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13/09/1990 | CANADA | N°[1990]_2_R.C.S._531

Canada | R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531 (13 septembre 1990)


R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531

Abdullah Khan Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

répertorié: r. c. khan

No du greffe: 20963.

1989: 3 novembre; 1990: 13 septembre.

Présents: Le juge en chef Lamer* et les juges Wilson, Sopinka, Gonthier et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1988), 42 C.C.C. (3d) 197, 64 C.R. (3d) 281, 27 O.A.C. 142, qui a accueilli l'appel interjeté par le ministère public de l'acquittement de l'appelant sur l'accusation d'agressio

n sexuelle. Pourvoi rejeté.

Robert J. Carter, c.r., et Larry B. O'Brien, pour l'appelant.

Kenneth L. Campbe...

R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531

Abdullah Khan Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

répertorié: r. c. khan

No du greffe: 20963.

1989: 3 novembre; 1990: 13 septembre.

Présents: Le juge en chef Lamer* et les juges Wilson, Sopinka, Gonthier et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1988), 42 C.C.C. (3d) 197, 64 C.R. (3d) 281, 27 O.A.C. 142, qui a accueilli l'appel interjeté par le ministère public de l'acquittement de l'appelant sur l'accusation d'agression sexuelle. Pourvoi rejeté.

Robert J. Carter, c.r., et Larry B. O'Brien, pour l'appelant.

Kenneth L. Campbell, pour l'intimée.

//Le juge McLachlin//

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE MCLACHLIN — Ce pourvoi porte sur l'admissibilité du témoignage sans serment d'une enfant et des déclarations qu'elle a faites à un adulte au sujet d'une agression sexuelle.

Les faits

Le 26 mars 1985, Mme O. et sa fille de trois ans et demi, T., se sont présentées au cabinet de leur médecin de famille, le Dr Khan, pour l'examen général de la mère et le vaccin de routine de T.

Le Dr Khan a d'abord examiné T. en présence de sa mère. Il lui a dit ensuite d'attendre dans son bureau privé pendant l'examen de sa mère. Le Dr Khan et T. ont été seuls dans son bureau privé durant cinq à sept minutes pendant que la mère se changeait pour revêtir une chemise d'hôpital. T. est restée seule dans le bureau au cours des quinze minutes suivantes pendant lesquelles sa mère était examinée. T. n'a rencontré aucun autre homme pendant cette période.

Lorsque la mère a retrouvé T., elle a remarqué que l'enfant tâtait une tache mouillée sur sa manche. Elles sont parties et se sont rendues à une pharmacie avoisinante. Au moment de quitter la pharmacie, environ quinze minutes après avoir quitté le cabinet du Dr Khan, la mère et l'enfant ont eu essentiellement la conversation suivante:

[TRADUCTION]

Mme O.Alors tu as parlé avec le Dr Khan, n'est‑ce pas? Qu'est‑ce qu'il a dit?

T.Il m'a demandé si je voulais un bonbon. J'ai dit oui. Et tu sais quoi?

Mme O.Quoi?

T.Il a dit "ouvre ta bouche". Et tu sais quoi? Il a mis son zizi dans ma bouche, l'a secoué et a fait pipi dans ma bouche.

Mme O.Es‑tu sûre?

T.Oui.

Mme O.Tu n'es pas en train de me mentir?

T.Non. Il a mis son zizi dans ma bouche. Et il ne m'a jamais donné mon bonbon.

La mère a témoigné que pour T. le terme [TRADUCTION] "zizi" désignait le pénis. Par suite de l'enquête policière, la tenue molletonnée de T. a été examinée et on a conclu que la tache sur la manche était un dépôt de sperme et, en certains endroits, un mélange de sperme et de salive qui avait imbibé le tissu avant de sécher. Selon le biologiste légal, la concentration du mélange indiquait que les substances avaient probablement été mélangées avant d'avoir été appliquées sur le tissu.

L'appelant a été accusé d'agression sexuelle. Au procès, il a choisi de ne présenter aucune preuve. Quant à la preuve présentée par le ministère public, le juge du procès a tiré deux conclusions importantes. Le juge du procès a conclu que T. était inhabile à témoigner sans être assermentée et il a également refusé d'admettre le témoignage de la mère quant à la conversation précitée parce que la déclaration n'était pas contemporaine de l'événement. Le juge du procès a acquitté l'appelant des accusations. Le ministère public a interjeté appel de l'acquittement devant la Cour d'appel de l'Ontario, laquelle a accueilli l'appel, annulé le verdict d'acquittement et ordonné la tenue d'un nouveau procès: (1988), 42 C.C.C. (3d) 197.

La disposition législative pertinente

Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, ch. E‑10, art. 16 (abrogé depuis et remplacé par L.C. 1987, ch. 24, art. 18):

16. (1) Dans toute procédure judiciaire où l'on présente comme témoin un enfant en bas âge qui, de l'avis du juge, juge de paix ou autre fonctionnaire présidant, ne comprend pas la nature d'un serment, le témoignage de cet enfant peut être reçu, bien qu'il ne soit pas rendu sous serment, si, de l'avis du juge, juge de paix ou autre fonctionnaire présidant, selon le cas, cet enfant est doué d'une intelligence suffisante pour justifier la réception de son témoignage, et s'il comprend le devoir de dire la vérité.

