erronée. L'enquêteur a tenu compte du groupe plutôt que de ses membres individuels et a examiné le système au lieu de se concentrer sur des plaintes individuelles. Cette démarche découle de l'interprétation donnée par la Commission à l'art. 11 de la Loi. L'enquêteur a recommandé que la Commission rejette la plainte parce qu'elle n'était pas fondée.

L'enquêteur a ensuite fait tenir à l'appelant une copie de son rapport qui expliquait, avec des renvois au plan Aiken, la méthode employée et les résultats obtenus. Cette démarche découle également de l'interprétation donnée par la Commission à l'art. 11 de la Loi. L'appelant a soumis des observations écrites à la Commission. La Commission a examiné ces observations ainsi que le rapport de l'enquêteur et, sans tenir d'audience, a rejeté la plainte en vertu du par. 36(3) de la Loi parce qu'elle n'était pas fondée. La demande d'examen et d'annulation de la décision de la Commission présentée par l'appelant, en vertu de l'art. 28 a été rejetée par la Cour d'appel fédérale. Le pourvoi vise à déterminer (1) si la décision rendue par la Commission en vertu du par. 36(3) est soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire au sens de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale et (2) si la Commission a fait une erreur donnant lieu à examen.

Arrêt: (les juges Wilson et L'Heureux‑Dubé sont dissidentes): Le pourvoi est rejeté.

Les juges Lamer, La Forest et Sopinka: La Cour d'appel fédérale n'a pas compétence en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale pour examiner la décision rendue par la Commission en vertu du par. 36(3) de la Loi. La décision de la Commission n'était pas soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Le paragraphe 36(3) prévoit deux possibilités sur réception du rapport de l'enquêteur: (1) la Commission peut adopter le rapport si elle est "convaincue" que la plainte est fondée (al. 36(3)a)), auquel cas un tribunal est constitué en vertu de l'art. 39 de la Loi, à moins qu'intervienne un règlement de la plainte; et (2) la Commission peut rejeter la plainte si elle "est convaincue [. . .] que la plainte n'est pas fondée" (al. 36(3)b)). C'est ce qui arrive lorsque la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal en application de l'art. 39. Le but n'est pas d'en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. Il ne s'agit pas non plus de tenir une audience en règle avant de décider de l'opportunité de constituer un tribunal. Au contraire, le processus va du stade de l'enquête au stade judiciaire ou quasi judiciaire dès lors qu'est rempli le critère énoncé à l'al. 36(3)a). Par conséquent, compte tenu de la nature administrative du rôle de la Commission et suivant les dispositions législatives en question, la Commission n'était pas astreinte à l'observation des règles formelles de la justice naturelle. Elle est toutefois tenue d'obéir aux règles de l'équité procédurale conformément aux principes de l'arrêt Nicholson.

Bien qu'il ne soit pas nécessaire de trancher cette question, la Commission n'a pas commis d'erreur donnant lieu à examen en rejetant la plainte de l'appelant. On ne saurait prétendre en l'espèce qu'il y a eu déni de justice naturelle ou d'équité procédurale. L'appelant a été informé de la substance de la preuve réunie par l'enquêteur et produite devant la Commission et il a eu la possibilité de répliquer à cette preuve et de soulever tous les points pertinents. La Commission pouvait prendre en considération le rapport de l'enquêteur, les autres données de base qu'elle jugeait nécessaires ainsi que les arguments des parties. Elle était alors tenue de rendre sa propre décision en se fondant sur ces renseignements, ce qu'elle a fait.

Le fait que la Commission a omis de motiver sa décision en l'espèce ne justifie pas l'examen. La Commission a informé l'appelant de sa décision établissant la non‑équivalence des postes comparés. Cette conclusion reposait sur le rapport de l'enquêteur et ce rapport avait été communiqué à l'appelant qui était donc parfaitement au courant des motifs de la décision de la Commission.

Finalement, l'appelant a été informé de l'interprétation donnée par la Commission à l'art. 11 de la Loi et la Commission a appliqué correctement cet article aux faits de la présente affaire. L'article 11 vise à interdire à un employeur de pratiquer la discrimination "entre les hommes et les femmes" qui exercent des fonctions équivalentes; il n'a pas pour but de garantir aux employés individuels un salaire égal pour un travail équivalent peu importe leur sexe.

Le juge en chef Dickson: Ce pourvoi peut être tranché sur des motifs de compétence et de procédure pour les raisons exposées par le juge Sopinka et, par conséquent, il n'est ni nécessaire ni approprié de traiter de l'exactitude de l'interprétation de l'art. 11 de la Loi par la Commission canadienne des droits de la personne.

Les juges Wilson et L'Heureux‑Dubé (dissidentes): La décision de la Commission de rejeter une plainte en vertu de l'al. 36(3)b) de la Loi est "légalement soumise" à un processus quasi judiciaire et donc au pouvoir de révision de la Cour d'appel fédérale en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Trois facteurs appuient cette conclusion. Premièrement, le rôle de la Commission, en vertu du par. 36(3), est de décider si la plainte de discrimination est fondée ou non, compte tenu des conclusions énoncées dans le rapport de l'enquêteur. La question de "l'équivalence" des fonctions au sens du par. 11(1) de la Loi est une question de droit. La Commission interprète et applique une norme juridique à l'égard de deux parties (l'appelant et Radio‑Canada) dont les prétentions sont opposées. La fonction que remplit la Commission est donc très proche de la fonction juridictionnelle dont sont traditionnellement investis les tribunaux ordinaires. Deuxièmement, la décision de la Commission constitue une décision concluante à l'égard de droits individuels fondamentaux. Troisièmement, bien que la Loi n'exige pas expressément la tenue d'une audience avant le rejet d'une plainte en vertu du par. 36(3), les dispositions de la Loi, et notamment les par. 36(4), 39(1) et 40(1) ainsi que l'art. 41, sont compatibles avec l'imposition d'une obligation d'agir de façon quasi judiciaire. L'existence de cette obligation est amplement étayée par la jurisprudence.

Le concept de "valeur égale" est au c{oe}ur de l'interdiction légale de la discrimination salariale. L'évaluation de la valeur d'un emploi est toutefois la proie naturelle des préjugés individuels et des stéréotypes sexuels. Étant donné ces circonstances, l'équité exige que ce processus d'évaluation soit soumis à l'effet purificateur du débat contradictoire. Le meilleur moyen de minimiser la vulnérabilité de la méthode d'évaluation face aux préjugés individuels et aux stéréotypes sexuels, est de fournir aux parties concernées l'occasion d'adapter les éléments de l'évaluation aux circonstances particulières de chaque cas. En conséquence, la Commission est dans l'obligation de révéler aux intéressés, en temps opportun, non seulement le fondement factuel de sa décision, mais aussi le fondement juridique de son examen, savoir son interprétation du principe, reconnu dans la Loi, de l'égalité de rémunération pour un travail de valeur égale. De plus, les parties doivent avoir la possibilité de répondre en toute connaissance de cause à l'interprétation de la Commission et de faire valoir leur propre interprétation.

En l'espèce, la Commission n'a pas révélé en temps opportun le fondement juridique de sa décision. Quoique l'appelant ait soumis une argumentation écrite sur un certain nombre de points relatifs à l'utilisation du plan Aiken, sa présentation n'a été autorisée qu'après la fin d'une enquête menée en tenant pour acquis que ce plan était la seule méthode valable d'évaluation de l'équivalence des fonctions aux fins de l'art. 11 et que le choix de la Commission, quant aux critères d'évaluation et à leur poids respectif, était également approprié à la lumière de cette disposition. L'appelant aurait dû avoir la possibilité de présenter, en connaissance de cause, des arguments concernant la norme de l'équivalence prescrite à l'art. 11. De plus, si la norme choisie était la méthode Aiken, l'appelant aurait dû avoir la possibilité de se faire entendre sur les questions de la sélection et du poids relatif des critères d'évaluation. À cette même audience, on aurait pu débattre tout autre aspect de la méthode proposée par la Commission et risquant, aux yeux des parties, de fausser l'évaluation de la valeur des fonctions. L'audience aurait dû être tenue afin de permettre aux parties concernées de faire valoir efficacement, avant le début de l'enquête, leur propre interprétation de la norme juridique applicable. La Commission a donc violé un principe de justice naturelle en procédant sans fournir cette possibilité à l'appelant et sa décision doit être annulée.

Jurisprudence

Citée par le juge Sopinka

Arrêts mentionnés: Nicholson c. Haldimand‑Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Bates v. Lord Hailsham, [1972] 1 W.L.R. 1373; Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12; Re Dagg and Ontario Human Rights Commission (1979), 102 D.L.R. (3d) 155; Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne, [1984] 2 R.C.S. 407; Cashin c. Société Radio‑Canada, [1984] 2 C.F. 209; Re Downing and Graydon (1978), 92 D.L.R. (3d) 355; Northwestern Utilities Ltd. c. Ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684; Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476.

Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente)

Nicholson c. Haldimand‑Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Commission de l'emploi et de l'immigration c. MacDonald Tobacco Inc., [1981] 1 R.C.S. 401; Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495; Brouillette c. Commission canadienne des droits de la personne (1986), 86 N.R. 393; Labelle c. Canada (Conseil du Trésor) (1987), 76 N.R. 222; Whiteman c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1987), 9 C.H.R.R. D/4944; Procureur général du Québec c. Udeco Inc., [1984] 2 R.C.S. 502; Labour Relations Board of Saskatchewan v. John East Iron Works, Ltd., [1949] A.C. 134; MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; Latif c. Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687; Cashin c. Société Radio‑Canada, [1984] 2 C.F. 209; Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne, [1984] 2 R.C.S. 407; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Corning Glass Works v. Brennan, 417 U.S. 188 (1974); Waddington v. Leicester Council for Voluntary Services, [1977] 2 All E.R. 633; Harmatiuk v. Pasqua Hospital (1982), 4 C.H.R.R. D/1177 (Sask. H.R.C.), conf. par (1983) 4 C.H.R.R. D/1650 (B.R.); Re Downing and Graydon (1978), 92 D.L.R. (3d) 355.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, art. 15.

Code des droits de la personne (1981), L.O. 1981, chap. 53, art. 32.

Equal Pay Act of 1963, 29 U.S.C. {SS} 206d).

Fair Labor Standards Act of 1938, 52 Stat. 1060.

Individual's Rights Protection Act, R.S.A. 1980, chap. I‑2, art. 20 [mod. 1985, chap. 33, art. 9].

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), chap. H-6, art. 44(3) [abr. & rempl. chap. 31 (1er supp.), art. 64].

Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 11, 22(2) [abr. & rempl. 1977‑78, chap. 22, art. 5], 26, 32(1), (5), 33, 34(1), 35, 36, 39(1), 40(1), (2), 41(1), (2), 65.

Loi de modification législative (Charte canadienne des droits et libertés), S.C. 1985, chap. 26, art. 68, 69.

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 10, art. 18, 28(1).

Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORSs /86-1082, art. 16.

Ordonnances sur l'égalité de rémunération, TRs /78‑155, art. 3.

Ordonnances sur l'égalité de rémunération -‑ Modification, TRs /82-2.

Doctrine citée

Abella, Rosalie A. Rapport de la Commission sur l'égalité en matière d'emploi. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services du Canada, 1984.

Blumrosen, Ruth G. "Wage Discrimination, Job Segregation, and Title VII of the Civil Rights Act of 1964" (1979), 12 U. Mich. J. L. Ref. 397.

Canada. Commission de réforme du droit du Canada. La Cour fédérale: contrôle judiciaire (Document de travail 18). Ottawa: Commission de réforme du droit, 1977.

De Smith, S. A. Judicial Review of Administrative Action, 4th ed. By J. M. Evans. London: Stevens & Sons Ltd., 1980.

Nelson, Bruce A. and Edward M. Opton and Thomas E. Wilson. "Wage Discrimination and the "Comparable Worth" Theory in Perspective" (1980), 13 U. Mich. J. L. Ref. 233.

Pépin, Gilles et Yves Ouellette. Principes de contentieux administratif, 2e éd. Cowansville, Qué.: Éditions Yvon Blais Inc., 1982.

Tarnopolsky, Walter S. Discrimination and the Law in Canada, 2nd ed. Toronto: Richard De Boo Ltd., 1982.

POURVOI contre un jugement de la Cour d'appel fédérale (1986), 90 N.R. 16, 9 C.H.R.R. D/4922, 16 C.C.E.L. 275, qui a rejeté la demande de l'appelant, fondée sur l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, visant à faire examiner et annuler une décision de la Commission canadienne des droits de la personne. Pourvoi rejeté, les juges Wilson et L'Heureux‑Dubé sont dissidentes.

Luc Martineau et Lyne Robichaud, pour l'appelant.

Russell G. Juriansz et Anne Trottier, pour l'intimée.

Gaspard Côté, c.r., et Raymond Piché, pour les mis en cause.

//Le Juge en chef//

Version française des motifs rendus par

LE JUGE EN CHEF -- À une seule réserve près, je suis d'accord avec les motifs de mon collègue le juge Sopinka. À mon avis, on peut entièrement trancher ce pourvoi sur des motifs de compétence et de procédure et, par conséquent, j'estime qu'il n'est ni nécessaire ni approprié de traiter de l'exactitude de l'interprétation de l'art. 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976‑77, chap. 33, par la Commission canadienne des droits de la personne. La Commission a choisi de ne pas donner les motifs de sa décision de rejeter la plainte qu'elle estimait non fondée. Devant cette Cour, l'attaque de l'appelant était axée principalement sur des moyens de procédure et de compétence et, en Cour d'appel fédérale, l'interprétation de l'art. 11 n'a pas été abordée. Par conséquent, je souscris à l'avis du juge Sopinka, mais n'exprime aucune opinion quant à l'interprétation de l'art. 11.

//Le juge Sopinka//

Version française du jugement des juges Lamer, La Forest et Sopinka rendu par

LE JUGE SOPINKA — Ce pourvoi concerne la caractérisation de la fonction qu'exerce la Commission canadienne des droits de la personne quand elle rejette une plainte de discrimination en vertu du par. 36(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976‑1977, chap. 33. La caractérisation de cette fonction est pertinente non seulement pour déterminer si la Cour fédérale a compétence pour examiner la décision de la Commission, mais aussi pour décider si sa manière de procéder pour arriver à cette décision a violé les droits de l'appelant à la justice naturelle ou à l'équité procédurale.

Les faits

L'appelant représente tous les travailleurs de production employés par la Société Radio‑Canada ("Radio‑Canada") dans la province de Québec et à Moncton (Nouveau‑Brunswick). Il a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la "Commission") une plainte en date du 10 novembre 1981 fondée sur les dispositions de l'art. 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la "Loi") relatives à la parité salariale pour les employés exerçant des fonctions équivalentes. La plainte portait que les employés, majoritairement masculins, de la Section de fabrication et manipulation des décors de Radio‑Canada, touchaient un salaire plus élevé que celui des employés, majoritairement féminins, de la Section de fabrication et manipulation des costumes, qui exerçaient des fonctions équivalentes. On se plaignait en outre de ce que les employés du service du maquillage étaient eux aussi sous‑payés par rapport à des salariés occupant certains emplois équivalents à prépondérance masculine.

Sur réception de la plainte, un enquêteur a été nommé en vertu de l'art. 35 de la Loi pour enquêter sur la plainte et pour établir un rapport.

