La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/04/1990 | CANADA | N°[1990]_1_R.C.S._801

Canada | Nichols c. American home assurance co., [1990] 1 R.C.S. 801 (12 avril 1990)


Nichols c. American Home Assurance Co., [1990] 1 R.C.S. 801

American Home Assurance Co. et

la Société du barreau du Haut‑Canada Appelantes

c.

Alan John Nichols Intimé

répertorié: nichols c. american home assurance co.

No du greffe: 21438.

1990: 29 janvier; 1990: 12 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1989), 68 O.R. (2d) 1, 33 O.A.C. 142

, 36 C.C.L.I. 204, [1989] I.L.R. 1‑2421, qui a confirmé une ordonnance du juge Hughes (1988), 63 O.R. (2d) 693, 30 C.C....

Nichols c. American Home Assurance Co., [1990] 1 R.C.S. 801

American Home Assurance Co. et

la Société du barreau du Haut‑Canada Appelantes

c.

Alan John Nichols Intimé

répertorié: nichols c. american home assurance co.

No du greffe: 21438.

1990: 29 janvier; 1990: 12 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1989), 68 O.R. (2d) 1, 33 O.A.C. 142, 36 C.C.L.I. 204, [1989] I.L.R. 1‑2421, qui a confirmé une ordonnance du juge Hughes (1988), 63 O.R. (2d) 693, 30 C.C.L.I. 79, [1988] I.L.R. 1‑2282. Pourvoi accueilli.

W. L. N. Somerville, c.r., et Wendy Earle, pour les appelantes.

Janis P. Criger, pour l'intimé.

//Le juge McLachlin//

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge McLachlin — Il s'agit en l'espèce de déterminer si l'assureur a l'obligation de défendre l'assuré. La question est de savoir si d'après la police d'assurance visée en l'espèce l'obligation de défendre l'assuré est régie par les actes de procédure ou par les faits révélés au procès.

Les faits

Monsieur Nichols est avocat. La Banque de Montréal a fait décerner un bref contre lui, son associé, Servos, et un certain nombre de sociétés et d'autres individus. Selon la déclaration, MM. Nichols et Servos ont fraudé la banque en aidant d'autres défendeurs a transférer divers biens et sûretés de nature immobilière.

Monsieur Nichols a avisé de l'action son assureur en responsabilité, l'American Home Assurance Company, qui avait délivré une police à la Société du barreau pour le compte de ses membres. L'assureur a répondu en avisant M. Nichols qu'il n'était pas tenu de le défendre et de l'indemniser en vertu de la police d'assurance puisqu'elle ne s'appliquait pas [TRADUCTION] "à un acte ou à une omission malhonnêtes, frauduleux, criminels ou malicieux d'un assuré".

Quelque temps plus tard, la banque a demandé de se désister de l'action intentée contre le cabinet d'avocats. L'autorisation lui a été accordée et des dépens ont été adjugés en faveur de MM. Nichols et Servos. Toutefois, les dépens ont été établis entre parties, le juge soulignant qu'il y avait lieu de joindre le cabinet d'avocats. En définitive, M. Nichols n'a pas été complètement indemnisé de ses frais de défense. Il a demandé que son assureur paie le solde de ses frais.

L'assureur a refusé de le faire, soutenant qu'il n'était pas tenu de le défendre en vertu de la police puisque la seule allégation contre le cabinet d'avocats en était une de fraude pour laquelle la police excluait toute indemnisation. Monsieur Nichols a intenté une action contre l'assureur en vue d'obtenir un jugement déclarant qu'il avait le droit d'être défendu en vertu de la police et une ordonnance enjoignant à l'assureur de payer le solde non payé de ses frais de défense.

Le juge de première instance a accordé le redressement demandé: (1988), 63 O.R. (2d) 693. Il a estimé qu'en interprétant la police de façon appropriée et en appliquant correctement la règle contra proferens contre l'assureur, celui‑ci était tenu de présenter une défense en réponse aux allégations de fraude.