(2) Aucune cause ne peut être décidée sur ce seul témoignage, et il doit être corroboré par quelque autre témoignage essentiel.

Les décisions des juridictions inférieures

La Cour de district de l'Ontario

Le juge Locke de la Cour de district n'a pas admis le témoignage de l'enfant T. Il a également rejeté l'argument selon lequel les déclarations de T. à sa mère étaient admissibles comme exception à la règle du ouï‑dire parce qu'elles étaient [TRADUCTION] "des déclarations spontanées". Par conséquent, le juge Locke n'a pas admis le témoignage de la mère quant à la conversation qui a eu lieu peu de temps après avoir quitté le cabinet du médecin. Il a conclu:

[TRADUCTION] Compte tenu de toutes les circonstances, et quels que soient les soupçons que je puisse continuer d'avoir, le ministère public n'a pas réussi à établir la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable.

La Cour d'appel

Le juge Robins a conclu, au nom de la Cour d'appel, que le juge du procès a commis une erreur en examinant la question de l'admission du témoignage de l'enfant. Il a conclu que le juge du procès a utilisé le critère plus sévère applicable à l'admission d'un témoignage sous serment alors qu'il aurait dû utiliser le critère moins sévère applicable au témoignage d'une personne non assermentée. Le juge Robins a également conclu que le juge du procès a commis une erreur en examinant l'admissibilité des déclarations spontanées. Selon lui, parce qu'il s'agissait d'un enfant en bas âge et parce que l'on prétend qu'il s'agit d'un événement sexuel, une plus grande latitude aurait dû être accordée quant au laps de temps écoulé entre l'événement et la déclaration.

Les questions en litige

1.La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le juge du procès s'est trompé en décidant que l'enfant était inhabile à témoigner sans être assermentée?

2.La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur en décidant, contrairement à la décision du juge du procès, qu'une "déclaration spontanée" que l'enfant aurait faite à sa mère après l'agression sexuelle reprochée était admissible?

L'analyse

1.Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur de droit en décidant que l'enfant était inhabile à témoigner sans être assermentée?

T. a été appelée à témoigner au procès. Elle avait quatre ans et huit mois. L'interrogatoire a révélé qu'elle ne comprenait pas ce qu'était la Bible et ne comprenait pas ce que signifiait dire la vérité [TRADUCTION] "à la cour". Le ministère public n'a pas prétendu qu'elle était habile à témoigner sous serment. Il a cependant soutenu que son témoignage, même si elle n'était pas assermentée, devrait être reçu en vertu de l'art. 16 de la Loi sur la preuve au Canada:

16. (1) Dans toute procédure judiciaire où l'on présente comme témoin un enfant en bas âge qui, de l'avis du juge, juge de paix ou autre fonctionnaire présidant, ne comprend pas la nature d'un serment, le témoignage de cet enfant peut être reçu, bien qu'il ne soit pas rendu sous serment, si, de l'avis du juge, juge de paix ou autre fonctionnaire présidant, selon le cas, cet enfant est doué d'une intelligence suffisante pour justifier la réception de son témoignage, et s'il comprend le devoir de dire la vérité.

(2) Aucune cause ne peut être décidée sur ce seul témoignage, et il doit être corroboré par quelque autre témoignage essentiel.

Le juge du procès a refusé de recevoir le témoignage que T. a rendu sans être assermentée parce que, bien qu'elle soit douée d'une intelligence suffisante pour justifier la réception de son témoignage, il n'était pas convaincu qu'elle comprenait le devoir de dire la vérité.

Le juge Robins, au nom de la Cour d'appel, a conclu que le juge du procès avait eu tort de rejeter le témoignage de T. Il a conclu que le juge du procès avait commis deux erreurs.

De l'avis de la Cour d'appel, la première erreur a été d'appliquer le critère de l'arrêt R. v. Bannerman (1966), 48 C.R. 110 (C.A. Man.), conf. par [1966] R.C.S. v, où la question portait sur la réception d'un témoignage sous serment, et en particulier la déclaration du juge Dickson que [TRADUCTION] "la loi qui exige le serment a pour objet de découvrir la vérité relativement aux questions contestées en faisant appel à la conscience du témoin" (p. 138). Le juge Robins a affirmé, à la p. 206:

[TRADUCTION] Pour satisfaire aux normes moins sévères applicables au témoignage qui n'est pas donné sous serment, il suffit que l'enfant comprenne le devoir de dire la vérité au sens de la conduite sociale ordinaire de la vie quotidienne. On peut en faire la preuve par une série de questions simples permettant de déterminer si l'enfant comprend la différence entre la vérité et le mensonge, s'il sait qu'il n'est pas bien de mentir, s'il comprend la nécessité de dire la vérité et promet de le faire. Il convient de rappeler qu'en vertu du par. 16(2), le témoignage que l'enfant a rendu sans être assermenté doit être corroboré par quelque autre témoignage essentiel. Toute faiblesse qui peut être inhérente au témoignage d'un enfant influe sur le poids à lui accorder plutôt que sur son admissibilité.

