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15/02/1990 | CANADA | N°[1990]_1_R.C.S._225

Canada | R. c. Van rassel, [1990] 1 R.C.S. 225 (15 février 1990)


R. c. Van Rassel, [1990] 1 R.C.S. 225

Michael Adrian Van Rassel Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

répertorié: r. c. van rassel

No du greffe: 20719.

1989: 1er novembre; 1990: 15 février.

Présents: Les juges Lamer, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel du québec

Droit criminel -- Autrefois acquit -- Chose jugée comme fin de non-recevoir — Principe de l'arrêt Kienapple -- Accusé inculpé au Canada d'abus de confiance après avoir été acquitté aux États‑U

nis de trois accusations fondées sur les mêmes faits et circonstances -- Application des principes de double péril -- Code c...

R. c. Van Rassel, [1990] 1 R.C.S. 225

Michael Adrian Van Rassel Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

répertorié: r. c. van rassel

No du greffe: 20719.

1989: 1er novembre; 1990: 15 février.

Présents: Les juges Lamer, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel du québec

Droit criminel -- Autrefois acquit -- Chose jugée comme fin de non-recevoir — Principe de l'arrêt Kienapple -- Accusé inculpé au Canada d'abus de confiance après avoir été acquitté aux États‑Unis de trois accusations fondées sur les mêmes faits et circonstances -- Application des principes de double péril -- Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 111, 534, 535, 537.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Double péril -- Accusé inculpé au Canada d'abus de confiance après avoir été acquitté aux États‑Unis de trois accusations fondées sur les mêmes faits et circonstances — L'accusé peut‑il bénéficier de la protection de l'art. 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés?

L'appelant, un agent de la G.R.C. et un membre d'une équipe internationale de lutte contre la drogue, a été arrêté en Floride et accusé aux États‑Unis d'avoir sollicité et accepté des pots‑de‑vin en échange d'informations qui lui auraient été données par les autorités américaines. À son procès, l'appelant a été acquitté. Par la suite, il a été accusé au Canada d'abus de confiance en vertu de l'art. 111 du Code criminel. Le juge du procès a statué que l'appelant avait déjà été acquitté des mêmes infractions aux États‑Unis et a ordonné un arrêt des procédures. La Cour d'appel a accueilli l'appel du ministère public, rejeté le plaidoyer d'autrefois acquit et ordonné la continuation du procès.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le concept de double péril est un principe d'application générale qui s'exprime par des règles plus particulières, comme le plaidoyer d'autrefois acquit, la chose jugée comme fin de non-recevoir (issue estoppel) et le principe de l'arrêt Kienapple. Malgré leur origine commune, chacun de ces principes diffère dans leurs détails d'application. Quant à l'al. 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés, son application doit être déterminée en considérant le libellé de cet alinéa. La Cour d'appel a donc fait erreur en ne considérant que la défense d'autrefois acquit sans se pencher sur les autres défenses soulevées par l'appelant.

Les défenses invoquées par l'appelant sont rejetées. Pour établir la défense d'autrefois acquit, un accusé doit démontrer l'identité des deux accusations portées contre lui. En particulier, il doit prouver que les deux conditions suivantes sont remplies: (1) il doit s'agir de la même affaire, en totalité ou en partie; et (2) le nouveau chef d'accusation doit être le même qu'au premier procès, ou être implicitement inclus dans celui du premier procès, soit en droit, soit en raison de la preuve faite s'il avait alors été légalement possible d'y apporter les modifications nécessaires. En l'espèce, l'appelant n'aurait pas pu être condamné sur la base des accusations américaines pour les infractions dont on l'accuse au Canada même si les modifications nécessaires (ne changeant pas le caractère de l'infraction) avaient été faites. Les accusations canadiennes ont pour objet des événements canadiens, elles n'exigent aucune preuve de paiement en échange d'informations ou d'influence illégale, et elles sont fondées sur l'abus de confiance d'un fonctionnaire canadien envers le peuple canadien. Elles se distinguent donc nettement des accusations américaines.

Le principe de l'arrêt Kienapple ne s'applique pas à des infractions reliées à des victimes différentes. Puisque en l'espèce l'appelant avait une obligation générale de loyauté envers le peuple canadien ainsi qu'une obligation temporaire de loyauté envers les États‑Unis, le principe de l'arrêt Kienapple est inapplicable.

