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13/09/1990 | CANADA | N°[1990]_2_R.C.S._731

Canada | R. c. Logan, [1990] 2 R.C.S. 731 (13 septembre 1990)


R. c. Logan, [1990] 2 R.C.S. 731

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Sutcliffe Logan Jr. et Warren Leroy Johnson Intimés

et

Le procureur général du Canada Intervenant

répertorié: r. c. logan

No du greffe: 21382.

1990: 27 mars; 1990: 13 septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson* et le juge en chef Lamer** et les juges Wilson, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1988), 67 O.R. (2d) 87, 30 O.A.C. 321, 46 C.

C.C. (3d) 354, 57 D.L.R. (4th) 58, qui a accueilli les appels interjetés par les intimés à l'encontre des déclarations de cu...

R. c. Logan, [1990] 2 R.C.S. 731

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Sutcliffe Logan Jr. et Warren Leroy Johnson Intimés

et

Le procureur général du Canada Intervenant

répertorié: r. c. logan

No du greffe: 21382.

1990: 27 mars; 1990: 13 septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson* et le juge en chef Lamer** et les juges Wilson, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1988), 67 O.R. (2d) 87, 30 O.A.C. 321, 46 C.C.C. (3d) 354, 57 D.L.R. (4th) 58, qui a accueilli les appels interjetés par les intimés à l'encontre des déclarations de culpabilité prononcées par le juge Colter de la Cour de district, siégeant avec jury, relativement à des accusations de tentative de meurtre. Pourvoi rejeté.

W. J. Blacklock et Ken Campbell, pour l'appelante.

Peter Connelly, pour les intimés.

Bruce MacFarlane, c.r., et Don Avison, pour l'intervenant le procureur général du Canada.

//Le juge en chef Lamer//

Version française du jugement du juge en chef Dickson et du juge en chef Lamer et des juges Wilson, Gonthier et Cory rendu par

LE JUGE EN CHEF LAMER —

Les faits

Les deux intimés, Sutcliffe Logan Jr. et Warren Leroy Johnson, ainsi que deux autres coaccusés, Hugh Logan (frère de l'intimé Logan) et Clive Brown, ont tous été inculpés de plusieurs infractions à la suite d'une série de vols qualifiés commis dans la région de Toronto. Ce pourvoi ne porte que sur les accusations de tentative de meurtre portées contre les deux intimés, à la suite d'un incident qui s'est produit au cours de l'un des vols.

Les circonstances de l'incident sont les suivantes. Vers 23 h le 23 septembre 1983, Hugh Logan, Clive Brown et l'intimé Warren Johnson, masqués et armés de revolvers, sont entrés dans un dépanneur. Hugh Logan a fait feu sur la seule employée, Barbara Turnbull, et l'a grièvement blessée au cou. Les hommes ont vidé la caisse de son contenu et se sont enfuis.

En attendant leur procès, les intimés ont été détenus sous garde préventive dans une prison de la région de Toronto. Peu de temps avant le procès, la police a appris d'un indicateur que l'intimé Sutcliffe Logan se vantait ouvertement de sa participation à la planification des vols, y compris celui à l'origine des accusations de tentative de meurtre. Deux agents banalisés ont été placés en détention préventive avec les intimés et ont prétendu avoir été arrêtés pour des affaires de drogue. Les agents ont fait connaissance avec les intimés qui ont fait certaines déclarations incriminantes. Les agents ont témoigné qu'ils n'avaient pas encouragé les intimés à parler, mais qu'ils leur avaient simplement fourni l'occasion de faire les déclarations. Les agents avaient pris des notes immédiatement après la conversation, pendant ce qu'ils ont prétendu être la visite d'un stagiaire de leur cabinet d'avocats.

Ces déclarations ont été admises en preuve au procès. L'intimé Warren Johnson a témoigné au procès et, bien qu'ayant admis avoir été un des voleurs, il a dit n'avoir eu aucune intention de faire feu sur qui que ce soit et n'avoir eu aucune discussion concernant l'usage de revolvers.

