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12/04/1990 | CANADA | N°[1990]_1_R.C.S._717

Canada | R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717 (12 avril 1990)


R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717

C.R.B. Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

répertorié: r. c. b. (c.r.)

No du greffe: 20704.

1989: 30 octobre; 1990: 12 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, Wilson, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1987), 56 Alta. L.R. (2d) 20, 82 A.R. 45, 39 C.C.C. (3d) 230, qui a rejeté l'appel interjeté par l'accusé de déclarations de culpabilité sur des acc

usations d'inceste, de grossière indécence, de sodomie et de rapports sexuels avec une personne de sexe féminin âgé...

R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717

C.R.B. Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

répertorié: r. c. b. (c.r.)

No du greffe: 20704.

1989: 30 octobre; 1990: 12 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, Wilson, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1987), 56 Alta. L.R. (2d) 20, 82 A.R. 45, 39 C.C.C. (3d) 230, qui a rejeté l'appel interjeté par l'accusé de déclarations de culpabilité sur des accusations d'inceste, de grossière indécence, de sodomie et de rapports sexuels avec une personne de sexe féminin âgée de moins de 14 ans. Pourvoi rejeté, les juges Lamer et Sopinka sont dissidents.

Terence Semenuk, pour l'appelant.

Lindsay MacDonald, pour l'intimée.

//Le juge McLachlin//

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges Wilson, L'Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin rendu par

Le juge McLachlin — L'appelant est accusé d'infractions sexuelles sur une jeune enfant, sa fille naturelle. La question n'était pas de savoir qui avait commis les infractions, mais si elles avaient eu lieu. Le principal témoignage à charge était celui de l'enfant. La question était de savoir si on devait y ajouter foi.

À l'appui du témoignage de l'enfant, le ministère public a tenté de produire la preuve que l'accusé avait déjà eu des relations sexuelles avec une enfant plus âgée, la fille de sa conjointe de fait, avec qui il avait eu une relation père‑fille. Le juge du procès a admis la preuve et déclaré l'accusé coupable. Bien qu'il semble avoir appliqué le bon critère, une remarque laissant entendre que la preuve de faits similaires se rapportait à la question de l'identité était erronée. La Cour d'appel, le juge Harradence étant dissident, a conclu que la preuve de faits similaires a correctement été admise et a confirmé la déclaration de culpabilité: (1987), 56 Alta. L.R. (2d) 20.

La question à trancher est de savoir si la Cour d'appel, à la majorité, a eu raison de conclure que la preuve était admissible, malgré la mention de l'identité par le juge du procès et les distinctions invoquées par l'accusé entre ce qui lui était reproché et la preuve de faits similaires.

Le critère applicable à la preuve de faits similaires

Traditionnellement, la common law a interprété restrictivement la preuve de faits similaires, la considérant avec méfiance. Au cours des dernières années, les tribunaux ont assoupli les rigueurs formalistes dont la règle avait fini par être grevée. L'ancienne méthode des catégories où l'on décidait quels types de preuve de faits similaires étaient admissibles a fait place à un critère plus général qui met en balance la valeur probante de la preuve et le préjudice qu'elle peut causer.

Malgré la simplicité apparente de la règle moderne de l'admission de la preuve de faits similaires, son application demeure très difficile. Les difficultés proviennent en partie d'une tendance à considérer la formulation moderne de la règle indépendamment de son contexte historique. Bien que la formulation contemporaine puisse permettre une analyse plus souple et moins contraignante, les dangers qu'elle vise à éviter et les principes sur lesquels elle repose n'ont pas changé.

La règle de la preuve de faits similaires en Angleterre

Jusqu'au XVIIe siècle, le droit anglais n'avait pas de règle interdisant l'admission d'une preuve de moralité ou de faits similaires. On trouve parfois une mention de l'injustice que peut causer cette preuve, comme la remarque d'un juge dans l'arrêt R. v. Hampden (1684), 9 How. St. Tr. 1053, portant que [TRADUCTION] "[s]cruter toute la vie d'un homme est très pénible". Mais en général, cette preuve était admise.

Les choses ont changé au XVIIe siècle. Parce que la common law n'avait aucune règle ferme, même contre les formes les plus rudimentaires de preuve de moralité, une loi adoptée en 1695 imposait à la poursuite, dans les affaires de trahison (nombreuses à l'époque), de limiter sa preuve aux actes reprochés dans l'acte d'accusation. Bien que la portée de la loi fût étroite, l'idée qu'elle comportait a gagné peu à peu la faveur des tribunaux. En 1762, un auteur du nom de Foster (Crown Law (1762), à la p. 246), a mentionné la [TRADUCTION] "règle qui rejetait toute forme de preuve étrangère au litige dans les poursuites criminelles", affirmant que cette règle [TRADUCTION] "reposait sur le bon sens et les principes généraux de la justice. Car personne n'est tenu [. . .] de rendre compte de tous les actes de sa vie à brûle‑pourpoint . . ." Un auteur contemporain résume la situation au XVIIIe siècle de la façon suivante:

[TRADUCTION] Au XVIIIe siècle, les tribunaux anglais ont résolu de restreindre davantage la preuve à l'affaire en cause. En particulier, les membres du jury ne devraient pas entendre de preuve portant sur les antécédents criminels ou les médisances répandues au sujet de l'accusé [.. .] Ce genre de preuve n'était pas jugé suffisamment pertinent. Pire encore, si les membres de la profession juridique pouvaient faire abstraction de ces détails, les membres du jury ne le pouvaient pas.

(J. R. S. Forbes, Similar Facts (1987), à la p. v.)

Le même auteur conclut, à la p. 7: [TRADUCTION] "Au début des années 1800, le droit de la preuve était enclin à écarter la preuve de moralité générale, même s'il admettait encore de façon assez libérale la preuve de faits similaires".

Le formalisme juridique et l'importance donnée à la règle du stare decisis, qui caractérisent la conception du droit au XIXe siècle, ont restreint les cas d'admission de la preuve de faits similaires. Les décisions dans lesquelles la preuve de faits similaires avait été admise ont été reclassées dans des séries de catégories, définies restrictivement, où la preuve de faits similaires pouvait être admise. La preuve de faits similaires était admise pour établir l'intention, un système, un plan, la préméditation, l'identité, ainsi que pour réfuter les défenses d'accident, d'erreur et de rapports innocents.

Les tribunaux du XIXe siècle partaient du principe qu'une personne ne devait pas être déclarée coupable parce qu'elle avait commis d'autres infractions. Ils ont conçu une règle générale d'exclusion comportant l'exception suivante: la preuve d'une mauvaise conduite antérieure pouvait être admise si elle avait une valeur probante particulière qui la rendait utile pour faire d'autres déductions que la simple déduction qu'il était probable que l'accusé avait commis l'infraction reprochée, parce qu'il avait commis un crime antérieurement. Pour déterminer si l'exception jouait, il fallait se demander si la preuve relevait de l'une des catégories d'admissibilité établies. Ainsi comprise, la règle dite de la preuve de faits similaires était en réalité une exception — définie restrictivement — à la règle générale d'exclusion de la preuve de mauvaise conduite antérieure ou de propension à commettre l'infraction.

Cette conception se retrouve dans le passage souvent cité de l'arrêt Makin v. Attorney‑General for New South Wales, [1894] A.C. 57, à la p. 65. Le lord chancelier Herschell a d'abord formulé le principe général d'exclusion (le premier élément de la règle):

[TRADUCTION] Il ne fait pas de doute que la poursuite ne peut, aux fins d'amener à conclure que l'accusé est, compte tenu de sa conduite criminelle ou de sa moralité, le genre de personne susceptible d'avoir commis le crime dont il est inculpé, apporter des preuves qui tendent à démontrer qu'il a déjà été reconnu coupable de crimes autres que ceux visés par l'acte d'accusation.

Il a ensuite formulé l'exception (le deuxième élément de la règle), à la p. 65:

[TRADUCTION] D'autre part, le simple fait que la preuve apportée tend à démontrer la perpétration d'autres crimes, n'entraîne pas pour autant son irrecevabilité si elle porte sur une question dont le jury est saisi, ce qui peut être le cas si elle se rapporte à la question de savoir si les actes qui, à ce qu'on prétend, constituent le crime reproché dans l'acte d'accusation étaient intentionnels ou accidentels; ce peut également être le cas si cette preuve est présentée pour repousser un moyen de défense que l'accusé pourrait autrement invoquer.

Eu égard au principe sous‑jacent, la règle de l'arrêt Makin peut paraître concerner essentiellement la valeur probante. D'une part, elle reconnaît le grave préjudice que peut occasionner la preuve d'un méfait antérieur ou de la propension à agir illégalement. Souvent, cette preuve n'a pas de grande force probante ou logique et pourtant elle peut causer un préjudice considérable en augmentant le danger que le jury déclare l'accusé coupable non parce qu'il est convaincu que le ministère public a fait la preuve hors de tout doute raisonnable qu'il a commis l'infraction reprochée, mais parce que l'accusé est une personne mauvaise ou louche. D'autre part, la règle de l'arrêt Makin reconnaît le principe de bon sens selon lequel, dans certains cas, la valeur probante de la preuve pourrait justifier sa réception.

Comme règle d'application, l'analyse de l'arrêt Makin comportait habituellement deux étapes. Les tribunaux se demandaient premièrement si la preuve que l'on voulait produire visait plus que la simple propension à commettre l'acte criminel. S'ils franchissaient cet obstacle, ils devaient alors déterminer si la preuve relevait de l'une des catégories d'exclusion reconnues. En pratique, les deux étapes se confondaient souvent puisque la preuve qui relevait de l'une des catégories établies d'exceptions à la règle générale d'exclusion allait habituellement plus loin que la simple preuve de la propension à commettre l'infraction.

Les problèmes de la méthode des catégories en matière de preuve de faits similaires sont devenus de plus en plus apparents au cours d'un XXe siècle moins empreint de formalisme. D'une part, les catégories et l'exigence souvent mentionnée d'une "similarité frappante" pouvaient entraîner l'exclusion d'une preuve de faits similaires qui, sur le plan du bon sens, avait beaucoup de pertinence — un résultat qui a incité un juge à déclarer:

[TRADUCTION] Envisagé sous l'angle de la science [. . .] ou du bon sens, il y a sans aucun doute un lien . . .

. . . la common law doit souvent aboutir à ce que le public peut considérer comme un déni de justice. Cela ne nous intéresse vraiment pas.

(R. v. Hall (1887), 5 N.Z.L.R. 93 (C.A.), aux pp. 108 et 110.)