Un tribunal ne doit pas se pencher sur une question en litige qui a déjà été tranchée par un autre tribunal. La chose jugée comme fin de non‑recevoir ne s'applique toutefois que dans les circonstances où il ressort nettement des faits que la question a déjà été tranchée. Dans la présente cause, compte tenu des différences entre les accusations américaines et les accusations canadiennes, rien n'indique que le jury américain a conclu en faveur de l'appelant sur les points particuliers soulevés dans les accusations canadiennes.

Finalement, l'al. 11h) de la Charte ne s'applique que dans des circonstances où les deux infractions pour lesquelles un accusé est poursuivi sont les mêmes. En l'espèce, les infractions américaines et canadiennes sont différentes parce qu'elles sont fondées sur des obligations d'un caractère différent. Même si les infractions américaines et canadiennes sont de nature purement criminelle, la conduite qu'on reproche à l'appelant comporte un double aspect: un écart de conduite en tant que fonctionnaire canadien ayant une obligation spéciale envers le public canadien en vertu de l'art. 111 du Code et un écart de conduite en tant que fonctionnaire américain ou membre du public américain assujetti temporairement à la loi américaine. Puisque les infractions visent des obligations différentes, l'appelant doit donc rendre compte de sa conduite à la fois au public canadien ainsi qu'au public américain.

Jurisprudence

Arrêts appliqués: R. c. Prince, [1986] 2 R.C.S. 480; R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541; arrêts mentionnés: Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729; R. v. Thomas, [1985] Q.B. 604; R. v. Stratton (1978), 3 C.R. (3d) 289; Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 178; Abbate v. United States, 359 U.S. 187 (1959); Bartkus v. Illinois, 359 U.S. 121 (1959); R. v. Aughet (1918), 118 L.T. 658; Gushue c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 798; Wright v. The Queen, [1963] R.C.S. 539; Connelly v. Director of Public Prosecutions, [1964] A.C. 1254.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, art. 11h).

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 111, 534(1) [abr. & rempl. 1974‑75‑76, ch. 105, art. 7], 535(1), (5) [abr. & rempl. 1985, ch. 19, art. 126], 537(1).

18 U.S.C. {SS} 201(c), 641.

Doctrine citée

Halsbury's Laws of England, vol. 2, 4th ed. London: Butterworths, 1976.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1988] R.J.Q. 112, 11 Q.A.C. 151, qui a accueilli l'appel du ministère public à l'encontre d'un jugement de la Cour supérieure[1], qui avait ordonné la suspension d'instance sur les quatre chefs d'accusation portés contre l'accusé. Pourvoi rejeté.

Lawrence Corriveau, c.r., pour l'appelant.

Daniel Brunet, pour l'intimée.

//Le juge McLachlin//

Le jugement de la Cour a été rendu par

Le juge McLachlin -- La question en litige dans cette cause est la suivante: une personne, en l'occurrence un policier de la G.R.C., peut-elle être poursuivie pour des infractions prévues au Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, après avoir été acquittée aux États-Unis de trois accusations fondées sur les mêmes faits et circonstances que ceux allégués devant un tribunal canadien?

Les faits se résument ainsi: l'agent Van Rassel travaillait pour la G.R.C. à Roberval. Cette dernière menait une enquête à Montréal conjointement avec la Drug Enforcement Administration du ministère de la Justice des États-Unis dans le district Sud de la Floride. En sa qualité officielle de membre de l'équipe internationale, Van Rassel a reçu des rapports officiels de la Drug Enforcement Administration des États-Unis. Les rapports impliquaient M. Réal Gaudreau, ancien résident de la région du Lac St-Jean, qui habitait alors à Hollywood en Floride. Van Rassel a demandé et obtenu des vacances, et s'est rendu en Floride. On a allégué que Van Rassel a rencontré Gaudreau et lui a divulgué des informations confidentielles contenues dans certains des rapports en question.

Les autorités américaines ont porté plainte contre Van Rassel. Les chefs d'accusation mentionnaient que Van Rassel avait sollicité et accepté des pots-de-vin en échange d'informations qui lui auraient été données par les autorités américaines, contrevenant ainsi au 18 U.S.C. {SS} 201c). Suite à un procès devant jury, Van Rassel fut acquitté.

Les chefs d'accusation américains se lisent comme suit:

[TRADUCTION] Le grand jury porte les accusations suivantes:

1 1. Pendant toute la période visée par le présent acte d'accusation, le défendeur MICHAEL ADRIAN VAN RASSEL était agent de la Gendarmerie royale du Canada, à Roberval, province de Québec, Canada.

