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03/05/1990 | CANADA | N°[1990]_1_R.C.S._901

Canada | R. c. Horseman, [1990] 1 R.C.S. 901 (3 mai 1990)


R. c. Horseman, [1990] 1 R.C.S. 901

Bert Horseman Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Le procureur général du Manitoba et

le procureur général de la Saskatchewan Intervenants

répertorié: r. c. horseman

No du greffe: 20582.

1989: 27 novembre; 1990: 3 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1987), 53 Alta. L.R. (2d) 146, 78 A.

R. 351, [1987] 5 W.W.R. 454, [1987] 4 C.N.L.R. 99, qui a rejeté l'appel interjeté par l'appelant contre un jugement du juge Stratton...

R. c. Horseman, [1990] 1 R.C.S. 901

Bert Horseman Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Le procureur général du Manitoba et

le procureur général de la Saskatchewan Intervenants

répertorié: r. c. horseman

No du greffe: 20582.

1989: 27 novembre; 1990: 3 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1987), 53 Alta. L.R. (2d) 146, 78 A.R. 351, [1987] 5 W.W.R. 454, [1987] 4 C.N.L.R. 99, qui a rejeté l'appel interjeté par l'appelant contre un jugement du juge Stratton (1986), 69 A.R. 13, [1986] 2 C.N.L.R. 94, qui avait accueilli l'appel de Sa Majesté contre l'acquittement de l'appelant prononcé par le juge Wong de la Cour provinciale, [1986] 1 C.N.L.R. 79, relativement à une accusation de trafic d'un animal de la faune. Pourvoi rejeté, le juge en chef Dickson et les juges Wilson et L'Heureux‑Dubé sont dissidents.

Kenneth E. Staroszik, pour l'appelant.

Richard F. Taylor et Margaret Unsworth, pour l'intimée.

Donna J. Miller et Gordon E. Hannon, pour l'intervenant le procureur général du Manitoba.

Graeme G. Mitchell, pour l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

//Le juge Wilson//

Version française des motifs du juge en chef Dickson et des juges Wilson et L'Heureux-Dubé rendus par

Le juge Wilson (dissidente) — J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mon collègue le juge Cory et je ne puis, en toute déférence, souscrire à sa conclusion que la conduite de l'appelant est visée par l'art. 42 de la Wildlife Act, R.S.A. 1980, ch. W‑9.

Bien que mon collègue ait examiné les faits de ce pourvoi et les décisions des tribunaux d'instance inférieure, je crois qu'il est important de souligner que toutes les parties ont reconnu, et le juge de première instance en a conclu ainsi, que M. Horseman chassait légitimement l'orignal à des fins de consommation personnelle dans le territoire visé par le Traité no 8 lorsqu'il a tué l'ours en légitime défense. Monsieur Horseman n'a pas tué l'ours en vue de vendre sa peau bien qu'il ait été éventuellement obligé de le faire un an plus tard afin de pourvoir à sa propre alimentation et à celle de sa famille. La vente de la peau de l'ours était un acte isolé et ne faisait pas partie d'une activité commerciale planifiée. Rien de tout cela n'est contesté.

La question restreinte qu'il nous faut trancher dans ce pourvoi est donc de savoir si le gouvernement de l'Alberta peut punir l'appelant par une sanction en vertu de la Wildlife Act pour la vente isolée, effectuée dans le but de se nourrir, d'une peau d'ours obtenue par hasard par suite d'un acte de légitime défense. À mon avis, pour répondre à cette question, il faut examiner attentivement les conditions du Traité no 8 et le texte de l'art. 12 de la Convention sur le transfert des ressources naturelles, 1930 (Alberta) (la "Convention de transfert").

L'interprétation des traités conclus avec les Indiens

Notre Cour a déjà établi un certain nombre de directives importantes pour interpréter les traités conclus avec les Indiens. Dans l'arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, le juge Dickson, maintenant Juge en chef, affirme, à la p. 36:

. . . les traités et les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et [. . .] toute ambiguïté doit profiter aux Indiens [. . .] Dans l'affaire Jones v. Meehan, 175 U.S. 1 (1899), on a conclu que les traités avec les Indiens [TRADUCTION] "doivent [. . .] être interprétés non pas selon le sens strict de [leur] langage [. . .] mais selon ce qui serait, pour les Indiens, le sens naturel de ce langage". [Je souligne.]

Dans l'arrêt Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387, à la p. 402, le juge en chef Dickson a rappelé l'observation qu'il avait faite dans l'arrêt Nowegijick et a répété que "les traités avec les Indiens doivent être interprétés en faveur de ceux‑ci de façon juste, large et libérale".

Les principes d'interprétation établis dans les arrêts Nowegijick et Simon reconnaissent que les traités conclus avec les Indiens sont des accords sui generis (le juge en chef Dickson, à la p. 404 de l'arrêt Simon, précité). Ces traités sont le produit de négociations entre des cultures très différentes et le langage utilisé ne reflète probablement pas, et on ne devrait pas s'attendre à ce qu'il le fasse, avec exactitude la compréhension que chaque partie a eue de leur effet à l'époque de leur conclusion. C'est pourquoi les tribunaux doivent être particulièrement attentifs au contexte historique général dans lequel ces traités ont été négociés. Ils doivent être prêts à examiner le contexte historique pour s'assurer de parvenir à une compréhension adéquate de la signification que revêtaient ces traités particuliers pour leurs signataires à l'époque.

Mais les principes d'interprétation énoncés dans les arrêts Nowegijick et Simon ont été établis non seulement pour répondre à la nature unique des traités avec les Indiens mais également pour aborder le problème identifié par le juge Norris de la Cour d'appel dans l'arrêt R. v. White and Bob (1964), 50 D.L.R. (2d) 613 (C.A.C.‑B.), à la p. 649 (conf. [1965] R.C.S. vi):

[TRADUCTION] Compte tenu de l'argumentation qui nous est soumise, il est nécessaire de souligner qu'à plusieurs reprises de nos jours, des droits découlant de ce que les Indiens considéraient comme des engagements solennels, bien que pris, suivant les critères d'aujourd'hui, sans formalités, ont été réduits progressivement sous prétexte qu'ils n'étaient pas conformes aux exigences formelles actuelles et aux règles d'interprétation applicables aux opérations entre des peuples qui doivent être considérés selon la civilisation évoluée comme égaux.

En d'autres termes plus simples, il faut accorder aux traités avec les Indiens l'effet que leurs signataires avaient évidemment l'intention de leur donner à l'époque de leur conclusion même s'ils ne sont pas conformes aux exigences formelles actuelles. Ils ne devraient pas non plus être minés par l'application des règles d'interprétation que nous appliquons aujourd'hui aux contrats conclus entre des parties qui ont un pouvoir de négociation égal.

À mon avis, les principes d'interprétation formulés dans les arrêts Nowegijick et Simon sont fondamentalement justes et ont une importance considérable dans ce pourvoi. Aucune évaluation des répercussions de la Convention de transfert sur les droits des Indiens qu'on avait promis de protéger dans le Traité no 8 ne peut ignorer le fait que le Traité no 8 contenait un "engagement solennel". Par conséquent, lorsqu'on interprète la Convention de transfert entre le fédéral et les gouvernements provinciaux, il faut avoir à l'esprit l'engagement solennel que le gouvernement fédéral a pris en 1899 envers les Indiens visés par le Traité no 8. Il ne faudrait pas s'empresser de présumer que le gouvernement fédéral a voulu renier l'engagement qu'il avait pris. Nous devrions plutôt lui donner une interprétation, si le langage utilisé nous le permet, qui en assurera la mise en {oe}uvre et qui sera tout à fait conforme à cet engagement. Il est donc approprié de commencer l'analyse des questions soulevées dans le présent pourvoi par l'examen de la nature de "l'engagement solennel" contenu dans le Traité no 8.

Le Traité no 8 et les droits de chasse des Indiens

Dans son ouvrage intitulé Commentary on Economic History of Treaty 8 Area (inédit, 13 juin 1985, à la p. 8), le professeur Ray nous prévient des risques de tenter de comprendre les pratiques de chasse des Indiens du territoire visé par le Traité no 8 en établissant des distinctions nettes entre la chasse pratiquée pour subvenir à des besoins domestiques et la chasse à des fins commerciales. Il souligne que les Indiens du territoire visé par le Traité no 8 avaient adopté un mode de vie axé sur les ressources fauniques. Ils chassaient le castor, l'orignal, le caribou et le bison des bois en vue d'en consommer une partie et d'en échanger l'autre. [TRADUCTION] "C'est pourquoi il est irréaliste de faire une distinction entre la chasse pour subvenir aux besoins domestiques et la chasse commerciale; cela ne permet pas d'ailleurs de se rendre pleinement compte de la complexité de l'économie des autochtones après l'arrivée des Blancs" (p. 9).

D'autres auteurs ont confirmé la compréhension qu'avait le professeur Ray du monde dans lequel les Indiens visés par le Traité no 8 vivaient avant 1899: voir, par exemple, les observations de Richard Daniel dans son ouvrage "The Spirit and Terms of Treaty Eight" dans The Spirit of the Alberta Indian Treaties (Richard Price, éd., Institut de recherches politiques, 1979), aux pp. 47 à 100. À mon avis, il est important d'avoir à l'esprit cette description du mode de vie des Indiens visés par le Traité no 8 avant 1899, en examinant le contexte dans lequel ils ont consenti au Traité no 8.

Dans une des études les plus détaillées de l'histoire des négociations à l'origine du Traité no 8, As Long as this Land Shall Last: A History of Treaty 8 and Treaty 11, 1870‑1939 (1973), R. Fumoleau explique pourquoi le gouvernement canadien voulait conclure un accord avec les Indiens visés par le Traité no 8. La ruée vers l'or du Klondyke a suscité de graves problèmes au cours des années 1897 et 1898 parce que les mineurs empruntaient le territoire occupé par les Indiens et respectaient peu leur mode de vie traditionnel. Les Indiens ont répliqué et des conflits inévitables ont éclaté. Le gouvernement canadien a vite compris qu'il était nécessaire de parvenir à une entente avec les Indiens quant à leurs relations futures. Les commissaires Laird, Ross et McKenna ont donc été mandatés pour négocier un traité avec les Indiens.

Dans son étude de ces négociations, M. Daniel indique que les Indiens ne voulaient surtout pas qu'on porte atteinte à l'aspect le plus important de leur mode de vie, c'est‑à‑dire leur capacité de chasser et de pêcher. Il souligne que les commissaires ont tenté à maintes reprises d'assurer les Indiens qu'ils demeureraient libres d'exercer ces activités comme ils l'avaient toujours fait. Au cours des négociations tenues au Petit lac des Esclaves en juin 1899 (des négociations qui devaient servir de base aux ententes ultérieures avec d'autres groupes d'Indiens situés près de Fort St. John, Fort Chipewyan, Fond du Lac, Fort Resolution et Wabasca), le commissaire Laird a dit aux Indiens réunis que [TRADUCTION] "les Indiens se sont fait dire que s'ils signent un traité ils ne pourront plus chasser et pêcher comme ils le font actuellement. Cela est faux. Les Indiens qui signeront le traité seront tout aussi libres qu'ils le sont actuellement de chasser et de pêcher partout." (Voir: Daniel, précité, à la p. 76). De même, M. Fumoleau a fait remarquer que [TRADUCTION] "[c]e n'est que lorsque les commissaires leur ont promis qu'ils seraient libres de chasser, de piéger et de pêcher pour vivre et que leurs droits seraient protégés contre les abus des chasseurs et des trappeurs blancs que les Indiens de chaque poste de traite du territoire visé par le Traité no 8 ont consenti à signer le traité" (Fumoleau, op. cit., à la p. 65).