La Cour d'appel a conclu que la deuxième erreur a été d'accorder trop d'importance au très jeune âge de l'enfant, ce qui a eu pour effet d'établir une distinction entre les enfants en très bas âge et les enfants plus vieux. Il est clair que le juge du procès était préoccupé par le très jeune âge du témoin. Il a souligné que la plupart des décisions concernaient des enfants de dix à treize ans et qu'il n'en a trouvé aucune où le témoignage d'un enfant de moins de cinq ans avait été reçu. Tout en reconnaissant que, théoriquement, un enfant de n'importe quel âge pourrait être appelé à témoigner devant la cour, il a souligné dans sa conclusion:

[TRADUCTION] T. . . ., aussi intelligente soit‑elle aujourd'hui, est encore très petite et n'est qu'à l'aube de son enfance. Elle est normale mentalement et physiquement, mais elle est très jeune.

Je partage l'avis de la Cour d'appel que le juge du procès a commis les deux erreurs précitées. Il a d'abord commis une erreur en appliquant le critère de l'arrêt Bannerman à l'art. 16 de la Loi sur la preuve au Canada et en soulignant que T. ne comprenait pas ce que signifiait mentir "à la cour". Bien qu'on ait restreint la distinction entre l'habilité à témoigner sous serment et l'habilité à témoigner sans être assermenté en vertu de l'art. 16 en rejetant, dans des décisions comme l'arrêt Bannerman, la nécessité de comprendre le caractère religieux du serment, elle n'a pas été supprimée. Pour qu'une personne puisse témoigner sous serment, il faut établir que le serment fait en quelque sorte appel à sa conscience, qu'elle apprécie l'importance de témoigner sous serment devant le tribunal. Il était incorrect d'appliquer à l'art. 16 cette norme à laquelle ne satisfaisait clairement pas T., alors que les deux seules exigences applicables à la réception du témoignage sont l'intelligence suffisante et une compréhension du devoir de dire la vérité.

Le juge du procès a également commis une erreur en accordant une importance capitale au jeune âge de l'enfant. La Loi n'établit aucune distinction entre les enfants d'âges différents. En réalité, le juge du procès a conclu que T. satisfaisait aux deux exigences permettant à un enfant de témoigner en vertu de l'art. 16, mais, soulignant son manque de maturité, il a rejeté son témoignage. Il a conclu que T. était douée d'une intelligence suffisante et il a reconnu qu'elle [TRADUCTION] "semblait être consciente au moins des conséquences de dire un mensonge". Cela ressort clairement du témoignage de T., comme l'indiquent les extraits suivants de la transcription:

[TRADUCTION] Q. Oui, et sais‑tu ce que c'est que de dire la vérité? On dirait que tu hausses les épaules et que tu souris. Sais‑tu ce que c'est que de mentir?

R. U‑hmm.

Q. Qu'est‑ce qu'un mensonge?

R. Si tu dis que tu a rangé ta chambre et que tu ne l'as pas fait et si ta mère et ton père vont voir et s'aperçoivent qu'elle est en désordre, c'est un mensonge.

Q. Je vois. Qu'arrive‑t‑il quand tu dis un mensonge?

R. Les parents te tapent les fesses.

. . .

Q. Je vois. C'est très bien. Dis‑moi, qu'est‑ce qui arrive encore si tu dis un mensonge?

R. On me tape et on m'envoie dans ma chambre et je dois nettoyer et je pleure et je ressors de ma chambre et je ne pleure plus et c'est correct.

Q. Et alors tout est parfait n'est‑ce pas?

R. (Signe de tête)

Ayant conclu que les deux exigences applicables à la réception du témoignage en vertu de l'art. 16 avaient été respectées, le juge du procès a commis une erreur en se laissant influencer par le jeune âge de l'enfant. S'il s'agissait d'un facteur déterminant, il y aurait alors un risque que les infractions commises contre de très jeunes enfants ne puissent jamais faire l'objet de poursuites.

2.Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur en rejetant la déclaration de la mère sur ce que l'enfant lui avait dit après l'incident?

Quinze minutes après avoir quitté le cabinet du Dr Khan, en réponse à la question de la mère "Alors, tu as parlé avec le Dr Khan, n'est‑ce pas?", T. a raconté à sa mère l'acte sexuel auquel le médecin s'était livré sur elle. La question est de savoir si la déclaration de la mère sur ce que l'enfant lui a dit est admissible en preuve. Le juge du procès a rejeté la déclaration en décidant qu'il s'agissait de ouï‑dire et que la déclaration ne relevait d'aucune exception établie à la règle du ouï‑dire, et en particulier de l'exception des déclarations spontanées. La Cour d'appel a conclu que la déclaration aurait dû être reçue pour le motif que la fiabilité inhérente de la déclaration de l'enfant était telle que les exigences habituelles de contemporanéité et d'intensité ou de contrainte en matière de déclarations spontanées devraient être assouplies.

Je suis convaincue qu'en appliquant les critères traditionnels des déclarations spontanées le juge du procès a rejeté à juste titre la déclaration de la mère. La déclaration n'était pas contemporaine puisqu'elle a été faite quinze minutes après leur départ du cabinet du médecin et probablement une demi‑heure après la perpétration de l'infraction. Elle n'a pas été faite non plus sous la contrainte ou l'intensité émotive qui fournirait la garantie de fiabilité sur laquelle se fonde traditionnellement la règle des déclarations spontanées. La question est donc de savoir dans quelle mesure, le cas échéant, les restrictions de la règle du ouï‑dire devraient être assouplies dans le cas d'un témoignage d'enfant. La question est très importante compte tenu du nombre de plus en plus élevé de poursuites relatives à des infractions de nature sexuelle perpétrées contre des enfants et des difficultés que comporte souvent l'obligation pour les enfants de raconter et de revivre des événements souvent traumatisants entourant l'épisode, au cours d'une longue série de rencontres avec les parents, les travailleurs sociaux, les policiers et enfin les différents paliers judiciaires.

