R. c. Wiggins, [1990] 1 R.C.S. 62
Lewis Anthony Wiggins Appelant
c.
Sa Majesté La Reine Intimée
répertorié: r. c. wiggins
No du greffe: 20993.
1989: 5 octobre; 1990: 25 janvier.
Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et McLachlin.
en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1988), 42 C.C.C. (3d) 303, qui a rejeté un appel contre une déclaration de culpabilité prononcée par le juge Dohm. Pourvoi rejeté. L'alinéa 178.11(2)a) du Code ne porte pas atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8 de la Charte, mais l'interception de communications privées, par un organe de l'État, avec le consentement de l'auteur de la communication ou de la personne à laquelle il la destine, sans autorisation judiciaire préalable, constitue une atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8. L'alinéa 178.16(1)b) du Code ne porte pas atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8 de la Charte. Il n'est pas nécessaire de répondre aux deuxième et quatrième questions constitutionnelles.
Peter Alexander Hart et Ross Laurence Senior, pour l'appelant.
S. David Frankel, c.r., pour l'intimée.
//Le juge La Forest//
Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier et McLachlin rendu par
LE JUGE LA FOREST — Bien qu'il y ait des questions subsidiaires, la question principale dans ce pourvoi est identique à celle de l'affaire connexe R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 000. En bref, le présent pourvoi concerne la protection qu'accorde l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés contre l'enregistrement électronique de conversations de particuliers avec des policiers et avec des indicateurs, sans autorisation judiciaire.
Les faits
L'appelant, Lewis Anthony Wiggins, était propriétaire d'un bateau, le Beaufort Spirit, que le ministère public l'accuse d'avoir utilisé pour la réalisation d'un projet d'importation de stupéfiants au Canada. Il ressort de la preuve produite au procès que l'appelant est entré en contact avec un certain Seed qui était un indicateur, ce que l'appelant ne savait pas, et lui a demandé s'il voulait investir dans le projet. L'indicateur a informé la police de cette conversation et, à la demande de la police, a eu avec l'appelant d'autres entretiens au cours desquels il était muni d'un "micro‑émetteur de poche", c.‑à‑d. un émetteur électromagnétique qui transmettait les conversations à la police qui les enregistrait. L'indicateur a reçu de la police des "capitaux d'amorçage" qu'il a donnés à l'appelant à titre d'"investissement" dans le projet. Dans une conversation enregistrée, l'appelant a dit à l'indicateur comment les stupéfiants avaient été obtenus, comment ils étaient soudés dans la coque du bateau et comment ils étaient transportés et cachés à leur arrivée en Colombie‑Britannique. La police a perquisitionné le bateau de l'appelant mais n'y a découvert ni stupéfiants ni éléments de preuve confirmant l'exposé détaillé fait par l'appelant de la manière dont les stupéfiants avaient été cachés en Colombie‑Britannique.
À l'issue du procès, l'avocat de l'appelant a présenté au jury la théorie de la défense, selon laquelle l'appelant avait menti à l'indicateur quand il lui avait expliqué que les stupéfiants avaient été soudés dans la coque du bateau et comment ils avaient été cachés. L'appelant n'a pas témoigné. Le juge du procès a fait son exposé au jury le jour même où la défense avait présenté sa thèse. Le juge a dit qu'il ne répéterait pas les théories des parties puisque leurs avocats les avaient déjà bien exposées. L'appelant a été déclaré coupable d'avoir comploté d'importer un stupéfiant en contravention de l'al. 423(1)d) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34.
L'appelant a alors interjeté appel devant la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique. Il a d'abord tenté de faire admettre de nouveaux éléments de preuve mais la demande à cet effet a été rejetée sur le fondement des principes énoncés dans l'arrêt Palmer et Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759.
Les divers moyens d'appel de l'appelant ont également été rejetés. Le premier de ceux‑ci, selon lequel le juge du procès avait commis une erreur en ne présentant pas la théorie de la défense au jury, a été écarté parce que la cour a décidé qu'il s'agissait en l'espèce d'un de ces rares cas, reconnus dans l'arrêt Azoulay v. The Queen, [1952] R.C.S. 495, où il n'est pas nécessaire que le juge le fasse. Le deuxième -‑ selon lequel le juge du procès avait eu tort d'admettre en preuve le passeport de l'appelant puisqu'un passeport déposé auprès de la police conformément aux conditions de la mise en liberté judiciaire provisoire ne peut servir d'élément de preuve -‑ a été rejeté par la cour pour le simple motif qu'il était trop tard pour soulever cette objection.
Le troisième moyen d'appel était que l'enregistrement de ses conversations avec l'indicateur était une atteinte à la vie privée de l'appelant. La cour a cité et approuvé l'arrêt R. v. Sanelli (1987), 60 C.R. (3d) 142, dans lequel la Cour d'appel de l'Ontario statue que l'al. 178.11(2)a) du Code criminel ne va pas à l'encontre de l'art. 8 de la Charte et qu' [TRADUCTION] "il n'existe aucune attente raisonnable de respect de la vie privée dans le cas d'une conversation à laquelle prend part une personne qui a consenti à ce qu'elle soit interceptée et enregistrée". Aucune règle de droit, a souligné la cour, ne dit que [TRADUCTION] "lorsque la police sait que quelqu'un est sur le point de révéler un renseignement privé à une autre personne, elle doit obtenir l'autorisation d'un juge pour que cette autre personne puisse écouter ce qui se dit ou l'enregistrer secrètement". Ce moyen d'appel a aussi été rejeté par la cour.