2. Pendant toute la période visée par le présent acte d'accusation, la Gendarmerie royale du Canada prêtait main forte à la Drug Enforcement Administration du ministère de la Justice des États‑Unis, relativement à une enquête menée dans le district Sud de la Floride, en procédant à des enquêtes sur certains sujets au Canada.

3. Pendant toute la période visée par le présent acte d'accusation, le défendeur MICHAEL ADRIAN VAN RASSEL a reçu, à Roberval, Canada, des rapports d'enquête confidentiels de la Drug Enforcement Administration dans l'exercice de ses fonctions liées à ladite enquête.

1. Le 1er mai 1985 ou vers cette date, dans le comté de Dade, dans le district Sud de la Floride ou ailleurs, le défendeur, MICHAEL VAN RASSEL, a sciemment et volontairement traversé des frontières internationales et interétatiques de Montréal, au Canada, à Miami, en Floride dans le but d'encourager ou de réaliser un acte illégal ou d'en faciliter l'avancement ou la réalisation, savoir la sollicitation et l'acceptation d'une faveur, en violation de l'al. 201c) du titre 18 du United States Code, et a par la suite accompli ou tenté d'accomplir des actes dans le but d'encourager ou de réaliser cet acte illégal ou d'en favoriser l'avancement ou la réalisation en demandant et obtenant le paiement d'une somme d'argent pour dévoiler sans autorisation des renseignements confidentiels relatifs à une enquête de la Drug Enforcement Administration du ministère de la Justice des États‑Unis, en violation du sous‑al. 1952a)(3) du titre 18 du United States Code.

2. Le 5 mai 1985 ou vers cette date, dans le comté de Dade, dans le district Sud de la Floride, le défendeur, MICHAEL VAN RASSEL, a sciemment, volontairement et sans autorisation transporté un document ou un bien de valeur, propriété des États‑Unis, dont la valeur dépassait 100 $, savoir des renseignements confidentiels contenus dans un rapport d'enquête de la Drug Enforcement Administration du ministère de la Justice des États‑Unis, en violation de l'art. 641 du titre 18 du United States Code.

3. Entre le 3 mai 1985 ou vers cette date et le 9 mai 1985 ou vers cette date, dans le comté de Dade, dans le district Sud de la Floride, le défendeur, MICHAEL ADRIAN VAN RASSEL, dans l'exercice d'une charge officielle, agissant pour le compte de la Drug Enforcement Administration, dans l'exécution de ses fonctions, à titre d'agent de la Gendarmerie royale du Canada, dans le cadre d'une enquête menée par la Drug Enforcement Administration, a sciemment et volontairement, par corruption, directement et indirectement demandé, exigé, accepté et reçu et convenu de recevoir un objet ayant de la valeur, savoir une somme d'argent, pour lui‑même, pour modifier l'accomplissement d'actes officiels et accomplir des actes contraires aux devoirs de sa charge officielle, savoir que le dit défendeur MICHAEL ADRIAN VAN RASSEL a accepté un versement comptant de 2 000 $ et convenu de recevoir un autre versement comptant de 20 000 $ pour révéler sans autorisation la teneur de rapports d'enquêtes et de renseignements confidentiels détenus par la Drug Enforcement Administration du ministère de la Justice des États‑Unis, en violation de l'al. 201c) du titre 18 du United States Code.

Par la suite, Van Rassel fut accusé au Canada d'abus de confiance. Les chefs d'accusation se lisent comme suit:

1.À Roberval, district de Roberval, Michael Adrian VAN RASSEL, entre le 22 février 1985 et le 3 mai 1985, étant fonctionnaire, soit agent de la Gendarmerie Royale du Canada, a commis un abus de confiance relativement aux devoirs de sa charge, à savoir: en détournant illégalement pour son usage personnel des informations confidentielles contenues dans deux rapports et un télex du DRUG ENFORCEMENT ADMINISTRATION des États-Unis relativement à une enquête concernant Anthony ACCETTURO avec l'intention d'en tirer un profit, commettant ainsi un acte criminel prévu à l'article 111 du Code Criminel.

2.À Roberval, district de Roberval, Michael Adrian VAN RASSEL, entre le 22 février 1985 et le 3 mai 1985, étant fonctionnaire, soit agent de la Gendarmerie Royale du Canada, a commis un abus de confiance relativement aux devoirs de sa charge, à savoir: en détournant illégalement pour son usage personnel des copies, photocopies ou reproductions de deux rapports et un télex contenant des informations confidentielles du DRUG ENFORCEMENT ADMINISTRATION des États-Unis relativement à une enquête concernant Anthony ACCETTURO avec l'intention d'en tirer un profit, commettant ainsi un acte criminel prévu à l'article 111 du Code Criminel.