Traditionnellement, la règle du ouï‑dire a été considérée comme absolue, sous réserve de diverses catégories d'exceptions comme les aveux, les déclarations de mourants, les déclarations contre intérêt et les déclarations spontanées. Bien que cette attitude ait procuré un certain degré de certitude à la règle en matière de ouï‑dire, elle s'est souvent avérée trop rigide devant de nouvelles situations et de nouvelles exigences du droit. Au cours des dernières années, les tribunaux ont donc parfois adopté une attitude plus souple, fondée sur les principes qui sous‑tendent la règle du ouï‑dire, plutôt que les restrictions des exceptions traditionnelles.

C'est l'attitude retenue par notre Cour dans l'arrêt Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608. Le demandeur avait intenté une poursuite pour faute médicale à la suite de l'amputation de sa jambe gangreneuse. Il voulait produire les dossiers de l'hôpital qui contenaient les notes prises par les infirmières pour établir que les symptômes que le médecin aurait dû constater et traiter étaient présents dès le départ. On lui a opposé que les dossiers constituaient du ouï‑dire et qu'il aurait dû appeler à témoigner les infirmières qui avaient pris les notes. Mais il ne pouvait établir quelle infirmière avait pris les notes, ce qui rendait la tâche impossible.

Notre Cour a statué que les dossiers devraient être admis même si selon les règles traditionnelles ils étaient inadmissibles. La Cour a accepté (à la p. 624) la proposition que "[c]e sont les juges qui façonnent la common law et il est toujours de leur compétence de l'adapter à l'occasion de manière qu'elle serve l'intérêt de ceux qu'elle lie", particulièrement en matière de droit procédural: lord Donovan, dissident, dans l'arrêt Myers v. Director of Public Prosecutions, [1965] A.C. 1001, à la p. 1047. Le juge Hall, à la p. 624, a cité les extraits suivants des motifs de lord Pearce, dissident dans l'arrêt Myers (pp. 1040 et 1041):

[TRADUCTION] Je ne puis admettre qu'une "incertitude dangereuse" soit créée par des améliorations nécessaires et raisonnables apportées aux moyens que le tribunal emploie pour atteindre la vérité. On a le choix entre les obiter dicta de deux juges célèbres; pour ma part, j'opte pour celui du Maître des rôles Jessel. Son dictum, reproduit à 1 P.D. 154, page 241, est le suivant:

[TRADUCTION] "Maintenant, je comprends que le principe fondamental de toutes ces exceptions est le même. Premièrement, l'affaire doit comporter une difficulté d'obtenir d'autres preuves, car il ne fait aucun doute que la recevabilité des exceptions est fondée sur cette difficulté même. Deuxièmement, le déclarant doit être désintéressé; c'est‑à‑dire, désintéressé au sens que sa déclaration ne serve pas son intérêt personnel. Et, troisièmement, la déclaration doit avoir été faite avant le différend ou litige de sorte qu'elle ait été faite sans parti‑pris découlant de l'existence d'un différend ou litige que le déclarant pourrait être soupçonné de favoriser. Enfin, et cela me semble l'une des meilleures raisons de l'admettre, le déclarant doit avoir eu des moyens de connaissance qui ne sont pas à la portée des gens ordinaires". Face à cet énoncé de principe, il a reconnu une extension que l'on accepte depuis lors, à la "Probate Division".

Finalement, notre Cour a conclu que les notes des infirmières devraient être admises en preuve, soulignant toutefois que leur admission "ne devrait en aucune façon empêcher une partie de contester l'exactitude de ces dossiers ou des écritures, si elle veut le faire", et ajoutant que les infirmières "étaient présentes en Cour et disponibles pour témoigner à la demande de l'intimé" (p. 626).

Les quatre critères de lord Pearce peuvent se ramener à deux exigences générales: la nécessité et la fiabilité. En l'espèce, la déclaration de l'enfant à sa mère satisfait à ces exigences générales ainsi qu'aux critères plus précis. Il y avait nécessité puisque, comme le juge du procès l'a conclu, les autres éléments de preuve de l'événement étaient inadmissibles. Pour reprendre les propos de lord Pearce, la situation comportait une difficulté d'obtenir d'autres éléments de preuve. Le témoignage comportait également des indices sérieux de fiabilité. T. était désintéressée, en ce sens que sa déclaration ne servait pas son intérêt personnel. Elle a fait la déclaration avant même qu'il ne soit question de litige. Et il ne fait pas de doute qu'elle avait des moyens de connaissance particuliers de l'événement dont elle a fait part à sa mère. En outre, la déclaration d'un enfant en bas âge sur ces questions peut comporter en soi sa propre marque de fiabilité. Comme le juge Robins l'a dit en Cour d'appel (p. 210):

[TRADUCTION] Lorsque le déclarant est un enfant en bas âge et que les événements reprochés portent sur une infraction de nature sexuelle, des considérations particulières s'appliquent pour déterminer l'admissibilité de la déclaration de l'enfant. Il en est ainsi parce que les jeunes enfants comme celui dont il est question en l'espèce ne sont généralement pas experts en matière de raisonnements réfléchis ou pour inventer des histoires de perversion sexuelle. Manifestement, il est peu probable qu'ils utilisent leur capacité de raisonnement pour inventer délibérément un mensonge, et surtout un mensonge concernant un acte sexuel qui, selon toute vraisemblance, dépasse leur entendement.