Dans son exposé au jury au sujet de l'intimé Warren Johnson, le juge du procès a dit: [TRADUCTION] "Vous pouvez fort bien avoir un doute sérieux quant à savoir s'il savait ou aurait dû savoir qu'un membre de son groupe ferait probablement feu sur quelqu'un dans l'intention de tuer". À propos de l'intimé Sutcliffe Logan, il a affirmé: [TRADUCTION] "Vous devriez alors vous demander s'il savait ou aurait dû savoir qu'un membre du groupe ferait probablement feu sur quelqu'un dans l'intention de tuer au cours du vol". Dans son explication de l'art. 21 du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, le juge du procès a dit dans ses directives au jury: [TRADUCTION] "[i]l faut établir hors de tout doute raisonnable que l'accusé savait ou devait savoir que quelqu'un ferait probablement feu dans l'intention de tuer".

Le jury a conclu que c'était Hugh Logan qui avait fait feu sur la victime. Le jury a déclaré les intimés coupables d'un certain nombre d'infractions, y compris de la tentative de meurtre de Barbara Turnbull. Les intimés ont interjeté appel de leurs déclarations de culpabilité devant la Cour d'appel de l'Ontario. La Cour d'appel de l'Ontario a accueilli leurs appels sur les déclarations de culpabilité de tentative de meurtre et les a remplacées par des déclarations de culpabilité de vol qualifié. La seule question que notre Cour doit trancher porte sur la constitutionnalité du par. 21(2) du Code criminel.

La disposition législative pertinente

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 21.

21. (1) Est partie à une infraction quiconque

a) la commet réellement,

b) accomplit ou omet d'accomplir quelque chose en vue d'aider quelqu'un à la commettre, ou

c) encourage quelqu'un à la commettre.

(2) Quand deux ou plusieurs personnes forment ensemble le projet de poursuivre une fin illégale et de s'y entr'aider et que l'une d'entre elles commet une infraction en réalisant cette fin commune, chacune d'elles qui savait ou devait savoir que la réalisation de l'intention commune aurait pour conséquence probable la perpétration de l'infraction, est partie à cette infraction.

La décision du tribunal d'instance inférieure

La Cour d'appel de l'Ontario (1988), 63 O.R. (2d) 87

La cour a commencé par examiner l'arrêt de notre Cour R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, en vue d'examiner son effet sur les dispositions de l'art. 21 du Code criminel dans le contexte de l'accusation d'être partie à une tentative de meurtre. La cour a souligné que la mens rea de l'auteur principal relativement à une accusation de tentative de meurtre "ne peut être rien de moins que l'intention spécifique de tuer": R. c. Ancio, [1984] 1 R.C.S. 225. La Cour d'appel a d'ailleurs reproduit de larges extraits de l'opinion du juge McIntyre qui s'exprimait au nom de notre Cour dans cet arrêt. En l'espèce, la cour a souligné que le jury pouvait avoir un doute raisonnable quant à savoir si les intimés savaient que le vol aurait pour conséquence probable que Hugh Logan ferait feu dans l'intention de tuer, et qu'il se peut que le jury les ait déclarés coupables en se fondant sur la prévisibilité objective; c'est‑à‑dire que les intimés auraient dû savoir que le coup de feu était une conséquence probable du vol. La cour a conclu aux pp. 133 et 134:

[TRADUCTION] Comme nous l'avons déjà souligné, dans le cas d'une accusation de tentative de meurtre, la mens rea nécessaire doit être l'intention de tuer. À notre avis, dans la mesure où le par. 21(2) permet de déclarer une partie coupable de l'infraction de tentative de meurtre en fonction de la prévisibilité objective, c'est‑à‑dire un degré de mens rea moindre que celui requis dans le cas de l'auteur principal, il est contraire aux principes de justice fondamentale. Nous ne croyons pas non plus que cette dérogation aux principes de justice fondamentale peut être sauvegardée par l'article premier de la Charte.

. . .

Ainsi, dans une accusation de tentative de meurtre, lorsque le par. 21(2) est invoqué pour déterminer la responsabilité d'une partie à l'infraction, il faut conclure que les mots "devait savoir" du par. 21(2) sont inopérants et ne peuvent être invoqués par le juge des faits pour déterminer la culpabilité de la personne ainsi accusée.

Plus précisément, en ce qui concerne l'article premier de la Charte, la Cour d'appel a conclu ce qui suit aux pp. 133 et 134:

[TRADUCTION] . . . il n'est pas nécessaire, pour dissuader les autres, de déclarer coupable de tentative de meurtre une personne qui ne savait pas mais aurait dû savoir que le principal accusé ferait feu dans l'intention de tuer. Dans ces circonstances, une personne qui forme avec une ou plusieurs autres personnes le projet de commettre un vol qualifié, avec une arme à feu et de s'y entraider serait coupable de vol à main armée et d'usage d'une arme à feu dans la perpétration d'un acte criminel.