3.À Roberval, district de Roberval, Michael Adrian VAN RASSEL, entre le 22 février 1985 et le 3 mai 1985, étant fonctionnaire, soit agent de la Gendarmerie Royale du Canada, a commis un abus de confiance relativement aux devoirs de sa charge, à savoir: en détournant illégalement pour son usage personnel des informations confidentielles contenues dans deux rapports et un télex du DRUG ENFORCEMENT ADMINISTRATION des États-Unis relativement à une enquête concernant Anthony ACCETTURO, commettant ainsi un acte criminel prévu à l'article 111 du Code Criminel.

4.À Roberval, district de Roberval, Michael Adrian VAN RASSEL, entre le 22 février 1985 et le 3 mai 1985, étant fonctionnaire, soit agent de la Gendarmerie Royale du Canada, a commis un abus de confiance relativement aux devoirs de sa charge, à savoir: en détournant illégalement pour son usage personnel des copies, photocopies, ou reproductions de deux rapports et un télex contenant des informations confidentielles du DRUG ENFORCEMENT ADMINISTRATION des États-Unis relativement à une enquête concernant Anthony ACCETTURO, commettant ainsi un acte criminel prévu à l'article 111 du Code Criminel. [Je souligne.]

Le juge de première instance a accepté les prétentions de l'accusé selon lesquelles il ne pouvait être poursuivi au Canada, parce qu'il avait déjà été acquitté pour les mêmes infractions aux États-Unis. Conséquemment, le juge a ordonné un arrêt des procédures relativement aux chefs d'accusation canadiens. Le juge de première instance s'est basé sur les règles et les principes du plaidoyer d'autrefois acquit, la res judicata, les principes de l'arrêt Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729, la maxime nemo debet bis vexari pro una et eadem causa et l'al. 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés.

La Cour d'appel du Québec a accueilli unanimement le pourvoi du ministère public en rejetant le plaidoyer d'autrefois acquit, sans toutefois se prononcer sur les autres principes invoqués par l'accusé: [1988] R.J.Q. 112, 11 Q.A.C. 151. Selon la Cour d'appel, les chefs d'accusation canadiens différaient des chefs d'accusation américains, surtout en ce que les chefs d'accusation canadiens étaient fondés sur l'élément d'abus de confiance envers le Canada. D'où le pourvoi à la Cour suprême du Canada.

L'accusé prétend que la Cour d'appel a erré en ne considérant que le principe d'autrefois acquit, et en décidant que les chefs d'accusation américains et canadiens ne comportaient pas les mêmes éléments.

Les questions en litige

1.Est-ce que les principes ayant trait au concept de double péril s'appliquent entre deux nations?

2.Si la réponse à la première question est affirmative, l'application des principes de double péril mène-t-elle à la conclusion qu'il y avait lieu d'ordonner un arrêt des procédures contre l'accusé, comme l'a fait le juge de première instance?

Discussion

1.Est-ce que les principes ayant trait au concept de double péril s'appliquent entre deux nations?

Les autorités de common law ont accepté la proposition selon laquelle le concept de double péril peut s'appliquer entre deux nations: Halsbury's Laws of England (4e éd. 1976), vol. 2, par. 88; R. v. Thomas, [1985] Q.B. 604 (C.A.) À ce sujet, le juge Martin de la Cour d'appel de l'Ontario a écrit dans R. v. Stratton (1978), 3 C.R. (3d) 289, à la p. 298 (obiter), que le plaidoyer d'autrefois acquit s'applique aux condamnations étrangères. Selon lui, l'al. 535(5)a) du Code criminel réfère à un acquittement ou à une déclaration de culpabilité, incluant une condamnation ou un acquittement dans un autre pays. Le juge La Forest dans l'arrêt Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 178, à la p. 212, après avoir décidé que chacun des pays avait une compétence concomitante pour juger les contrevenants, a constaté ceci:

Je suis également conscient que le point de vue que j'ai adopté laisse subsister la possibilité qu'une personne soit poursuivie pour la même infraction dans plus d'un pays, mais il serait possible d'éviter toute injustice qui pourrait en résulter en invoquant les moyens de défense d'autrefois acquit et d'autrefois convict, qui ont été appliqués aux personnes jugées dans d'autres pays; [Je souligne.]

