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12/04/1990 | CANADA | N°[1990]_1_R.C.S._814

Canada | C.C.R. fishing ltd. c. British reserve insurance co., [1990] 1 R.C.S. 814 (12 avril 1990)


C.C.R. Fishing Ltd. c. British Reserve Insurance Co., [1990] 1 R.C.S. 814

C.C.R. Fishing Ltd. et Banque de Montréal Appelantes

c.

British Reserve Insurance Co. Ltd.,

Mediterranean Reinsurance Co. Ltd.,

United Equitable Insurance Company Ltd.,

Symons General Insurance Company of Canada

et Ocean Reinsurance Corporation Intimées

répertorié: c.c.r. fishing ltd. c. british reserve insurance co.

No du greffe: 21362.

1990: 21 février; 1990: 12 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Wilson, La Forest, L'H

eureux‑Dubé, Sopinka, Cory et McLachlin

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrê...

C.C.R. Fishing Ltd. c. British Reserve Insurance Co., [1990] 1 R.C.S. 814

C.C.R. Fishing Ltd. et Banque de Montréal Appelantes

c.

British Reserve Insurance Co. Ltd.,

Mediterranean Reinsurance Co. Ltd.,

United Equitable Insurance Company Ltd.,

Symons General Insurance Company of Canada

et Ocean Reinsurance Corporation Intimées

répertorié: c.c.r. fishing ltd. c. british reserve insurance co.

No du greffe: 21362.

1990: 21 février; 1990: 12 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Cory et McLachlin

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1988), 34 B.C.L.R. (2d) 1, qui a accueilli l'appel d'un jugement du juge Murray (1986), 21 C.C.L.I. 297, [1986] B.C.W.L.D. 3107. Pourvoi accueilli.

Peter D. Lowry et J. William Perrett, pour les appelantes.

Christopher Harvey et Stephen C. Best, pour les intimées.

//Le juge McLachlin//

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge McLachlin —

Introduction

Le présent pourvoi porte sur l'interprétation d'une police assurant un navire contre les "périls de la mer".

Le navire de pêche "La Pointe" était désarmé à un poste de mouillage sûr dans le port de Vancouver d'avril 1981 à juillet 1982 lorsqu'il a coulé. Le naufrage s'est produit subitement par suite de la pénétration d'eau de mer due à deux causes: (1) la défaillance, due à la corrosion, de vis à chapeau qui ont permis à l'eau de mer de pénétrer dans la salle des machines; et (2) l'omission de fermer une vanne qui aurait arrêté la pénétration de l'eau.

La police d'assurance en vigueur définissait la couverture en des termes qui sont utilisés depuis deux siècles dans le domaine de l'assurance maritime:

[TRADUCTION] Relativement à ce voyage, les assureurs acceptent d'assumer les risques et les périls suivants: les périls de la mer, les bâtiments de guerre, le feu, les ennemis, les pirates, les corsaires, les brigands, le jet [. . .] ainsi que tous les autres périls et toutes les autres pertes et infortunes que peuvent subir les biens et le navire . . .

L'Insurance (Marine) Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1979, ch. 203, contient une disposition qui reflète l'application de cette disposition telle qu'elle a été interprétée au fil des ans. Voici le texte de l'art. 56:

[TRADUCTION] Pertes visées et exclues

56. (1) Sous réserve de la présente loi et sauf disposition contraire dans la police, l'assureur n'est responsable que pour les pertes ayant pour cause immédiate un risque assuré.

(2) En particulier

a)l'assureur n'est pas responsable pour une perte attribuable à l'inconduite volontaire de l'assuré, mais, sauf disposition contraire dans la police, il est responsable pour toute perte ayant pour cause immédiate un risque assuré, même si, sans l'inconduite ou la négligence du capitaine ou de l'équipage, il n'y aurait pas eu de perte.

b)à moins que la police n'en dispose autrement, l'assureur du navire ou des biens n'est pas responsable de tout sinistre causé directement par un retard, bien que le retard puisse être dû à un péril couvert par la police d'assurance;

c)à moins que la police n'en dispose autrement, l'assureur n'est pas responsable de l'usure normale, la casse et le coulage ordinaires, le vice propre ou la nature de la chose assurée ou de toute perte causée directement par les rats ou la vermine, ni de tout dégât aux machines non causés directement par des périls maritimes.