La Cour d'appel a confirmé cette décision: (1989), 68 O.R. (2d) 1. Elle a souligné de façon hypothétique qu'en l'absence de la clause d'exclusion les sommes réclamées constitueraient des dommages‑intérêts et que si, dans les actes de procédure, on avait allégué subsidiairement la négligence, l'assuré aurait eu droit à une défense. Le juge McKinlay a conclu, au nom de la cour, que la clause d'exclusion ne stipulait pas clairement que ni l'indemnité, ni le droit d'être défendu n'étaient prévus en vertu de la police lorsque des actes frauduleux étaient reprochés. À son avis, le véritable sens de la police était que [TRADUCTION] "si un assuré n'avait pas réellement commis les actes frauduleux allégués, alors l'exclusion ne s'appliquait pas" (p. 7). Bien que le juge McKinlay ait d'abord reconnu dans ses motifs le principe que les actes de procédure devraient régir l'obligation de défendre ([TRADUCTION] "selon la formulation de la police elle‑même, l'obligation de défendre n'existe que si les allégations relèvent de sa portée" (p. 6)), elle a semblé en définitive avoir conclu implicitement que ce n'était pas les allégations contenues dans les actes de procédure qui déterminaient l'existence d'une obligation de défendre l'assuré, mais plutôt les actes établis au procès. Bien que le juge McKinlay n'ait pas conclu que les termes de la police étaient ambigus, elle a affirmé que s'il y avait une ambiguïté, celle‑ci devrait être résolue en faveur de l'assuré.

La police

Les dispositions pertinentes de la police sont les suivantes:

[TRADUCTION] L'American Home Assurance Company [. . .] convient . . .

De payer au nom de l'assuré toutes les sommes que l'assuré sera tenu légalement de payer à titre de dommages‑intérêts en raison d'un acte ou d'une omission de l'assuré [. . .] et résultant de la prestation ou du projet de prestation de services professionnels à des tiers, ou du défaut de rendre les services qui auraient dû être rendus, en sa qualité d'avocat . . .

. . .

COUVERTURE D -‑ DÉFENSE, RÈGLEMENT, PAIEMENTS SUPPLÉMENTAIRES:

En ce qui concerne l'assurance offerte par la présente police, l'assureur doit, en plus de la limite de responsabilité applicable,

a)défendre l'assuré dans toute poursuite intentée contre celui‑ci [. . .] dans laquelle on allègue un tel acte ou une telle omission et on réclame des dommages‑intérêts qui sont ou peuvent être payables en vertu des conditions de la présente police, même si l'une ou plusieurs des allégations de la poursuite sont non fondées, fausses ou frauduleuses . . .

. . .

II. EXCLUSIONS

LA PRÉSENTE POLICE NE S'APPLIQUE PAS:

a)à un acte ou à une omission malhonnêtes, frauduleux, criminels ou malicieux d'un assuré; toutefois, cette exclusion ne s'applique pas à l'assuré qui n'est ni l'auteur de cet acte ou de cette omission ni complice . . .

L'analyse

L'interprétation de la police

L'argument des appelantes peut être résumé comme suit. La clause relative à la défense impose deux conditions pour qu'il y ait obligation de défendre. La clause se lit ainsi:

[TRADUCTION] En ce qui concerne l'assurance offerte par la présente police, l'assureur doit . . .

défendre l'assuré dans toute poursuite intentée contre celui‑ci [. . .] dans laquelle on allègue un tel acte ou une telle omission et on réclame des dommages‑intérêts qui sont ou peuvent être payables en vertu des conditions de la présente police . . . [Je souligne.]

Les deux conditions sont: (1) que, dans la poursuite, on allègue "un tel acte ou telle une omission" (c'est‑à‑dire un acte ou une omission décrits ailleurs dans la police) et (2) que, dans la poursuite, on réclame "des dommages‑intérêts qui sont ou peuvent être payables en vertu de" la police. Si les faits allégués dans la déclaration peuvent donner lieu à une cause d'action pour fraude et à rien d'autre, il n'y a que deux possibilités. Soit qu'on accueille la demande et il n'y a alors aucuns dommages‑intérêts à payer en vertu des conditions de la police en raison de la clause d'exclusion, soit qu'on rejette la demande et, encore là, rien n'est dû à titre de dommages‑intérêts. On prétend donc qu'il est absolument impossible de remplir la deuxième condition. En d'autres termes, l'essentiel de cet argument, c'est qu'il n'existe aucune obligation de défendre parce que les seuls dommages‑intérêts réclamés, ceux pour fraude, ne sont pas payables en vertu de la police.

