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26/10/1989 | CANADA | N°[1989]_2_R.C.S._983

Canada | Caimaw c. Paccar of canada ltd., [1989] 2 R.C.S. 983 (26 octobre 1989)


Caimaw c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983

Paccar of Canada Ltd. (Canadian

Kenworth Company Division) Appelante

c.

Association canadienne des travailleurs

des industries mécaniques et assimilées,

section locale 14 Intimée

et

British Columbia Hydro & Power Authority Intimée

et

Fraternité internationale des ouvriers

en électricité, section locale 213 Intimée

et

Industrial Relations Council of

British Columbia, autrefois la Labour

Relations Board of British Columbia Intim

ée

répertorié: caimaw c. paccar of canada ltd.

No du greffe: 20174.

1988: 13 décembre; 1989: 26 octobre.

Présents: Le juge en chef Dickson et...

Caimaw c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983

Paccar of Canada Ltd. (Canadian

Kenworth Company Division) Appelante

c.

Association canadienne des travailleurs

des industries mécaniques et assimilées,

section locale 14 Intimée

et

British Columbia Hydro & Power Authority Intimée

et

Fraternité internationale des ouvriers

en électricité, section locale 213 Intimée

et

Industrial Relations Council of

British Columbia, autrefois la Labour

Relations Board of British Columbia Intimée

répertorié: caimaw c. paccar of canada ltd.

No du greffe: 20174.

1988: 13 décembre; 1989: 26 octobre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre*, Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé et Sopinka.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

Droit administratif ‑- Contrôle judiciaire ‑- Compétence ‑- Retenue judiciaire ‑- Décision d'un tribunal du travail écartée lors d'un contrôle judiciaire ‑- Détermination de la compétence d'une cour de justice pour écarter lors d'un contrôle judiciaire une décision d'un tribunal du travail ‑- Erreur de compétence quand il y a mauvaise interprétation des dispositions attributives de compétence ou quand la décision est manifestement déraisonnable ‑- Le tribunal du travail a‑t‑il interprété de manière erronée les dispositions attributives de compétence? ‑- Y a‑t‑il eu erreur manifestement déraisonnable dans l'exercice de la fonction de la commission? ‑- Labour Code, R.S.B.C. 1979, chap. 212, art. 27, 33.

Appels ‑- Qualité pour agir ‑- Tribunaux administratifs ‑- Les tribunaux administratifs ont‑ils qualité pour agir dans les appels interjetés contre leurs propres décisions?

CAIMAW et Paccar étaient parties à une convention collective dont la durée avait été fixée jusqu'au 30 avril 1983. Cette convention collective comportait une clause de renouvellement qui prévoyait la reconduction du contrat d'année en année à moins d'un préavis contraire. Elle comportait également une clause de résiliation qui prévoyait que la convention demeurerait en vigueur pendant la durée des négociations et qu'une partie pouvait mettre fin aux négociations en présentant un avis écrit en ce sens. Au cours de la convention collective, Paccar a mis à pied un grand nombre d'employés et restreint ses activités à des fonctions d'entreposage. Le syndicat s'est vu signifier un avis de résiliation de la convention collective et des négociations se sont déroulées pendant six mois, mais sans succès. Paccar a avisé le syndicat qu'elle mettait fin aux négociations et qu'elle considérait la convention collective échue à tous égards, exception faite des dispositions exigées par le Labour Code et l'Employment Standards Act. Elle a alors énoncé les conditions de travail qu'elle mettait en vigueur. Les employés ont continué de travailler après la date où ces nouvelles conditions ont été mises en vigueur unilatéralement.

CAIMAW a prétendu qu'il y avait eu plusieurs violations du Code et a demandé à l'Industrial Relations Council ("la Commission") de rendre une décision quant à savoir si une convention collective était toujours en vigueur. Un comité de trois membres de la Commission a débouté le syndicat. Un comité de cinq membres a réentendu la demande en même temps qu'une autre portant sur un différend entre British Columbia Hydro & Power Authority et FIOE, et une décision commune aux deux demandes a confirmé, bien que pour des motifs différents, les décisions des premiers comités.

CAIMAW et FIOE ont toutes deux demandé à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, conformément à la Judicial Review Procedure Act, de prononcer une ordonnance annulant la décision du comité de révision de la Commission. Les demandes ont été accueillies et confirmées en appel. Paccar se pourvoit devant notre Cour avec l'autorisation de celle‑ci. B.C. Hydro y figure à titre d'intimée, mais à l'instar de FIOE, elle n'a ni comparu devant notre Cour ni produit de mémoire.

Le point en litige dans le présent pourvoi est de savoir si la décision de la Commission de permettre à un employeur de modifier unilatéralement les conditions de travail à l'expiration d'une convention collective est manifestement déraisonnable et, partant, susceptible de contrôle par notre Cour. Un point subsidiaire porte sur la qualité de la Commission pour agir devant notre Cour.

Arrêt (les juges L'Heureux‑Dubé et Wilson sont dissidentes): Le pourvoi est accueilli.

Le juge en chef Dickson et le juge La Forest: La Commission avait compétence pour déterminer précisément si l'employeur avait le pouvoir de modifier unilatéralement les conditions de travail.

La première étape de l'analyse permettant de juger si un tribunal administratif a excédé sa compétence en tranchant une question de droit d'une façon manifestement déraisonnable consiste à déterminer sa compétence. L'article 27 constitue simplement une directive donnée à la Commission quant aux objectifs dont elle devrait tenir compte. Ce n'est pas une disposition limitative de compétence donnant ouverture au contrôle judiciaire même si la Commission devait commettre une erreur en l'interprétant ou en l'appliquant. L'article 33 a pour effet d'établir qu'il incombe à la Commission de déterminer si une décision donnée correspond aux objectifs de l'art. 27, pourvu que son interprétation ne soit pas manifestement déraisonnable.

Lorsque, comme en l'espèce, un tribunal administratif est protégé par une clause privative, ses décisions ne devraient faire l'objet d'un contrôle que si celui‑ci a commis une erreur en interprétant les dispositions attributives de compétence ou s'il a excédé sa compétence en commettant une erreur de droit manifestement déraisonnable dans l'exercice de sa fonction. Le tribunal a le droit de commettre des erreurs, même des erreurs graves, pourvu qu'il n'agisse pas de façon déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire. Le critère de contrôle constitue un "test sévère". Les tribunaux doivent donc adopter une attitude de retenue judiciaire. Un simple désaccord avec le résultat atteint par le tribunal administratif ne suffit pas à rendre ce résultat "manifestement déraisonnable". Les cours de justice doivent vérifier si la décision du tribunal a un fondement rationnel plutôt que de se demander si elles sont d'accord avec celle‑ci. En l'espèce, le résultat auquel la Commission est arrivée n'est pas manifestement déraisonnable; en fait, il est aussi raisonnable que l'autre solution. Il n'est pas nécessaire d'aller plus loin.

Le régime juridique établi par le Labour Code, qui exige que le syndicat et l'employeur négocient collectivement à l'approche de l'expiration d'une convention collective ne laisse aucune place à l'application des principes de common law. Tant que subsiste l'obligation permanente des parties de négocier collectivement et de bonne foi, la relation tripartite qui existe entre le syndicat, l'employeur et l'employé en raison du Code supplante les principes de common law. L'expiration de la convention collective n'a aucun effet sur l'obligation des parties de négocier de bonne foi conformément à l'art. 6.

Il faut présumer que les conditions établies antérieurement dans une convention collective continuent de régir la relation, en l'absence de toute indication contraire résultant des circonstances. Autrement, ce serait le chaos. La clause de résiliation perdrait cependant presque tout son effet si on niait à l'employeur le pouvoir de modifier les conditions de travail à l'expiration de la convention. Au lieu de mettre réellement un terme à la convention, ce geste indiquerait le commencement d'une nouvelle séance de négociations.

La Loi ne prévoit pas expressément que l'employeur a le pouvoir revendiqué, mais il n'était pas déraisonnable pour la Commission de conclure à l'existence de ce pouvoir. En fait, le pouvoir de modifier les conditions de travail après l'expiration d'une convention peut se déduire de l'existence de dispositions du Code limitant les circonstances dans lesquelles des modifications unilatérales peuvent être apportées. Le pouvoir d'apporter des modifications unilatérales ne crée pas d'injustice dans la relation de négociation.

Les deux périodes de gel des conditions de travail, prévues par la Loi, accordent au syndicat une protection à un moment où celui‑ci serait particulièrement vulnérable à des mesures adoptées par la direction pour l'affaiblir ou le déstabiliser. L'employeur est expressément empêché d'agir comme il lui serait autrement loisible de le faire sous réserve évidemment des dispositions du Code en matière de pratiques déloyales de travail. La conclusion de la Commission portant que ce qui n'est pas interdit par la lettre ou l'esprit de la loi est permis ne constitue pas un point de vue déraisonnable.

La Commission a qualité pour agir devant notre Cour afin d'y présenter des arguments non seulement pour lui expliquer le dossier dont elle est saisie, mais également pour montrer qu'elle avait compétence pour ouvrir l'enquête et qu'elle n'a pas perdu cette compétence en raison d'une interprétation manifestement déraisonnable de ses pouvoirs.

Les juges Lamer et Sopinka: Il n'est pas toujours nécessaire que le tribunal d'examen ne tienne aucun compte de sa propre opinion sur le fond de la décision faisant l'objet du contrôle. Le caractère raisonnable n'existe pas dans l'absolu. Toute décision sur le caractère raisonnable d'une décision doit comporter une appréciation du fond qui fournit un point de référence permettant de rendre une décision relative.

La retenue judiciaire revêt une importance considérable dans le contrôle des décisions de tribunaux spécialisés, mais elle n'entre en jeu que si la cour de justice est en désaccord avec le tribunal administratif. Ce n'est qu'à ce moment‑là qu'il est nécessaire de se demander si l'erreur (ainsi découverte) est raisonnable ou déraisonnable. Le critère constitue un "test sévère", mais même ici une appréciation du fond n'est pas sans pertinence.

La décision de la Commission est compatible avec le Labour Code et la convention collective. Le Code n'exclut pas totalement le droit général et, par conséquent, il est silencieux à l'égard de certains sujets, y compris les actes de l'employeur en l'espèce. Aucune interprétation libérale ne peut combler une lacune causée par ce silence. Aucune condition expressément établie par la Loi n'a été violée. En outre, la décision est compatible avec les attentes des parties sur le plan contractuel puisque l'insertion de la clause de résiliation n'aurait eu aucun sens si on avait jugé que les conditions de la convention collective subsistaient indéfiniment ou jusqu'à la signature d'une nouvelle convention collective.

Le juge Wilson (dissidente): Il y a accord avec les motifs du juge La Forest quant à la portée générale du principe de la retenue judiciaire applicable aux décisions des tribunaux administratifs en raison de leurs compétences particulières et quant à l'interprétation de l'art. 27 du Labour Code. Cependant, une décision d'une commission satisfaisant au "test sévère" du caractère "manifestement déraisonnable" n'est pas protégée par le principe de la retenue judiciaire. Ces décisions doivent être traitées comme des décisions que la Commission n'avait pas compétence pour rendre. On ne saurait les considérer comme résultant de l'exercice de compétences particulières ou comme des "choix de politique" non susceptibles de contrôle par les tribunaux.

Une décision manifestement déraisonnable est celle à laquelle n'aurait jamais pu arriver une commission raisonnable dans l'exercice de ses compétences particulières. Qualifier de "choix de politique" une décision de la Commission ne la met pas à l'abri de tout contrôle si la politique sur laquelle le choix est fondé est incompatible avec l'esprit de la loi en vertu de laquelle il est censé avoir été fait. Les éléments clés de la Loi en l'espèce sont l'obligation de négocier de bonne foi et le maintien de l'équilibre du pouvoir de négociation entre les parties.

Les choix de politique qui s'offraient à la Commission étaient: 1) permettre à l'employeur de déterminer le moment où les négociations sont dans une impasse et d'imposer unilatéralement de nouvelles conditions à ses employés en cas d'impasse, ou 2) permettre que les conditions résultant du processus antérieur de négociation continuent de s'appliquer, en cas d'impasse, jusqu'à ce que les parties aient acquis le droit à la grève ou au lock‑out. Le premier ne facilite en rien le processus de négociation collective qui constitue le moyen légalement reconnu de parvenir à la conclusion de conventions collectives et d'assurer la paix industrielle. Il est également incompatible avec l'obligation de l'employeur de négocier de bonne foi. Le second permet de donner au Code une interprétation qui ne modifie pas l'équilibre du pouvoir de négociation entre les parties. Il ne confère pas un nouveau pouvoir au syndicat, il ne mine pas le processus de négociation collective et ne contraint pas les parties à "revenir dans un monde qui a cessé d'exister".

La décision de la Commission est "manifestement déraisonnable" et constitue une erreur de compétence. Il ne s'agissait pas d'une question d'option entre des "choix de politique" également viables et raisonnables. L'un est tout à fait compatible avec le concept de la liberté et de l'égalité du pouvoir de négociation entre les parties et avec le rôle primordial que joue le processus de négociation collective dans le règlement des conflits de travail. L'autre leur est tout à fait opposé et défavorable.

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente): La Labour Relations Board of British Columbia a qualité pour soutenir la norme de contrôle applicable et les étapes de sa décision ici contestée. La Commission a toutefois commis une erreur de compétence en déclarant qu'un employeur peut imposer unilatéralement des conditions de travail à l'expiration d'une convention collective, sous réserve uniquement de son obligation de négocier de bonne foi.

La Commission avait juridiction pour procéder à cette enquête spécifique, mais elle a excédé sa compétence en y procédant. L'article 27 du Labour Code énonce les objectifs fondamentaux de cette loi. La décision de la Commission ne mentionne pas l'art. 27 ni ne traite de l'intérêt public ou de l'instauration de relations industrielles efficaces. Cette omission a joué un rôle crucial en amenant la Commission à adopter une solution manifestement déraisonnable.

La décision de la Commission est lourde de conséquences puisqu'elle a en fait édicté un "mini‑code" des "droits et obligations" des employeurs et des syndicats à cette étape du processus de négociation. Il est donc d'autant plus nécessaire que la Commission examine les arguments fondés sur l'instauration de relations de travail harmonieuses. Les cours de justice doivent s'en remettre au jugement des tribunaux administratifs dans les matières qui relèvent directement de leur champ de spécialisation. En l'espèce cependant, rien n'indique que la Commission ait même tenu compte de la nécessité d'instaurer des relations industrielles efficaces et des objectifs prévus à l'art. 27.

La négociation collective qui est essentielle à l'instauration de "relations industrielles efficaces", exigée par l'art. 27, comporte trois caractéristiques générales dans le contexte canadien. Premièrement, on a adopté comme politique législative de reporter le recours aux sanctions économiques jusqu'à ce que toutes les autres tentatives d'en arriver à une entente aient échoué. Deuxièmement, le recours à une sanction économique dans la négociation collective implique nécessairement que la partie qui opte pour ce moyen subira une certaine perte. La négociation est fondée sur le compromis mutuel. Troisièmement, l'existence d'une sanction économique suppose la possibilité d'une sanction correspondante ayant un effet proportionnel.

L'imposition unilatérale de conditions de travail, comme celle que la Commission a reconnue, ne comporte aucune de ces trois caractéristiques. En premier lieu, la politique énoncée ne prévoit aucune interdiction d'imposer unilatéralement des conditions de travail pendant les premières étapes de la négociation. Théoriquement, une telle mesure unilatérale peut être adoptée en tout temps après l'expiration de la convention collective antérieure. En deuxième lieu, l'employeur ne subirait aucun préjudice s'il décidait de réduire les salaires ou d'autres avantages sociaux. En troisième lieu, puisque l'imposition unilatérale de nouvelles conditions pourrait théoriquement avoir lieu avant que ne soit acquis le droit à la grève en vertu du Labour Code, le syndicat ne dispose d'aucune sanction pouvant la contrebalancer. Qui plus est, contrairement à la grève et au lock‑out, l'imposition unilatérale de conditions de travail ne pousse pas nécessairement les deux parties à conclure une entente.

L'imposition unilatérale de conditions de travail est une sanction qui ouvre la porte à un certain nombre d'abus du processus de négociation collective. Elle vise chacun des employés et les force à choisir entre l'acceptation des conditions inférieures ou l'arrêt de travail et elle forme donc une catégorie à part du fait qu'elle constitue une sanction économique qui est fondamentalement destructrice de la liberté d'engager des négociations collectives. Cette sanction frappe au c{oe}ur de la liberté des employés de se regrouper en syndicat et d'amener l'employeur à négocier collectivement. Le seul effet prévisible de cette mesure est d'attiser inutilement les conflits de travail. L'article 27 du Labour Code vise cependant à protéger l'intégrité du processus de négociation contre toute possibilité d'abus.

L'article 27 souligne le rôle souverain que joue le syndicat dans le processus de négociation et l'art. 46 confère à un syndicat accrédité le pouvoir exclusif de négocier même après l'expiration de la convention collective. Si elle avait prêté attention aux directives fondamentales exprimées à l'art. 27, la Commission n'aurait pu faire autrement qu'arriver à la conclusion que l'art. 46 empêche un employeur, à l'expiration d'une convention collective, de mettre en vigueur unilatéralement de nouvelles conditions de travail par la communication directe avec les employés.

Il était "manifestement déraisonnable" pour la Commission de conclure que l'employeur avait ce pouvoir: il y a accord avec l'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique.