Une enquête sur une plainte de disparité salariale appelle l'application de méthodes généralement acceptées en matière d'évaluation d'emplois afin de mesurer la valeur relative des emplois en question. Il s'agit d'un processus en trois étapes:

1.L'enquêteur doit connaître à fond la nature de chaque emploi, connaissance qu'il acquiert en ayant recours à des descriptions d'emploi ou de poste tenues à jour et communiquées par l'employeur et, en cas de doute, des questionnaires -- appelés feuilles de données sur l'emploi -- remplis par des titulaires des postes.

2.Les emplois sont alors évalués selon un plan d'évaluation d'emploi qui comporte des techniques servant à déterminer la nature de l'emploi selon des facteurs et critères spécifiés dans le plan. Cela permet d'effectuer une comparaison quantitative de la valeur relative des emplois.

3.Les mesures quantitatives de la valeur des emplois permettent alors de calculer le niveau de rémunération approprié.

Les niveaux de classification chez Radio‑Canada ont été comparés à ceux que les experts de la Commission avaient établis en se servant d'abord de l'ancien plan de Radio‑Canada, puis d'un plan du Conseil du Trésor, appelé le plan Aiken.

Ce processus a pris environ quatre ans et, du début à la fin, l'enquêteur est demeuré constamment en contact avec l'appelant et avec Radio‑Canada, qui l'ont à l'occasion fait bénéficier de leurs observations.

Quoique l'enquêteur ait découvert certaines anomalies, celles‑ci étaient insignifiantes compte tenu de la cohérence globale des évaluations de classification. L'enquêteur a conclu que les disparités salariales constatées résultaient d'une classification erronée et il a fait remarquer que ces disparités, au lieu d'être fondées sur le sexe, existaient aussi dans les comparaisons entre des postes bien classifiés et mal classifiés d'employés masculins. Il a donc recommandé que la Commission rejette la plainte parce qu'elle était mal fondée.

Bien que les parties aient été tenues au courant de l'évolution de l'enquête, l'enquêteur régional, Michel Pitre, a écrit ceci à l'appelant le 16 octobre 1984:

Veuillez donc trouver sous ce pli une copie des documents qui seront soumis à la Commission afin de lui permettre de rendre décision dans ce cas. Nous vous invitons à faire parvenir votre soumission à la Directrice des Plaintes et de la mise en {oe}uvre (Commission canadienne des droits de la personne, 400, 90, rue Sparks, Ottawa, Ontario, K1A 1E1) dans les trentes (sic) (30) jours civils qui suivent la date à laquelle vous avez reçu cette lettre.

Était jointe à la lettre une copie de son rapport qui expliquait, avec des renvois au plan Aiken, la méthode employée et les résultats obtenus. De plus, chacune des anomalies susmentionnées y était clairement décrite. Sous la rubrique "Discussion", l'enquêteur précisait que pour faire enquête il fallait tenir compte du groupe plutôt que de ses membres individuels et examiner le système plutôt que se concentrer sur des plaintes individuelles. Cette démarche découle de l'interprétation donnée par la Commission à l'art. 11 de la Loi. La Commission adopte cette interprétation parce qu'elle estime que l'art. 11 est libellé de manière à empêcher "l'effet de cliquet" ("ratcheting") et d'autres rajustements salariaux non conformes aux pratiques acceptées en matière de rémunération. Par exemple, il se peut que dix employés du sexe masculin remplissant des fonctions différentes et rémunérés à des taux différents accomplissent tous un travail équivalant à celui d'une employée dont le salaire est inférieur. S'il était permis à cette employée féminine de limiter une plainte fondée sur l'art. 11 à une comparaison de son salaire avec celui de l'homme le mieux rémunéré, c'est à ce dernier niveau que serait porté son salaire à elle. Tous les autres employés masculins pourraient par la suite exiger le rajustement de leurs salaires pour qu'ils soient égaux à celui de la femme, dont la rémunération se situerait au taux maximal. En fin de compte, tous les employés finiraient par obtenir le taux maximal. Ainsi appliqué, l'art. 11 garantirait non pas la parité salariale entre les sexes, mais le paiement d'un salaire égal pour des fonctions équivalentes indépendamment du sexe des employés.

L'appelant disposait d'un délai de trente jours pour soumettre des observations écrites à la Commission, lequel délai a été prorogé. Les observations présentées étaient très détaillées. Après avoir examiné ces observations ainsi que le rapport de l'enquêteur, la Commission a conclu que la plainte n'était pas fondée et l'a rejetée. L'appelant a été avisé de cette décision dans une lettre datée du 27 juin 1985, qui portait:

La Commission canadienne des droits de la personne a examiné le rapport d'enquête dans votre plainte contre la Société Radio‑Canada dans laquelle vous alléguiez de la disparité salariale fondée sur le sexe en matière d'emploi.

La Commission a décidé que les postes qui faisaient l'objet de la comparaison n'étaient pas de valeur égale et que pour cette raison, la plainte n'était pas fondée. La Commission a donc décidé de rejeter votre plainte. La Commission a pris connaissance de vos observations en date du 29 janvier 1985.

Les questions en litige

1. La caractérisation de la décision de la Commission

La décision de la Commission est‑elle soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire au sens de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 10?

2. Erreur donnant lieu à examen

Si la réponse est affirmative, la Commission a‑t‑elle commis une erreur donnant lieu à examen?

Les textes législatifs

Loi sur la Cour fédérale

18. La Division de première instance a compétence exclusive en première instance

a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire, contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral; et

b) pour entendre et juger toute demande de redressement de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment toute procédure engagée contre le procureur général du Canada aux fins d'obtenir le redressement contre un office, une commission ou à un autre tribunal fédéral.

28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédures devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal

a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;

b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou

c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Loi canadienne sur les droits de la personne

11. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur d'instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

(2) Les critères permettant d'établir l'équivalence des fonctions exécutées par des employés dans le même établissement sont les qualifications, les efforts et les responsabilités nécessaires pour leur exécution, considérés globalement, compte tenu des conditions de travail.

(2.1) Les établissements distincts qu'un employeur aménage ou maintient dans le but principal de justifier une disparité salariale entre hommes et femmes sont réputés, pour l'application du présent article, ne constituer qu'un seul et même établissement.

(3) Ne constitue pas un acte discriminatoire au sens du paragraphe (1) la disparité salariale entre hommes et femmes fondée sur un facteur reconnu comme raisonnable par une ordonnance de la Commission canadienne des droits de la personne en vertu du paragraphe 22(2).

(4) Des considérations fondées sur le sexe ne sauraient motiver la disparité salariale.

(5) Il est interdit à l'employeur de procéder à des diminutions salariales pour mettre fin aux actes discriminatoires visés au présent article.

(6) Pour l'application du présent article, "salaire" s'entend de toute forme de rémunération payable à un individu en contrepartie de son travail et, notamment, des traitements, commissions, indemnités de vacances ou de licenciement, primes, de la juste valeur des prestations en repas, loyers, logement et hébergement, des rétributions en nature, des contributions de l'employeur aux caisses ou régimes de pension, aux régimes d'assurance contre l'invalidité prolongée et aux régimes d'assurance‑maladie de toute nature et des autres avantages reçus directement ou indirectement de l'employeur.

26. (1) Le personnel nécessaire à l'exécution des travaux de la Commission est nommé conformément à la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.

(2) La Commission peut, moyennant la rémunération et les indemnités prévues à son règlement, engager à contrat, pour des fins temporaires ou spéciales, des experts compétents dans des domaines apparentés à son champ d'activité, à titre de conseils et de collaborateurs dans l'exercice des pouvoirs et des fonctions que lui confère la présente loi.

32. (1) Sous réserve des paragraphes (5) et (6), les individus ou groupes d'individus ayant des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte discriminatoire peuvent déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière.

33. Sous réserve de l'article 32, la Commission doit statuer sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime la plainte irrecevable dans les cas où il apparaît à la Commission

a) qu'il est préférable que la victime présumée de l'acte discriminatoire épuise d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont raisonnablement ouverts; ou

b) que la plainte

(i) pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi du Parlement,

(ii) n'est pas de sa compétence,

(iii) est frivole, vexatoire, sans objet ou entachée de mauvaise foi, ou

(iv) a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an à compter de la dernière des actions ou abstentions sur lesquelles elle est fondée, ou de tout délai plus long que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

34. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission doit motiver par écrit sa décision auprès du plaignant dans les cas où elle décide que la plainte est irrecevable.

35. (1) La Commission peut désigner la personne (ci‑après dénommée "l'enquêteur") chargée d'enquêter sur une plainte.

(2) L'enquêteur doit respecter la procédure d'enquête prévue aux règlements établis en vertu du paragraphe (4) et peut être autorisé par la Commission

a) sous réserve des restrictions que le gouverneur en conseil peut imposer dans l'intérêt de la défense nationale ou de la sécurité, à pénétrer à toute heure raisonnable, dans tous locaux, à l'exclusion des logements privés et des locaux conçus pour l'habitation et utilisés comme logements privés permanents ou temporaires, pour y procéder aux investigations raisonnablement nécessitées par l'enquête; et

b) à obliger toute personne trouvée sur les lieux à produire pour examen, reproduction ou établissement d'extraits les livres et documents qui contiennent des renseignements utiles à l'enquête.

(3) Il est interdit d'entraver l'action de l'enquêteur.

(4) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements, fixant la procédure à suivre par les enquêteurs, les modalités de conduite des enquêtes en vertu de la présente Partie ainsi que les restrictions nécessaires aux fins de l'alinéa (2)a).

36. (1) L'enquêteur doit, le plus tôt possible après la fin de l'enquête, présenter son rapport à la Commission.

(2) Dans les cas où, au reçu du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission est convaincue

a) qu'il est préférable que le plaignant épuise les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont raisonnablement ouverts, ou

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi du Parlement,

elle doit renvoyer la plainte à l'autorité compétente.

(3) Dans les cas où, au reçu du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission est convaincue

a) que la plainte est fondée, qu'il n'y a pas lieu de la renvoyer conformément au paragraphe (2), ni de la rejeter pour les motifs énoncés aux sous‑alinéas 33b(ii) à (iv), elle peut accepter le rapport; ou

b) que la plainte n'est pas fondée ou qu'il y a lieu de la rejeter pour les motifs énoncés aux sous‑alinéas 33b)(ii) à (iv), elle doit rejeter la plainte.

(4) Après réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission

a) doit informer par écrit les parties à la plainte de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3); et

b) peut informer toute autre personne, de la manière qu'elle juge indiquée, de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).

39. (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, constituer un tribunal des droits de la personne (ci‑après dénommé, à la présente Partie, le "tribunal") chargé d'examiner la plainte.

40. (1) Le tribunal doit, après avis conforme à la Commission, aux parties et, à sa discrétion, à tout intéressé, examiner l'objet de la plainte pour laquelle il a été constitué; il doit donner à ceux‑ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve et des arguments, même par l'intermédiaire d'un avocat.

(2) En comparaissant devant le tribunal et en présentant ses éléments de preuve et ses arguments, la Commission doit adopter l'attitude la plus proche, à son avis, de l'intérêt public, compte tenu de la nature de la plainte.

L'arrêt de la Cour d'appel fédérale

Le jugement de la cour a été prononcé par le juge Marceau: (1986), 90 N.R. 16. Sur la question de la compétence en vertu de l'art. 28, il dit (à la p. 22):

. . . il s'agit là d'une question qui bien que pouvant déboucher sur des difficultés de juridiction est plus technique que de fond, en ce sens qu'elle implique surtout une définition de termes dont le contenu exact est devenu récemment de plus en plus flou en même temps qu'il perdait de son importance et qu'il n'y a pas d'intérêt, pas en tout cas dans cette cause‑ci, de prendre parti formellement à son sujet.

Le juge Marceau a rejeté l'argument avancé par l'appelant, suivant lequel les instances devant la Commission sont soumises à des exigences procédurales complexes comportant comme ultime étape une audience publique en règle. À son avis, les exigences procédurales étaient les suivantes (à la p. 21):

Ce qui est requis est que le plaignant et toutes les parties intéressées aient été adéquatement informés de la substance de la preuve recueillie par l'enquêteur et du contenu de son rapport et qu'ils aient eu la possibilité de faire verbalement ou par écrit toutes les représentations pertinentes qu'ils jugeaient à propos.

Pour ce qui est des plaintes relatives aux procédures devant la Commission, le juge Marceau en fait l'énumération suivante (à la p. 21):

1.La Commission s'est fondée uniquement sur le rapport établi à l'issue de l'enquête, sans prendre en considération la preuve sous‑jacente et notamment la preuve d'expert.

2.Elle n'a pas tenu d'audience publique ou a omis d'exiger que l'enquêteur en tienne.

3. Elle n'a pas donné de motifs écrits.

4.Les conclusions de l'enquêteur n'étaient pas seulement les siennes propres mais aussi celles des experts.

5.Elle n'a pas communiqué à l'appelant certains documents versés au dossier, savoir les rapports de vérification sur place et les feuilles de pointage.

Le juge Marceau a conclu que certaines de ces plaintes procédaient d'une conception erronée des fonctions respectives de la Commission et de l'enquêteur. Il était loisible à la Commission d'avoir recours à l'assistance d'experts et de se fonder sur le rapport de l'enquêteur, pourvu qu'elle tienne compte des arguments des parties et qu'elle tire sa propre conclusion. Quant aux autres plaintes, elles reposaient sur l'opinion de l'appelant qu'une audience en règle s'imposait. Finalement, le juge Marceau a conclu que les rapports de vérification sur place et les feuilles de pointage venaient simplement confirmer les faits établis dans d'autres documents et ne remplissaient qu'une fonction très accessoire ou relativement insignifiante. D'après le juge Marceau, l'appelant avait été adéquatement informé de la substance de la preuve obtenue par l'enquêteur. L'appelant n'avait donc pas démontré l'illégalité de la décision attaquée.

1. La caractérisation de la décision de la Commission

Le procureur général du Canada fait valoir que la Cour d'appel fédérale n'avait pas compétence pour examiner la décision de la Commission en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale parce qu'il ne s'agissait pas d'une décision ou ordonnance légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Comme je l'ai déjà indiqué, le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale a jugé inutile de répondre à cette question étant donné sa conclusion qu'aucune erreur donnant lieu à examen n'avait été commise. Les tribunaux ont consacré de grands efforts à la définition de la portée de l'art. 28 et, malgré la tâche considérable que cela représente, le procureur général nous demande de régler cette question et de rejeter le pourvoi sur ce point.

L'application de l'art. 28 et de son pendant, l'art. 18, a été rendue difficile du fait que la distinction entre certains types de tribunaux était nette à l'époque de l'adoption de la Loi mais ne l'est plus. Par suite de l'arrêt Nicholson c. Haldimand‑Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311, bon nombre de tribunaux exerçant des fonctions dites administratives ou exécutives sont tenus de respecter dans une mesure limitée la règle audi alteram partem, que l'on décrit comme l'obligation d'équité en matière de procédure. Autrefois, les tribunaux tenus d'observer les règles de justice naturelle étaient qualifiés de tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires. Cette classification en fonction de la procédure a été exprimée de la manière suivante par le juge Megarry dans Bates v. Lord Hailsham, [1972] 1 W.L.R. 1373 (Ch. D.), à la p. 1378:

[TRADUCTION] . . . dans le domaine de ce qu'on appelle le quasi‑judiciaire, on applique les règles de justice naturelle et, dans le domaine administratif ou exécutif, l'obligation générale d'agir équitablement.