La police, interprétée conjointement avec l'art. 56 de la Loi, couvre les "périls de la mer". Cette expression est définie ainsi dans l'annexe de la Loi:

[TRADUCTION] 7. L'expression "périls de la mer" ne désigne que les accidents fortuits ou sinistres maritimes. Elle ne s'applique pas à l'action ordinaire du vent et des vagues.

Le juge de première instance a conclu que l'accident avait été causé par l'omission de fermer la vanne et par la corrosion des vis à chapeau. À son avis, ces deux manquements résultaient de la négligence. La vanne aurait dû être fermée pendant que le navire était en poste d'attente et on avait utilisé par négligence le mauvais type de vis lors de réparations effectuées deux ans auparavant. Il a conclu que la cause de l'accident était "fortuite" et constituait un "péril de la mer". Par conséquent, il a conclu que la police couvrait la perte.

La Cour d'appel a procédé d'une manière différente. Elle a admis que l'existence de négligence avait été démontrée relativement au fait d'avoir laissé la vanne ouverte et à l'utilisation du mauvais type de vis à chapeau. Toutefois, elle a conclu qu'il fallait satisfaire à une autre exigence pour que la police s'applique — le naufrage devait être une conséquence prévisible de la négligence. Il y a eu divergence d'opinions entre les juges de la majorité et ceux de la minorité sur ce point. Les juges formant la majorité ont conclu que la cause immédiate de la perte était l'état de corrosion des vis à chapeau, mais que cette perte ne constituait pas une conséquence prévisible de la négligence. Ils ont conclu que la perte n'était pas due à un accident fortuit ou à un sinistre maritime. Le juge dissident a admis que l'utilisation de vis à chapeau susceptibles de corrosion ne comportait pas le risque prévisible que le navire coule. Toutefois, il a conclu que la cause immédiate de l'accident était le fait d'avoir laissé la vanne ouverte, ce qui satisfait à ce critère. Par conséquent, il aurait conclu qu'il y avait couverture.

Analyse

La question est de savoir si le naufrage du navire était une perte ayant pour cause immédiate un "péril de la mer". La réponse dépend elle‑même de la question de savoir si la cause du naufrage était un accident fortuit ou un sinistre maritime au sens de la Loi.

On reconnaît depuis longtemps que la définition du péril de la mer comporte deux éléments. La cause de la perte doit être "fortuite" et doit être "maritime". Voici ce qu'a dit la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique dans l'arrêt Case Existological Laboratories v. Century Insurance Company of Canada (The Bamcell II) (1982), 35 B.C.L.R. 364, à la p. 372, arrêt que notre Cour a approuvé, [1983] 2 R.C.S. 47:

[TRADUCTION] L'accident doit être "fortuit", premièrement en ce sens qu'il n'a pas été causé intentionnellement par l'assuré et, deuxièmement, en ce sens qu'il ne constitue pas le résultat inévitable d'une détérioration causée par l'action normale du vent, des vagues et du temps . . .

De plus, l'accident doit être "maritime" en ce sens, tout au moins, qu'un accident terrestre n'aurait pas entraîné un tel dommage, comme le dommage causé par un naufrage ou par la submersion à la suite d'un abordage en mer ou d'une collision avec un rocher . . . [Je souligne.]

L'exigence que la cause de la perte soit "fortuite" exclut l'action naturelle et inévitable du vent et des vagues, l'usure normale, les défauts inhérents et les pertes causées intentionnellement. Les événements qui ne sont pas fortuits, tels que définis dans la jurisprudence, se retrouvent dans les exclusions mentionnées à l'art. 56 de la Loi et dans la définition des "périls de la mer" contenue dans la Loi. En général, le terme "fortuit", tel qu'il a été interprété dans la jurisprudence, comporte la connotation que la cause de la perte ne doit pas avoir été intentionnelle ou inévitable. Comme lord Herschell l'a dit dans l'arrêt Thomas Wilson, Sons & Co. v. The Owners of the Cargo per the "Xantho" (The Xantho) (1887), 12 A.C. 503 (H.L.), à la p. 509:

[TRADUCTION] Il faut que survienne un sinistre, quelque chose d'impossible à prévoir comme l'un des incidents nécessaires de l'aventure.

