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21/06/1990 | CANADA | N°[1990]_2_R.C.S._209

Canada | Apple computer, inc. c. Mackintosh computers ltd.; apple computer, inc. c. 115778 canada inc., [1990] 2 R.C.S. 209 (21 juin 1990)


Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd.; Apple Computer, Inc. c. 115778 Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 209

Mackintosh Computers Ltd., Compagnie

d'Électronique Repco Ltée/Repco

Electronics Co. Ltd., Maison des

Semiconducteurs Ltée/House of

Semiconductors Ltd., Chico Levy et Nat Levy Appelants

c.

Apple Computer, Inc. Intimée

et entre

115778 Canada Inc., faisant affaires sous

la raison sociale de Microcom, James Begg

et 131375 Canada Inc. Appelants

c.

Apple Computer, Inc. Intimée

répert

orié: apple computer, inc. c. mackintosh computers ltd.; apple computer, inc. c. 115778 canada inc.

Nos du greffe: 20643, 20644.

1990: ...

Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd.; Apple Computer, Inc. c. 115778 Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 209

Mackintosh Computers Ltd., Compagnie

d'Électronique Repco Ltée/Repco

Electronics Co. Ltd., Maison des

Semiconducteurs Ltée/House of

Semiconductors Ltd., Chico Levy et Nat Levy Appelants

c.

Apple Computer, Inc. Intimée

et entre

115778 Canada Inc., faisant affaires sous

la raison sociale de Microcom, James Begg

et 131375 Canada Inc. Appelants

c.

Apple Computer, Inc. Intimée

répertorié: apple computer, inc. c. mackintosh computers ltd.; apple computer, inc. c. 115778 canada inc.

Nos du greffe: 20643, 20644.

1990: 26 février; 1990: 21 juin.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1988] 1 C.F. 673, 44 D.L.R. (4th) 74, 81 N.R. 3, 18 C.P.R. (3d) 129, 16 C.I.P.R. 15, qui a confirmé la décision de la Section de première instance, [1987] 1 C.F. 173, 28 D.L.R. (4th) 178, 3 F.T.R. 118, 10 C.P.R. (3d) 1, 8 C.I.P.R. 153, qui accueillait l'action de l'intimée en violation de droit d'auteur. Pourvoi rejeté.

Robert H. C. MacFarlane, pour les appelants.

Alfred Schorr, Ivor Hughes et Joseph Etigson, pour l'intimée.

//Le juge Cory//

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE CORY — La question en litige dans le présent pourvoi est de savoir si un programme d'ordinateur, dont la source écrite est susceptible de droit d'auteur, continue d'être protégé par le droit d'auteur quand il est reproduit dans les circuits d'une microplaquette électronique.

Les faits

Pour les fins des présents motifs, un très bref résumé des faits suffira.

L'intimée, Apple Computer, Inc., fabrique des ordinateurs et des produits connexes, dont l'ordinateur Apple II+. Les appelants sont des fabricants et des distributeurs de "clones" du Apple II+, c'est‑à‑dire des ordinateurs qui peuvent exécuter les mêmes programmes que l'Apple II+.

L'intimée est titulaire, depuis le 8 octobre 1982, d'un droit d'auteur enregistré sur deux programmes connus sous les noms d'Autostart ROM et d'Applesoft. Ce sont des programmes du système d'exploitation de l'ordinateur Apple II+. Sans ces programmes ou leurs équivalents, il est impossible d'exécuter les programmes d'application, comme les programmes de traitement de texte, de bases de données ou de chiffriers, conçus pour être utilisés sur l'ordinateur Apple II+.

Les programmes Autostart ROM et Applesoft ont d'abord été écrits en un code composé de lettres, de signes et de chiffres, appelé langage d'assemblage. Ils ont ensuite été convertis en un code appelé code hexadécimal, qui est une notation abrégée du code binaire composé de 0 et de 1 correspondant aux états "ouvert" et "fermé" des instructions qui font fonctionner l'ordinateur. Le code hexadécimal reproduit en substance le programme écrit en langage d'assemblage. Enfin, ces programmes ont été gravés sur une microplaquette au silicium produisant une configuration des états "ouvert" et "fermé", lisible par l'appareil et dédoublant exactement ce qui est écrit en code binaire.