Des peines sévères sont imposées dans le cas d'un vol à main armée, car on peut tenir compte de toutes les circonstances aggravantes, comme les blessures graves subies par la victime du vol. Cette peine sévère devrait suffisamment dissuader les autres de se livrer à cette conduite criminelle.

La cour a ensuite souligné que, puisque les intimés avaient été déclarés coupables de tentative de meurtre, le juge du procès avait ordonné de surseoir aux accusations de vol à main armée sur lesquelles les intimés avaient également été déclarés coupables. La Cour d'appel a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en agissant ainsi et a annulé le sursis. Elle a remplacé les déclarations de culpabilité de tentative de meurtre par des déclarations de culpabilité de vol à main armée et elle a renvoyé l'affaire au juge du procès pour qu'il détermine la peine.

Les questions en litige

Le Juge en chef Dickson a formulé les questions constitutionnelles suivantes:

1.Le paragraphe 21(2) du Code criminel porte‑t‑il atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 7 ou l'al. 11d), ou les deux à la fois, de la Charte canadienne des droits et libertés?

2.Si la réponse à la première question est affirmative, le par. 21(2) du Code criminel est‑il justifié en vertu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

L'analyse

L'arrêt R. c. Vaillancourt

L'appelante conteste la constitutionnalité du par. 21(2) en général et, en particulier, de l'élément objectif du paragraphe ("devait savoir"). Cependant, la Cour d'appel, à bon droit, n'a pas déclaré l'élément objectif du par. 21(2) inopérant à l'égard de toutes les infractions. Elle a traité spécifiquement de l'application de la disposition à l'infraction de tentative de meurtre et de la possibilité qu'une partie à une tentative de meurtre soit déclarée coupable sur la preuve d'une intention objective, alors qu'une déclaration de culpabilité de l'auteur principal exigerait la preuve d'une intention subjective. De manière plus générale, comme fondement de son arrêt, la cour a conclu à l'existence d'un principe de justice fondamentale en vertu duquel une partie à une infraction, quelle qu'elle soit, ne peut être déclarée coupable de l'infraction sur le fondement d'un degré de mens rea requise moindre que celui exigé pour une déclaration de culpabilité de l'auteur principal.

La cour a fondé cette proposition sur l'arrêt Vaillancourt dans lequel notre Cour a statué que, dans le cas de quelques infractions, les principes de justice fondamentale signifient qu'une déclaration de culpabilité ne peut être valable sans la preuve hors de tout doute raisonnable d'un degré minimum de mens rea, et qu'une disposition législative qui prévoit un degré moindre viole la Charte et est inopérante. Le meurtre était une de ces infractions.

Avec égards, je ne peux dégager de l'arrêt Vaillancourt une proposition générale portant que le Parlement ne peut jamais adopter de dispositions exigeant des niveaux différents de culpabilité de la part des auteurs principaux et des parties. J'admets volontiers que, en principe, la proposition semble plutôt équitable, mais je ne suis pas disposé à l'ériger en principe de justice fondamentale. Il faut rappeler que de nombreuses infractions comportent différents degrés de culpabilité et qu'il appartient à celui qui détermine la peine d'ajuster en conséquence le châtiment de chaque contrevenant. L'argument que les principes de justice fondamentale interdisent la déclaration de culpabilité d'une partie à une infraction sur le fondement d'un degré moindre de mens rea que celui requis pour la déclaration de culpabilité de l'auteur principal ne pourrait valoir, si tant est qu'il le peut, que dans le cas où la peine applicable à une infraction particulière est déterminée. Cependant, aujourd'hui au Canada, le processus de détermination de la peine est assez souple pour accommoder les différents degrés de culpabilité qui résultent de l'application des art. 21 et 22.

Ceci dit toutefois, il y a quelques infractions à l'égard desquelles l'application de l'élément objectif du par. 21(2) restreindra les droits que l'art. 7 reconnaît à un accusé. Si une infraction est de celles pour lesquelles l'art. 7 exige un degré minimum de mens rea, alors l'arrêt Vaillancourt empêche effectivement le Parlement de prévoir la déclaration de culpabilité d'une partie à cette infraction sur le fondement d'un degré de mens rea moindre que le degré minimum exigé par la Constitution.

