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07/06/1990 | CANADA | N°[1990]_2_R.C.S._3

Canada | R. c. b. (G.), [1990] 2 R.C.S. 3 (7 juin 1990)


R. c. B. (G.), [1990] 2 R.C.S. 3

G.B. Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

répertorié: r. c. b. (g.)

No du greffe: 20905.

1989: 29 novembre; 1990: 7 juin.

Présents: Les juges Wilson, L'Heureux-Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de la saskatchewan

Droit criminel -- Preuve -- Témoins -- Corroboration -- Témoignage d'enfants -- Le Code criminel exige que le témoignage d'un enfant non rendu sous serment soit corroboré sur un point important par un témoignage qui implique l'accusé -- Y a-t-il c

orroboration en droit lorsque le témoignage est corroboré quant à l'événement lui‑même mais non en ce qui a trait...

R. c. B. (G.), [1990] 2 R.C.S. 3

G.B. Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

répertorié: r. c. b. (g.)

No du greffe: 20905.

1989: 29 novembre; 1990: 7 juin.

Présents: Les juges Wilson, L'Heureux-Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de la saskatchewan

Droit criminel -- Preuve -- Témoins -- Corroboration -- Témoignage d'enfants -- Le Code criminel exige que le témoignage d'un enfant non rendu sous serment soit corroboré sur un point important par un témoignage qui implique l'accusé -- Y a-t-il corroboration en droit lorsque le témoignage est corroboré quant à l'événement lui‑même mais non en ce qui a trait à l'identité de l'accusé? -- Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 586.

L'appelant, un jeune contrevenant, a été accusé d'avoir commis une agression sexuelle grave contre le plaignant, un écolier de la maternelle âgé de cinq ans au moment où l'infraction aurait été commise. Le juge du procès a conclu à l'absence de preuve de blessure et, par conséquent, n'a considéré que les infractions incluses d'agression sexuelle et d'agression sexuelle avec infliction de lésions corporelles. Le plaignant a témoigné au procès sans prêter serment. Il existait des preuves qui corroboraient que l'agression avait eu lieu au moment et à l'endroit allégués par le plaignant mais, à part l'identification de l'appelant par le plaignant, il n'y avait aucun élément de preuve qui indiquait que l'appelant était l'auteur de l'agression. Le Code criminel prévoyait à ce moment-là que personne ne devait être déclaré coupable d'une infraction sur le témoignage d'un enfant non rendu sous serment à moins que le témoignage ne soit "corroboré sur un point important par une preuve impliquant l'accusé". Le juge du procès a conclu que même s'il y avait un témoignage corroborant la réalité de l'événement, il n'existait aucun témoignage indépendant associant l'appelant à l'événement. Il l'a donc acquitté. La Cour d'appel a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en exigeant que le témoignage corroborant associe l'accusé à la perpétration de l'infraction et lorsqu'il a omis de conclure que le témoignage du plaignant avait été confirmé sur un point important. Elle a annulé l'acquittement et ordonné un nouveau procès.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Dans son arrêt Vetrovec, notre Cour a, en fait, mis fin à la règle stricte de l'arrêt Baskerville selon laquelle pour qu'il y ait corroboration d'un témoignage non rendu sous serment il devait y avoir un témoignage indépendant qui implique l'accusé. Bien que l'arrêt Vetrovec traite de la corroboration du témoignage de complices dans des situations dans lesquelles la corroboration est exigée en vertu de la common law, il est clair que notre Cour a rejeté une position très formaliste à l'égard de la corroboration et est revenue à une position fondée sur le bon sens qui reflète la raison d'être initiale de la règle. L'exigence de l'art. 586 du Code criminel selon laquelle la preuve corroborante doit impliquer l'accusé exige seulement que la preuve confirme sur un détail important la version du témoin.

Cette conclusion est conforme au texte et à l'intention de l'art. 586. Bien qu'il soit évident que l'article exige une preuve impliquant l'accusé, il ne dit pas clairement si la preuve qui doit impliquer l'accusé est le témoignage d'un enfant non rendu sous serment exigeant une corroboration ou s'il s'agit plutôt de la preuve corroborante. Compte tenu des problèmes sémantiques posés par l'article, l'intention du législateur ne peut être déterminée en examinant seulement le texte. Il faut aussi examiner l'objet de l'article qui est d'accroître la valeur probante de la déposition d'un témoin dont on pourrait craindre par ailleurs qu'il ne soit pas crédible. Pour réaliser cet objet, il faut une preuve supplémentaire qui rend probable la véracité de la version du plaignant et qui permet d'en tenir compte sans danger. Quand le témoignage du plaignant est corroboré sur un point important, en impliquant ou non l'accusé, la crédibilité du témoin est renforcée. Comme le seul élément de preuve impliquant l'accusé dans un grand nombre d'infractions d'ordre sexuel contre des enfants est le témoignage de l'enfant, l'application d'une norme trop restrictive à ce témoignage pourrait permettre à des infractions graves de rester impunies et peut‑être de se perpétuer.

Jurisprudence

Arrêts examinés: Murphy et Butt c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 603; Vetrovec c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 811; Warkentin c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 355; arrêts mentionnés: R. v. Baskerville, [1916] 2 K.B. 658; Paige v. The King, [1948] R.C.S. 349; R. v. Chayko (1984), 12 C.C.C. (3d) 157; R. v. Brasier (1779), 1 Leach 199, 168 E.R. 202; R. v. Silverstone, [1934] 1 D.L.R. 726; Hubin v. The King, [1927] R.C.S. 442; R. v. Parish, [1968] R.C.S. 466; R. v. McNamara (No. 1) (1981), 56 C.C.C. (2d) 193.

Lois et règlements cités

Code criminel, S.C. 1953-54, ch. 51.

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 586, 618(2)a) [mod. 1974--75-76, ch. 105, art. 18].

Code criminel de 1892, S.C. 1892, ch. 29, art. 685.

Criminal Law Amendment Act, 1885 (R.-U.), 48 & 49 Vict., ch. 69, art. 4.

Loi de 1975 modifiant le droit criminel, S.C. 1974-75-76, ch. 93, art. 8.

Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la preuve au Canada, S.C. 1987, ch. 24, art. 15.

Loi modifiant le droit criminel, S.C. 1890, ch. 37, art. 13.

Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, ch. E-10, art. 16(2).

Loi sur la preuve au Canada de 1893, S.C. 1893, ch. 31, art. 25.

Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980-81-82, ch. 110, art. 27 [mod. 1986, ch. 32, art. 20], 61(2) [abr. 1986, ch. 32, art. 40].

Doctrine citée

Canada. Comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes (Comité Badgley). Infractions d'ordre sexuel contre des enfants au Canada: Sommaire du rapport du Comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes. Ottawa: Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1984.

Canada. Commission de réforme du droit. Rapport sur la preuve. Ottawa: Information Canada, 1975. Réimprimé (1976), 34 C.R.N.S. 26.

Clarke, Andrew B. "Corroboration in Sexual Cases", [1980] Crim. L.R. 362.

McWilliams, Peter K. Canadian Criminal Evidence, 2nd ed. Aurora, Ontario: Canada Law Book, 1984.

Schiff, Stanley. Evidence in the Litigation Process, vol. 1, 3rd ed. Toronto: Carswells, 1988.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Saskatchewan (1988), 65 Sask. R. 134, qui a accueilli l'appel du ministère public contre l'acquittement de l'appelant relativement à des accusations d'agression sexuelle et d'agression sexuelle avec infliction de lésions corporelles. Pourvoi rejeté.

Donna Taylor, Mervin Ozirny et Wayne Rusnak, pour l'appelant.

Kenneth W. MacKay, c.r., pour l'intimée.