L'argument de l'intimé est plus complexe. On souligne que la clause relative à la défense ne mentionne aucunement les allégations de fraude, mais stipule que la police s'applique aux poursuites où on allègue "un tel acte ou une telle omission". Cela doit se rapporter à la clause d'indemnité de base, qui se lit ainsi:

[TRADUCTION] L'American Home Assurance Company [. . .] convient . . .

De payer au nom de l'assuré toutes les sommes que l'assuré sera tenu légalement de payer à titre de dommages‑intérêts en raison d'un acte ou d'une omission de l'assuré [. . .] et résultant de la prestation ou du projet de prestation de services professionnels à des tiers, ou du défaut de rendre les services qui auraient dû être rendus, en sa qualité d'avocat . . .

L'intimé prétend que la poursuite est fondée sur un acte ou une omission de l'assuré résultant de services rendus en sa qualité d'avocat et qu'il existe alors, à première vue, une obligation d'indemniser. Il reste le problème de l'effet de la clause d'exclusion qui stipule que la police ne s'applique pas [TRADUCTION] "à un acte ou à une omission malhonnêtes, frauduleux, criminels ou malicieux d'un assuré" et qui prévoit de plus que [TRADUCTION] l'"exclusion ne s'applique pas à l'assuré qui n'est ni l'auteur de cet acte ou de cette omission ni complice". L'intimé soutient qu'il est reconnu en droit que les exclusions doivent être interprétées strictement et qu'il incombe à l'assureur de prouver qu'une clause d'exclusion s'applique. Il souligne que cette clause d'exclusion parle non pas d'allégations de fraude, mais seulement d'un acte ou d'une omission. En outre, l'exclusion ne s'applique pas à l'assuré qui n'est pas l'auteur de l'acte ou de l'omission en question. L'intimé soutient que puisqu'il n'a pas été prouvé en l'espèce que l'assuré a commis un acte ou une omission frauduleux, l'exclusion ne s'applique pas compte tenu des principes stricts d'application des clauses d'exclusion mentionnés plus haut. La thèse de l'intimé porte essentiellement que parce que la clause d'exclusion ne mentionne pas expressément les allégations de fraude, elle ne devrait s'appliquer que lorsque l'on conclut à l'existence réelle d'actes frauduleux. En d'autres termes, si on ne peut conclure qu'il y a réellement eu fraude, l'exclusion ne s'applique pas et l'obligation de défendre subsiste.

À mon avis, l'argument de l'intimé est beaucoup trop complexe et il est erroné. Pour qu'il s'applique, il faut conclure à l'existence d'une ambiguïté dans le contrat. À mon avis, l'obligation de défendre ne comporte aucune ambiguïté. Cette obligation est claire. Elle ne s'applique qu'à une poursuite intentée contre l'assuré, dans laquelle on allègue un acte ou une omission au sens de la police et on "réclame des dommages‑intérêts qui sont ou peuvent être payables en vertu des conditions de la présente police". La question qu'il faut poser en l'espèce est de savoir si, dans la poursuite qu'elle a intentée, la Banque de Montréal a réclamé des dommages‑intérêts qui peuvent être payables en vertu de la police. La réponse à cette question doit être négative. Les seuls dommages‑intérêts réclamés contre l'assuré sont fondés sur des actes ou des omissions frauduleux. Tous reconnaissent que ces dommages‑intérêts ne sont pas payables en vertu de la police. Il s'ensuit que la banque ne cherchait pas à obtenir des dommages‑intérêts payables en vertu de la police et que la clause relative à la défense ne s'applique pas.

L'intimé tente de réfuter cette conclusion en prétendant que les dommages‑intérêts auraient pu être payables en vertu des conditions de la police [TRADUCTION] "si les actes allégués [. . .] sont prouvés, mais si le juge de première instance conclut qu'il s'agit d'actes négligents plutôt que frauduleux". Il en serait ainsi si la négligence était alléguée dans la déclaration. Il n'en est cependant rien. À moins de modifier les actes de procédure, la réclamation de la banque ne pouvait donner lieu à des dommages‑intérêts payables en vertu de la police.