Le Code prévoit des mécanismes qui permettent à la Commission d'élargir la portée et l'étendue des procédures dont elle est saisie. Le premier ensemble de mécanismes comporte des rajustements de procédure qui peuvent être apportés à l'audition. Le deuxième ensemble entraîne une modification plus radicale de la nature de la procédure. La Commission a le pouvoir de tenir des audiences publiques pour l'élaboration d'énoncés de politique qui favorisent une large participation des personnes du milieu des relations du travail aux procédures qui mettent en cause des questions d'intérêt général. Dans un cas comme la présente affaire, lorsqu'il y a un changement d'orientation de la politique suivie antérieurement, que le domaine en cause révèle une lacune dans la loi habilitante et que la question soulevée est d'une importance cruciale pour les employeurs, les syndicats et les employés en général, la question peut être tranchée de façon plus adéquate dans le cadre d'une audience visant l'établissement d'énoncés de politique.

Jurisprudence

Citée par le juge La Forest

Arrêts appliqués: Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476; arrêts examinés: Cariboo College and Cariboo College Faculty Ass'n (1983), 4 CLRBR (NS) 320; McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718; Re Telegram Publishing Co. and Zwelling (1975), 67 D.L.R. (3d) 404; Northwestern Utilities Ltd. c. Ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684; Bibeault c. McCaffrey, [1984] 1 R.C.S. 176; British Columbia Government Employees' Union v. Industrial Relations Council, Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, 24 mai 1988, inédit; arrêts mentionnés: Hill v. Peter Gorman Ltd. (1957), 9 D.L.R. (2d) 124; U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; Lorne W. Camozzi Co. v. International Union of Operating Engineers, Local 115 (1985), 68 B.C.L.R. 338; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; Inter City Glass Co. v. Attorney General of British Columbia, inédit, Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 24 janvier 1986; Canadian Pacific Railway Co. v. Zambri, [1962] R.C.S. 609; Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aéroastronautique c. Air Canada, Conseil canadien des relations du travail, 18 janvier 1988, inédit; Canada Safeway Ltd. v. Retail, Wholesale and Department Store Union, Locals 454 and 480 (1985), 11 CLRBR (NS) 68; American Federation of Television and Radio Artists v. N.L.R.B., 395 F.2d 622 (1968); Atlas Metal Parts Co. v. N.L.R.B., 660 F.2d 304 (1981); American Ship Bldg. Co. v. Labor Board, 380 U.S. 300 (1965); N.L.R.B. v. Cone Mills Corp., 373 F.2d 595 (1967).

Citée par le juge Sopinka

Arrêts mentionnés: Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476; Goodyear Tire & Rubber Co. of Canada Ltd. v. T. Eaton Co., [1956] R.C.S. 610; Bakery and Confectionery Workers International Union of America Local No. 468 v. White Lunch Ltd., [1966] R.C.S. 282; SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573.

Citée par le juge Wilson (dissidente)

Re Peterboro Lock Mfg. Co. (1954), 4 L.A.C. 1499.

Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente)

Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; Smith & Rhuland Ltd. v. The Queen, [1953] 2 R.C.S. 95; Tremblay v. Commission des relations de travail du Québec, [1967] R.C.S. 697; Wall and Redekop Corp. v. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America (1986), 5 B.C.L.R. (2d) 335 (C.S.), rejetant une demande de contrôle judiciaire de la décision publiée à (1986), 86 C.L.L.C. 16,054, où l'on avait refusé un nouvel examen de la décision publiée à (1985), 85 C.L.L.C. 16,050; U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; Canadian Air Line Pilots Association c. Air Canada, Montréal, Québec (1977), 24 di 203; U.E.W. and DeVilbiss Ltd., [1976] 2 CLRBR 101; Local 155 of International Molders and Allied Workers Union v. National Labour Relations Board, 442 F.2d 742 (1971), conf. 442 F.2d 747; Cariboo College and Cariboo College Faculty Ass'n (1983), 4 CLRBR (NS) 320; Re Telegram Publishing Co. and Zwelling (1975), 67 D.L.R. (3d) 404; Syndicat catholique des employés de magasins de Québec Inc. v. Cie Paquet Ltée, [1959] R.C.S. 206; McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718.

Lois et règlements cités

Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, art. 96.

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L‑2, art. 50, 89.

Code du travail, L.R.Q. 1977, chap. C‑27, art. 59.

Judicial Review Procedure Act, R.S.B.C. 1979, chap. 209.

Labour Act, R.S.P.E.I., chap. L‑1, art. 23.

Labour Code, R.S.B.C. 1979, chap. 212, art. 6, 27(1), (2), 31, 32(1)a), b), c), 33, 34(1)d), e), g), h), (2), 28, 36, 46a), 51(1), 61(1)c), 62, 63, 65, 79(2), 80, 81(3)a), b), 82(2).

Labour Code Amendment Act, 1977, S.B.C. 1977, chap. 72, art. 27(1).

Labour Relations Act, S.N. 1977, chap. 64, art. 74.

Labour Relations Code, R.S.A. 1988, chap. L‑1.2, art. 145.

Loi sur les relations de travail, L.R.M. 1987, chap. L-10, art. 10(4).

Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1980, chap. 228, art. 79.

Loi sur les relations industrielles, L.R.N.‑B. 1973, chap. I‑4, art. 35(2).

National Labour Relations Act, 29 U.S.C., art. 8a)(5), 9a).

Public Utilities Board Act, R.S.A. 1970, chap. 302, art. 65.

Trade Union Act, R.S.S. 1978, chap. T‑17, art. 11(1)m).

Trade Union Act, S.N.S. 1972, chap. 19, art. 33.

Doctrine citée

Arthurs, H. W., D. D. Carter and H. J. Glasbeek. Labour Law and Industrial Relations in Canada, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1984.

Carrothers, A. W. R., E. E. Palmer and W. B. Rayner. Collective Bargaining Law in Canada, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1986.

Galligan, D. J. Discretionary Powers: A Legal Study of Official Discretion. Oxford: Clarendon Press, 1986.

Murphy, T. H. "Impasse and the Duty to Bargain in Good Faith" (1977), 39 U. Pitt. L. Rev. 1.

Pépin, Gilles et Yves Ouellette. Principes de contentieux administratif, 2e éd. Cowansville, Québec: Yvon Blais Inc., 1982.

Weiler, Paul. Reconcilable Differences. Toronto: Carswells, 1980.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1986), 7 B.C.L.R. (2d) 80, 32 D.L.R. (4th) 523, qui a rejeté l'appel d'un jugement du juge Meredith, [1986] B.C.W.L.D. 2745, qui avait accueilli l'appel d'un nouvel examen de la Labour Relations Board of British Columbia (1985), 10 CLRBR (NS) 355, confirmant les décisions du premier comité (CAIMAW v. Paccar of Canada Ltd. (Canadian Kenworth Company Division) et IBEW v. British Columbia Hydro & Power Authority). Pourvoi accueilli, les juges Wilson et L'Heureux‑Dubé sont dissidentes.

D. M. M. Goldie, c.r., et B. R. Grist, pour l'appelante.

Ian Donald, c.r., et Bruce Laughton, pour l'intimée l'Association canadienne des travailleurs des industries mécaniques et assimilées, section locale 14.

Personne n'a comparu pour l'intimée British Columbia Hydro & Power Authority.

Personne n'a comparu pour l'intimée la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 213.

J. Stuart Clyne, c.r., et Eugene C. Jamieson, pour l'intimée l'Industrial Relations Council of British Colombia.

//Le juge La Forest//

Version française du jugement du juge en chef Dickson et du juge La Forest rendu par

LE JUGE LA FOREST — Le point en litige dans le présent pourvoi se limite à la question de savoir si la décision de l'intimée, la Labour Relations Board of British Columbia ("la Commission"), de permettre à un employeur de modifier unilatéralement les conditions de travail, à l'expiration d'une convention collective, est manifestement déraisonnable et, partant, susceptible de contrôle par notre Cour. Un point subsidiaire porte sur la qualité de la Commission pour agir devant notre Cour.

Les faits

L'intimée, l'Association canadienne des travailleurs des industries mécaniques et assimilées (section locale 14) ("CAIMAW"), est l'agent négociateur accrédité des employés de l'appelante Paccar of Canada Ltd. (Canadian Kenworth Division) ("Paccar"). CAIMAW et Paccar étaient parties à une convention collective dont la durée avait été fixée du 1er mai 1982 au 30 avril 1983. Paccar, un fabricant de camions, a au cours de la convention collective mis à pied un grand nombre d'employés et restreint ses activités à des fonctions d'entreposage. Le nombre des employés est alors passé de trois cent cinquante à dix seulement.

La convention collective comportait une clause de renouvellement et de résiliation, dont voici les extraits pertinents:

[TRADUCTION] 21.01 La présente convention sera en vigueur du 1er mai 1982 au 30 avril 1983 inclusivement, puis reconduite d'année en année à moins qu'une partie ne donne à l'autre un préavis écrit contraire quatre (4) mois avant le 30 avril 1983 ou toute date anniversaire subséquente.

. . .

21.03 Si un avis de résiliation est donné, la présente convention demeurera en vigueur pendant la durée des négociations, étant entendu qu'une partie peut mettre fin aux négociations en présentant un avis écrit en ce sens.

Le 4 janvier 1983, Paccar a, dans un document intitulé [TRADUCTION] "Avis de résiliation", informé CAIMAW de ce qui suit:

[TRADUCTION] La présente est un avis de résiliation de la convention collective entre les parties et d'engagement de négociations en vue d'une nouvelle convention, conformément à la convention et au Labour Code de la Colombie‑Britannique. Vous êtes prié de communiquer avec le soussigné pour convenir d'une date et d'un lieu de rencontre acceptables.

Les parties ont négocié au cours des six mois suivants, mais sans succès. Le 29 juin 1983, Paccar a écrit ceci à CAIMAW:

[TRADUCTION] Conformément à l'article 21.03 et compte tenu de l'impasse dans laquelle les parties se trouvent, la société vous avise par la présente qu'elle met fin aux négociations et qu'elle considérera la convention collective échue le 4 juillet 1983. Sont annulées toutes les conditions de l'entente, y compris la clause relative à l'indemnité de vie chère, exception faite des dispositions qui figurent plus bas ou qui sont exigées par le Labour Code et l'Employment Standards Act, ou les deux à la fois.

Paccar exposait par la suite les conditions qu'elle mettrait en vigueur le 4 juillet 1983. Les employés de Paccar continuent de travailler depuis cette date.

CAIMAW s'est alors adressée à la Commission intimée (maintenant l'Industrial Relations Council) en vertu de l'art. 28 du Labour Code, R.S.B.C. 1979, chap. 212, (le "Code"), prétendant que Paccar avait contrevenu à l'art. 65 et aux par. 79(2) et 82(2) du Code, et demandant qu'une décision soit rendue en vertu de l'al. 34(1)g) quant à savoir si une convention collective était toujours en vigueur. Un comité de trois membres de la Commission a débouté le syndicat. Celui‑ci a demandé et obtenu une nouvelle audience en vertu de l'art. 36 du Code. À la nouvelle audience, la demande a été entendue en même temps qu'une autre portant sur un différend entre British Columbia Hydro & Power Authority et la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 213, ("FIOE"); une décision commune aux deux demandes a été rendue par un comité unanime de cinq membres qui a confirmé, bien que pour des motifs différents, les décisions des premiers comités.

CAIMAW et FIOE ont toutes deux demandé à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, conformément à la Judicial Review Procedure Act, R.S.B.C. 1979, chap. 209, de prononcer une ordonnance annulant la décision du comité de révision de la Commission. Le juge Meredith a fait droit à ces demandes. Paccar et B.C. Hydro ont interjeté appel devant la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique qui les a déboutées dans une décision unanime de cinq juges. Paccar se pourvoit devant notre Cour avec l'autorisation de celle‑ci. B.C. Hydro y figure à titre d'intimée, mais à l'instar de FIOE, elle n'a ni comparu devant notre Cour ni produit de mémoire.

Décisions des tribunaux d'instance inférieure

Le premier comité a été saisi de deux questions. Dans la première, il s'agissait de savoir si Paccar avait effectivement mis fin à la convention collective. En interprétant les extraits susmentionnés de l'art. 21, le comité a conclu que l'employeur avait dûment mis fin à la convention collective conformément à ses conditions. Partant, il s'agissait de déterminer si, malgré l'expiration de la convention, ses conditions liaient nécessairement Paccar et régissaient ses relations avec ses employés, ou si Paccar pouvait imposer unilatéralement à ses employés de l'unité de négociation des conditions de travail différentes de celles qui étaient stipulées dans la convention échue. Le comité a retenu cette dernière hypothèse. L'essentiel de son raisonnement est énoncé dans le passage suivant:

[TRADUCTION] Nous concluons que l'employeur et le syndicat peuvent imposer unilatéralement des conditions de travail devant être "incorporées" aux contrats individuels de travail qui émergent à l'expiration de la convention collective. La façon appropriée pour l'employeur ou le syndicat de répondre à de "nouvelles conditions" inacceptables proposées par l'autre partie est de déclencher un lock‑out ou une grève. Cela ne signifie pas que l'employeur a pleine liberté pour agir. Le comportement de l'employeur sera certainement limité par les dispositions du Code en matière de pratiques déloyales de travail (par exemple son article 6) et par l'article 46.

Le comité a conclu que le fait de modifier les conditions auxquelles l'employeur continue de retenir les services de son personnel après l'expiration d'une convention collective ne contrevenait pas au pouvoir exclusif de négocier accordé au syndicat par l'art. 46 du Code. Il a par conséquent rejeté la plainte.

Le comité qui a procédé à la nouvelle audition a, dans des motifs approfondis et réfléchis, confirmé la décision du premier comité, bien que pour des motifs différents. Devant ce nouveau comité, les syndicats ont invoqué deux moyens pour établir que la décision antérieure était incompatible avec le droit et la politique du Labour Code. Le premier moyen était fondé sur le point de vue portant qu'à l'expiration d'une convention collective les contrats individuels de travail entre l'employeur et les employés redeviennent opérants et que, conformément aux principes du droit du travail, ces contrats ne peuvent être modifiés sans le consentement des parties; voir Hill v. Peter Gorman Ltd. (1957), 9 D.L.R. (2d) 124 (C.A. Ont.) En l'espèce, on ne saurait dire que les employés ont accepté expressément ou implicitement les conditions modifiées.

Le second moyen était fondé sur la décision antérieure de la Commission Cariboo College and Cariboo College Faculty Ass'n (1983), 4 CLRBR (NS) 320, et sur l'al. 46a) du Labour Code. Cette disposition accorde au syndicat le pouvoir exclusif de négocier collectivement au nom de l'unité de négociation et de lier les employés par une convention collective. Le syndicat a prétendu que l'al. 46a) avait pour effet d'empêcher l'employeur de modifier unilatéralement les conditions de travail sans avoir obtenu l'assentiment du syndicat.

La Commission a débouté le syndicat à l'égard des deux moyens. Ce faisant, elle a jugé utile d'examiner la vaste expérience américaine, sans toutefois la suivre aveuglément. Elle a conclu qu'à l'expiration d'une convention collective les contrats individuels de travail ne redeviennent pas opérants. Elle a déclaré ce qui suit dans ses motifs:

[TRADUCTION] Compte tenu de l'arrêt de la Cour suprême McGavin Toastmaster Ltd., [[1976] 1 R.C.S. 718], et des observations précitées du juge en chef Laskin, nous concluons qu'il n'y a plus lieu de parler de contrats individuels de travail et de principes de common law qui en découlent à l'égard d'une relation employeur‑employé régie par le Labour Code. De tels contrats et principes sont fondés sur des relations individuelles entre l'employeur et l'employé, tandis que le Labour Code et les autres lois semblables en matière de relations de travail sont fondés sur une relation collective entre un employeur et ses employés, dans laquelle sont interdites les négociations individuelles entre l'employeur et un employé.

. . .

Nous estimons que les observations du juge en chef Laskin sur l'inapplicabilité des contrats individuels de travail et des principes de common law s'appliquent peu importe qu'une convention collective soit en vigueur. Cette conclusion découle du changement fondamental qui résulte de l'accréditation d'un syndicat l'habilitant à représenter un groupe d'employés dans une unité de négociation. Une fois accrédité, ce syndicat a le pouvoir exclusif de négocier au nom des employés de l'unité une convention qui les lie. L'employé lui‑même n'a aucun pouvoir de négocier en son nom, peu importe qu'une convention collective soit en vigueur ou non. Dans de telles circonstances, on ne peut vraiment parler de contrats individuels de travail. Dès lors, aucun employé ne peut conclure de contrat portant sur les conditions de travail; seul le syndicat peut le faire. Dès lors, on ne peut non plus parler de common law. La relation de négociation collective est régie par les dispositions du Labour Code et non par la common law.

La Commission s'est ensuite penchée sur le second moyen fondé sur l'al. 46a) et a déclaré:

[TRADUCTION] Après mûre réflexion, nous concluons que l'alinéa 46a) du Labour Code n'empêche pas un employeur d'apporter des modifications unilatérales aux conditions de travail après l'expiration de la convention collective, s'il a tenté de négocier ces modifications avec le syndicat et que celui‑ci les a rejetées.

Ce faisant, la Commission s'est déclarée explicitement en désaccord avec la décision Cariboo College, précitée. Elle a conclu:

[TRADUCTION] Une fois expirée la convention collective, aucune modification des conditions de travail ne peut être apportée par l'employeur autrement que dans le respect de l'obligation qui lui incombe de négocier de bonne foi avec le syndicat. De plus, nous voulons établir clairement que le fait qu'un employeur ait modifié unilatéralement les conditions de travail de ses employés ne met pas fin à son obligation de poursuivre la négociation de bonne foi avec le syndicat et de déployer tout effort raisonnable en vue de conclure une convention collective.