La deuxième exigence, celle que la perte soit "maritime", exclut les pertes qui se seraient produites dans un accident terrestre: voir "The Bamcell II", précité. Le naufrage d'un navire par suite de la pénétration d'eau de mer due à un acte fortuit a, sans exception, été considéré comme un accident "maritime": The Bamcell II; Thames and Mersey Marine Insurance Co. v. Hamilton, Fraser, & Co. (1887), 12 A.C. 484 (H.L.)

En l'espèce, la perte résulte du naufrage du navire causé par la pénétration d'eau de mer. Cette perte ne se serait pas produite sur terre. Par conséquent, l'exigence que l'accident soit "maritime" est remplie. Les intimées soutiennent que la perte résultait de la corrosion et que cela aurait pu se produire n'importe où, y compris sur terre. Toutefois, le critère n'est pas de savoir si le défaut à l'origine de la chaîne causale qui a entraîné la perte ne peut survenir qu'en mer, mais plutôt de savoir si l'accident lui‑même — en l'espèce le naufrage du navire — ne peut se produire qu'en mer. Un grand nombre de naufrages résultent de causes qui pourraient se produire sur terre — par exemple, la perforation de la coque d'un navire par un rocher pourrait se produire sur terre. Nul ne dirait qu'il n'y aurait pas couverture aux termes d'une assurance contre les "périls de la mer" lorsqu'un navire chavire et coule en mer pour cette raison. Je conclus que cet accident était "maritime".

À mon avis, la véritable question soulevée en l'espèce est de savoir si la cause de l'accident était "fortuite". Elle est fortuite si elle n'était ni intentionnelle ni inévitable et si elle ne relève pas de l'une des exclusions mentionnées à l'art. 56 de la Loi et de la définition que donne la Loi des "périls de la mer".

Quelle a été la cause du naufrage en l'espèce? Le juge de première instance a conclu qu'il y avait deux causes mais n'a pas décidé laquelle constituait la "cause immédiate" parce qu'il a considéré que les deux résultaient de la négligence et estimé que la négligence était nécessairement "fortuite". Il n'a pas expressément examiné si l'une des exceptions contenues à l'art. 56 ou la définition que donne la Loi des "périls de la mer" s'appliquaient.

Les arguments que les intimées nous ont présentés portaient essentiellement sur le fait que la perte dont il est question en l'espèce n'était pas fortuite parce qu'elle relevait des exceptions relatives à l'usure normale ou au vice inhérent.

À ce stade‑ci, il convient de résumer les arguments des parties. Les arguments des intimées peuvent être résumés de la manière suivante:

(1)La cause immédiate de l'accident est la défaillance des vis à chapeau;

(2)La défaillance des vis à chapeau équivaut à l'usure normale ou au vice inhérent;

(3)Par conséquent, la cause de la perte n'est pas un "péril de la mer".

Par ailleurs les appelantes soutiennent que:

(1)La cause immédiate de l'accident est l'omission de fermer la vanne, ce qui est clairement fortuit;

(2)Si la cause immédiate était la défaillance des vis à chapeau, elle serait également fortuite parce qu'elle a été causée par l'utilisation négligente de boulons fabriqués en métal doux plutôt que de boulons qui ne sont pas susceptibles de corrosion lors de travaux de réparation antérieurs et ne constitue ni de l'usure normale ni un vice inhérent;

J'examine d'abord la question de savoir si la défaillance des boulons peut être considérée comme de "l'usure normale". À mon avis, ce n'est pas possible. La défaillance des vis à chapeau n'avait rien de normal. Leur défaillance était extraordinaire et découlait, comme l'a conclu le juge de première instance, de l'acte négligent des réparateurs qui les ont installées. Comme le précise l'ouvrage Arnould's Law of Marine Insurance and Average, vol. II, (16e éd. 1981), l'usure normale [TRADUCTION] "est simplement l'effet des conditions d'utilisation normales sur la coque ou l'équipement, par exemple lorsque la pièce pertinente s'use . . ." La corrosion normale pourrait très bien être visée par cette définition. Toutefois, la corrosion causée de façon extraordinaire par l'utilisation négligente de matériaux inadéquats ne l'est pas.