//Le juge Wilson//

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Wilson -- L'appelant est un jeune contrevenant qui a été accusé d'avoir commis un certain nombre d'agressions sexuelles contre des enfants plus jeunes à l'école primaire de Sheho, en Saskatchewan, de septembre 1985 à mai 1986. Le présent pourvoi porte sur l'une de ces agressions. A.B., H.H., C.S. et S.S. sont d'autres jeunes contrevenants qui ont également été accusés d'au moins une des agressions sexuelles qui auraient été commises et les circonstances de leur participation seront traitées dans les deux arrêts connexes R. c. B. (G.), [1990] 2 R.C.S. 000 (ci‑après R. c. G.B., A.B. et C.S.) et R. c. B. (G.), [1990] 2 R.C.S. 000 (ci‑après R. c. G.B., C.S., H.H., S.S. et A.B.)

En première instance, des procès ont eu lieu sur les trois affaires suivantes: R. c. G.B.; R. c. G.B., A.B. et C.S.; et R. c. G.B., C.S., H.H., S.S., A.B. et P.H. Tous les jeunes ont été acquittés de toutes les accusations par le juge du procès qui a rédigé trois jugements distincts. Les appels interjetés par le ministère public devant la Cour d'appel de la Saskatchewan ont été accueillis et la cour a rendu un jugement portant sur les trois appels. Les jeunes contrevenants font appel de plein droit devant notre Cour en vertu de l'art. 27 de la Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980-81-82-83, ch. 110, et modifications, et de l'al. 618(2)a) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34 (maintenant L.R.C. (1985), ch. C-46, par. 691(2)). Cinq pourvois distincts ont d'abord été présentés mais notre Cour a ordonné le regroupement des pourvois et a autorisé les appelants à présenter un mémoire conjoint.

J'estime qu'il est plus commode de traiter des pourvois dans trois jugements séparés parce qu'ils comportent des faits distincts et que, dans chaque pourvoi, les appelants ont soulevé des questions différentes. La question principale dans ce pourvoi concerne la corroboration et en particulier la question de savoir s'il y a corroboration en droit lorsque le témoignage d'un enfant, non rendu sous serment, est corroboré quant à l'événement lui‑même mais non en ce qui a trait à l'identité de l'accusé. Par ailleurs, dans l'arrêt R. c. G.B., A.B. et C.S., la question principale est de savoir avec quel degré de précision le moment de l'infraction doit être établi par le ministère public pour qu'il puisse y avoir décision sur le fond. Enfin, dans l'arrêt R. c. G.B., C.S., H.H., S.S. et A.B., on demande à notre Cour de clarifier la règle applicable à la révision en appel d'un acquittement et de déterminer si la Cour d'appel dans les circonstances de l'espèce avait le droit d'intervenir dans la décision du juge du procès. Par conséquent, chaque pourvoi soulève des questions distinctes dont certaines sont assez limitées et techniques. Toutefois, chacun d'eux pose la question plus générale de savoir comment les tribunaux doivent traiter le témoignage d'un témoin enfant et, bien que chaque arrêt aborde la question, elle sera traitée de manière plus approfondie dans l'arrêt connexe R. c. G.B., A.B. et C.S.

1. Les faits

L'accusation suivante a été portée contre l'appelant G.B.:

[TRADUCTION] Le ou vers le 9 mai 1986 à Sheho, dans la province de la Saskatchewan, étant un adolescent au sens de la Loi sur les jeunes contrevenants, a blessé D.M. en l'agressant sexuellement, commettant ainsi une agression sexuelle grave en contravention de l'art. 246.3 du Code criminel.

Le juge du procès a conclu à l'absence de preuve de blessure et, par conséquent, n'a considéré que les infractions incluses d'agression sexuelle et d'agression sexuelle avec infliction de lésions corporelles.

Le plaignant, D.M., un écolier de la maternelle à l'école primaire de Sheho, était âgé de cinq ans à l'époque où l'infraction aurait été commise. Il a témoigné au procès sans prêter serment. Il a déposé que, pendant la récréation de l'après-midi du 9 mai 1986, lorsqu'il a quitté sa salle de classe pour aller boire de l'eau, l'appelant l'a entraîné dans la pièce du concierge à côté de la salle de toilettes des grands garçons. Selon le plaignant, l'appelant lui a ensuite baissé son pantalon, lui a tiré et tordu le pénis, le blessant ainsi, puis il l'a laissé dans la pièce du concierge. Au procès, il y a eu certaines contradictions relativement au témoignage du plaignant quant aux personnes impliquées mais le plaignant a régulièrement mentionné l'appelant et soutenu que c'était lui qui l'avait agressé dans la pièce du concierge.

P.M., le frère aîné de la victime, a également témoigné au procès sans prêter serment. Il a déposé qu'il avait vu une personne qu'il ne pouvait identifier entraîner son frère dans la pièce du concierge. Après le départ de cette personne, P.M. a dit qu'il avait fait sortir son frère de la pièce du concierge et que D.M. était ensuite retourné dans sa salle de classe.

Madame Seidlick, le professeur de maternelle du plaignant, a déposé que le jour en question, elle avait remarqué qu'il s'était couché sur le tapis dans la salle de classe loin des autres élèves. Elle a également remarqué qu'il était troublé et lorsqu'elle a tenté de découvrir ce qui le préoccupait, il s'est plaint de douleurs. Elle a en outre déposé que le plaignant l'a informé que les grands garçons lui avaient fait mal et a désigné l'appelant comme l'un d'eux.

Les parents de D.M. ont déposé relativement à son état physique et émotif le soir en question. D.M. s'est plaint à son père d'un mal de ventre. Le père a déposé que lorsqu'il a demandé à son fils de lui indiquer où il avait mal, l'enfant a montré la région de son pénis. Le père l'a examiné et a remarqué que le pénis était enflé et dilaté. L'enfant a immédiatement été amené chez le docteur Raju qui l'a examiné. Le médecin a témoigné au procès que lors de l'examen du plaignant il avait remarqué que le pénis de l'enfant était enflé et qu'il y avait une écorchure de trois millimètres à l'intérieur du prépuce à l'endroit où il rejoint le gland. Le médecin a en outre dit dans sa déposition que la blessure était récente et n'avait pas été infligée par la victime elle-même, et qu'il était d'avis qu'elle avait été infligée moins de 24 heures avant l'examen.

Le ministère public a présenté d'autres éléments de preuve dont les témoignages de l'agent Lehman et de Mme Bolingbrooke, une enseignante à l'école. Chacun a témoigné que, quelque temps après l'événement, le plaignant avait été ramené à l'école et qu'il avait montré des signes de crainte et de terreur quand on avait ouvert la pièce du concierge. Les parents du plaignant ont également témoigné qu'ils avaient constaté des mictions nocturnes et d'autres changements dans le comportement de l'enfant.

2. La question en litige

La seule question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir s'il y avait des éléments de preuve que le juge du procès aurait dû accepter pour corroborer le témoignage du plaignant non rendu sous serment. La réponse à cette question tient à l'interprétation de l'art. 586 du Code criminel qui était en vigueur au moment du procès. En voici le texte:

586. Personne ne doit être déclaré coupable d'une infraction sur le témoignage d'un enfant non rendu sous serment, à moins que le témoignage de l'enfant ne soit corroboré sur un point important par une preuve impliquant l'accusé.

Cette disposition a été abrogée par la Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la preuve au Canada, S.C. 1987, ch. 24, art. 15, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1988. Le Code criminel ne comporte actuellement aucune exigence législative en matière de corroboration du témoignage d'un enfant non rendu sous serment. Les dispositions connexes de la Loi sur la preuve au Canada (par. 16(2), S.R.C. 1970, ch. E-10) et de la Loi sur les jeunes contrevenants (par. 61(2)) qui exigeaient que la déposition d'un enfant non faite sous serment soit corroborée par d'autres preuves pertinentes ont également été abrogées.