Lorsque, dans la période suivant l'expiration de la convention collective, l'employeur continue d'exploiter son entreprise et les employés d'y travailler, on présume que les conditions de travail des employés demeurent les mêmes que celles contenues dans la convention collective qui vient d'expirer. Cette conclusion découle du régime juridique du Labour Code dans son ensemble et, en particulier, de l'obligation de négocier de bonne foi qui limite le cadre temporel et les modalités des modifications unilatérales pouvant être apportées aux conditions de travail. C'est ce régime et, en particulier, les limites restreignant l'action unilatérale qui découlent de l'obligation de négocier de bonne foi, qui rendent obligatoire le maintien initial du statu quo et la reprise implicite des conditions de travail de la convention collective qui vient d'expirer.

La plainte du syndicat a finalement été rejetée.

Le juge Meredith a fait droit à la demande d'annulation de cette décision. Ses motifs sont brefs et manquent quelque peu de clarté. Ils débutent par la phrase suivante:

[TRADUCTION] Je suppose que les avocats des employeurs et des syndicats conviennent avec moi qu'en droit, des relations de travail ou autre, les employeurs en pareils cas n'ont en aucun temps le pouvoir de modifier unilatéralement les conditions de travail.

S'il a déjà existé, cet accord n'a pas survécu devant cette Cour. Les parties ont en effet débattu avec vigueur devant nous la question de savoir si l'employeur a le pouvoir qu'il revendique. L'essentiel du raisonnement du juge Meredith semble être que l'emploi suppose nécessairement une entente. Or, entente et modification unilatérale forment une antithèse. Par conséquent, la Commission a eu "tort" de conclure à l'existence de modifications unilatérales, d'où le renvoi de la question à la Commission pour nouvel examen.

La Cour d'appel a rejeté l'appel de cette ordonnance. Elle a conclu que la common law et, en particulier, les principes fondamentaux du droit des contrats n'avaient pas été supplantés par le Labour Code et qu'ils s'appliquaient non seulement aux contrats individuels de travail, mais également aux conventions collectives. La cour a statué que des conditions ne pouvaient être imposées unilatéralement par l'employeur. Le juge Seaton a déclaré:

[TRADUCTION] On n'a présenté aucune justification de la prétention selon laquelle "l'employeur a le pouvoir en vertu du Labour Code de procéder à des modifications unilatérales . . .". Aucun article ne prévoit cela ni ne permet de le déduire. Dans son ensemble, le Code recherche la stabilité que procure une entente. Ce nouveau pouvoir crée de l'instabilité découlant d'une action unilatérale.

La Cour d'appel a nié toute pertinence aux décisions américaines. Selon elle, ces décisions portaient soit sur la question de savoir si des modifications unilatérales constituaient un défaut de négocier de bonne foi, argument que les syndicats avaient abandonné en l'espèce dès le début de la première audience de la Commission, soit sur des modifications favorables aux employés, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Puisque, selon elle, les trois comités de la Commission avaient eu tort de conclure que l'employeur avait le pouvoir de modifier unilatéralement les conditions de travail après l'expiration de la convention collective, la Cour d'appel a conclu, à la dernière ligne de son dispositif, qu'une décision reconnaissant ce pouvoir à l'employeur était manifestement déraisonnable.

Analyse

Dans son argumentation orale devant notre Cour, l'avocat de CAIMAW a admis que la Commission avait compétence pour déterminer précisément si l'employeur avait le pouvoir de modifier unilatéralement les conditions de travail. Il a toutefois prétendu que la Commission avait perdu compétence en concluant à l'existence de ce droit sans étayer sa décision de façon rationnelle. Ainsi, selon lui, la Commission n'a pas simplement commis une erreur grave sur une question relevant de sa compétence, mais une erreur manifestement déraisonnable.

La première étape de l'analyse permettant de juger si un tribunal administratif a excédé sa compétence en tranchant une question de droit d'une façon manifestement déraisonnable consiste à déterminer sa compétence. "À cette étape, la Cour examine non seulement le libellé de la disposition législative qui confère la compétence au tribunal administratif, mais également l'objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d'être de ce tribunal, le domaine d'expertise de ses membres, et la nature du problème soumis au tribunal"; voir U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, à la p. 1088.

La Commission tient ses pouvoirs de la partie II du Labour Code, tout particulièrement des art. 27 et 31 à 34. Il est utile d'exposer le contenu de ces dispositions.

[TRADUCTION] 27. (1) Compte tenu de l'intérêt public ainsi que des droits et obligations respectifs des parties qui se présentent devant elle, la commission peut exercer ses pouvoirs et doit exercer les fonctions qui lui sont attribuées ou imposées en vertu de la présente loi de façon à instaurer des relations industrielles efficaces pour l'établissement ou le maintien de bonnes conditions de travail et le bien‑être du public. À ces fins, la commission doit tenir compte des objectifs suivants:

a)assurer et maintenir la paix industrielle et promouvoir l'existence de relations harmonieuses entre employeurs et employés;

b)améliorer les pratiques et les procédures de négociation collective entre les employeurs et les syndicats en leur qualité de représentants librement élus des employés;

c)promouvoir des conditions favorables au règlement ordonné et constructif des différends entre les employeurs et les employés ou leurs syndicats librement élus.

(2) La commission peut formuler des lignes directrices générales pour faciliter l'application de la présente loi; la commission n'est toutefois pas liée par ces lignes directrices dans l'exercice de ses pouvoirs ou de ses fonctions.

. . .

31. Sous réserve de ce qui est prévu dans la présente loi, la commission a compétence exclusive pour entendre et trancher une demande ou une plainte présentée en vertu de la présente loi et pour rendre l'ordonnance permise. La commission a notamment compétence exclusive à l'égard de

a)toute question qui relève de sa compétence en vertu de la présente loi ou de ses règlements d'application;

b)toute question au sujet de laquelle la commission détermine, en vertu de l'article 33, qu'elle est compétente; et

c)toute demande visant à réglementer, à restreindre ou à interdire le fait pour une personne ou un groupe de personnes

(i)de cesser ou de refuser d'accomplir un travail ou de demeurer dans une relation de travail;

(ii)d'établir un piquet de grève, de déclencher la grève ou de provoquer un lock‑out;

(iii)de communiquer des renseignements ou des opinions sur un conflit de travail de vive voix, par écrit ou autrement.

32. (1) Sous réserve de ce qui est prévu dans le présent article, aucun tribunal ne peut exercer sa compétence à l'égard d'une question qui fait ou qui peut faire l'objet d'une plainte en vertu de l'article 28 ou d'une question mentionnée à l'article 31, et sans restreindre la portée générale de ce qui précède, aucun tribunal ne peut rendre une ordonnance de faire ou de ne pas faire quelque chose à l'égard de ces questions.

. . .

33. La commission a compétence exclusive pour déterminer l'étendue de sa compétence en vertu de la présente loi, d'une convention collective ou des règlements, pour statuer sur un fait ou sur une question de droit nécessaire pour établir sa compétence et, s'il y a lieu, pour en fixer les modalités d'exercice.

34. (1) La Commission a compétence exclusive pour trancher une question découlant de la présente loi et elle peut, sur demande ou de sa propre initiative, trancher pour les fins de la présente loi toute question, y compris, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, la question de savoir

. . .

d) si une ou plusieurs personnes sont liées par une convention collective;

e) si une ou plusieurs personnes sont parties à une convention collective;

. . .

g) si une convention collective est en vigueur;

h) si une personne négocie ou a négocié collectivement de bonne foi;

. . .

(2) Exception faite de la compétence constitutionnelle de la commission, une décision ou ordonnance de la commission rendue en vertu de la présente loi, d'une convention collective ou des règlements, sur une question à l'égard de laquelle la commission a compétence ou détermine, en vertu de l'article 33, qu'elle a compétence en vertu de la présente loi, d'une convention collective ou des règlements, est finale et concluante, et ne peut faire l'objet d'une remise en cause ou d'un contrôle devant un tribunal pour quelque motif que ce soit, et aucune procédure engagée par la commission ou devant elle ne peut être restreinte par voie d'injonction, de prohibition, de mandamus ou d'autres procédures judiciaires, ni être révoquée par voie de certiorari ou autrement devant un tribunal.

L'article 27 oblige la Commission à rendre ses décisions en tenant compte de l'intérêt public et de l'objectif consistant à promouvoir l'existence de relations harmonieuses entre employeurs et employés. Cette directive donnée à la Commission ne permet toutefois pas à un tribunal judiciaire de substituer son jugement à la décision de la Commission en ce qui a trait aux mesures propres à [TRADUCTION] "instaurer des relations industrielles efficaces" et à [TRADUCTION] "assurer et maintenir la paix industrielle". En ce sens, l'art. 27 n'est pas une disposition limitative de compétence à l'égard de laquelle la Commission ne peut commettre d'erreur d'interprétation sans donner ouverture au contrôle judiciaire. En fait, si les tribunaux judiciaires pouvaient intervenir chaque fois qu'ils estiment qu'une décision de la Commission ne correspond pas aux objectifs énoncés à l'art. 27, la notion de retenue judiciaire n'aurait pratiquement aucun sens. Toutes les décisions du tribunal administratif donneraient ouverture au contrôle judiciaire, qu'elles soient manifestement déraisonnables ou non. À mon avis, l'art. 27 constitue simplement une directive donnée à la Commission quant aux objectifs dont elle devrait tenir compte. L'établissement d'un tribunal administratif spécialisé implique toutefois que ce tribunal est le meilleur juge des mesures susceptibles d'instaurer des relations industrielles "efficaces" et de "promouvoir" la paix et l'harmonie industrielles. À ce sujet, le juge Esson déclare ceci dans l'arrêt Lorne W. Camozzi Co. v. International Union of Operating Engineers, Local 115 (1985), 68 B.C.L.R. 338 (C.A.C.‑B.), à la p. 345:

[TRADUCTION] Mais lorsque, comme en l'espèce, l'interprétation dépend de la question de savoir si l'exercice précis du pouvoir est justifié par les objectifs de la Loi, un élément de "retenue judiciaire" entre en jeu. La commission est la mieux qualifiée pour déterminer ce qui est nécessaire pour instaurer des relations industrielles efficaces ou pour maintenir de bonnes conditions de travail. Par conséquent, lorsqu'il s'agit de déterminer si on a voulu que l'exercice particulier d'un pouvoir qui n'est pas interdit expressément par le Code soit confié à la commission, la cour doit faire preuve de retenue raisonnable à l'égard des opinions et des motifs donnés par la commission à l'appui de ce pouvoir. [Je souligne.]

L'article 33 montre clairement que l'intention du législateur était de laisser entièrement à la Commission l'interprétation de l'art. 27. L'article 33 accorde en effet à la Commission compétence exclusive pour déterminer l'étendue de sa compétence en vertu de la Loi, pour constater tout fait nécessaire à l'établissement de sa compétence et pour en déterminer les modalités d'exercice. Cet article a tout au moins pour effet d'établir qu'il incombe à la Commission de déterminer si une décision donnée correspond aux objectifs de l'art. 27, pourvu que son interprétation ne soit pas manifestement déraisonnable.

Lorsque, comme en l'espèce, un tribunal administratif est protégé par une clause privative, notre Cour a déclaré qu'elle n'examinera la décision du tribunal que si celui‑ci a commis une erreur en interprétant les dispositions attributives de compétence ou s'il a excédé sa compétence en commettant une erreur de droit manifestement déraisonnable dans l'exercice de sa fonction; voir Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227. Le tribunal a le droit de commettre des erreurs, même des erreurs graves, pourvu qu'il n'agisse pas de façon "déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire" (p. 237). Le critère de contrôle constitue un "test sévère": voir Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476, à la p. 493. Cette portée restreinte du contrôle oblige les cours de justice à adopter une attitude de retenue à l'égard des décisions du tribunal administratif. La retenue judiciaire est plus qu'une fiction invoquée par les cours de justice lorsque celles‑ci sont d'accord avec les décisions du tribunal. Un simple désaccord avec le résultat atteint par le tribunal administratif ne suffit pas à rendre ce résultat "manifestement déraisonnable". Les cours de justice doivent prendre soin de vérifier si la décision du tribunal a un fondement rationnel plutôt que de se demander si elles sont d'accord avec celle‑ci. L'accent devrait être mis non pas sur le résultat auquel est arrivé le tribunal, mais plutôt sur la façon dont le tribunal est arrivé à ce résultat. Les clauses privatives comme celles contenues aux art. 31 à 34 du Code constituent des exercices permis du pouvoir du législateur et, dans la mesure où elles restreignent la portée du contrôle judiciaire dans le cadre des pouvoirs constitutionnels, la Cour devrait respecter cette restriction et s'en remettre à la décision de la Commission.

Dans l'arrêt Syndicat de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, précité, le juge Dickson, maintenant Juge en chef, déclare ce qui suit, aux pp. 235 et 236:

L'article 101 révèle clairement la volonté du législateur que les différends du travail dans le secteur public soient réglés promptement et en dernier ressort par la Commission. Des clauses privatives de ce genre sont typiques dans les lois sur les relations de travail. On veut protéger les décisions d'une commission des relations de travail, lorsqu'elles relèvent de sa compétence, pour des raisons simples et impérieuses. La commission est un tribunal spécialisé chargé d'appliquer une loi régissant l'ensemble des relations de travail. Aux fins de l'administration de ce régime, une commission n'est pas seulement appelée à constater des faits et à trancher des questions de droit, mais également à recourir à sa compréhension du corps jurisprudentiel qui s'est développé à partir du système de négociation collective, tel qu'il est envisagé au Canada, et à sa perception des relations de travail acquise par une longue expérience dans ce domaine.

Les commentaires du juge McIntyre dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, à la p. 416, sont particulièrement pertinents:

Notre expérience en matière de relations de travail montre que les tribunaux, en règle générale, ne sont pas les meilleurs arbitres des différends qui peuvent surgir à l'occasion. La législation du travail a reconnu ce fait, en créant d'autres procédures et d'autres tribunaux en vue d'obtenir un règlement plus prompt et efficace des problèmes qui surviennent dans le domaine du travail. Souvent, les problèmes en matière de travail ne se résument pas à des questions juridiques. Des questions politiques, sociales et économiques dominent fréquemment les conflits de travail. La création par voie législative de conciliateurs, de conseils d'arbitrage, de commissions des relations du travail et de tribunaux du travail a permis, dans une large mesure, de répondre à des besoins auxquels ne pouvait satisfaire le système judiciaire. La nature des conflits de travail, des griefs et des autres problèmes qui surgissent dans ce domaine, commande le recours à des procédures spéciales, en dehors du système judiciaire ordinaire, pour les résoudre. Les juges n'ont pas les connaissances spécialisées toujours utiles et parfois nécessaires pour résoudre les problèmes en matière de travail. Les tribunaux en général ne disposent pas dans ces affaires, si l'expérience passée peut nous guider, d'un fondement probatoire qui puisse permettre de résoudre complètement le différend. À mon avis, il n'est guère contesté que les tribunaux spécialisés en matière de relations de travail sont mieux équipés que les tribunaux judiciaires pour résoudre les problèmes en matière de travail, sauf s'il s'agit de questions purement juridiques.

Voir également Inter City Glass Co. v. Attorney General of British Columbia, décision inédite, C.S.C.‑B., 24 janvier 1986, à la p. 6.

J'estime qu'il n'est pas nécessaire de déterminer de façon concluante si la décision de la Commission est "juste" en ce sens que c'est la décision à laquelle je serais parvenu si la cause avait été entendue quant au fond par notre Cour. Il suffit de dire que le résultat auquel la Commission est arrivée n'est pas manifestement déraisonnable. En fait, j'irais jusqu'à dire que le résultat atteint par la Commission est aussi raisonnable que l'autre solution. Il n'est pas nécessaire d'aller plus loin.

Selon moi, les tribunaux d'instance inférieure n'ont pas appliqué la bonne norme de contrôle aux décisions de la Commission. Je ne puis que conclure qu'au lieu d'examiner le caractère raisonnable ou rationnel de la décision de la Commission, ces tribunaux ont substitué leur point de vue sur le résultat adéquat. Ce faisant, ils sont devenus les arbitres d'une politique du travail, comme cela ressort de la conclusion portant que si [TRADUCTION] "Dans son ensemble, le Code recherche la stabilité que procure une entente[, c]e nouveau pouvoir crée de l'instabilité découlant d'une action unilatérale". En toute déférence, il est impossible d'imaginer que la Commission n'ait pas tenu compte des conséquences d'une conclusion portant que l'employeur peut modifier unilatéralement les conditions de travail.

D'autres passages des motifs de la Cour d'appel étayent le point de vue selon lequel cette décision a été arrêtée parce qu'elle correspondait à la perception qu'avait la cour de la politique appropriée. Ainsi, le juge Seaton a déclaré: [TRADUCTION] "Je n'accepte pas que des conditions puissent être imposées unilatéralement par un employeur" (je souligne). Plus loin, il déclare ce qui suit:

[TRADUCTION] J'accepte qu'après l'expiration d'une convention collective, les conditions d'emploi implicites sont celles qui se trouvaient dans la convention expirée. Il doit en être ainsi. Les employés ne travaillent pas pour rien. À moins qu'il se passe quelque chose, les droits d'ancienneté, les droits à une pension de retraite, le régime de soins dentaires et tous les autres avantages gagnés par les syndicats au fil des ans doivent continuer de s'appliquer. Autrement, ce serait le chaos. [Je souligne.]