En appel devant notre Cour, l'appelant a soulevé les mêmes questions, mais a fait valoir en outre que le ministère public avait supprimé un élément de preuve, c'est‑à‑dire le livret d'information sur la stabilité du bateau, et que ce livret appuierait le point de vue de l'appelant.
Analyse et dispositif
Je traiterai d'abord de l'interception de communications privées par la police, par l'intermédiaire de l'indicateur, au sujet de laquelle les questions constitutionnelles suivantes ont été formulées:
1.L'alinéa 178.11(2)a) du Code criminel qui légalise l'interception des communications privées avec le consentement de l'auteur de la communication ou de la personne à qui elle est destinée sans qu'il soit nécessaire d'obtenir d'autorisation judiciaire, porte‑t‑il atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés?
2.Si l'alinéa 178.11(2)a) du Code criminel porte atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés est‑il justifié aux termes de l'article premier de la Charte et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?
3.L'alinéa 178.16(1)b) du Code criminel, qui rend admissible en preuve une communication privée interceptée illégalement, à la condition que l'auteur de cette communication privée ou la personne à laquelle son auteur la destinait ait expressément consenti à ce qu'elle soit admise en preuve, porte‑t‑il atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés?
4.Si l'alinéa 178.16(1)b) du Code criminel porte atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, est‑il justifié par l'article premier de la Charte et, par conséquent, compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?
Pour les raisons exposées dans l'arrêt R. c. Duarte, précité, je suis d'avis que la surveillance électronique participative menée par la police et un indicateur en l'espèce porte atteinte au droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garanti par l'art. 8 de la Charte et n'est pas justifiée en vertu de l'article premier. Toutefois, pour les motifs également exposés dans l'arrêt R. c. Duarte, j'estime que l'appelant ne s'est pas acquitté de l'obligation qui lui incombait d'établir que l'utilisation des enregistrements des communications interceptées en l'espèce serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Cette preuve ne doit donc pas être écartée. En fait, ce point est encore plus vrai en l'espèce que dans R. c. Duarte, puisque l'appelant n'a pas nié que les déclaration interceptées avaient été faites. Sa défense consistait simplement à dire qu'il avait menti, et il est manifeste que le jury n'a pas accepté cette explication.
Pour les motifs énoncés dans l'arrêt R. c. Duarte, la question de la constitutionnalité des al. 178.11(2)a) et 178.16(1)b) ne se posait pas de la manière retenue par les avocats pour définir le point litigieux.
Pour ce qui est des autres questions, il suffit de dire que, selon moi, celles qui ont été soulevées en Cour d'appel ont été bien tranchées par cette dernière et que le moyen alléguant la suppression d'un élément de preuve est sans fondement.
Je suis d'avis de rejeter le pourvoi. Je répondrais aux questions constitutionnelles de la façon suivante:
1.L'alinéa 178.11(2)a) du Code criminel qui légalise l'interception des communications privées avec le consentement de l'auteur de la communication ou de la personne à qui elle est destinée sans qu'il soit nécessaire d'obtenir d'autorisation judiciaire, porte‑t‑il atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés?
L'alinéa 178.11(2)a) du Code ne porte pas atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8 de la Charte, mais l'interception de communications privées, par un organe de l'État, avec le consentement de l'auteur de la communication ou de la personne à laquelle il la destine, sans autorisation judiciaire préalable, constitue une atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8.
2.Si l'alinéa 178.11(2)a) du Code criminel porte atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés est‑il justifié aux termes de l'article premier de la Charte et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?
Il n'est pas nécessaire de répondre à cette question.
3.L'alinéa 178.16(1)b) du Code criminel, qui rend admissible en preuve une communication privée interceptée illégalement, à la condition que l'auteur de cette communication privée ou la personne à laquelle son auteur la destinait ait expressément consenti à ce qu'elle soit admise en preuve, porte‑t‑il atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés?
L'alinéa 178.16(1)b) du Code ne porte pas atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8 de la Charte.
4.Si l'alinéa 178.16(1)b) du Code criminel porte atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, est‑il justifié par l'article premier de la Charte et, par conséquent, compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?
Il n'est pas nécessaire de répondre à cette question.
//Le juge Lamer//
Version française des motifs rendus par
LE JUGE LAMER — Pour les motifs exposés dans l'arrêt R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 000, je suis d'avis de rejeter ce pourvoi.
Pourvoi rejeté. L'alinéa 178.11(2)a) du Code ne porte pas atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8 de la Charte, mais l'interception de communications privées, par un organe de l'État, avec le consentement de l'auteur de la communication ou de la personne à laquelle il la destine, sans autorisation judiciaire préalable, constitue une atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8. L'alinéa 178.16(1)b) du Code ne porte pas atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 8 de la Charte. Il n'est pas nécessaire de répondre aux deuxième et quatrième questions constitutionnelles.
Procureur de l'appelant: Peter Alexander Hart, Vancouver.
Procureur de l'intimée: John C. Tait, Ottawa.