Parce qu'il est souvent difficile d'obtenir d'autres éléments de preuve et parce qu'il n'y a pas de raison de mettre en doute beaucoup de déclarations faites par des enfants à d'autres personnes au sujet d'abus sexuels, les tribunaux des États‑Unis ont commencé à assouplir les conditions d'admissibilité de ces déclarations. C'est dans le contexte de la doctrine des déclarations spontanées qu'ils l'ont fait. Dans l'ouvrage McCormick on Evidence (3e éd. 1984), à la p. 859, n. 49, les auteurs parlent de cette nouvelle exception à la règle générale comme celle du [TRADUCTION] "bas âge" et la décrivent comme suit:

[TRADUCTION] Dans les cas d'infractions de nature sexuelle contre des enfants en bas âge, on remarque une tendance à être moins sévère en ce qui concerne le délai acceptable et le fait que la déclaration soit faite en réponse à une question.

De même, dans l'ouvrage Wharton's Criminal Evidence (13e éd. 1972), à la p. 84, l'auteur affirme que bien que [TRADUCTION] "la règle de la res gestae en matière de crimes de nature sexuelle soit la même que dans les autres actions criminelles", la règle [TRADUCTION] "devrait être appliquée avec plus de souplesse dans le cas des enfants". Dans son analyse des nombreuses sources dans ce domaine et pour parvenir à une règle empirique générale en matière de délai généralement acceptable entre l'agression sexuelle reprochée et la déclaration spontanée, l'auteur souligne que les déclarations faites même une heure après l'agression seront généralement admissibles alors que ces déclarations [TRADUCTION] "ne seront pas considérées habituellement comme faisant partie de la res gestae lorsque le laps de temps écoulé entre le crime et la déclaration est de plus d'une heure" (p. 90).

Cette évolution fait ressortir la nécessité d'une plus grande souplesse dans l'interprétation de la règle du ouï‑dire pour permettre l'admission en preuve des déclarations faites par des enfants à d'autres personnes au sujet d'abus sexuels. Cependant, dans la mesure où elle est liée à l'exception de la règle du ouï‑dire en matière de déclarations spontanées, elle comporte certaines lacunes. Rien n'indique qu'il faille recourir à la preuve par ouï‑dire. Même lorsqu'il pourrait être facile d'obtenir le témoignage de l'enfant sans le traumatiser indûment, le ministère public pourrait utiliser la preuve par ouï‑dire. Rien n'exige non plus que la fiabilité du témoignage rendu dans l'affaire en question soit établie; d'où la possibilité qu'un témoignage qui en soi n'est pas digne de foi soit admis. Enfin, la règle étant d'application absolue, le témoignage est soit accepté soit écarté, le juge du procès ne dispose d'aucun moyen d'imposer à la réception d'une déclaration particulière des conditions qu'il pourrait juger prudentes dans un cas particulier, comme par exemple, le droit de contre‑interroger le déposant dont il était question dans l'arrêt Ares c. Venner. En plus de ces objections, on peut soutenir qu'étendre la portée de la règle des déclarations spontanées aussi loin que le feraient ces décisions a pour effet de la dénaturer complètement et n'est pas en soi souhaitable.

Au Canada, les tribunaux ont également fait preuve de plus de souplesse en matière de réception de preuve par ouï‑dire par des enfants, mais sans faire appel à l'exception que constituent les déclarations spontanées à la règle du ouï‑dire. S'appuyant sur l'arrêt Official Solicitor v. K., [1963] 3 All E.R. 191, dans lequel la Chambre des lords a admis cette preuve dans une procédure en matière de protection d'enfant, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a admis une preuve semblable dans l'arrêt D.R.H. v. Superintendent of Family and Child Services (1984), 41 R.F.L. (2d) 337 (C.A.C.‑B.). La question, dans cette affaire, portait sur une preuve par ouï‑dire dans le contexte d'une procédure en matière de protection d'un enfant. Un enfant de cinq ans avait été appréhendé à la suite d'allégations d'abus sexuel commis par le père. L'avocat a tenté de produire en preuve les déclarations faites par l'enfant à un psychologue. L'avocat des parents s'est opposé à l'utilisation de ces déclarations pour des questions de véracité et a soutenu que l'arrêt R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24, de notre Cour s'appliquait. Le juge Hinkson, s'exprimant au nom de la cour, a justifié la réception de la preuve par la nature de la procédure, affirmant (aux pp. 340 et 341):

[TRADUCTION] On ne peut ignorer l'inquiétude que soulève l'admission d'une preuve par ouï‑dire et ce qu'on en fait lorsque pèse contre un parent une allégation grave de mauvaise conduite envers un enfant.