Face à la tendance de la règle à exclure des preuves probantes, d'autres juges ont réagi en établissant des distinctions fondamentalement impraticables ou imaginaires pour admettre des éléments de preuve que le bon sens leur dictait d'admettre. Par ailleurs, la règle permettait parfois de recevoir des éléments de preuve de valeur incertaine. Dans la mesure où elle relevait d'une catégorie reconnue, la preuve d'une mauvaise conduite antérieure ou de la propension à commettre l'infraction pouvait être admise même si on pouvait douter de sa pertinence.

La méthode des catégories associée à l'arrêt Makin a également fait l'objet de critiques en doctrine. Les catégories attiraient l'attention sur l'objet visé par la production de la preuve de faits similaires plutôt que sur la véritable question, sa pertinence: voir J. A. Andrews et M. Hirst, Criminal Evidence (1987), par. 15.34. Comme l'a affirmé R. B. Sklar ("Similar Fact Evidence — Catchwords and Cartwheels" (1977), 23 McGill L.J. 60, à la p. 62), [TRADUCTION] "[l]a question de savoir si la preuve se rapportait vraiment à la question en litige, peu importe le raisonnement suivi, et si, le cas échéant, elle était suffisamment pertinente pour justifier sa réception malgré sa tendance presque inévitable à condamner l'accusé aux yeux du jury, était noyée dans la mêlée". (En italique dans l'original.) Si la preuve relevait d'une catégorie reconnue, elle était admise même si sa pertinence pouvait être mise en doute. En outre, on pouvait prétendre que l'insistance sur la nécessité que la preuve se rapporte à une question autre que la propension était artificielle. Comme le professeur Andrews et M. Hirst l'ont fait remarquer, aux pp. 342 et 343:

[TRADUCTION] 15.37 Bien que les tribunaux aient fait grand état du recours aux catégories de pertinence et du rejet du mode de raisonnement interdit [la culpabilité pour cause de propension], toute leur façon de procéder était réellement fondée sur une conception fondamentalement erronée. En réalité, la preuve de faits similaires ne peut presque jamais établir l'intention ou réfuter un moyen de défense sauf en encourageant la cour ou le jury à utiliser le raisonnement interdit. Que les juges s'en soient rendu compte ou non, il est incontestable que dans plusieurs arrêts de principe la preuve a été admise alors que sa seule pertinence était d'établir la disposition ou la propension.

Pourvu qu'on puisse trouver que la preuve se rapportait à un élément autre que celui de la propension, si négligeable soit‑il, la preuve était admise même si son effet se rapportait presque entièrement à la propension.

Des difficultés comme celles‑là ont incité la Chambre des lords à étudier de nouveau la question de la preuve de faits similaires dans l'arrêt Director of Public Prosecutions v. Boardman, [1975] A.C. 421. De prime abord, l'arrêt Boardman ne s'écarte pas vraiment de l'arrêt Makin puisque trois des cinq lords juges (lords Morris, Hailsham et Salmon) ont expressément confirmé la validité de l'arrêt Makin. Cependant, tous les cinq ont rejeté la méthode des catégories qu'on avait fini par associer à l'arrêt Makin, en soulignant que la preuve de faits similaires n'est pas automatiquement admissible du seul fait qu'elle correspond à une catégorie prescrite. La recevabilité de la preuve de faits similaires devait être fondée sur un principe général et non sur des catégories ou des formules toutes faites. Ce principe général était la pertinence.

Bien que les cinq opinions distinctes et parfois divergentes rendues dans l'arrêt Boardman puissent ne pas procurer un tableau exhaustif des différentes façons de conclure à la force de la preuve, la raison déterminante de l'arrêt est claire: pour être admissible, la preuve de faits similaires doit avoir une très grande valeur probante, qui soit suffisante pour l'emporter sur le préjudice inhérent qui risque de découler de sa réception. En définitive, la Chambre des lords dans l'arrêt Boardman a conclu que la preuve de faits similaires était admissible dans cette affaire en raison de sa grande valeur probante ou de sa [TRADUCTION] "similarité frappante", lords Wilberforce et Cross exprimant la réserve qu'ils considéraient l'affaire comme [TRADUCTION] "un cas limite".

Si les juges dans l'arrêt Boardman n'étaient pas prêts à renverser l'arrêt Makin, certains étaient disposés à lui donner une interprétation différente de celle qu'il avait reçue traditionnellement. La majorité des juges a accepté le premier élément de la règle de l'arrêt Makin — le principe de l'exclusion — bien que sous une forme que l'on peut prétendre modifiée. Lord Hailsham a retenu de façon non équivoque la proposition selon laquelle la preuve de faits similaires qui ne tend qu'à démontrer la moralité ou la propension est toujours inadmissible pour cause de non‑pertinence (p. 451). Les autres juges, tout en insistant sur l'importance de la règle générale d'exclusion en matière de moralité et de propension, étaient prêts à accepter que, dans des circonstances exceptionnelles, la preuve qui ne se rapportait qu'à la propension pourrait être admissible. C'était là s'écarter considérablement de la position établie. La jurisprudence qui a suivi l'arrêt Makin tenait pour acquis que la preuve devait se rapporter à autre chose que la propension; la preuve qui se rapportait seulement à la propension ne pouvait jamais être admise. Dans l'arrêt Boardman, la cour à la majorité a reconnu qu'un tribunal ou un jury peut correctement conclure à la culpabilité à partir de la preuve de la propension lorsque cette preuve, en raison de son caractère très pertinent et spécifique, permet de tirer cette conclusion.

Quant au deuxième élément de la règle de l'arrêt Makin, les opinions dans l'arrêt Boardman font ressortir la mention, que fait le lord chancelier Herschell dans l'arrêt Makin, de la pertinence de la preuve relativement à la question que doit trancher le jury, mais en refusant tout caractère définitif à son allusion aux catégories traditionnelles de preuve de faits similaires admissibles. Tous les juges ont affirmé que pour déterminer si la preuve offerte est admissible, les tribunaux doivent examiner principalement sa force logique dans le contexte de l'affaire par rapport au préjudice qu'elle peut causer à l'accusé.

Deux points ressortent de l'analyse précédente de l'arrêt Boardman. Le premier est la réaffirmation de l'importance d'une règle générale d'exclusion de la preuve visant uniquement la moralité ou la propension, bien que sous une forme nuancée. Pour tous les juges, c'est à partir de cette règle que l'examen de l'admissibilité de la preuve de faits similaires commence. L'arrêt Boardman ne nous ramène pas au XVIIe siècle où il était loisible de recevoir la preuve de moralité et de propension. Il énonce plutôt un nouveau critère, essentiellement restrictif, applicable à la réception de cette preuve, qui est admise par exception à la règle générale d'exclusion en raison de sa grande valeur probante.

Le deuxième point qui ressort de l'arrêt Boardman est l'affirmation que, pour être admissible, la valeur probante de la preuve doit l'emporter sur le préjudice qu'elle peut causer compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire. Cela fait intervenir l'idée d'un critère d'admissibilité variable. Le degré de valeur probante requis pour établir l'admissibilité d'une preuve de faits similaires sera généralement élevé si la preuve à charge laisse entendre qu'il y a criminalité ou immoralité graves, comme dans l'arrêt Boardman; d'où l'insistance des lords sur des expressions comme "similarité frappante", la possibilité que la preuve annule toute "coïncidence", des "circonstances exceptionnelles" et un "degré élevé de force probante". Il est cependant encore possible que, dans d'autres cas, lorsque le préjudice est moindre (par exemple, dans la preuve de faits similaires présentée par la défense ou la preuve de comportements habituels ou de pratiques commerciales en matière civile), le degré de force probante requis pour l'admission puisse être moins élevé.

Cette conception de la preuve de faits similaires propose un critère qui se rapporte à la règle générale, bien qu'il en soit distinct, selon laquelle la preuve est inadmissible si son effet préjudiciable l'emporte sur sa valeur probante: voir l'arrêt R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272. Il s'agit d'une règle d'exclusion applicable à la preuve qui serait par ailleurs admissible. C'est l'inverse pour la preuve de faits similaires. Pour déterminer son admissibilité, il faut partir du principe que la preuve est inadmissible étant donné la faible force probante et l'importance du préjudice qui y est généralement associé. Il faut se demander ensuite si, en raison de la valeur probante exceptionnelle de la preuve examinée par rapport au préjudice qu'elle est susceptible de causer, elle devrait être admise sans égard à la règle générale d'exclusion.

La jurisprudence canadienne

Depuis l'arrêt Boardman, la jurisprudence canadienne est généralement conforme au point de vue préconisé dans cet arrêt. La jurisprudence a suivi l'arrêt Boardman en rejetant la méthode des catégories pour déterminer l'admissibilité d'une preuve de faits similaires. En même temps, les tribunaux canadiens ont dans l'ensemble continué de mettre l'accent sur la règle générale que la preuve de la simple propension est inadmissible et sur la nécessité que cette preuve possède une valeur probante élevée par rapport au préjudice qu'elle est susceptible de causer.

Depuis l'arrêt Boardman, notre Cour a répété à maintes reprises que le point de départ pour déterminer si une preuve de faits similaires est admissible est la règle générale d'exclusion interdisant de recevoir une preuve de propension ou de moralité, retenant ainsi l'opinion des juges formant la majorité dans l'arrêt Boardman sur cet aspect de la règle. Dans l'arrêt Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709, le juge Pratte a conclu, au nom de la majorité, qu'en général la preuve de faits similaires qui tend simplement à établir la propension est inadmissible parce qu'elle "n'a pas de valeur probante véritable par rapport au crime spécifique qui est reproché à l'accusé: il n'y a pas entre l'un et l'autre de lien suffisamment logique" (p. 731). Appliquant la règle formulée dans l'arrêt R. v. Rance (1975), 62 Cr. App. R. 118, à la p. 121, il a affirmé que la preuve de faits similaires est admissible "seulement si elle démontre plus qu'une tendance à commettre des actes criminels de cette nature et si elle a vraiment une valeur probante relativement à l'acte criminel présentement imputé" (p. 735). De même, dans l'arrêt Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190, le juge Lamer (dont on peut dire que les affirmations sur ce point traduisent l'opinion unanime de la Cour) a cité, en l'approuvant, l'affirmation de lord Cross dans l'arrêt Boardman, selon laquelle dans des cas de valeur probante exceptionnelle la preuve se rapportant à la propension pourrait être admissible. Plus récemment, le juge Sopinka, s'exprimant au nom de notre Cour dans l'arrêt R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345, et dans l'arrêt R. c. D. (L.E.), [1989] 2 R.C.S. 111, a confirmé l'inadmissibilité générale de la preuve de propension. De même, le juge Martin affirme, au nom de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. v. Scopelliti (1981), 63 C.C.C. (2d) 481, à la p. 496:

[TRADUCTION] . . . l'admission d'une preuve de faits similaires à l'égard d'un accusé est exceptionnelle, n'étant permise que si elle a une grande valeur probante à l'égard d'une question et ne sert pas de preuve de propension (à moins que la propension soit à ce point caractéristique ou exceptionnelle qu'elle constitue une confirmation).