La politique en matière de relations de travail est une question qui relève du tribunal spécialisé. Comme on l'a souligné dans la décision Lorne W. Camozzi Co. v. International Union of Operating Engineers, Local 115, précitée, à la p. 345: "La commission est la mieux qualifiée pour déterminer ce qui est nécessaire pour instaurer des relations industrielles efficaces ou pour maintenir de bonnes conditions de travail." À mon avis, en substituant sa perception des conséquences de la décision de la Commission, la Cour d'appel a excédé ses fonctions.

La Cour d'appel a aussi été influencée par sa perception du rôle de la common law en matière de relations de travail. Tout en acceptant qu'il n'y a plus de contrats individuels de travail lorsque les parties se trouvent dans une relation de négociation collective, une conclusion inéluctable depuis l'arrêt de notre Cour McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718, les juges ont limité le raisonnement de cet arrêt au rejet de la common law uniquement en ce qui a trait aux contrats individuels de travail. Ils ont déclaré que l'essentiel d'un emploi n'est pas une "relation", mais une entente. Puisque l'employeur ne peut "s'entendre" directement avec l'employé parce que la Loi l'interdit (l'al. 46a)), et qu'une entente ne peut être modifiée que si l'une des parties donne expressément ou implicitement son consentement à la modification (voir Hill v. Peter Gorman Ltd., précité), les mêmes conditions doivent demeurer en vigueur même si l'entente elle‑même est venue à expiration. Devant notre Cour, l'avocat du syndicat n'a pas tenté de se porter à la défense du point de vue adopté par la Cour d'appel à l'égard de la common law. Tout en prétendant que la common law demeure le substrat du Labour Code, position qu'il n'est pas nécessaire d'accepter ou de rejeter dans le présent pourvoi, il a fait valoir que la common law n'était pertinente à l'espèce que dans la mesure où on ne pouvait y trouver aucun pouvoir exprès de modifier unilatéralement une convention collective.

Je ne puis conclure à la pertinence de la common law en l'espèce. La Commission a traité de l'application de la common law précisément pour répondre à l'argument du syndicat selon lequel, à l'expiration d'une convention collective, les contrats individuels de travail redeviennent opérants. Le tribunal administratif a eu raison de rejeter cet argument pour le motif qu'il était incompatible avec l'arrêt de notre Cour McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, précité. Dans cet arrêt, le juge en chef Laskin avait conclu que les rapports employeur‑employé régis par une convention collective supplantaient la common law en matière de contrat individuel de travail. Voici ce qu'il déclarait, aux pp. 726 et 727:

Ni cette loi [The Mediation Services Act, S.B.C. 1968, chap. 26], ni le Labour Relations Act ne pourraient être appliqués selon leurs termes si des principes de droit commun tels que la répudiation et la violation d'une disposition fondamentale pouvaient être invoqués à l'égard de conventions collectives qui ne sont pas encore échues et au regard desquelles l'obligation de négocier collectivement demeure.

Je ne puis voir pourquoi cette conclusion devrait se limiter aux cas où la convention collective continue d'être en vigueur. Le facteur clé, me semble‑t‑il, est l'obligation permanente des parties de négocier collectivement et de bonne foi. Tant que cette obligation subsiste, la relation tripartite qui existe entre le syndicat, l'employeur et l'employé en raison du Code supplante les principes de common law. L'expiration de la convention collective n'a aucun effet sur l'obligation des parties de négocier de bonne foi conformément à l'art. 6. Le syndicat conserve son accréditation comme représentant des employés, peu importe qu'une convention collective soit en vigueur ou non. Le régime juridique établi par le Labour Code, qui exige que le syndicat et l'employeur négocient collectivement à l'approche de l'expiration d'une convention collective (art. 62 et 63), ne laisse aucune place à l'application des principes de common law. J'estime que la Cour d'appel a commis une erreur dans la mesure où elle s'est fondée sur ces principes pour juger que la décision de la Commission était déraisonnable.

Le syndicat a fait valoir que la décision de la Commission de permettre à l'employeur de modifier les conditions de travail après l'insuccès de négociations visant la signature d'une nouvelle convention devrait être considérée comme manifestement déraisonnable parce qu'elle n'est ni prévue expressément dans le Code ni justifiée implicitement par le régime du Code. Selon le syndicat, conclure à l'existence d'un tel pouvoir bouleverserait l'équilibre de la Loi en matière de relations de travail, où le droit du syndicat de déclencher la grève est contrebalancé par le droit de l'employeur de décréter le lock‑out. Selon le syndicat, l'équilibre de la Loi serait également perturbé en ce que le syndicat ne dispose d'aucun pouvoir équivalent pour faire contrepoids. Ainsi, le syndicat ne pourrait pas décider unilatéralement, après l'expiration de la convention collective, de l'entrée en vigueur d'une augmentation salariale. Puisque c'est l'employeur qui contrôle la liste de paye et qui gère l'exploitation de l'entreprise, une telle tentative par le syndicat de modifier unilatéralement les conditions de travail serait tout simplement ignorée par l'employeur.

Le syndicat ne laisse pas entendre que la Commission n'avait pas le droit de conclure à l'existence de ce pouvoir chez l'employeur. Sa plainte, portée à l'origine en vertu de l'al. 34(1)g) du Labour Code, visait à faire trancher la question de savoir si une convention collective était en vigueur. Logiquement, il s'ensuit que si la Commission a le pouvoir de décider si une convention collective est en vigueur, elle peut également déterminer les conséquences qu'entraînera, sur le plan des relations de travail, une décision portant qu'une convention collective est échue. Le syndicat ne prétend plus qu'on a mis fin à la convention collective de façon inadéquate. La question porte tout simplement sur les conséquences de cette résiliation.

La Commission et la Cour d'appel se sont toutes deux fondées sur un extrait de l'arrêt Re Telegram Publishing Co. and Zwelling (1975), 67 D.L.R. (3d) 404 (C.A. Ont.), dans lequel le juge Kelly décrit, à la p. 412, la situation à l'expiration d'une convention collective:

[TRADUCTION] . . . l'opinion acceptée semble être la suivante: lorsqu'après l'expiration de la convention collective, l'employé a continué de travailler pour l'employeur et que l'employeur a continué d'accepter de bénéficier de ses services, en l'absence de toute convention contraire et en l'absence de toute autre circonstance permettant de déduire l'existence de conditions de travail différentes de celles qui étaient énoncées dans la convention collective, les conditions de travail après l'expiration s'apparentent implicitement à celles qui sont établies dans la convention collective portant directement sur la relation individuelle entre l'employeur et l'employé. [Je souligne.]

La Cour d'appel semble n'avoir accordé aucune importance au passage que j'ai souligné. Il n'est que raisonnable de présumer que les conditions établies antérieurement dans une convention collective continuent de régir la relation, en l'absence de toute indication contraire résultant des circonstances. Autrement, et il est juste de le dire, ce serait le chaos. Toutefois, le fait de nier à l'employeur, dans le cadre d'une relation de convention collective et sous réserve de son obligation de négocier de bonne foi, le pouvoir de modifier les conditions auxquelles il offrira du travail enlève presque tout effet à la clause de résiliation convenue entre les parties. Au lieu de mettre réellement un terme à la convention, ce geste indiquerait simplement le commencement d'une nouvelle séance de négociations, assortie de menaces de grève ou de lock‑out. La position adoptée par le juge Judson dans l'arrêt Canadian Pacific Railway Co. v. Zambri, [1962] R.C.S. 609, à la p. 624, portant que [TRADUCTION] "Lorsqu'une convention collective est échue, on peut difficilement concevoir qu'il y ait autre chose qui régisse les rapports employeur‑employé" semble plus satisfaisante. Il va sans dire que les rapports continuent d'être assujettis aux exigences du régime légal approprié.

Même s'il est vrai que la Loi ne prévoit pas expressément que l'employeur a le pouvoir revendiqué en l'espèce, il n'était pas déraisonnable pour la Commission de conclure à l'existence de ce pouvoir. Le professeur Weiler, premier président de la Labour Relations Board of British Columbia et l'un des rédacteurs du Code, traite ainsi de la question de la modification unilatérale (Paul Weiler, Reconcilable Differences (1980), aux pp. 65 et 66):

[TRADUCTION] Supposons que l'employeur ne peut obtenir du syndicat l'approbation requise pour modifier ces exigences dans un nouveau contrat. En pareil cas, la direction a le droit d'agir unilatéralement. Elle peut afficher simplement un avis à ses employés portant qu'elle réduit le prix qu'elle est prête à payer en échange du travail et le personnel qu'elle emploiera. Voilà ce que signifie, pour la direction, l'exercice des droits de propriété sur les biens et le capital: être en mesure de proposer les conditions auxquelles elle achètera le travail pour son exploitation.

Quels sont les droits et les ressources concomitants des employés et de leur syndicat? Ils se résument essentiellement au droit collectif de refuser de travailler à ces conditions, de retirer leurs services plutôt que d'accepter l'offre de leur employeur. Voilà en quoi consiste la grève.

On a prétendu que le Labour Code dans son ensemble était conçu pour équilibrer le pouvoir de l'employeur et celui du syndicat en faisant en sorte que le droit à la grève contrebalance le droit au lock‑out. À cet égard, le professeur Weiler écrit (p. 67):

[TRADUCTION] Le lock‑out n'est pas l'équivalent d'une grève pour l'employeur. Comme je l'ai déjà montré, le levier concomitant de l'employeur est en réalité la prérogative de la direction de maintenir ou de modifier les conditions auxquelles l'employeur payera les employés qui veulent travailler pour son entreprise. (Le lock‑out est habituellement l'outil dont dispose une association d'employeurs, ou un "syndicat" d'employeurs, pour se défendre contre les grèves sélectives de ses employés syndiqués.)

Deux autres facteurs étayent le point de vue selon lequel il n'était pas déraisonnable de conclure que l'employeur a le pouvoir de modifier les conditions auxquelles il offre du travail. En premier lieu, l'expérience d'autres provinces montre que le fait d'accorder ce pouvoir à l'employeur n'a pas d'effet catastrophique ni ne perturbe l'équilibre fragile des pouvoirs du syndicat et de l'employeur. En d'autres termes, l'expérience vécue dans d'autres provinces ne montre pas que le pouvoir d'apporter des modifications unilatérales crée de l'injustice dans la relation de négociation. Aucun argument n'a été soumis à l'appui de l'opinion selon laquelle le déni de ce pouvoir est essentiel à l'existence d'un régime efficace de relations du travail. En second lieu, le pouvoir de modifier les conditions de travail, après l'expiration d'une convention et devant l'impossibilité pour les parties de s'entendre, peut se déduire de l'existence de dispositions du Code limitant les circonstances dans lesquelles des modifications unilatérales peuvent être apportées.

Aucune loi canadienne en matière de relations du travail n'accorde expressément à l'employeur le pouvoir de modifier unilatéralement les conditions de travail. Les diverses provinces ont plutôt soit déclaré que le fait d'apporter de telles modifications, sans que celles‑ci n'aient fait préalablement l'objet de négociations collectives ou sans qu'il y ait eu grève ou lock‑out, constituait une pratique déloyale de travail (voir Loi sur les relations de travail, L.R.M. 1987, chap. L-10, par. 10(4); The Trade Union Act, R.S.S. 1978, chap. T‑17, al. 11(1)m)), soit limité les circonstances dans lesquelles de telles modifications peuvent être apportées. Ainsi, dans la majorité des provinces, l'employeur ne peut apporter des modifications avant qu'une grève ou un lock‑out ne soient ou ne puissent être déclenchés (voir Labour Relations Code, R.S.A. 1988, chap. L‑1.2, art. 145; Code du travail, L.R.Q. 1977, chap. C‑27, art. 59; Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L‑2, art. 50 et 89), ou avant que les parties n'aient négocié collectivement sans pouvoir s'entendre et qu'un conciliateur ou un médiateur n'ait été incapable de résoudre le différend ou n'ait été désigné (voir Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1980, chap. 228, art. 79; Loi sur les relations industrielles, L.R.N.‑B. 1973, chap. I‑4, par. 35(2); Labour Act, R.S.P.E.I. 1974, chap. L‑1, art. 23; Labour Relations Act, S.N. 1977, chap. 64, art. 74; Trade Union Act, S.N.S. 1972, chap. 19, art. 33.) Même si aucune de ces lois ne correspond exactement au Labour Code de la Colombie‑Britannique, il est très révélateur qu'aucune province n'a jugé nécessaire de permettre expressément à un employeur de modifier unilatéralement les conditions de travail, et que toutes les autres provinces le permettent implicitement, quoique sous certaines réserves. Voir également Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aéroastronautique c. Air Canada, décision inédite du C.C.R.T. rendue le 18 janvier 1988; Canada Safeway Ltd. v. Retail, Wholesale and Department Store Union, Locals 454 and 480 (1985), 11 CLRBR (NS) 68.

La jurisprudence américaine apporte un appui supplémentaire au point de vue adopté par la Commission et elle ne saurait être écartée aussi rapidement que l'a fait la Cour d'appel. La loi américaine pertinente est la National Labour Relations Act, modifiée, 29 U.S.C., et tout particulièrement le sous‑al. 8a)(5) et l'al. 9a) qui prévoient que le refus de négocier collectivement avec le syndicat constitue une pratique déloyale de travail et que le syndicat est l'agent négociateur exclusif des employés. À cet égard, la loi américaine ressemble dans ses grandes lignes à bon nombre de lois canadiennes. Même si on n'y retrouve aucun pouvoir exprès d'apporter des modifications, il ressort clairement que, sous réserve des limites relatives à l'obligation de négocier de bonne foi avec le syndicat, l'employeur ne contrevient pas à la loi s'il apporte des modifications unilatérales qui sont raisonnablement comprises dans le cadre des négociations engagées avant l'impasse; voir American Federation of Television and Radio Artists v. N.L.R.B., 395 F.2d 622 (D.C. 1968); Atlas Metal Parts Co. v. N.L.R.B., 660 F.2d 304 (7th Cir. 1981); American Ship Bldg. Co. v. Labor Board, 380 U.S. 300, 316 (1965); N.L.R.B. v. Cone Mills Corp., 373 F.2d 595 (4th Cir. 1967). La Cour d'appel a conclu qu'il ne fallait pas se fonder sur ces décisions parce que la question que les tribunaux américains devaient trancher était de savoir si l'employeur s'était livré à une pratique déloyale de travail. La Commission s'est inspirée de ces décisions pour montrer qu'un tel pouvoir n'est pas incompatible avec l'existence de relations de travail efficaces. L'exercice de ce pouvoir est tempéré par l'obligation de négocier de bonne foi imposée à l'art. 6. Il n'est pas déraisonnable pour la Commission de déterminer que ce pouvoir peut être tempéré par cette obligation.

La loi en vigueur en Colombie‑Britannique prescrit expressément deux périodes de gel des conditions de travail. Les dispositions pertinentes portent:

[TRADUCTION] 51. (1) Lorsqu'une demande d'accréditation a été présentée, le syndicat ou la personne visée par la demande ne peut déclencher ou engager une grève, ni l'employeur déclarer un lock‑out, augmenter ou diminuer les taux de rémunération, ou modifier une condition de travail des employés touchés par la demande, sans avoir préalablement obtenu la permission écrite de la commission.

. . .

61. (1) Lorsque la commission accorde au syndicat l'accréditation à titre d'agent négociateur des employés d'une unité et qu'aucune convention collective n'est en vigueur,

. . .

c)l'employeur ne peut augmenter ni diminuer le taux de rémunération d'un employé de l'unité ni modifier une autre condition de travail avant

(i)l'expiration d'une période de quatre mois suivant l'accréditation, par la Commission, du syndicat à titre d'agent négociateur de l'unité; ou

(ii) la signature d'une convention collective.

selon la première de ces éventualités.

Ces dispositions accordent au syndicat une protection à un moment où celui‑ci serait particulièrement vulnérable à des mesures adoptées par la direction pour l'affaiblir ou le déstabiliser. L'employeur est expressément empêché d'agir comme il lui serait autrement loisible de le faire sous réserve évidemment des dispositions du Code en matière de pratiques déloyales de travail. Le régime du Code interdit certaines lignes de conduite. La Commission a conclu que ce qui n'est pas interdit par la lettre ou l'esprit de la loi est permis. L'avocat du syndicat n'a pas réussi à me convaincre qu'il s'agit là d'un point de vue déraisonnable. Il ne fait aucun doute que le législateur aurait pu interdire à l'employeur l'exercice de ce pouvoir. Or, on ne nous a présenté aucune loi prévoyant une telle interdiction, si ce n'est pour une période limitée. Compte tenu de toutes ces circonstances, je ne puis qu'exprimer respectueusement mon désaccord avec le raisonnement de la Cour d'appel.

L'Industrial Relations Council a‑t‑il qualité pour agir?

Le syndicat a prétendu que parce que l'Industrial Relations Council ("le Conseil") a eu la possibilité, dans deux longs exposés de ses motifs, de donner un fondement rationnel à sa conclusion, il n'a pas qualité pour présenter devant notre Cour des arguments à l'appui du caractère raisonnable de sa décision. Le syndicat fait valoir que si la Commission pouvait légitimement démontrer qu'elle avait compétence pour ouvrir l'enquête qu'elle a ouverte, ce qu'il concède de toute façon, elle ne peut faire valoir qu'elle n'a pas subséquemment perdu cette compétence en rendant une décision manifestement déraisonnable. En toute déférence, je ne puis accepter cet argument. À mon avis, le Conseil a qualité pour agir devant notre Cour afin d'y présenter des arguments non seulement pour lui expliquer le dossier dont elle est saisie, mais également pour montrer qu'il avait compétence pour ouvrir l'enquête et qu'il n'a pas perdu cette compétence en raison d'une interprétation manifestement déraisonnable de ses pouvoirs.