. . .

Cependant, dans une procédure concernant des enfants, notre cour a adopté une autre attitude qui ressort de la décision R. v. Arbuckle, 59 W.W.R. 605.

. . .

À mon avis, le principe analysé dans l'arrêt R. c. Abbey, précité, ne devrait pas s'appliquer à l'examen en l'espèce. Au contraire, dans ce type d'examen, l'attitude adoptée dans l'arrêt Arbuckle, précité, doit être retenue. Ainsi, le juge responsable d'un tel examen portant sur un enfant en bas âge qui est trop jeune pour témoigner relativement à l'examen peut recevoir une preuve par ouï‑dire et s'y fier pour décider si l'enfant a besoin de protection.

La Cour d'appel de l'{uIc}le‑du‑Prince‑Édouard, dans l'arrêt M. (W.) v. Director of Child Welfare for P.E.I. (1986), 3 R.F.L. (3d) 181 a également conclu dans une procédure en matière de protection d'un enfant que la preuve par ouï‑dire était admissible. La cour n'a pas justifié sa décision en invoquant le type de procédure en question. Le juge Mitchell a plutôt conclu que la procédure était assujettie aux mêmes normes procédurales que celles qui s'appliquent aux autres instances civiles, mais a affirmé que [TRADUCTION] "la liste des exceptions peut toujours s'allonger" (p. 185). Le juge Mitchell affirme, au nom de la cour, à la p. 185:

[TRADUCTION] Il arrive souvent dans les cas où l'on allègue qu'un jeune enfant a été abusé sexuellement que la seule preuve disponible est celle de la déclaration faite par l'enfant à un tiers. Généralement, ces déclarations ne sont pas faites dans des circonstances qui satisferaient au critère d'admission en vertu des exceptions traditionnelles à la règle du ouï‑dire. Si l'enfant ne peut témoigner ou pour d'autres raisons valables ne témoigne pas quant aux faits invoqués dans la déclaration extrajudiciaire et que la preuve par ouï‑dire est exclue, la cour sera privée de ce qui pourrait constituer l'élément de preuve le plus pertinent. Face à cette situation, la cour peut recevoir le témoignage du tiers comme preuve des faits contenus dans la déclaration de l'enfant même si cette preuve constitue du ouï‑dire, pourvu que, comme condition préalable à son admission, on présente d'abord suffisamment d'éléments de preuve pour établir la fiabilité de la déclaration extrajudiciaire et des circonstances qui établissent la nécessité de présenter le contenu de la déclaration de l'enfant par ouï‑dire. Dans ces cas, la cour doit toujours agir avec grande prudence tant à l'égard de la fiabilité des déclarations de l'enfant dont elle doit être convaincue qu'à l'égard des circonstances qui justifient l'admissibilité des déclarations extrajudiciaires.

Dans l'arrêt F. (J.K.) v. F. (J.D.), [1988] B.C.J. No. 278 (C.A.), on a justifié la réception de la preuve par ouï‑dire de la déclaration d'un enfant, dans une audition en matière de droit de visite, en fonction de l'arrêt Ares c. Venner. L'enfant avait fait part d'une agression à une monitrice de garderie. Le juge Anderson, au nom de la cour, a souligné, aux pp. 16 et 17, les dangers inhérents à la réception de cette preuve:

[TRADUCTION] On ne peut ignorer l'inquiétude que soulève l'admission de la preuve par ouï‑dire et ce qu'on en fait lorsque pèse contre un parent une allégation grave de mauvaise conduite envers un enfant. Il est certain qu'aucun juge n'interviendrait sur la foi de celle‑ci si une preuve directe était produite. Mais cette considération ne règle pas le problème.

Il a cependant conclu à son admissibilité (à la p. 20):

[TRADUCTION] Sans égard à l'arrêt D.R.H., la réception d'une preuve par ouï‑dire est justifiée en l'espèce pour des motifs de nécessité et de fiabilité. Voir l'arrêt Ares c. Venner (1970) R.C.S. 608, dans lequel les notes des infirmières, bien qu'elles aient constitué du ouï‑dire, ont été admises comme preuve de la véracité de leur contenu pour des motifs de nécessité et de fiabilité. L'arrêt de la Cour suprême du Canada dans cette affaire indique que les règles de preuve concernant le ouï‑dire en matière civile ne sont pas absolument rigides.

Ces décisions nous indiquent la bonne direction. Malgré la nécessité d'agir avec prudence, la preuve par ouï‑dire d'une déclaration d'un enfant peut être reçue lorsque les exigences de l'arrêt Ares c. Venner sont respectées. L'attitude générale est résumée par la remarque du juge Wilson dans l'arrêt R. c. B. (G.), [1990] 2 R.C.S. 30, à la p. 55:

Ces dernières années, nous avons adopté une attitude beaucoup plus bienveillante à l'égard du témoignage des enfants, réduisant les normes strictes du serment et de la corroboration et, à mon avis, il s'agit d'une amélioration souhaitable.