Cette déclaration a été adoptée par le juge en chef Laskin dans Nicholson, précité, à la p. 324. Aussi bien les règles de justice naturelle que l'obligation d'agir équitablement sont des normes variables. Leur contenu dépend des circonstances de l'affaire, des dispositions législatives en cause et de la nature de la question à trancher. La distinction entre elles s'estompe donc lorsqu'on approche du bas de l'échelle dans le cas de tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires et du haut de l'échelle dans le cas de tribunaux administratifs ou exécutifs. C'est pourquoi on ne détermine plus maintenant le contenu des règles à suivre par un tribunal en essayant de le ranger dans la catégorie de tribunal judiciaire, quasi judiciaire, administratif ou exécutif. Au contraire, on décide du contenu de ces règles en tenant compte de toutes les circonstances dans lesquelles fonctionne le tribunal en question. Dans l'arrêt Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, à la p. 629, le juge Dickson (maintenant Juge en chef) dit:

En général, les cours ne devraient pas tenter de distinguer ces concepts l'un de l'autre, car tracer une distinction entre une obligation d'agir équitablement et celle d'agir selon les règles de justice naturelle conduit à un cadre conceptuel de maniement difficile.

La Loi sur la Cour fédérale exige cependant qu'il y ait une classification aux fins de l'examen des décisions d'offices, de commissions ou d'autres tribunaux fédéraux. Par conséquent, la distinction mentionnée par le juge Megarry et adoptée par cette Cour dans l'affaire Nicholson, précitée, doit continuer à servir de fondement à la distinction entre l'art. 28 et l'art. 18. Dans l'arrêt Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, le juge Wilson, dans des motifs auxquels ont souscrit le Juge en chef et le juge Lamer, a appliqué cette distinction pour conclure que la décision rendue par le ministre en vertu de l'art. 45 de la Loi sur l'immigration de 1976 ne pouvait donner lieu à un examen en vertu de l'art. 28. Le juge Wilson dit, aux pp. 197 et 198:

Ainsi, malgré la tendance de l'arrêt Nicholson à supprimer l'importance de la distinction entre les fonctions administratives et judiciaires ou quasi judiciaires aux fins de déterminer si l'équité en matière de procédure est requise dans le processus décisionnel, la Loi sur la Cour fédérale maintient l'importance de cette distinction aux fins de déterminer si le contrôle judiciaire peut être exercé par voie de certiorari en vertu de l'al. 18a) ou par voie d'examen en vertu de l'art. 28: voir l'arrêt Martineau, précité, aux pp. 629 et 637. Étant donné que les appelants n'ont pas contesté de la manière appropriée l'équité, sur le plan de la procédure, de la décision du Ministre rendue en vertu de l'art. 45 de la Loi sur l'immigration de 1976, je ne crois pas que la Cour ait compétence en l'espèce pour examiner ces décisions ou les mécanismes par lesquels celles‑ci ont été rendues . . .

De même, dans l'arrêt Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, précité, cette Cour a statué que des procédures disciplinaires à l'égard d'un détenu n'avaient pas à remplir toutes les exigences de la justice naturelle, mais que le tribunal avait envers le détenu une obligation d'agir équitablement, obligation pouvant faire l'objet d'un examen en vertu de l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale.

Il faut donc examiner la nature des procédures devant la Commission afin de déterminer si elle était tenue de se conformer à l'ensemble des règles de justice naturelle ou si son obligation était plutôt d'accorder à l'appelant l'équité procédurale.

La Loi canadienne sur les droits de la personne a été édictée après l'adoption, par toutes les provinces, de lois en matière de droits de la personne. Par exemple, l'Ontario a adopté un code complet des droits de la personne en 1962 et la Nouvelle‑Écosse en 1963. Voir Tarnopolsky, Discrimination and the Law in Canada (1982), aux pp. 30 et 31. De toute évidence, les rédacteurs de la Loi ont été influencés par la législation provinciale et bon nombre de ses dispositions ressemblent à celles des lois provinciales. La procédure établie dans la Loi en cause reflète la forme de lois provinciales antérieures et l'expérience des commissions provinciales.

Aux termes de l'art. 32 de la Loi, un individu ou un groupe "ayant des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte discriminatoire" peut déposer une plainte devant la Commission. L'article 33 oblige la Commission à statuer sur la plainte, à moins qu'elle ne l'écarte pour une des raisons énumérées dans cet article, dont le fait de ne pas avoir épuisé les autres recours à exercer, l'incompétence de la Commission relativement à la plainte, le fait que la plainte est frivole, vexatoire, sans objet ou entachée de mauvaise foi, ou l'expiration du délai. Dans le cas où la Commission n'agit pas en vertu de l'art. 33, il ne reste que deux façons de procéder. L'une consiste à nommer un enquêteur en vertu de l'art. 35 pour faire enquête sur la plainte; l'autre est de constituer un tribunal en vertu de l'art. 39. Si la Commission prend le premier parti, la plainte fait alors l'objet d'une enquête. Les articles 35 et 36 figurent sous la rubrique "Enquête". Hormis la nomination d'un enquêteur, la Loi ne contient aucune autre disposition autorisant à enquêter sur une plainte. Or, certains codes provinciaux habilitent expressément la commission provinciale à faire enquête sur les plaintes et, dans ce cas, l'enquête peut être faite par le personnel de la Commission ou, dans certaines situations, par un enquêteur nommé à cet effet. Voir l'article 32 du Code des droits de la personne (1981) de l'Ontario, L.O. 1981, chap. 53, l'art. 20 de l'Individual's Rights Protection Act de l'Alberta, R.S.A. 1980, chap. I‑2. D'une manière générale, les plaignants comptent sur la Commission pour produire des preuves devant un tribunal constitué en vertu de l'art. 39. Une enquête sur la plainte est donc indispensable pour permettre à la Commission de remplir ce rôle, réalité que reflète le par. 40(2).

L'enquêteur qui mène l'enquête le fait en tant que prolongement de la Commission. Pour ma part, je ne considère pas l'enquêteur comme une personne indépendante de la Commission qui présente des preuves en témoignant devant elle. Ce qui arrive plutôt c'est que l'enquêteur établit un rapport à l'intention de la Commission. C'est là simplement une illustration du principe qui s'applique aux tribunaux administratifs, savoir qu'ils ne sont pas tenus de s'acquitter eux‑mêmes de la totalité de leurs tâches, mais peuvent en déléguer une partie à d'autres. Bien que l'art. 36 n'exige pas la remise d'une copie du rapport aux parties, cela a été fait en l'espèce.

Le paragraphe 36(3) prévoit deux possibilités sur réception du rapport. La Commission peut adopter le rapport si elle est "convaincue" que la plainte est fondée ou bien rejeter la plainte si elle "est convaincue [. . .] que la plainte n'est pas fondée". Je présume que, dans l'hypothèse de l'adoption du rapport, un tribunal est alors constitué en vertu de l'art. 39, à moins qu'intervienne un règlement de la plainte. J'arrive à cette conclusion parce qu'aucun autre redressement n'est prévu pour le plaignant à la suite de l'adoption du rapport. Cet aspect de la procédure devant la Commission a été élucidé par des modifications apportées à la Loi (S.C. 1985, chap. 26, art. 69). La version actuelle du par. 36(3) se trouve au par. 44(3) des L.R.C. (1985), chap. H‑6 (modifié par chap. 31 (1er supp.), art. 64) qui dispose que, sur réception du rapport de l'enquêteur, la Commission peut demander la constitution d'un tribunal si elle est convaincue que, compte tenu des circonstances, l'examen de la plainte est justifié.

L'autre possibilité est le rejet de la plainte. À mon avis, telle est l'intention** sous‑jacente à l'al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal en application de l'art. 39. Le but n'est pas d'en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. L'intention n'était pas non plus de tenir une audience en règle avant de décider de l'opportunité de constituer un tribunal. Au contraire, le processus va du stade de l'enquête au stade judiciaire ou quasi judiciaire dès lors qu'est rempli le critère énoncé à l'al. 36(3)a). Je conclus donc de ce qui précède que, compte tenu de la nature du rôle de la Commission et suivant les dispositions susmentionnées, il n'y a aucune intention d'astreindre la Commission à l'observation des règles formelles de la justice naturelle. Conformément aux principes posés dans l'arrêt Nicholson, précité, cependant, je compléterais les dispositions législatives en exigeant que la Commission observe les règles de l'équité procédurale. À cet égard, je fais miens les propos, reproduits ci‑dessous, que tient le maître des rôles lord Denning dans l'arrêt Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.) La Race Relations Board exerçait des fonctions analogues à celles de la Commission canadienne des droits de la personne. En décidant qu'il s'agissait d'un organisme d'enquête ayant l'obligation d'agir équitablement, lord Denning dit, à la p. 19:

[TRADUCTION] Ces dernières années nous avons examiné la procédure de nombreux organismes chargés de faire enquête et de se faire une opinion [. . .] Dans tous ces cas, on a jugé que l'organisme chargé d'enquêter a le devoir d'agir équitablement; mais les exigences de l'équité dépendent de la nature de l'enquête et de ses conséquences pour les personnes en cause. La règle fondamentale est que, dès qu'on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu'on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l'enquête et du rapport, il faut l'informer de la nature de la plainte et lui permettre d'y répondre. Cependant, l'organisme enquêteur est maître de sa propre procédure. Il n'est pas nécessaire qu'il tienne une audition. Tout peut se faire par écrit. Il n'est pas tenu de permettre la présence d'avocats. Il n'est pas tenu de révéler tous les détails de la plainte et peut s'en tenir à l'essentiel. Il n'a pas à révéler sa source de renseignements. Il peut se limiter au fond seulement. De plus, il n'est pas nécessaire qu'il fasse tout lui‑même. Il peut faire appel à des secrétaires et des adjoints pour le travail préliminaire et plus. Mais en définitive, l'organisme enquêteur doit arrêter sa propre décision et faire son propre rapport.

Une conclusion semblable a été tirée par la Cour divisionnaire de l'Ontario dans l'affaire Re Dagg and Ontario Human Rights Commission (1979), 102 D.L.R. (3d) 155. La Commission ontarienne des droits de la personne devait faire une recommandation au ministre concernant la constitution d'une commission d'enquête. Ayant jugé injustifiée la plainte de discrimination fondée sur le sexe, la Commission a recommandé de ne pas constituer de commission d'enquête. La requérante soutenait que la Commission, ainsi que le ministre en suivant la recommandation de cette dernière, avaient exercé une fonction judiciaire. La Cour divisionnaire a décidé qu'ils remplissaient tous les deux des fonctions administratives non soumises aux exigences de la justice naturelle. Suivant la Loi canadienne sur les droits de la personne, le fait que la Commission exerce les deux fonctions ne change rien à leur caractère administratif.

Dans l'affaire Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne, [1984] 2 R.C.S. 407, la Commission a reconnu qu'elle remplit une fonction quasi judiciaire lorsqu'elle décide de rejeter, en vertu de l'al. 36(3)b), une plainte qui n'est pas fondée. Elle a reconnu en outre que l'équité procédurale exige qu'un plaignant ait la possibilité de présenter des arguments, du moins par écrit, avant qu'on donne suite au rapport, et que, afin que ces arguments soient présentés en connaissance de cause, elle doit, avant de rendre sa décision, révéler à l'intéressé les éléments essentiels de la preuve. La Commission a toutefois nié que la tenue d'une audience était obligatoire. Le juge Lamer dit (à la p. 410):

Sans me prononcer sur tous les aspects de la norme de conduite à laquelle la Commission doit se conformer, j'estime qu'elle doit dans tous les cas satisfaire à celle énoncée par l'intimée.

La question de la possibilité d'obtenir un examen en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale ne se posait donc pas dans l'affaire Radulesco. Quoi qu'il en soit, la norme de conduite imposée à la Commission dans Radulesco correspondait aux exigences de l'équité procédurale plutôt qu'à celles de la justice naturelle.

Dans l'affaire Cashin c. Société Radio‑Canada, [1984] 2 C.F. 209, la Cour d'appel fédérale était saisie de la question de savoir s'il y avait lieu d'annuler la décision de la Commission de ne pas constituer de tribunal pour entendre une plainte de discrimination fondée sur le sexe et l'état matrimonial. La Cour d'appel fédérale a annulé la décision pour le motif qu'on n'avait pas satisfait aux exigences de la justice naturelle. Sans commenter le fond des motifs de la Cour d'appel fédérale, je fais simplement remarquer, comme le dit le juge Mahoney à la p. 213, que la possibilité d'obtenir un examen en vertu de l'art. 28 n'avait pas été mise en doute.

L'arrêt Re Downing and Graydon (1978), 92 D.L.R. (3d) 355 concernait la Loi sur les normes d'emploi de l'Ontario, L.O. 1974, chap. 112. Le jugement de la majorité rédigée par le juge Blair, avec des motifs au même effet rédigés par le juge Wilson (maintenant juge de notre Cour), concluait que la tenue d'une audience en règle n'était pas requise mais que l'agent des normes d'emploi n'avait pas communiqué à la plaignante certains renseignements qui lui étaient défavorables et qui étaient pertinents en ce sens qu'elle en avait besoin pour y répondre. Quoique le juge Blair parle dans ses motifs de procédures judiciaires, l'obligation imposée à l'agent était simplement celle d'agir équitablement. La distinction entre l'obligation d'agir judiciairement et celle d'agir équitablement n'était pas cruciale dans cette affaire et, bien entendu, n'a pas été faite afin de déterminer l'applicabilité de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

Par conséquent, je retiens les arguments du procureur général du Canada selon lesquels la Cour d'appel fédérale n'avait pas compétence pour entendre la demande ici en cause parce que la décision de la Commission n'était pas soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire.

2. L'erreur donnant lieu à examen

Bien qu'il ne soit pas strictement nécessaire de trancher cette question vu la conclusion déjà tirée, elle a fait l'objet d'une analyse approfondie en Cour d'appel et a été pleinement débattue devant notre Cour. Il convient donc de signaler que, si j'avais estimé que la décision de la Commission pouvait être examinée, j'aurais alors conclu, ainsi que l'a fait le juge Marceau, que la Commission n'avait pas commis d'erreur donnant lieu à examen. Je partage l'avis du juge Marceau qu'il incombait à la Commission d'informer les parties de la substance de la preuve réunie par l'enquêteur et produite devant la Commission. Celle‑ci devait en outre offrir aux parties la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant.

La Commission pouvait prendre en considération le rapport de l'enquêteur, les autres données de base qu'elle jugeait nécessaires ainsi que les arguments des parties. Elle était alors tenue de rendre sa propre décision en se fondant sur ces renseignements, ce qu'elle a fait.

Des observations particulières s'imposent sur deux points. D'abord, on a fait valoir que la seule omission de motiver une décision justifierait son examen. À supposer que ce soit le cas sans toutefois trancher ce point, j'estime qu'un tel examen n'est pas justifié en l'espèce, en l'absence de disposition législative exigeant une décision motivée (voir Northwestern Utilities Ltd. c. Ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684, à la p. 706, et les motifs du juge Lamer dans Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476, aux pp. 500 et 501). La Commission a informé l'appelant de sa décision établissant la non‑équivalence des postes comparés. Cette conclusion reposait sur le rapport très poussé de l'enquêteur, rapport que la Commission avait adopté comme la Loi l'y autorisait. Le rapport a été communiqué à l'appelant qui était donc parfaitement au courant des motifs de la décision de la Commission. Cela étant, on ne saurait prétendre qu'il y a eu déni de justice naturelle ou d'équité procédurale à cet égard.