Le rapport officiel des commissaires qui ont négocié le Traité no 8 (présenté au ministre de l'Intérieur le 22 septembre 1899) confirme à la fois que les Indiens étaient particulièrement préoccupés de leurs droits de chasse et de pêche et que les commissaires se sont efforcés de leur expliquer clairement que le gouvernement canadien ne voulait pas porter atteinte à leur mode de vie traditionnel. Les commissaires mentionnent dans leur rapport (à la p. 6):

Notre principale difficulté à surmonter était la crainte qu'on restreindrait leurs privilèges de chasse et de pêche.

La disposition du traité en vertu de laquelle des munitions et de la ficelle devaient être fournies contribua beaucoup à appaiser [sic] les craintes des sauvages, car ils admirent qu'il ne serait pas raisonnable de leur fournir les moyens de chasser et de pêcher si l'on devait faire une loi qui restreindrait tellement la chasse et la pêche qu'il serait presque impossible de gagner sa vie en s'y livrant. Mais en sus de cette disposition nous avons dû leur affirmer solennellement qu'on ne ferait sur la chasse et la pêche que des lois qui seraient dans l'intérêt des sauvages et qu'on trouverait nécessaires pour protéger le poisson et les animaux à fourrure, et qu'ils seraient aussi libres de chasser et de pêcher après le traité qu'ils le seraient s'ils n'avaient jamais fait de traité. [Je souligne.]

Des entrevues avec les anciens parmi les Indiens du territoire du Petit lac des Esclaves confirment la preuve documentaire du rôle capital joué par la promesse relative aux droits de chasse et de pêche. James Cornwall, présent lors des négociations au Petit lac des Esclaves, a signé un affidavit en 1937 (voir Fumoleau, op. cit., aux pp. 74 et 75), dans lequel il affirme:

[TRADUCTION] Les Indiens ont insisté beaucoup sur un point: à moins que leur droit de chasser, de piéger et de pêcher ne soit garanti, ils ne signeraient jamais le traité, car il fallait comprendre qu'ils ne renonceraient jamais à ces droits.

Des entrevues plus récentes avec William Okeymaw de la réserve Sucker Creek et Felix Gobot de Fort Chipewyan confirment que le traité devait [TRADUCTION] "demeurer en vigueur aussi longtemps que le soleil brillerait et que les rivières couleraient" (voir: p. 151 de "Interviews with Elders" de Peter O'Chiese et autres, dans The Spirit of the Alberta Indian Treaties, op. cit., aux pp. 113 à 160). Lynn Hickey, Richard L. Lightning et Gordon Lee qui ont mené plusieurs entrevues avec des anciens dans le territoire visé par le Traité no 8, résument le résultat de leurs recherches de la façon suivante dans "T.A.R.R. Interview with Elders Program" dans The Spirit of the Alberta Indian Treaties, aux pp. 103 à 112 (à la p. 106):

[TRADUCTION] On reconnaît que le traité exigeait de céder les terres bien que peu de gens aient compris qu'il s'agissait d'une entente en vue de partager les terres ou d'en céder la surface seulement. Les terres sont cependant la seule chose qui ait été cédée. Selon la plupart des anciens, le principal sujet de discussion du traité portait sur la chasse, la pêche et le piégeage et sur la façon dont les droits de poursuivre leur mode de subsistance traditionnel n'ont pas été abandonnés et ont même été l'objet d'une garantie importante dans le traité de manière à exister éternellement. Le fait de céder les terres ne porterait pas atteinte au mode de subsistance des Indiens et c'est à cette seule condition que les Indiens ont signé le traité. [Je souligne.]

Bien qu'il faille évidemment être conscient du fait que la preuve testimoniale contemporaine relative au sens des dispositions du Traité no 8 ne permettra pas nécessairement de saisir la compréhension du traité que les Indiens avaient en 1899, j'estime que cette preuve est pertinente lorsqu'elle confirme la preuve documentaire relative à la signification du traité. En effet, j'estime particulièrement important le fait que les commissaires qui ont négocié le Traité no 8, les historiens qui l'ont étudié et les Indiens de plusieurs générations différentes visés par ce traité aient affirmé unanimement que la promesse du gouvernement canadien que les droits de chasse, de pêche et de piégeage seraient éternellement protégés était la condition sine qua non de la signature du Traité no 8 par les Indiens. La chasse, la pêche et le piégeage étaient au centre de leur mode de vie. Pourvu que leurs moyens de subsistance soient protégés, les Indiens étaient prêts à conférer au gouvernement du Canada le [TRADUCTION] "titre" sur les terres visées par le Traité no 8.

J'estime que c'est compte tenu de ce contexte historique, un contexte qui, selon les Indiens, ne permettait pas d'établir de simples distinctions entre la chasse pour subvenir à des besoins domestiques et la chasse à des fins commerciales et qui comportait un engagement solennel que les Indiens continueraient d'avoir un accès illimité aux ressources fauniques, qu'il faut aborder la disposition suivante du Traité no 8:

Et Sa Majesté la Reine CONVIENT PAR LES PRÉSENTES avec les dits sauvages qu'ils auront le droit de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse au fusil, de la chasse au piège et de la pêche dans l'étendue de pays cédée telle que ci‑dessus décrite, subordonnées à tels règlements qui pourront être faits de temps à autre par le gouvernement du pays agissant au nom de Sa Majesté et sauf et excepté tels terrains qui de temps à autre pourront être requis ou pris pour des fins d'établissements, de mine, de commerce de bois, ou autres objets. [Je souligne.]

Si nous voulons être fidèles aux principes d'interprétation formulés dans les arrêts Nowegijick et Simon, nous devons alors non seulement prendre soin de comprendre que le langage du Traité no 8 exprimait un engagement solennel envers les Indiens du territoire visé par le Traité no 8 que leur mode de subsistance serait respecté, mais nous devons également reconnaître qu'en mentionnant des [TRADUCTION] "règlements" éventuels relatifs à la chasse, au piégeage et à la pêche, le gouvernement du Canada promettait que ces règlements seraient toujours conçus pour garantir aux Indiens que leur mode de vie serait toujours respecté. L'interprétation du Traité no 8 comme une entente qui devait permettre au gouvernement canadien de réglementer la chasse, la pêche et le piégeage de la manière qu'il jugerait opportune, sans égard aux répercussions des règlements sur les "occupations ordinaires" des Indiens visés par le Traité no 8, n'est pas crédible compte tenu de la preuve testimoniale et documentaire qui comprend le rapport des commissaires dans lequel on affirme qu'on s'est engagé solennellement à ce que seules les lois "qui seraient dans l'intérêt des sauvages et qu'on trouverait nécessaires pour protéger le poisson et les animaux à fourrure" seraient adoptées.

En d'autres termes, bien que le traité ait évidemment eu pour but de permettre au gouvernement canadien d'adopter des règlements relatifs à la chasse, à la pêche et au piégeage, il devient clair lorsqu'on situe le traité dans son contexte historique que le gouvernement canadien s'est engagé à réglementer la chasse d'une manière qui respecterait le mode de vie des Indiens et la façon dont ils avaient traditionnellement gagné leur vie. Parce que tout règlement relatif à la chasse et à la pêche devait être "dans l'intérêt" des Indiens et parce qu'on leur avait promis qu'ils seraient tout aussi libres de chasser, de pêcher et piéger "après le traité qu'ils le seraient s'ils n'avaient jamais fait de traité", ces règlements devaient être conçus pour préserver l'environnement dans lequel les Indiens pourraient continuer à chasser, à pêcher et à piéger comme ils l'avaient toujours fait.

La Convention sur le transfert des ressources naturelles

Lors de la création de la province de l'Alberta en 1905, son gouvernement n'avait pas le pouvoir de réglementer les ressources naturelles de la province. Le gouvernement fédéral a conservé le pouvoir de réglementer les ressources naturelles en Alberta jusqu'en 1930, date à laquelle le Canada et l'Alberta ont conclu la Convention de transfert qui a fait de l'Alberta une province comme les autres. Conscientes des obligations du gouvernement canadien en vertu d'une série de traités numérotés conclus avec les Indiens, les parties à la Convention de transfert ont inséré un article portant sur les droits des Indiens de chasser, de pêcher et de piéger. L'article 12 de la Convention de transfert prévoyait:

12Pour assurer aux Indiens de la province la continuation de l'approvisionnement de gibier et de poisson destinés à leurs support et subsistance, le Canada consent à ce que les lois relatives au gibier et qui sont en vigueur de temps à autre dans la province, s'appliquent aux Indiens dans les limites de la province; toutefois, lesdits Indiens auront le droit que la province leur assure par les présentes de chasser et de prendre le gibier au piège et de pêcher le poisson, pour se nourrir en toute saison de l'année sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d'accès. [Je souligne.]

Dans son ouvrage intitulé Natural Resources and Public Property under the Canadian Constitution (1969), à la p. 180, G. V. La Forest (maintenant juge de notre Cour) fait la remarque suivante au sujet de l'art. 12 de la Convention de transfert:

[TRADUCTION] L'effet de la disposition est de conférer aux Indiens le droit constitutionnel, opposable aux provinces, de chasser et de pêcher sur les terres inoccupées de la Couronne; les provinces ne peuvent la modifier unilatéralement. Elle semble avoir été insérée pour protéger des droits semblables conférés par les divers traités en vertu desquels les Indiens ont cédé les terres sur lesquelles se trouvent maintenant situées les provinces des Prairies et on a décidé qu'il serait tout à fait approprié d'examiner ces traités pour essayer de déterminer le sens de la disposition. [Je souligne.]

On a souligné à maintes reprises que l'art. 12 de la Convention de transfert avait été formulé en vue de protéger les droits visés par le Traité no 8 et qu'il est donc tout à fait approprié d'examiner le Traité no 8 en vue de saisir le sens de cet article. Par exemple, dans l'arrêt R. v. Smith, [1935] 3 D.L.R. 703, aux pp. 705 et 706, le juge Turgeon de la Cour d'appel (à l'opinion duquel a souscrit le juge Mackenzie) affirme:

[TRADUCTION] Comme je l'ai dit, il est justifié de consulter ce traité pour en extraire ce qui peut éclairer sur le sens qu'il faut donner aux mots en question. Je dirais même que nous devrions nous efforcer, dans les limites de ce qui est convenable, de donner à ces mots le sens qui ferait ressortir l'intention de Sa Majesté et du législateur de préserver les droits accordés aux Indiens par le traité. [Je souligne.]