La mens rea requise pour une déclaration de culpabilité en application du par. 21(2)

Donc, l'examen de la question de savoir si une partie à une infraction avait la mens rea requise pour justifier une déclaration de culpabilité en application du par. 21(2) doit se faire en deux étapes. Premièrement, un degré minimum de mens rea est‑il requis, à titre de principe de justice fondamentale, pour qu'une personne puisse être déclarée coupable comme auteur principal de cette infraction particulière? C'est une étape initiale importante parce que, si l'infraction n'est pas assortie de cette exigence constitutionnelle, l'élément objectif du par. 21(2) peut agir sans restreindre les droits constitutionnels de la partie à l'infraction. Deuxièmement, si les principes de justice fondamentale exigent un certain degré minimum de mens rea pour justifier une déclaration de culpabilité de cette infraction, alors ce degré minimum de mens rea est également exigé par la Constitution pour justifier la déclaration de culpabilité d'une partie à cette infraction.

Première étape: L'article 7 et la tentative de meurtre

Dans la présente affaire, il faut donc d'abord se demander si les principes de justice naturelle exigent un degré minimum de mens rea pour justifier une déclaration de culpabilité de tentative de meurtre. L'arrêt Ancio a établi que la mens rea requise de la part de l'auteur principal relativement à une accusation de tentative de meurtre est l'intention spécifique de tuer. Cependant, comme la question constitutionnelle n'avait pas été soulevée ni plaidée dans ce pourvoi, l'arrêt n'a pas établi si la mens rea requise est une exigence constitutionnelle. L'arrêt a simplement interprété l'infraction visée par la loi telle qu'elle existait à ce moment‑là.

Dans l'arrêt R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 000, rendu aujourd'hui, notre Cour a établi comme exigence constitutionnelle qu'une personne ne peut pas être déclarée coupable de meurtre si le ministère public n'a pas prouvé hors de tout doute raisonnable qu'elle avait prévu de manière subjective que la mort de la victime était le résultat probable de son acte. À cause des stigmates et des conséquences pénales graves qui résultent d'une déclaration de culpabilité de meurtre, la Constitution exige au moins ce degré d'intention.

L'arrêt Ancio établit que les éléments de mens rea de la tentative de meurtre sont identiques à ceux de la forme la plus grave de meurtre, le meurtre visé au sous‑al. 212a)(i). Dans chaque cas, l'accusé doit avoir eu l'intention spécifique de tuer. La seule différence est l'élément "conséquences" de l'actus reus. L'auteur d'une tentative de meurtre, s'il est déclaré coupable, est tout simplement un "meurtrier chanceux". Par conséquent, il semblerait logique que la mens rea requise pour une déclaration de culpabilité de meurtre, selon l'arrêt Martineau, soit la même pour une déclaration de culpabilité de tentative de meurtre. Cependant, la logique n'est pas une raison suffisante pour apposer l'étiquette d'"exigence constitutionnelle". Comme je l'ai dit dans l'arrêt Vaillancourt, les principes de justice fondamentale exigent un degré minimum de mens rea que pour très peu d'infractions. Les critères qui permettent d'identifier ces infractions sont, principalement, les stigmates associés à une déclaration de culpabilité et, comme considération secondaire, les peines qui peuvent être imposées.

Les stigmates associés à une déclaration de culpabilité de tentative de meurtre sont les mêmes que pour un meurtre. Une telle déclaration de culpabilité révèle que, même si la mort n'a pas résulté des actes de l'accusé, l'intention de tuer était présente dans son esprit. L'auteur d'une tentative de meurtre n'est pas moins un tueur qu'un meurtrier ne l'est: il a pu être favorisé par la chance — l'ambulance est arrivée tôt, ou quelque autre circonstance fortuite — mais il avait tout de même le même instinct de tueur. Deuxièmement, bien qu'une déclaration de culpabilité de tentative de meurtre n'entraîne pas automatiquement l'emprisonnement à perpétuité, l'infraction est punissable d'emprisonnement à perpétuité et la peine est habituellement très sévère.