Dans l'arrêt Northwestern Utilities Ltd. c. Ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S 684, le juge Estey, s'exprimant au nom de la Cour à l'unanimité, a fait des observations sur le droit d'un tribunal administratif de présenter des arguments devant la Cour. Dans cette affaire, la Public Utilities Board Act, R.S.A. 1970, chap. 302, art. 65, conférait à la Public Utilities Board le droit spécifique d'être entendue au cours de tout appel interjeté contre ses décisions; toutefois, par l'effet implicite du par. 63(2), la Commission ne pouvait interjeter appel. Compte tenu de ces circonstances, le juge Estey déclare ce qui suit, aux pp. 708 et 709:

La Commission a un rôle limité devant la Cour et elle ne peut pas être considérée comme une partie, au sens plein du terme, dans les procédures d'appel de ses propres décisions. J'estime cette restriction tout à fait justifiée. Le législateur l'a sans aucun doute consciemment imposée dans le but d'éviter de mettre un fardeau injuste sur les épaules d'un appelant qui, par la nature des choses, devra éventuellement retourner devant la Commission et se soumettre de nouveau à ses procédures de détermination des tarifs. Cette restriction offre également une protection contre les défaillances humaines qui entrent en jeu lorsque des personnes ou des organismes se retrouvent ainsi en situation de conflit.

Dans cette affaire, la Commission avait présenté "une argumentation détaillée et approfondie" à l'appui du bien‑fondé de sa décision. Le juge Estey fait observer ceci, à la p. 709:

Une participation aussi active ne peut que jeter le discrédit sur l'impartialité d'un tribunal administratif lorsque l'affaire lui est renvoyée ou lorsqu'il est saisi d'autres procédures concernant des intérêts et des questions semblables ou impliquant les mêmes parties. La Commission a tout le loisir de s'expliquer dans ses motifs de jugement et elle a enfreint de façon inacceptable la réserve dont elle aurait dû faire preuve lorsqu'elle a participé aux procédures comme partie à part entière, en opposition directe à une partie au litige dont elle avait eu à connaître en première instance.

Dans ces circonstances, le rôle du tribunal administratif se limite à la présentation d'explications et "à la seule question de la compétence pour rendre l'ordonnance contestée".

Le juge Estey a toutefois limité le sens de la notion de compétence en précisant que celle‑ci "n'inclut pas la transgression du pouvoir d'un tribunal par l'inobservation des règles de justice naturelle". Il ajoute, à la p. 710:

Dans un tel cas, lorsqu'une partie aux procédures devant ce tribunal est également partie aux procédures de révision, c'est le tribunal lui‑même qui fait l'objet de l'examen. Accorder au tribunal administratif la possibilité de défendre sa conduite et en fait de se justifier donnerait lieu à un spectacle auquel nos traditions judiciaires ne nous ont pas habitués.

À première vue, ce passage peut sembler contraire aux observations du juge Lamer dans l'arrêt Bibeault c. McCaffrey, [1984] 1 R.C.S. 176, à la p. 191:

. . . une contravention à la règle audi alteram partem postule en l'espèce une interprétation manifestement déraisonnable de l'art. 32 C.T. Or, une telle interprétation, par les commissaires, le juge ou le Tribunal du travail, serait en soi un excès de juridiction de la nature de ceux que les décisions précitées de cette Cour reconnaissent comme conférant à ceux‑ci l'intérêt voulu (locus standi) pour se porter appelants.

Il n'y a toutefois aucun conflit entre ces deux arrêts si l'on reconnaît que le droit d'être entendu était dans cette affaire un droit prévu par la loi et que la question soumise à la décision des commissaires avait trait à la portée de ce droit. Ce n'est pas dans tous les cas qu'un déni de justice naturelle découle d'une interprétation manifestement déraisonnable d'une loi. Dans ce dernier cas toutefois, le tribunal administratif peut présenter certains arguments limités.

Dans l'arrêt British Columbia Government Employees' Union v. Industrial Relations Council (inédit, C.A.C.‑B., 24 mai 1988), la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a statué que l'Industrial Relations Council avait le droit de faire valoir que la cour d'instance inférieure avait commis une erreur en substituant son jugement à celui du Conseil et en concluant que l'interprétation donnée à la loi par le Conseil était manifestement déraisonnable. Dans les motifs du jugement qu'il a prononcés pour la cour, le juge Taggart fait la déclaration suivante, avec laquelle je suis parfaitement d'accord, à la p. 13:

[TRADUCTION] Le fondement traditionnel de la notion selon laquelle un tribunal administratif ne devrait pas comparaître pour défendre le bien‑fondé de sa décision est l'impression qu'il serait malséant et déplacé pour lui de se mettre dans cette position. Mais lorsque le point en litige devient, notamment en relation avec le critère de l'interprétation manifestement déraisonnable, la question de savoir si la décision était raisonnable, il existe une raison de principe impérieuse de permettre au tribunal de présenter des arguments. En effet, le tribunal est le mieux placé pour attirer l'attention de la cour sur les considérations, enracinées dans la compétence ou les connaissances spécialisées du tribunal, qui peuvent rendre raisonnable ce qui autrement paraîtrait déraisonnable à quelqu'un qui n'est pas versé dans les complexités de ce domaine spécialisé. Il peut arriver, dans certains cas, que les parties au différend ne présentent pas adéquatement ces considérations à la cour, soit parce qu'elles n'en perçoivent pas l'importance, soit parce qu'elles estiment ne pas avoir intérêt à le faire.

Devant notre Cour, le Conseil a limité son argumentation à deux points. Il a tout d'abord prétendu que la Cour d'appel avait commis une erreur en appliquant la mauvaise norme de contrôle à la décision de la Commission. Il a prétendu que la Cour d'appel avait examiné la justesse de cette décision plutôt que son caractère raisonnable. Comme je l'ai déjà indiqué, je reconnais que la Cour d'appel a commis une erreur en procédant ainsi. Le deuxième volet de l'argumentation du Conseil consistait à montrer que la Commission avait étudié chacun des moyens présentés par le syndicat et qu'elle avait donné des motifs raisonnés et rationnels pour les rejeter tous. Dans l'argumentation qui nous a été soumise, on a souligné que le Conseil avait procédé à un examen attentif des décisions pertinentes et qu'il avait rendu une décision qui relevait de sa compétence exclusive. Il n'a en aucun temps prétendu que la décision de la Commission était juste. Il a plutôt prétendu qu'il s'agissait d'une façon de procéder raisonnable pour la Commission. Le Conseil avait qualité pour présenter tous ces moyens et, ce faisant, il n'a pas excédé le rôle limité que la Cour accorde à un tribunal administratif dans des procédures de contrôle judiciaire.

Dispositif

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir l'ordonnance de l'Industrial Relations Council en ce qui a trait à Paccar et à CAIMAW. Paccar a droit à ses dépens, mais il n'y a aucune adjudication de dépens à l'égard de l'Industrial Relations Council.

//Le juge Sopinka//

Version française des motifs des juges Lamer et Sopinka rendus par

LE JUGE SOPINKA ‑- J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement rédigés en l'espèce par les juges Wilson, La Forest et L'Heureux‑Dubé, et je suis d'accord avec le juge La Forest pour dire que le pourvoi doit être accueilli. J'arrive à cette conclusion par une démarche qui diffère sous un aspect important de celle de mon collègue, et il m'est donc nécessaire d'exposer ma conception de l'affaire.

Bien que je sois généralement d'accord avec le juge La Forest sur les principes qui sous‑tendent la portée et la norme de contrôle des décisions d'une commission des relations du travail, je ne puis accepter qu'il est toujours nécessaire que le tribunal d'examen ne tienne aucun compte de sa propre opinion sur le fond de la décision faisant l'objet du contrôle. Toute décision sur le caractère raisonnable d'une décision doit comporter une appréciation du fond. Le caractère raisonnable n'existe pas dans l'absolu. Quand un tribunal judiciaire dit que la décision faisant l'objet d'un examen est "raisonnable" ou "manifestement déraisonnable", il fait une affirmation au sujet de la relation logique qui existe entre les motifs de la décision et les prémisses qu'il a estimées exactes. Sans le point de référence que constitue une opinion (sinon une conclusion) sur le fond, on ne peut faire pareille affirmation relative.

Je partage l'opinion du juge La Forest quant à l'importance que revêt la retenue judiciaire dans le contrôle des décisions de tribunaux spécialisés. À mon avis cependant, la retenue judiciaire n'entre en jeu que si la cour de justice est en désaccord avec le tribunal administratif. Ce n'est qu'à ce moment‑là qu'il est nécessaire de se demander si l'erreur (ainsi découverte) est raisonnable ou déraisonnable. Comme l'affirme le juge La Forest, en citant l'arrêt Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476, le critère constitue un "test sévère". Mais même ici une appréciation du fond n'est pas sans pertinence. S'exprimant en son propre nom et en celui du juge McIntyre, le juge Lamer affirme dans l'arrêt Blanchard, à la p. 495:

. . . si toutes les erreurs n'aboutissent pas à des déterminations déraisonnables, toute détermination déraisonnable résulte d'une erreur (de droit, de fait, et d'une combinaison des deux, peu importe) qui, elle, est déraisonnable.

Du moment que la cour de justice est convaincue de la justesse de la décision du tribunal administratif, toute mention du caractère raisonnable est superflue.

Quant au fond de la présente affaire, je puis être bref puisque le juge La Forest a traité essentiellement de ce point quand il a conclu que la décision de la Commission "n'était pas déraisonnable". Je suis d'avis que la décision de la Commission est compatible avec le Labour Code, R.S.B.C. 1979, chap. 212, qui prévoit expressément un "gel" des conditions de travail dans certaines circonstances, bien que non dans celles dont il est question en l'espèce (voir les art. 51 et 61). En outre, la décision de la Commission est compatible avec les attentes des parties sur le plan contractuel puisque l'insertion de la clause de résiliation n'aurait eu aucun sens si on avait jugé que les conditions de la convention collective subsistaient indéfiniment ou jusqu'à la signature d'une nouvelle convention collective.

La Commission a conclu que l'obligation de négocier de bonne foi empêchait l'employeur de modifier les conditions de la convention collective à moins d'une impasse. Par la suite, l'employeur retournait à son droit de modifier ces conditions parce qu'aucune convention collective n'était en vigueur et qu'il n'était lié par aucun contrat ordinaire. Ce résultat est résumé dans l'affirmation suivante:

[TRADUCTION] L'assemblée législative de la Colombie‑Britannique n'a pas adopté un gel visant la période qui suit l'expiration d'une convention collective, de sorte que le pouvoir de l'employeur de modifier unilatéralement les conditions de travail n'est limité que par son obligation de négocier de bonne foi.

À cet égard, la décision de la Commission est conforme à la règle selon laquelle on doit présumer que le législateur s'écarte du régime général de la loi que s'il a exprimé son intention de le faire: Goodyear Tire & Rubber Co. of Canada Ltd. v. T. Eaton Co., [1956] R.C.S. 610, à la p. 614.

Quand il est question d'une loi en matière de travail ou d'une autre mesure législative réparatrice, cette règle doit être adoucie par la règle d'interprétation législative qui exige que cette mesure législative reçoive une interprétation libérale. Par conséquent, la mesure législative ne doit pas être [TRADUCTION] "réduite au minimum" ni recevoir une interprétation stricte face à la volonté exprimée par le législateur: Bakery and Confectionery Workers International Union of America, Local No. 468 v. White Lunch Ltd., [1966] R.C.S. 282, à la p. 292. Le Labour Code, malgré l'emploi de ce terme, n'est pas un véritable code au sens du droit civil. Il n'a pas pour objet d'exclure totalement le droit général. Par conséquent, il est silencieux à l'égard de certains sujets. Cette lacune ne saurait être comblée par une interprétation libérale sans que cela constitue du droit prétorien outrancier. C'est plutôt le droit général qui s'applique pour combler le vide. Dans les ressorts de common law, c'est la common law. Dans l'arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, le juge McIntyre affirme, à la p. 589:

Je suis conscient que les relations de travail des appelants sont régies par le Code canadien du travail dans la mesure où il s'applique. Toutefois, vu le silence du Code canadien du travail sur la question du piquetage, c'est la common law qui s'applique ‑- en l'occurrence celle de la Colombie‑Britannique . . .

La décision de la Commission a pour effet que, bien que l'émergence des contrats individuels de travail à l'expiration de la convention collective soit incompatible avec le régime de négociation collective établi par la Loi, ce n'est pas le cas du droit de l'employeur de modifier les conditions de travail en l'absence de toute convention, collective ou autre. Ce résultat est conforme aux principes déjà mentionnés et c'est le bon résultat. Il n'est donc pas nécessaire de se demander si la décision est raisonnable, ou, encore moins, si elle est manifestement déraisonnable.

Je suis donc d'avis de trancher le pourvoi de la façon proposée par le juge La Forest.

//Le juge Wilson//

Version française des motifs rendus par

LE JUGE WILSON (dissidente) -- J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mes collègues les juges La Forest et L'Heureux-Dubé. Je souscris au résultat auquel le juge L'Heureux-Dubé arrive, bien que ce soit pour des motifs quelque peu différents.

Je suis d'accord avec mon collègue le juge La Forest quant à la portée générale du principe de la retenue judiciaire applicable aux décisions de tribunaux administratifs comme les commissions des relations du travail, en raison de leurs compétences particulières. Je suis également d'accord avec lui pour dire que l'art. 27 du Labour Code de la Colombie‑Britannique n'est pas comme tel "une disposition limitative de compétence à l'égard de laquelle la Commission ne peut commettre d'erreur d'interprétation sans donner ouverture au contrôle judiciaire". Cependant, j'estime qu'une décision de la Commission satisfaisant à ce que le juge La Forest appelle le "test sévère" du caractère "manifestement déraisonnable" n'est pas protégée par le principe de la retenue judiciaire, lequel comporte ses propres limites. Par conséquent, la question dont nous sommes saisis en l'espèce est de savoir si la décision de la Commission portant que l'employeur peut imposer unilatéralement à ses employés des conditions de travail, lorsque lui-même et ses employés se trouvent, pour ainsi dire, entre deux conventions collectives, est une décision "manifestement déraisonnable" emportant erreur de compétence ou si elle n'est, tout au plus, qu'une erreur de droit commise par la Commission dans l'exercice de sa compétence.

Je suis d'avis que le critère du caractère manifestement déraisonnable est rempli en l'espèce, tout en reconnaissant pleinement que la compétence initiale de la Commission pour connaître de la question n'est pas en cause. Par conséquent, s'il s'agissait simplement de décider du caractère juste, voire raisonnable, de l'interprétation donnée au Code par la Commission, il n'appartiendrait pas aux cours de justice de se prononcer. Dans les circonstances, le principe de la retenue judiciaire exigerait qu'on respecte la décision de la Commission. Mais les tribunaux ne sauraient faire preuve de retenue à l'égard de décisions manifestement déraisonnables. Pareilles décisions ne sauraient être considérées comme résultant de l'exercice de compétences particulières ou comme, selon ce que prétend l'appelant, des "choix de politique" non susceptibles de contrôle par les tribunaux. On ne peut les traiter que comme des décisions que la Commission n'avait pas compétence pour rendre.

Je conviens, naturellement, que postuler l'application du critère du caractère manifestement déraisonnable revient à tenter d'évaluer le caractère raisonnable de la décision de la Commission, non pas suivant la norme de la personne raisonnable ou du citoyen raisonnable en général, mais selon celle d'une commission raisonnable. Il doit en être ainsi si nous devons admettre que la Commission est réputée avoir des compétences particulières. Une décision manifestement déraisonnable est donc une décision à laquelle n'aurait jamais pu arriver une commission raisonnable dans l'exercice de ses compétences particulières.

Mon collègue le juge La Forest laisse entendre que le critère que les tribunaux devraient appliquer pour déterminer si une décision est manifestement déraisonnable est celui du fondement rationnel. À son avis, si la décision ne repose sur aucun fondement rationnel, elle est manifestement déraisonnable. Mais si elle repose sur un tel fondement, alors les tribunaux devraient s'abstenir d'intervenir. Il suffit, pour reprendre les mots de mon collègue, que la décision de la Commission puisse "se défendre sur le plan rationnel".

Je ne vois pas vraiment l'utilité de substituer une expression à une autre et de définir ce qui est manifestement déraisonnable par ce qui est rationnellement indéfendable. À mon avis, cela ne fait qu'ajouter une source d'ambiguïté à un critère déjà très ambigu. Il me semble même fort possible de soutenir que le critère du "rationnellement indéfendable" est encore plus strict que celui du caractère "manifestement déraisonnable". Quoi qu'il en soit, l'application de ces deux critères pose des difficultés pour les tribunaux qui, comme le souligne mon collègue, ne doivent pas être considérés comme ayant les compétences particulières dont jouissent les commissions spécialisées dans le règlement des conflits de travail.