De même, dans l'arrêt R. v. Strongquill (1953), 8 W.W.R. (N.S.) 247 (C.A. Sask.) (un arrêt sur lequel notre Cour s'est fondée dans l'arrêt Frank c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 95, à la p. 100), le juge McNiven affirme, à la p. 269:

[TRADUCTION] J'ai déjà dit que quels que soient les droits de chasse conférés aux Indiens par le traité en question, ils se retrouvent à l'art. 12 de la Convention sur les ressources naturelles, précité. Je n'ai fait appel au traité que pour l'assistance que peuvent apporter ses termes dans l'interprétation du langage utilisé à l'art. 12, car nous devons reconnaître au Parlement l'intention de respecter ses termes. Il est également une règle d'interprétation fondamentale que les mots utilisés dans une loi doivent recevoir leur sens ordinaire généralement accepté. Il faut donner aux lois une interprétation libérale pour que chaque loi et chaque partie de celle‑ci puissent s'appliquer conformément à son esprit, son intention et son sens véritables. [Je souligne.]

Dans l'arrêt ultérieur Prince and Myron v. The Queen, [1964] R.C.S. 81, notre Cour a approuvé l'opinion exprimée dans les arrêts Smith et Strongquill qu'il faut présumer que le Parlement voulait respecter ses obligations en vertu des traités avec les Indiens. Le juge Hall (s'exprimant au nom de la Cour) a fait sien l'extrait suivant de l'arrêt R. v. Wesley, [1932] 2 W.W.R. 337, dans lequel le juge McGillivray avait fait remarquer, à la p. 344:

[TRADUCTION] Le but poursuivi, à mon sens, c'était que, lorsque l'Indien, comme l'homme blanc, chasse dans un but sportif ou commercial, il soit assujetti aux lois touchant la préservation du gibier mais que, lorsqu'il chasse les animaux sauvages pour la nourriture essentielle à sa subsistance, il soit considéré d'un point de vue tout à fait différent de l'homme blanc qui, en général, ne chasse pas pour se nourrir; et il est, par l'exception stipulée à l'art. 12, assuré de la continuité de l'exercice d'un droit dont il jouit depuis un temps immémorial. [Je souligne.]

Dans l'arrêt plus récent Frank c. La Reine, précité, notre Cour a répété que l'art. 12 était conçu en partie pour assurer que les droits consacrés dans le Traité no 8 soient respectés. Le juge Dickson affirme, à la p. 100:

Il semble que le but essentiel de l'art. 12 de la Convention sur les ressources naturelles était d'unifier et de codifier les droits reconnus aux Indiens dans les traités, mais également de réaffirmer et de garantir aux Indiens visés par les traités le droit de chasser et de pêcher pour leur subsistance. Voir les arrêts R. v. Wesley; R. v. Smith, R. v. Strongquill. [Je souligne.]

À mon avis, les arrêts Smith et Wesley rendus peu de temps après l'entrée en vigueur de la Convention de transfert, ainsi que les arrêts ultérieurs Strongquill et Frank, établissent clairement que dans la mesure du possible il faut interpréter l'art. 12 de la Convention de transfert comme une tentative de respecter l'engagement solennel contenu dans le Traité no 8 et non pas comme une tentative d'abroger ce traité ou d'y déroger. Bien qu'il soit clair que l'art. 12 de la Convention de transfert a défini les zones dans lesquelles les Indiens visés par le Traité no 8 pourraient exercer leur mode de vie traditionnel, il faudrait être extrêmement prudent avant d'accepter la proposition que l'art. 12 de la Convention de transfert visait également à imposer des restrictions sévères et injustes à l'étendue des activités reliées à la chasse, à la pêche et au piégeage que pourraient continuer à exercer les Indiens visés par le Traité no 8, compte tenu de la preuve testimoniale et documentaire relative à la négociation du Traité no 8 et du caractère crucial de la garantie relative à la chasse, à la pêche et au piégeage. En affirmant cela, je suis tout à fait consciente que notre Cour a déjà affirmé qu'elle n'est pas en mesure de mettre en question une décision claire du gouvernement fédéral de modifier ses obligations prévues par traité: voir les arrêts Sikyea v. The Queen, [1964] R.C.S. 642, R. v. George, [1966] R.C.S. 267, et Moosehunter c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 282, à la p. 293. Nous devons cependant être convaincus que le gouvernement fédéral a pris la "décision claire" de renier ses obligations prévues par le Traité no 8 lorsqu'il a signé la Convention de transfert de 1930.

L'intimée en l'espèce n'a mentionné aucune preuve historique à l'appui de sa prétention que l'art. 12 de la Convention de transfert avait pour but de restreindre le droit traditionnel des Indiens de chasser et de pêcher (lequel comprenait un droit d'échange) et d'en faire seulement un droit de chasse et de pêche à des fins de consommation personnelle. En l'absence de cette preuve et compte tenu des insinuations de mauvaise foi qui en découleraient pour le gouvernement fédéral, je ne suis pas prête à accepter que c'était là l'intention du législateur. En effet, il me semble que dans l'arrêt R. c. Sutherland, [1980] 2 R.C.S. 451, qui portait sur une disposition analogue de la Convention de transfert avec le Manitoba, le juge Dickson a voulu établir clairement que l'interprétation restrictive préconisée par l'intimée est tout à fait injustifiée. Il affirme, à la p. 461:

Il est vrai que la clause 13 de la Convention prévoit que les lois provinciales relatives au gibier s'appliquent aux Indiens dans les limites de la province, mais sous réserve d'une restriction importante qui leur assure, notamment, le "droit" de chasser le gibier pour se nourrir en toute saison de l'année sur les terres auxquelles ils peuvent avoir un droit d'accès. Il faut donner une interprétation large et libérale à cette restriction. L'histoire appuie une telle interprétation tout comme le fait le texte même de la restriction. Le droit assuré est, à mon avis, le droit de chasser le gibier (toute sorte de gibier) pour se nourrir, en toute saison de l'année (non seulement pendant "les saisons de chasse") sur les terres auxquelles ils ont un droit d'accès (pour chasser, piéger et pêcher). [Je souligne.]

Quoi qu'il en soit, l'intimée soutient que l'emploi des mots "pour se nourrir" à l'art. 12 de la Convention de transfert a cet effet. Elle soutient que ces mots établissent l'intention du législateur d'imposer des limites importantes à l'étendue des activités reliées à la chasse auxquelles les Indiens visés par le Traité no 8 peuvent se livrer sans égard à la réglementation provinciale. L'intimée soutient que les Indiens visés par le Traité no 8 ne peuvent invoquer la protection de l'art. 12 que s'ils chassent afin de pourvoir à leur propre alimentation ou à celle de leur famille et que, parce que M. Horseman n'a pas tué l'ours dans ce but, son acte ne relève pas de la portée de l'art. 12.

Bien que l'intimée laisse entendre que la jurisprudence de notre Cour sur l'art. 12 et des dispositions semblables contenues dans d'autres conventions de transfert étayent son interprétation restrictive de la disposition, je suis d'avis que les arrêts antérieurs de notre Cour relatifs à la formulation de l'art. 12 (et son équivalent dans d'autres conventions de transfert) n'obligent pas la Cour à interpréter l'expression "pour se nourrir" d'une façon aussi étroite et restreinte. Parce que le Traité no 8 contient un engagement solennel de la part du gouvernement canadien de respecter un mode de vie fondé sur la chasse, la pêche et le piégeage, parce que nos tribunaux ont à maintes reprises souligné que nous devrions tenter d'interpréter le langage utilisé à l'art. 12 en se référant au Traité no 8 et parce que l'arrêt Sutherland de notre Cour a souligné l'importance de donner à l'art. 12 une interprétation "large et libérale", il me semble que nous devrions hésiter énormément à accepter une interprétation de l'expression "pour se nourrir" qui causerait une entorse profonde à la capacité des Indiens visés par le Traité no 8 d'exercer leur mode de vie traditionnel qui, selon eux, a été garanti par le traité.

Je souligne que dans l'arrêt Frank c. La Reine, précité, une affaire où un Indien visé par un traité avait tué un orignal, le juge Dickson a laissé entendre (précité, aux pp. 100 et 101) que, tandis que les droits de chasse visés par le Traité no 6 n'avaient pas été définis, ils étaient maintenant, en vertu de l'art. 12, limités à la chasse de "subsistance" et que, par suite de l'art. 12, les droits de chasse et de pêche exercés dans un autre but que la "subsistance" étaient assujettis aux lois provinciales sur la protection de la faune. Mais le juge Dickson s'est empressé de préciser qu'en l'espèce "ces différences ne sont pas importantes parce que l'appelant chassait pour se nourrir sur un territoire couvert à la fois par le traité et la Convention" (p. 100). En d'autres termes, bien que la présence de l'expression "pour se nourrir" signifie clairement qu'après 1930 la province de l'Alberta avait le pouvoir de réglementer la chasse autre que de "subsistance", le juge Dickson a jugé qu'il n'était pas nécessaire en l'espèce d'examiner en détail la nature de la distinction entre la chasse "pour se nourrir" et la chasse à d'autres fins.

Dans l'arrêt Moosehunter c. La Reine, précité, une affaire où un Indien visé par un traité avait tué un chevreuil au Manitoba, le juge Dickson a eu la chance d'examiner un peu plus en détail la nature de la ligne de démarcation créée par l'expression "pour se nourrir". Il souligne, à la p. 285:

La clause 12 avait pour motif ou but d'assurer aux Indiens un approvisionnement de gibier et de poisson destinés à leur support et subsistance et, évidemment, de leur permettre de chasser, de piéger et de pêcher pour se nourrir en toute saison de l'année sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur les terres auxquelles les Indiens ont accès. La Convention a eu comme effet de fusionner et de consolider les droits accordés par traité aux Indiens à cet égard ainsi que de limiter le pouvoir des provinces de réglementer le droit des Indiens de chasser pour se nourrir. Les lois provinciales sur la protection de la faune peuvent réglementer le droit de ces derniers de se livrer à la chasse sportive ou commerciale, mais non celui de chasser pour se nourrir. [Je souligne.]

À mon avis, la distinction que le juge Dickson a établie dans l'arrêt Moosehunter entre la chasse à des fins de "support et [de] subsistance" et la chasse "sportive ou commerciale" est beaucoup plus conforme à l'esprit du Traité no 8 et à la proposition qu'il ne faut pas présumer que le législateur a voulu abroger les droits de chasse du Traité no 8 ou y déroger qu'à la prétention de l'intimée qu'en employant l'expression "pour se nourrir" le législateur a voulu restreindre les droits de chasse du Traité no 8 à la consommation directe du produit de la chasse. Et si nous voulons donner à l'art. 12 l'interprétation "large et libérale" qu'exige l'arrêt Sutherland, une interprétation qui reflète le principe énoncé dans les arrêts Nowegijick et Simon que les lois relatives aux Indiens doivent être "interprétées de façon juste, large et libérale", nous devrions alors être prêts à accepter que l'étendue des activités visées par l'expression "pour se nourrir" s'étend à la chasse à des fins de "support et [de] subsistance", c'est‑à‑dire à la chasse non seulement en vue de la consommation directe mais également à la chasse en vue d'échanger le produit de la chasse pour d'autres articles comme c'était leur habitude, par opposition à la chasse purement commerciale ou sportive.