À cet égard, l'intimé prétend également que l'obligation de défendre a une portée plus large que l'obligation d'indemniser et qu'elle est indépendante de celle‑ci. C'est vrai en ce sens qu'il n'y a obligation de défendre que si on allègue des actes ou des omissions auxquels s'applique la police, alors qu'il y a obligation d'indemniser seulement si ces allégations sont prouvées à l'audience. Mais il ne s'ensuit pas que la portée de l'obligation de défendre est générale au point de s'appliquer à l'égard d'allégations qui sont clairement en dehors de la portée de la police.

Je conclus que l'obligation de défendre imposée par la clause de défense est clairement restreinte aux réclamations de dommages‑intérêts qui relèvent de la police. Puisque les dommages‑intérêts pour fraude ne relèvent pas de la police, on n'en arrive jamais à se demander si la clause d'exclusion peut contenir une ambiguïté en ce qui a trait à l'obligation de défendre. Je ne crois cependant pas qu'il soit hors de propos d'exprimer mon opinion sur le rapport entre la clause d'exclusion et la clause de défense, car ce n'est qu'en interprétant la police dans son ensemble qu'on peut en dégager l'intention véritable. Selon mon interprétation de la police, la clause d'exclusion vise avant tout l'obligation d'indemniser. Pour cette raison, elle parle des actes ou omissions réels qui constituent la condition préalable de l'obligation d'indemniser. La portée de l'obligation d'indemniser déclenche à son tour l'application de la clause de défense par l'utilisation, dans cette clause, de la phrase restreignant l'obligation aux demandes de "dommages‑intérêts qui sont ou peuvent être payables en vertu des conditions de la présente police". L'obligation de défendre, contrairement à l'obligation d'indemniser, n'est pas déclenchée par des actes ou des omissions réels, mais par des allégations et s'applique "même si l'une ou plusieurs des allégations de la poursuite sont non fondées, fausses ou frauduleuses". Ainsi, la portée de l'obligation de défendre dépend non pas directement de la clause d'exclusion, mais seulement indirectement de la définition que comporte cette clause de l'étendue de la couverture. L'erreur commise par la Cour d'appel est d'avoir voulu rendre la clause d'exclusion directement applicable à l'obligation de défendre et d'avoir ensuite conclu que puisque l'exclusion ne se rapporte pas aux allégations, par opposition aux actes et aux omissions, les allégations de fraude ne sont pas exclues de l'obligation de défendre.

J'estime que la clause d'exclusion ne comporte aucune ambiguïté. La police n'indemnise pas pour les actes ou les omissions malhonnêtes, frauduleux, criminels ou malicieux "d'un assuré". L'autre phrase de la clause d'exclusion qui la rend inapplicable dans les cas où l'assuré n'est ni l'auteur ni le complice d'un acte ou d'une omission n'a pas le sens à mon avis que veut lui prêter l'intimé, c'est‑à‑dire que l'exclusion pour fraude s'applique seulement lorsqu'il y a preuve d'une fraude réelle. Elle restreint plutôt l'expression "un acte ou [. . .] une omission [. . .] d'un assuré", établissant clairement que l'exclusion ne s'applique pas lorsqu'un acte ou une omission malhonnêtes, frauduleux, criminels ou malicieux peut légalement être imputé à un assuré, mais lorsque l'assuré n'est pas le véritable auteur ou complice de la fraude ou d'autres actes ou omissions exclus. (C'est pour ce motif qu'on a prétendu que l'associé de Nichol, Servos, avait droit à une défense séparée. Il ne semble cependant pas y avoir de preuve à cet égard.)

Jusqu'ici, je m'en suis tenue à la formulation même de la police. Cependant, les principes généraux applicables à l'interprétation des contrats d'assurance étayent la conclusion que l'obligation de défendre n'existe que lorsque les actes de procédure portent sur des réclamations qui seraient payables en vertu de la clause d'indemnisation du contrat d'assurance. Les tribunaux ont souvent affirmé que [TRADUCTION] "[l]es actes de procédure régissent l'obligation de défendre": Bacon v. McBride (1984), 6 D.L.R. (4th) 96 (C.S.C.‑B.), à la p. 99. On a conclu que l'obligation de défendre n'existe pas lorsqu'il ressort clairement des actes de procédure que la poursuite ne relève pas de la portée de la police en raison d'une clause d'exclusion: Opron Maritimes Construction Ltd. v. Canadian Indemnity Co. (1986), 19 C.C.L.I. 168 (C.A.N.‑B.), autorisation de pourvoi refusée par notre Cour, [1987] 1 R.C.S. xi.