Bien que nos tribunaux aient confirmé la règle générale d'exclusion de la preuve de propension, ils l'ont formulée dans la plupart des cas selon les termes de l'arrêt Boardman plutôt que de l'arrêt Makin. Il n'est plus nécessaire de rattacher la preuve offerte à une question autre que celle de la propension. Bien que tous conviennent que la formulation de certains énoncés de la règle d'exclusion pourrait laisser entendre que la preuve de la simple propension ne peut jamais être admissible, l'opinion prépondérante au Canada est celle adoptée par la majorité dans l'arrêt Boardman — la preuve de la propension, bien que généralement irrecevable, peut exceptionnellement être admise lorsque la valeur probante de la preuve relative à une question soulevée est tellement grande qu'elle l'emporte sur le préjudice grave que subira inévitablement l'accusé si la preuve d'actes immoraux ou illégaux antérieurs est présentée au jury.

La deuxième caractéristique du traitement accordé à la preuve de faits similaires au Canada depuis l'arrêt Boardman est un rejet de la méthode des catégories au profit d'un principe général. Dans l'arrêt Guay c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 18, le juge Pigeon a conclu, au nom de la Cour, que l'admissibilité d'une preuve de faits similaires est fondée sur des "principes généraux" et que le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire d'écarter cette preuve (p. 32). Approuvant l'arrêt Boardman, il a rejeté la méthode automatique des catégories, affirmant qu'il "n'y a pas de catalogue rigide des cas où cette preuve est recevable", mais qu'il "est bien établi qu'il y a lieu de la permettre pour contrer une défense d'association légitime dans un but honnête comme aussi pour contredire une preuve de bon caractère" (p. 32).

Dans l'arrêt Sweitzer c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 949, le juge McIntyre, au nom de la Cour, a statué "qu'on aurait tort d'essayer de fixer une liste des types de cas où le principe s'applique" (p. 953), concluant que l'admissibilité d'une preuve d'actes similaires "sera fonction de sa valeur probante par rapport au préjudice causé à l'accusé par suite de son acceptation à quelque fin que ce soit" (p. 953). Les arrêts subséquents ont tous confirmé la même méthode. Dans l'arrêt R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918, à la p. 943, le juge Wilson a affirmé, au nom de la Cour, que l'analyse doit être fondée sur un principe général et a formulé un critère de pertinence variable:

Le degré de valeur probante requis varie en fonction de l'effet préjudiciable de l'admission de la preuve. La valeur probante d'un élément de preuve peut augmenter s'il y a une certaine similarité quant aux circonstances ainsi que proximité de temps et d'endroit. L'admissibilité ne dépend toutefois pas d'une telle similarité frappante. . .

L'ancienne méthode des catégories a de même été rejetée dans les arrêts R. c. Morin et R. c. D. (L.E.)

Les formules toutes faites ont subi le même sort que les catégories. Tout comme les tribunaux anglais ont manifesté des doutes quant à la nécessité d'établir une "similarité frappante" (voir R. v. Rance, précité; R. v. Mansfield (1977), 65 Cr. App. R. 276; R. v. Scarrott, [1978] Q.B. 1016), de même, le juge Wilson a rejeté dans l'arrêt Robertson la validité de cette expression comme critère juridique.

Un troisième aspect de la façon dont notre Cour a traité la règle de la preuve de faits similaires depuis l'arrêt Boardman est la tendance à largement respecter la décision du juge du procès, à qui revient la tâche délicate de soupeser la valeur probante de la preuve et son effet préjudiciable. Dans l'arrêt Morris, la Cour a affirmé qu'il appartient au juge du procès de déterminer si la preuve a une valeur probante suffisante. De même, dans les arrêts Guay, Robertson, Morin et D. (L.E.), la Cour a confirmé la décision du juge du procès quant à la preuve de faits similaires. Ce respect envers la décision du juge du procès peut être perçu en partie comme une fonction de la nature plus générale et discrétionnaire de la règle moderne, à l'étape où la valeur probante de la preuve doit être soupesée en fonction de son effet préjudiciable. Par suite du rejet de la méthode des catégories, l'admissibilité d'une preuve de faits similaires depuis l'arrêt Boardman est une question qui comporte effectivement l'exercice d'un certain pouvoir discrétionnaire. Comme on l'a souligné dans l'arrêt Morris, le poids à accorder à la preuve est une question qui relève du juge des faits. Généralement, lorsque le juge du procès possède en droit un large pouvoir discrétionnaire, les tribunaux d'appel hésitent à s'immiscer dans l'exercice de ce pouvoir en l'absence d'une erreur manifeste de droit ou de compétence.

La tâche du juge des faits est très difficile et son pouvoir discrétionnaire très grand. Comme le souligne Forbes, op. cit., aux pp. 54 et 55:

[TRADUCTION] En présence d'une preuve de faits similaires produite par la poursuite, un juge doit exercer des fonctions et des pouvoirs d'une très grande complexité. Premièrement, il doit évaluer non seulement la pertinence, mais également le poids de la preuve contestée, bien que cette dernière fonction relève habituellement du jury. Deuxièmement, il doit fusionner en quelque sorte la pertinence et le poids pour obtenir la "valeur probante". Troisièmement, et compte tenu de la présomption d'exclusion, il doit soupeser cette valeur probante, établir un certain équilibre malgré les impondérables, en regard du préjudice que la preuve risque de soulever dans l'esprit des jurés.

"Le poids relatif de la preuve et du préjudice varie infiniment d'un cas à l'autre et l'opinion d'un juge en particulier dépend de l'impression que lui donne la preuve compte tenu de son expérience et de son propre sens de la justice. Il est inévitable que certaines affaires constituent des cas limites à tel point que différents juges pourront adopter des points de vue divergents à leur sujet et c'est donc le genre d'affaires où la cour hésitera longtemps avant de modifier une décision du juge du procès . . . (L)a solution de la question en litige fait appel dans une très large mesure à l'intuition . . ."

Lorsque le juge du procès a dûment tenu compte de ces préoccupations et a conclu sur son admissibilité, après avoir soupesé la preuve et le préjudice qu'elle était susceptible de causer, les tribunaux d'appel s'abstiennent d'intervenir à la légère.

D'autres principes importants ressortent de la jurisprudence récente. L'un est le point de vue adopté dans l'arrêt Boardman (p. 457), selon lequel l'effet de la preuve de faits similaires doit être examiné en fonction des autres éléments de preuve en présence. Ainsi, le juge Sopinka écrit dans l'arrêt R. c. Morin, à la p. 370:

Il est difficile et peut‑on prétendre peu souhaitable de formuler des règles strictes pour servir à déterminer la pertinence d'une catégorie particulière de preuve. La pertinence dépend beaucoup des autres éléments de preuve et des autres points en litige dans une affaire.

Voir également l'arrêt Sutton v. The Queen (1984), 152 C.L.R. 528 (H.C. Aust.), aux pp. 532 et 533.

Cet examen de la jurisprudence m'amène à tirer les conclusions suivantes quant à l'état actuel du droit en matière de preuve de faits similaires au Canada. Pour déterminer si la preuve en question est admissible, il faut d'abord reconnaître la règle générale d'exclusion de la preuve qui ne tend qu'à établir la propension. Comme le dit l'arrêt Boardman et comme notre Cour l'a répété dans les arrêts Guay, Cloutier, Morris, Morin et D. (L.E), la preuve présentée dans le seul but d'établir que l'accusé est le genre de personne susceptible d'avoir commis une infraction, est en principe inadmissible. La question de savoir si la preuve en question constitue une exception à cette règle générale dépend de savoir si la valeur probante de la preuve présentée l'emporte sur son effet préjudiciable. Dans un cas comme celui‑ci, où la preuve de faits similaires que l'on veut présenter est une preuve à charge d'un acte moralement répugnant commis par l'accusé, le préjudice qui peut en résulter est grave et la valeur probante de la preuve doit vraiment être grande pour permettre sa réception. Le juge doit considérer des facteurs comme le degré de particularisme marquant à la fois les faits similaires et les infractions reprochées à l'accusé ainsi que le rapport, s'il en est, entre la preuve et les questions autres que la propension, afin de déterminer si, compte tenu des circonstances de l'espèce, la valeur probante de la preuve l'emporte sur le préjudice potentiel et justifie sa réception.

Compte tenu de ce qui précède, j'examine maintenant les faits de cette affaire et la décision du juge du procès.

L'application des critères relatifs à la preuve de faits similaires en l'espèce

L'appelant est accusé d'infractions sexuelles sur sa fille naturelle dont il avait la garde à la suite du décès de sa mère. Pendant une certaine période après que l'enfant fut venue vivre avec l'accusé, celui‑ci s'est comporté comme on s'attend qu'un père naturel se comporte. Cependant, en l'espace de quelques mois, il aurait commencé à avoir des pratiques sexuelles avec l'enfant. Celle‑ci a témoigné que ces incidents ont commencé en octobre ou novembre 1981 alors qu'elle était âgée de onze ans et se sont poursuivis jusqu'en septembre 1983 alors qu'elle était âgée de treize ans. Selon elle, ces événements se produisaient deux ou trois fois par semaine, allant des caresses à la fellation, au cunnilinctus, aux rapports sexuels et à la sodomie. L'enfant a témoigné qu'à une occasion elle et l'accusé avaient uriné l'un sur l'autre.

La preuve de faits similaires que le ministère public a tenté de produire peut se résumer ainsi. Une autre fille, M.H.S., qui était âgée de vingt‑six ans à l'époque du procès, a témoigné qu'elle vivait avec sa mère en 1974 lorsque l'accusé a emménagé chez elles. Elle avait quinze ans à l'époque. Après six mois environ, elle a considéré qu'elle était aussi à l'aise avec l'accusé que s'il s'était agi de son propre père. À cette époque, M.H.S. avait un ami avec qui elle avait eu des rapports sexuels. M.H.S. a témoigné que moins d'un an après avoir emménagé chez elles, l'accusé a commencé à lui faire des propositions sexuelles. Il a d'abord commencé à la caresser et il est ensuite allé plus loin. Finalement, l'accusé et M.H.S. ont eu des rapports sexuels à cinq ou six reprises. De plus, des actes de fellation, de cunnilinctus et de masturbation ont été commis. À la fin de 1975, M.H.S. a quitté le foyer pour aller vivre avec un autre homme avec qui elle avait également eu des rapports sexuels. Après être revenue brièvement au domicile de sa mère, elle a déménagé définitivement à l'âge de dix‑sept ans. À dix‑huit ans, elle est devenue une prostituée et l'est restée pendant trois ans.

Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur en admettant le témoignage de M.H.S.? Dans les motifs de sa décision, il a formulé le bon critère. Il a clairement procédé à partir du principe que la preuve était inadmissible à première vue, soulignant que sa réception [TRADUCTION] "dépend de la valeur probante de la preuve en comparaison du préjudice causé à l'accusé par son admission, quel que soit le but visé en l'admettant". Cependant, il a commis une erreur en affirmant plus loin que le critère approprié pour déterminer la valeur probante de la preuve était [TRADUCTION] "de savoir si les similitudes sont suffisantes pour établir l'existence d'éléments communs dans les méthodes utilisées par l'accusé dans ses rapports sexuels avec [les deux filles] et qu'il est probable qu'il s'agit du même homme". Bien que le juge du procès ait eu raison de se soucier du degré de similitude entre les deux versions, il semble avoir considéré que la preuve de faits similaires se rapportait à l'identité de l'auteur des infractions, ce qui n'était pas en cause. Comme le juge Hetherington l'a souligné au nom de la majorité en Cour d'appel, [TRADUCTION] "l'admissibilité du témoignage de M.H.S. dépendait de la question de savoir si sa valeur probante relativement à la crédibilité d'A.L.B. [la prétendue victime] l'emportait sur son effet préjudiciable" (p. 37). (Je souligne.)

Il m'est difficile de conclure que cette erreur signifie que le juge du procès a procédé à partir du mauvais principe. Juste avant cette affirmation, le juge du procès a exposé le bon critère d'admissibilité d'une preuve de faits similaires et a fait état des autorités pertinentes. Ses raisons de déclarer l'accusé coupable indiquent qu'il ne se souciait absolument pas de l'identité et qu'il jugeait que la question cruciale en l'espèce était de savoir s'il fallait croire la plaignante. Le fait que le juge du procès s'exprime incorrectement à un moment donné ne devrait pas entacher de nullité sa décision si l'essentiel de ses propos indique que le bon critère a été appliqué et si la preuve peut justifier la décision. Compte tenu de l'ensemble de la décision et de toutes les circonstances, la question est de savoir si l'erreur était grave. En l'espèce, je ne puis conclure qu'il s'agissait d'une erreur grave.

Cet aspect de l'affaire est semblable à l'arrêt Guay c. La Reine où il s'agissait, comme en l'espèce, de déterminer l'admissibilité d'une preuve de faits similaires. Le juge du procès a admis la preuve. En Cour d'appel, le juge Rinfret a conclu que la preuve était admissible à juste titre. Le juge Crête a estimé que la preuve était inadmissible mais, invoquant l'art. 613 du Code criminel, il a conclu que la déclaration de culpabilité devrait être confirmée. Le juge Dubé, dissident, a conclu que le juge du procès avait commis une erreur de droit en mentionnant de façon incorrecte une décision inapplicable, l'arrêt Harris v. Director of Public Prosecutions, [1952] A.C. 694 (C.L.) En notre Cour, le juge Pigeon a statué que bien que le juge du procès ait mentionné l'arrêt Harris, il s'était néanmoins surtout appuyé sur une autre décision, l'arrêt R. v. Campbell, [1956] 2 All E.R. 272 (C.C.A.) Parce que l'arrêt Campbell a été appliqué correctement et parce que sa décision démontre qu'il était conscient du danger de déclarer quelqu'un coupable dans des cas de ce genre, la Cour a conclu qu'il n'y avait aucune raison d'évaluer la preuve différemment.

La difficulté en l'espèce peut avoir découlé de l'omission par le juge du procès d'expliquer clairement la question à laquelle se rapportait la preuve de faits similaires. Il me semble qu'il est préférable, dans les cas où il est question d'une preuve de faits similaires extrêmement préjudiciable, que le juge indique clairement en quoi la preuve est pertinente. Cela est encore plus vrai quand il y a un jury. Cependant, quoique le juge du procès ne l'ait pas fait en l'espèce, je suis convaincue, à la lecture de l'ensemble de ses motifs, qu'il a nettement jugé que la preuve de faits similaires en question ne se rapportait qu'à la question de savoir s'il fallait croire la plaignante.

Si la mention erronée par le juge du procès de la question de l'identité en exposant le critère applicable à la preuve de faits similaires n'est pas importante, cette erreur ne peut donc porter atteinte à la validité de sa décision. Dans ces circonstances, le point de vue adopté par notre Cour dans l'arrêt Morris et confirmé dans des arrêts ultérieurs s'applique en l'espèce, c'est‑à‑dire qu'il faut respecter la conclusion du juge du procès quant à savoir où se situe l'équilibre entre le préjudice et la valeur probante en ce qui concerne un élément particulier de la preuve de faits similaires.

Il est bien établi que la preuve de faits similaires peut être utile en matière de corroboration lorsque l'identité ou la mens rea ne sont pas en cause. Andrews et Hirst, op. cit., écrivent au par. 15.27:

[TRADUCTION] 15.27 Une troisième utilisation importante de la preuve de faits similaires est de servir de corroboration, particulièrement dans les cas d'infractions sexuelles ou d'infractions perpétrées sur des enfants où sont imposés en droit soit la corroboration soit un avertissement du juge au jury sur les dangers de déclarer l'accusé coupable en l'absence de corroboration. Dans plusieurs de ces cas, il est peut‑être impossible de commettre une erreur d'identification ou, si le témoin doit être cru, d'avoir des doutes quant à la nature criminelle des actes commis. Le seul doute sera donc de savoir si le plaignant ou la plaignante dit effectivement la vérité.

Comme je l'ai déjà souligné, la valeur probante d'une preuve de faits similaires doit s'évaluer en fonction des autres éléments de preuve en présence. Dans des cas comme celui‑ci, où la parole d'une enfant qui aurait été agressée sexuellement est opposée à celle de l'accusé, la preuve de faits similaires peut être utile relativement à la question cruciale de la crédibilité.

Compte tenu de ce contexte, je passe à l'examen des similitudes entre le témoignage de la plaignante et la preuve de faits similaires de M.H.S. La principale similitude est que, dans chaque cas, on prétend que l'accusé, peu de temps après avoir établi une relation père‑fille avec la victime, a incité celle‑ci à avoir des rapports sexuels avec lui. En outre, le juge du procès a précisé les similitudes quant à l'endroit où les rapports ont eu lieu dans les deux cas et la manière dont ils ont eu lieu. Les filles n'étaient pas du même âge; l'une avait atteint la maturité sexuelle, l'autre était encore une enfant au moment où les actes ont commencé. L'une des filles lui était liée par le sang, l'autre ne l'était pas. Bien que plusieurs des actes aient été identiques, on ne laisse pas entendre que l'accusé et M.H.S. ont uriné l'un sur l'autre. Et beaucoup de temps s'est écoulé entre les deux relations en question.

Cela dit, on ne peut conclure que la preuve ne satisfait absolument pas au critère formulé par les sources que j'ai déjà mentionnées. On pourrait prétendre que le fait que, dans chaque cas, l'accusé ait établi une relation père‑fille avec la victime avant que les infractions sexuelles commencent, tend à indiquer, sinon un système ou un plan, un modèle de comportement similaire permettant de croire que le récit de la plaignante est véridique. La question est donc de savoir si la valeur probante de la preuve l'emporte sur son effet préjudiciable. Même si j'avais pu conclure que cette affaire était un cas limite en matière d'admissibilité, si j'avais été le juge du procès, je ne suis pas disposée à modifier la conclusion du juge du procès dont la tâche était de soupeser la valeur probante de la preuve et son effet préjudiciable en fonction de l'ensemble de l'affaire.

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer la déclaration de culpabilité.

//Le juge Sopinka//

Version française des motifs des juges Lamer et Sopinka rendus par

Le juge Sopinka (dissident) — J'ai lu les motifs du juge McLachlin et je regrette de ne pouvoir souscrire à sa conclusion. Mon désaccord porte tant sur l'application des principes relatifs à la preuve de faits similaires que sur la recevabilité de la preuve en l'espèce.

La preuve de faits similaires

Il n'existe pas de règle particulière relative à la preuve de faits similaires en matière d'infractions sexuelles. La Chambre des lords l'a décidé dans l'arrêt Director of Public Prosecutions v. Kilbourne, [1973] A.C. 729, à la p. 751, reconfirmé dans l'arrêt Director of Public Prosecutions v. Boardman, [1975] A.C. 421. À la page 443, lord Wilberforce a affirmé:

[TRADUCTION] La preuve qu'une infraction sexuelle a été commise par A contre B ne peut être confirmée par la preuve qu'une infraction sexuelle a été commise par A contre C, ou contre C, D et E.

Rien dans les arrêts de notre Cour n'appuie la thèse que la règle a une application particulière en matière d'infractions sexuelles. Par conséquent, la preuve que l'accusé a une propension à attenter à la pudeur des enfants ou de ses propres enfants n'est jamais recevable dans ce seul but.

Pour être recevable, la preuve des actes que l'on prétend être similaires doit avoir une autre pertinence que celle d'établir simplement une disposition générale à commettre le crime reproché. Cette formulation de la règle a été maintes fois répétée en jurisprudence depuis l'arrêt Makin v. Attorney-General for New South Wales, [1894] A.C. 57 (C.P.), et constitue une épuration des deux éléments des célèbres remarques incidentes du lord chancelier Herschell dans cet arrêt. Elle a été résumée par le lord juge en chef Goddard dans la phrase suivante de l'arrêt R. v. Sims, [1946] K.B. 531, à la p. 537:

[TRADUCTION] Il ne faut pas juger une preuve irrecevable pour la seule raison qu'elle tend à établir les mauvaises dispositions de l'accusé, mais seulement si elle ne prouve rien d'autre.