L'appelant a soutenu en cette Cour, et c'est apparemment la première fois qu'il a fait valoir ce moyen, qu'il n'avait pas été mis au courant de l'interprétation donnée par la Commission à l'art. 11 de la Loi. Tout en souscrivant au point de vue du juge Wilson, qui dit dans l'affaire Re Downing and Graydon, précitée, qu'informer une partie de la cause à réfuter constitue un aspect de l'équité procédurale, je suis convaincu que l'appelant a été expressément avisé de la manière dont la Commission appliquait l'art. 11. En fait, dans sa réplique, l'appelant y consacre une rubrique distincte: "L'Application de la loi". Je suis en outre convaincu que la Commission a appliqué correctement l'art. 11 aux faits de la présente affaire. L'article 11 vise à interdire à un employeur de pratiquer la discrimination "entre les hommes et les femmes" qui exercent des fonctions équivalentes. Il n'a pas pour but de garantir aux employés individuels un salaire égal pour un travail équivalent peu importe leur sexe.

Par conséquent, le pourvoi est rejeté avec dépens.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Les motifs des juges Wilson et L'Heureux-Dubé ont été rendus par

LE JUGE L'HEUREUX‑DUBÉ (dissidente) — Avec égards, j'en viens à une conclusion différente de celle de mon collègue le juge Sopinka en ce qui a trait au processus que la Commission canadienne des droits de la personne a l'obligation de suivre pour rejeter une plainte en vertu de l'al. 36(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976‑77, chap. 33. À mon avis, une telle décision est "légalement soumise" à un processus quasi judiciaire et donc au pouvoir de révision de la Cour d'appel fédérale en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 10. Je ne puis non plus souscrire à la conclusion de mon collègue selon laquelle, en l'espèce, la Commission n'a commis aucune erreur donnant ouverture à révision. Les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne et des Ordonnances sur l'égalité de rémunération, TR/78‑155, en matière de parité salariale constituent une norme légale complexe qui peut être interprétée de diverses façons. J'estime que la Commission avait l'obligation de divulguer non seulement le fondement factuel de sa décision mais également son fondement juridique avant de statuer sur la plainte de l'appelant. En ne le faisant pas, la Commission a, à mon avis, violé les règles de justice naturelle et, sur révision, sa décision doit donc être annulée. Je me propose maintenant d'examiner en détail ces deux propositions.

I -Une décision en vertu du par. 36(3) est‑elle légalement soumise à un processus judiciaire?

Compte tenu des arrêts rendus par notre Cour depuis Nicholson c. Haldimand‑Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311, l'importance dont jouissait autrefois la distinction entre les décisions "administratives" et les décisions "quasi judiciaires" s'est estompée. Par exemple, en common law, cette distinction ne permet plus de déterminer les cas soumis au contrôle judiciaire. Comme le faisait observer le juge en chef Laskin, au nom de la Cour, dans Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada c. MacDonald Tobacco Inc., [1981] 1 R.C.S. 401, à la p. 407:

À mon avis, il n'est plus valable de retenir les anciennes classifications stéréotypées des pouvoirs conférés par les lois en pouvoirs administratifs d'une part et judiciaires (ou quasi judiciaires) de l'autre, et de s'en servir comme fondement du pouvoir de contrôle des tribunaux dans le dernier cas mais non dans le premier. Il est beaucoup plus compatible avec le fond des choses d'envisager les tribunaux, offices ou organismes créés par la loi selon les fonctions que, soit de façon générale soit dans une situation particulière, ils sont tenus d'exercer.

On ne peut cependant dire la même chose du contrôle judiciaire prévu à l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Les tribunaux ne peuvent échapper à l'obligation de distinguer entre le processus administratif ou quasi judiciaire lorsqu'ils doivent se prononcer sur la compétence de la Cour d'appel fédérale. Le Parlement a en effet maintenu cette distinction à l'art. 28:

28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédures devant [. . .] une commission fédéral[e] [. . .], au motif que [. . .] la commission [. . .]

a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;

b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou

c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. [Je souligne.]

Cette disposition préserve l'importance de la distinction entre les décisions administratives et judiciaires dans le but restreint de déterminer si le contrôle judiciaire peut être exercé par demande à la Cour d'appel fédérale (voir Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la p. 197, le juge Wilson).

L'article 28 a fait l'objet de critiques sévères. Notre Cour a même qualifié la formulation de l'art. 28 de "texte compliqué" qui a "soulevé de nombreuses difficultés" (Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495, à la p. 499). La distinction préservée par l'art. 28 a été critiquée pour son "obscurité notoire" et "l'imprécision" des critères sur lesquels elle repose et aussi parce qu'"elle introduit l'irrationnel dans le droit" (Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 18, La Cour fédérale: contrôle judiciaire (1977), aux pp. 35 et 36). Les professeurs Gilles Pépin et Yves Ouellette parlent à ce sujet d'un "secteur du contentieux administratif teinté d'un certain impressionnisme juridique" (Principes de contentieux administratif (2e éd. 1982), à la p. 144). Dans Nicholson, précité, le juge en chef Laskin déclare "qu'il est souvent très difficile, sinon impossible, de répartir les fonctions créées par la loi dans les catégories judiciaire, quasi judiciaire ou administrative" (p. 325).

La difficulté intrinsèque de cette classification peut expliquer en partie l'hésitation apparente de la Cour d'appel fédérale à trancher la question de la compétence en l'espèce, bien que ce point ait été plaidé devant elle. Le juge Marceau, qui a prononcé le jugement de la cour ((1986), 90 N.R. 16, à la p. 22), s'explique ainsi au sujet de l'art. 28:

Il nous semble [. . .] qu'il s'agit là d'une question qui bien que pouvant déboucher sur des difficultés de juridiction est plus technique que de fond, en ce sens qu'elle implique surtout une définition de termes dont le contenu exact est devenu récemment de plus en plus flou en même temps qu'il perdait de son importance et qu'il n'y a pas d'intérêt, pas en tout cas dans cette cause‑ci, de prendre parti formellement à son sujet.

Dans d'autres affaires récentes, la Cour d'appel fédérale s'est abstenue de se prononcer sur cette question de compétence et a simplement tenu pour acquis qu'elle était habilitée à examiner une décision rendue par la Commission en vertu du par. 36(3): voir Brouillette c. Commission canadienne des droits de la personne (1986), 86 N.R. 393, Labelle c. Canada (Conseil du Trésor) (1987), 76 N.R. 222 et Whiteman c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1987), 9 C.H.R.R. D/4944.

Si difficile soit‑elle, cette tâche n'en est pas moins une démarche préalable indispensable à toute conclusion relative à la compétence de la Cour d'appel fédérale en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Pour pouvoir déterminer si une fonction est vraiment judiciaire ou quasi judiciaire dans ce contexte, un certain nombre de critères utiles ont été élaborés en droit. Les professeurs Pépin et Ouellette, qui font observer que les tribunaux ont adopté un point de vue pragmatique dans ce domaine, analysent plusieurs de ces critères. Ce sont (op. cit., aux pp. 154 à 176): (1) le critère organique — la décision émane‑t‑elle d'une cour de justice ou d'un organisme administratif? (2) le critère de la décision ferme — le tribunal est‑il investi du pouvoir de rendre des décisions ayant force exécutoire, par opposition à un rôle purement consultatif ou au pouvoir de faire des recommandations? (3) le critère du fondement de la décision — le tribunal applique‑t‑il une règle préexistante à des faits contestés ou prend‑il des décisions de politique judiciaire dans chaque cas? (4) le critère des conséquences de la décision — la décision a‑t‑elle une incidence sur des droits ou des intérêts individuels? (5) le critère du processus judiciaire — la procédure du tribunal a‑t‑elle les caractéristiques usuelles du processus contradictoire? et (6) les considérations d'ordre public en jeu, compte tenu des objectifs poursuivis par la loi habilitante. Faisant allusion à ces critères, notre Cour a fait les observations suivantes dans Procureur général du Québec c. Udeco Inc., [1984] 2 R.C.S. 502, à la p. 511:

La jurisprudence [. . .] a [. . .] reconnu un certain nombre de critères qui permettent de qualifier un pouvoir donné. Ces critères sont regroupés par G. Pépin et Y. Ouellette, dans Principes de contentieux administratif, 2e éd., 1982, sous les rubriques suivantes: le critère organique; le critère de la décision ferme; le critère du fondement de la décision; le critère de la décision qui affecte les droits; le critère du processus judiciaire; et les considérations de public policy.

Ce n'est pas à dire que dans chaque cas l'on doive examiner un pouvoir en regard de chacun des critères retenus pour en déterminer la nature. Mais, selon les circonstances, c'est en faisant appel à l'un ou plusieurs de ceux‑ci que l'on pourra tirer une conclusion. [Je souligne.]

Je conviens que, pour déterminer si une décision est légalement soumise à un processus judiciaire, les tribunaux ne sont pas tenus de suivre une approche rigide. Aucun élément n'est en lui‑même déterminant; c'est la combinaison de plusieurs caractéristiques pertinentes qui permet, dans chaque cas, de classifier une décision dans l'une des catégories. Le juge Dickson (maintenant Juge en chef) prononçant le jugement de la Cour dans Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, précité, déclarait ceci à propos de ces caractéristiques, à la p. 504:

J'estime qu'il est possible de formuler plusieurs critères pour déterminer si une décision ou ordonnance est légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Il ne s'agit pas d'une liste exhaustive.

(1) Les termes utilisés pour conférer la fonction ou le contexte général dans lequel cette fonction est exercée donnent‑ils à entendre que l'on envisage la tenue d'une audience avant qu'une décision soit prise?

(2) La décision ou l'ordonnance porte‑t‑elle directement ou indirectement atteinte aux droits et obligations de quelqu'un?

(3) S'agit‑il d'une procédure contradictoire?

(4) S'agit‑il d'une obligation d'appliquer les règles de fond à plusieurs cas individuels plutôt que, par exemple, de l'obligation d'appliquer une politique sociale et économique au sens large?

Les professeurs Pépin et Ouellette reprennent ces quatre critères dans leur analyse de ce qu'ils appellent le critère de la décision ferme, le critère du fondement de la décision, le critère des conséquences de la décision et enfin le critère du processus judiciaire. Le juge Dickson, aux pp. 504 et 505, ajoute au sujet du rôle que joue chacun de ces éléments:

Tous ces facteurs doivent être soupesés et évalués et aucun d'entre eux n'est nécessairement déterminant. Ainsi, au par. (1), l'absence de termes exprès prescrivant la tenue d'une audience n'exclut pas nécessairement l'obligation en common law d'en tenir une. Quant au par. (2), la nature et la gravité, le cas échéant, de l'atteinte aux droits individuels, et la question de savoir si la décision ou ordonnance est finale sont importantes, mais le fait que des droits soient touchés n'entraîne pas nécessairement l'obligation d'agir judiciairement.

. . .

L'existence d'un élément assimilable à un lis inter partes et la présence de procédures, fonctions et actes équivalents à ceux d'un tribunal ajoutent du poids au par. (3). Mais encore une fois, l'absence de règles de procédure analogues à celles des tribunaux ne sera pas fatale à l'existence d'une obligation d'agir judiciairement. [Je souligne.]

Le critère de la décision ferme et celui du fondement de la décision sont depuis longtemps reconnus comme révélateurs de la nature judiciaire des décisions. Dans l'arrêt Labour Relations Board of Saskatchewan v. John East Iron Works, Ltd., [1949] A.C. 134, le Comité judiciaire du Conseil privé faisait observer, à la p. 149:

[TRADUCTION] C'est un truisme d'affirmer que la fonction judiciaire est intrinsèquement liée à l'idée de poursuites entre des parties [. . .] et qu'il appartient à la Cour de trancher le litige entre ces parties, qui seules peuvent intenter des poursuites, y défendre ou les régler à l'amiable.

Trancher définitivement un point de droit contesté par des parties adverses est par essence même un acte judiciaire. Dans Udeco Inc., précité, notre Cour a statué que le pouvoir de suspendre le conseil d'administration d'une société et de lui en substituer un autre, pour des considérations d'intérêt public dans le commerce des valeurs mobilières, n'était pas un pouvoir judiciaire. La Cour a retenu comme élément majeur de son raisonnement l'absence de véritable litige entre les parties (voir l'analyse faite aux pp. 511 à 513 et 517).

Les critères étudiés par les professeurs Pépin et Ouellette reprennent dans une certaine mesure ceux que propose le professeur Stanley A. de Smith, pour qualifier la fonction judiciaire. Le premier de ces critères consiste à savoir si [TRADUCTION] "l'exercice de la fonction se termine par une ordonnance dont l'effet est définitif" (Judicial Review of Administrative Action (4e éd. 1980), à la p. 81). Ce critère, qui correspond à celui de la décision ferme, exclut de la sphère judiciaire les organismes exerçant de simples fonctions consultatives ou encore investis de pouvoirs d'enquête ou de conciliation. Le deuxième critère est celui de savoir si [TRADUCTION] "il a été conféré à l'organisme un grand nombre des "attributs d'un tribunal"" (p. 82), facteur expressément qualifié de non concluant et qui se rattache au critère du processus judiciaire de Pépin et Ouellette. En troisième lieu, d'après le professeur de Smith, il faut se demander si l'organisme est appelé à interpréter le droit pour trancher entre deux parties adverses (à la p. 85):

[TRADUCTION] Un litige typique entre des parties atteint son point culminant dans la décision que rend un tribunal pour résoudre toute question de fait ou de droit contestée, en se fondant sur des principes et des règles préexistants. En conséquence, tout indique qu'on conclura qu'un tribunal administratif ou autre organisme décisionnel agit à titre judiciaire si, après enquête et délibération, il tranche une question de façon concluante par l'application d'une règle de droit qui existait déjà ou d'une autre norme objective aux faits dont il a constaté l'existence. Il est inutile de faire appel à des autorités pour réitérer la proposition élémentaire selon laquelle interpréter, dire et appliquer le droit constituent les caractéristiques de la fonction judiciaire. [Je souligne.]

Ce troisième élément coïncide avec le critère du fondement de la décision. Les analyses doctrinales touchant la classification des décisions ont beaucoup de points communs, bien que les auteurs n'utilisent pas tous les mêmes termes pour définir un critère particulier. Pour les fins de la discussion, je regrouperai sous une même rubrique les critères que Pépin et Ouellette appellent le critère de la décision ferme, le critère du fondement de la décision et le critère du processus judiciaire, puisqu'ils ont tous trois en commun de s'attacher aux caractéristiques formelles du processus décisionnel. J'aborderai ensuite le critère des conséquences de la décision, qui vise non pas les aspects formels mais les caractéristiques de fond de la décision. Enfin, j'examinerai le cadre législatif et les considérations de principe qu'il soulève.

1. Caractéristiques formelles

La Loi canadienne sur les droits de la personne permet à la Commission de disposer de plaintes pour des motifs entièrement étrangers au fond de ces plaintes. Par exemple, le par. 32(5) impose certaines conditions de recevabilité. De même, les sous‑al. 33b)(ii) à (iv) excluent les plaintes frivoles et celles qui sont prescrites, ainsi que les plaintes ne relevant pas de la compétence de la Commission:

33. Sous réserve de l'article 32, la Commission doit statuer sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime la plainte irrecevable dans les cas où il apparaît à la Commission

. . .

b) que la plainte

. . .