3. Les juridictions inférieures

Cour provinciale de la Saskatchewan (le juge Chorneyko, inédit)

Le juge du procès a dit d'abord que les témoignages du professeur de maternelle, des parents et du médecin l'avaient convaincu que l'événement décrit par le plaignant avait eu lieu à la date alléguée dans la dénonciation. Après avoir décidé que l'événement avait eu lieu, le juge Chorneyko n'a pas rendu de décision sur la valeur probante des témoignages de l'agent Lehman et de Mme Bolingbrooke.

Le juge du procès a examiné ensuite la question de savoir si le témoignage non rendu sous serment par le plaignant était corroboré en droit, disant qu'il s'agissait de la question cruciale à régler. Il a conclu d'abord que le témoignage du plaignant était le seul élément de preuve qui impliquait l'appelant étant donné que le témoignage de P.M. ne pouvait servir à des fins de corroboration. Il a mentionné l'arrêt R. v. Baskerville, [1916] 2 K.B. 658 (C.A.) qui expose le principe applicable à la corroboration du témoignage non rendu sous serment, et a fait observer que, ce principe a été adopté au Canada dans l'arrêt de notre Cour Paige v. The King, [1948] R.C.S. 349. À son avis, ces arrêts indiquent clairement que pour qu'il y ait corroboration, il faut non seulement qu'il y ait un témoignage indépendant sur un point important mais aussi que ce témoignage implique l'accusé. Le juge du procès a examiné ensuite des décisions plus récentes comme R. v. Chayko (1984), 12 C.C.C. (3d) 157 dans laquelle la Cour d'appel de l'Alberta, à la majorité, a laissé entendre que le critère de l'arrêt Baskerville était trop restreint. Il a examiné les faits des affaires qui auraient élargi la portée du critère et dit:

[TRADUCTION] Que l'on considère l'interprétation restrictive contenue dans le principe de l'arrêt Baskerville ou l'interprétation plus large adoptée dans les arrêts Chayko et Fiddler, à mon avis, on parvient au même résultat. Bien que les arrêts Chayko et Fiddler disent que les témoignages indépendants n'ont pas à démontrer que l'accusé a commis le crime, il est clair que le témoignage indépendant doit d'une manière quelconque relier l'accusé à l'événement qui fait l'objet de la plainte. C'était le cas dans l'arrêt Chayko dans lequel le témoignage rendu sous serment indiquait que l'accusé rattachait son pantalon et avait les cheveux défaits en venant de l'endroit où les infractions auraient été commises. Ce témoignage associe l'accusé à l'événement décrit dans le témoignage non rendu sous serment.

De même, dans l'arrêt Bear, le père de Joey est arrivé à la maison où l'accusé tenait l'enfant qui avait été battu. Le frère l'a frappé et l'accusé n'a rien dit. Encore une fois, il s'agit d'un témoignage rendu sous serment qui tend à associer l'accusé à l'événement.

Dans l'arrêt Fiddler, l'accusé a déposé sous serment qu'il se trouvait près des lieux de l'agression pour ensuite tenter de nier qu'il était près des lieux au moment critique. Ce témoignage associe également l'accusé à l'événement.

Le juge Chorneyko a conclu que, pour avoir corroboration en droit, il doit y avoir un témoignage rendu sous serment qui associe d'une manière quelconque l'accusé à l'événement décrit. Appliquant ce critère aux faits, il a décidé que même s'il y avait un témoignage corroborant la réalité de l'événement, il n'existait aucun témoignage indépendant associant l'appelant à l'événement. Il a donc conclu que l'appelant n'était pas coupable.

Cour d'appel de la Saskatchewan ((1988), 65 Sask. R. 134)

La Cour d'appel (les juges Vancise, Wakeling et Gerwing), à l'unanimité, a accueilli l'appel du ministère public et ordonné un nouveau procès. Le juge Vancise, au nom de la Cour, convient que l'origine de la règle anglaise concernant la corroboration se trouve dans l'arrêt Baskerville, précité. Toutefois, il ajoute que l'interprétation restrictive du critère exposé dans l'arrêt Baskerville a été examinée et rejetée par notre Cour dans l'arrêt Murphy et Butt c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 603. L'arrêt Murphy et Butt traitait de la corroboration du témoignage d'une plaignante alléguant une agression sexuelle visée à l'art. 142 du Code criminel. Après un examen approfondi de l'arrêt Murphy et Butt, la Cour d'appel étudie l'arrêt de notre Cour dans l'affaire Vetrovec c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 811 et remarque que le juge Dickson, dans cet arrêt, a exprimé l'opinion que le caractère inadéquat du critère de la corroboration énoncé dans l'arrêt Baskerville a été reconnu par notre Cour dans l'arrêt Murphy et Butt.

Le juge Vancise en se fondant sur cette opinion incidente de l'arrêt Vetrovec et sur la position adoptée à l'égard de l'art. 142 du Code criminel dans l'arrêt Murphy et Butt, conclut que notre Cour n'a pas accepté l'argument selon lequel l'art. 586 du Code criminel exprime la règle énoncée dans l'arrêt Baskerville. Par conséquent, la Cour d'appel conclut que le juge du procès a commis une erreur en exigeant que le témoignage corroborant associe l'accusé à la perpétration de l'infraction. La cour est d'avis qu'il convient de se demander 1) si l'enfant a présenté un témoignage qui implique l'accusé et, dans l'affirmative, 2) si ce témoignage est corroboré sur un point important. La cour conclut qu'un point important est un point qui tend à confirmer la véracité de la déposition du témoin et qu'il pourrait être, mais n'est pas nécessairement, le "détail" qu'est l'identification. Le juge Vancise en appliquant cette position conclut ce qui suit à la p. 142:

[TRADUCTION] En l'espèce, l'enfant, D.M., a témoigné sur ce qui s'est produit. Ce témoignage impliquait l'accusé comme l'auteur du délit. Le témoignage sur ce qui s'est produit a été confirmé sur tous les points importants (sauf en ce qui a trait à l'identité de l'auteur) par des témoignages indépendants. Comme le juge du procès l'a fait remarquer, les témoignages de l'enseignante, des parents et du médecin, ont confirmé que la version des faits présentée par D.M. était véridique. Il s'agissait d'éléments de preuve importants qui soutenaient le témoignage de D.M. et confirmaient son récit, même s'il n'y avait pas de preuve, à l'exception du témoignage de D.M., identifiant l'accusé comme l'auteur du délit.

Le juge Vancise conclut que le juge du procès a commis une erreur de droit en omettant de conclure que le témoignage de D.M. était confirmé sur un point important. En raison de cette conclusion, il estime nécessaire d'ordonner un nouveau procès. Il ajoute que cela ne signifie pas qu'une déclaration de culpabilité doit automatiquement être prononcée, mais seulement qu'il y avait une preuve susceptible de constituer une corroboration qu'il fallait examiner relativement à la question de la culpabilité ou de l'innocence.

Je note à ce propos que le juge Wakeling, avec l'appui du juge Gerwing, a présenté certaines observations supplémentaires sur l'utilité du témoignage d'expert en matière de corroboration et sur la manière de traiter un tel témoignage. Toutefois, comme cette opinion concordante est invoquée directement dans les arguments écrits des appelants dans R. c. G.B., A.B. et C.S., je ferai mes observations sur ce point et l'examen des motifs du juge Wakeling dans le cadre de cet autre pourvoi.