En même temps, il n'est pas nécessaire d'établir qu'il y aura effectivement obligation d'indemniser pour déclencher l'obligation de défendre. La seule possibilité qu'une réclamation relevant de la police puisse être accueillie suffit. En ce sens, comme je l'ai déjà souligné, l'obligation de défendre a une portée plus large que l'obligation d'indemniser. Le juge O'Sullivan de la Cour d'appel a écrit dans l'arrêt Prudential Life Insurance Co. v. Manitoba Public Insurance Corp. (1976), 67 D.L.R. (3d) 521 (C.A. Man.), à la p. 524:

[TRADUCTION] En outre, l'obligation d'indemniser à l'égard des frais d'une action et de défendre ne dépend pas du jugement rendu dans l'action. L'existence de l'obligation de défendre dépend de la nature de la réclamation, non du jugement qui en résulte. L'obligation de défendre a normalement une portée beaucoup plus large que l'obligation d'indemniser à l'égard d'un jugement. [Je souligne.]

Dans cette affaire, on ne savait pas si l'assureur pourrait être tenu d'indemniser en vertu de la police, alors le tribunal a conclu que l'obligation de défendre s'appliquait. De l'avis du tribunal, il aurait été injuste que les assureurs puissent affirmer que [TRADUCTION] "la réclamation est probablement non fondée, ou ne relèvera probablement pas de la portée de la police en fin de compte. Puisque nous n'avons aucune preuve que nous sommes tenus de verser une indemnité dans cette affaire, nous prétendons que nous ne sommes tenus à aucune obligation de défendre".

La très grande majorité des arrêts canadiens confirment l'opinion qu'en temps normal l'obligation de défendre n'intervient qu'à l'égard des réclamations qui, si elles sont prouvées, relèveraient de la couverture de la police: voir Dobish v. Garies (1985), 15 C.C.L.I. 69 (B.R. Alb.); Thames Steel Construction Ltd. v. Northern Assurance Co., [1989] I.L.R. 1‑2399 (C.A. Ont.); Vancouver General Hospital v. Scottish & York Insurance Company (1987), 15 B.C.L.R. (2d) 178 (C.S.C.‑B.)

Le même point de vue l'emporte généralement aux États‑Unis: voir Couch on Insurance (2e éd. 1982), vol. 14, par. 51:45, et les sources qui y sont citées. Seul l'arrêt Conner v. Transamerica Insurance Co., 496 P.2d 770 (Okla. 1972), est cité pour l'opinion contraire. Dans cette affaire, comme dans celle‑ci, seule la fraude était alléguée. Le tribunal a conclu qu' [TRADUCTION] "[i]l n'est certainement pas conforme aux buts recherchés par une police d'assurance‑responsabilité professionnelle de dire que, selon ses conditions, aucune protection n'est accordée à l'assuré lorsque des accusations de fraude et de malhonnêteté non fondées sont alléguées dans une poursuite contre lui" (p. 775). Le tribunal a conclu que puisque la clause de défense n'écartait pas explicitement l'obligation d'assurer une défense dans les poursuites non fondées en matière de fraude, l'obligation de défendre s'appliquait dans ces cas.