Il faut remarquer que, comme fondement d'un degré minimum de mens rea exigé par la Constitution, ce sont les stigmates sociaux associés à une déclaration de culpabilité qui constituent la considération la plus importante, et non pas la peine. Peu d'infractions sont assorties d'une peine minimale aussi sévère que le meurtre. Pour certaines infractions, sont prévues une peine maximale sévère et une peine minimale légère; pour d'autres, la peine maximale est bien moindre et aucune peine minimale n'est prévue. Dans l'une ou l'autre situation, le fait qu'une peine moins sévère soit prévue ou imposée, par un texte de loi ou par l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire judiciaire, ne clôt d'aucune façon le débat. L'éventail de peines que le juge peut imposer n'est pas déterminant du niveau de mens rea requis par la Constitution. Le point décisif est plutôt de savoir si la déclaration de culpabilité imposera à l'accusé des stigmates sociaux graves et prolongés.

Par exemple, l'infraction de vol dans les circonstances les plus graves est punissable d'un maximum de dix ans d'emprisonnement ou, dans des circonstances moins graves, d'un maximum de deux ans d'emprisonnement si la poursuite procède par voie de mise en accusation; si elle procède par voie sommaire, la peine maximale est de six mois d'emprisonnement. L'imposition par un juge d'une peine se situant à l'intérieur de ce cadre ne déclencherait pas, en vertu de l'art. 7, l'exigence constitutionnelle relative à la mens rea. Que la peine réelle ou possible soit sévère ou non, les stigmates sociaux associés au fait d'être qualifié de malhonnête seront automatiquement et inévitablement imposés avec la déclaration de culpabilité. C'est à cause de ces stigmates que les principes de justice fondamentale exigeront un degré minimum de mens rea, en l'occurrence, comme je l'ai dit à la p. 653 de l'arrêt Vaillancourt, la "preuve d'une certaine malhonnêteté".

Pour ces motifs, la mens rea requise de l'auteur d'une tentative de meurtre ne peut pas, sans restreindre l'art. 7 de la Charte, être un élément moral moindre que celui requis d'un meurtrier en vertu du sous‑al. 212a)(i), c'est‑à‑dire une prévision subjective des conséquences. Bien que, comme je l'ai déjà laissé entendre, le Parlement puisse étendre la définition de la tentative de meurtre que nous avons donnée dans l'arrêt Ancio pour inclure les meurtriers visés au sous‑al. 212a)(ii) qui n'ont pas réussi leur coup, il ne peut pas aller plus loin et édicter que la prévision objective est suffisante pour justifier une déclaration de culpabilité, sans restreindre l'art. 7 de la Charte.

Deuxième étape: La mens rea applicable à la tentative de meurtre en vertu du par. 21(2)

Après cette première étape de l'exercice, nous pouvons passer à la seconde et déterminer la mens rea requise pour déclarer une partie coupable, en application du par. 21(2), de tentative de meurtre. Lorsque les principes de justice fondamentale exigent une prévision subjective pour déclarer coupable l'auteur principal d'une tentative de meurtre, ce même degré minimum de mens rea est exigé par la Constitution pour déclarer coupable une partie à l'infraction de tentative de meurtre. Toute déclaration de culpabilité de tentative de meurtre, qu'il s'agisse de l'auteur principal directement ou d'une partie en application du par. 21(2), entraînera suffisamment de stigmates pour déclencher l'exigence constitutionnelle. Dans la mesure où le par. 21(2) autorise la déclaration de culpabilité d'une partie à l'infraction de tentative de meurtre sur le fondement de la prévision objective, son application restreint l'art. 7 de la Charte.

L'analyse en vertu de l'article premier

Vu la conclusion que l'art. 7 est restreint en l'espèce, cette restriction peut‑elle constituer une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique? L'analyse en vertu de l'article premier à laquelle il faut procéder pour répondre à cette question a été exposée dans notre arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

Pour déterminer l'importance de l'objectif législatif, il faut centrer l'analyse sur ce qui doit être justifié dans chaque cas particulier. À ce stade, la conclusion que l'infraction de tentative de meurtre exige, à titre de principe de justice fondamentale, un degré minimum de mens rea n'est pas en cause; elle ne fait que déclencher la restriction en vertu du par. 21(2). La mens rea requise pour la tentative de meurtre n'est pas le point qui subit le test de l'article premier parce que la disposition législative en vigueur applicable à la tentative de meurtre, que notre Cour a interprétée dans l'arrêt Ancio, respecte l'exigence constitutionnelle de prévision subjective, c.‑à‑d. une intention spécifique de tuer.