Par ailleurs, les tribunaux américains ont jugé que la règle du double péril n'empêche pas qu'il y ait deux poursuites pour la même infraction, l'une pour une infraction à une loi fédérale et l'autre pour une infraction à une loi d'un État, constatant que l'application du principe de double péril dans ces circonstances pourrait nuire à la souveraineté de chaque gouvernement: Abbate v. United States, 359 U.S. 187 (1959); Bartkus v. Illinois, 359 U.S. 121 (1959). Le problème ne se présente pas sous cette forme au Canada étant donné les pouvoirs suprêmes du Parlement fédéral. Par analogie, on peut néanmoins prétendre qu'une règle qui défend au gouvernement du Canada de poursuivre une personne à cause d'une condamnation ou d'un acquittement antérieur dans un autre pays, nuirait à la souveraineté du Canada.

Vu la conclusion à laquelle j'arrive sur la deuxième question, il n'est pas nécessaire de décider dans cette cause de la position qui devrait primer.

2.Si la réponse à la première question est affirmative, l'application des principes de double péril mène-t-elle à la conclusion qu'il y avait lieu d'ordonner un arrêt des procédures contre l'accusé, comme l'a fait le juge de première instance?

Avant de trancher cette question, il faut d'abord répondre à la question suivante: la Cour d'appel a-t-elle erré en ne considérant que la défense d'autrefois acquit, sans se pencher sur les autres principes invoqués par l'accusé, c'est-à-dire, la res judicata, le principe de l'arrêt Kienapple, la maxime latine nemo debet bis vexari pro una et eadem causa et l'al. 11h) de la Charte?

Je répondrais à cette question par l'affirmative. Le concept de double péril, exprimé dans la maxime latine citée, est un principe d'application générale qui s'exprime par des règles plus particulières, comme le plaidoyer d'autrefois acquit, la chose jugée comme fin de non-recevoir (issue estoppel) et la règle établie dans l'arrêt Kienapple. De même, l'expression res judicata a parfois été utilisée pour désigner l'ensemble de ces principes mais puisque le juge Laskin (tel était alors son titre) a dans l'affaire Kienapple, à la p. 748, choisi cette expression pour désigner le principe particulier qu'il y énonçait, elle a souvent par la suite été considérée comme un terme de l'art. La jurisprudence révèle que chacun de ces principes diffère dans leurs détails d'application malgré leur origine commune. Quant à l'al. 11h) de la Charte, son application doit être déterminée en considérant le libellé de cet alinéa. Pour ces raisons, il faut considérer séparément chacune des défenses soulevées par l'accusé.

a) Autrefois acquit

La défense d'autrefois acquit est codifiée dans le Code criminel. Les articles pertinents se lisent comme suit:

534. (1) L'accusé appelé à plaider peut s'avouer coupable ou nier sa culpabilité ou présenter les seuls moyens de défense spéciaux qu'autorise la présente Partie.

535. (1) Un accusé peut invoquer les moyens de défense spéciaux

a) d'autrefois acquit,

b) d'autrefois convict, et

c) de pardon.

. . .

(5) Si un accusé invoque la défense d'autrefois acquit ou d'autrefois convict, il suffit

a) qu'il déclare avoir été légalement acquitté, reconnu coupable ou libéré conformément au paragraphe 662.1(1), selon le cas, de l'infraction imputée dans le chef d'accusation auquel se rapporte le plaidoyer;

537. (1) Lorsqu'une contestation sur une défense d'autrefois acquit ou d'autrefois convict à l'égard d'un chef d'accusation est jugée et qu'il paraît

a) que l'affaire au sujet de laquelle l'accusé a été remis entre les mains de l'autorité compétente lors du procès antérieur est la même, en totalité ou en partie, que celle sur laquelle il est proposé de le remettre entre les mains de l'autorité compétente, et

b) que, lors du procès antérieur, s'il avait été apporté toutes les modifications pertinentes qui auraient pu alors être faites, l'accusé aurait pu avoir été reconnu coupable de toutes les infractions dont il peut être convaincu sous le chef d'accusation en réponse auquel la défense d'autrefois acquit ou d'autrefois convict est invoquée,

le juge doit rendre un jugement libérant l'accusé de ce chef d'accusation. [Je souligne.]