Je me permets de faire deux observations quant à l'arrêt Conner. Premièrement, j'estime que l'obligation de présenter une défense dans des poursuites pour fraude, qu'elles soient fondées ou non, est clairement exclue par la formulation de la clause de défense en l'espèce. Dans la mesure où l'arrêt Conner portait sur une clause semblable, en toute déférence, je ne pourrais souscrire à la conclusion de cet arrêt que la clause n'écartait pas cette obligation. Deuxièmement, l'adoption du point de vue retenu dans l'arrêt Conner donnerait lieu à des difficultés pratiques. L'assureur serait toujours obligé de défendre peu importe que les réclamations soient carrément en dehors de la portée de la police, sous réserve seulement de la possibilité de remboursement si la réclamation était finalement accueillie uniquement pour des motifs qui ne relèvent pas de la police. Cela soulève des questions de principe quant à savoir si d'autres assurés devraient se voir assujettis à défrayer des défenses contre des réclamations qui ne relèvent pas de la police. Des conflits d'intérêts pourraient en outre résulter. L'intérêt qu'a l'assureur à présenter une défense est lié à la possibilité qu'il puisse en fin de compte être obligé d'indemniser l'assuré en vertu de la police. Il est dans l'intérêt de l'assureur que si on conclut à l'existence de la responsabilité, ce soit pour un motif qui ne relève pas de la police. Obliger l'assureur à présenter une défense pour des réclamations qui ne peuvent relever de la police le place dans la situation où il a à s'opposer à des réclamations qui, dans son intérêt, devraient être accueillies. L'intimé a dit que cette possibilité de conflit pourrait être évitée si l'assuré pouvait retenir les services de son propre avocat dont les frais seraient assumés par l'assureur. Cela ne mettrait cependant pas fin au problème. Il serait compréhensible qu'un assureur hésite à donner "carte blanche" et à payer n'importe quels frais engagés par n'importe quel avocat, peu importe leur importance. L'assureur ne pourrait cependant contester aucune de ces dépenses sans précisément soulever le même conflit. Pour cette raison, l'assureur a l'habitude de ne présenter une défense que dans le cas des réclamations qui relèvent potentiellement de la police, tout en demandant à l'assuré de retenir les services de son propre avocat à l'égard des réclamations qui ne relèvent clairement pas des conditions de la police.

Je conclus que les considérations relatives au droit et à la pratique en matière d'assurance, ainsi que la doctrine et la jurisprudence, appuient en très grande majorité l'opinion que l'obligation de défendre ne devrait s'appliquer que lorsque l'on peut prétendre que les réclamations relèvent de la police, sous réserve de stipulations contraires dans le contrat d'assurance. Cela étant dit, il faut accorder la portée la plus large possible aux allégations contenues dans les actes de procédure pour déterminer si elles constituent une réclamation qui relève de la police.

Conclusion

Je conclus que la police, par sa formulation, restreint l'obligation de présenter une défense aux réclamations qui relèvent potentiellement de l'obligation d'indemniser de la police. À mon avis, cette conclusion est appuyée par les décisions dans lesquelles la question a été examinée ainsi que par des considérations pratiques découlant des rapports entre l'assureur et l'assuré et de leurs obligations et intérêts respectifs.

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rejeter la requête de l'intimé avec dépens dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs des appelantes: Borden & Elliot, Toronto.

Procureur de l'intimé: Gerald Swaye, Hamilton.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Assurance - Assurance responsabilité - Obligation de défendre - Action pour fraude contre un assuré - Police ne s'appliquant pas aux actes frauduleux - L'assureur a‑t‑il l'obligation de défendre l'assuré? - L'obligation de défendre est‑elle régie par les actes de procédure ou par les faits révélés au procès?.

Une banque a intenté contre l'intimé, avocat et membre de la société du barreau appelante, une action pour fraude. L'intimé a avisé de cette action la compagnie d'assurance appelante qui avait délivré une police d'assurance responsabilité à la Société du barreau pour le compte de ses membres. Aux termes de cette police, l'assureur devait défendre l'assuré dans toute poursuite intentée contre lui en vue d'obtenir des dommages‑intérêts qui étaient ou pouvaient être payables en vertu des conditions de la police, même si l'une ou plusieurs des allégations de la poursuite étaient non fondées, fausses ou frauduleuses. L'assureur a affirmé qu'il n'était pas tenu de défendre l'intimé en vertu de la clause d'exclusion qui prévoyait que la police ne s'appliquait pas aux actes et aux omissions frauduleux d'un assuré. La banque s'est par la suite désistée de son action et l'intimé s'est vu adjuger des dépens établis entre parties. L'intimé a réclamé le solde de ses frais à l'assureur qui a refusé de payer. L'intimé a intenté une action contre l'assureur en vue d'obtenir un jugement déclarant qu'il avait le droit d'être défendu en vertu de la police et une ordonnance enjoignant à l'assureur de payer le solde non payé de ses frais de défense. Le juge de première instance a accordé le redressement demandé et la Cour d'appel a confirmé cette décision.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Aux termes de la police, l'assureur n'avait aucune obligation de défendre l'assuré. L'obligation de défendre imposée par la clause de défense est clairement restreinte aux réclamations de dommages‑intérêts qui relèvent de la police. Comme les seuls dommages‑intérêts réclamés contre l'assuré en l'espèce sont fondés sur des actes ou des omissions frauduleux et que ces dommages‑intérêts ne sont pas payables en vertu de la police, la clause relative à la défense ne s'applique pas. L'obligation de défendre, bien qu'elle ait une portée plus large que l'obligation d'indemniser, n'est pas générale au point de s'appliquer à l'égard d'allégations qui sont clairement en dehors de la portée de la police.