4. Analyse

L'appelant soutient que pour corroborer le témoignage du plaignant et pour permettre au juge des faits de rendre une décision sur le fond de l'affaire, il doit y avoir un élément de preuve qui d'une certaine manière associe l'accusé à la perpétration du crime. L'appelant ne soutient pas que la corroboration doit être un élément de preuve direct de la participation de l'accusé mais soutient plutôt qu'il n'est pas suffisant que l'élément de preuve corroborant accroisse la crédibilité du plaignant s'il ne se rapporte pas à un point important qui implique l'accusé. Ainsi, la Cour d'appel aurait commis une erreur en concluant que les témoignages du professeur, des parents du plaignant et d'un médecin qui l'a examiné corroboraient son témoignage comme l'exigeait l'art. 586 du Code criminel.

Par ailleurs, le ministère public appuie l'interprétation de l'article par la Cour d'appel et soutient que l'élément de preuve doit seulement corroborer sur un point important les déclarations du plaignant qui impliquent l'accusé. La question litigieuse dans ce pourvoi est donc de savoir laquelle de ces deux thèses est correcte.

Je souligne tout d'abord que les faits de l'espèce sont clairs. Comme l'ont conclu le juge du procès et la Cour d'appel, il existe des preuves qui corroborent que l'agression a eu lieu au moment et à l'endroit allégués par le plaignant. Toutefois, à part l'identification de l'appelant par le plaignant, aucun élément de preuve n'indique que l'appelant est l'auteur de l'agression. Par conséquent, si la thèse de l'appelant est correcte, le pourvoi doit être accueilli; si la thèse du ministère public est correcte, le pourvoi doit être rejeté.

Je commence tout d'abord par un bref aperçu historique de la corroboration pour établir le cadre de l'examen de la jurisprudence et de la discussion qui en découle.

a) Aperçu historique

Aux débuts de l'histoire de la common law, les témoignages d'enfants âgés de moins de quatorze ans étaient automatiquement exclus, sans qu'il soit tenu compte de leur intelligence ni de leur éducation religieuse. Il en était ainsi parce que l'on pensait que les enfants n'avaient pas l'intelligence naturelle nécessaire et par conséquent la capacité de comprendre l'objet de leur témoignage ou la nature des obligations afférentes au témoignage sous serment. Toutefois, à la fin du dix-huitième siècle, le droit a mis l'accent sur la capacité du jeune témoin de comprendre la nature et les conséquences d'un serment et la limite d'âge a été délaissée comme exigence stricte. Par exemple, dans l'arrêt R. v. Brasier (1779), 1 Leach 199, 168 E.R. 202, la cour a conclu qu'il n'y avait pas de règle précise ou établie quant à l'âge où il fallait interdire les témoignages d'enfants.

À la fin du dix-neuvième siècle, l'Angleterre a adopté une loi pour autoriser la présentation de témoignages d'enfants non rendus sous serment à la condition qu'il y ait [TRADUCTION] "d'autres éléments de preuve importants" pour corroborer leur témoignage (Criminal Law Amendment Act, 1885 (R.-U.), 48 & 49 Vict., ch. 69, art. 4). Le Canada a adopté une loi semblable en 1890 (Loi modifiant le droit criminel, S.C. 1890, ch. 37, art. 13) et, en 1893, il a adopté l'article qui est le prédécesseur de la disposition récemment abrogée de la Loi sur la preuve au Canada (S.C. 1893, ch. 31, art. 25) et qui permettait l'admission du témoignage d'un enfant non rendu sous serment à la condition que celui‑ci ait une intelligence suffisante pour justifier la réception de la preuve et qu'il comprenne l'obligation de dire la vérité. Aux termes du premier Code criminel de 1892, S.C. 1892, ch. 29, art. 685, le témoignage des enfants non rendu sous serment ne pouvait être admis s'il n'était pas corroboré par "une preuve impliquant l'accusé" et n'était permis que pour les infractions relatives aux rapports sexuels et à l'attentat à la pudeur. Jusqu'à l'adoption du Code criminel de 1954, S.C. 1953-54, ch. 51, le témoignage d'un enfant non rendu sous serment dans tout autre cas devait être reçu aux termes de la Loi sur la preuve au Canada. Malgré la différence entre les textes du Code criminel et de la Loi sur la preuve au Canada, le degré de corroboration nécessaire était considéré le même: voir R. v. Silverstone, [1934] 1 D.L.R. 726 (C.A. Ont.) Donc, pendant plus de cent ans le droit au Canada a exigé la corroboration du témoignage d'un enfant non rendu sous serment.

Ces dernières années, la règle concernant la corroboration a fait l'objet de nombreuses critiques dans la jurisprudence et dans la doctrine. En 1976, la Commission de réforme du droit du Canada a exprimé l'opinion que la règle de la corroboration n'était pas nécessaire: voir Rapport sur la preuve (1975), réimprimé dans (1976), 34 C.R.N.S. 26 à la p. 33. Le Rapport Badgley a recommandé que l'exigence législative de la corroboration du témoignage d'un enfant non rendu sous serment soit abolie et que l'importance à accorder à leur témoignage relève du juge des faits: voir Infractions d'ordre sexuel contre des enfants au Canada: Sommaire du rapport du Comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants (1984).

La critique des règles n'a pas été sans effet. La décision de notre Cour dans l'arrêt Vetrovec, précité, élimine la règle de common law relative aux complices et la disposition du Code criminel relative à la corroboration du témoignage d'un plaignant dans les cas de viol a été abrogée par la Loi de 1975 modifiant le droit criminel, S.C. 1974-75-76, ch. 93, art. 8. Comme je l'ai mentionné précédemment, la disposition exigeant la corroboration d'une preuve fondée sur le témoignage d'un enfant non rendu sous serment a également été abrogée et les dispositions permettant à un enfant qui n'a pas prêté serment de témoigner sont devenues plus libérales. Ces modifications démontrent que la nécessité de corroboration a perdu de l'importance en raison de la reconnaissance de la compétence du juge des faits à évaluer la preuve et la crédibilité de tous les témoins. Elles traduisent également le désir d'écarter des obstacles de procédure dans la poursuite des infractions. Néanmoins, le présent pourvoi doit être réglé sur le fondement des restrictions législatives relatives au témoignage d'un enfant non rendu sous serment qui étaient en vigueur au moment du procès.

b) La jurisprudence

Tout examen de la jurisprudence en matière de corroboration doit débuter par une discussion de l'arrêt Baskerville. La question soulevée dans cette affaire visait la portée de la règle de pratique exigeant la corroboration du témoignage d'un complice mais le juge en chef lord Reading, au nom de la Cour, a dit que la règle était la même pour les exigences législatives. Lord Reading a souligné que, de toute évidence, il n'était pas nécessaire que le témoignage d'un complice soit confirmé sur chaque point mais qu'il y avait une différence d'opinion sur la question de savoir s'il était essentiel que le témoignage corroborant associe l'accusé au crime. Après un examen de la jurisprudence et de la doctrine, la cour a conclu que l'opinion la mieux fondée était celle selon laquelle le témoignage devait être confirmé non seulement sur les circonstances du crime mais également sur l'identité de l'accusé. Il a dit à la p. 667:

[TRADUCTION] Nous décidons que la preuve apportée en corroboration doit être un témoignage indépendant qui vise l'accusé et l'associe ou tend à l'associer à l'infraction. En d'autres termes, il faut que ce soit une preuve qui l'implique, c'est‑à‑dire qui confirme, sous un aspect important, non seulement la preuve que l'infraction a été commise, mais également que c'est l'accusé qui l'a commise. Le critère applicable pour déterminer la nature et la portée de la corroboration est donc le même que l'affaire s'inscrive dans le cadre de la règle de pratique de common law ou dans le cadre de la catégorie d'infractions pour lesquelles la corroboration est exigée en vertu de la loi. Dans la loi, l'expression "impliquant l'accusé" incorpore de façon concise le critère applicable en common law dans la règle de pratique. La nature de la corroboration sera nécessairement différente selon les circonstances particulières de l'infraction imputée. Il serait très dangereux de tenter de formuler le genre de preuve qui serait considérée comme une corroboration, si ce n'est pour dire que la preuve corroborante démontre ou tend à démontrer la véracité de la version du complice selon laquelle l'accusé a commis le crime, non seulement que le crime a été commis, mais qu'il a été commis par l'accusé. [Je souligne.]