La question suivante est de savoir si la défaillance des vis peut être considérée comme résultant d'un vice inhérent. Il convient de souligner que ce moyen de défense a été soulevé pour la première fois dans le présent pourvoi. Devant les cours d'instance inférieure, l'argumentation des assureurs portait uniquement sur l'usure normale.

Le concept du vice inhérent dans le contexte de l'assurance maritime renvoie à la perte qui découle des attributs inhérents de la chose perdue. On ne peut dire que la défaillance des vis à chapeau en l'espèce a résulté d'attributs purement inhérents du navire. L'installation malheureuse de ces pièces sur le navire a résulté de la négligence de réparateurs, une cause externe n'ayant rien à voir avec ces attributs. La perte était fortuite en ce sens qu'elle ne découlait pas inévitablement d'un attribut inhérent du navire.

Je conclus que même si on devait présumer que la cause immédiate du naufrage est la défaillance des vis à chapeau, cela n'aiderait pas les intimées étant donné que la cause de cette défaillance était non pas l'usure normale ou le vice inhérent, mais la négligence fortuite des réparateurs.

Jusqu'à présent, j'ai abordé la question en tenant compte de l'hypothèse qu'a retenue la Cour d'appel selon laquelle il ne peut y avoir qu'une cause immédiate de la perte, concluant que même sur ce fondement il y a couverture. Toutefois, je suis d'avis qu'il n'est pas juste d'accorder trop d'importance à la distinction entre la cause immédiate et la cause éloignée dans l'interprétation de polices comme celle qui est visée en l'espèce. En général, la doctrine et la jurisprudence n'adoptent pas une telle position. Je ne considère pas que l'art. 56 de l'Insurance (Marine) Act limite la cause de la perte à un seul péril. De manière réaliste, il faut reconnaître qu'une perte en mer peut résulter de la combinaison de plusieurs facteurs. Il est irréaliste de ne pas tenir compte de l'un deux, s'il a contribué à la perte. Un accident causé par la négligence ou des conditions défavorables ou anormales sans lesquelles il n'y aurait pas eu de perte constitue le facteur essentiel pour établir que la perte est "fortuite". C'est l'idée commune qui sous‑tend l'exclusion de la couverture des dommages résultant de l'usure normale ou d'un vice inhérent.

La jurisprudence et la doctrine confirment cette position. Ainsi dans Arnould's (p. 655), on laisse entendre qu'un navire qui chavire dans une mer calme en raison de l'innavigabilité causée par un événement antérieur fortuit sera couvert, indiquant que [TRADUCTION] "[d]ans de tels cas c'est la pénétration de l'eau de mer, fortuite en raison de l'événement antérieur qui a entraîné cet accident, qui constitue l'application d'un péril de la mer." On continue:

[TRADUCTION] La situation est différente si la perte est due à l'innavigabilité au début du voyage, et qu'aucune condition défavorable ou anormale ne s'est présentée par la suite. [Je souligne.]

D'après ce raisonnement, il n'importe pas que l'une des causes de la perte soit l'usure normale ou un vice inhérent, pourvu qu'une cause réelle de la perte — sans laquelle la perte ne se serait pas produite — ait été fortuite. C'est certainement le cas en l'espèce. Personne ne conteste que si la vanne avait été fermée comme elle l'aurait dû l'être, le navire n'aurait pas sombré. Par conséquent, la perte, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, était fortuite. Le juge de première instance a eu raison d'adopter le point de vue selon lequel il n'était pas nécessaire d'analyser laquelle des deux causes de la perte était immédiate, compte tenu du fait qu'il était clair d'après ses conclusions que le naufrage du navire ne se serait pas produit n'eût été l'événement inhabituel et fortuit de l'omission négligente de fermer la vanne.