Si la résolution du problème comporte le recours aux compétences particulières d'un tribunal administratif, une cour de justice est-elle en mesure d'affirmer que la décision de ce tribunal est "manifestement déraisonnable"? En l'espèce par exemple, on peut se demander s'il serait loisible à la Commission de faire l'affirmation suivante: d'après notre expérience en la matière et aussi étrange que cela puisse sembler aux profanes, nous savons que l'imposition unilatérale de conditions par un employeur favorise un règlement et permet d'assurer la paix industrielle. Par contre, une réponse complète à cette prétention serait‑elle: c'est possible, mais ce n'est pas la bonne façon d'y parvenir; en effet, il se peut que l'exercice de pressions économiques sur les employés pendant le processus de négociation conduise effectivement au résultat escompté, mais cette pratique n'est guère propice au développement de relations employeur-employé harmonieuses et, de fait, elle constitue l'antithèse même du processus de négociation collective que le législateur considère manifestement comme le premier et le meilleur moyen d'atteindre ce résultat. En d'autres termes, met-on une décision de la Commission à l'abri de tout contrôle en la qualifiant de "choix de politique", si la politique sur laquelle le choix est fondé est incompatible avec l'esprit de la loi en vertu de laquelle il est censé avoir été fait? Je ne le crois pas. Un choix de politique n'est véritablement un choix de politique que s'il est fait entre des politiques qui sont également compatibles avec le texte législatif en question et qui y trouvent le même fondement. En est-il ainsi en l'espèce?

Il me semble que la clé du problème réside dans l'obligation fondamentale de l'employeur et du syndicat de négocier de bonne foi, à l'expiration normale de la convention collective, en vue de conclure une nouvelle convention. Je ne puis voir comment un employeur peut négocier de bonne foi en vue de conclure une nouvelle convention collective et, en même temps, imposer unilatéralement à ses employés des conditions qui leur sont préjudiciables et qu'ils ont, à sa connaissance, déjà rejetées. (Par conditions préjudiciables, j'entends des conditions moins avantageuses pour les employés que celles contenues dans la convention précédente.) Je suis d'accord avec la Cour d'appel de la Colombie-Britannique (1986), 7 B.C.L.R. (2d) 80, pour dire que lorsqu'après l'expiration de la convention collective, l'employeur continue de recourir aux services de ses employés et que les employés continuent de travailler pour l'employeur, les conditions de travail devraient être réputées les mêmes qu'en vertu de la convention précédente jusqu'à ce que de nouvelles conditions résultent du processus de négociation mené de bonne foi. Il doit en être ainsi si l'on veut donner quelque chance de succès à la négociation de bonne foi entre l'employeur et le syndicat. Toutefois, si jamais les parties ne peuvent s'entendre sur de nouvelles conditions, elles peuvent alors, sous réserve des exigences du Code, exercer leurs droits à la grève ou au lock-out. Mais il me semble qu'interpréter le Code (qui est silencieux à cet égard) comme permettant à l'employeur d'imposer unilatéralement dans l'intervalle de nouvelles conditions aux employés, serait donner à l'employeur la permission de mettre effectivement un terme à la période de négociation de bonne foi. Cela reviendrait à dire qu'il lui est loisible de déterminer le moment où il y a impasse et où il devient inutile de poursuivre les négociations parce que lui, l'employeur, n'est pas disposé à modifier sa position, et qu'ayant pris cette décision il peut alors procéder à l'imposition unilatérale de nouvelles conditions, même si ce sont ces mêmes conditions qui sont à l'origine de l'impasse. L'employeur décrète ainsi la fin du compromis qui est pourtant le moyen reconnu d'assurer la continuité du processus de négociation de bonne foi, et les employés sont confrontés au choix d'accepter les nouvelles conditions de l'employeur jusqu'à ce que le syndicat ait acquis le droit de grève, ou de quitter leur emploi pour tenter de trouver du travail ailleurs.

Pourquoi, pourrait-on se demander, l'employeur devrait-il être ainsi en mesure de supprimer la liberté et l'égalité du pouvoir de négociation dont les deux parties doivent jouir à la table de négociation? Pourquoi devrait-il avoir ce nouveau pouvoir? Il me semble évident que permettre à l'employeur de déterminer à quel moment il y a impasse dans le processus de négociation collective, pour ensuite lui donner le pouvoir d'imposer unilatéralement de nouvelles conditions à ses employés, ne facilite en rien le processus de négociation collective qui constitue le moyen légalement reconnu de parvenir à la conclusion de conventions collectives et d'assurer la paix industrielle. Comme le souligne la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, à la p. 85:

[TRADUCTION] Dans son ensemble, le Code recherche la stabilité que procure une entente. Ce nouveau pouvoir crée de l'instabilité découlant d'une action unilatérale.

Faut-il conclure qu'en l'absence d'une disposition expresse du Code, l'employeur est libre de faire tout ce qui ne lui est pas interdit expressément de faire? C'est là, semble-t-il, la prémisse qui sous-tend la position de l'appelante. Rien dans le Code, affirme-t-elle, n'empêche l'employeur d'imposer unilatéralement de nouvelles conditions. Faut-il plutôt, en comblant ce vide juridique, nous inspirer de l'économie de la loi? Je crois que cette deuxième solution est celle qu'il nous faut adopter. En toute déférence, je souscris au passage suivant tiré des commentaires du professeur Bora Laskin (plus tard Juge en chef du Canada) s'exprimant au nom de la majorité dans Re Peterboro Lock Mfg. Co. (1954), 4 L.A.C. 1499, à la p. 1502:

[TRADUCTION] De l'avis de cette Commission, c'est se livrer à une généralisation très superficielle que de prétendre qu'il faut considérer qu'une convention collective ne limite les prérogatives dont jouissait l'employeur avant les négociations collectives que dans la mesure expressément stipulée. Cette généralisation fait complètement abstraction du climat des relations employeur-employé instauré par une convention collective. Passer de la négociation individuelle à la négociation collective entraîne non pas simplement une différence de degré mais un changement de nature. L'introduction d'un régime de négociation collective comporte l'acceptation par les parties d'hypothèses qui n'ont absolument rien à voir avec une ère de négociation individuelle. Aussi, toute tentative de mesurer les droits et obligations que comportent les relations employeur-employé en fonction de normes antérieures aux négociations collectives équivaut à essayer de revenir dans un monde qui a cessé d'exister.

Je ne puis croire que le législateur a voulu, dans les circonstances de la présente affaire, obliger les parties à revenir aux normes antérieures aux négociations collectives, particulièrement s'il est possible de donner au Code une autre interprétation qui ne confère pas à l'une des parties le pouvoir de modifier dramatiquement en sa faveur l'équilibre des pouvoirs de négociation, et qui a pour avantage très appréciable de sanctionner le processus de négociation collective plutôt que de le miner. Cette interprétation, bien sûr, porte qu'en cas d'impasse les conditions résultant du processus antérieur de négociation continuent de s'appliquer jusqu'à ce que les parties aient acquis le droit à la grève ou au lock-out.

Il est vrai que cette solution profitera probablement au syndicat. Il faut présumer que si l'employeur met fin à la convention antérieure, c'est qu'il considère qu'elle n'est plus à son avantage en raison d'un changement de circonstances. L'important, toutefois, c'est qu'une interprétation du Code qui appuie cette solution ne modifie pas l'équilibre du pouvoir de négociation entre les parties. Cette interprétation ne confère pas un nouveau pouvoir au syndicat. Elle ne mine pas le processus de négociation collective. Elle ne contraint pas les parties à "revenir dans un monde qui a cessé d'exister". Je ne puis, par conséquent, partager l'opinion du juge La Forest qui estime qu'une interprétation du Code est aussi raisonnable qu'une autre et qu'il s'agit d'une question d'option entre des "choix de politique" également viables. Tout au contraire. L'une est tout à fait compatible avec le concept de la liberté et de l'égalité du pouvoir de négociation entre les parties et avec le rôle primordial que joue le processus de négociation collective dans le règlement des conflits de travail, tandis que l'autre leur est tout à fait opposée et défavorable. Voilà pourquoi j'estime que la décision de la Commission était "manifestement déraisonnable" et constituait une erreur de compétence.

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Les motifs suivants ont été rendus par

LE JUGE L'HEUREUX‑DUBÉ (dissidente) — Après avoir considéré attentivement l'opinion de mon collègue le juge La Forest, je conviens avec lui que la Labour Relations Board of British Columbia ("la Commission") a qualité pour soutenir la norme de contrôle applicable et les étapes de sa décision ici contestée. En tout déférence toutefois, je ne saurais me rallier à sa conclusion que la Commission n'a pas commis d'erreur de compétence en déclarant qu'un employeur peut imposer unilatéralement des conditions de travail à l'expiration d'une convention collective, sous réserve uniquement de son obligation de négocier de bonne foi.

Comme l'a souligné le juge La Forest, le Labour Code de la Colombie‑Britannique ("le Code") interdit spécifiquement à un employeur de modifier les conditions de travail lorsqu'une demande d'accréditation a été présentée (art. 51) et, une fois l'accréditation accordée, pendant une période de quatre mois ou aussi longtemps qu'une convention collective n'a pas été signée, selon la première de ces éventualités (art. 61). Le Code ne prévoit toutefois aucun gel des conditions de travail après l'expiration d'une convention collective, et la Commission n'avait émis aucun énoncé de politique applicable à cet égard. Lorsqu'elle a été saisie de la demande initiale de CAIMAW, puis lors de la nouvelle audition CAIMAW‑FIOE, la Commission s'est donc fondée sur sa compétence générale pour trancher [TRADUCTION] "la question de savoir [. . .] si une convention collective est en vigueur" aux termes de l'al. 34(1)g) du Labour Code. À l'audience devant notre Cour, l'intimée a reconnu à juste titre que la Commission avait juridiction pour procéder à cette enquête spécifique. La question, toutefois, est de décider si, au cours de cette enquête, la Commission a excédé sa compétence. À cette fin, il est nécessaire d'examiner l'art. 27 du Labour Code de la Colombie‑Britannique qui énonce les objectifs fondamentaux de la Loi.

I

Les objectifs fondamentaux du Labour Code

C'est en 1973 qu'apparaît pour la première fois dans le Labour Code une disposition énonçant les objectifs généraux de la Loi qui se lisait:

[TRADUCTION] 27. (1) La commission peut exercer les pouvoirs et doit exercer les fonctions qui lui sont attribués ou imposés en vertu de la présente loi de façon à assurer et à maintenir la paix industrielle et à promouvoir des conditions favorables au règlement des différends; à cette fin, elle peut, à l'occasion, formuler des politiques générales conformes à la présente loi afin de guider le public en général et la commission; la commission n'est toutefois pas liée par celles‑ci dans l'exercice de ses pouvoirs ou de ses fonctions. [Je souligne.]

Cette disposition a été modifiée de la façon suivante par la Labour Code Amendment Act, 1977, S.B.C. 1977, chap. 72:

[TRADUCTION] 27. (1) Compte tenu de l'intérêt public ainsi que des droits et obligations respectifs des parties qui se présentent devant elle, la commission peut exercer ses pouvoirs et doit exercer les fonctions qui lui sont attribuées ou imposées en vertu de la présente loi de façon à instaurer des relations industrielles efficaces pour l'établissement ou le maintien de bonnes conditions de travail et le bien‑être du public. À ces fins, la commission doit tenir compte des objectifs suivants:

a)assurer et maintenir la paix industrielle et promouvoir l'existence de relations harmonieuses entre employeurs et employés;

b)améliorer les pratiques et les procédures de négociation collective entre les employeurs et les syndicats en leur qualité de représentants librement élus des employés;

c)promouvoir des conditions favorables au règlement ordonné et constructif des différends entre les employeurs et les employés ou leurs syndicats librement élus. [Je souligne.]

C'est le texte du par. 27(1) du Labour Code qui s'applique au présent pourvoi. Il y a toutefois lieu de compléter l'historique législatif du par. 27(1) en soulignant qu'il a été modifié de nouveau en 1987 par S.B.C. 1987, chap. 24, art. 18, de manière à se lire:

[TRADUCTION] 27. (1) Compte tenu de l'intérêt public, des droits des personnes ainsi que des droits et obligations des parties qui se présentent devant lui, et eu égard à l'intérêt qu'ont les employeurs et les employés à établir et à maintenir de bonnes conditions de travail dans le contexte d'une économie de marchés concurrentiels où ils sont à la fois participants et bénéficiaires, le conseil doit exercer les pouvoirs et les fonctions qui lui sont attribués ou imposés en vertu de la présente loi de façon à assurer le règlement expéditif des conflits de travail. À ces fins, le conseil doit tenir compte des objectifs suivants:

a)assurer et maintenir la paix industrielle et promouvoir l'existence de relations harmonieuses entre employeurs et employés;

b)améliorer les pratiques et les procédures de négociation collective entre les employeurs et les syndicats en leur qualité de représentants librement élus des employés;

c)promouvoir des conditions favorables au règlement ordonné et constructif des différends entre les employeurs et les employés ou leurs syndicats librement élus;

d)encourager le règlement volontaire des différends en matière de négociation collective;

e)réduire au minimum les effets préjudiciables des conflits de travail sur des tiers;

f)fournir aux employeurs et aux agents négociateurs toute aide pouvant faciliter la négociation ou le renouvellement de conventions collectives;

g)recueillir et publier de l'information et des statistiques portant sur les négociations collectives dans la province.

Les dispositions énonçant des objectifs généraux, comme le par. 27(1) du Labour Code, ne font pas que tracer une ligne de conduite à l'organisme administratif; elles fixent également les limites du pouvoir discrétionnaire dont il dispose dans l'exercice des pouvoirs que lui confère la loi. Le rôle de ces dispositions est décrit ainsi par D. J. Galligan dans son ouvrage Discretionary Powers: A Legal Study of Official Discretion (1986), à la p. 109:

[TRADUCTION] La formulation législative des objectifs revêt une importance capitale manifeste dans l'exercice des pouvoirs délégués. C'est par ce moyen que le contenu et la portée des pouvoirs sont définis et que des lignes directrices sont fournies au fonctionnaire responsable de la prise de décisions; de plus, c'est en fonction de ces objectifs que l'examen ou l'évaluation d'une décision doit se faire.

Les dispositions énonçant les politiques et objets de la loi ont leur origine historique dans la common law. Dans l'arrêt Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997 (H.L.), lord Reid explique, à la p. 1030, pourquoi les objectifs fondamentaux de la loi habilitante restreignent la délégation de pouvoirs discrétionnaires:

[TRADUCTION] Dans l'argument présenté pour le Ministre, il est implicite qu'il n'y a que deux interprétations possibles de cette disposition — soit qu'il doive renvoyer chaque plainte au comité, soit qu'il ait une discrétion absolue, dans tous les cas, de refuser de renvoyer la plainte au comité. Je ne crois pas que ce soit correct. Le Parlement a dû attribuer ce pouvoir discrétionnaire dans l'intention qu'il soit exercé pour promouvoir la politique et les objets de la Loi. La politique et les objets de la Loi doivent être déterminés en interprétant la Loi dans son ensemble et l'interprétation est toujours une question de droit pour la Cour. Dans une affaire semblable, il n'est pas possible de fixer des limites précises et inflexibles, mais si le Ministre, parce qu'il a mal interprété la Loi ou pour toute autre raison, exerce son pouvoir discrétionnaire de façon à contrecarrer la politique ou les objets de la Loi ou à aller à l'encontre de ceux‑ci, alors notre droit accuserait une grave lacune si les personnes qui en subissaient des préjudices n'avaient pas droit à la protection de la Cour. [Je souligne.]

Le respect de l'intention du législateur est une considération de principe toute aussi valable au Canada qu'en Angleterre: ". . . lorsque le Parlement délègue des pouvoirs, il le fait dans l'intention de permettre aux autorités administratives concernées d'atteindre les objectifs expressément ou implicitement tracés dans la loi" (G. Pépin et Y. Ouellette, Principes de contentieux administratif (2e éd. 1982), à la p. 264). Dans l'arrêt célèbre Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, le juge Martland exprime, à la p. 156, un point de vue qui laisse présager celui que devait adopter plus tard lord Reid:

[TRADUCTION] . . . le pouvoir discrétionnaire d'annuler un permis que confère à la Commission la Loi des liqueurs alcooliques doit être lié à l'application et à la mise à exécution de cette loi. Il ne convient pas d'exercer le pouvoir d'annulation pour des motifs qui ne sont pas liés à la réalisation de l'intention et de l'objectif de la Loi.

Dans le domaine particulier des relations du travail, notre Cour a depuis longtemps reconnu que les objectifs impérieux de la Loi de maintenir la paix et d'assurer l'harmonie dans les relations industrielles limitent implicitement le pouvoir discrétionnaire conféré par la loi habilitante. Dans Smith & Rhuland Ltd. v. The Queen, [1953] 2 R.C.S. 95, il s'agissait de déterminer si une commission provinciale des relations du travail pouvait validement refuser d'accréditer un syndicat pour le motif que le secrétaire‑trésorier de ce syndicat était communiste et qu'il exerçait une très grande influence sur celui‑ci. Notre Cour a jugé, à la majorité, que même si la Commission jouissait d'un pouvoir discrétionnaire en matière d'accréditation, l'exercice de ce pouvoir ne pouvait être fondé sur des questions étrangères aux objectifs fondamentaux de la Loi. S'exprimant au nom des trois juges formant la majorité, le juge Rand affirme, à la p. 100:

[TRADUCTION] Ainsi, je ne puis admettre que la Commission a le pouvoir de refuser l'accréditation à cause de l'association officielle du syndicat avec un individu qui a des convictions politiques jugées dangereuses par la Commission.