Phipson on Evidence (12e éd. 1976) traite de la règle et de son application dans les passages suivants, à la p. 175:

[TRADUCTION] . . . est irrecevable la preuve

(1)d'actes similaires accomplis par lui‑même si ces actes ne font qu'établir une disposition, une habitude ou une propension générales à commettre de tels actes et, par conséquent, une probabilité qu'il a commis l'acte ou qu'il avait l'état d'esprit en question, et

(2)d'actes similaires accomplis par d'autres dans des circonstances semblables à celles dans lesquelles il se trouvait pour établir qu'il serait probable qu'il agisse comme eux.

Et, à la p. 179:

[TRADUCTION] 1. La recevabilité d'une preuve de faits similaires est exceptionnelle et exige une très grande force probante.

2. Il appartient au juge de décider, d'abord comme question de droit et ensuite en vertu de son pouvoir discrétionnaire, s'il y a lieu d'admettre la preuve. Il faut répondre à deux questions: (i) la preuve de faits similaires est‑elle recevable, c'est‑à‑dire pertinente? (ii) dans l'affirmative, le juge devrait‑il refuser de l'admettre dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, c'est‑à‑dire, l'effet préjudiciable de la preuve l'emporte‑t‑il sur sa force probante? En pratique, les deux questions ont tendance à se confondre. Comme on l'a déjà souligné, c'est parce que le jury peut accorder trop d'importance à la preuve de faits similaires qu'elle est écartée. La question peut donc se formuler ainsi: la preuve de faits similaires a‑t‑elle suffisamment de force probante pour surmonter le premier obstacle de la pertinence et ensuite l'obstacle beaucoup plus difficile qui consiste à déterminer si elle l'emporte sur son effet préjudiciable?

Tant avant qu'après l'arrêt Boardman, précité, notre Cour, à l'unanimité, a retenu cette interprétation. Dans l'arrêt Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709, à la p. 732, le juge Pratte, au nom de la majorité, a approuvé l'extrait suivant des motifs de lord Salmon dans l'arrêt Boardman:

[TRADUCTION] Le critère doit être ‑- la preuve est‑elle susceptible de convaincre un jury raisonnable de la culpabilité de l'accusé pour une raison autre que sa mauvaise réputation et sa disposition à commettre le type d'acte criminel qui lui est imputé?

Il a poursuivi, aux pp. 734 et 735:

Il y a lieu d'appliquer ici la règle qui était énoncée dans Rance and Herron (1975), 62 Cr. App. R. 118, à la p. 121, au sujet de la preuve de faits similaires, et qui était récemment approuvée dans l'arrêt Scarrott (1977), 65 Cr. App. R. 125, à la p. 129:

[TRADUCTION] . . . Lord Cross et lord Salmon disent essentiellement que la preuve de faits similaires est admissible seulement si elle démontre plus qu'une tendance à commettre des actes criminels de cette nature et si elle a vraiment une valeur probante relativement à l'acte criminel présentement imputé. Tel est, à notre avis, le critère qu'il faut appliquer pour décider si la preuve de faits similaires a, en l'espèce, été admise à bon droit.

Dans l'arrêt Sweitzer c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 949, le juge McIntyre, au nom de la Cour au complet, a répété que le principe de l'arrêt Makin s'appliquait mais, après avoir évalué l'effet de l'arrêt Boardman, il a conclu que les catégories mentionnées dans le célèbre passage du lord chancelier Herschell, bien qu'utiles pour illustrer la façon dont les faits similaires peuvent être pertinents, n'étaient pas exhaustives. À la page 954, il a affirmé:

Lorsqu'on aborde ce problème, il convient d'avoir présent à l'esprit le principe général énoncé par lord Herschell dans l'arrêt Makin. Les catégories sont parfois utiles, mais il reste qu'elles ne constituent que des illustrations de l'application de cette règle générale.

Dans l'arrêt Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190, aux pp. 201 à 203, le juge Lamer a affirmé:

D'où l'avènement de ce qui suit, comme règle d'exclusion fondamentale: la propension, c.‑à‑d. le fait que l'accusé est le type de personne susceptible de commettre l'infraction en cause, bien que pertinente, n'est pas admissible en preuve. Par conséquent, est inadmissible la preuve produite à seule fin d'établir la propension; en d'autres termes, est inadmissible la preuve dont l'unique lien avec l'infraction perpétrée est qu'elle établit la propension.

. . .

La propension, si elle ne se rapporte pas au crime perpétré, n'a aucune valeur probante; elle est donc non pertinente au même titre que tout autre fait du même genre et doit pour cette raison être exclue. [Souligné dans l'original.]

Et, à la p. 204:

L'article est pertinent à un seul titre, savoir qu'il établit la propension de l'accusé; on en arrive à cette conclusion par le raisonnement suivant: parce que les trafiquants sont davantage susceptibles de garder de tels renseignements, les gens qui conservent ce type de renseignements sont plus susceptibles d'être des trafiquants que les gens qui ne le font pas, et l'infraction reprochée est plus susceptible d'avoir été commise par un trafiquant que par un non‑trafiquant. En situant l'accusé dans la première catégorie (celle des gens qui conservent de tels renseignements pour consultation future), on vise finalement à le situer dans une catégorie de gens dont la réputation indique une propension à commettre les infractions en cause. Il s'agit là d'une preuve nettement irrecevable.

Il ressort de ce qui précède qu'un facteur capital dans l'application de la règle est l'estimation de la valeur probante de la preuve. Elle doit être évaluée pour déterminer si la pertinence de la preuve vise davantage que la simple propension et, dans l'affirmative, si sa valeur probante l'emporte sur son effet préjudiciable.

Comme l'a affirmé le juge Wilson dans l'arrêt R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918, à la p. 943:

Dans l'analyse de la valeur probante, il faut tenir compte de la mesure dans laquelle les éléments de preuve en question se rapportent aux faits en litige et du poids de la déduction qu'on peut en tirer.

Dans les motifs de la majorité dans l'arrêt R. c. D. (L.E.), [1989] 2 R.C.S. 111, nous avons dit ce qui suit, à la p. 121:

La démarche intellectuelle consiste donc à déterminer si la preuve d'actes similaires a une valeur probante à l'égard d'un fait litigieux, outre sa tendance à mener à la conclusion que l'accusé est coupable en raison de sa disposition à commettre certains types d'actes illicites. Si la preuve a une telle valeur probante, la cour doit alors décider s'il s'agit d'une valeur probante qui suffit pour justifier son admissibilité en dépit de sa tendance préjudiciable.

Pour avoir une valeur probante, la preuve doit pouvoir permettre une déduction pertinente relativement aux questions de l'affaire autre que la simple déduction que l'accusé a commis l'infraction en raison de sa propension au type de conduite qu'on lui reproche: Morris c. La Reine, précité, le juge Lamer, à la p. 203. Dans cet arrêt, la preuve a été admise parce que les juges de la majorité, bien que d'accord avec la remarque du juge Lamer quant à la pertinence, n'ont pas souscrit "à la façon dont il qualifie la coupure de journal en l'espèce, soit de preuve indiquant seulement une propension de la part de l'appelant" (le juge McIntyre, à la p. 191 (je souligne)). Le droit écarte cette preuve logiquement pertinente parce qu' [TRADUCTION] "on juge que son préjudice pour l'accusé l'emporte considérablement sur sa valeur logiquement probante, de sorte que l'équité du procès est compromise si elle est admise" (lord Simon dans l'arrêt Kilbourne, précité, à la p. 757). Comme dans le cas de la pertinence, la preuve peut être logiquement probante mais non juridiquement probante. Lorsque l'expression "valeur probante" est employée dans les arrêts, il s'agit de la valeur juridiquement probante.

La principale raison de la règle d'exclusion relative à la propension est qu'il existe une tendance tout à fait humaine à juger les actes d'une personne en fonction de son caractère. Surtout avec des jurys, la tentation serait forte de conclure qu'un voleur a volé, qu'un homme violent a commis des voies de fait et qu'un pédophile s'est livré à des actes de pédophilie. Cependant, les principes du droit vont tout à fait à l'encontre de ce mode de raisonnement. Ces principes jouent non seulement dans les cas d'actes similaires mais également dans la règle qui écarte la preuve de moralité de l'accusé à moins que celui‑ci ne la mette lui-même en cause. Plus forte est la preuve de la propension, plus grand est le risque d'arriver à la déduction interdite et donc plus grand est le préjudice.

Je ne puis donc souscrire à la théorie que, dans des cas exceptionnels, la propension à elle seule peut justifier la recevabilité. Affirmer que la propension peut avoir une valeur probante suffisamment élevée pour être recevable est une contradiction en soi. Cela revient à dire que c'est lorsque le danger du mode de raisonnement interdit est le plus grand, que la preuve peut être admise. On a dit que ce changement dans les principes décrits précédemment a été effectué dans l'arrêt Boardman, précité (voir L. H. Hoffmann, "Similar Facts after Boardman" (1975), 91 L.Q.R. 193, à la p. 202).

L'idée que l'arrêt Boardman a été à l'origine d'un changement radical dans le droit n'est pas confirmée par l'analyse des opinions exprimées à la Chambre des lords. À mon avis, on a confirmé l'arrêt Makin sous réserve de ce qui suit: l'opinion du vicomte Simon dans l'arrêt Harris v. Director of Public Prosecutions, [1952] A.C. 694, selon laquelle le deuxième élément de la remarque du lord chancelier Herschell comportait des exemples de pertinence qui n'étaient pas exhaustifs, a été confirmée. En outre, on a conclu que, dans certaines circonstances, la preuve d'actes de l'accusé est recevable sans égard à leur tendance à établir la propension si ces actes ont une similarité étroite ou frappante avec l'acte reproché. L'existence de tels éléments communs entre les actes de l'appelant Boardman, d'après le témoignage des deux garçons plaignants, faisait en sorte que le témoignage de chacun semblait vraisemblable. On ne pouvait parvenir à cette conclusion qu'après avoir écarté la possibilité de collaboration entre eux et après avoir rejeté l'hypothèse que les similarités pouvaient résulter d'une coïncidence.

Lord Morris a confirmé l'arrêt Makin sous la réserve susmentionnée, et a affirmé (à la p. 441):

[TRADUCTION] Il n'existe aucune règle particulière qui rendrait automatique la recevabilité. Mais il peut y avoir des cas où un juge, s'appuyant sur les deux éléments de la célèbre affirmation du lord chancelier Herschell (Makin v. Attorney‑General for New South Wales, [1984] A.C. 57, à la p. 65), estime que les intérêts de la justice (dont ceux de l'équité sont un élément fondamental) le justifie de permettre à un jury, lorsqu'il examine la preuve relative à une accusation concernant un fait ou une série de faits d'examiner également la preuve concernant un autre fait ou une autre série de faits s'il existe entre les deux une telle similarité étroite ou frappante ou une telle unité sous‑jacente que la force probante peut en être déduite raisonnablement. [Je souligne.]