Les experts qui ont témoigné en première instance pour les appelants et l'intimée ont insisté sur l'individualité d'un programme d'ordinateur. Le juge de première instance a souligné que le professeur Forbes J. Burkowski, qui a témoigné pour les appelants, avait comparé la probabilité que, sans copier, deux programmeurs écrivent deux programmes identiques à la probabilité qu'un singe dactylographie un sonnet digne de Shakespeare. Le juge a signalé que le professeur James W. Graham, qui a témoigné pour l'intimée, a affirmé qu'il lui faudrait quatre mois de travail, avec l'aide de deux étudiants, pour écrire des programmes qui rempliraient les mêmes fins que les programmes en cause en l'espèce.

Grâce à un procédé de programmation de mémoire morte, les appelants ont copié les programmes Autostart ROM et Applesoft réalisés dans les microplaquettes de l'intimée. Par la suite, l'intimée a poursuivi les appelants pour violation de droit d'auteur et a demandé une injonction, une reddition de compte des profits et la remise des pièces comportant des copies ou des copies virtuelles de ces programmes.

Les appelants reconnaissent que les versions des programmes écrites en langage d'assemblage font valablement l'objet d'un droit d'auteur dont l'intimée est titulaire. Cependant, ils soutiennent que, puisqu'ils ont copié seulement les microplaquettes, et non les programmes en langage d'assemblage, ils n'ont pas porté atteinte au droit d'auteur de l'intimée.

La décision de première instance

Devant toutes les juridictions inférieures, les arguments des parties ont porté sur l'interprétation du par. 3(1) de la Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, ch. C‑30, dont voici les dispositions pertinentes:

3. (1) Pour les fins de la présente loi, le "droit d'auteur" désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une {oe}uvre, ou une partie importante de celle‑ci, sous une forme matérielle quelconque, [. . .] ce droit comprend, en outre, le droit exclusif

a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduction de l'{oe}uvre;

. . .

d) s'il s'agit d'une {oe}uvre littéraire, dramatique ou musicale, de confectionner toute empreinte, tout rouleau perforé, film cinématographique ou autres organes quelconques à l'aide desquels l'{oe}uvre pourra être exécutée ou représentée ou débitée mécaniquement;

Les motifs du juge Reed ([1987] 1 C.F. 173) sont exemplaires. Elle a soigneusement examiné et analysé en détail les témoignages complexes et contradictoires des experts. Elle a accepté les dépositions faites pour le compte de l'intimée et conclu que les programmes incorporés dans les microplaquettes électroniques doivent être considérés comme du logiciel plutôt que du matériel. Elle a conclu que les circuits de la microplaquette électronique étaient à la fois une traduction et une reproduction exacte du programme en langage d'assemblage. En raison de cette conclusion, elle a statué que les circuits de la microplaquette électronique faisaient l'objet d'un droit d'auteur en vertu du par. 3(1) de la Loi sur le droit d'auteur. Elle a aussi signalé qu'un programme d'ordinateur sous forme de microplaquette électronique pouvait faire l'objet d'une protection en vertu de l'al. 3(1)d), lequel protège le droit du titulaire de fabriquer tout organe permettant de représenter ou débiter l'{oe}uvre mécaniquement. De plus, elle a rejeté la prétention des appelants que le programme incorporé dans la microplaquette électronique représentait une fusion de l'idée et de son expression qui ne pouvait faire l'objet d'un droit d'auteur et celle que la réglementation du programme relevait plutôt du droit des brevets. En définitive, le juge Reed a accordé l'injonction, ordonné une reddition de compte des profits et ordonné aux appelants de rendre toutes les pièces qui comportaient le programme ou une copie de celui‑ci.