La Cour d'appel a commis une erreur en voulant rendre la clause d'exclusion directement applicable à l'obligation de défendre et en concluant ensuite que puisque l'exclusion ne se rapporte pas aux allégations, par opposition aux actes et aux omissions, les allégations de fraude ne sont pas exclues de l'obligation de défendre. La clause d'exclusion parle des actes ou omissions réels parce qu'elle vise avant tout l'obligation d'indemniser. La portée de l'obligation d'indemniser déclenche à son tour l'application de la clause de défense qui restreint l'obligation de défendre aux demandes de dommages‑intérêts qui sont ou peuvent être payables en vertu de la police. L'obligation de défendre, contrairement à l'obligation d'indemniser, n'est pas déclenchée par des actes ou des omissions réels, mais par des allégations et s'applique "même si l'une ou plusieurs des allégations de la poursuite sont non fondées, fausses ou frauduleuses".

Les principes généraux applicables à l'interprétation des contrats d'assurance étayent la conclusion que l'obligation de défendre n'existe que lorsque les actes de procédures portent sur des réclamations qui seraient payables en vertu de la clause d'indemnisation du contrat d'assurance. Il n'est pas nécessaire d'établir qu'il y aura effectivement obligation d'indemniser pour déclencher l'obligation de défendre; la seule possibilité qu'une réclamation relevant de la police puisse être accueillie suffit. Finalement, statuer que l'assureur est obligé de défendre peu importe que les réclamations soient carrément en dehors de la portée de la police donnerait lieu à des difficultés pratiques. Cela soulève des questions de principe quant à savoir si d'autres assurés devraient se voir assujettis à défrayer des défenses contre des réclamations qui ne relèvent pas de la portée de la police et pourrait susciter des conflits d'intérêts.


Parties
Demandeurs : Nichols
Défendeurs : American home assurance co.

Références :

Jurisprudence
Arrêt critiqué: Conner v. Transamerica Insurance Co., 496 P.2d 770 (1972)
arrêts mentionnés: Bacon v. McBride (1984), 6 D.L.R. (4th) 96
Opron Maritimes Construction Ltd. v. Canadian Indemnity Co. (1986), 19 C.C.L.I. 168, autorisation de pourvoi refusée, [1987] 1 R.C.S. xi
Prudential Life Insurance Co. v. Manitoba Public Insurance Corp. (1976), 67 D.L.R. (3d) 521
Dobish v. Garies (1985), 15 C.C.L.I. 69
Thames Steel Construction Ltd. v. Northern Assurance Co., [1989] I.L.R. 1‑2399
Vancouver General Hospital v. Scottish & York Insurance Co. (1987), 15 B.C.L.R. (2d) 178.
Doctrine citée
Couch, George James. Cyclopedia of Insurance Law, 2nd ed. By Ronald A. Anderson. Revised volume by Mark S. Rhodes. Rochester, N.Y.: Lawyers Co‑operative Publishing Co., 1982.

Proposition de citation de la décision: Nichols c. American home assurance co., [1990] 1 R.C.S. 801 (12 avril 1990)


Origine de la décision
Date de la décision : 12/04/1990
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1990] 1 R.C.S. 801 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1990-04-12;.1990..1.r.c.s..801 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award