C'est l'interprétation de cet extrait qui semble avoir causé de la confusion ces dernières années. La Cour d'appel de l'Alberta, à la majorité, a conclu dans l'arrêt Chayko que l'arrêt Baskerville était difficile à interpréter et a fait remarquer que différents tribunaux l'avaient interprété de manière différente. Au nom de la majorité, le juge Kerans, se fondant sur la dernière partie de l'extrait précité, a conclu que lord Reading était d'avis que les termes "impliquant l'accusé" visaient uniquement une implication de culpabilité découlant d'un élément de preuve qui exige la corroboration.

Le ministère public s'appuie largement sur les motifs du juge Kerans et soutient que la règle de l'arrêt Baskerville se prête à deux interprétations. La première, ou la règle restrictive, considère la preuve corroborante comme une preuve indépendante qui implique par elle‑même l'accusé. La deuxième, beaucoup plus large, porte que si le témoin identifie l'accusé et que la déposition du témoin est confirmée sur un point important, il y a alors corroboration en droit de la déposition de ce témoin. Le ministère public adopte l'interprétation large. Toutefois, à mon avis, les motifs de lord Reading n'appuient pas cette interprétation large. Il a dit très clairement dans ses motifs qu'il devait y avoir une preuve corroborante ayant trait à une circonstance importante du crime et à l'identité de l'accusé relativement à ce crime. Dans l'arrêt Vetrovec, le juge Dickson a partagé cette opinion, et a dit à la p. 826:

Avant l'arrêt de lord Reading, la question de savoir si la preuve corroborante devait impliquer l'accusé ou s'il suffisait qu'elle renforce la crédibilité du complice faisait l'objet d'une controverse. Lord Reading y a mis fin en adoptant la première solution.

Dans les années qui ont suivi l'arrêt Baskerville, l'interprétation restrictive de la règle a été approuvée dans de nombreux arrêts de notre Cour. Un auteur a écrit que notre Cour s'était prononcée en se fondant sur l'interprétation restrictive de la règle à quinze reprises au moins sur une période de soixante ans: voir Schiff, Evidence in the Litigation Process (1988), vol. 1, à la p. 613. Par exemple dans l'arrêt Hubin v. The King, [1927] R.C.S. 442, le juge en chef Anglin, au nom de la Cour, a dit à la p. 444:

[TRADUCTION] Depuis la décision de la Cour d'appel, juridiction criminelle, dans R. v. Baskerville, les exigences de l'art. 1002 ne permettent aucun doute. La corroboration doit être fondée sur une preuve indépendante de la plaignante et, en outre, elle "doit tendre à démontrer que l'accusé a commis le crime allégué".

Dans l'arrêt R. v. Parish, [1968] R.C.S. 466, notre Cour, dans un jugement prononcé par le juge Ritchie, s'est de nouveau fondée sur l'arrêt Baskerville lorsqu'elle a appliqué la règle de corroboration énoncée dans le Code criminel (alors l'art. 134) à l'égard du témoignage donné par la plaignante dans une affaire de viol, la disposition qui était également en cause dans l'arrêt Hubin. Le juge Ritchie a conclu que, même si le témoignage corroborant n'avait pas à être un élément de preuve direct que l'accusé avait commis le crime, une preuve circonstancielle étant suffisante, il devait néanmoins porter sur le rapport entre l'accusé et le crime. D'après les faits de cette affaire, le témoignage corroborant impliquait l'accusé sans porter sur la question de savoir s'il y avait réellement eu des rapports sexuels entre l'accusé et la plaignante. On a jugé que c'était suffisant pour constituer une corroboration en droit.

Il n'y a pas eu grande controverse sur la règle de common law ou ce qu'exigeait la loi jusqu'à ce que, en 1976, notre Cour rende simultanément deux arrêts concernant les exigences législatives en matière de corroboration dans le contexte du viol. Comme en l'espèce, la disposition en cause était en vigueur lorsque les événements avaient eu lieu mais avait été abrogée avant les arrêts de notre Cour. Plusieurs auteurs et tribunaux ont interprété ces décisions comme le rejet de l'arrêt Baskerville.

Dans l'arrêt Warkentin c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 355, notre Cour a examiné les exigences législatives en matière de corroboration lorsque l'une des questions en litige portait sur l'identité des violeurs. L'article 142 du Code criminel était toujours en vigueur au moment pertinent et prévoyait qu'il fallait mettre en garde le jury dans les cas où le témoignage de la plaignante "n'est pas corroboré sur un détail important par une preuve qui implique le prévenu".

Dans l'arrêt Warkentin, la plaignante avait déposé que les trois accusés et un quatrième homme s'étaient emparés d'elle, l'avaient fait entrer de force dans une Ford Mustang rouge et l'avaient conduite dans un endroit isolé où l'un des hommes l'avait violée pendant que deux autres lui tenaient les bras et que le quatrième se tenait près d'eux et riait. Après avoir réussi à s'enfuir, elle avait été recueillie par deux amis qui avaient témoigné sur son désarroi à ce moment‑là. Le juge du procès a indiqué au jury que les éléments suivants pouvaient servir de corroboration, et les accusés ont été déclarés coupables: la preuve de la rencontre des accusés et de la plaignante plus tôt dans la soirée, le désarroi de la plaignante, la présence de sperme sur la plaignante, la présence de cheveux qui pouvaient provenir de l'un des accusés et la présence d'aiguilles de pin dans les sous-vêtements de la plaignante qui pouvaient provenir de l'endroit où aurait eu lieu le viol.

Devant notre Cour, les appelants avaient soutenu qu'il y avait trois questions distinctes à l'égard de chaque accusé, c'est‑à‑dire les rapports sexuels, le consentement et l'identité, et que le juge du procès avait commis une erreur parce qu'il n'avait pas fait de distinction entre les éléments de preuve susceptibles de corroborer le témoignage de la plaignante à l'égard de chaque question. Notre Cour à la majorité (le juge en chef Laskin et les juges Spence, Pigeon et Dickson étaient dissidents) a confirmé la décision du juge du procès et a conclu que, bien qu'aucun des éléments de preuve n'ait pu en soi fournir la corroboration, la preuve dans son ensemble pouvait établir chacun des éléments de l'infraction et accroître considérablement la crédibilité du témoignage de la plaignante. Le juge de Grandpré, au nom de la majorité, a rejeté le point de vue que l'identité de chaque accusé devait être corroborée séparément dans le cas d'un viol collectif. Il a écrit à la p. 379:

Je suis convaincu qu'il n'est pas nécessaire que la preuve corroborante prévue à l'art. 142 identifie chaque accusé séparément lorsque le témoignage à corroborer porte sur la perpétration d'un viol collectif. Il suffit d'établir qu'il y a eu rapports sexuels, sans consentement, et participation du groupe. De même je ne puis admettre qu'il faille compartimenter la preuve corroborante prévue à l'art. 142 en trois éléments distincts à savoir les rapports sexuels, l'absence de consentement et l'identité, car le libellé de l'article ne permet pas pareille interprétation. En effet, aux termes de cet article, il y a corroboration lorsque la version de la plaignante est "corroborée sur un détail important par une preuve qui implique le prévenu". Il faut donc considérer l'ensemble du témoignage.