Vu qu'un degré minimum de mens rea (la prévision subjective) est requis du point de vue constitutionnel pour déclarer coupable l'auteur principal d'une tentative de meurtre, la restriction de l'art. 7 en l'espèce se situe dans la déclaration de culpabilité, par l'application du par. 21(2), d'une partie qui n'a pas ce même degré de mens rea. Ce n'est pas l'objectif législatif du par. 21(2) dans son ensemble que notre Cour doit examiner, mais seulement l'objectif législatif de la partie du par. 21(2) qui restreint en l'espèce les droits de l'accusé en vertu de l'art. 7 de la Charte. Ce traitement différent des parties et des auteurs principaux accusés de tentative de meurtre est la restriction qui doit subir le test de l'article premier.

En l'espèce, l'objectif d'une telle différenciation est de décourager les entreprises criminelles communes et d'inciter les personnes qui participent à ce genre d'entreprises à s'assurer que leurs complices ne commettent pas d'infractions autres que celles qui ont été planifiées. C'est un objectif législatif suffisamment important pour justifier une dérogation aux droits reconnus à un accusé en vertu de l'art. 7 de la Charte.

La question suivante est de savoir si les moyens par lesquels le Parlement a choisi d'atteindre cet objectif sont raisonnables et justifiés, c'est‑à‑dire s'ils sont proportionnés à l'objectif qu'ils visent.

Premièrement, il faut démontrer l'existence d'un lien rationnel entre l'objectif législatif et la restriction. Relativement à une tentative de meurtre, le par. 21(2) a pour effet qu'une personne qui s'associe à d'autres pour poursuivre une fin illégale est tenue responsable des actes de tous les complices, que cette personne, dans les faits, ait ou non prévu qu'un complice essaierait de tuer quelqu'un dans la poursuite de cette fin illégale. L'objectif de cette disposition est que la possibilité d'une déclaration de culpabilité au moyen du par. 21(2) rendra les parties plus responsables des actes de leurs complices. Il y a donc nettement un lien rationnel entre la restriction et l'objectif législatif.

Cependant, même si le Parlement a cherché à atteindre un objectif législatif important en adoptant la restriction en cause et même si cette restriction a un lien rationnel avec cet objectif, je suis d'avis qu'elle ne respecte pas le critère de proportionnalité parce qu'elle réduit indûment les droits que l'art. 7 de la Charte reconnaît à l'accusé (voir Vaillancourt, précité, p. 651).

L'élément objectif du par. 21(2) réduit indûment des droits reconnus à l'art. 7 de la Charte quand il agit sur une infraction dont la déclaration de culpabilité entraîne des stigmates graves et pour laquelle, par conséquent, un degré minimum de mens rea est exigé par la Constitution. Les mots "devait savoir" donnent lieu à la possibilité que, même si elle n'a peut‑être pas envisagé et accepté le risque qu'un complice fasse quelque chose avec l'intention de tuer, dans la poursuite de la fin illégale, une partie à l'infraction, par cette négligence, soit quand même déclarée coupable de tentative de meurtre. En d'autres mots, les parties pourraient être reconnues coupables de négligence criminelle relativement au comportement de quelqu'un d'autre. Pour la plupart des infractions au Code criminel, une personne n'est déclarée coupable de négligence criminelle que si son acte a eu des conséquences. Bien que, même en l'absence de conséquences, une personne puisse être déclarée coupable de négligence criminelle (p. ex., conduite dangereuse d'un véhicule à moteur), aucune de ces formes de négligence criminelle n'entraîne les stigmates que comporte le qualificatif de "tueur". Lorsque le par. 21(2) est appliqué dans le contexte d'une tentative de meurtre, aucune conséquence n'a résulté des actes de la partie qui pourtant pourrait être déclarée coupable de l'infraction et subir les stigmates graves et la peine sévère que cela comporte.

À cause de l'importance de l'objectif législatif, l'élément objectif du par. 21(2) peut se justifier relativement à la plupart des infractions. Cependant, dans le cas des quelques infractions pour lesquelles la Constitution exige l'intention subjective, les stigmates rendent la violation trop grave et l'emportent sur l'objectif législatif qui, par conséquent, ne peut pas être justifié en vertu de l'article premier.