Arrêt de la Cour d'appel fédérale

La Cour d'appel fédérale, avec des motifs concordants des trois juges, a rejeté à l'unanimité l'appel interjeté par les appelants: [1988] 1 C.F. 673. Le juge Mahoney a statué que les programmes incorporés dans les microplaquettes étaient des reproductions plutôt que des traductions. Le juge Hugessen était aussi d'avis que les microplaquettes électroniques ne pouvaient être des traductions, qu'il a définies selon le sens traditionnel de "transposition dans une langue de quelque chose énoncé dans une autre langue" (p. 691). Cependant, il a conclu que la Loi sur le droit d'auteur donnait à l'intimée le droit exclusif de confectionner tout moyen de reproduire l'{oe}uvre et que les appelants avaient enfreint ce droit en copiant les microplaquettes électroniques. Le juge MacGuigan a statué que les microplaquettes électroniques étaient soit des traductions soit des reproductions et que, sous l'une ou l'autre forme, elles étaient protégées en vertu du par. 3(1).

Ni le juge Mahoney, ni le juge MacGuigan n'ont jugé nécessaire de déterminer si les programmes sous forme de microplaquettes électroniques pouvaient également être considérés comme des organes au sens de l'al. 3(1)d), alors que le juge Hugessen était d'avis que les programmes inscrits sous forme de microplaquettes ne pouvaient être considérés comme des organes.

Dans leurs plaidoiries devant la Cour d'appel fédérale, les appelants ont étayé leur argumentation en partie sur l'arrêt de la High Court d'Australie Computer Edge Pty. Ltd. v. Apple Computer, Inc. (1986), 65 A.L.R. 33, rendu une semaine après la décision du juge Reed. Dans des circonstances presque identiques, la High Court d'Australie a conclu qu'il n'y avait pas eu atteinte au droit d'auteur. La cour australienne, à la majorité, a considéré les microplaquettes électroniques comme [TRADUCTION] "une séquence dynamique d'impulsions électriques" qui ne pouvait pas faire l'objet d'un droit d'auteur. Le juge MacGuigan a refusé d'adopter le point de vue de la cour australienne et le juge Mahoney a partagé son avis sur ce point. Il a souligné que cet arrêt traduit les différences qui existent entre les législations australienne et canadienne en matière de droit d'auteur. Il signale de plus que cette conclusion est contraire à celle du juge Reed selon laquelle il faut considérer les programmes sous forme de microplaquettes comme du logiciel plutôt que comme du matériel c.‑à‑d. comme une expression pouvant faire l'objet d'un droit d'auteur plutôt que des impulsions électriques. Voici ce qu'il dit à la p. 708:

J'estime qu'il n'est point nécessaire pour cette Cour de décider si, considérées sous un aspect dynamique ou selon la procédure dont elles assurent l'application, les microplaquettes ROM sont protégées par le droit d'auteur. Pour les fins des affaires en l'espèce, il est uniquement nécessaire de noter que le point de vue qui précède est incompatible avec les conclusions du juge de première instance, qui n'ont pas été contestées avec succès.

Dispositif

Je souscris à la conclusion à laquelle le juge de première instance et la Cour d'appel sont parvenues que les programmes incorporés dans les microplaquettes électroniques sont protégés en vertu de la Loi sur le droit d'auteur. En réalité, je ne puis ni ne voudrais ajouter grand chose aux excellents motifs du juge Reed.

Comme le juge Reed, et pour les mêmes motifs, je suis d'avis que les programmes incorporés dans les microplaquettes électroniques constituent une reproduction des programmes en langage d'assemblage et sont protégés sous cette forme par un droit d'auteur en vertu du par. 3(1) de la Loi sur le droit d'auteur. Je suis aussi de son avis que ces programmes constituent une forme d'expression unique dans sa conception et sa fonction et qu'ils ne peuvent être considérés comme la fusion de l'idée et de son expression. Puisque les programmes contenus dans les microplaquettes électroniques sont donc protégés en vertu de la Loi, il est inutile que je décide si les microplaquettes électroniques peuvent être considérées comme une traduction au sens de l'al. 3(1)a) ou un organe au sens de l'al. 3(1)d).

Enfin, comme le juge MacGuigan, je ne crois pas que l'arrêt australien Computer Edge doive être suivi au Canada. Cet arrêt caractérise le programme incorporé dans une microplaquette électronique d'une manière qui l'assimile aux procédés électriques qui régissent son fonctionnement. Il faut plutôt considérer les programmes sous forme de microplaquettes électroniques comme la réalisation d'un ensemble d'instructions en langage machine qui ont pour fonction de transmettre des données et d'accomplir d'autres opérations précises. Je suis de l'avis du juge MacGuigan qu'il faut considérer les microplaquettes électroniques comme des objets statiques qui portent des instructions écrites sous forme de codes plutôt qu'y voir un processus d'échange dynamique d'impulsions électriques. Par conséquent, le programme incorporé dans les microplaquettes électroniques est protégé par le droit d'auteur et sa reproduction non autorisée est une violation du droit d'auteur.