À mon avis, beaucoup de facteurs militent en faveur de l'adoption de cette interprétation plus large. La question de savoir si l'assurance s'applique à une perte ne devrait pas dépendre de débats métaphysiques visant à déterminer laquelle des diverses causes de l'accident était immédiate. Outre l'injustice apparente que constitue le fait qu'une indemnisation dépende d'un raisonnement aussi subtil et contestable, un tel critère est susceptible de donner lieu à des réclamations contestées et à des litiges. Il devrait suffire de faire correspondre la perte et le risque s'il est établi, compte tenu du contexte global de l'affaire, que la perte est fortuite en ce sens qu'elle ne se serait pas produite n'eût été un événement inhabituel auquel on ne s'attend ordinairement pas dans le cours normal des choses.

Il est vrai que, dans un certain nombre de vieux précédents anglais, la question de la cause immédiate a été débattue en rapport avec l'exclusion de l'usure normale. Toutefois, les auteurs de l'ouvrage Arnould's, laissent entendre que ces précédents pourraient être révisés dans des circonstances où le navire coule de façon soudaine en raison d'une défaillance qui n'a pas été décelée. Ils affirment, aux pp. 655 et 656:

[TRADUCTION] . . . les affaires dans lesquelles on a conclu que l'innavigabilité ou l'usure constituait la cause immédiate d'une perte pourraient, à notre avis, être révisées si ce point était soulevé. Le juge Lloyd dans l'arrêt The Hellenic Dolphin a dit que la pénétration de l'eau de mer en raison d'un défaut non décelé dans le revêtement de base du navire est un cas classique d'avarie attribuable aux périls de la mer. Bien que cette observation ait été faite dans le contexte d'une réclamation pour avaries à la cargaison en vertu de contrats d'affrètement et qu'une réclamation en vertu d'une police d'assurance maritime sur corps ferait certainement intervenir des considérations différentes en raison de la théorie du vice inhérent, il y a des motifs sérieux à l'appui de l'opinion selon laquelle la perte d'un navire qui chavire en raison d'une défaillance soudaine de sa structure devrait être considérée comme un sinistre fortuit, même en l'absence de conditions atmosphériques ou maritimes défavorables au moment de l'accident. [Je souligne.]

À la page 659, les auteurs de Arnould's concluent:

[TRADUCTION] Nous sommes d'avis que la meilleure interprétation est probablement celle où une défense fondée sur l'usure normale ou un vice inhérent est disponible lorsque la perte est attribuable au mauvais état général du navire, de sorte que la perte était certaine indépendamment des conditions atmosphériques ou maritimes. Toutefois, ce moyen de défense est peu susceptible de réussir dans les cas où un bris soudain se produit dans une partie de la structure, même si cette situation existait depuis longtemps ou était due simplement à la fatigue du métal, bien que les conditions atmosphériques ou maritimes au moment de l'incident n'aient été aucunement rigoureuses ou anormales.

Ces extraits laissent entendre que, outre l'incident fortuit qu'est l'omission négligente de fermer la vanne en l'espèce et outre le fait que la défaillance des vis à chapeau résultait de la négligence, la police en question se serait appliquée simplement parce que le naufrage du navire était soudain et dû à un défaut non décelé et inattendu. Compte tenu de ma conclusion antérieure qu'il y a couverture, il n'est pas nécessaire que j'examine la question de savoir s'il y aurait responsabilité indépendamment de la négligence démontrée en l'espèce. Toutefois, ces passages servent à illustrer une façon informelle d'aborder la question de la causalité, qui ne concorde pas du tout avec les arguments des intimées.