Conclusion

Je suis donc d'avis, comme la Cour d'appel, de déclarer inopérants les mots "devait savoir" quand on cherche à déterminer, en vertu du par. 21(2), si une personne est partie à une infraction pour laquelle la Constitution exige, pour justifier une déclaration de culpabilité, une prévision subjective des conséquences, ce qui est le cas de la tentative de meurtre. Une fois ces mots supprimés, le reste de la disposition exige, dans le contexte de la tentative de meurtre, que la partie au projet commun sache qu'il est probable que son complice fera quelque chose avec l'intention de tuer dans la poursuite de l'objectif commun.

Je suis d'avis de rejeter les pourvois. Je limiterais mes réponses aux questions constitutionnelles à ce qui suit:

1.Le paragraphe 21(2) du Code criminel porte‑t‑il atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 7 ou l'al. 11d), ou les deux à la fois, de la Charte canadienne des droits et libertés?

Oui, relativement à des accusations où la prévision subjective est une exigence constitutionnelle, dans la mesure où une partie peut être déclarée coupable si cette personne "devait savoir" objectivement que la perpétration de l'infraction serait une conséquence probable de la poursuite de l'objectif commun.

2.Si la réponse à la première question est affirmative, le par. 21(2) du Code criminel est‑il justifié en vertu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Non.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Version française des motifs rendus par

LE JUGE L'HEUREUX‑DUBÉ — J'ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge en chef Lamer, mais étant donné mon opinion dans les arrêts R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 000 et R. c. Rodney, [1990] 2 R.C.S. 000, rendus ce jour, je ne puis souscrire entièrement ni à ses motifs ni aux réponses qu'il donne aux questions constitutionnelles malgré que je sois d'accord avec sa conclusion.

La seule question ici en litige concerne la constitutionnalité du par. 21(2) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34. Ce pourvoi n'attaque pas la constitutionnalité de l'al. 213a) du Code criminel. Par conséquent, le renvoi indirect que fait mon collègue à l'arrêt Martineau me semble quelque peu hors de propos. Dans cet arrêt, un critère minimal de prévision subjective de meurtre est imposé en raison de la sévérité de la peine et des stigmates associés à ce crime. J'ai exprimé l'avis que ces facteurs n'ont pas pour effet de rendre inconstitutionnel un critère de prévisibilité objective, et je ne crois certainement pas qu'ils soient applicables au crime dont il est question dans le présent pourvoi.

Dans la présente affaire, les accusés ont été inculpés de tentative de meurtre. Cette infraction doit être traitée différemment du crime de meurtre, surtout en ce qui concerne le lien entre l'actus reus et la mens rea.

Le juge en chef Dickson a formulé ainsi les questions constitutionnelles:

1.Le paragraphe 21(2) du Code criminel porte‑t‑il atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 7 ou l'al. 11d), ou les deux à la fois, de la Charte canadienne des droits et libertés?

2.Si la réponse à la première question est affirmative, le par. 21(2) du Code criminel est‑il justifié en vertu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

L'article 21 du Code criminel dispose:

21. (1) Est partie à une infraction quiconque

a) la commet réellement,

b) accomplit ou omet d'accomplir quelque chose en vue d'aider quelqu'un à la commettre, ou

c) encourage quelqu'un à la commettre.

(2) Quand deux ou plusieurs personnes forment ensemble le projet de poursuivre une fin illégale et de s'y entr'aider et que l'une d'entre elles commet une infraction en réalisant cette fin commune, chacune d'elles qui savait ou devait savoir que la réalisation de l'intention commune aurait pour conséquence probable la perpétration de l'infraction, est partie à cette infraction.

La Cour d'appel de l'Ontario a jugé que le par. 21(2) ne peut avoir pour effet d'imposer constitutionnellement à une partie à l'infraction un degré de mens rea moindre, c.‑à‑d. une prévisibilité objective, que celui que le Code criminel impose à l'auteur principal qui a réellement commis ou tenté de commettre l'infraction criminelle, c.‑à‑d. une prévision subjective dans le cas de tentative de meurtre. (Je suis d'accord avec la réserve que le juge en chef Lamer formule lui‑même dans ses motifs lorsqu'il traite de l'application de l'arrêt R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, relativement à la décision de la Cour d'appel en ce qui concerne une partie à une infraction quelconque.) La situation est bien différente de celle rencontrée dans Rodney et Martineau où le point en litige était l'application de l'art. 21 au crime de meurtre, pour lequel, suivant les motifs que j'ai exposés dans l'arrêt Martineau, je crois qu'un critère de prévisibilité objective est approprié. Dans Martineau, je n'ai pas eu à examiner l'art. 21 parce que seuls les al. 21(1)a) et b) faisaient partie de l'exposé au jury relativement à l'al. 213a). Contrairement au par. 21(2), ces dispositions ne font pas appel au critère de prévisibilité objective en cause dans le présent pourvoi.