En conséquence, je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs des appelants: Fitzsimmons, MacFarlane, Toronto.

Procureurs de l'intimée: Hughes, Etigson, Concord, Ontario.


Synthèse
Référence neutre : [1990] 2 R.C.S. 209 ?
Date de la décision : 21/06/1990
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit d'auteur - Violation - Programmes d'ordinateur - Microplaquettes électroniques - Fabricant d'ordinateurs titulaire d'un droit d'auteur enregistré sur des programmes d'un système d'exploitation gravés sur des microplaquettes électroniques - Les programmes d'ordinateur incorporés dans des microplaquettes électroniques continuent‑ils d'être protégés par le droit d'auteur? - Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, ch. C‑30, art. 3(1).

L'intimée est titulaire d'un droit d'auteur enregistré sur deux programmes du système d'exploitation de l'ordinateur Apple II+ qu'elle fabrique. Ces programmes ont d'abord été écrits en langage d'assemblage, puis convertis en code hexadécimal. Enfin, les programmes ont été gravés sur une microplaquette électronique. Grâce à un procédé de programmation de mémoire morte, les appelants ont copié les programmes incorporés dans les microplaquettes de l'intimée. L'intimée a eu gain de cause dans une action en violation de son droit d'auteur. Le juge de première instance a soigneusement examiné les témoignages complexes et contradictoires des experts et a conclu que les programmes incorporés dans les microplaquettes devaient être considérés comme du logiciel plutôt que du matériel. Elle a conclu que les circuits de la microplaquette électronique étaient à la fois une traduction et une reproduction exacte du programme en langage d'assemblage et qu'ils faisaient donc l'objet d'un droit d'auteur en vertu du par. 3(1) de la Loi sur le droit d'auteur. La Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel interjeté par les appelants. Le présent pourvoi vise à déterminer si un programme d'ordinateur, dont la source écrite est susceptible de droit d'auteur, continue d'être protégé par le droit d'auteur quand il est reproduit dans les circuits d'une microplaquette électronique.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Les programmes incorporés dans les microplaquettes électroniques constituent une reproduction des programmes en langage d'assemblage et sont protégés sous cette forme par un droit d'auteur en vertu du par. 3(1) de la Loi sur le droit d'auteur. Ces programmes constituent une forme d'expression unique dans sa conception et sa fonction et ils ne peuvent être considérés comme la fusion de l'idée et de son expression. L'arrêt australien Computer Edge Pty. Ltd. v. Apple Computer, Inc., qui caractérise le programme incorporé dans la microplaquette électronique d'une manière qui l'assimile aux procédés électriques qui régissent son fonctionnement ne devrait pas être suivi au Canada. Il faut plutôt considérer les programmes sous forme de microplaquettes électroniques comme la réalisation d'un ensemble d'instructions en langage machine qui ont pour fonction de transmettre des données et d'accomplir d'autres opérations précises. Il faut considérer les microplaquettes électroniques comme des objets statiques qui portent des instructions écrites sous forme de codes plutôt qu'y voir un processus d'échange dynamique d'impulsions électriques. En conséquence, le programme incorporé dans les microplaquettes électroniques est protégé par le droit d'auteur et sa reproduction non autorisée est une violation du droit d'auteur.


Parties
Demandeurs : Apple computer, inc.
Défendeurs : Mackintosh computers ltd.; apple computer, inc.

Références :

Jurisprudence
Arrêt non suivi: Computer Edge Pty. Ltd. v. Apple Computer, Inc. (1986), 65 A.L.R. 33.
Lois et règlements cités
Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, ch. C‑30, art. 3(1).

Proposition de citation de la décision: Apple computer, inc. c. Mackintosh computers ltd.; apple computer, inc. c. 115778 canada inc., [1990] 2 R.C.S. 209 (21 juin 1990)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1990-06-21;.1990..2.r.c.s..209 ?
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