Et d'ailleurs, quand on y pense, cela est tout à fait logique. Le Traité no 8 était axé principalement sur la préservation du mode de vie traditionnel des Indiens. Mais cela ne voulait certainement pas dire que les Indiens devraient à tout jamais s'astreindre à un régime de viande et de poisson et qu'ils ne pourraient pas bénéficier eux aussi des progrès de la civilisation moderne au cours du siècle suivant. Les droits de chasse et de pêche des Indiens devaient évidemment être conservés et protégés; les Indiens n'auraient pu survivre autrement. Mais cela ne signifie pas qu'en 1990 ils ne peuvent vendre leur viande et leur poisson pour acheter d'autres articles nécessaires à leur subsistance et à celle de leurs enfants. Pourvu qu'ils chassent en vue de consommer la viande, de l'échanger ou de la vendre pour se nourrir et nourrir leur famille, je ne vois pas comment une interprétation conforme au bon sens de l'expression "pour se nourrir" peut interdire cela. Il va sans dire que la question de savoir si une vente est faite à des fins de subsistance ou à des fins purement commerciales est une question de fait à trancher dans chaque cas.

Si nous voulons prêter attention à la remarque du professeur Ray que la distinction entre la chasse commerciale et la chasse pour subvenir à des besoins domestiques ne peut être facilement imposée aux pratiques de chasse des Indiens protégées par le Traité no 8, et si nous voulons aborder l'art. 12 comme une disposition qui visait à respecter les garanties enchâssées dans le Traité no 8 (ce que, à mon avis, nous devons faire dans la mesure du possible), il faut alors interpréter l'art. 12 comme une disposition qui confère à la province de l'Alberta le pouvoir de réglementer la chasse sportive et la chasse à des fins purement commerciales plutôt que comme une disposition permettant à la province d'imposer des restrictions sévères et injustes au droit des Indiens de chasser à des fins de "support et [de] subsistance" au sens large.

Lorsque l'expression "pour se nourrir" est interprétée de cette façon, l'art. 12 de la Convention de transfert demeure conforme à l'engagement solennel des commissaires chargés de négocier le Traité no 8 que le gouvernement du Canada n'adopterait à l'égard de "la chasse et [de] la pêche que des lois qui seraient dans l'intérêt des sauvages et qu'on trouverait nécessaires pour protéger le poisson et les animaux à fourrure" et que les Indiens visés par le Traité no 8 "seraient aussi libres de chasser et de pêcher après le traité qu'ils le seraient s'ils n'avaient jamais fait de traité". Bien qu'il se puisse que les Indiens visés par le Traité no 8 et le gouvernement du Canada n'aient pas prévu en 1899 que des restrictions devraient un jour être imposées à la mesure dans laquelle les gens pourraient se livrer à la chasse commerciale et sportive, ces restrictions sont évidemment nécessaires aujourd'hui pour protéger des espèces particulières. Pourvu que ces restrictions à la chasse commerciale et sportive soient imposées afin de préserver des espèces qui seraient autrement menacées d'extinction, le gouvernement semblerait agir dans l'intérêt des Indiens en protégeant l'état de l'environnement qui est une condition préalable à leur capacité d'exercer leur mode de vie traditionnel. Ces restrictions sont tout à fait conformes à l'esprit et au texte du Traité no 8. Ce qui n'est pas conforme à l'esprit et au texte du Traité no 8, c'est de restreindre le droit des Indiens de chasser à des fins de "support et [de] subsistance" à moins que cette restriction ne soit aussi exigée pour préserver les espèces menacées d'extinction.

En résumé, il me semble que l'expression chasser "pour se nourrir" visait à établir une distinction entre les pratiques de chasse traditionnelles que les Indiens étaient libres de poursuivre et la chasse sportive ou la chasse à des fins purement commerciales. Et si nous ne voulons pas simplement rendre hommage pour la forme aux principes d'interprétation formulés dans les arrêts Nowegijick et Simon, des principes qui nous obligent à résoudre en faveur des Indiens les ambiguïtés qui se trouvent dans des textes de loi comme la Convention de transfert, toute incertitude quant à la nature de la démarcation entre la chasse à des fins purement commerciales ou sportives et les pratiques de chasse traditionnelles des Indiens doit alors être résolue en favorisant une interprétation de l'art. 12 de la Convention de transfert qui confère à la province de l'Alberta le pouvoir de réglementer la chasse commerciale et sportive, sans toutefois porter atteinte aux pratiques de chasse traditionnelles des Indiens.

Mon collègue le juge Cory adopte un point de vue différent. Il conclut que l'art. 12 de la Convention de transfert visait à "réduire la portée des droits de chasse des Indiens" et que Sa Majesté a donné quelque chose en "contrepartie" de la réduction des droits de chasse. En décrivant cette "contrepartie", le juge Cory affirme qu' "[i]l y a eu extension des territoires et des méthodes de chasse qui ont été soustraits à la compétence des gouvernements provinciaux". Mais à mon avis, la preuve historique laisse entendre à la fois qu'on avait garanti aux Indiens le droit de chasser à des fins de support et de subsistance de la manière qu'ils le voulaient quelque quatre décennies avant la ratification de la Convention de transfert et qu'il n'est pas certain que les provinces aient jamais été constitutionnellement en mesure de réglementer cette forme de chasse avant la Convention de transfert. Par conséquent, j'ai de la difficulté à accepter la conclusion de mon collègue que la Convention de transfert comporte une forme d'extension de ces droits de chasse. En outre, il me semble quelque peu déloyal de tenter de justifier toute réduction unilatérale des droits de chasse au moyen d'une terminologie qui implique un processus de réciprocité dans lequel les parties contractantes s'échangent des promesses. Quoi qu'il en soit, je ne vois aucune preuve que le gouvernement fédéral a voulu renier de quelque façon que ce soit l'engagement solennel consacré dans le Traité no 8.

La présente affaire

Le juge de première instance a tiré la conclusion de fait que l'appelant avait tué l'ours en légitime défense et non en vue de vendre, d'échanger ou de troquer sa peau. Il est donc difficile de décrire l'acte de M. Horseman comme de la chasse commerciale ou sportive. En réalité, il est difficile de décrire l'acte de M. Horseman comme constituant le moindrement de la "chasse". Il serait très étrange que le gouvernement du Canada, en adoptant la Convention de transfert de 1930, ait voulu placer les Indiens visés par le Traité no 8 dans la situation absurde où ils seraient pénalisés pour s'être défendus contre des attaques d'animaux sauvages. En toute déférence, je ne puis accepter non plus la proposition de mon collègue que le Parlement a cru que si les Indiens visés par le Traité no 8 étaient exemptés de l'application des règlements provinciaux s'ils tuaient un animal en légitime défense, ils essayeraient de contourner ces règlements en prétendant faussement s'être trouvés dans cette situation.

L'article 42 de la Wildlife Act stipule que [TRADUCTION] "[l]e trafic d'un animal de la faune est interdit, sauf dans la mesure où la présente loi ou son règlement d'application l'autorisent expressément". J'ai déjà dit que bien que le gouvernement fédéral puisse avoir le pouvoir de réglementer le trafic des animaux de la faune pourvu que cette réglementation soit dans l'intérêt des Indiens, le gouvernement provincial n'a pas le pouvoir de réglementer les pratiques indiennes qui relèvent du mode de vie traditionnel des Indiens et qui sont liées à leur support et à leur subsistance. Quant aux Indiens visés par le Traité no 8, le gouvernement de l'Alberta ne peut réglementer que la chasse purement commerciale et sportive.

Le juge de première instance a affirmé:

[TRADUCTION] Ayant à l'esprit l'obligation de tirer des conclusions de fait dans chaque cas présenté à la cour, je conclus que M. Horseman a vendu la peau du grizzli d'une manière et dans un but conformes aux traditions de ses ancêtres, c'est‑à‑dire "dans un but de subsistance et d'échange". Je conclus que M. Horseman ne s'est pas livré à une opération commerciale, c'est‑à‑dire à une opération dont le but principal est le profit.

Elle a donc conclu que l'acte de M. Horseman ne s'inscrivait pas dans l'éventail des activités que la province de l'Alberta pouvait réglementer au moyen de la Wildlife Act. Ce résultat est conforme au bon sens. Bien que la province puisse limiter le droit des Indiens de faire le trafic des peaux lorsque ce trafic est fait dans le cadre d'une entreprise commerciale ou résulte de la chasse sportive, elle n'a pas, à mon avis, le pouvoir de réglementer un acte de vente isolé qui résulte d'un acte de légitime défense. Cela est d'autant plus vrai étant donné que M. Horseman a vendu la peau, comme l'a conclu le juge de première instance sur le plan des faits, non pas à des fins commerciales mais en vue d'acheter de la nourriture pour sa famille.

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'ordonnance de la Cour d'appel et de rétablir le verdict d'acquittement. Je suis d'avis de répondre à la question constitutionnelle de la façon suivante:

Question:

Entre le 1er février 1984 et le 30 mai 1984, l'art. 42 de la Wildlife Act, R.S.A. 1980, ch. W‑9, était‑il constitutionnellement applicable aux Indiens régis par le Traité no 8 en vertu des droits de chasse que ce traité leur confère? En particulier, les droits de chasse conférés par le Traité no 8 ont‑ils été supprimés, réduits ou modifiés par l'art. 12 de la Convention sur le transfert des ressources naturelles de l'Alberta confirmée par la Loi constitutionnelle de 1930?

Réponse:

L'article 42 de la Wildlife Act était applicable aux Indiens visés par le Traité no 8 seulement dans la mesure où ils s'étaient livrés à la chasse commerciale ou sportive. L'article 12 de la Convention sur le transfert des ressources naturelles de l'Alberta n'a pas supprimé ni réduit les droits de chasse conférés par le Traité no 8. Toutefois, les limites territoriales dans lesquelles ils pouvaient être exercés ont été modifiées par l'art. 12.

//Le juge Cory//

Version française du jugement des juges Lamer, La Forest, Gonthier et Cory rendu par

Le juge Cory — La question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si les dispositions de l'art. 42 et de l'al. 1s) de la Wildlife Act, R.S.A. 1980, ch. W‑9, s'appliquent à l'appelant, dont les ancêtres étaient membres de l'une des bandes indiennes signataires du Traité no 8 de 1899, lequel garantissait des droits de chasse à certains peuples indiens.