Selon le juge Rand, il s'agissait d'une question de compétence: la Commission avait excédé ses pouvoirs en fondant l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière d'accréditation sur des considérations étrangères aux objectifs fondamentaux de la loi en question. Si un tel cas devait se produire aujourd'hui en Colombie‑Britannique, il serait sans doute traité de la même façon sous le régime du par. 27(1).

Dans l'arrêt Tremblay v. Commission des relations de travail du Québec, [1967] R.C.S. 697, notre Cour a été appelée à déterminer si l'art. 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, permettait à la Commission des relations de travail du Québec d'exercer validement le pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré par l'art. 50 de la Loi des relations ouvrières. Cette disposition prévoyait que "S'il est prouvé devant la Commission qu'une association a participé à une infraction aux dispositions de l'article 20 [domination par l'employeur], la Commission peut [. . .] prononcer la dissolution de cette association". En concluant que la Commission avait le pouvoir constitutionnel d'appliquer l'art. 50, le juge Abbott, qui s'exprimait alors au nom de la Cour, a déclaré ce qui suit, aux pp. 701 et 702:

[TRADUCTION] Le pouvoir que possède la Commission en vertu de l'art. 50 est un pouvoir limité et discrétionnaire. Il est purement accessoire à la réalisation de l'un des objectifs fondamentaux pour lesquels l'association a été constituée, soit le maintien de la paix industrielle.

Les arrêts Smith & Rhuland Ltd. v. The Queen et Tremblay v. Commission des relations de travail du Québec démontrent que des dispositions énonçant des objectifs généraux comme le par. 27(1) du Code ne sont pas édictées dans un vide juridique. Ces dispositions codifient l'obligation de common law d'exercer les pouvoirs délégués d'une façon qui respecte strictement les préceptes fondamentaux de la loi habilitante. Dans ce contexte historique, le par. 27(1) représente plus qu'un simple guide à l'intention de la Commission; il constitue une directive imposée par la Loi de prendre attentivement en considération le but de promouvoir des relations industrielles efficaces, compte tenu de certains objectifs précis.

La Commission est généralement très consciente de l'obligation que lui impose le par. 27(1) (voir, par exemple, Wall and Redekop Corp. v. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America (1986), 5 B.C.L.R. (2d) 335 (C.S.), rejetant une demande de contrôle judiciaire de la décision rapportée à (1986), 86 C.L.L.C. 16,054, où l'on avait refusé un nouvel examen de la décision rapportée à (1985), 85 C.L.L.C. 16,050). Toutefois, en statuant sur les plaintes à l'origine du présent litige, la Commission n'a aucunement pris en considération les objectifs fondamentaux du Code. Dans la première demande présentée par CAIMAW ainsi que dans la nouvelle audition conjointe CAIMAW‑FIOE, il n'y a pas une seule mention de l'art. 27 du Code. De plus, on n'y a pas discuté de l'intérêt public ou de l'instauration de relations industrielles efficaces, de sorte qu'on ne peut présumer que la Commission a implicitement tenu compte de cette disposition.

L'omission de la Commission de traiter des exigences de l'art. 27 est particulièrement lourde de conséquences puisque la décision de principe qu'elle était appelée à rendre touche par sa nature même non seulement les parties au différend dont elle était saisie, mais également tous les autres syndicats, employés et employeurs dans un domaine très délicat de négociation collective. Le fait que la Commission ait voulu rendre une décision de principe qui toucherait l'ensemble des syndicats et des employeurs ressort de l'extrait suivant de la nouvelle audition CAIMAW‑FIOE:

[TRADUCTION] Nous désirons maintenant résumer les conclusions que nous avons tirées plus haut en décrivant les droits et les obligations des parties en vertu du Labour Code après l'expiration d'une convention collective.

. . .

Une fois expirée la convention collective, aucune modification des conditions de travail ne peut être apportée par l'employeur autrement que dans le respect de l'obligation qui lui incombe de négocier de bonne foi avec le syndicat . . .

Lorsque, dans la période suivant l'expiration de la convention collective, l'employeur continue d'exploiter son entreprise et les employés d'y travailler, on présume que les conditions de travail des employés demeurent les mêmes que celles contenues dans la convention collective qui vient d'expirer.

Les références générales à "l'employeur" montrent sans aucun doute que la Commission tente de combler le silence du Labour Code en ce qui a trait à la modification unilatérale des conditions de travail après l'expiration d'une convention collective. La décision constitue en quelque sorte un "mini‑code" des "droits et obligations" des employeurs et des syndicats à cette étape. La décision de principe de la Commission va bien au‑delà des intérêts spécifiques des parties qui sont devant elle et revêt une importance qui s'apparente à l'adoption d'une nouvelle disposition législative. Cette dimension additionnelle met l'accent sur la nécessité pour la Commission de répondre directement aux arguments fondés sur le développement de relations de travail harmonieuses.

Je conviens avec mon collègue le juge La Forest que les cours de justice doivent s'en remettre au jugement des tribunaux administratifs dans les matières qui relèvent directement de leur champ de spécialisation. Il est maintenant bien établi qu'un tribunal administratif n'excède sa compétence à cause d'une erreur que 1) s'il erre d'une façon manifestement déraisonnable à l'égard d'une question qui relève de sa compétence, ou 2) s'il commet une simple erreur à l'égard d'une disposition législative qui limite ses pouvoirs (voir U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S 1048, à la p. 1086). Toutefois, contrairement à mon collègue le juge La Forest, je ne puis me convaincre que la décision de la Commission soit autre chose que déraisonnable. Comme je l'ai déjà dit, rien n'indique que la Commission ait même tenu compte de la nécessité d'instaurer des relations industrielles efficaces et des objectifs prévus à l'art. 27. J'estime qu'une telle omission a joué un rôle crucial en induisant en erreur la Commission et en l'amenant à adopter une solution manifestement déraisonnable.

J'aborde maintenant les motifs qui m'amènent à conclure que la décision de la Commission ne repose sur aucun fondement rationnel.

II

Le non‑respect des objectifs fondamentaux

La négociation collective est consacrée dans le droit et la politique des relations du travail au Canada depuis plus de cinquante ans. C'est un élément essentiel à l'instauration de "relations industrielles efficaces" conformément à l'art. 27. Du point de vue législatif, la négociation collective suppose la reconnaissance de trois libertés fondamentales des employés: [TRADUCTION] "se regrouper en associations, amener les employeurs à négocier avec les associations et recourir à des sanctions économiques significatives à l'appui de la négociation" (A. W. R. Carrothers, E. E. Palmer et W. B. Rayner, Collective Bargaining Law in Canada (2e éd. 1986), à la p. 4). Ce régime suppose que le contrôle exercé par les employés sur la disponibilité de la main‑d'{oe}uvre correspond au contrôle de l'employeur sur la demande de main‑d'{oe}uvre, ce qui favorise l'existence de conditions propices à des négociations constructives et fructueuses. La grève et le lock‑out sont les principales sanctions économiques prévues et réglementées par les lois en matière de travail. Ils ne constituent toutefois que deux parmi toute une gamme de sanctions économiques en matière de relations ouvrières.

Même si elles peuvent différer sous certains aspects secondaires, toutes les sanctions économiques utilisées dans la négociation collective ont en commun trois caractéristiques fondamentales: elles n'entrent en jeu qu'après des tentatives concertées de règlement, elles causent un préjudice économique aux deux parties et elles supposent l'existence de mesures compensatrices.

1 ‑ Les caractéristiques des sanctions économiques

En premier lieu, toutes les juridictions canadiennes en matière de travail ont adopté comme politique législative de reporter le recours aux sanctions économiques jusqu'à ce que toutes les autres tentatives d'en arriver à une entente aient échoué. Comme l'ont souligné les professeurs H. W. Arthurs, D. D. Carter et H. J. Glasbeek dans Labour Law and Industrial Relations in Canada (2e éd. 1984), à la p. 213:

[TRADUCTION] Le droit canadien en matière de négociation collective oblige habituellement les parties à épuiser certaines procédures de règlement des conflits avant de recourir à la grève ou au lock‑out.

En Colombie‑Britannique par exemple, le recours à la grève ou au lock‑out est assujetti à un contrôle rigoureux en vertu du Labour Code et à un examen minutieux de la part de la Commission. En vertu du Code, il n'existe aucun droit de faire la grève ou de décréter le lock‑out pendant la durée de la convention collective. Ces droits ne prennent naissance qu'à l'expiration de la convention, quand les parties ont [TRADUCTION] "négocié collectivement au sujet du différend qui est à l'origine de la grève ou du lock‑out, sans réussir à conclure une convention collective" (art. 80). En ce qui a trait à la grève, on exige de plus la tenue d'un [TRADUCTION] "scrutin secret conformément aux règlements, par les employés de l'unité visée, sur l'opportunité de déclencher la grève", où [TRADUCTION] "la majorité des employés qui votent se prononcent en faveur de la grève" (art. 81). Le cas échéant, le droit de déclencher la grève ne peut être exercé que dans un délai de trois mois après le scrutin (al. 81(3)a)) et après la production par le syndicat d'un préavis de 72 heures indiquant que les employés déclencheront la grève (sous‑al. 81(3)b)(i) et (ii)). Lorsqu'un médiateur est désigné, un délai supplémentaire peut être nécessaire afin de lui permettre de faire rapport au Ministre (sous‑al. 81(3)b)(iii)).

En prescrivant qu'on ne peut recourir à la grève et au lock‑out que si les négociations sont dans une impasse, la Loi confirme l'objectif fondamental du "règlement ordonné et constructif des différends" qui est exprimé à l'al. 27(1)c) du Labour Code de la Colombie‑Britannique.

En deuxième lieu, le recours à une sanction économique dans la négociation collective implique nécessairement que la partie qui opte pour ce moyen subira une certaine perte. La négociation est fondée sur le compromis mutuel. En déclenchant une grève, les membres d'un syndicat acceptent d'être sans travail et de ne recevoir aucun salaire de l'employeur pendant la durée de la grève. De même, lorsqu'un employeur décrète un lock‑out, il accepte que son entreprise puisse fermer ses portes et qu'il puisse y avoir éventuellement une interruption de ses revenus.

En troisième lieu, l'existence d'une sanction économique suppose la possibilité d'une sanction correspondante ayant un effet proportionnel (Carrothers, précité, à la p. 577):

[TRADUCTION] Les régimes des relations industrielles au Canada sont, en vertu d'une politique législative mûrement réfléchie, fondés sur l'action collective, le recours aux forces du marché et la notion d'un pouvoir compensatoire. [Je souligne.]

2 ‑ Analyse

L'imposition unilatérale de conditions de travail, comme celle que la Commission a reconnue en l'espèce, ne comporte aucune de ces trois caractéristiques. En premier lieu, la politique énoncée par la Commission au cours de la nouvelle audition CAIMAW‑FIOE ne prévoit aucune interdiction d'imposer unilatéralement des conditions de travail pendant les premières étapes de la négociation. Théoriquement, en vertu de cette politique, une telle mesure unilatérale peut être adoptée en tout temps après l'expiration de la convention collective antérieure. Un tel résultat est particulièrement inusité si on le compare au droit en vigueur dans d'autres juridictions. Aux États‑Unis, on a créé en cas d'impasse une exception à l'interdiction générale d'imposer des conditions de travail. Cette exception est elle‑même assujettie à des restrictions quant à l'étendue, au contexte et aux modalités des modifications apportées par l'employeur (voir l'analyse de T. H. Murphy, "Impasse and the Duty to Bargain in Good Faith" (1977), 39 U. Pitt. L. Rev. 1, aux pp. 24 à 34). De plus, comme mon collègue le juge La Forest le souligne dans ses motifs, la majorité des provinces canadiennes interdisent les modifications unilatérales avant que n'ait été acquis le droit de déclencher la grève ou de décréter un lock‑out, ou avant que la négociation, la conciliation et la médiation n'aient échoué. Par conséquent, est presque unanimement reconnue la nécessité de geler les conditions de travail jusqu'au moment d'une impasse ou jusqu'à l'acquisition du droit de grève ou de lock‑out, ce qui se produit généralement plusieurs mois après l'expiration de la convention. Toutefois, selon la politique établie par la Commission, la Colombie‑Britannique serait la seule juridiction en Amérique du Nord où il est possible d'imposer unilatéralement des modifications avant ce moment.

En deuxième lieu, l'employeur ne subit aucun préjudice s'il décide de réduire les salaires ou d'autres avantages sociaux. Ainsi, l'imposition unilatérale de conditions de travail peut en fait être profitable à l'employeur puisqu'elle lui permet de continuer l'exploitation de son entreprise à un coût moindre.

En troisième lieu, puisque l'imposition unilatérale de nouvelles conditions pourrait théoriquement avoir lieu avant que ne soit acquis le droit à la grève en vertu du Labour Code, le syndicat ne dispose d'aucune sanction pouvant la contrebalancer. Le syndicat ne peut imposer à l'employeur les taux de rémunération, les horaires et les autres avantages qu'il cherche à obtenir. Il n'a d'autre choix que de s'accommoder des nouvelles conditions jusqu'à l'acquisition du droit de déclencher la grève, qu'il peut, encore là, être forcé d'exercer.

Qui plus est, contrairement à la grève et au lock‑out, l'imposition unilatérale de conditions de travail ne pousse pas nécessairement les deux parties à conclure une entente. Cette sanction ouvre la porte à un certain nombre d'abus du processus de négociation collective. La modification des conditions de travail peut avoir des répercussions négatives sur la négociation, notamment en discréditant le pouvoir du syndicat de négocier une convention ou en forçant indûment ce dernier à décider de déclencher la grève.

Le risque de miner le pouvoir du syndicat a été discuté dans une décision du Conseil canadien des relations du travail, Canadian Air Line Pilots Association c. Air Canada Montréal, Québec (1977), 24 di 203. Dans cette affaire, même si le code applicable gèle expressément les conditions de travail jusqu'à la naissance du droit de déclencher la grève, les préoccupations sous‑jacentes sont les mêmes qu'en l'espèce (à la p. 214):

Cette restriction [interdisant de modifier unilatéralement les conditions de travail] est imposée à l'employeur parce que le Parlement est conscient que c'est ce dernier qui, dans le cours normal des choses, est en mesure d'influencer le déroulement des événements à la table de négociation en prenant des décisions touchant l'exploitation de son entreprise sans au préalable consulter le syndicat. En prenant de telles décisions et en agissant de façon unilatérale, l'employeur peut miner le pouvoir de l'agent négociateur représentant les employés, empoisonner l'atmosphère dans laquelle se déroulent les négociations collectives et par la même occasion, déclencher un conflit de travail légal ou illégal qu'on aurait pu autrement éviter. Ces initiatives unilatérales sont contraires à l'esprit de collaboration auquel la Partie V de (sic) Code canadien du travail fait allusion et que le législateur a cherché à promouvoir. [Je souligne.]

L'objectif d'un "esprit de collaboration" prévu dans le Code canadien du travail s'apparente à l'objectif visant à "promouvoir l'existence de relations harmonieuses entre employeurs et employés" énoncé à l'al. 27(1)a) du Labour Code de la Colombie‑Britannique.

Des préoccupations semblables sont exprimées dans la décision U.E.W. and DeVilbiss Ltd., [1976] 2 CLRBR 101 (C.R.L. Ont.), à la p. 115:

[TRADUCTION] Lorsque, pendant les négociations avec un syndicat, un employeur met en vigueur de nouvelles conditions de travail qui n'ont même pas d'abord été proposées au syndicat, on peut logiquement présumer que la tactique vise à miner la position du syndicat — notamment en laissant entendre que la mise en place de conditions de travail avantageuses n'exige pas la présence de l'agent négociateur.

Ici encore, il ne fait aucun doute, selon moi, que l'art. 27 du Labour Code vise à protéger l'intégrité du processus de négociation contre toute possibilité d'abus du genre décrit plus haut par la Commission des relations de travail de l'Ontario.

Ces préoccupations quant à l'intégrité du processus de négociation sont encore plus aiguës lorsque l'employeur procède à la réduction ou à l'annulation d'avantages sociaux. De par leur nature, ces modifications sont préjudiciables à la liberté des syndicats de décider de l'opportunité de déclencher une grève. En fait, en réduisant les conditions de travail, l'employeur ne laisse au syndicat et aux employés que les choix suivants: continuer de travailler sous le régime des nouvelles conditions qui sont moins favorables ou déclencher la grève même s'il se peut que cette mesure ne soit pas celle que les employés aient eu l'intention de prendre. Si aucune grève n'est déclenchée, les employés perdent alors confiance dans le syndicat qui n'a pu empêcher la réduction de leurs conditions de travail. Si le syndicat est forcé de déclencher la grève à un moment inopportun, le même résultat destructeur est susceptible de se produire. Acculer le syndicat à un tel choix, c'est se moquer du régime de négociation. Un tel ultimatum cause un tort particulièrement important au régime puisque les pressions sont exercées sur les participants les plus vulnérables du processus: les employés eux‑mêmes. Le déséquilibre fondamental que vise à corriger le droit d'association des employés est décrit en détail par Carrothers, précité, à la p. 4:

[TRADUCTION] Lorsqu'il négocie avec son employeur les conditions auxquelles il vendra ses services, l'employé, pris individuellement, est dans une situation désavantageuse qui ne peut être contrebalancée. Alors que le processus d'exploitation fait preuve d'une grande capacité de substituer une personne à une autre ou un emploi à un autre, et que l'économie fonctionne à un régime n'assurant pas le plein emploi, la plupart des travailleurs doivent accepter les conditions offertes ou se passer de travail.