Je ne puis conclure sans faire allusion au fait qu'on ait fait valoir avec insistance devant la Cour d'appel que la perte du navire aurait dû être le résultat prévisible de la négligence pour qu'il y ait couverture en l'espèce. La jurisprudence et la doctrine ne laissent nullement entendre que la prévisibilité d'une perte est une condition de l'indemnisation, à l'exception peut‑être de l'arrêt The Bamcell II, où le juge Lambert, dans un passage confirmé par notre Cour, a dit que le risque prévisible de préjudice résultant d'un acte négligent est suffisant pour que l'affaire tombe dans la catégorie des "accidents fortuits". Bien que cela soit sans doute suffisant pour établir qu'il y a couverture, ce passage ne signifie pas, suivant mon interprétation, que l'existence d'un acte négligent dont on peut prévoir qu'il causera un préjudice constitue une condition nécessaire pour qu'il y ait indemnisation en vertu de la police. En fait, comme la jurisprudence et la doctrine l'ont amplement démontré, ni la négligence ni la prévisibilité ne sont nécessaires pour qu'une réclamation relève du concept des "périls de la mer". Comme je l'ai mentionné précédemment, l'arrêt The Bamcell II affirme que les deux seules conditions pour qu'il y ait indemnisation sont (1) "un accident ou un sinistre fortuit" qui est (2) "maritime".

Bref, je suis d'avis que la procédure suivante doit être suivie pour déterminer si un péril de la mer est la cause immédiate d'une perte. Premièrement, la ou les causes de la perte devraient être vérifiées. On devrait alors se demander si la perte est fortuite du fait qu'elle ne se serait pas produite n'eût été un accident ou un événement imprévu causé par la négligence ou des conditions défavorables ou anormales. La perte ne sera pas fortuite si les exclusions prévues au par. 56(2) ou dans la définition des "périls de la mer" figurant dans l'annexe de la Loi sont établies. Si la perte est fortuite dans ce sens alors la police s'applique.

Conclusion

Je suis d'avis, que peu importe la manière dont la cause de la perte est analysée, la perte en l'espèce a résulté d'un "accident fortuit", "maritime" ou se rapportant à la mer et est donc visée par la couverture contre les périls de la mer. Je suis donc d'avis que pour déterminer si une perte relève de la police, on doit déterminer la cause de la perte en examinant tous les événements qui y ont donné lieu et en se demandant si elle est fortuite en ce sens que l'accident ne se serait pas produit "n'eût été" un acte ou un événement qui est fortuit en ce sens qu'on ne devait pas s'y attendre dans le cours ordinaire des choses. À mon avis, cette position est préférable à l'exercice artificiel de la séparation des causes de la perte qui vise à qualifier l'une d'immédiate et les autres d'éloignées, un exercice à l'égard duquel les esprits les plus éclairés peuvent avoir des opinions divergentes. Suivant cette méthode d'interprétation, la perte en l'espèce relève de la police parce qu'elle ne se serait pas produite n'eût été l'acte négligent de laisser la vanne ouverte.

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi avec dépens et de rétablir le jugement de première instance.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs des appelantes: Campney & Murphy, Vancouver.

Procureurs des intimées: Russell & DuMoulin, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : [1990] 1 R.C.S. 814 ?
Date de la décision : 12/04/1990
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Assurance (maritime) - Risques assurés - Périls de la mer - Naufrage d'un navire au mouillage - Naufrage causé par l'omission de fermer une vanne et par la corrosion de vis à chapeau - La perte a‑t‑elle pour cause immédiate un "péril de la mer"? - L'accident était‑il fortuit? - Insurance (Marine) Act, R.S.B.C. 1979, ch. 203, art. 56.

Un navire de pêche qui mouillait à un poste sûr depuis plus d'un an a coulé par suite de la pénétration subite d'eau de mer causée par (1) la défaillance de vis à chapeau due à la corrosion, et (2) par l'omission de fermer une vanne qui aurait arrêté la pénétration de l'eau de mer. La police d'assurance maritime, interprétée conjointement avec l'Insurance (Marine) Act, couvre les "périls de la mer". Cette expression, définie dans la Loi, désigne seulement les accidents fortuits ou les sinistres maritimes.