Auparavant, à la p. 440, il a approuvé l'extrait suivant de l'arrêt Kilbourne de la Cour d'appel:

[TRADUCTION] Par exemple, qu'établit le témoignage de Gary par rapport à celui de John, concernant le premier chef? La réponse est que son témoignage, possédant les aspects frappants de ressemblance entre les actes qui ont été commis sur lui et ceux que l'on prétend avoir été commis sur John, rend plus probable le fait que John disait la vérité lorsqu'il a dit que l'appelant s'était comporté de la même façon envers lui. [Je souligne.]

Lord Wilberforce a affirmé, à la p. 444:

[TRADUCTION] Le principe fondamental doit être que la recevabilité d'une preuve de faits similaires (du genre en question ici) est exceptionnelle et exige une force probante très élevée. Cette force probante, s'il en est, résulte de ce que les faits qui ressortent du témoignage de plusieurs témoins ont entre eux une telle similarité frappante que lorsqu'on les examine à la lumière de l'expérience et du bon sens ils sont tous exacts ou résultent d'une cause commune à tous les témoins ou de la pure coïncidence. [Je souligne.]

Lord Hailsham a expliqué la règle, à la p. 453:

[TRADUCTION] Il est peut‑être utile de se rappeler que ce qui ne doit pas être admis est un raisonnement et non pas nécessairement un état de faits. Si le raisonnement inadmissible constitue l'unique fin de la production de la preuve en droit, la preuve elle‑même est inadmissible. Si elle a une fin pertinente et probante autre que celle d'étayer le raisonnement défendu, la preuve est admise, mais le juge doit avertir le jury de ne pas adopter ce raisonnement défendu. [En italique dans l'original.]

Notre Cour a fait sienne cette explication dans l'arrêt R. c. D. (L.E.), précité, à la p. 120.

Lord Cross semble admettre la théorie que la conduite antérieure qui constitue simplement une preuve de la propension pourrait parfois être admise. À la page 456, il mentionne l'arrêt R. v. Straffen, [1952] 2 Q.B. 911, une affaire dans laquelle l'accusé qui avait commis deux meurtres antérieurement était accusé d'un troisième meurtre. Ils avaient tous été commis d'une façon particulière. De l'avis de lord Cross, la preuve des deux meurtres antérieurs était recevable même [TRADUCTION] "s'ils constituaient simplement une preuve pour établir que Straffen était un homme qui était susceptible de commettre un meurtre d'un genre particulier" (p. 457). Quoi qu'il en soit, il ressort clairement de ses motifs que lord Cross a admis la preuve de faits similaires non pas parce qu'elle établissait l'existence d'une disposition générale à des relations homosexuelles avec des garçons mais parce qu'il y avait suffisamment de similarités frappantes dans le témoignage de chaque garçon pour écarter la coïncidence, la collaboration ayant été exclue. À la page 460, lord Cross affirme:

[TRADUCTION] D'autre part, je pense que lorsque vous n'avez que deux cas, vous devez procéder avec beaucoup de prudence. Il n'est pas rare qu'un garçon accuse à tort un professeur de lui avoir fait des avances homosexuelles. Si deux garçons portent de telles accusations au même moment indépendamment l'un de l'autre, il n'y a pas de doute que l'homme ordinaire aurait tendance à penser qu'il y a "probablement quelque chose de vrai dans cela." Mais c'est justement cette réaction instinctive de l'homme ordinaire que vise à contrecarrer la règle générale et je pense qu'il faut trouver des éléments communs très frappants entre les deux histoires pour justifier la recevabilité de l'une en vue de supporter l'autre. [Je souligne.]

Après avoir expressément confirmé les principes de l'arrêt Makin, précité, lord Salmon a affirmé, à la p. 462:

[TRADUCTION] Le critère doit être le suivant: la preuve est‑elle susceptible de convaincre un jury raisonnable de la culpabilité de l'accusé pour une raison autre que sa mauvaise réputation et la disposition à commettre le genre de crime qui lui est reproché? [Je souligne.]

Lord Cross, dans ses motifs, est le seul à appuyer l'affirmation que la preuve de la disposition générale à commettre certains genres d'actes criminels est recevable à cette seule fin. On peut mettre en doute son exemple de l'arrêt Straffen. Bien que la preuve dans cet arrêt ait certainement donné lieu à la déduction qu'il propose, elle n'a pas été admise simplement pour établir la propension à commettre le meurtre. La façon de faire était tellement semblable qu'elle apportait une preuve concluante de l'identité. Par conséquent, c'était la pertinence plutôt que la simple propension qui justifiait la recevabilité de la preuve.

Dans les arrêts qu'elle a rendus depuis l'arrêt Boardman, notre Cour a interprété cet arrêt de la façon décrite précédemment et n'a pas retenu la théorie que la preuve présentée dans le seul but d'établir la disposition générale est recevable.

En outre, cette analyse est conforme à l'opinion du savant auteur de Cross on Evidence (6e éd. 1985). Après avoir cité l'extrait des motifs de lord Hailsham reproduits antérieurement selon lequel "ce qui ne doit pas être admis est un raisonnement et non pas nécessairement un état de faits", il fait la remarque suivante, à la p. 316: [TRADUCTION] "C'est une condition extrêmement importante et, comprise correctement, elle rend plus compréhensible la règle des faits similaires".

En résumant la partie relative à la portée de la règle, il affirme, à la p. 321:

[TRADUCTION] On comprend maintenant que la preuve révélant la disposition indigne de l'accusé n'est écartée en vertu de la règle des faits similaires que lorsque cette disposition est une étape essentielle de l'argument. Si la preuve de la disposition n'est pas pertinente, elle est écartée pour cette raison. Si elle est pertinente, mais selon des arguments qui n'ont aucun lien avec la disposition indigne de l'accusé, elle est en principe recevable mais susceptible encore d'être écartée dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire si on estime que son effet préjudiciable l'emporte suffisamment sur sa valeur probante.

Le savant auteur reconnaît qu'une décision comme l'arrêt Straffen, précité, semble être une exception à l'opinion de lord Hailsham, mais estime que, dans un tel cas, la preuve devrait être suffisamment solide pour être l'équivalent de la découverte d'empreintes sur les lieux du crime (Cross on Evidence, op. cit., à la p. 334).

Lorsque la preuve de faits similaires est admise parce que l'accusé a commis les autres actes d'une manière très caractéristique, son admission peut sembler déroger au principe que la preuve de la seule propension ne doit pas être admise. Cette preuve est‑elle admise dans le seul but de favoriser la déduction que, parce que l'accusé a une certaine disposition générale, il a commis l'infraction reprochée? À mon avis, il y a une distinction entre une preuve relative à la moralité en général et une façon de faire. Ce que le droit veut interdire est un raisonnement qui condamnerait l'accusé en raison de sa réputation de voleur, de fraudeur, de menteur ou de personne violente. Par ailleurs, une façon de faire très individualisée équivaut à une preuve que l'accusé a laissé sa carte de visite. Le raisonnement qui relie l'accusé au crime reproché est identique à celui suivi dans le cas d'autres preuves d'identification et se différencie du raisonnement interdit. Par exemple, si on établit que le prévenu, accusé d'avoir percé un coffre‑fort, est un perceur de coffre‑fort connu, et un des deux ou trois seuls gens du métier qui soient capables de résoudre les complexités d'un mécanisme de sécurité particulier, la preuve comporte deux aspects. L'accusé est un perceur de coffre‑fort et possède une expertise particulière. Nul doute que si la preuve est acceptée les deux aspects peuvent relier l'accusé au crime. Seul le second aspect est admis. Je n'estime pas inexact de qualifier la preuve relative au second aspect comme une preuve pertinente relativement à l'identité. Si, dans un cas particulier, le juge du procès est d'avis que la distinction entre les deux aspects est trop subtile, la recevabilité de la preuve sera alors déterminée par une évaluation de sa force probante par rapport à son effet préjudiciable: quel est le risque que le premier aspect supplante le second, et la valeur de la preuve en ce qui concerne son second aspect justifie‑t‑elle sa recevabilité?

Il n'est pas nécessaire de résoudre en l'espèce toutes les difficultés que présente cet aspect du droit relatif aux actes similaires puisqu'on tente de justifier la recevabilité de la preuve par des moyens traditionnels. Le juge du procès a décidé qu'elle était pertinente relativement à l'identité alors que la Cour d'appel a affirmé qu'elle était pertinente relativement à la crédibilité de la plaignante. Le juge McLachlin justifie son admission en vertu de ce dernier motif et, ce qui revient peut‑être à la même chose, comme preuve utile pour corroborer le témoignage de la plaignante. J'examine maintenant la preuve en l'espèce pour déterminer si elle est recevable en fonction de ces moyens.

L'application en l'espèce

Bien que ma collègue et moi‑même n'interprétions pas exactement de la même façon l'arrêt Boardman, elle formule de la façon suivante le critère de recevabilité (à la p. 000):

. . . la preuve de la propension, bien que généralement irrecevable, peut exceptionnellement être admise lorsque la valeur probante de la preuve relative à une question soulevée est tellement grande qu'elle l'emporte sur le préjudice grave que subira inévitablement l'accusé si la preuve d'actes immoraux ou illégaux antérieurs est présentée au jury.

Dans ses motifs, elle mentionne également le rejet de la méthode des catégories à laquelle j'ai fait allusion et souligne la tendance à "largement respecter la décision du juge du procès" (p. 000). On dit que la valeur probante de la preuve est sa pertinence relativement à la "question de savoir s'il [faut] croire la plaignante" (p. 000) et à la corroboration. La valeur probante est apparemment utilisée dans le sens que j'ai souligné précédemment.

Je partage l'opinion de ma collègue qu'il est important que le juge du procès précise la pertinence de la preuve et la question à laquelle elle se rapporte. Le juge du procès ne l'a pas fait. En effet, à deux étapes distinctes du procès, il n'a pas décrit correctement la pertinence de la preuve. Dans ses motifs sur le voir‑dire, il a affirmé:

[TRADUCTION] À mon avis, la recevabilité de la preuve dépend de la question de savoir si les similitudes sont suffisantes pour établir l'existence d'éléments communs dans les méthodes utilisées par l'accusé dans ses rapports sexuels avec [la plaignante et M.H.S.] et qu'il est probable qu'il s'agit du même homme.