Pour établir la défense d'autrefois acquit, l'accusé doit démontrer l'identité des deux accusations portées contre lui. En particulier, il doit prouver que les deux conditions suivantes sont remplies:

(1) Il doit s'agir de la même affaire, en totalité ou en partie; et

(2) le nouveau chef d'accusation doit être le même qu'au premier procès, ou être implicitement inclus dans celui du premier procès, soit en droit, soit en raison de la preuve faite s'il eût alors été légalement possible d'y apporter les modifications nécessaires.

Il est parfois difficile d'appliquer le principe d'autrefois acquit aux accusations tirant leur origine de systèmes de droit criminel complètement différents du nôtre. Les lois de pays différents sont rarement identiques, mais il faut se rendre compte que la défense d'autrefois acquit est fondée sur les principes de justice et d'équité et que le Code criminel n'exige pas l'identité absolue des accusations. Malgré la forme technique des articles pertinents du Code criminel, la question de fond est simple: l'accusé aurait-il pu être condamné lors du premier procès pour l'infraction dont il est maintenant accusé? Si les différences entre les accusations du premier et du deuxième procès sont telles que l'on doit conclure que ces accusations sont d'un caractère différent, la défense d'autrefois acquit n'est pas pertinente. Par contre, la défense s'appliquera si, malgré les différences entre les accusations antérieures et les accusations en l'espèce, les infractions sont identiques. Par exemple, la présence dans la loi étrangère d'une défense qui n'existe pas dans la loi interne, n'empêchera pas l'application du principe d'autrefois acquit: R. v. Aughet (1918), 118 L.T. 658 (C.A.)

Les éléments des accusations canadiennes sont les suivants:

l. À Roberval (dans la province de Québec), entre le 22 février et le 3 mai, l'accusé, (chefs 1, 2, 3, 4).

2. Étant fonctionnaire canadien, (chefs 1, 2, 3, 4).

3. À commis un abus de confiance, relativement à ses devoirs comme fonctionnaire canadien, (chefs l, 2, 3, 4).

4. C'est-à-dire, a détourné pour son usage personnel (des informations confidentielles contenues dans deux rapports et un télex (chefs 1, 3) des copies, photocopies ou reproductions de deux rapports et un télex contenant des informations confidentielles (chefs 2, 4)) du Drug Enforcement Administration.

5. Avec l'intention d'en tirer profit. (chefs 1, 2)

Appliquant le principe d'autrefois acquit, la question qui se pose en l'espèce est celle-ci: l'accusé aurait-il pu être condamné sur la base des accusations américaines pour les infractions dont on l'accuse au Canada si les modifications nécessaires (ne changeant pas le caractère de l'infraction) avaient été faites?

À mon avis, la réponse à cette question doit être négative. Premièrement, les accusations canadiennes sont restreintes aux événements qui se sont déroulés au Canada. Aucune des accusations américaines n'aurait été portée si, par exemple, l'accusé avait copié le télex au Canada sans en apporter les copies aux États-Unis. Seul le premier chef d'accusation américain mentionne Montréal, et seulement sous l'aspect du déplacement entre États américains (interstate travel) qui n'est pas présent dans les accusations canadiennes.

Deuxièmement, la conduite visée par les accusations américaines et canadiennes est différente. Les chefs d'accusation américains, 1 et 3, exigent que l'accusé soit un fonctionnaire américain (selon une définition très large) et qu'il y ait eu une transaction, soit un échange d'argent pour de l'information ou pour exercer une influence illégale. Les accusations canadiennes, quant à elles, exigent que l'accusé soit un fonctionnaire canadien et ne font aucune mention d'échange d'argent.

Quant au deuxième chef d'accusation américain, il n'exige aucunement qu'une transaction ait eu lieu. Le chef mentionne que l'accusé "a transporté un document ou un bien de valeur, propriété des États-Unis". L'article en vertu duquel l'accusation a été portée (18 U.S.C. {SS} 641) fait en sorte que c'est un crime pour quelqu'un [TRADUCTION] "de détourner sciemment pour son usage personnel [... un] document [...] ou un bien de valeur, propriété des États-Unis".

En considérant cette affaire sous le jour le plus favorable à l'appelant, on pourrait tenir pour acquis que le deuxième chef aurait pu être modifié de la façon suivante: "Michael Adrian Van Rassel a détourné sciemment pour son usage personnel un document ou un bien de valeur, propriété des États-Unis"; cet aspect de l'accusation aurait alors été identique aux accusations canadiennes.

Je suis toutefois d'avis que le test d'identité de l'al. 537(1)b) n'est pas satisfait. Même modifié, le deuxième chef d'accusation américain ne comporterait pas un élément essentiel du chef d'accusation canadien qui consiste à être fonctionnaire canadien, parce que ce dernier élément ne fait pas partie de l'infraction définie au 18 U.S.C. {SS} 641. (La disposition américaine en question n'exige pas que l'accusé soit fonctionnaire.)