Le juge de première instance a conclu que l'accident était fortuit et constituait un "péril de la mer". Il a jugé que l'omission de fermer la vanne et la corrosion des vis à chapeau résultaient de la négligence. La Cour d'appel à la majorité a conclu que l'accident n'était pas fortuit: le naufrage devait être une conséquence prévisible de la négligence. La question en l'espèce est de savoir si le naufrage du navire est une perte ayant pour cause immédiate un "péril de la mer". La réponse dépend elle‑même de la question de savoir si le naufrage était un accident fortuit au sens de la Loi.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Un péril de la mer doit être fortuit et maritime. Le terme "fortuit" signifie que la cause de la perte ne doit pas avoir été intentionnelle ou inévitable. Un naufrage par suite de la pénétration d'eau de mer due à un acte fortuit a toujours été considéré comme un accident "maritime".

La perte résulte d'un accident "maritime". Il n'est pas nécessaire que le défaut à l'origine de la chaîne causale qui a entraîné la perte ne puisse survenir qu'en mer. Il faut plutôt que l'accident lui‑même n'ait pu se produire qu'en mer.

La défaillance des vis à chapeau résulte non pas de "l'usure normale" de manière à être exclue de la définition du terme "fortuit", mais de l'acte négligent des réparateurs qui les ont installées. La corrosion normale pourrait être visée dans la définition de "l'usure normale", mais pas la corrosion causée par l'utilisation négligente de matériaux inadéquats.

La défaillance des vis n'a pas été causée par la perte résultant d'un vice inhérent, lequel concept renvoie à la perte qui découle des attributs inhérents de la chose perdue. La cause était externe et n'avait rien à voir avec ces attributs parce que l'installation de ces vis à chapeau a résulté de la négligence des réparateurs. La perte ne découlait pas inévitablement d'un attribut inhérent du navire et était donc fortuite.

Il ne faut pas accorder trop d'importance à la distinction entre la cause immédiate et la cause éloignée. L'article 56 de l'Insurance (Marine) Act ne limite pas la cause de la perte à un seul péril. Une perte en mer peut résulter de la combinaison de plusieurs facteurs. Il n'importe pas que l'une des causes de la perte soit l'usure normale ou un vice inhérent, pourvu qu'une cause réelle de la perte ait été fortuite. La prévisibilité d'une perte ne constitue pas une condition nécessaire de l'indemnisation. Il n'était pas nécessaire d'examiner la question de savoir s'il y aurait responsabilité indépendamment de la négligence démontrée en l'espèce.

La procédure suivante doit être suivie pour déterminer si un péril de la mer est la cause immédiate d'une perte. Premièrement, la ou les causes de la perte devraient être vérifiées. On devrait alors déterminer si la perte est fortuite en ce sens qu'elle ne se serait pas produite n'eût été un accident ou un événement imprévu causé par la négligence ou des conditions défavorables ou anormales. La perte ne sera pas fortuite si les exclusions prévues au par. 56(2) ou dans la définition des "périls de la mer" figurant dans l'annexe de la Loi sont établies. Si la perte est fortuite alors la police s'applique.


Parties
Demandeurs : C.C.R. fishing ltd.
Défendeurs : British reserve insurance co.

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: Century Insurance Company of Canada c. Case Existological Laboratories Ltd. (The Bamcell II), [1983] 2 R.C.S. 47, conf. (1982), 35 B.C.L.R. 364
Thomas Wilson, Sons & Co. v. The Owners of the Cargo per the "Xantho" (The Xantho) (1887), 12 A.C. 503
Thames and Mersey Marine Ins. Co. v. Hamilton, Fraser, & Co. (1887), 12 A.C. 484.
Lois et règlements cités
Insurance (Marine) Act, R.S.B.C. 1979, ch. 203, art. 56(1), (2), annexe (art. 7).
Doctrine citée
Arnould, Sir Joseph. Arnould's Law of Marine Insurance and Average, vol. II. Sixteenth ed. by Sir Michael J. Mustill and Jonathan C. B. Gilman. London: Stevens, 1981.

Proposition de citation de la décision: C.C.R. fishing ltd. c. British reserve insurance co., [1990] 1 R.C.S. 814 (12 avril 1990)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1990-04-12;.1990..1.r.c.s..814 ?
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