(ii) n'est pas de sa compétence,

(iii) est frivole, vexatoire, sans objet ou entachée de mauvaise foi, ou

(iv) a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an à compter de la dernière des actions ou abstentions sur lesquelles elle est fondée, ou de tout délai plus long que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

Sont en outre irrecevables les plaintes qui pourraient être avantageusement résolues par la voie de la procédure de règlement des griefs ou toute autre procédure raisonnablement ouverte au plaignant (par. 36(2)), ainsi que les plaintes relatives aux fonds de pension ou aux régimes d'assurance (art. 65).

Par l'effet conjugué de ces dispositions, la Commission est en mesure de faire un tri parmi les plaintes et d'en écarter un certain nombre du processus très long de l'enquête. Ce pouvoir d'empêcher certaines plaintes d'être examinées plus avant, indépendamment de leur bien‑fondé, traduit l'intention du législateur d'accorder une importance prépondérante à des considérations d'efficacité administrative de même qu'à des considérations de principe précises.

Selon le texte en vigueur à l'époque en cause, la Loi conférait également à la Commission le pouvoir de rejeter une plainte qu'elle jugeait "non fondée". L'article 36 disposait alors:

36. (1) L'enquêteur doit, le plus tôt possible après la fin de l'enquête, présenter son rapport à la Commission.

(2) Dans les cas où, au reçu du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission est convaincue

a) qu'il est préférable que le plaignant épuise les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont raisonnablement ouverts, ou

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi du Parlement,

elle doit renvoyer la plainte à l'autorité compétente.

(3) Dans les cas où, au reçu du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission est convaincue

a) que la plainte est fondée, qu'il n'y a pas lieu de la renvoyer conformément au paragraphe (2), ni de la rejeter pour les motifs énoncés aux sous‑alinéas 33b)(ii) à (iv), elle peut accepter le rapport; ou

b) que la plainte n'est pas fondée ou qu'il y a lieu de la rejeter pour les motifs énoncés aux sous‑alinéas 33b)(ii) à (iv), elle doit rejeter la plainte.

(4) Après réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission

a) doit informer par écrit les parties à la plainte de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3); et

b) peut informer toute autre personne, de la manière qu'elle juge indiquée, de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3). [Je souligne.]

À l'article 41, le législateur autorisait de même un tribunal des droits de la personne à juger si la plainte était fondée ou non:

41. (1) À l'issue de son enquête, le tribunal rejette la plainte qu'il juge non fondée.

(2) À l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 42, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire . . . [Je souligne.]

Dans l'arrêt MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856, la Cour d'appel fédérale a souligné, à la p. 872, l'analogie entre les pouvoirs de la Commission, en vertu du par. 36(3) et ceux d'un tribunal en vertu de l'art. 41:

. . . à mon avis, le juge Collier a eu raison de conclure que le mot "substantiate" a le même sens au paragraphe 36(3) qu'au paragraphe 41(1). Si j'en viens à cette conclusion, c'est que selon moi, comme ce mot est utilisé dans deux articles de la Loi qui font partie intégrante de la même procédure de règlement des plaintes, il faut au départ présumer qu'un mot a partout le même sens.

La cour a conclu que le mot "substantiated" signifiait "prouvé" tant au par. 36(3) qu'à l'art. 41. À son avis, le sens clair de ce mot lui interdisait d'intervenir (p. 873). Je souscris à cette opinion.

En l'espèce, l'objectif de la Commission dès le début de l'enquête était de déterminer si l'allégation de discrimination était effectivement justifiée. Il s'agissait donc principalement de savoir si les employés travaillant à la Section fabrication et manipulation des costumes ("Section costumes") et ceux travaillant à la Section fabrication et manipulation des décors ("Section décors") exerçaient des "fonctions équivalentes" au sens de l'art. 11 de la Loi. Dans une note de service interne intérimaire datée du 13 août 1984, contenant des observations sur le rapport d'enquête, le directeur des plaintes critiquait le fait que n'y soit pas divulguée la preuve permettant de conclure à la non‑violation de l'art. 11 de la Loi:

L'enquêteur, dans son rapport, brosse un tableau très général de la procédure qui a été suivie afin de déterminer s'il y avait effectivement discrimination sous l'article 11 de la loi. L'enquêteur nous donne son appréciation des résultats de l'application de cette procédure. Toutefois, ce que le rapport ne nous donne pas, c'est l'essence même de ce que devrait être le rapport d'enquête, c'est à dire, un examen des éléments de preuve qui permettrait de faire des constatations sur le mérite de la plainte.

La décision officielle de la Commission confirme que son enquête visait à déterminer si la plainte était ou non fondée en droit:

La Commission a décidé que les postes qui faisaient l'objet de la comparaison n'étaient pas de valeur égale et que pour cette raison, la plainte n'était pas fondée. La Commission a donc décidé de rejeter votre plainte.

Il ne fait aucun doute que la détermination de la question de "l'équivalence" des fonctions au sens du par. 11(1) de la Loi est une question de droit. Le cas type est celui de la plaignante qui allègue que les fonctions qu'elle exerce sont équivalentes aux fonctions exécutées par des employés masculins du même employeur. L'employeur allègue que les fonctions qu'elle exécute ne sont pas équivalentes mais ont une valeur moindre. Le rôle de la Commission, en vertu du par. 36(3), est de décider si la plainte de discrimination est fondée ou non, compte tenu des conclusions énoncées dans le rapport de l'enquêteur.

La fonction que remplit la Commission en vertu du par. 36(3) est donc très proche de la fonction juridictionnelle dont sont traditionnellement investis les tribunaux ordinaires. La Commission interprète et applique, de façon concluante, une norme juridique à l'égard de deux parties dont les prétentions sont opposées. Elle rend donc une décision "légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire" au sens du par. 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

2. Conséquences de la décision sur les droits individuels

Dans son ensemble, la Loi vise la promotion de l'égalité des chances. Pour y parvenir, elle interdit les actes discriminatoires et crée des recours spéciaux en faveur des victimes de discrimination préjudiciable. En fait, le mécanisme législatif rend exécutoire le droit de ne pas être l'objet de discrimination. Comme l'a souligné le juge en chef Dickson dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, à la p. 1134:

La législation sur les droits de la personne vise notamment à favoriser l'essor des droits individuels d'importance vitale, lesquels sont susceptibles d'être mis à exécution, en dernière analyse, devant une cour de justice.

En raison de son importance fondamentale, on a reconnu une "nature quasi constitutionnelle" à ce droit de ne pas être l'objet d'actes discriminatoires (voir Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, à la p. 92).

Dans l'arrêt Latif c. Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687, la Cour d'appel fédérale a jugé que la décision de rejeter une plainte par application de l'art. 33 de la Loi devait être soumise à un processus quasi judiciaire. L'importance de la décision sur les droits du plaignant a pesé lourdement dans l'analyse de la cour. S'exprimant au nom de la cour, le juge Le Dain déclarait, à la p. 697:

Nul doute que la Loi canadienne sur les droits de la personne crée de nouveaux droits, sur le plan du droit positif comme sur le plan de la procédure. De fait, elle consacre le droit d'être traité sans certaines formes de discrimination dans certains domaines qui relèvent de la compétence législative fédérale, et elle prévoit une procédure spéciale de recours contre les actes discriminatoires. Se fonder sur l'article 33 pour déclarer une plainte irrecevable revient en fait à refuser ce recours au requérant. C'est à proprement parler une décision qui touche aux droits subjectifs. [Je souligne.]

Cette analyse me paraît convaincante, et encore davantage dans le cadre du rejet d'une plainte en vertu du par. 36(3). Du point de vue du plaignant, aucune décision ne saurait être plus déterminante pour ses droits qu'une conclusion que sa plainte n'est pas fondée. Quoiqu'elle émane de la Commission, une telle conclusion produit le même effet à l'égard du plaignant que s'il s'agissait du rejet par un tribunal, en vertu de l'art. 41, d'une plainte non fondée: il a en effet été décidé, de façon concluante, que le droit du plaignant à un salaire égal pour un travail de valeur égale n'avait pas été violé et qu'il n'avait donc droit à aucune des mesures réparatrices prévues dans la Loi pour éliminer les discriminations préjudiciables.

À mon avis, l'importance de cette conséquence directe d'une décision prise en application du par. 36(3), compte tenu de la nature fondamentale des droits sous‑jacents, milite également en faveur de l'obligation de soumettre cette décision à un processus quasi judiciaire.

3. Cadre législatif

La Loi n'exige pas expressément la tenue d'une audience avant le rejet d'une plainte au motif qu'elle n'est pas fondée. Cependant, l'absence d'une telle exigence expresse ne met pas fin à l'examen. Comme le souligne l'arrêt Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, précité, à la p. 503, "le silence sur ce point n'est pas concluant".

Aux termes du par. 36(4) de la Loi, la Commission est tenue d'informer "les parties à la plainte de la décision qu'elle a prise en vertu d[u] paragraph[e] [. . .] (3)". J'estime qu'on ne saurait satisfaire à cette exigence en informant simplement à posteriori la personne concernée de la décision prise par la Commission. Il ressort plutôt du texte du par. 36(4) que l'avis doit être donné préalablement à la prise de décision par la Commission. L'exigence d'un tel avis préalable est l'indice classique de l'obligation, en common law, de tenir une audience. Dans Latif c. Commission canadienne des droits de la personne, précité, le juge Le Dain évoque cette obligation découlant de la common law lorsqu'il écrit, à la p. 699:

Enfin, l'obligation faite par l'article 34 à la Commission de motiver par écrit sa décision n'est pas incompatible avec celle qu'elle a d'offrir au plaignant la possibilité de se faire entendre. Elle sert plutôt à faire ressortir le caractère judiciaire ou quasi judiciaire de la décision. Elle renforce l'impression que la décision doit être fondée sur des critères légaux précis que le plaignant lui‑même peut faire valoir. [Je souligne.]

En outre, comme nous l'avons indiqué précédemment, le critère du "bien‑fondé" est utilisé à la fois au par. 36(3), à l'égard d'une décision de la Commission, et à l'art. 41, dans le cas d'un tribunal. En vertu du par. 40(1), le tribunal a l'obligation expresse d'entendre les parties avant d'en venir à une conclusion quant au fondement de la plainte. La décision qu'il rend a tous les attributs d'une décision assujettie à un processus judiciaire. En outre, la Loi confère au tribunal le pouvoir de faire prêter serment, d'assigner des témoins et de recevoir des éléments de preuve. Lorsque l'examen du bien‑fondé d'une plainte nécessite l'audition de témoins, il est incontestable que le tribunal est plus apte que la Commission à statuer sur cette plainte.

À mon avis, en recourant au critère du "bien‑fondé" au par. 36(3), le législateur n'a sûrement pas voulu investir la Commission d'une fonction identique à celle du tribunal, tout en lui permettant de faire abstraction des garanties procédurales que comporte une audience du tribunal et qui sont établies en faveur du plaignant et des autres parties. La Loi prévoit plutôt, au par. 39(1), la possibilité d'un renvoi au tribunal:

39. (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, constituer un tribunal des droits de la personne (ci‑après dénommé, à la présente Partie, le "tribunal") chargé d'examiner la plainte.

La Commission n'est certes pas tenue, en application du par. 39(1), de renvoyer chacune des plaintes au tribunal; mais c'est une faculté qu'elle peut sûrement exercer au lieu de statuer sur le fond en s'appuyant sur le rapport de l'enquêteur. Si la Commission choisit de se prononcer elle‑même sur le bien‑fondé d'une plainte, elle doit se garder d'agir d'une façon susceptible de priver le plaignant des garanties procédurales dont il aurait disposé devant un tribunal. Soulignant les rôles complémentaires que jouent la Commission et le tribunal, le juge Mahoney (avec l'appui du juge Heald) s'est exprimé ainsi dans Cashin c. Société Radio‑Canada, [1984] 2 C.F. 209 (C.A.), à la p. 215:

Il se peut que la Commission puisse trouver un moyen de faire le nécessaire pour statuer sur la présente plainte tout en respectant les limites imposées à son processus d'enquête. Dans le cas contraire, elle dispose d'une autre procédure qui semble mieux adaptée à un cas de ce genre. [Je souligne.]

Pour conclure sur ce point, je dirai qu'à mon avis, même si elles ne requièrent pas expressément la tenue d'une audience avant la prise d'une décision en vertu du par. 36(3), les dispositions de la Loi sont compatibles avec l'imposition d'une obligation d'agir de façon quasi judiciaire.

L'existence de cette obligation est par ailleurs amplement étayée par la jurisprudence.

4. La jurisprudence

En plus de l'arrêt Latif c. Commission canadienne des droits de la personne, d'autres décisions de la Cour d'appel fédérale appuient la prétention de l'appelant selon laquelle la décision rendue en vertu du par. 36(3) doit être soumise à un processus quasi judiciaire. Dans Cashin c. Société Radio‑Canada, précité, la plainte portait que la décision de l'employeur de ne pas renouveler le contrat de la plaignante constituait une discrimination fondée sur le sexe et la situation de famille. Après enquête, la Commission avait statué que le non‑renouvellement du contrat était basé sur une exigence professionnelle justifiée comme le permet l'al. 14a) de la Loi. Saisie d'une demande formée en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour d'appel a conclu que l'enquêteur n'avait pas donné à la plaignante une possibilité suffisante de contester les éléments de preuve présentés contre elle. Accueillant la demande, le juge en chef Thurlow, avec l'appui du juge Heald, a conclu que la décision de la Commission était légalement soumise à un processus judiciaire (à la p. 211):

En ce qui concerne ce point du litige, la fonction de la Commission n'était, à mon avis, ni administrative ni quasi judiciaire. Il s'agissait d'une fonction purement judiciaire . . .

Le juge Mahoney (avec lequel le juge Heald était également d'accord) n'a pas tiré de conclusion quant à la nature de la fonction exercée par la Commission, mais on peut déduire du fait qu'il a accueilli la demande, qu'il jugeait que la cour avait compétence en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

Dans MacBain c. Lederman, précité, l'arrêt Cashin c. Société Radio‑Canada fait l'objet d'une note en bas de la p. 862 où se trouve confirmée la nature judiciaire du processus:

Cette Cour a décidé que la Commission exerce une fonction judiciaire lorsqu'elle rend une telle décision [savoir si une plainte est fondée aux termes du par. 36(3)].

Cette question a été soulevée devant notre Cour dans Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne, [1984] 2 R.C.S. 407, où nous avons accueilli le pourvoi formé contre un jugement de la Cour d'appel fédérale refusant une demande d'examen judiciaire de la décision de la Commission de rejeter, en vertu du par. 36(3), une plainte qu'elle estimait non fondée. Le jugement note, à la p. 410, l'admission suivante faite par la Commission à l'audience:

La Commission intimée reconnaît qu'elle remplit une fonction quasi judiciaire lorsqu'elle décide de rejeter en vertu de l'al. 36(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne une plainte qui n'est pas fondée.