Les faits

Au procès, les parties se sont entendues sur les faits et ceux‑ci ne font l'objet d'aucune contestation. Monsieur Bert Horseman est un Indien au sens de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I‑6. Descendant d'Indiens signataires du Traité no 8, il est membre de la bande indienne no 196 de Horse Lakes et habite cette réserve située à environ 40 milles au nord‑ouest de Grande Prairie (Alberta).

Au printemps de 1983, l'appelant est allé chasser l'orignal sur le territoire au nord de sa réserve afin de pourvoir à sa propre alimentation et à celle de sa famille, ce qu'il était en droit de faire aux termes du Traité no 8. La chasse a été fructueuse. Il a abattu un orignal, l'a ouvert et l'a dépouillé. Comme l'orignal était trop gros pour qu'il puisse l'apporter à la réserve, l'appelant est retourné à la hâte chez lui chercher l'aide d'autres membres de la bande pour le sortir du bois. Quand ils sont arrivés à l'endroit où se trouvait la carcasse, l'appelant et ses amis ont eu la désagréable surprise de constater qu'un grizzli s'était emparé de l'orignal. L'arrivée de l'appelant a été encore plus désagréable et contrariante pour l'ours qui, de toute évidence, croyait avoir tous les droits sur l'orignal. Devant cette contestation de sa possession, l'ours a foncé sur l'appelant. Faisant preuve de sang‑froid, de courage et d'habileté face à cette attaque, Bert Horseman a abattu l'ours, l'a dépouillé et en a gardé la peau.

Il y a quelques années à peine, son habileté, son courage et le fait même de s'être tiré d'une situation dangereuse et désespérée auraient sans doute valu à l'appelant des félicitations. La vie de nos jours n'est toutefois pas aussi simple et des difficultés tout autres que des assauts de grizzli guettaient l'appelant. En effet, Horseman n'était pas titulaire du permis requis par la Wildlife Act pour chasser le grizzli ou pour en vendre la peau. En temps normal, cette omission aurait facilement pu être excusée, car ni la présence de l'ours ni l'attaque n'auraient pu être prévues.

Un an plus tard, au printemps de 1984, l'appelant se trouvait malheureusement sans emploi et avait besoin d'argent pour subvenir aux besoins de sa famille. Se trouvant ainsi dans le besoin, il a décidé de vendre la peau du grizzli. Le 19 avril ou vers cette date, il a demandé et obtenu en vertu de l'art. 18 de la Wildlife Act un permis l'autorisant à chasser et à tuer un grizzli et à en vendre la peau à un détaillant titulaire d'un permis à cette fin, le tout en conformité avec le règlement pris en vertu de ladite loi. L'appelant s'est servi de son permis pour vendre à un détaillant autorisé, au prix de 200 $, la peau de son adversaire de l'année précédente. Cette vente isolée qui, visiblement, ne s'inscrivait pas dans le cadre d'une opération commerciale organisée, a eu lieu entre le 19 avril et le 22 mai.

Il n'y a pas à douter des besoins financiers de l'appelant ni de sa bonne foi. Il s'est certainement efforcé de respecter l'esprit de la loi. On a néanmoins déposé contre lui en juillet 1984 une dénonciation lui reprochant d'avoir fait le trafic d'un animal de la faune. L'accusation était ainsi rédigée:

[TRADUCTION] [L'appelant] entre le 1er février 1984 et le 30 mai 1984, à Beaverlodge (Alberta) ou dans ses environs, a ILLÉGALEMENT fait le trafic d'un animal de la faune, en vendant la peau d'un grizzli d'une manière non expressément permise par la Wildlife Act ou son règlement d'application.

CONTRAIREMENT à l'article 42 de la Wildlife Act et ses modifications.

L'unique moyen de défense soulevé pour le compte de Horseman a été que la Wildlife Act ne s'appliquait pas à lui et qu'il avait exercé des droits que lui conférait le Traité no 8 quand il a vendu la peau de l'ours. Le fait d'avoir tué l'ours en légitime défense est sans conséquence en l'espèce. On ne fait pas valoir non plus que Horseman a commis une erreur de droit par suite des propos d'un fonctionnaire du gouvernement. L'appelant soutient plutôt qu'il peut en tout temps, sur les terres de la Couronne ou sur les terres auxquelles les Indiens ont accès, tuer un grizzli pour se nourrir. De plus, on affirme qu'il peut vendre la peau du grizzli qu'il tue pour acheter de la nourriture.

Les tribunaux d'instance inférieure

La Cour provinciale

Le juge de la Cour provinciale a statué que les droits de chasse énoncés au Traité no 8 ne se limitaient pas au simple fait de prendre du gibier à des fins de subsistance, mais comprenaient des droits d'échanger et de troquer le gibier: [1986] 1 C.N.L.R. 79. Elle a conclu que l'art. 42 de la Wildlife Act de l'Alberta était certes d'application générale, mais que les droits conférés par le Traité no 8 comprenaient le droit de troc. L'appelant n'avait donc pas, en vendant la peau de l'ours, excédé les droits dont il jouissait en vertu du traité.

La Cour du Banc de la Reine

Le juge de la Cour du Banc de la Reine a annulé l'acquittement, a déclaré l'appelant coupable et lui a imposé l'amende minimale de 100 $ prévue par la Loi: (1986), 69 A.R. 13, [1986] 2 C.N.L.R. 94. Le juge a estimé que les droits conférés par le Traité no 8 avaient été expressément restreints par suite de la Convention sur le transfert des ressources naturelles de 1930, qui, selon lui, limitait les droits des Indiens à ceux de piéger, pêcher et chasser à seule fin de se nourrir. À son avis, si le produit de la chasse passait par plusieurs étapes aboutissant à sa vente pour obtenir de l'argent, même si cet argent pouvait être utilisé pour l'achat de nourriture, il s'agissait alors de chasser non plus "pour se nourrir" mais pour des fins commerciales. De plus, il a exprimé l'avis que l'art. 42 de la Wildlife Act était d'application générale et que Horseman y était assujetti.

La Cour d'appel

La Cour d'appel a confirmé la décision de la Cour du Banc de la Reine: (1987), 53 Alta. L.R. (2d) 146, 78 A.R. 351, [1987] 5 W.W.R. 454, [1987] 4 C.N.L.R. 99. Elle a estimé elle aussi que l'art. 12 de la Convention de transfert avait pour effet de limiter les droits des Indiens à ceux de chasser, de piéger et de pêcher uniquement pour se nourrir. La Cour d'appel a été en outre d'avis que l'art. 42 de la Wildlife Act était d'application générale et s'appliquait donc à Horseman.

Les textes législatifs applicables

Traité no 8, 1899:

Et Sa Majesté la Reine CONVIENT PAR LES PRÉSENTES avec les dits sauvages qu'ils auront le droit de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse au fusil, de la chasse au piège et de la pêche dans l'étendue de pays cédée telle que ci‑dessus décrite, subordonnées à tels règlements qui pourront être faits de temps à autre par le gouvernement du pays agissant au nom de Sa Majesté et sauf et excepté tels terrains qui de temps à autre pourront être requis ou pris pour des fins d'établissement, de mine, de commerce de bois, ou autres objets.

Loi constitutionnelle de 1930:

1. Les conventions comprises dans l'annexe de la présente loi, sont par les présentes confirmées et auront force de loi nonobstant tout ce qui est contenu dans la Loi constitutionnelle de 1867, ou dans toute loi la modifiant, ou dans toute loi du Parlement du Canada ou dans tout arrêté du Conseil ou termes ou conditions d'Union faits ou approuvés sous l'empire d'aucune de ces lois.

Convention sur le transfert des ressources naturelles, 1930 (Alberta):

12Pour assurer aux Indiens de la province la continuation de l'approvisionnement de gibier et de poisson destinés à leurs support et subsistance, le Canada consent à ce que les lois relatives au gibier et qui sont en vigueur de temps à autre dans la province, s'appliquent aux Indiens dans les limites de la province; toutefois, lesdits Indiens auront le droit que la province leur assure par les présentes de chasser et de prendre le gibier au piège et de pêcher le poisson, pour se nourrir en toute saison de l'année sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d'accès.

Wildlife Act, R.S.A. 1980, ch. W‑9:

[TRADUCTION] 42 Le trafic d'un animal de la faune est interdit, sauf dans la mesure où la présente loi ou son règlement d'application l'autorisent expressément.

1 . . .

. . .

s) "trafic" désigne le fait de vendre, d'offrir de vendre, d'acheter, de troquer, de solliciter ou d'échanger;

Le traité et les droits de chasse

L'examen des événements qui ont abouti à la négociation du Traité no 8 et des autres traités numérotés, nous amène inévitablement à conclure que le droit de chasser à des fins commerciales figurait parmi les droits de chasse garantis par ce traité. Les Indiens voulaient protéger les droits de chasse dont ils jouissaient avant l'entrée en vigueur du traité et le gouvernement fédéral, de son côté, voulait protéger l'économie des autochtones qui était fondée sur ces droits de chasse. On peut constater que, si les Indiens ont cédé le titre qu'ils avaient sur les terres visées par le Traité no 8, c'était à condition de pouvoir se réserver à eux‑mêmes exclusivement le droit de se livrer à "leurs occupations ordinaires de la chasse au fusil, de la chasse au piège et de la pêche dans l'étendue de pays cédée".

De toute évidence, au moment de la signature du traité, l'économie de la population indienne avait évolué au point où la chasse et la pêche à des fins commerciales faisaient partie intégrante du mode de vie des Indiens. Dans son ouvrage intitulé Commentary on Economic History of Treaty 8 Area (inédit, 13 juin 1985), le professeur Ray écrit, à la p. 4:

[TRADUCTION] Les Indiens ont signalé aux commissaires chargés de la négociation du Traité no 8 qu'ils ne le signeraient que si le gouvernement s'engageait à pourvoir à leurs besoins dans les temps difficiles. Les commissaires ont répondu en soulignant que le gouvernement ne voulait pas que les Indiens abandonnent leurs activités économiques traditionnelles pour devenir des pupilles de l'État. En fait, l'une des raisons d'adopter l'Acte de 1894 relatif à la conservation du gibier du Nord‑Ouest avait été de préserver les ressources à la base des économies des autochtones à l'extérieur des territoires organisés. Le gouvernement craignait que l'effondrement de ces économies ne jette sur l'État un lourd fardeau comme cela s'était produit à la suite de l'écroulement de l'économie des Prairies fondée sur le bison.

Pour conclure sur ce point, le professeur Ray affirme, aux pp. 8 et 9:

[TRADUCTION] [L]a chasse pour se procurer de la viande à des fins de commerce constituait un élément important de l'économie fondée sur la chasse commerciale existant dans la région dès le début de la traite des fourrures à la fin du XVIIIe siècle. Il n'existe toutefois pas de données qui permettent de déterminer dans quelle mesure les autochtones chassaient pour subvenir à leurs besoins domestiques, par opposition à commercialement.