En visant chacun des employés et en les forçant à choisir entre l'acceptation des conditions inférieures ou l'arrêt de travail, l'imposition unilatérale de conditions de travail forme une catégorie à part du fait qu'elle constitue une sanction économique qui est fondamentalement destructrice de la liberté d'engager des négociations collectives et qui frappe au c{oe}ur de la liberté des employés de se regrouper en syndicat et d'amener l'employeur à négocier collectivement. Le seul effet prévisible de cette mesure est d'attiser inutilement les conflits de travail. Un tel résultat va à l'encontre des objectifs énoncés à l'art. 27 du Labour Code. Ces préoccupations ont été abordées dans la décision Local 155 of International Molders and Allied Workers Union v. National Labour Relations Board, 442 F.2d 742 (D.C. 1971), où l'employeur avait réduit les avantages sociaux de manière à forcer le syndicat à déclencher la grève. La conclusion de la Commission, confirmée par la Cour d'appel, est à l'effet suivant (à la p. 747):

[TRADUCTION] Il semblerait raisonnable de déduire que lorsqu'une partie à la négociation prend une mesure dont l'un des objectifs au moins est l'arrêt de travail, un tel comportement va à l'encontre des objectifs énoncés dans la Loi et révèle un but incompatible avec la négociation de bonne foi.

En fixant comme objectif l'amélioration de la négociation collective [TRADUCTION] "entre les employeurs et les syndicats en leur qualité de représentants librement élus des employés", l'al. 27(1)b) du Labour Code souligne le rôle souverain que joue le syndicat dans la négociation. Ce rôle est également mis en relief à l'al. 46a) du Code, qui prévoit:

[TRADUCTION] 46. Lorsqu'un syndicat est accrédité à titre d'agent négociateur d'une unité de négociation appropriée,

a)il a le pouvoir exclusif de négocier collectivement au nom de l'unité de négociation et de la lier au moyen d'une convention collective jusqu'à l'annulation de l'accréditation;

Puisque la définition que donne le Code de l'expression [TRADUCTION] "négociation collective" comprend [TRADUCTION] "la réglementation des relations entre l'employeur et les employés" (art. 1), l'art. 46 confère à un syndicat accrédité le pouvoir exclusif de négocier même après l'expiration de la convention collective.

Dans l'affaire Cariboo College and Cariboo College Faculty Ass'n (1983), 4 CLRBR (NS) 320, la Commission a conclu que l'art. 46 empêche un employeur, à l'expiration d'une convention collective, de mettre en vigueur unilatéralement de nouvelles conditions de travail par la communication directe avec les employés. Le vice‑président Sheen écrit, aux pp. 336 et 337:

[TRADUCTION] En Colombie‑Britannique, en raison des dispositions de l'art. 46 du Labour Code, un employeur ne peut modifier unilatéralement les conditions de travail d'un employé même pendant l'intervalle entre l'expiration de la convention et le début d'une grève ou d'un lock‑out. En effet, aux termes de cet article, un syndicat accrédité pour représenter les employés d'une unité de négociation a le pouvoir exclusif de "négocier collectivement" au nom de cette unité et de conclure une convention qui la lie.

. . .

[M]ême si aucune convention collective n'est en vigueur, lorsqu'un employeur désire modifier les conditions de travail des employés de cette unité, il doit le faire par le biais de négociations avec l'agent négociateur accrédité — il ne peut obtenir de convention légalement exécutoire en négociant personnellement avec chaque employé ou en lui imposant unilatéralement de nouvelles conditions. En effet, tant que le syndicat est l'agent négociateur accrédité de ces employés, l'expiration de la convention collective ne donne pas à l'employeur le droit de négocier personnellement avec chacun des employés.

Il ajoute ceci:

[TRADUCTION] . . . le collège a tenté de conclure et de mettre à exécution le contrat de neuf mois, tout au moins jusqu'à la conclusion d'une nouvelle convention collective. Ce faisant, il a tenté de faire directement avec les employés ce qu'il ne pouvait accomplir en négociant avec l'association de la faculté. Une telle conduite constitue une tentative de miner le pouvoir exclusif de négociation de cette dernière et une violation de l'art. 6.

Ce raisonnement a toutefois été écarté subséquemment par la Commission lors de l'affaire CAIMAW et de la nouvelle audition CAIMAW‑FIOE qui sont à l'origine du présent litige, distinction fondée sur le fait que:

[TRADUCTION] . . . en vertu de l'art. 46 du Code, un employeur ne peut, à l'égard des conditions de travail, engager des négociations ou ni traiter directement avec les employés faisant partie d'une unité de négociation. De telles négociations directes entre employeur et employés ne reconnaîtraient sûrement pas l'exclusivité du pouvoir de négociation collective du syndicat: article 46.

La Commission a interprété étroitement la décision Cariboo College comme ne s'appliquant pas aux affaires où la mesure unilatérale visant les conditions de travail est prise par l'employeur en communiquant avec l'agent négociateur plutôt qu'avec chacun des employés. La Commission écrit (à la p. 35):

[TRADUCTION] Malgré tout le respect que nous devons au comité qui a rendu la décision Cariboo College [publiée à (1983), 4 Can. L.R.B.R. (N.S.) 320], nous estimons ne pouvoir être d'accord avec certaines des conclusions arrêtées dans cette affaire [. . .] Toutefois, l'analyse faite dans Cariboo College ne nous convainc pas que les décisions qui y sont citées appuient la notion selon laquelle un employeur ne peut modifier les conditions de travail après l'expiration d'une convention collective. En d'autres termes, nous ne concluons pas que l'imposition unilatérale, par un employeur, de nouvelles conditions de travail après l'expiration d'une convention collective constitue une négociation directe avec les employés et un défaut de reconnaître l'exclusivité du pouvoir de négociation collective du syndicat.

Après avoir reconsidéré la décision Cariboo College, la Commission a jugé qu'elle [TRADUCTION] "était allée trop loin" et qu'il y avait [TRADUCTION] "une trop grande rigidité" dans son interprétation antérieure de l'art. 46. Les motifs de ce changement de point de vue sont énoncés en détail par le comité ayant procédé à la nouvelle audition CAIMAW‑FIOE. En premier lieu, la Commission a conclu que le [TRADUCTION] "poids de la jurisprudence" favorisait la nouvelle interprétation et elle s'est dite d'avis qu'il était [TRADUCTION] "déplacé" de faire reposer la décision Cariboo College sur l'arrêt Re Telegram Publishing Co. and Zwelling (1975), 67 D.L.R. (3d) 404 (C.A. Ont.) La Commission a ajouté les motifs suivants qui expliquent son désaccord relativement à l'interprétation donnée dans la décision Cariboo College:

[TRADUCTION] Il faut aussi tenir compte de la structure globale du Labour Code puisqu'elle est pertinente en l'espèce. L'article 51 prévoit que lorsqu'une demande d'accréditation a été présentée, l'employeur ne peut, sans le consentement de la commission des relations du travail, modifier une condition de travail des employés touchés par la demande. Lorsqu'une accréditation est accordée, l'interdiction est prolongée, en vertu de l'article 61, jusqu'à l'expiration d'une période de quatre mois suivant l'accréditation ou jusqu'à la signature de la convention collective, selon la première de ces éventualités. Naturellement, lorsque l'article 61 entre en jeu, il en est de même de l'article 46. D'où les trois propositions suivantes. En premier lieu, l'article 61 serait tout à fait inutile si l'article 46 avait en soi le résultat envisagé par le comité dans l'affaire Cariboo College. En deuxième lieu, si ce résultat est exact, la suppression, après quatre mois, de l'interdiction absolue d'apporter des modifications unilatérales (sous réserve uniquement de l'autorisation de la commission des relations du travail) deviendrait illusoire. En troisième lieu, l'expiration de la période de quatre mois, loin d'entraîner un relâchement des restrictions imposées à l'employeur, conduirait à une stérilisation complète de la capacité d'apporter des modifications non négociées (sous réserve uniquement de l'abandon par le syndicat de son accréditation à titre d'agent négociateur), peu importe que la commission des relations du travail soit prête éventuellement à donner son consentement. La commission n'aurait tout simplement pas le pouvoir de donner son consentement.

Énoncer une telle situation, c'est la répudier. L'article 51 est une reconnaissance du fait que la période précédant l'accréditation est celle qui est la plus délicate. L'article 61 est une reconnaissance du fait que la période suivant l'accréditation est également très délicate et que la protection, accordée par la Loi, contre l'action unilatérale de l'employeur continue d'être justifiée pendant un certain temps, mais pas pour toujours. À un moment donné, la nouvelle association doit voler de ses propres ailes. Elle doit compter sur ses propres forces de négociation et sur sa volonté d'avoir recours aux mécanismes de la négociation collective.

Comme l'a souligné le juge La Forest, il est évident que la Commission a tenté de justifier rationnellement sa conclusion. Ce faisant, elle a toutefois omis de tenir compte d'un élément essentiel de son mandat: l'art. 27. Si elle avait prêté attention aux directives fondamentales exprimées dans cette disposition, la Commission n'aurait pu faire autrement qu'arriver à une conclusion semblable à celle déjà énoncée dans Cariboo College et endosser une solution semblable aux politiques de contrôle qui sont universellement appliquées dans d'autres juridictions.

Quoi qu'il en soit, l'interprétation donnée par la Commission manque de rationalité. Même s'il peut y avoir un certain chevauchement entre le gel prévu par l'art. 61 et le principe du pouvoir exclusif de négocier, il ne s'ensuit pas nécessairement que l'art. 61 devient inutile ni que le gel est illusoire. Dès que la convention est conclue, la protection garantie par l'art. 61 et le gel ne sont plus nécessaires puisque c'est alors la nature exécutoire de la convention qui assure cette protection. En fait, il est incontestable que, pendant la durée de la convention collective, l'employeur est lié par les conditions qui y sont prescrites (voir l'art. 64, l'arrêt Syndicat catholique des employés de magasins de Québec Inc. v. Cie Paquet Ltée, [1959] R.C.S. 206, et l'arrêt McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718). Pour paraphraser les termes de la décision du comité dans la nouvelle audition CAIMAW‑FIOE, cela ne rend pas "la suppression [. . .] de l'interdiction absolue d'apporter des modifications unilatérales [. . .] illusoire". L'interdiction prend tout simplement sa source ailleurs dans le Code. La conclusion d'une convention collective, pour reprendre les mots de la Commission, peut également "conduir[e] à une stérilisation complète de la capacité d'apporter des modifications non négociées"; pourtant, il ne s'agit pas là d'une situation indésirable. Bien au contraire, les parties négocient justement dans le but de conclure une entente qui amènera de la certitude dans les relations du travail pendant une période déterminée.

De plus, il me semble que pour mieux s'harmoniser à l'art. 27, la Commission aurait dû donner aux motifs de la décision Cariboo College une application libérale. Dans cette affaire, l'atteinte principale au pouvoir exclusif de négocier du syndicat ne découlait pas du seul fait qu'un employeur avait avisé les employés, personnellement ou au moyen d'une lettre circulaire affichée dans les lieux de travail, du projet de modification des conditions. Même s'il se peut que cela ait constitué une partie accessoire du problème, il n'en demeure pas moins que la diminution du pouvoir du syndicat résultait du fait que des modifications aux conditions de travail avaient été apportées sans la participation du représentant des employés. Interpréter, comme l'a fait la Commission, le principe du pouvoir exclusif de négocier comme exigeant simplement que l'employeur [TRADUCTION] "communique les conditions du nouveau contexte post‑convention collective directement au syndicat plutôt qu'aux employés", c'est dépouiller de toute efficacité le régime de négociation collective enchâssé dans la Loi.

La Cour d'appel a conclu que la solution de rechange proposée par la Commission entraînerait le "chaos" dans les relations du travail en Colombie‑Britannique. Les cinq juges de la Cour d'appel ont statué qu'il était "manifestement déraisonnable" pour la Commission de conclure que l'employeur avait ce pouvoir, en partie parce que ce pouvoir était incompatible avec la nécessité d'instaurer des relations industrielles efficaces. Le juge Seaton fait observer au nom de la cour:

[TRADUCTION] On n'a présenté aucune justification de la prétention selon laquelle "l'employeur a le pouvoir en vertu du Labour Code de procéder à des modifications unilatérales . . .". Aucun article ne prévoit cela ni ne permet de le déduire. Dans son ensemble, le Code recherche la stabilité que procure une entente. Ce nouveau pouvoir crée de l'instabilité découlant d'une action unilatérale. [Je souligne.]

Je partage l'opinion de la Cour d'appel quant au caractère manifestement déraisonnable de l'action unilatérale permise par la Commission en l'espèce.

Même si les motifs qui précèdent sont suffisants pour trancher le présent pourvoi, il me paraît nécessaire d'ajouter quelques brèves remarques sur la procédure suivie par la Commission.

III

Procédure d'établissement d'une politique

Le défaut de la Commission de rejeter une solution de principe contraire aux objectifs fondamentaux de la Loi peut s'expliquer par le fait qu'elle a choisi de rendre cette décision de principe dans le cadre d'un litige privé entre deux parties. La Commission n'a pas bénéficié des points de vue que d'autres parties auraient pu exprimer à cet égard si elle avait choisi un autre moyen pour formuler sa politique. Il se peut donc que la gamme des conséquences de la politique proposée n'ait pas été portée complètement à l'attention de la Commission.

Le Code prévoit des mécanismes qui permettent à la Commission d'élargir la portée et l'étendue des procédures dont elle est saisie. Le premier ensemble de mécanismes comporte des rajustements de procédure qui peuvent être apportés à l'audition:

[TRADUCTION] 35. Eu égard à la procédure ou aux questions dont elle est saisie, la commission a le pouvoir

a)d'assigner des témoins, de les contraindre à comparaître et à faire des dépositions orales ou écrites, sous serment, ainsi qu'à produire les documents et choses que la commission juge nécessaires pour lui permettre de faire un examen complet d'une question qui relève de sa compétence et dont elle est saisie dans le cadre de la procédure;

. . .

k)d'ajourner ou de reporter la procédure;

. . .

n)d'ajouter une partie à toute étape de la procédure.

Le deuxième ensemble entraîne une modification plus radicale de la nature de la procédure. La Commission a le pouvoir de tenir des audiences publiques pour l'élaboration d'énoncés de politique, au cours desquelles elle est largement libérée des restrictions inhérentes à un litige privé:

[TRADUCTION] 27. . . .

(2) La commission peut formuler des lignes directrices générales pour faciliter l'application de la présente loi; la commission n'est toutefois pas liée par ces lignes directrices dans l'exercice de ses pouvoirs ou de ses fonctions;

(3) Pour formuler des lignes directrices générales, la commission peut demander à quiconque de lui soumettre des observations;

(4) La commission conservera par écrit, à des fins de publication, toutes les lignes directrices générales formulées en vertu du présent article, de même que leurs modifications et révisions.

Lors d'une audience visant l'établissement d'une politique tenue en vertu des par. 27(2) et (3), toute partie intéressée aurait la possibilité de soumettre des observations, ce qui permettrait à la Commission de rendre une décision de principe conforme à l'intérêt public et aux objectifs fondamentaux de la Loi. Ces dispositions traduisent l'intention du législateur de favoriser une large participation des personnes du milieu des relations du travail aux procédures qui mettent en cause des questions d'intérêt général. Même si des questions de principe peuvent se présenter sous certaines formes dans des litiges privés et que la Commission a le pouvoir, en vertu de l'art. 38, de prononcer des opinions déclaratoires dans des cas particuliers, certaines questions de principe supposent nécessairement le recours aux mécanismes prévus aux art. 27 et 35. J'ajouterais seulement que dans un cas comme celui dont nous sommes saisis, lorsqu'il y a un changement d'orientation de la politique suivie antérieurement, que le domaine en cause révèle une lacune dans la loi habilitante et que la question soulevée est d'une importance cruciale pour les employeurs, les syndicats et les employés en général, la question peut être tranchée de façon plus adéquate dans le cadre d'une audience visant l'établissement d'énoncés de politique.

IV

Conclusion et dispositif

Pour les motifs qui précèdent, je conclus qu'en permettant à un employeur d'imposer unilatéralement des conditions de travail à l'expiration d'une convention collective, sous réserve uniquement de l'obligation de négocier de bonne foi, la Labour Relations Board of British Columbia a interprété le Labour Code d'une façon manifestement déraisonnable. Ce faisant, la Commission a commis une erreur de compétence et sa décision ne saurait être maintenue.

Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l'ordonnance de la Cour d'appel qui a elle‑même confirmé l'ordonnance du juge Meredith qui avait annulé les décisions de la Commission et renvoyé l'affaire devant la Commission pour nouvel examen, le tout avec dépens.

Pourvoi accueilli avec dépens, les juges WILSON et L'HEUREUX‑DUBÉ sont dissidentes.

Procureurs de l'appelante: Russell & DuMoulin, Vancouver.

Procureurs de l'intimée l'Association canadienne des travailleurs des industries mécaniques et assimilées, section locale 14: Rankin & Company, Vancouver.

Procureurs de l'intimée l'Industrial Relations Council of British Colombia: Campney & Murphy, Vancouver.

* Le juge McIntyre n'a pas pris part au jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1989] 2 R.C.S. 983 ?
Date de la décision : 26/10/1989

Parties
Demandeurs : Caimaw
Défendeurs : Paccar of canada ltd.
Proposition de citation de la décision: Caimaw c. Paccar of canada ltd., [1989] 2 R.C.S. 983 (26 octobre 1989)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-10-26;.1989..2.r.c.s..983 ?
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