La première question devrait être de savoir si la réception de la déclaration relatée est nécessaire. À ces fins, la nécessité doit être interprétée dans le sens de [TRADUCTION] "raisonnablement nécessaire". L'inadmissibilité du témoignage de l'enfant pourrait être une raison de conclure à l'existence de la nécessité. Mais une preuve solide fondée sur des évaluations psychologiques que le témoignage devant le tribunal pourrait être traumatisant pour l'enfant ou lui porter préjudice pourrait également être utile. Il peut y avoir d'autres exemples de circonstances qui pourraient établir l'exigence de la nécessité.

La question suivante devrait porter sur la fiabilité du témoignage. Plusieurs considérations comme le moment où la déclaration est faite, le comportement, la personnalité de l'enfant, son intelligence et sa compréhension des choses et l'absence de toute raison de croire que la déclaration est le produit de l'imagination peuvent être pertinentes à l'égard de la question de la fiabilité. Je ne voudrais pas établir une liste précise des considérations applicables à la fiabilité ni laisser entendre que certaines catégories de preuves (par exemple le témoignage de jeunes enfants en matière sexuelle) devraient être considérées comme dignes de foi. Les questions relatives à la fiabilité vont varier avec l'enfant et les circonstances et relèvent davantage du juge du procès.

Pour déterminer l'admissibilité de la preuve, le juge doit tenir compte de la nécessité de sauvegarder les intérêts de l'accusé. Dans la plupart des cas, on ne pourrait pas se prévaloir du droit au contre‑interrogatoire, comme celui dont il était question dans l'arrêt Ares c. Venner. Si le témoignage direct de l'enfant en interrogatoire principal est inadmissible, il s'ensuit que son contre‑interrogatoire le serait également. Lorsque le traumatisme de l'enfant est en cause, il n'y aurait aucun intérêt à dispenser l'enfant de témoigner en interrogatoire principal s'il est pour subir de toute façon un contre‑interrogatoire serré. Bien qu'il puisse y avoir des cas où, comme condition d'admission, le juge du procès estime qu'il est possible et juste, compte tenu de toutes les circonstances, de permettre le contre‑interrogatoire de l'enfant comme condition de réception d'une déclaration relatée, dans la plupart des cas, les préoccupations de l'accusé quant à la crédibilité devront être traitées au moyen d'arguments quant au poids à accorder au témoignage et quant à la qualité de toute preuve corroborante.

J'ajoute que je ne crois pas qu'on ait décidé dans l'arrêt Ares c. Venner que la preuve par ouï‑dire en cause en l'espèce n'est recevable, une fois établies la nécessité et la fiabilité, que si le contre‑interrogatoire est possible. Premièrement, la Cour a retenu les opinions des juges dissidents dans l'arrêt Myers v. Director of Public Prosecutions qui ne font pas dépendre l'admissibilité du droit de contre‑interroger. Deuxièmement, le contre‑interrogatoire mentionné dans l'arrêt Ares c. Venner avait une valeur limitée. Les infirmières étaient présentes devant la salle au cours du procès, mais parce qu'il n'était pas possible de préciser qui avait pris les notes, il aurait été en effet difficile de procéder à un contre‑interrogatoire utile quant à l'exactitude d'observations précises.

Je conclus que la preuve par ouï‑dire d'une déclaration d'un enfant concernant des crimes dont il a été victime devrait être recevable, pourvu que les garanties de nécessité et de fiabilité soient respectées, sous réserve des garanties que le juge peut estimer nécessaires et sous réserve toujours de considérations relatives au poids qui devrait être accordé à cette preuve. Cela n'a pas pour effet de rendre les déclarations extrajudiciaires faites par des enfants généralement admissibles; en particulier, l'exigence de la nécessité signifiera probablement que dans la plupart des cas les enfants seront encore appelés à témoigner de vive voix.

Je conclus qu'en l'espèce la déclaration de la mère aurait dû être reçue en preuve. Elle était nécessaire puisque le témoignage de vive voix de l'enfant avait été rejeté. Elle était également fiable. L'enfant n'avait aucune raison d'inventer son histoire qu'elle a racontée naturellement sans être incitée à le faire. En outre, le fait qu'on ne pouvait s'attendre à ce que l'enfant connaisse ce genre d'acte sexuel confère à sa déclaration une fiabilité toute particulière. Enfin, sa déclaration a été corroborée par une preuve matérielle. Cela étant dit, je souligne qu'il n'est peut être pas nécessaire de produire la déclaration dans un nouveau procès si le témoignage de vive voix de l'enfant peut être reçu comme je le laisse entendre dans la première partie de mes motifs.

Conclusion

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l'appelant: Carter, McCombs and Minden, Toronto.

Procureur de l'intimée: Le ministère du Procureur général de l'Ontario, Toronto.

* Juge en chef à la date du jugement.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Preuve - Témoins - Témoignage d'enfant - Loi sur la preuve permettant à un enfant en bas âge de témoigner sans être assermenté - Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur en décidant qu'une enfant de quatre ans et demi était inhabile à témoigner dans une affaire d'agression sexuelle? - Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, ch. E‑10, art. 16.

Preuve - Exceptions à la règle du ouï‑dire - Déclarations spontanées - L'enfant a fait des déclarations à sa mère quinze minutes après l'agression sexuelle alléguée - Ces déclarations sont‑elles recevables comme exception à la règle du ouï‑dire?.