Il a répété cela au procès. Nulle part dans les motifs il n'est fait mention de l'évaluation de l'effet préjudiciable par rapport à la valeur probante. Par conséquent, affirmer qu'il considérait la preuve pertinente à la question de la crédibilité de la plaignante relève de la pure spéculation. Comme il a affirmé deux fois expressément, et à tort, que la preuve était pertinente à une question, il faudrait trouver dans le texte des motifs certaines indications que l'erreur a été corrigée. Je ne trouve rien.

Quoi qu'il en soit, à supposer que son affirmation par laquelle il a accepté le témoignage de la plaignante puisse relier la preuve de faits similaires à cette question, j'estime que c'est une identification insuffisante de la pertinence au regard d'une question en litige. La thèse du ministère public était fondée presque entièrement sur le témoignage de la plaignante. La défense consistait à nier la plainte. On pouvait dire que toute preuve pertinente de nature à établir la culpabilité était pertinente à la question de la crédibilité de la plaignante. La crédibilité de la plaignante est de même portée que la question de l'innocence ou de la culpabilité. Affirmer que la preuve appuie la crédibilité de la plaignante revient tout simplement à dire que la preuve appuie la culpabilité. On pourrait dire la même chose si la preuve était admise en vue d'établir que l'appelant était coupable parce qu'il s'était livré auparavant à une conduite semblable. Une identification plus précise est requise. Dans l'arrêt R. c. D. (L.E.) (1987), 20 B.C.L.R. (2d) 384, le juge McLachlin de la Cour d'appel (tel était alors son titre) a dit ce qui suit, à la p. 400, au sujet de la description par le juge du procès d'une preuve de faits similaires comme preuve pertinente relativement au contexte:

[TRADUCTION] À mon avis, dire au jury qu'il pouvait considérer la preuve comme faisant partie du "contexte" était inadéquat et visait à l'induire en erreur. Le terme "contexte" est vague et peut comporter plusieurs sens, y compris la déduction générale interdite en droit que, parce que l'accusé a mal agi en une occasion antérieure, il est probable qu'il ait agi de la même façon à l'occasion des faits donnant lieu à l'accusation.

Deuxièmement, je pense qu'il aurait fallu dire au jury que la preuve pouvait seulement être utilisée dans le but restreint d'établir la passion sexuelle et de réfuter le moyen de défense de l'association innocente. Sous ce rapport, je pense qu'il aurait été utile de dire au jury que s'il ne pouvait conclure à la passion sexuelle à partir de la preuve de l'inconduite antérieure de l'accusé, il devait écarter la preuve.

Cette opinion dissidente a été confirmée en grande partie par notre Cour (R. c. D. (L.E.), précité).

Cette affirmation s'applique en l'espèce. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un procès devant jury, la pertinence de la preuve doit être identifiée ainsi que son utilisation dans un but qui n'est pas interdit en droit.

Étant donné que les faits similaires allégués avaient des caractéristiques communes avec les actes reprochés, ils pouvaient être recevables et, par conséquent, confirmer le témoignage de la plaignante. Cependant, pour qu'ils soient recevables, il faudrait conclure que les similitudes étaient telles qu'en l'absence de collaboration, il serait contraire au sens commun de laisser entendre que les similitudes relevaient de la coïncidence: voir lord Simon of Glaisdale dans l'arrêt Kilbourne, précité, à la p. 759. Ce n'est qu'à ce moment que l'on pourrait affirmer qu'il était plus probable que la plaignante dise la vérité. Rien dans les motifs du juge du procès n'indique qu'il a examiné la preuve en tenant compte de ces principes.

L'utilité de la preuve de faits similaires pour corroborer le témoignage des enfants ne peut pas servir non plus de fondement à sa recevabilité. Avant d'utiliser cette preuve comme preuve corroborante, il faut conclure qu'elle est recevable. Elle ne peut devenir recevable parce qu'elle est corroborante. Le professeur J. A. Andrews et M. M. Hirst l'expliquent clairement dans l'ouvrage Criminal Evidence (1987), à la p. 337, par. 15.29, qui suit le paragraphe cité par ma collègue. Ils affirment:

[TRADUCTION] On a souligné ultérieurement que la recevabilité de la preuve de faits similaires ne dépend jamais de la question de savoir s'il existe d'autres preuves qu'elle peut corroborer. La recevabilité dépend seulement de sa pertinence inhérente ou de sa force probante. Une fois admise, il peut alors s'ensuivre qu'il existe d'autres preuves qu'elle vient corroborer; mais il s'agit d'une conséquence de la recevabilité, non d'une condition préalable à celle‑ci.

En examinant la recevabilité de la preuve en l'espèce, je note qu'on ne semble pas avoir tenté de nier la possibilité de la collaboration. Aucune question n'a été posée aux témoins du ministère public pour déterminer si cette possibilité existait. Le ministère public, qui doit convaincre le juge du procès que la preuve a une valeur probante, a le fardeau de cette preuve. En Angleterre, il semble que la simple possibilité de la collaboration suffise à écarter la preuve. Dans l'arrêt Boardman, précité, à la p. 444, lord Wilberforce a affirmé:

[TRADUCTION] En matière sexuelle, et dans d'autres domaines, cela peut être une possibilité réelle: il faut beaucoup plus qu'une simple similitude et une absence de preuve de complot pour que cette preuve soit admise. Cela ressort clairement de l'arrêt Reg. v. Kilbourne, [1973] A.C. 529, dans lequel le juge a écarté la preuve "provenant de l'intérieur du groupe" en raison de la possibilité, telle qu'il la percevait, de collaboration entre des garçons qui se connaissaient bien. À mon avis, il s'agit là de la bonne façon de procéder plutôt que d'admettre la preuve sauf lorsque la collaboration ou le complot sont établis. [En italique dans l'original.]

À mon avis, le ministère public doit écarter le complot ou la collaboration conformément à la norme de droit criminel. C'est une exigence applicable chaque fois qu'une conclusion de fait préliminaire est une condition préalable à la recevabilité d'une preuve produite par le ministère public. Je ne vois aucune raison de retenir la norme anglaise plus sévère.

Il y a maintenant l'autre question de la coïncidence. Les éléments communs dans le témoignage des deux filles sont‑ils si inhabituels qu'il serait contraire au sens commun de conclure qu'elles ne disent pas toutes les deux la vérité? À cet égard, la remarque précitée de lord Cross dans l'arrêt Boardman est utile. Nous n'avons que deux cas et nous devrions procéder avec prudence. Ils sont séparés par un laps de temps considérable et il existe également des différences importantes qui sont précisées dans les motifs du juge Harradence de la Cour d'appel. Le juge McLachlin souligne que dans chaque cas l'appelant a établi une relation père‑fille. Comme elle l'indique dans son résumé des faits, l'appelant était le père d'une enfant et avait une relation père‑fille avec l'autre. Ces faits ne sont pas inhabituels, ils sont d'ailleurs neutres. Quoi qu'il en soit, lorsqu'on allègue qu'un père a eu une relation incestueuse avec deux de ses enfants, ce fait devient un élément commun aux deux. Si les deux filles, ou l'une d'elles, ne disent pas la vérité, est‑il invraisemblable qu'elles auraient affirmé que l'appelant avait établi une relation père‑fille avec elles? Non, de toute évidence, parce que cela s'est produit sans égard à la question de savoir si le reste de leur témoignage est véridique.

Dans l'arrêt Boardman, lord Wilberforce a exprimé la crainte que l'affaire, [TRADUCTION] "si on la considère comme un exemple, puisse placer la norme de la "similarité frappante" à un niveau trop bas" (p. 445). Bien qu'il ne soit plus de pratique courante de comparer les faits de différentes espèces, je crains qu'en admettant cette preuve, nous établissions une norme très faible, voire pratiquement inexistante.

Nonobstant le rejet de la preuve, le juge du procès aurait pu accepter le témoignage de la plaignante et rejeter le témoignage de l'appelant. Si la preuve écartait tout doute raisonnable, l'appelant devait être déclaré coupable. Je ne puis dire ce qui ce serait produit si la preuve de faits similaires avait été rejetée par le juge du procès. Par conséquent, je suis d'avis d'ordonner la tenue d'un nouveau procès. Le pourvoi est donc accueilli et la tenue d'un nouveau procès ordonnée.

Pourvoi rejeté, les juges Lamer et Sopinka sont dissidents.

Procureurs de l'appelant: Singleton Urquhart, Calgary.

Procureur de l'intimée: Le procureur général de l'Alberta, Edmonton.


Synthèse
Référence neutre : [1990] 1 R.C.S. 717 ?
Date de la décision : 12/04/1990
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Preuve - Preuve de faits similaires - Recevabilité - Infractions sexuelles - Accusé déclaré coupable d'infractions sexuelles contre sa fille naturelle - La preuve d'actes antérieurs d'inconduite sexuelle reprochés à l'accusé avec la fille de sa conjointe de fait devait‑elle être admise?.

L'appelant est accusé d'infractions sexuelles contre sa fille naturelle, la plaignante, dont il avait la garde à la suite du décès de sa mère. Au procès, la question n'était pas de savoir qui avait commis les infractions mais s'il fallait croire la plaignante. La plaignante a témoigné que les actes d'inconduite sexuelle par l'accusé ont commencé en 1981 alors qu'elle était âgée de onze ans et se sont poursuivis pendant près de deux ans. Selon son témoignage, les actes avaient lieu deux ou trois fois par semaine, allant des caresses à la fellation, au cunnilinctus, aux rapports sexuels et à la sodomie. À une occasion, la plaignante et l'accusé ont uriné l'un sur l'autre. À l'appui de son témoignage, le ministère public a tenté de produire la preuve qu'en 1975 l'accusé avait eu des relations sexuelles avec une fille de 15 ans, M.H.S., la fille de sa conjointe de fait, avec qui il avait également eu une relation père‑fille. M.H.S., qui à l'époque était déjà active sexuellement, a témoigné que moins d'un an après avoir déménagé avec eux, l'accusé a commencé à lui faire des propositions sexuelles. Il a d'abord commencé à la caresser et, en fin de compte, ils ont eu des rapports sexuels à cinq ou six reprises. De plus, il y a eu des actes de fellation, de cunnilinctus et de masturbation. Dans sa décision sur le voir‑dire, le juge du procès a formulé le bon critère de la recevabilité d'une preuve de faits similaires, mais il a affirmé plus loin que la recevabilité du témoignage de M.H.S. dépendait de la question "de savoir si les similitudes sont suffisantes pour établir l'existence d'éléments communs dans les méthodes utilisées par l'accusé dans ses rapports sexuels avec [la plaignante et M.H.S.] et qu'il est probable qu'il s'agit du même homme". Il a admis la preuve et, à la fin du procès, il a déclaré l'accusé coupable. La Cour d'appel, à la majorité, a conclu que la preuve de faits similaires avait correctement été admise et a confirmé la déclaration de culpabilité. La question à trancher dans ce pourvoi est de savoir si la Cour d'appel a correctement conclu que la preuve était admissible, malgré la mention de l'identité par le juge du procès et les distinctions invoquées par l'accusé entre ce qui lui était reproché et la preuve de faits similaires.