Aucune partie à ce pourvoi n'ayant pris la position contraire et la question de la compétence n'ayant pas été soulevée, nous avons accueilli le pourvoi, ce qui naturellement aurait été impossible si, en premier lieu, la Cour fédérale n'avait pas eu compétence pour entendre la demande d'examen judiciaire. La Cour fédérale ne possède qu'une compétence d'attribution: elle n'a pas le pouvoir d'entendre une demande qui, de par sa nature, relève de la Division de première instance. En conséquence, le jugement que nous avons rendu dans l'affaire Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne repose sur le postulat implicite de la nature quasi judiciaire de la décision prise en vertu du par. 36(3).

Il me paraît important de souligner que, dans le présent pourvoi, la Commission n'a présenté aucun argument à l'encontre de la prétention du procureur général quant à l'absence de compétence de la Cour d'appel fédérale. Elle a bien tenté, à l'audience, de plaider sur le fond de la demande, mais c'est à bon droit que la Cour l'en a empêchée. Bien qu'elle n'ait pas ainsi reconnu explicitement la compétence de la Cour fédérale en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, la Commission l'a du moins admise implicitement, comme elle l'avait fait auparavant dans l'affaire Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne, précitée. C'est également la position que la Commission paraît avoir adoptée dans les récentes décisions Brouillette c. Commission canadienne des droits de la personne, Labelle c. Canada (Conseil du Trésor), et Whiteman c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), précitées. Dans ces affaires tout comme en l'espèce, la Cour d'appel fédérale, tribunal investi d'une compétence d'attribution, n'a pas soulevé la question de sa compétence, ce qui laisse entendre, sur le plan des principes judiciaires, qu'une décision rendue en application de l'al. 36(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne doit être prise de manière judiciaire ou quasi judiciaire. À mon avis, ce principe est fermement ancré dans le droit. La décision de la Commission de rejeter, en vertu du par. 36(3) de la Loi canadienne des droits de la personne, une plainte qu'elle juge non fondée est une décision concluante à l'égard de droits individuels fondamentaux, prise dans le cadre d'une procédure contradictoire et nécessitant l'application de normes légales préexistantes à des faits en litige. Dans ces circonstances et compte tenu du fait que les termes de la Loi, silencieuse à cet égard, sont néanmoins compatibles avec les garanties procédurales inhérentes au domaine quasi judiciaire, la décision de la Commission peut, à mon avis, faire l'objet d'une demande d'examen en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

Avant de conclure sur ce point, soulignons qu'après la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire MacBain c. Lederman, d'importantes modifications ont été apportées au texte du par. 36(3). Dans MacBain, la cour avait rejeté la prétention de la Commission selon laquelle le mot "substantiated" ("fondée") ne signifiait pas "proven" ("prouvée"), au motif que si le législateur avait voulu donner à ce mot un sens autre que son sens évident, il l'aurait fait. La cour s'était exprimée ainsi, à la p. 873:

Pour donner effet à cet argument [celui de la Commission], il faudrait lire l'alinéa 36(3)a) de la Loi comme si le mot "substantiated" ("fondée") n'y était pas et qu'on y trouvait plutôt les mots suivants: [TRADUCTION] "qu'un examen de la plainte est justifié". Les tribunaux ont résisté à cette pratique qui consiste à ajouter ou à supprimer des mots dans une loi. [Je souligne.]

Or, c'est la formulation même que le législateur a utilisée en modifiant le par. 36(3) (S.C. 1985, chap. 26, art. 69), lequel se lit maintenant comme suit:

(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission:

a) peut demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer un tribunal des droits de la personne, en application de l'article 39, chargé d'examiner la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue:

(i) que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle‑ci est justifié,

(ii) qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des sous‑alinéas 33b)(ii) à (iv);

b) doit rejeter la plainte, si elle est convaincue:

(i) que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle‑ci n'est pas justifié,

(ii) que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux sous‑alinéas 33b)(ii) à (iv). [Je souligne.]

Compte tenu de l'arrêt McBain c. Lederman, le législateur ne pouvait exprimer plus clairement dans cette formulation son intention de donner à la Commission toute la latitude voulue pour statuer sur une plainte sans se prononcer sur le bien‑fondé de celle‑ci. Le nouveau texte donne à entendre qu'on a ainsi voulu confiner la Commission à un rôle administratif. Si cette dernière jugeait néanmoins qu'un examen n'était pas "justifié" parce que la plainte n'était pas fondée, peut‑être y aurait‑il lieu alors de suivre le raisonnement applicable à la formulation antérieure et d'exiger que la Commission agisse de manière quasi judiciaire. Nous n'avons pas toutefois à nous prononcer sur ce point dans la présente affaire, laquelle a été plaidée en fonction de la version antérieure du par. 36(3).

Examinons maintenant la question de savoir si la Commission a commis une erreur donnant lieu à révision.

II ‑ La commission a‑t‑elle commis une erreur donnant lieu à révision?

Dans la plainte ayant donné naissance aux présentes procédures, il est allégué que, en contravention de l'art. 11 de la Loi, l'employeur pratique la disparité salariale entre des hommes et des femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes. La plainte soulève plus particulièrement la question de la disparité entre les salaires versés aux employés, majoritairement féminins, de la Section costumes, et ceux versés aux employés, majoritairement masculins, de la Section décors.

L'appelant fait valoir devant la Cour une argumentation à deux volets. En premier lieu, il soutient que la Commission a commis une erreur de droit dans son application de l'art. 11 aux circonstances de la présente affaire. D'après lui, l'organisation de la main‑d'{oe}uvre perpétue l'écart salarial entre les emplois "féminins" et les emplois "masculins" et cette ségrégation dans l'emploi constitue en elle‑même la preuve prima facie d'une discrimination salariale aux termes de l'art. 11 de la Loi. Selon l'appelant, en ne reconnaissant pas cela, la Commission a commis une erreur de droit et sa décision devrait être annulée en vertu de l'al. 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. En second lieu, l'appelant soutient que, toujours aux termes de l'al. 28(1)a), la Commission "n'a pas observé un principe de justice naturelle". Les arguments avancés à ce chapitre ont tous été examinés par mon collègue le juge Sopinka et par la Cour d'appel fédérale. À mon avis cependant, la principale prétention de l'appelant consiste à dire qu'il ne suffisait pas à la Commission de l'informer du fondement factuel de sa décision, mais qu'elle devait aussi l'informer de son fondement juridique, c'est‑à‑dire, indiquer comment elle a comparé "les qualifications, les efforts et les responsabilités" nécessaires pour effectuer les tâches de la Section costumes avec "les qualifications, les efforts et les responsabilités" nécessaires pour effectuer celles de la Section décors. Avait‑elle évalué séparément, à des fins de comparaison, la valeur des diverses tâches de chaque section ou avait‑elle évalué leur valeur collective? Avait‑elle estimé la valeur en termes de valeur pour l'employeur de la tâche particulière à exécuter selon son importance pour l'ensemble des opérations ou avait‑elle procédé en tenant pour acquis que toutes les tâches étaient également importantes pour les opérations et qu'elle ne pouvait prendre en considération que les critères énoncés au par. 11(2)? Ce ne sont que quelques‑unes des questions que soulève l'application juridique de l'art. 11 aux faits constatés dans le rapport de l'enquêteur.

Soulignons dès le départ que la plainte de l'appelant n'est aucunement fondée sur l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, lequel n'était pas en vigueur à l'époque. Il n'y a donc pas lieu d'examiner la possibilité d'appliquer les dispositions relatives aux droits à l'égalité garantis par la Charte à une plainte fondée sur la discrimination salariale. Passons maintenant en revue les arguments de l'appelant.

1. Discrimination prima facie aux termes de l'art. 11

L'article 11 dispose:

11. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur d'instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

11. (1) It is a discriminatory practice for an employer to establish or maintain differences in wages between male and female employees employed in the same establishment who are performing work of equal value.

(2) Les critères permettant d'établir l'équivalence des fonctions exécutées par des employés dans le même établissement sont les qualifications, les efforts et les responsabilités nécessaires pour leur exécution, considérés globalement, compte tenu des conditions de travail.

. . .

(2) In assessing the value of work performed by employees employed in the same establishment the criterion to be applied is the composite of the skill, effort and responsibility required in the performance of the work and the conditions under which the work is performed.

. . .

(3) Ne constitue pas un acte discriminatoire au sens du paragraphe (1) la disparité salariale entre hommes et femmes fondée sur

un facteur reconnu comme raisonnable par une ordonnance de la Commission canadienne des droits de la personne en vertu du paragraphe 22(2).

(3) Notwithstanding subsection (1), it is not a discriminatory practice to pay to male and female employees different wages if the difference is based on a factor prescribed by guidelines issued by the Canadian Human Rights Commission pursuant to subsection 22(2) to be a reasonable factor that justifies the difference.

(4) Des considérations fondées sur le sexe ne sauraient motiver la disparité salariale.

(4) For greater certainty, sex does not constitute a reasonable factor justifying a difference in wages.

Il existe en l'espèce une preuve abondante de ségrégation professionnelle. Sur les 40 employés qui travaillent à la Section costumes, près des trois quarts sont des femmes (72,5 %), tandis qu'à la Section décors, la plupart des 280 employés sont des hommes (99,65 %). Dans la première section, le travail est subdivisé en six postes, alors que la dernière compte plus de vingt subdivisions. Le salaire moyen est de 19 782 $ dans la Section costumes et de 21 715 $ dans la Section décors. Cet écart de près de 2 000 $ se reflète aussi dans les échelles salariales applicables aux postes de chacune des sections. Ainsi, dans la Section costumes, les salaires s'échelonnent de 15 559 $ à 23 367 $, tandis que dans la Section décors, ils varient, selon l'appelant, de 15 559 $ à 25 579 $. L'appelant soutient que ces écarts salariaux sont d'autant plus importants qu'il existe un principe économique suivant lequel le degré de spécialisation d'une tâche est inversement proportionnel au salaire moyen de ceux qui l'exécutent. Étant donné la subdivision beaucoup plus marquée du travail effectué dans la Section décors par rapport à la Section costumes, on s'attendrait à ce qu'en vertu de ce principe, le salaire moyen soit inférieur dans la première section. De plus, ajoute l'appelant, le titre français des postes est lui‑même un indice de ségrégation, certains titres de la Section costumes étant féminins ("habilleuse", "habilleuse en chef", "script assistante"), alors que tous ceux de la Section décors sont masculins. Selon l'appelant, ces éléments de preuve établissent l'existence d'une ségrégation dans l'organisation de la main‑d'{oe}uvre et la sous‑évaluation du travail exécuté par les employés majoritairement féminins de la Section costumes, qui est reflétée dans leur échelle salariale inférieure. L'appelant écrit dans son mémoire:

. . . lorsqu'à l'intérieur de la même unité de négociation, les femmes sont minoritaires alors qu'elles occupent majoritairement certains emplois "féminins" moins rémunérés que les autres emplois "masculins" de l'unité, alors qu'hommes et femmes travaillent dans des conditions de travail similaires, et comme ici effectuent un travail ayant la même finalité, la preuve de la ségrégation professionnelle établit prima facie que la disparité salariale est en partie due à une discrimination fondée sur le sexe. [Souligné dans l'original.]

Cet argument soulève la question de la définition juridique de la discrimination salariale aux termes de l'art. 11 de la Loi. Un premier pas dans cette direction est l'affirmation claire par notre Cour qu'il n'est pas nécessaire de prouver l'intention pour pouvoir conclure à la présence d'une discrimination préjudiciable en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Comme le déclare le juge La Forest au nom de la Cour dans l'arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), précité, à la p. 90:

Puisque la Loi s'attache essentiellement à l'élimination de toute discrimination plutôt qu'à la punition d'une conduite antisociale, il s'ensuit que les motifs ou les intentions des auteurs d'actes discriminatoires ne constituent pas une des préoccupations majeures du législateur. Au contraire, la Loi vise à remédier à des conditions socialement peu souhaitables, et ce, sans égard aux raisons de leur existence.

Voir également l'analyse détaillée que fait le Juge en chef dans l'arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), précité, aux pp. 1134 à 1138, ainsi que les observations du juge McIntyre dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, aux pp. 173 et 174.

Les plaintes à l'origine des affaires Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor) et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) étaient fondées respectivement sur les art. 7 et 10 de la Loi, lesquels disposent:

7. Constitue un acte discriminatoire le fait

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou

b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi,

directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur, l'association d'employeurs ou l'association d'employés

a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou

b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel

pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.

L'intention n'étant pas un élément essentiel de la discrimination préjudiciable, il est loisible au plaignant d'étayer son argumentation fondée sur les art. 7 et 10 en présentant le même type de preuve que celle qui a été produite en l'espèce. Ainsi, le recours à des données statistiques démontrant l'existence d'une ségrégation professionnelle est un outil des plus précieux dans la découverte d'une discrimination préjudiciable. L'article 11, cependant, diffère des art. 7 et 10. La portée de sa protection est en effet délimitée par le concept d'"équivalence": cette disposition n'empêche pas un employeur de rémunérer différemment des emplois non équivalents. Dans le cadre particulier de cette disposition, la discrimination salariale présuppose l'équivalence, dans le même établissement, des fonctions exécutées par des femmes et par des hommes. En conséquence, pour que soit accueillie une plainte fondée sur l'art. 11, il faut établir l'équivalence des fonctions à l'égard desquelles est alléguée une situation de disparité salariale discriminatoire.

Dans d'autres pays où ont été adoptées des lois relatives à la parité salariale, on ne peut établir prima facie l'existence de discrimination salariale en présentant uniquement des éléments prouvant la ségrégation (pour les États‑Unis, voir Corning Glass Works v. Brennan, 417 U.S. 188 (1974); pour le Royaume‑Uni, voir Waddington v. Leicester Council for Voluntary Services, [1977] 2 All E.R. 633 (E.A.T.)) Commentant la législation canadienne en général, Walter S. Tarnopolsky écrit dans Discrimination and the Law in Canada (1982), à la p. 417:

[TRADUCTION] C'est manifestement au plaignant qu'il incombe de prouver que des fonctions sont "équivalentes" ou encore "analogues ou essentiellement analogues".

Pour ces motifs et compte tenu de la question restreinte que soulève l'appelant, la ségrégation professionnelle ne saurait, en elle‑même, constituer une preuve prima facie en vertu de cette disposition, à moins naturellement que cette preuve n'établisse de façon indépendante l'équivalence des fonctions en cause, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Cela m'amène à la question litigieuse de savoir si les fonctions exécutées dans les Sections costumes et décors sont équivalentes au sens de l'art. 11. Cette question est étroitement liée à la procédure suivie par la Commission en l'espèce. Il convient donc à mon avis de l'examiner dans ce contexte.

2. Violation d'un principe de justice naturelle

Bien que le principe du "salaire égal pour un travail d'égale valeur" soit formulé en termes non équivoques, l'application de ce principe à l'art. 11 se heurte à des difficultés considérables.

Il y a d'abord les exceptions au principe, prévues au par. 11(3). À l'époque pertinente aux fins du présent pourvoi, les Ordonnances sur l'égalité de rémunération reconnaissaient sept facteurs pouvant justifier un écart salarial: la rémunération fondée sur le rendement, l'ancienneté, la surévaluation des postes, l'affectation comportant des tâches allégées, le mode de rémunération en cas de rétrogradation, la réduction graduelle des salaires et l'affectation temporaire à des fins de formation. Depuis, trois nouvelles exceptions se sont ajoutées: la pénurie de main‑d'{oe}uvre, la reclassification à un niveau inférieur et enfin les variations salariales régionales (voir TR/82‑2, 13 janvier 1982, et l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORS/86‑1082, art. 16). Aucune de ces exceptions ne joue de rôle significatif dans le présent pourvoi.