L'appelant, un médecin, a été accusé d'agression sexuelle sur une enfant de trois ans et demi. Au procès, le ministère public a voulu produire les déclarations faites par l'enfant à sa mère quelque quinze minutes après l'agression alléguée, soutenant qu'elles étaient recevables en vertu de l'exception que constituent les déclarations spontanées à la règle du ouï‑dire. Le juge du procès a refusé d'admettre les déclarations parce qu'elles n'étaient pas contemporaines de l'événement. Il a également décidé que l'enfant, qui était âgée de quatre ans et demi au moment du procès, était inhabile à témoigner sans être assermentée selon l'art. 16 de la Loi sur la preuve au Canada. Il a acquitté l'appelant. La Cour d'appel a conclu que le juge du procès, dans son examen de l'admission du témoignage de l'enfant non assermentée, avait commis une erreur en utilisant le critère plus sévère applicable à l'admission d'un témoignage sous serment et, dans son examen de la recevabilité des déclarations spontanées, en n'accordant pas une plus grande latitude quant au laps de temps écoulé entre l'événement et la déclaration. Elle a annulé l'acquittement et ordonné la tenue d'un nouveau procès.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le juge du procès a commis une erreur en refusant d'admettre le témoignage que l'enfant a donné sans être assermentée. Sa première erreur a été d'appliquer le critère de l'arrêt Bannerman à l'art. 16 de la Loi sur la preuve au Canada et de souligner que l'enfant ne comprenait pas ce que signifiait mentir "à la cour". Bien qu'on ait restreint la distinction entre l'habilité à témoigner sous serment et l'habilité à témoigner sans être assermenté en vertu de l'art. 16 en rejetant la nécessité de comprendre le caractère religieux du serment, elle n'a pas été supprimée. Pour qu'une personne puisse témoigner sous serment, il faut établir que le serment fait en quelque sorte appel à sa conscience. En vertu de l'art. 16, les deux seules exigences applicables à l'admission du témoignage sont l'intelligence suffisante et une compréhension du devoir de dire la vérité. Le juge du procès a également commis une erreur en accordant une importance capitale au jeune âge de l'enfant. Ayant conclu que les deux exigences applicables à l'admission du témoignage en vertu de l'art. 16 avaient été respectées, le juge du procès a commis une erreur en se laissant influencer par le jeune âge de l'enfant. S'il s'agissait d'un facteur déterminant, il y aurait un risque que des infractions commises contre de très jeunes enfants ne puissent jamais faire l'objet de poursuites.

Le témoignage de la mère quant aux déclarations que l'enfant lui avait faites aurait dû être admis également. Bien que le juge du procès ait correctement rejeté la déclaration de la mère en appliquant les critères traditionnels des déclarations spontanées, les restrictions de la règle du ouï‑dire devraient être assouplies dans le cas du témoignage d'enfants. Au cours des dernières années, les tribunaux ont adopté une attitude plus souple, fondée sur les principes qui sous‑tendent la règle du ouï‑dire, plutôt que les restrictions des exceptions traditionnelles. Malgré la nécessité d'agir avec prudence, la preuve par ouï‑dire de la déclaration d'un enfant peut être reçue lorsque les deux exigences générales de nécessité et de fiabilité sont respectées. En l'espèce, la déclaration de l'enfant à sa mère était nécessaire puisque le témoignage de vive voix de l'enfant avait été rejeté. Elle était également fiable; l'enfant n'avait aucune raison d'inventer son histoire qu'elle a racontée naturellement sans être incitée à le faire. Le fait qu'on ne pouvait s'attendre à ce que l'enfant connaisse ce genre d'acte sexuel confère à sa déclaration une fiabilité toute particulière.

Pour déterminer la recevabilité de la preuve, le juge doit tenir compte de la nécessité de sauvegarder les intérêts de l'accusé. Dans la plupart des cas, on ne pourra se prévaloir du droit au contre‑interrogatoire et les préoccupations de l'accusé quant à la crédibilité devront être traitées au moyen d'arguments quant à la valeur à accorder au témoignage et quant à la qualité de toute preuve corroborante.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Khan

Références :

Jurisprudence
Arrêt examiné: Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608
arrêts mentionnés: R. v. Bannerman (1966), 48 C.R. 110, conf. par [1966] R.C.S. v
Myers v. Director of Public Prosecutions, [1965] A.C. 1001
Official Solicitor v. K., [1963] 3 All E.R. 191
D.R.H. v. Superintendent of Family and Child Services (1984), 41 R.F.L. (2d) 337
R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24
M. (W.) v. Director of Child Welfare for P.E.I. (1986), 3 R.F.L. (3d) 181
F. (J.K.) v. F. (J.D.), [1988] B.C.J. No. 278
R. c. B. (G.), [1990] 2 R.C.S. 30.
Lois et règlements cités
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, ch. E‑10, art. 16.
Doctrine citée
McCormick, Charles Tilford. McCormick on Evidence, 3rd ed. By Kenneth S. Brown et al. St. Paul, Minn.: West, 1984.
Wharton, Francis. Wharton's Criminal Evidence, 13th ed. Rochester, N.Y.: Lawyers' Co‑operative Publishing Co., 1972.

Proposition de citation de la décision: R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531 (13 septembre 1990)


Origine de la décision
Date de la décision : 13/09/1990
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1990] 2 R.C.S. 531 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1990-09-13;.1990..2.r.c.s..531 ?
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