Dans ses motifs, le juge de Grandpré a laissé entendre à plusieurs reprises qu'il faudrait assouplir les exigences en matière de corroboration et qu'il faudrait traiter cette corroboration comme une question de bon sens n'exigeant pas de s'en tenir strictement aux formalités. Il a dit à la p. 374:

La corroboration n'est pas une notion technique. C'est une simple question de bon sens. Ces dernières années, cette Cour a refusé à plusieurs reprises de donner une interprétation légaliste et étroite à ce terme et d'imposer aux juges du procès des restrictions artificielles aux directives qu'ils adressent au jury ou qu'eux‑mêmes doivent suivre.

Dans ses motifs de dissidence, le juge Dickson a dit que la corroboration exigée par l'article n'était pas la corroboration correspondant à un élément de preuve qui tend simplement à confirmer ou appuyer la version de la plaignante. L'article précise plutôt que, pour être corroborant, un élément de preuve doit porter sur un élément important de l'affaire et, par‑dessus tout, doit impliquer l'accusé en établissant ou en tendant à établir un lien entre l'accusé et l'infraction alléguée. Le juge Dickson a également souligné que la preuve corroborante doit être indépendante des actes ou des paroles de la plaignante.

L'arrêt Murphy et Butt, précité, de notre Cour, a été rendu le même jour, le juge Spence rédigeant au nom de la majorité, le juge en chef Laskin et le juge Dickson étant en partie dissidents. Le ministère public se fonde sur cet arrêt pour avancer que l'interprétation restrictive de l'arrêt Baskerville a été rejetée par notre Cour. Les deux appelants avaient été déclarés coupables de viol au procès. Murphy, l'un des appelants, avait admis avoir eu des rapports sexuels avec la plaignante mais prétendait qu'elle y avait consenti, et Butt, l'autre appelant, niait avoir eu avec elle des rapports sexuels. L'élément de preuve corroborant présenté par le ministère public était le témoignage de la police relativement au désarroi de la plaignante peu après l'infraction alléguée. Il était clair que cet élément de preuve pouvait corroborer l'absence de consentement de la plaignante relativement à Murphy. Le problème était de savoir si le même élément de preuve pouvait corroborer le témoignage de la plaignante contre Butt. Le juge Spence, au nom de la majorité, a conclu qu'il y avait suffisamment d'éléments de preuve corroborants relativement aux rapports sexuels entre la plaignante et Butt, une conclusion qui semble s'écarter de l'interprétation stricte donnée auparavant à la disposition législative. Il a dit aux pp. 615 et 616:

En premier lieu, la règle [de l'art. 142 du Code] s'applique lorsque "la seule preuve qui implique le prévenu est le témoignage, rendu sous serment, de la personne du sexe féminin à l'égard de qui il est allégué que l'infraction a été commise". C'est le cas en l'espèce. Il faut en outre que "ce témoignage (ne soit) pas corroboré sur un détail important par une preuve qui implique le prévenu". La corroboration doit donc porter sur un détail important du témoignage de la plaignante. Comme je l'ai déjà indiqué, la plaignante a témoigné que les deux appelants, prétendant agir de façon amicale, l'ont emmenée à leur appartement et que d'abord l'appelant Murphy puis l'appelant Butt l'ont violée. C'est un détail important de ce témoignage qui doit être corroboré. Rien n'exige que tout son témoignage soit corroboré. Si tel n'était pas le cas, le témoignage de la plaignante serait en fait inutile puisque la preuve corroborante suffirait alors pour prononcer une déclaration de culpabilité.

. . .

C'est sur tous ces éléments de preuve ainsi que sur l'état de désarroi de la plaignante que se fonde le ministère public pour corroborer la version de la plaignante selon laquelle non seulement Murphy mais Butt l'ont violée. Le jury était fondé à considérer tous ces témoignages et à conclure que la preuve, qui révélait des événements plutôt inhabituels, corroborait la version de la plaignante. C'est cette preuve que le savant juge de première instance a retenue lorsqu'il a indiqué au jury qu'elle pouvait corroborer le témoignage de la plaignante.

À mon avis, le savant juge de première instance a eu raison de conclure que cette preuve pouvait corroborer la version de la plaignante impliquant chacun des accusés. [Je souligne.]

Toutefois, le juge en chef Laskin avait une opinion différente. Il a appliqué les exigences plus strictes de l'art. 142 comme le juge Dickson dans l'arrêt Warkentin. Il a conclu que le désarroi de la plaignante n'était pas corroborant parce qu'il n'impliquait pas Butt. Il aurait accueilli le pourvoi de Butt, disant à la p. 606:

Je ne conteste pas la thèse selon laquelle l'état hystérique ou le désarroi de la plaignante, manifesté après la perpétration d'un prétendu viol, peut être présenté comme preuve corroborante, dans la mesure toutefois où il s'agit d'"une preuve qui implique le prévenu" selon les termes de l'art. 142. On ne peut soutenir que la preuve de l'état hystérique ou du désarroi de la plaignante peut servir de preuve corroborante générale et, qu'en conséquence, elle peut servir contre un accusé simplement parce que la plaignante prétend qu'il l'a violée. Cette preuve peut servir de corroboration contre un accusé qui admet avoir eu des rapports sexuels, comme Murphy, mais qui prétend en revanche qu'il y a eu consentement. Dans un tel cas, on peut à juste titre considérer que cette preuve étaye la plainte sur un détail important, soit l'absence de consentement, et qu'elle implique le prévenu puisqu'il a admis avoir eu des rapports sexuels. Cependant, je ne puis voir comment l'état hystérique d'une plaignante peut impliquer un prévenu sur un détail important quand il nie avoir eu des rapports sexuels et qu'aucun autre témoignage (sauf celui de la plaignante) ne permet d'en arriver à cette conclusion.

McWilliams (Canadian Criminal Evidence (2e éd. 1984)) et Schiff, op. cit., sont d'avis que ces deux arrêts ont considérablement diminué les exigences en matière de preuve corroborante prévue par la loi. McWilliams dit que la preuve dans l'arrêt Warkentin était à peine suffisante pour corroborer l'identité et que le juge Spence, dans l'arrêt Murphy et Butt, a décidé que, selon l'art. 142, il suffisait que la preuve corroborante porte sur l'une des questions, qu'elle soit d'intérêt immédiat ou non. Schiff fait remarquer que l'arrêt Murphy et Butt peut être interprété comme l'arrêt dans lequel la Cour a rejeté à la majorité l'expression "impliquant l'accusé" comme un élément nécessaire de la corroboration. A. B. Clarke, un agrégé du King's College de Londres, a également examiné les deux arrêts et dit que la Cour a rejeté la position adoptée dans l'arrêt Baskerville en faveur de la recherche de preuves appuyant la crédibilité de la victime auprès du jury: voir "Corroboration in Sexual Cases", [1980] Crim. L.R. 362. Clarke écrit à la p. 363:

[TRADUCTION] La formulation rigide adoptée dans l'arrêt Baskerville a fait place à la recherche de circonstances et d'autres témoignages, qui appuient davantage la véracité des déclarations de la victime que leur fausseté, particulièrement dans les domaines litigieux -- l'accent est mis sur la version de la victime et sur sa corroboration.