De plus, du point de vue de l'histoire économique, je ne suis pas convaincu de l'utilité de tenter de faire de telles distinctions, car souvent les Indiens tuaient des animaux comme le castor principalement en vue de faire le commerce de leurs fourrures. Les Indiens consommaient toutefois la chair de castor et, dans bien des régions, elle représentait une partie importante de leur alimentation. Par contre, ils abattaient l'orignal, le caribou et le bison des bois afin de se procurer de la viande pour leur propre consommation et à des fins de commerce. De même, les peaux de ces animaux étaient utilisées par les Indiens et elles faisaient l'objet du commerce. C'est pourquoi il est irréaliste de faire une distinction entre la chasse pour subvenir aux besoins domestiques et la chasse commerciale; cela ne permet pas d'ailleurs de se rendre pleinement compte de la complexité de l'économie des autochtones après l'arrivée des Blancs.

Le rapport des commissaires qui ont négocié le Traité no 8 pour le compte du gouvernement du Canada vient étayer davantage cette conclusion. Ils écrivent (à la p. 6):

Notre principale difficulté à surmonter était la crainte qu'on restreindrait leurs privilèges de chasse et de pêche.

La disposition du traité en vertu de laquelle des munitions et de la ficelle devaient être fournies contribua beaucoup à appaiser [sic] les craintes des sauvages, car ils admirent qu'il ne serait pas raisonnable de leur fournir les moyens de chasser et de pêcher si l'on devait faire une loi qui restreindrait tellement la chasse et la pêche qu'il serait presque impossible de gagner sa vie en s'y livrant. Mais en sus de cette disposition nous avons dû leur affirmer solennellement qu'on ne ferait sur la chasse et la pêche que des lois qui seraient dans l'intérêt des sauvages et qu'on trouverait nécessaire pour protéger le poisson et les animaux à fourrure, et qu'ils seraient aussi libres de chasser et de pêcher après le traité qu'ils le seraient s'ils n'avaient jamais fait de traité. [Je souligne.]

Je souscris entièrement à la conclusion du juge de première instance que le droit initial conféré par le traité comprenait manifestement la chasse à des fins du commerce. La prochaine question à laquelle il faut répondre est de savoir si ce droit a été de quelque manière limité ou modifié par la Convention de transfert de 1930.

L'effet de la Convention de transfert de 1930

Rappelons au départ deux principes consacrés. Premièrement, il incombe à Sa Majesté de prouver soit l'extinction expresse, soit l'extinction implicite. Voir Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387, Calder c. Procureur général de la Colombie‑Britannique, [1973] R.C.S. 313. Deuxièmement, toute ambiguïté dans le texte d'un traité ou d'un document doit profiter aux autochtones. C'est ce qu'a affirmé le juge Dickson, maintenant Juge en chef, en se prononçant au nom de la Cour dans l'arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 36:

. . . les traités et les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et [. . .] toute ambiguïté doit profiter aux Indiens.

L'appelant fait valoir que la Convention de transfert de 1930 n'a pas été signée par les Indiens. Comme ils n'y étaient pas parties, ils n'ont pas pu acquiescer à la restriction de leurs droits de chasse et de pêche, de sorte que ces droits n'ont pas pu être perdus par le jeu de ce qu'on a appelé la théorie de "l'unification et de la codification".

Sa Majesté affirme par contre qu'il ressort nettement du texte de l'art. 12 lui‑même que la Convention apporte des restrictions aux droits de chasse. Voici encore une fois le texte de cet article:

12Pour assurer aux Indiens de la province la continuation de l'approvisionnement de gibier et de poisson destinés à leurs support et subsistance, le Canada consent à ce que les lois relatives au gibier et qui sont en vigueur de temps à autre dans la province, s'appliquent aux Indiens dans les limites de la province; toutefois, lesdits Indiens auront le droit que la province leur assure par les présentes de chasser et de prendre le gibier au piège et de pêcher le poisson, pour se nourrir en toute saison de l'année sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d'accès. [Je souligne.]

D'après Sa Majesté, les droits accordés aux Indiens par le traité de 1899 ont été "unifiés et codifiés" dans la Convention de transfert de 1930. Elle soutient en outre que le sens restrictif de ces mots a été constaté et confirmé par notre Cour dans les arrêts Cardinal c. Procureur général de l'Alberta, [1974] R.C.S. 695, Frank c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 95, R. c. Sutherland, [1980] 2 R.C.S. 451, à la p. 460, et Moosehunter c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 282.

La théorie de l'unification et de la codification a été avancée pour la première fois par le juge McNiven dans l'arrêt R. v. Strongquill (1953), 8 W.W.R. (N.S.) 247 (C.A. Sask.), où il dit, aux pp. 267 et 268:

[TRADUCTION] Les articles 10, 11 et 12 de ladite convention parlent d'Indiens et, en ce qui concerne les points y visés, les droits dont jouissaient les Indiens jusque‑là, que ce fût aux termes d'un traité ou d'une loi, ont été unifiés et codifiés. Voir Rex v. Smith, [1935] 2 WWR 433, 64 CCC 131, où le juge Turgeon de la Cour d'appel dit, à la p. 436:

"Il s'ensuit donc que, quelle qu'ait pu être la situation dans le passé, la mesure dans laquelle les Indiens échappent maintenant à l'application des lois de la Saskatchewan régissant la chasse est à déterminer par l'interprétation de l'art. 12 auquel cette loi impériale donne force de loi."

Dans l'affaire Cardinal c. Procureur général de l'Alberta, précitée, le juge Martland, s'exprimant au nom de la majorité, s'est dit d'avis que la Convention de transfert de 1930 avait pour effet d'assujettir des réserves indiennes à la compétence provinciale exercée dans les lois sur la chasse et la pêche. Le juge Martland écrit, à la p. 707:

Les mots du début de l'article en précisent le but. Il vise à assurer aux Indiens de la province la continuation d'un approvisionnement en gibier et poisson pour leur soutien et leur subsistance. C'est afin d'atteindre ce but que les Indiens résidant à l'intérieur des limites de la province doivent respecter les lois provinciales en matière de chasse et pêche, sous réserve toujours de leur droit de chasser et de pêcher pour se nourrir.

C'est la position qu'a adoptée le juge Dickson, maintenant Juge en chef, dans des arrêts subséquents. À son avis, la Convention de transfert avait pour effet de réduire la portée des droits de chasse des Indiens. Dans l'arrêt Frank c. La Reine, précité, à la p. 100, il fait observer:

Il semble que le but essentiel de l'art. 12 de la Convention sur les ressources naturelles était d'unifier et de codifier les droits reconnus aux Indiens dans les traités, mais également de réaffirmer et de garantir aux Indiens visés par les traités le droit de chasser et de pêcher pour leur subsistance.

De même, dans l'arrêt Moosehunter c. La Reine, précité, à la p. 285, il écrit:

La Convention a eu comme effet de fusionner et de consolider les droits accordés par traité aux Indiens à cet égard ainsi que de limiter le pouvoir des provinces de réglementer le droit des Indiens de chasser pour se nourrir. Les lois provinciales sur la protection de la faune peuvent réglementer le droit de ces derniers de se livrer à la chasse sportive ou commerciale, mais non celui de chasser pour se nourrir.

L'appelant soutient que cette jurisprudence ne devrait pas être suivie. Son argument comporte trois volets. Il prétend en premier lieu que, située dans son contexte historique, la Convention de transfert de 1930 était destinée à protéger les droits des Indiens et non pas à y déroger. En deuxième lieu, et qui plus est, on fait valoir que les droits de chasse traditionnels dont jouissaient les Indiens en vertu du Traité no 8 ne pouvaient être réduits ni limités d'aucune manière sans l'approbation et le consentement sous une forme ou une autre des Indiens, les personnes les plus directement touchées par la dérogation, et sans qu'il n'y ait compensation ou contrepartie quelconque pour la réduction des droits de chasse. On dit en troisième lieu que, pour des raisons de principe, Sa Majesté ne devrait pas entreprendre unilatéralement de modifier les droits déjà conférés par le traité ou d'y déroger. Elle ne ferait que se déshonorer s'il lui était permis d'agir de la sorte. Il incombe à Sa Majesté, prétend‑on, de défendre les intérêts initiaux des autochtones que protège le traité. En d'autres termes, Sa Majesté devrait être considérée comme fiduciaire des droits de chasse des autochtones.

Ces arguments ne sauraient être retenus. On peut répondre simplement au point de vue de l'appelant que l'art. 12 de la Convention de transfert de 1930 a été soigneusement examiné et interprété par le juge en chef Dickson dans trois arrêts récents: Frank c. La Reine, R. c. Sutherland et Moosehunter c. La Reine, précités. Ces arrêts abordent les problèmes analogues résultant des conventions de transfert intervenues avec le Manitoba et la Saskatchewan, dont les textes sont identiques à celui de la Convention de transfert conclue avec l'Alberta, qui est présentement en cause. Ces motifs constituent l'opinion récente mûrement réfléchie de notre Cour. Ils sont tout aussi convaincants aujourd'hui qu'ils l'étaient lorsqu'ils ont été rendus. Rien dans l'argumentation de l'appelant ne m'amènerait à changer quoi que ce soit aux motifs si bien et si clairement exprimés dans ces arrêts.

Il est en outre évident que les conventions de transfert visaient à modifier le partage des pouvoirs initialement prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867 (anciennement l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867). L'article premier de la Loi constitutionnelle de 1930 ne laisse planer aucun doute à cet égard: "Les conventions [. . .] auront force de loi nonobstant tout ce qui est contenu dans la Loi constitutionnelle de 1867 . . ."

De plus, Sa Majesté a effectivement donné quelque chose en contrepartie de la réduction du droit de chasse. Quoique la Convention ait bel et bien supprimé le droit de faire de la chasse commerciale, le droit de chasser pour se nourrir a été sensiblement élargi. Les territoires sur lesquels pouvaient chasser les Indiens ont été considérablement agrandis. En outre, les moyens employés par eux aux fins de la chasse pour se nourrir ont été soustraits à la compétence des gouvernements provinciaux. Il est, par exemple, permis aux Indiens de chasser le chevreuil en se servant d'un faisceau lumineux et de chiens, méthodes qui sont ou peuvent être défendues aux autres. Les Indiens ne sont pas non plus soumis aux restrictions saisonnières que se voient imposer tous les autres chasseurs. C'est‑à‑dire qu'ils peuvent chasser le canard et l'oie au printemps comme à l'automne, tout comme ils peuvent chasser le chevreuil à longueur d'année. Les Indiens ne sont assujettis à aucune restriction quant au type de gibier qu'ils peuvent tuer. Cela veut dire que si d'autres personnes peuvent avoir à respecter des restrictions en ce qui concerne l'espèce ou le sexe du gibier qu'elles peuvent tuer, les Indiens eux peuvent, pour se nourrir, tuer le mâle et la femelle du chevreuil, faisans et faisanes, canards et canes. On peut donc constater que la contrepartie a été considérable. Il y a eu extension des territoires et des méthodes de chasse qui ont été soustraits à la compétence des gouvernements provinciaux.