Cette analyse m'amène à conclure que l'accusé ne pouvait être condamné aux États-Unis pour des infractions de même caractère que celles des accusations canadiennes. Étant donné que les accusations canadiennes ont pour objet des événements canadiens, qu'elles n'exigent aucune preuve de paiement en échange d'information ou d'influence illégale et qu'elles sont fondées sur l'abus de confiance d'un fonctionnaire canadien envers le peuple canadien, elles se distinguent nettement des accusations américaines.

Pour ces motifs, j'en viens à la conclusion que la défense d'autrefois acquit ne s'applique pas en l'espèce.

b) La règle établie dans l'arrêt Kienapple

Ce principe, dont on dit qu'il est fondé sur le principe plus large de la res judicata, s'applique lorsque deux accusations distinctes sont fondées sur le même délit ou la même cause. Il prescrit alors qu'un verdict de culpabilité ne peut être inscrit pour la seconde accusation si un tel verdict a été prononcé pour la première. On jugera qu'il s'agit du même délit ou de la même cause lorsque la seconde accusation ne comporte aucun élément additionnel ou distinctif qui touchent à la culpabilité: R. c. Prince, [1986] 2 R.C.S. 480.

Le principe énoncé dans l'arrêt Kienapple n'apporte rien à la défense de l'accusé, puisque ce principe ne s'applique pas à des infractions reliées à des victimes différentes (tenant pour acquis sans le décider que le principe établi dans Kienapple s'applique à des accusations portées après un acquittement). Dans l'arrêt Prince, le juge en chef Dickson a écrit aux pp. 506 et 507:

Il paraît se dégager de ce passage que, du moins en ce qui concerne les crimes violents contre des personnes, la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples ne s'applique pas lorsque les déclarations de culpabilité se rapportent à des victimes différentes. En fait, je crois que la Cour à la majorité dans l'arrêt Kienapple n'a jamais voulu que la règle énoncée dans cet arrêt rende impossible deux déclarations de culpabilité pour des infractions comportant respectivement comme éléments des lésions infligées à deux personnes différentes ou le décès de deux personnes différentes.

La société, par le moyen du droit criminel, exige que Prince rende compte à la fois des lésions infligées à Bernice Daniels et du décès de l'enfant, de la même manière qu'elle exigerait qu'une personne qui lancerait une bombe dans un lieu rempli de monde rende compte des blessures et des décès multiples qui pourraient résulter, et de la même manière qu'elle oblige un conducteur d'automobile qui fait preuve de négligence criminelle à répondre pour chaque personne blessée ou tuée par suite de sa conduite de l'automobile: voir l'arrêt R. c. Birmingham and Taylor (1976), 34 C.C.C. (2d) 386 (C.A. Ont.)

Il n'est pas question en l'espèce de blessures corporelles subies par des victimes différentes. Néanmoins, il s'agit de victimes multiples. Van Rassel avait une obligation générale de loyauté envers le peuple canadien, aussi bien qu'une obligation temporaire de loyauté envers les États-Unis, fondée sur la confiance qu'on lui avait accordée.

Pour cette raison, je suis d'avis que la règle établie dans l'arrêt Kienapple ne s'applique pas en l'espèce.

c) Chose jugée comme fin de non-recevoir (issue estoppel)

La règle qui veut qu'un tribunal ne se penche pas sur une question en litige qui a déjà été tranchée par un autre tribunal est un principe fondamental de notre système de justice. Le fait qu'une affaire ait déjà fait l'objet d'une décision judiciaire peut entraîner une fin de non-recevoir opposable à la partie qui souhaite une nouvelle décision. Il s'agit du principe de la chose jugée comme fin de non-recevoir, également relié au principe de la res judicata. La chose jugée comme fin de non-recevoir est reconnue en droit criminel canadien: Gushue c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 798.