Comme je l'ai indiqué précédemment, le concept de "travail égal" revêt une importance capitale aux fins du présent pourvoi. Or, ce concept n'est simple qu'en apparence.

La première difficulté réside dans la notion d'égalité. L'interdiction dont est l'objet la discrimination salariale s'inscrit dans un régime législatif plus large visant à éliminer tout acte discriminatoire et à promouvoir l'égalité dans l'emploi. C'est dans ce cadre élargi que l'art. 11 s'attaque au problème de la sous‑évaluation du travail exécuté par des femmes. Puisque cet objectif va au‑delà de l'interdiction évidente de payer un salaire inférieur pour des fonctions strictement identiques, la notion d'égalité contenue à l'art. 11 ne devrait pas recevoir une interprétation formaliste ou restrictive. Il n'appartient pas à notre Cour toutefois de déterminer ici le degré d'analogie nécessaire en vertu de cette disposition.

La notion de valeur présente une autre difficulté. Le paragraphe 11(2) définit en termes généraux la façon dont l'équivalence des fonctions doit être évaluée. Le critère applicable est, aux termes de cette disposition, l'amalgame des qualifications, efforts et responsabilités nécessaires pour l'exécution des fonctions, considéré globalement et compte tenu des conditions de travail. À l'époque pertinente, ce critère était plus amplement décrit à l'art. 3 des Ordonnances sur l'égalité de rémunération:

3. Les paragraphes 11(1) et 11(2) de la Loi s'appliquent dans tous les cas où le travail exécuté par les employés d'un même établissement est évalué en vue de déterminer si ces employés remplissent des fonctions équivalentes.

a) les qualifications requises pour l'exécution du travail d'un employé comprennent les aptitudes physiques ou intellectuelles nécessaires à l'exécution de ce travail et acquises par l'expérience, la formation, les études ou attribuables à l'habilité naturelle; la nature et l'importance de ces qualifications chez les employés qui travaillent dans le même établissement doivent être évaluées sans tenir compte de la manière dont elles ont été acquises;

b) l'effort requis pour l'exécution du travail d'un employé comprend tout effort physique ou intellectuel normalement nécessaire à ce travail; lorsqu'on compare les fonctions des employés d'un même établissement à cet égard,

(i) l'effort déployé par un employé peut être équivalent à celui déployé par un autre employé, que ces efforts soient exercés de la même façon ou non et

(ii) l'effort nécessaire à l'exécution du travail d'un employé ne doit pas normalement être considéré comme différent sous prétexte que l'employé accomplit de temps à autre une tâche exigeant un effort supplémentaire;

c) les responsabilités liées à l'exécution du travail d'un employé doivent être évaluées en déterminant dans quelle mesure l'employeur compte sur l'employé pour accomplir son travail, compte tenu de l'importance des exigences du poste et de toutes les ressources techniques, financières et humaines dont l'employé a la responsabilité;

d) les conditions dans lesquelles l'employé exécute ses fonctions comprennent le bruit, la chaleur, le froid, l'isolement, le danger physique, les risques pour la santé, le stress et toutes les autres conditions liées à l'environnement physique et au climat psychologique; elles ne comprennent pas cependant l'obligation de faire des heures supplémentaires ou de travailler par postes lorsque l'employé reçoit une prime à cet égard.

Les notions de "qualifications", d'"effort", de "responsabilités" et de "conditions de travail" que l'on retrouve dans la Loi, ainsi que dans les Ordonnances sur l'égalité de rémunération qui l'accompagnent, relèvent du langage technique. Traditionnellement, on les mesure à l'aide de plans industriels d'évaluation des emplois. Aux États‑Unis, l'Equal Pay Act of 1963, 29 U.S.C. {SS} 206d), ajoutant l'art. 6 au Fair Labor Standards Act of 1938, interdit le versement d'un salaire inférieur [TRADUCTION] "pour des fonctions équivalentes dans des emplois exigeant des qualifications, des efforts et des responsabilités équivalents, dans des conditions de travail semblables . . ." Appelée à interpréter cette disposition dans l'arrêt Corning Glass Works v. Brennan, précité, la Cour suprême des États‑Unis a statué que ces quatre termes particuliers permettent le recours à des plans industriels d'évaluation des emplois pour déterminer l'équivalence des fonctions. S'exprimant au nom de la cour, le juge Marshall a précisé (aux pp. 198 à 201):

[TRADUCTION] Le trait le plus marquant de l'histoire de l'Equal Pay Act est la reconnaissance par le Congrès, dès le début du processus législatif, qu'il était plus facile d'énoncer le principe de l'égalité de salaire pour des fonctions équivalentes que de le rédiger en termes légaux compréhensibles pour les employeurs et applicables au vaste éventail de secteurs industriels visés par la Loi. À l'origine, le projet de loi prescrivait le versement d'un salaire égal pour "des fonctions équivalentes dans des emplois exigeant des qualifications équivalentes." . . .

Tant devant le comité de la Chambre que devant celui du Sénat, les témoins ont été très critiques à l'égard de la définition de fonctions équivalentes dans la Loi et des exemptions prévues. Plusieurs ont souligné que la plupart des secteurs de l'industrie américaine utilisaient des plans systématiques d'évaluation des emplois aux fins d'établir une structure salariale équitable dans leurs usines. Ces systèmes [. . .] prenaient en considération quatre critères distincts pour mesurer l'équivalence des fonctions — les qualifications, l'effort, les responsabilités et les conditions de travail —, chacune de ces composantes étant systématiquement divisée en diverses sous‑composantes. En vertu de ces plans, des points sont attribués à chaque sous‑composante d'un emploi donné, de sorte que le pointage total représente une mesure relativement objective de la valeur d'un emploi.

Comparativement aux plans d'évaluation relativement complexes en usage dans l'industrie, la définition de fonctions équivalentes dans les premières ébauches du projet de loi sur la parité salariale a été critiquée comme étant indûment vague et incomplète. Les représentants de l'industrie craignaient que le Secrétaire au travail ne s'autorise de cette définition pour remettre en question la validité du système d'évaluation d'une société donnée. Aussi ont‑ils insisté fortement pour que le projet soit amendé afin d'y inclure une exception visant les systèmes de classification des emplois ou encore pour y incorporer les termes de ces systèmes . . .

Il nous semble évident qu'en amendant la définition de fonctions équivalentes pour en arriver à la présente formulation, le Congrès a choisi de répondre directement à ces demandes [. . .] En fait, la preuve la plus révélatrice de l'intention du Congrès est que la définition amendée incorpore les termes spécifiques du plan d'évaluation des emplois décrit lors des audiences [. . .] savoir les notions de "qualifications", d'"effort", de "responsabilités" et de "conditions de travail".

Même si l'histoire législative de l'art. 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne est comparativement moins documentée que sa contrepartie américaine, ce n'est sûrement pas par pure coïncidence que le législateur a utilisé les mêmes quatre termes — qualifications, efforts, responsabilités et conditions de travail — pour donner du corps au principe de l'égalité salariale pour des fonctions équivalentes au Canada. Ces termes indiquent qu'il est possible de recourir à des plans d'évaluation des emplois pour déterminer s'il s'agit de fonctions équivalentes au sens de l'art. 11. L'auteur du Rapport de la Commission sur l'égalité en matière d'emploi (1984), Rosalie Abella, alors juge, souligne à la p. 271:

L'application du principe de "valeur égale" prévoit l'évaluation des postes pour examiner les structures salariales de la population active.

Il serait inexact cependant d'affirmer que le recours à des plans d'évaluation d'emploi est le seul moyen d'appliquer l'art. 11 de la Loi. D'ailleurs, lorsque l'enquêteur se fonde sur un plan de cette nature pour évaluer la valeur d'un emploi, la Commission n'est pas liée par ses conclusions. Dans Harmatiuk v. Pasqua Hospital (1982), 4 C.H.R.R. D/1177, confirmé à (1983), 4 C.H.R.R. D/1650 (B.R.) (aux pp. D/1180 et D/1181), la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan fait les commentaires suivants au sujet de la norme du salaire égal pour les fonctions équivalentes, contenue au par. 17(1) de la Labour Standards Act, R.S.S. 1978, chap. L‑1:

[TRADUCTION] La norme de la parité salariale n'est pas fonction de la classification, du nombre de points attribués ou du titre d'un poste, mais bien des exigences réelles de l'emploi et du rendement. Le facteur clé est la nature de l'emploi. La définition de la notion de fonctions équivalentes prévue à la Loi est indépendante de tout système de classification. Ainsi, le fait que deux emplois n'obtiennent pas le même nombre de points ne signifie pas nécessairement que les fonctions qu'ils comportent sont nécessairement d'inégale valeur au regard des critères légaux de la parité salariale.

Ainsi, tout en permettant l'usage de plans d'évaluation des emplois, l'art. 11 de la Loi laisse à la Commission toute la latitude voulue pour rejeter les conclusions d'un plan semblable lorsqu'elle est d'avis qu'il y a lieu d'arriver à un résultat différent, eu égard aux qualifications, à l'effort, aux responsabilités et aux conditions de travail. La Commission ne saurait être liée inexorablement par un système de pointage.

L'application d'un plan d'évaluation d'emploi typique comporte un certain nombre d'étapes. La première étape, celle de l'analyse de l'emploi, consiste à en examiner les exigences et les fonctions. Une description d'emploi est alors préparée, souvent avec la participation d'employés que l'on rencontre ou à qui on fait remplir des questionnaires. Des critères d'évaluation sont ensuite établis, lesquels sont des composantes reliées aux "qualifications", à l'"effort", aux "responsabilités" et aux "conditions de travail" et dont la combinaison sert à définir l'emploi examiné pour les fins de l'évaluation. Ces critères sont comparés les uns aux autres pour déterminer leur importance relative dans l'emploi. On examine ensuite la description de l'emploi afin d'y détecter la présence et l'importance de ces critères. Des points sont attribués à chacun d'eux, suivant son importance dans l'emploi. Le total des points correspond à la valeur de l'emploi.

Les étapes d'un plan d'évaluation d'emploi comportent toutes une certaine dose de subjectivité. En effet, les croyances sociales qui ont abouti à une sous‑évaluation du travail des femmes peuvent être une source de préjugés dans l'élaboration et l'application de ces méthodes. Par exemple, les renseignements que fournissent eux‑mêmes les employés au sujet de la nature de leur emploi peuvent présenter certaines caractéristiques qui, en raison de valeurs sous‑jacentes, pourraient être négligées lors de l'évaluation. Il peut ainsi y avoir confusion entre des caractéristiques pertinentes aux fins de l'évaluation et certaines notions stéréotypées de ce que l'on perçoit comme des traits inhérents à la femme. La définition des critères d'évaluation et le poids respectif qu'on leur accorde revêtent donc une importance cruciale aux fins de l'évaluation. À ce stade, les stéréotypes peuvent entraîner la surévaluation de certains critères par rapport à d'autres. Il se peut ainsi que les valeurs et les perceptions de l'analyste et de l'employé colorent les données utilisées dans le plan.

À cet égard, Rosalie Abella fait les remarques suivantes quant à l'exactitude de la méthode d'évaluation des emplois (op. cit., à la p. 279):

Quoiqu'en théorie cette méthode soit applicable et qu'elle représente une amélioration considérable par rapport aux méthodes qui comparent les emplois aspect par aspect, elle est limitée car elle donne trop de latitude à celui ou celle qui l'utilise. L'effort et la responsabilité, par exemple, sont difficiles à évaluer objectivement.

Le professeur Ruth G. Blumrosen exprime un même souci qu'elle expose plus en détail dans son article "Wage Discrimination, Job Segregation, and Title VII of the Civil Rights Act of 1964" (1979), 12 U. Mich. J. L. Ref. 397, aux pp. 436 et 437:

[TRADUCTION] Les éléments mentionnés dans une description d'emploi ne seront pas tous inclus dans les critères d'évaluation sélectionnés. Le choix d'un critère peut laisser dans l'ombre les qualifications qu'exige un travail typiquement féminin. Outre son choix, le poids attribué à un critère peut fortement influer sur le niveau d'un poste et donc, en dernier lieu, sur le salaire versé pour celui‑ci . . .

Même lorsqu'un critère est identifié et sélectionné, son importance dans le contexte de l'emploi est sujette aux caprices de la subjectivité. Les évaluateurs masculins ou de race blanche sont plus susceptibles de comprendre et de mesurer les difficultés que présentent les emplois dominés traditionnellement par les blancs ou les hommes que celles des emplois occupés traditionnellement par des femmes ou des représentants de minorités. Ils sont traditionnellement susceptibles de considérer avec dédain les emplois "féminins" ou "noirs". [Note omise.]

Les professeurs Bruce A. Nelson, Edward M. Opton et Thomas E. Wilson font écho à cette critique dans leur étude "Wage Discrimination and the "Comparable Worth" Theory in Perspective" (1980), 13 U. Mich. J. L. Ref. 233, à la p. 255:

[TRADUCTION] Les systèmes d'évaluation des emplois sont essentiellement des méthodes permettant la systématisation et le recensement de jugements subjectifs. À chaque étape de ce processus — analyse de l'emploi, description, sélection des critères d'évaluation, appréciation des critères retenus, choix de l'éventail des emplois auxquels sera appliqué un système particulier — ces jugements forcément subjectifs reflètent inévitablement des préjugés individuels et sociétaux. [Note omise.]

La Commission elle‑même semble consciente de la possibilité que des préjugés se glissent dans un plan d'évaluation d'emploi. Dans son Manuel Aiken d'évaluation des emplois, elle propose en effet que "des personnes des deux sexes [fassent] partie des comités chargés d'effectuer des évaluations en rapport avec la Section 11 de la Loi canadienne des droits de la personne" (sic).

Avant d'aller plus loin, je dois insister sur le fait que nous ne sommes pas ici appelés à approuver ou désapprouver l'utilisation de la méthode Aiken. La question principale posée à la Cour est de savoir si la Commission a violé un principe de justice naturelle dans son examen de la plainte de l'appelant.

Le concept de valeur égale est au c{oe}ur de l'interdiction légale de la discrimination salariale. En même temps, l'évaluation de la valeur d'un emploi est une tâche extrêmement délicate en ce qu'elle est la proie naturelle des préjugés individuels et des stéréotypes sexuels. Étant donné ces circonstances, l'équité exige que ce processus d'évaluation soit soumis à l'effet purificateur du débat contradictoire. Le meilleur moyen de minimiser la vulnérabilité de la méthode d'évaluation face aux préjugés individuels et aux stéréotypes sexuels est de fournir aux parties concernées la possibilité d'adapter les éléments de l'évaluation aux circonstances particulières de chaque cas. En conséquence, la Commission est dans l'obligation de révéler aux intéressés l'interprétation qu'elle se propose de donner au principe, reconnu dans la Loi, de l'égalité de rémunération pour un travail de valeur égale. De plus, les parties concernées doivent avoir la possibilité de répondre en toute connaissance de cause à l'interprétation de la Commission et de faire valoir leur propre interprétation.