L'effet véritable de l'art. 12 de la Convention a été reconnu par le juge Laskin, alors juge puîné, dans l'arrêt Cardinal, précité, à la p. 722, où il écrit:

[L'article 12] s'intéresse plutôt aux Indiens en tant que tels, et a pour objet de leur garantir un droit continu de chasse, de piégeage et de pêche pour leur nourriture, indépendamment des lois provinciales sur la conservation de la faune qui restreindraient autrement les Indiens dans les parties de la province qui sont soumises à l'administration provinciale. Bien que l'article 12 ne soit pas très élégant dans son libellé, il n'élargit pas le pouvoir législatif de la province, mais le contracte. Les Indiens doivent avoir le droit de chasser et de pêcher pour se nourrir sur toutes les terres inoccupées de la Couronne (celles‑ci ne comprennent certainement pas les réserves), ainsi que sur toutes les autres terres auxquelles ils peuvent avoir un droit d'accès. Il existe donc, de par l'autorité de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1930, une limitation du pouvoir provinciale, que le Parlement légifère ou non.

Cet effet de l'art. 12 de la Convention a aussi été reconnu par le juge Dickson, maintenant Juge en chef, dans l'arrêt Myran c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 137, à la p. 141:

L'arrêt Prince et Myron montre bien qu'un Indien est libre de chasser ou de piéger le gibier autant qu'il le désire, quand il le désire et par les moyens qu'il choisit à condition que ce soit pour se nourrir personnellement et sur des terres inoccupées de la Couronne ou auxquelles il a un droit d'accès.

Il appert donc que si la Convention de transfert est venue modifier les droits de chasse découlant du traité, il y a eu une contrepartie très réelle, savoir l'élargissement des droits des autochtones de chasser pour se nourrir. De plus, quoiqu'il puisse être politiquement et moralement inacceptable dans le climat actuel de prendre une mesure comme celle prévue dans la Convention de 1930, sans consulter les autochtones intéressés et sans obtenir leur acquiescement, la compétence du gouvernement fédéral pour effectuer unilatéralement une telle modification est néanmoins incontestée et n'a pas été mise en doute en l'espèce.

Rappelons‑nous en outre que le Traité no 8 lui‑même n'accordait pas un droit de chasse illimité. L'exercice de ce droit devait être "subordonné [. . .] à tels règlements qui pourront être faits de temps à autre par le gouvernement du pays". Cette disposition concorde manifestement avec la position adoptée au départ par les commissaires qui négociaient avec les Indiens. Les commissaires ont fait remarquer explicitement que les Indiens continueraient à jouir du droit de chasser, de piéger et de pêcher comme ils l'avaient toujours fait, mais que l'exercice de ces droits devrait être assujetti aux lois qui seraient nécessaires pour protéger le poisson et les animaux à fourrure dont dépendaient les Indiens pour leur subsistance.

À la fin du XIXe siècle, les lois fédérales relatives à la chasse dans les Territoires non organisés prévoyaient qu'il était absolument interdit de chasser certaines espèces animales (le bison et le b{oe}uf musqué) afin d'assurer leur préservation et d'assurer aux Indiens un approvisionnement en gibier pour l'avenir. Voir l'Acte de 1894 relatif à la conservation du gibier dans les Territoires non organisés, S.C. 1894, ch. 31, art. 2, 4 à 8 et 26. Même à cette époque, l'amélioration des armes à feu et les méthodes plus efficaces de piégeage et de chasse ainsi que la disparition de l'habitat et la surexploitation du gibier (sans doute davantage par les Européens que par les Indiens) avaient rendu indispensable l'imposition de mesures de conservation destinées à préserver des espèces animales et à ménager des possibilités de chasse aux générations futures. Qui plus est, à compter de 1890, l'Acte des Sauvages fédéral habilitait le surintendant général à rendre applicables aux Indiens les lois du Manitoba et des Territoires non organisés relatives à la chasse. Voir l'Acte ayant pour objet de modifier de nouveau l'Acte des Sauvages, chapitre quarante‑trois des Statuts revisés, S.C. 1890, ch. 29, art. 10. Une disposition analogue était en vigueur en 1930. Voir la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, art. 69.

Évidemment, au moment de la signature du traité en cause, le territoire y visé relevait de la compétence exclusive du gouvernement fédéral et celui‑ci était le seul "gouvernement du pays" envisagé. La Convention de transfert de 1930 a apporté un changement quant au gouvernement qui pourrait réglementer certains aspects de la chasse en vue d'assurer la conservation de la faune. Ce changement n'allait pas à l'encontre de l'esprit de la convention initiale, comme en témoignent les règlements fédéraux et provinciaux en vigueur à l'époque. Même en 1899, les gouvernements étaient préoccupés par la question de la conservation de la faune.

En résumé, le traité de 1899 ne conférait pas des droits de chasse illimités. Au contraire, ils étaient assujettis à la réglementation gouvernementale. La Convention de 1930 a élargi les territoires de chasse des Indiens et les méthodes qu'ils pourraient employer en chassant pour se nourrir, ce qui représentait une contrepartie réelle pour la réduction du droit de chasser à des fins commerciales, accordé par le traité de 1899. Le droit du gouvernement fédéral d'agir unilatéralement de cette manière est incontesté. Je conclus en conséquence que la Convention de transfert de 1930 a effectivement changé la nature des droits de chasse initialement garantis par le Traité no 8.

L'article 42 de la Wildlife Act

Il faut reconnaître au départ que la Wildlife Act est une loi provinciale d'application générale qui touche les Indiens non pas en tant que tels, mais en tant qu'habitants de la province. Il s'ensuit que cette loi peut s'appliquer aux Indiens conformément à l'art. 88 de la Loi sur les Indiens, pourvu qu'elle ne soit incompatible avec aucun droit découlant d'un traité. Nous avons constaté que la Convention de transfert de 1930 a limité les droits de chasse conférés par le Traité no 8 au droit de chasser pour se nourrir, c'est‑à‑dire pour la subsistance de l'Indien ou de sa famille. En l'espèce, la vente de la peau de l'ours s'inscrivait dans un "processus à plusieurs étapes", la vente ayant pour but l'obtention d'argent pour des fins pouvant comprendre l'achat de denrées alimentaires. Les tribunaux d'instance inférieure ont conclu, à juste titre, que la vente de la peau de l'ours constituait un acte relié à la chasse qui n'était plus de la chasse "pour se nourrir", mais plutôt un acte de commerce. Il ne s'agissait plus en conséquence d'un droit protégé par le Traité no 8, modifié par la Convention de transfert de 1930. Cela étant, l'art. 88 de la Loi sur les Indiens n'empêche pas l'application de l'art. 42 aux Indiens qui chassent à des fins commerciales.

Le fait que l'appelant a tué un grizzli en légitime défense doit susciter de l'admiration et de la sympathie à son endroit, mais cela n'est malheureusement pas pertinent aux fins d'examiner s'il y a eu infraction à l'art. 42 de la Wildlife Act. Évidemment, s'il était permis de faire le trafic des peaux de grizzlis tués en légitime défense, on pourrait s'attendre à une augmentation spectaculaire du nombre d'ours abattus en légitime défense. Si regrettable qu'elle puisse être dans le cas présent, l'interdiction de faire le trafic de peaux d'ours sans permis ne peut admettre aucune exception.

De plus, malheureusement, il ne peut être pertinent relativement à l'infraction à l'art. 42 que l'appelant se soit effectivement procuré un permis de chasse au grizzli alors qu'il avait déjà en sa possession une peau d'ours. La délivrance d'un permis ne garantit pas le succès du chasseur, mais lui donne simplement la possibilité de tuer un ours légitimement. D'après la preuve produite au procès, les restrictions imposées à l'obtention d'un permis et les chances limitées de succès dans la chasse à l'ours faisaient en sorte que les titulaires de permis pouvaient connaître un taux de réussite se situant entre 2 pour cent et 4 pour cent. Voilà qui doit être un facteur important dans la gestion de la population d'ours. Les responsables de la gestion de la faune doivent pouvoir se fonder sur le taux de réussite et partir de l'hypothèse que quiconque demande un permis n'a pas déjà tué un ours. C'est le taux de réussite qui détermine le nombre de permis délivrés au cours d'une année donnée. Tout le système de gestion indispensable pour la survie du grizzli serait miné si des permis étaient accordés à des personnes ayant déjà fait bonne chasse.

En outre, l'art. 42 de la Wildlife Act s'accorde avec l'esprit même du Traité no 8 qui précise que le droit de chasser demeure assujetti à la réglementation gouvernementale. Il ressort de la preuve qu'il ne reste que 575 grizzlis sur les terres de la province. Cette population ne peut soutenir un taux de mortalité supérieur à 11 pour cent par année ne fût‑ce que pour se maintenir à son niveau actuel. Selon les statistiques, la population diminuera si plus de 60 ours par année meurent naturellement et par suite de la chasse légale et du braconnage (et il y a tout lieu de croire que les braconniers en prennent autant que les chasseurs légitimes). Le grizzli a besoin d'un grand territoire et supporte particulièrement mal l'empiétement sur son habitat. La situation de ce magnifique animal est vraiment précaire. Tous les Canadiens et, en particulier les Indiens qui ont une histoire et des traditions riches et admirables témoignant d'un respect pour toutes les espèces vivantes et d'un mode de vie en harmonie avec celles‑ci, applaudiront et donneront leur soutien à des règlements destinés à favoriser la survie de l'ours. Le trafic de peaux d'ours fait autrement qu'en conformité avec les dispositions de la Wildlife Act menace l'existence même du grizzli. Il peut arriver que l'ours brave l'homme et parfois même en fasse la victime de quelque attaque désespérée, mais à moins de maîtriser l'utilisation d'armes à feu, il ne pourra triompher et doit compter sur l'homme pour le protéger et même pour assurer sa survie. Cette protection est fournie par la Wildlife Act, mais celle‑ci ne sera efficace que si elle est appliquée strictement.

L'article 42 de la Wildlife Act est une disposition législative valide adoptée par le gouvernement compétent. Il traduit un souci réel de préserver une espèce animale. Il constitue une règle de droit d'application générale qui ne porte pas atteinte aux droits de chasse conférés aux Indiens par le Traité no 8 et limités par la Convention de transfert de 1930.

Dispositif

En définitive, je suis d'avis de rejeter le pourvoi. La question constitutionnelle doit recevoir la réponse suivante:

Question:

Entre le 1er février 1984 et le 30 mai 1984, l'art. 42 de la Wildlife Act, R.S.A. 1980, ch. W‑9, était‑il constitutionnellement applicable aux Indiens régis par le Traité no 8 en vertu des droits de chasse que ce traité leur confère? En particulier, les droits de chasse conférés par le Traité no 8 ont‑ils été supprimés, réduits ou modifiés par l'art. 12 de la Convention sur le transfert des ressources naturelles de l'Alberta confirmée par la Loi constitutionnelle de 1930?

Réponse:

La réponse aux deux volets de la question doit être affirmative.