Par ailleurs, les deux arrêts ont été analysés par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. v. McNamara (No. 1) (1981), 56 C.C.C. (2d) 193 et la cour est arrivée à la conclusion que, dans les deux cas, avait été maintenue l'exigence que la preuve corroborante associe l'accusé d'une certaine manière au crime. En ce qui a trait à l'arrêt Warkentin, la cour a écrit aux pp. 274 et 275:

[TRADUCTION] À notre avis, les motifs de la majorité se fondent sur le fait que les cheveux trouvés sur le pantalon de la plaignante qui étaient semblables à ceux trouvés sur Warkentin, étaient susceptibles d'associer Warkentin à l'infraction. Le fait que tous les accusés avaient admis avoir été ensemble pendant la soirée et le fait qu'ils avaient été arrêtés ensemble pouvaient associer les autres accusés à Warkentin au moment pertinent et donc, l'élément de preuve pouvait impliquer l'ensemble du groupe et chacun de ses membres dans la perpétration de l'infraction. Il incombait évidemment au jury de déterminer si ces éléments constituaient en fait une corroboration.

En ce qui a trait à l'arrêt Murphy et Butt, la cour était d'avis que la preuve selon laquelle Butt et Murphy cherchaient une prostituée et avaient ramené la plaignante à leur appartement fournissait le lien permettant d'impliquer Butt qui n'aurait peut‑être pas été fourni si la preuve concernant le désarroi de la plaignante avait été examinée d'une manière isolée. La cour a dit à la p. 277:

[TRADUCTION] Encore une fois, nous sommes d'avis que la différence d'opinion qui ressort des motifs de la majorité et de la minorité tenait simplement à savoir si le jury pouvait conclure que les éléments de preuve qui lui étaient présentés comme étant corroborants impliquaient l'accusé. Les motifs de la majorité et de la minorité ont admis l'argument selon lequel la preuve pour être corroborante doit impliquer l'accusé dans la perpétration de l'infraction.

À première vue, il se peut que l'arrêt Warkentin appuie l'argument du ministère public selon lequel l'élément de l'identité en lui‑même n'a pas à être corroboré et que tout élément de preuve qui rend la version de la plaignante plus crédible à l'égard de toute question est suffisant. Toutefois, je suis d'avis que, bien que cela puisse être une juste interprétation de l'art. 586 du Code criminel, la décision de la Cour à la majorité dans l'arrêt Warkentin ne donne à cet argument qu'un appui limité. Le juge de Grandpré a dit que, même si la preuve indirecte examinée point par point ne tendait pas à démontrer qu'il y avait eu des rapports sexuels sans le consentement de la plaignante et avec l'un ou l'autre des accusés, cette preuve prise dans son ensemble pouvait démontrer les trois éléments de l'infraction, y compris l'identité. À mon avis, cela indiquerait que les juges de la majorité pensaient qu'il y avait une preuve indépendante qui corroborait l'identité. Toutefois, l'arrêt laisse entrevoir une diminution de l'exigence stricte d'une preuve qui corrobore le lien entre l'accusé et l'infraction.

Une interprétation large des motifs du juge Spence dans l'arrêt Murphy et Butt m'amène à conclure qu'il était d'avis que toute preuve tendant à corroborer à quelque égard que ce soit la déposition devant être corroborée serait suffisante. Donc, il serait suffisant que l'élément de preuve corroborant confirme la version de la plaignante impliquant les accusés. Toutefois, le juge Spence n'a pas dit clairement si le désarroi de la plaignante était corroborant parce qu'il pouvait être interprété comme impliquant Butt ou parce qu'il augmentait la crédibilité de la version de la plaignante qui avait impliqué Butt. Il a plutôt mentionné que l'ensemble de la preuve, c'est‑à‑dire l'aveu par Murphy de ses rapports sexuels, le fait que les deux accusés avaient ramassé la plaignante et l'avaient emmenée à leur appartement, croyant qu'elle était une prostituée, et le désarroi de la plaignante, équivalait à la corroboration.

À mon avis, ce n'est que lorsque l'on compare la dissidence du Juge en chef dans l'arrêt Murphy et Butt aux motifs de la majorité que les différentes positions ressortent clairement. Le juge en chef Laskin a fait un examen approfondi de la jurisprudence canadienne dans laquelle le désarroi de la plaignante a été considéré admissible comme corroboration impliquant l'accusé, et il a conclu, que dans chaque cas, il s'agissait d'établir s'il y avait eu consentement et non de savoir si l'accusé avait eu des rapports sexuels avec la plaignante. Par conséquent, il a conclu qu'il n'y avait aucune preuve pouvant corroborer le témoignage de la plaignante relativement à Butt. Si l'on suit l'interprétation stricte de l'exigence législative, cette conclusion paraît juste. Il est difficile de voir de quelle manière la preuve relative au désarroi de la plaignante, même jointe à l'aveu que les deux accusés l'avaient ramassée et l'avaient emmenée à leur appartement, peut avoir une valeur probante à l'égard de la question des rapports sexuels avec Butt lorsqu'on l'examine en faisant abstraction du témoignage de la plaignante. Pour que la majorité arrive à un tel résultat, elle devait admettre que la preuve corroborante impliquait Butt en raison du témoignage de la plaignante. Contrairement à l'arrêt Warkentin, il ne s'agissait pas d'une situation de viol collectif dans laquelle la preuve contre une personne était suffisante à l'égard des autres. Dans l'arrêt Murphy et Butt, il fallait une corroboration à l'égard de chacun des accusés.

Cette interprétation de la décision de la majorité dans l'arrêt Murphy et Butt a été admise par notre Cour dans sa décision unanime dans l'affaire Vetrovec. La question de l'arrêt Vetrovec était la corroboration du témoignage de complices et notre Cour a, en fait, mis fin à la règle stricte de l'arrêt Baskerville du moins dans la mesure où elle s'appliquait à la common law, affirmant ainsi sa volonté de s'écarter de ses arrêts antérieurs. Le juge Dickson a examiné le fondement de la règle et a conclu que, logiquement, elle n'était pas nécessaire. Il a souligné que, dans toutes les catégories de témoins, certains ne sont pas dignes de foi et que, si le juge du procès est d'avis que le jury devrait être mis en garde à l'égard du témoignage d'un tel témoin, il peut donner des directives à cet égard.

Notre Cour a exprimé une préférence pour la position faisant appel au bon sens plutôt que pour l'approche formaliste de l'arrêt Baskerville. Elle estimait que cet arrêt comportait au moins trois problèmes. Le premier était qu'il crée une confusion quant au motif de la mise en garde relative au complice et incite les tribunaux à déterminer si la preuve corroborante est conforme à la définition plutôt qu'à décider s'il existe un élément de preuve qui accroît la crédibilité du complice. Deuxièmement, parce que la corroboration est devenue un terme juridique technique, le droit dans ce domaine est devenu de plus en plus complexe et formaliste. Troisièmement, et c'est le point le plus important, notre Cour était d'avis que la définition n'était pas bien fondée en principe. Le juge Dickson a dit à la p. 826:

Avec égards, le point de vue de lord Reading semble en principe peut‑être trop prudent. On exige la corroboration parce qu'on croit que le témoin a de bons motifs de mentir. On cherche donc d'autres éléments de preuve qui tendent à nous convaincre qu'il dit la vérité. Des éléments de preuve qui impliquent l'accusé servent effectivement à atteindre ce but, mais on ne peut pas dire que ce soit le seul genre de preuve qui puisse accorder du crédit au complice.