Arrêt (les juges Lamer et Sopinka sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Dickson et les juges Wilson, L'Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin: La preuve qui est présentée dans le seul but d'établir la disposition ou la propension est, en principe, irrecevable. La question de savoir si la preuve visée constitue une exception à cette règle générale dépend de savoir si la valeur probante de la preuve présentée l'emporte sur son effet préjudiciable. Dans un cas comme celui‑ci, où la preuve de faits similaires que l'on veut présenter est une preuve à charge d'un acte moralement répugnant commis par l'accusé, le préjudice qui peut en résulter est grave et la valeur probante de la preuve doit être grande pour permettre sa réception. Le juge du procès doit considérer des facteurs comme le degré de particularisme marquant à la fois les faits similaires et les infractions reprochées à l'accusé ainsi que le rapport, s'il en est, entre la preuve et des questions autres que la propension pour déterminer si, compte tenu des circonstances de l'espèce, la valeur probante de la preuve l'emporte sur son préjudice potentiel et justifie sa réception.

En l'espèce, le juge du procès n'a pas commis d'erreur en admettant le témoignage de M.H.S. Il a formulé le bon critère de la recevabilité de la preuve de faits similaires et il a clairement procédé à partir du principe que la preuve était à première vue inadmissible. La préoccupation du juge du procès quant au degré de similitude entre les deux histoires était justifiée. Malgré sa remarque erronée laissant entendre que la preuve de faits similaires se rapportait à la question de l'identité de l'auteur des infractions, ce qui n'était pas en cause, ses raisons de déclarer l'accusé coupable indiquent qu'il ne se souciait absolument pas de l'identité et jugeait que la question cruciale en l'espèce était de savoir s'il fallait croire la plaignante. Le fait que le juge du procès s'exprime incorrectement à un moment donné ne devrait pas entacher de nullité sa décision si l'essentiel de ses propos indique que le bon critère a été appliqué et si la preuve peut justifier sa décision. Étant donné l'ensemble de la décision et toutes les circonstances, il ne s'agissait pas d'une erreur grave et elle n'a pas porté atteinte à la validité de la décision du juge du procès. Cependant, en général, le juge du procès devrait, dans des cas où la preuve de faits similaires est très préjudiciable, indiquer clairement en quoi la preuve est pertinente.

Lorsque l'identité ou la mens rea ne sont pas en cause, la preuve de faits similaires peut servir de corroboration. En effet, lorsque dans un cas comme celui‑ci, le témoignage de l'enfant qui aurait été agressé sexuellement est opposé au témoignage de l'accusé, la preuve de faits similaires peut être utile sur la question cruciale de la crédibilité.

Enfin, on ne peut conclure, à partir des similitudes et des différences entre le témoignage de la plaignante et la preuve de faits similaires de M.H.S., et du laps de temps considérable entre les deux relations en question, que la preuve ne satisfait pas au critère de la "grande valeur probante". Le fait que dans chaque cas l'accusé ait établi une relation père‑fille avant que les infractions sexuelles commencent indique, sinon un système ou un plan, un modèle de comportement similaire permettant de croire que le témoignage de la plaignante est véridique. La question est donc de savoir si la valeur probante de la preuve l'emporte sur son effet préjudiciable. Même s'il s'agit d'un cas limite en matière de recevabilité de la preuve, notre Cour ne devrait pas intervenir dans la conclusion du juge du procès dont la tâche était de soupeser la valeur probante du témoignage et son effet préjudiciable en fonction de l'ensemble de l'affaire. Lorsque le droit confère au juge du procès un large pouvoir discrétionnaire, les tribunaux d'appel devraient hésiter à s'immiscer dans l'exercice de ce pouvoir en l'absence d'une erreur manifeste de droit ou de compétence.

Les juges Lamer et Sopinka (dissidents): Il n'existe pas de règle particulière relative à la preuve de faits similaires en matière d'infractions sexuelles. Pour être recevable, la preuve de faits similaires doit avoir à l'égard d'une question en litige une pertinence autre que celle d'établir simplement une disposition générale à commettre le crime reproché; et, si tel est le cas, sa valeur probante doit l'emporter sur son effet préjudiciable. L'identification de la valeur probante de la preuve est donc un facteur capital dans l'application de la règle de la preuve de faits similaires. La preuve présentée dans le seul but d'établir la propension est irrecevable. Cependant, dans certaines circonstances, la preuve des actes de l'accusé est recevable sans égard à leur tendance à établir la propension si ces actes ont une similarité étroite ou frappante avec l'acte reproché. Dans ce cas, l'admission de la preuve de faits similaires ne déroge pas au principe que la preuve de la seule propension ne doit pas être admise. Il y a une distinction entre une preuve relative à la moralité en général et une façon de faire. Ce que la loi veut interdire est un raisonnement qui condamnerait l'accusé en raison de sa réputation. Une façon de faire très individualisée équivaut à une preuve que l'accusé a laissé sa carte de visite. Le raisonnement qui relie l'accusé au crime reproché est identique à celui qui est suivi dans le cas d'autres preuves d'identification et se distingue du raisonnement interdit. En résumé, c'est la pertinence plutôt que la simple propension qui justifie la recevabilité de la preuve.

En l'espèce, le juge du procès a commis une erreur en admettant le témoignage. Il n'a pas précisé correctement la pertinence de la preuve et n'a pas déterminé si l'effet préjudiciable de la preuve l'emportait sur sa valeur probante. Affirmer qu'il considérait la preuve pertinente à la question de la crédibilité de la plaignante relève de la pure spéculation. À supposer cependant que la déclaration faite par le juge du procès en acceptant le témoignage de la plaignante puisse relier la preuve de faits similaires à cette question, c'est une identification insuffisante de la pertinence au regard d'un point en litige. En l'espèce, la crédibilité de la plaignante est de même portée que la question de l'innocence ou de la culpabilité. La thèse du ministère public est fondée presque entièrement sur le témoignage de la plaignante et la défense consiste à nier la plainte. On pouvait dire que toute preuve pertinente de nature à établir la culpabilité était pertinente à la question de la crédibilité de la plaignante. Une identification plus précise est requise: la pertinence de la preuve et son utilisation dans un but qui n'est pas interdit en droit devaient être clairement identifiées.

Ce n'est pas parce que les faits similaires allégués avaient des caractéristiques communes avec les actes reprochés qu'ils pouvaient être recevables et confirmer alors le témoignage de la plaignante. Pour qu'ils soient recevables, il faudrait conclure que les similitudes étaient telles qu'en l'absence de collaboration, il serait contraire au sens commun de laisser entendre que les similitudes relevaient de la coïncidence. Rien dans les motifs du juge du procès n'indique qu'il a examiné la preuve en tenant compte de ces principes. Quoi qu'il en soit, les éléments communs dans le témoignage des deux filles n'étaient pas si inhabituels qu'il serait contraire au sens commun de conclure qu'elles ne disaient pas toutes les deux la vérité. Les deux cas sont séparés par un laps de temps considérable et comportent des différences importantes. Le fait que dans chaque cas l'accusé ait établi une relation père‑fille n'était pas si exceptionnel. En ce qui concerne la collaboration, bien que le ministère public doive écarter le complot ou la collaboration conformément à la norme de droit criminel, aucune tentative n'a été faite pour écarter cette possibilité.

L'utilité de la preuve de faits similaires pour corroborer le témoignage des enfants ne peut servir de fondement à sa recevabilité. Avant d'utiliser cette preuve comme preuve corroborante, il faut conclure qu'elle est recevable.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : B. (C.R.)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge McLachlin
Arrêt examiné: Director of Public Prosecutions v. Boardman, [1975] A.C. 421
arrêts mentionnés: Makin v. Attorney‑General for New South Wales, [1894] A.C. 57
Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709
Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190
R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345
R. c. D. (L.E.), [1989] 2 R.C.S. 111
R. v. Scopelliti (1981), 63 C.C.C. (2d) 481
Guay c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 18
Sweitzer c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 949
R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918
R. v. Mansfield (1977), 65 Cr. App. R. 276
R. v. Scarrott, [1978] Q.B. 1016
Sutton v. The Queen (1984), 152 C.L.R. 528
Harris v. Director of Public Prosecutions, [1952] A.C. 694
R. v. Campbell, [1956] 2 All E.R. 272
R. v. Hampden (1684), 9 How. St. Tr. 1053
R. v. Hall (1887), 5 N.Z.L.R. 93
R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272
R. v. Rance (1975), 62 Cr. App. R. 118.
Citée par le juge Sopinka (dissident)
Director of Public Prosecutions v. Kilbourne, [1973] A.C. 729
Director of Public Prosecutions v. Boardman, [1975] A.C. 421
Makin v. Attorney‑General for New South Wales, [1894] A.C. 57
R. v. Sims, [1946] K.B. 531
Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709
Sweitzer c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 949
Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190
R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918
R. c. D. (L.E.), [1989] 2 R.C.S. 111, inf. (1987), 20 B.C.L.R. (2d) 384
Harris v. Director of Public Prosecutions, [1952] A.C. 694
R. v. Straffen, [1952] 2 Q.B. 911.
Doctrine citée
Andrews, John A. and Michael Hirst. Criminal Evidence. London: Waterlow Publishers, 1987.
Cross on Evidence, 6th ed. By Sir Rupert Cross and Colin Tapper. London: Butterworths, 1985.
Forbes, J. R. S. Similar Facts. Sydney: Law Book Co., 1987.
Foster, Sir Michael. Crown Law. Oxford, 1762.
Hoffmann, L. H. "Similar Facts After Boardman" (1975), 91 L.Q.R. 193.
Phipson on Evidence, 12th ed. By John Huxley Buzzard, Richard May and M. N. Howard. London: Sweet & Maxwell, 1976.
Sklar, Ronald B. "Similar Fact Evidence — Catchwords and Cartwheels" (1977), 23 McGill L.J. 60.

Proposition de citation de la décision: R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717 (12 avril 1990)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1990-04-12;.1990..1.r.c.s..717 ?
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