La Wildlife Act s'appliquait à l'appelant Horseman et celui‑ci est coupable d'une infraction à l'art. 42 de la Loi. Néanmoins, il n'était pas allé à la recherche de l'ours et ne l'a tué qu'en légitime défense. Le juge du procès a conclu que l'appelant a agi de bonne foi quand il a obtenu le permis de chasse à l'ours. Il éprouvait des difficultés financières au moment où il a vendu la peau de l'ours dans le cadre d'une opération isolée. Il a fourni la possibilité d'étudier la question de l'applicabilité de la Wildlife Act aux Indiens. N'était‑ce du fait que la Loi prescrit une amende minimale, je serais d'avis, dans les circonstances particulières de la présente affaire, de modifier la sentence en dispensant l'appelant de payer l'amende minimale. Néanmoins, compte tenu des circonstances de l'espèce et du délai écoulé, je suis d'avis d'ordonner l'arrêt des procédures. Il n'y aura pas d'adjudication de dépens.

Pourvoi rejeté, le juge en chef Dickson et les juges Wilson et L'Heureux‑Dubé sont dissidents.

Procureurs de l'appelant: Rogers & Company, Calgary.

Procureur de l'intimée: Le procureur général de l'Alberta, Edmonton.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Manitoba: Le ministère de la Justice, Winnipeg.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan: Le ministère de la Justice, Regina.

* Voir Erratum, [1990] 1 R.C.S. iv


Synthèse
Référence neutre : [1990] 1 R.C.S. 901 ?
Date de la décision : 03/05/1990
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Indiens - Droits de chasse - Un Indien visé par un traité a tué un ours en légitime défense et en a plus tard vendu la peau - La Wildlife Act de l'Alberta interdit le trafic d'un animal de la faune sans permis - L'interdiction s'applique‑t‑elle aux Indiens visés par le Traité no 8? - Les droits de chasse énoncés au Traité no 8 sont‑ils limités par la Convention sur le transfert des ressources naturelles de 1930? - Wildlife Act, R.S.A. 1980, ch. W‑9*, art. 18, 42 - Traité no 8 - Convention sur le transfert des ressources naturelles, 1930, art. 12.

L'appelant, un Indien visé par le Traité no 8, a tué un grizzli en légitime défense alors qu'il chassait l'orignal pour se nourrir. À l'époque, il n'était pas titulaire du permis requis par la Wildlife Act de l'Alberta pour chasser le grizzli ou pour en vendre la peau. Un an plus tard, ayant besoin d'argent pour subvenir aux besoins de sa famille, il a acheté un permis l'autorisant à chasser et à tuer un grizzli, et a vendu la peau du grizzli. Il s'agissait d'un acte isolé qui ne faisait pas partie d'une activité commerciale planifiée. L'appelant a été accusé d'avoir fait le trafic illégal d'un animal de la faune, contrairement à l'art. 42 de la Wildlife Act. Au procès, il a fait valoir que la Loi ne s'appliquait pas à lui et qu'il avait exercé des droits que lui conférait le Traité no 8 quand il a vendu la peau de l'ours. Ce traité garantissait aux Indiens le droit "de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse au fusil, de la chasse au piège et de la pêche [. . .] subordonnées à tels règlements qui [pourraient] être faits de temps à autre par le gouvernement du pays". Le juge de première instance a statué que les droits de chasse de l'appelant énoncés au Traité no 8 comprenaient le droit de troquer, et il l'a acquitté. La cour d'appel des déclarations sommaires de culpabilité a annulé l'acquittement et déclaré l'appelant coupable. Elle a conclu que la Convention sur le transfert des ressources naturelles de 1930 avait limité les droits de chasse énoncés au Traité no 8 à un droit de chasse à seule fin de se nourrir. La Cour d'appel a confirmé cette décision.

Arrêt (le juge en chef Dickson et les juges Wilson et L'Heureux‑Dubé sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges Lamer, La Forest, Gonthier et Cory: L'article 42 de la Wildlife Act de l'Alberta est une disposition législative provinciale d'application générale qui peut s'appliquer aux Indiens conformément à l'art. 88 de la Loi sur les Indiens, pourvu qu'elle ne soit incompatible avec aucun droit découlant d'un traité. Les droits de chasse garantis aux Indiens en 1899 par le Traité no 8 comprenaient le droit de chasser à des fins commerciales, mais l'art. 12 de la Convention de transfert a assujetti ces droits à la réglementation gouvernementale et les a limités au droit de chasser à seule fin de se nourrir, c'est‑à‑dire pour la subsistance de l'Indien lui‑même ou de sa famille. En échange de la réduction du droit de chasser à des fins commerciales, Sa Majesté a élargi les territoires de chasse des Indiens et les méthodes qu'ils pourraient employer en chassant pour se nourrir. La compétence du gouvernement fédéral pour effectuer unilatéralement une telle modification est incontestée. En l'espèce, la vente de la peau de l'ours s'inscrivait dans un "processus à plusieurs étapes" pouvant comprendre l'achat de denrées alimentaires. La vente de la peau de l'ours constituait un acte relié à la chasse qui n'était plus de la chasse "pour se nourrir", mais plutôt un acte de commerce. Il ne s'agissait plus en conséquence d'un droit protégé par le Traité no 8, modifié par la Convention de transfert de 1930. L'article 88 de la Loi sur les Indiens n'empêche donc pas l'application à l'appelant de l'art. 42 de la Wildlife Act. Le fait que l'appelant a tué un grizzli en légitime défense ou qu'il s'est procuré un permis de chasse au grizzli alors qu'il avait déjà en sa possession une peau d'ours n'est pas pertinent quant à savoir s'il y a eu infraction à l'art. 42. La situation du grizzli est précaire et le trafic de peaux d'ours fait autrement qu'en conformité avec les dispositions de la Wildlife Act menace son existence même. L'article 42 est une disposition législative valide adoptée par le gouvernement compétent. Il traduit un souci réel de préserver une espèce animale.

Le juge en chef Dickson et les juges Wilson et L'Heureux‑Dubé (dissidents): Les traités avec les Indiens doivent être interprétés en faveur de ceux‑ci de façon juste, large et libérale. Ces traités, qui sont le produit de négociations entre des cultures très différentes, sont des accords sui generis. Les tribunaux doivent donc examiner le contexte historique général pour s'assurer de parvenir à une compréhension adéquate de la signification que revêtaient ces traités particuliers pour leurs signataires à l'époque. En 1899, les Indiens ne voulaient pas qu'on porte atteinte à l'aspect le plus important de leur mode de vie, c'est‑à‑dire leur capacité de chasser et de pêcher. Le langage du Traité no 8 exprimait un engagement solennel envers les Indiens que leur mode de subsistance serait respecté et cette promesse était la condition sine qua non de leur signature du traité. En garantissant aux Indiens le droit de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse au fusil, de la chasse au piège et de la pêche "subordonnées à tels règlements qui pourront être faits de temps à autre par le gouvernement du pays", le gouvernement canadien s'est engagé à réglementer la chasse d'une manière qui respecterait le mode de vie des Indiens et la façon dont ils avaient traditionnellement gagné leur vie.

L'article 12 de la Convention de transfert visait à respecter les garanties enchâssées dans le Traité no 8 et les modifications apportées aux zones dans lesquelles les Indiens visés par le Traité no 8 pourraient exercer leur mode de vie traditionnel ne devraient pas être considérées comme une tentative d'abroger ou de limiter les droits de chasse ou de pêche des Indiens. Compte tenu de l'engagement solennel du gouvernement envers les Indiens visés par le Traité no 8, l'expression chasser "pour se nourrir" à l'art. 12 devrait être interprétée comme visant la chasse à des fins de support et de subsistance, ce qui comprend la chasse en vue d'échanger le produit de la chasse pour d'autres articles, par opposition à la chasse purement commerciale ou sportive. Il faut également interpréter l'art. 12 comme une disposition qui confère à la province d'Alberta le pouvoir de réglementer la chasse sportive et la chasse à des fins purement commerciales plutôt que comme une disposition lui permettant d'imposer des restrictions sévères et injustes aux pratiques de chasse traditionnelles des Indiens.

En tuant l'ours en l'espèce, on a accompli non pas un acte de "chasse", mais un acte de légitime défense. De plus, la vente de la peau était une opération isolée, effectuée dans un but de support et de subsistance. La conduite de l'appelant n'est donc pas visée par l'art. 42 de la Wildlife Act de l'Alberta qui n'est applicable aux Indiens visés par le Traité no 8 que dans la mesure où ils se livrent à la chasse commerciale ou sportive.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Horseman

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Arrêts appliqués: Frank c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 95
R. c. Sutherland, [1980] 2 R.C.S. 451
Moosehunter c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 282
arrêts mentionnés: Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387
Calder c. Procureur général de la Colombie‑Britannique, [1973] R.C.S. 313
Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29
Cardinal c. Procureur général de l'Alberta, [1974] R.C.S. 695
R. v. Strongquill (1953), 8 W.W.R. (N.S.) 247
Myran c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 137.
Citée par le juge Wilson (dissidente)
Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29
Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387
R. v. White and Bob (1964), 50 D.L.R. (2d) 613, conf. [1965] R.C.S. vi
R. v. Smith, [1935] 3 D.L.R. 703
R. v. Strongquill (1953), 8 W.W.R. (N.S.) 247
Frank c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 95
Prince and Myron v. The Queen, [1964] R.C.S. 81
R. v. Wesley, [1932] 2 W.W.R. 337
Sikyea v. The Queen, [1964] R.C.S. 642
R. v. George, [1966] R.C.S. 267
Moosehunter c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 282
R. c. Sutherland, [1980] 2 R.C.S. 451.
Lois et règlements cités
Acte ayant pour objet de modifier de nouveau l'Acte des Sauvages, chapitre quarante‑trois des Statuts revisés, S.C. 1890, ch. 29, art. 10.
Acte de 1894 relatif à la conservation du gibier dans les Territoires non organisés, S.C. 1894, ch. 31, art. 2, 4 à 8, 26.
Convention sur le transfert des ressources naturelles [confirmée par la Loi constitutionnelle de 1930], art. 12.
Loi constitutionnelle de 1867.
Loi constitutionnelle de 1930, 20 & 21 Geo. 5, ch. 26 (R.‑U.) [reproduite dans S.R.C. 1970, app. II, no 25], art. 1.
Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, art. 69.
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I‑6, art. 88.
Traité no 8 (1899).
Wildlife Act, R.S.A. 1980, ch. W‑9, art. 1s), 18, 42.
Doctrine citée
Daniel, Richard. "The Spirit and Terms of Treaty Eight." In The Spirit of the Alberta Indian Treaties. Edited by Richard Price. Montréal: Institut de recherches politiques, 1979.
Fumoleau, René. As Long as this Land Shall Last: A History of Treaty 8 and Treaty 11, 1870‑1939. Toronto: McClelland and Stewart, 1973.
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Proposition de citation de la décision: R. c. Horseman, [1990] 1 R.C.S. 901 (3 mai 1990)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1990-05-03;.1990..1.r.c.s..901 ?
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