En conclusion, notre Cour a jugé dans l'arrêt Vetrovec qu'il ne devrait pas y avoir de catégorie spéciale pour les complices. Un complice devrait être traité comme tous les autres témoins. Tout en prenant soin de souligner que ses observations se limitaient aux situations dans lesquelles la corroboration était exigée en vertu de la common law et bien que l'analyse de la Cour ait porté principalement sur la branche de la doctrine de la corroboration relative aux complices, le juge Dickson a également inséré dans la discussion une remarque sur l'arrêt Murphy et Butt disant à la p. 828, après avoir cité les motifs du juge Spence:

La démarche du juge Spence a consisté à rechercher des éléments de preuve qui confirmaient la version de la plaignante. Une fois la version de la plaignante confirmée, on pouvait la croire et déclarer les accusés coupables. Selon moi, cette démarche reconnaît implicitement le caractère inadéquat de la définition de la corroboration donnée dans l'arrêt Baskerville. Une preuve qui implique l'accusé constitue un élément possible mais non essentiel de la corroboration. Dans cette affaire‑là, aucun élément de preuve n'impliquait Butt, mais certains éléments confirmaient la version de la plaignante et, en conséquence, on pouvait sans danger rendre un verdict de culpabilité. La question importante, comme l'a souligné Wigmore, n'est pas de savoir comment notre confiance est rétablie mais qu'elle le soit. [Je souligne.]

Par conséquent, il me semble que notre Cour a clairement rejeté la position très formaliste à l'égard de la corroboration et est revenue à une position fondée sur le bon sens qui reflète la raison d'être initiale de la règle et permet aux affaires d'être réglées sur le fond. La Cour d'appel de l'Alberta, à la majorité, était également de cet avis dans l'arrêt Chayko. Le juge Kerans a cité les remarques du juge Dickson sur l'arrêt Murphy et Butt dans l'arrêt Vetrovec et a conclu que l'exigence de l'art. 586 selon laquelle la preuve corroborante doit impliquer l'accusé exige seulement que la preuve confirme sur un détail important la version du témoin qui doit être corroborée.

Je suis donc d'accord avec la thèse du ministère public. À mon avis, la Cour d'appel a statué, à bon droit, dans cet appel sur le fondement des déclarations de notre Cour dans les arrêts Murphy et Butt et Vetrovec. Toutefois, je ne dois pas négliger d'interpréter l'art. 586 indépendamment de la jurisprudence et de la doctrine pour confirmer que cette conclusion est conforme au texte et à l'intention de la disposition législative.

c) Interprétation législative

Par souci de commodité je reproduis l'art. 586 au complet:

586. Personne ne doit être déclaré coupable d'une infraction sur le témoignage d'un enfant non rendu sous serment, à moins que le témoignage de l'enfant ne soit corroboré sur un point important par une preuve impliquant l'accusé.

Tout d'abord, dans une interprétation littérale, l'article parle de corroboration a) sur un point important et mentionne b) une preuve impliquant l'accusé. L'appelant soutient avec vigueur que le texte de l'article nous oblige à conclure que, pour satisfaire à l'exigence en matière de corroboration, il doit y avoir un certain lien entre la preuve corroborante et l'accusé. Je ne suis pas d'accord. À mon avis, bien qu'il soit évident que l'article exige une preuve impliquant l'accusé, il ne dit pas clairement si la preuve qui doit impliquer l'accusé est le témoignage d'un enfant non rendu sous serment exigeant une corroboration ou s'il s'agit plutôt de la preuve corroborante. Dans l'arrêt Chayko, le juge Kerans, en traitant de la définition de la corroboration dans l'arrêt Baskerville qui est essentiellement énoncée dans les mêmes termes que l'art. 586, a également conclu qu'il y avait ambiguïté. Il a dit à la p. 168:

[TRADUCTION] Cela est aggravé par le problème sémantique que pose l'expression "impliquant l'accusé". Cette expression peut viser la culpabilité déduite uniquement à partir de la preuve corroborante indépendamment du témoignage qui exige la corroboration. Par ailleurs, elle peut viser la culpabilité déduite du témoignage qui exige la corroboration et qui est maintenant digne de foi parce qu'il a été corroboré.

Les problèmes sémantiques posés par l'article sont accentués si l'on reformule l'article en tenant compte des deux interprétations possibles. Si le texte de l'article était "corroboré [. . .] par une preuve impliquant l'accusé" sans les termes intermédiaires "sur un point important", une interprétation littérale appuierait la thèse de l'appelant. Mais si l'interprétation de l'appelant est bien fondée, on est obligé de conclure que les termes intermédiaires "sur un point important" sont redondants parce que, si l'élément de preuve corroborant implique l'accusé, il y a inévitablement corroboration sur un point important. L'identité de l'accusé est toujours importante.

Par contre, si l'on retient la thèse du ministère public, le seul libellé nécessaire est "corroboré sur un point important". Si l'article s'arrêtait là, son interprétation ne serait pas controversée. Toutefois, l'article se poursuit et ajoute "par une preuve impliquant l'accusé". Néanmoins, ces termes ne créent pas la même redondance que l'interprétation de la disposition proposée par l'appelant. Ces termes supplémentaires sont nécessaires si ce qui est exigé, c'est que le témoignage de l'enfant non rendu sous serment implique l'accusé. Toutefois, ils créent une redondance d'un genre différent étant donné qu'il ne peut y avoir déclaration de culpabilité sans que l'accusé soit impliqué par une preuve: en fait, impliqué hors de tout doute raisonnable.

Étant donné les problèmes d'interprétation du libellé de l'article, il est difficile de percevoir l'intention du législateur en examinant seulement le texte. J'estime que nous devons adopter une interprétation fondée sur l'objet. À mon avis, l'art. 586 a pour objet d'accroître la valeur probante de la déposition d'un témoin dont on pourrait craindre par ailleurs qu'il ne soit pas crédible. On pourrait formuler l'objet autrement en disant que l'article est conçu pour faire en sorte qu'aucun accusé ne soit déclaré coupable sur le fondement d'une preuve testimoniale qui par sa nature même n'est pas fiable. Par conséquent, pour réaliser l'objet de l'article, il faut une preuve supplémentaire qui rend probable la véracité de la version du plaignant et qui permet d'en tenir compte sans danger. Quand le témoignage du plaignant est corroboré sur un point important, en impliquant ou non l'accusé, la crédibilité du témoin est renforcée. Le témoignage du médecin selon lequel l'enfant a, en fait, été agressé sexuellement serait un bon exemple en l'espèce.

De plus, on peut invoquer à l'appui de l'interprétation libérale les présomptions selon lesquelles le droit n'exige pas l'impossible et le législateur ne vise à obtenir que ce qui est juste et raisonnable. Comme le seul élément de preuve impliquant l'accusé dans un grand nombre d'infractions d'ordre sexuel contre des enfants est le témoignage de l'enfant, l'application d'une norme trop restrictive à ce témoignage pourrait permettre à des infractions graves de rester impunies et peut‑être de se perpétuer. En outre, il est raisonnable de présumer que le législateur n'avait pas l'intention de laisser un accusé profiter du jeune âge de sa victime en plaçant des obstacles inutiles aux poursuites relatives aux infractions commises contre les jeunes enfants.

Néanmoins, je suis pleinement consciente du fait qu'une interprétation stricte de l'art. 586 assure une bonne protection contre les déclarations de culpabilité erronées puisque l'établissement de l'identité de l'auteur est une condition préalable nécessaire à toute poursuite criminelle. Toutefois, après avoir évalué les arguments invoqués à l'appui des deux thèses, je conclus que des deux interprétations possibles qui peuvent être toutes deux fondées sur le texte de l'article, l'interprétation préférable est que l'art. 586 du Code criminel exige que le témoignage du plaignant qui implique l'accusé soit corroboré sur un point important par un autre témoignage indépendant.

5. Dispositif

Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l'appelant: Rusnak, Balacko, Kachur & Rusnak, Yorkton, Saskatchewan.

Procureur de l'intimée: Le procureur général de la Saskatchewan, Regina.



Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : b. (G.)

Références :
Proposition de citation de la décision: R. c. b. (G.), [1990] 2 R.C.S. 3 (7 juin 1990)


Origine de la décision
Date de la décision : 07/06/1990
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1990] 2 R.C.S. 3 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1990-06-07;.1990..2.r.c.s..3 ?
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