L'intimée suggère que la chose jugée ne saurait s'appliquer à l'égard d'un jugement criminel étranger puisque les parties impliquées ne sont pas les mêmes. Il ne sera pas nécessaire de décider de cette question parce qu'il est clairement établi que le principe ne s'applique que dans les circonstances où il ressort nettement des faits que la question a déja été tranchée. C'est ainsi que le juge en chef Laskin a écrit dans l'arrêt Gushue, à la p. 807:

Je suis d'avis que la question de la fin de non-recevoir à l'égard de la déclaration de culpabilité pour vol qualifié est réglée par l'énoncé suivant, que j'adopte, Friedland, Double Jeopardy (1969), à la p. 134:

[TRADUCTION] . . . La possibilité ou même la probabilité que le jury ait conclu en faveur de l'accusé sur un point particulier ne suffit pas. Une conclusion sur le point pertinent doit être la seule explication rationnelle du verdict du jury.

Voir aussi Wright v. The Queen, [1963] R.C.S. 539; Connelly v. Director of Public Prosecutions, [1964] A.C. 1254.

Dans le cas présent, rien n'indique que le jury américain ait conclu en faveur de l'accusé sur les points particuliers soulevés dans les accusations canadiennes. Le jury aurait pu acquitter l'accusé pour des raisons tout à fait distinctes de celles pertinentes à la décision d'un jury canadien. Cela devient manifeste quand on considère les différences entre les accusations américaines et les accusations canadiennes. Le résultat eût peut-être été différent si l'appelant avait présenté en preuve l'opinion d'un expert en droit américain démontrant qu'une question en litige dans les procédures canadiennes a été décidée en sa faveur aux États-Unis, mais il n'en fit rien. Ce moyen de défense ne sert donc pas la cause de l'accusé.

d) L'alinéa 11h) de la Charte

L'alinéa 11h) se lit comme suit:

11. Tout inculpé a le droit:

. . .

h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;

L'alinéa 11h) de la Charte ne s'applique que dans des circonstances où les deux infractions pour lesquelles l'accusé est poursuivi sont les mêmes. Dans R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, notre Cour a statué que le même acte peut donner lieu à des infractions différentes, chaque infraction étant fondée sur une obligation distincte. Le juge Wilson a dit à la p. 566:

Je conclus que l'appelant en l'espèce n'est pas jugé ni puni de nouveau pour la même infraction. Les "infractions" sont totalement différentes. L'une porte sur une question de discipline interne. L'accusé a été déclaré coupable d'une infraction majeure ressortissant au service dont il a, par conséquent, rendu compte à sa profession. L'autre infraction est l'infraction criminelle de voies de fait. L'accusé doit maintenant rendre compte de sa conduite à la société en général. Il ne peut se plaindre, comme membre d'un groupe spécial d'individus assujettis à une discipline interne privée, qu'il ne devrait pas être responsable de son méfait envers la société. Sa conduite a un double aspect comme membre de la G.R.C. et comme membre du public en général. Pour reprendre les termes précités du Juge en chef, je suis d'avis que les deux infractions constituent "deux `choses' différentes, tout à fait distinctes l'une de l'autre, qui ne constituent pas des infractions de remplacement l'une par rapport à l'autre." Bien qu'il n'y ait eu qu'un seul acte de voies de fait, il y a eu deux causes, choses ou délits distincts sur lesquels pourraient être fondées des déclarations de culpabilité distinctes.

En l'espèce, les infractions américaines et canadiennes sont différentes parce qu'elles sont fondées sur des obligations d'un caractère différent. Même si les infractions américaines et canadiennes sont de nature purement criminelle, la conduite qu'on reproche à l'accusé comporte un double aspect: un écart de conduite en tant que fonctionnaire canadien ayant une obligation spéciale envers le public canadien en vertu de l'art. 111 du Code criminel premièrement, et deuxièmement, un écart de conduite en tant que fonctionnaire américain ou membre du public américain assujetti temporairement à la loi américaine. L'accusé doit maintenant répondre de sa conduite envers le public canadien, aussi bien qu'envers le public américain, étant donné que les infractions visent des obligations différentes. Pour cette raison, je suis d'avis que l'al. 11h) de la Charte ne contribue pas à la défense de l'accusé.

Conclusion

Pour tous ces motifs, je rejetterais l'appel et je renverrais l'affaire au juge de première instance afin que le procès se poursuive.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l'appelant: Lawrence Corriveau, Québec.

Procureur de l'intimée: Daniel Brunet, Montréal.

[1] C.S. Roberval, no 155-01-1038850, 12 septembre 1986 (le juge Ducros).



Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Van rassel

Références :
Proposition de citation de la décision: R. c. Van rassel, [1990] 1 R.C.S. 225 (15 février 1990)


Origine de la décision
Date de la décision : 15/02/1990
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1990] 1 R.C.S. 225 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1990-02-15;.1990..1.r.c.s..225 ?
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