L'obligation de révéler le fondement juridique de l'action d'un organisme administratif a été étudiée par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Re Downing and Graydon (1978), 92 D.L.R. (3d) 355. Il s'agissait d'une plainte portée en vertu des dispositions de la Loi sur les normes d'emploi, L.O. 1974, chap. 112; la plaignante alléguait que son employeur lui versait un salaire moins élevé qu'aux hommes engagés à la même époque et accomplissant essentiellement les mêmes fonctions. Madame Graydon, un agent des normes d'emploi, fut chargée de l'enquête. Elle rencontra d'abord la plaignante pour examiner la plainte avec elle et obtenir de plus amples renseignements. Se fondant sur cette entrevue et les résultats de son enquête, l'agent conclut que, pendant une courte période, la plaignante avait effectivement reçu un salaire inférieur pour des fonctions identiques. Elle estimait, cependant, que l'écart global était trop minime pour justifier un ajustement de la rémunération. Finalement elle rejeta la plainte. Une demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre de cette décision fut rejetée par la Cour divisionnaire. Saisie à son tour, la Cour d'appel accueillit l'appel à la majorité et annula la décision de l'agent des normes d'emploi.

Le juge Blair au nom de la majorité a déclaré (aux pp. 374 et 375):

[TRADUCTION] De façon générale, dans une plainte dénonçant une situation de disparité salariale pour des fonctions équivalentes, on exigera davantage qu'une simple énumération de faits relatifs aux salaires et fonctions de la plaignante et de ses collègues masculins. Il faut porter un jugement qualitatif afin de déterminer la nature du "travail" accompli par la plaignante et décider si ce travail est "essentiellement le même" que celui qu'accomplissent les employés masculins. La plaignante a le droit de savoir comment les comparaisons sont faites; quels critères d'évaluation du travail accompli par différents employés ont été utilisés ainsi que, comme je l'ai déjà souligné, comment les agents interprètent et appliquent la Loi à son cas. [Je souligne.]

Le juge Wilson (maintenant de notre Cour) a souscrit à ses motifs et ajouté la remarque suivante (à la p. 377):

[TRADUCTION] À mon avis, les agents des normes d'emploi auraient dû expliquer à l'appelante de quelle manière ils se proposaient d'appliquer la Loi, avant de rendre leur décision finale, et lui donner l'occasion de soumettre à leur attention toute autre interprétation susceptible d'être plus favorable à sa cause. Les agents auraient, bien sûr, été libres de rejeter l'interprétation proposée en rendant leur décision mais j'estime qu'en vertu des règles de justice naturelle, et particulièrement la règle audi alteram partem, ils se devaient de l'entendre. En d'autres termes, je crois que l'appelante avait non seulement le droit de répondre au fondement factuel de la décision des agents des normes d'emploi, mais également à son fondement juridique. [Je souligne.]

Bien que cette obligation soit ancrée en common law, elle trouve également appui dans la loi, plus particulièrement au par. 22(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui confère à la Commission le pouvoir de prononcer des ordonnances contraignantes:

22. . . .

(2) Dans un cas ou une série de cas donnés, la Commission peut, sur demande ou de sa propre initiative, décider de préciser les limites et les modalités de l'application de la présente loi dans des ordonnances qui [. . .] lient la Commission . . .

Cette disposition traduit l'intention du législateur de permettre aux plaignants d'être informés au préalable des principes de droit qui guident la Commission sur un point particulier. En édictant les Ordonnances sur l'égalité de rémunération, la Commission a, dans une certaine mesure, donné suite à cette intention législative. Cependant, dans un cas comme l'espèce, la volonté du législateur n'est pleinement respectée que si les plaignants, dès l'ouverture de l'enquête ou à tout autre moment opportun, sont informés de l'interprétation que la Commission se propose de donner aux normes de "qualifications", d'"effort", de "responsabilités" et de "conditions de travail". En somme, les règles du jeu doivent être connues avant le début de la partie.

Dans Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne, précité, notre Cour a pris acte de la concession suivante faite par la Commission à l'audience (à la p. 410):

Elle [la Commission] reconnaît en outre que l'équité dans la procédure exige qu'un plaignant ait la possibilité de présenter des arguments, du moins par écrit, avant qu'on donne suite au rapport; toutefois, la tenue d'une audience n'est pas obligatoire. En dernier lieu, la Commission reconnaît que, pour s'assurer que ces arguments sont produits en connaissance de cause, elle doit, avant de rendre sa décision, révéler à l'intéressé les éléments essentiels de la preuve produite contre lui. [Je souligne.]

À mon avis, Radulesco n'établit pas d'exigence maximale mais reconnaît simplement les exigences minimales que la Commission a eu raison de concéder. La divulgation préalable du fondement juridique de l'action administrative proposée est tout à fait conforme à l'esprit de la concession qu'a faite la Commission dans cette affaire.

Afin de déterminer si la Commission a respecté cette obligation de divulgation, il faut d'abord faire une description complète de la méthode utilisée. La Commission a vérifié l'exactitude du plan d'évaluation d'emploi que l'employeur avait utilisé auparavant pour classifier les postes dans les deux sections. Pour ce faire, elle s'est appuyée sur les résultats d'un autre plan d'évaluation, connu sous le nom de plan Aiken. De l'avis de la Commission, ce plan était "relativement exempt de préjugés". Dans la mesure donc où la classification des emplois en vertu du plan de l'employeur était identique à celle du plan Aiken, la Commission s'est crue autorisée à conclure à l'absence de discrimination salariale.

Les grandes lignes de cette stratégie ont été dévoilées à l'appelant dès les premières étapes de l'enquête, mais la méthode du plan Aiken n'a pas été portée à sa connaissance à cette époque. Le 22 avril 1982, soit environ dix‑huit mois après le dépôt de la plainte, la Commission répondait ainsi à l'appelant qui demandait d'avoir accès à cette méthode:

En ce qui a trait au plan Aiken, je tiens à vous signaler qu'il est propriété du Conseil du Trésor du Canada et que pour cette raison, nous ne pouvons pas vous en remettre une copie. Nous vous invitons cependant à diriger votre demande auprès de cet organisme. [. . .] Il va sans dire que nous utiliserons au cours de l'enquête un deuxième plan d'évaluation, probablement le nôtre, et soyez assuré que nous vous en ferons alors parvenir une copie.

Moins de six mois plus tard, le 19 octobre 1982, l'évaluation était terminée et, selon l'enquêteur, les résultats militaient en faveur du rejet de la plainte. Une recommandation officielle en ce sens a été faite le 17 novembre 1982. Le 23 décembre 1982, copie de cette recommandation était adressée à l'appelant, ainsi qu'une copie du plan utilisé par l'enquêteur pour parvenir à sa conclusion:

Nous vous faisons également parvenir par la même occasion une copie du plan d'évaluation que nous avons utilisé pour la comparaison des postes.

Avant la formulation de cette recommandation l'appelant n'avait jamais eu la possibilité de prendre connaissance du fondement juridique de l'action de la Commission et d'y répondre.

Sans même s'arrêter pour permettre à l'appelant de soumettre ses arguments quant à la conformité de la méthode utilisée au regard de l'art. 11 de la Loi, la Commission a tout de suite entrepris un examen plus approfondi du système de classification de l'employeur, élargissant l'échantillon original pour couvrir un plus grand nombre d'emplois dans chacune des sections. De nouveau, le plan Aiken a servi d'instrument de mesure et on a comparé les résultats ainsi obtenus à la classification de l'employeur. Le 23 mars 1984, l'enquêteur concluait de nouveau, au vu des résultats, qu'il n'y avait pas eu de discrimination salariale, et recommandait le rejet de la plainte.

Ce n'est qu'à ce stade que l'appelant a eu la possibilité d'argumenter sur la notion de valeur égale. Mais la Commission n'avait pas encore ouvertement formulé son interprétation de cette norme légale.

Le plan Aiken, finalement communiqué à l'appelant, montre bien la complexité de l'évaluation et les différents résultats possibles auxquels ce processus peut aboutir. Dans ce plan, le facteur "connaissances et aptitudes" est subdivisé en "complexité et jugement", "formation", et "expérience"; le facteur "efforts" comprend l'"initiative" et les "exigences physiques et mentales"; le facteur "responsabilités" est divisé en "conséquences des erreurs", "contacts" et "surveillance (nature et portée)". L'élément "conditions de travail", enfin, ne comporte aucune subdivision. Il y a donc en tout neuf critères d'évaluation, auxquels chacun se voit attribuer une échelle de points. Ainsi, "complexité et jugement", va de 10 points à 150 points; le facteur "formation" de 10 à 120, "expérience", de 5 à 150, "initiative", de 10 à 90, "exigences physiques et mentales" de 5 à 30, "conséquences des erreurs", de 5 à 100, "contacts" de 5 à 100, "surveillance", de 5 à 80 pour la "nature" et de 5 à 50 pour la "portée", et enfin "conditions de travail", de 5 à 40. Comme on peut aisément le constater, le poids relatif de chacun de ces critères énoncés à l'art. 11 de la Loi varie, les facteurs "qualifications" et "responsabilités" étant beaucoup plus importants que les facteurs "efforts" et "conditions de travail".

Il est vrai, comme le souligne mon collègue, le juge Sopinka, que l'appelant a soumis une argumentation écrite sur un certain nombre de points relatifs à l'utilisation du plan Aiken. Cependant, sa présentation n'a été autorisée qu'après la fin d'une enquête menée en prenant pour acquis que ce plan était la seule méthode valable d'évaluation de l'équivalence des fonctions au regard de l'art. 11 et que le choix de la Commission, quant aux critères d'évaluation et à leur poids respectif, était également approprié à la lumière de cette disposition. Or, prendre en considération les arguments de l'appelant aurait pu signifier le rejet de toutes les données recueillies et des analyses faites jusqu'alors. Vu le temps et les efforts consacrés à l'enquête, il n'était pas réaliste de penser qu'à ce stade, le processus aurait pu repartir à zéro pour tenir compte des allégations de l'appelant selon lesquelles le fondement même du rapport d'enquête n'était pas conforme à l'interprétation correcte de l'art. 11.

L'appelant a présenté l'argumentation suivante. En premier lieu, il a fait valoir que le travail effectué dans la Section costumes et dans la Section décors visait le même objectif, savoir la production d'émissions de télévision. Ainsi, les employés majoritairement féminins de la Section costumes et ceux majoritairement masculins de la Section décors "effectuent un travail ayant la même finalité" et leurs fonctions sont équivalentes parce qu'elles contribuent également à la production:

. . . il est important de rappeler que la manipulation et fabrication des costumes sont des tâches aussi importantes, sinon plus, dans la production d'une émission de télévision que les tâches de manipulation et fabrication de décors. Les maquillages et costumes sont très souvent au premier plan de l'écran de télévision.

En second lieu, à supposer que la méthode Aiken soit reconnue comme la norme juridique appropriée en vertu de l'art. 11, l'appelant soutenait néanmoins que bon nombre de caractéristiques pertinentes aux fins de l'évaluation n'étaient pas prises en considération dans les facteurs que la Commission avait établis pour interpréter le plan. Le plan Aiken n'aurait pas permis, par exemple, de faire ressortir la capacité des employés de la Section costumes de s'adapter à une répartition souple du travail, leur ingéniosité, leur dextérité de même que la vitesse à laquelle s'effectue le travail. De plus, l'appelant a contesté le critère "expérience", prétendant qu'il dénotait un préjugé sexiste:

Il est étonnant de constater que lorsque le personnel féminin prend moins de temps pour atteindre le niveau requis pour s'acquitter convenablement des fonctions, ce personnel est évalué à un degré inférieur donc moins bien rémunéré au bout du compte. À l'inverse, lorsque, par manque d'habileté ou autrement, le personnel masculin prend beaucoup de temps pour atteindre le niveau requis, il est évalué aux niveaux supérieurs. [Souligné dans l'original.]

En troisième lieu, en ce qui a trait au poids respectif des neuf facteurs d'évaluation définis par la Commission, l'appelant a prétendu qu'il fallait, en vertu de l'art. 11, accorder une importance égale à chacun des quatre groupes de critères énumérés dans la Loi:

Il faut de plus que, étant gardé à l'esprit que la loi n'est pas discriminatoire d'un critère à l'autre, chacun des critères ait un poids égal, à savoir 25 % pour les qualifications, 25 % pour les efforts, 25 % pour les responsabilités et 25 % pour les conditions de travail. Nous tenons à souligner que ni l'ancien plan d'évaluation de l'employeur ni le plan AIKEN ne rencontre cette dernière parité. L'un et l'autre accorde un poids d'environ 60 % au seul critère "Qualifications".

En résumé, l'appelant n'a pris part à aucun moment à la sélection des facteurs d'évaluation ni à l'attribution de leur poids respectif. Même si la méthode utilisée lui a finalement été divulguée, il n'a pu en prendre connaissance qu'une fois effectué le processus d'évaluation des emplois. Étant donné le grand nombre d'employés ayant participé au processus et le temps considérable qui lui a été consacré, il était irréaliste d'espérer que la Commission tiendrait effectivement compte de l'interprétation de l'art. 11 proposée par l'appelant avant de rendre sa décision. Dès le départ, la Commission a agi comme si sa propre interprétation de la norme juridique de l'équivalence prévue à l'art. 11 échappait au débat. À mon avis, cela ne respecte pas la norme établie dans Re Downing and Graydon. Conformément à cet arrêt ainsi qu'à l'obligation minimale reconnue dans Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne, l'appelant aurait dû être autorisé à présenter, en connaissance de cause, des arguments concernant la norme juridique de l'équivalence prescrite à l'art. 11. De plus, si la norme choisie était la méthode Aiken, l'appelant aurait dû avoir la possibilité de se faire entendre sur les questions de la sélection et du poids relatif des critères d'évaluation. À cette même audience, on aurait pu débattre tout autre aspect de la méthode proposée par la Commission et risquant, aux yeux des parties, de fausser l'évaluation des fonctions. L'audience aurait pu se tenir oralement ou par écrit, mais de façon à ce que les parties concernées puissent faire valoir efficacement, avant le début de l'enquête, leur propre interprétation de la norme juridique applicable.

Pour ces motifs, j'estime que la Commission a violé un principe de justice naturelle en procédant sans fournir cette possibilité à l'appelant et, en conséquence, sa décision doit donc être annulée.

Sur le tout, j'accueillerais le pourvoi et j'infirmerais l'arrêt de la Cour d'appel fédérale rejetant la demande de révision judiciaire. En outre, exerçant les pouvoirs qui sont conférés à cette cour par le par. 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale, j'annulerais la décision de la Commission et lui renverrais l'affaire pour reconsidération.

Pourvoi rejeté avec dépens, les juges WILSON et L'HEUREUX‑DUBÉ sont dissidentes.

Procureurs de l'appelant: Robert, Dansereau, Barré, Marchessault & Lauzon, Montréal.

Procureurs de l'intimée: Russell G. Juriansz et Anne Trottier, Ottawa.

Procureurs des mis en cause: Gaspard Côté et Raymond Piché, Montréal.

* Le juge McIntyre n'a pas pris part au jugement.

** Voir Erratum [1996] 2 R.C.S. iv


Synthèse
Référence neutre : [1989] 2 R.C.S. 879 ?
Date de la décision : 12/10/1989

Parties
Demandeurs : Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie
Défendeurs : Canada (Commission canadienne des droits de la personne)
Proposition de citation de la décision: Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 (12 octobre 1989)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-10-12;.1989..2.r.c.s..879 ?
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