Seule l'infraction de tentative de meurtre est en cause dans le présent pourvoi. Elle est définie à l'art. 222 du Code criminel:

222. Est coupable d'un acte criminel et passible de l'emprisonnement à perpétuité, quiconque, par quelque moyen, tente de commettre un meurtre.

Comme notre Cour l'a statué dans l'arrêt R. c. Ancio, [1984] 1 R.C.S. 225, une déclaration de culpabilité de tentative de meurtre requiert la preuve de l'intention spécifique de tuer. Une mens rea moindre ne sera pas suffisante. Le Parlement a décidé de créer une infraction distincte de tentative de meurtre, reconnaissant par là que les résultats d'actes criminels ne doivent pas être ignorés. La mort d'une victime rend un critère de prévisibilité objective constitutionnellement acceptable. Lorsque la tentative ne cause pas la mort, la logique et les principes de justice fondamentale consacrés dans la Charte canadienne des droits et libertés exigent que l'intention spécifique de commettre la tentative de meurtre soit prouvée de façon concluante. Comme je le mentionnais dans l'arrêt Martineau, à la p. 000:

Faute de tenir compte de l'actus reus autant que de la mens rea lorsqu'il s'agit d'évaluer le niveau de faute imputable à un délinquant, l'homicide involontaire coupable et les voies de fait causant des lésions corporelles seraient considérés aussi peu dignes de réprobation que les voies de fait. Les simples tentatives deviendraient aussi graves que la perpétration des infractions elles‑mêmes.

Lorsque de simples tentatives sont en cause, la mens rea joue un rôle dominant. La philosophie sous‑jacente au choix du critère de prévision subjective en matière de tentative de meurtre ne vient pas de la relation entre ce crime et le crime de meurtre complété, mais plutôt de son lien avec les crimes de tentative en général. Par conséquent, je ne suis pas la dialectique de mon collègue sur l'impact de la justice fondamentale ou de la contrainte constitutionnelle sur la souveraineté du Parlement lorsqu'il légifère relativement à ces crimes. L'exigence de prévision subjective pour les crimes de tentative est motivée par la primauté de l'élément mens rea, et non par les peines éventuelles ou les stigmates sociaux qui pourraient se rattacher à une déclaration de culpabilité de l'infraction complète.

Le principe invoqué en partie dans Martineau, pour justifier l'adoption de l'al. 213a), était que l'acte de tuer ne saurait être dissocié de l'élément moral qui l'a motivé. Le seul examen de l'intention ignorerait le fait que quelqu'un a été tué. Suite à un tel homicide, il convient de se demander si cet homicide était objectivement prévisible, compte tenu de la liste restreinte des infractions énumérées à l'art. 213, jointe à l'intention d'infliger des lésions corporelles. Dans le cas de simples tentatives, aucun autre acte illicite n'est nécessaire. L'article 222 punit l'intention, non l'acte lui‑même. Les critères de la mens rea pour l'infraction complète de meurtre et pour de simples tentatives sont nécessairement différents. Comme l'a affirmé le juge McIntyre au nom de la Cour dans l'arrêt Ancio, aux pp. 247 à 249:

En effet, comme le crime de tentative peut être complet sans la perpétration d'aucune autre infraction et même sans l'accomplissement d'un acte illégal en soi, il est très clair que l'élément criminel de l'infraction de tentative peut résider uniquement dans l'intention.

. . .

Pour qu'il y ait infraction complète de meurtre, il doit y avoir homicide. L'intention de commettre l'infraction complète de meurtre doit par conséquent comprendre l'intention de tuer. Il m'est impossible de conclure qu'une personne peut avoir l'intention de commettre les homicides involontaires décrits aux art. 212 et 213 [maintenant les art. 229 et 230] du Code. J'estime donc que la mens rea de la tentative de meurtre ne peut être rien de moins que l'intention spécifique de tuer.

Après avoir cité ce passage, la Cour d'appel de l'Ontario conclut, à la p. 133:

[TRADUCTION] . . . dans la mesure où le par. 21(2) permet de déclarer une partie coupable de l'infraction de tentative de meurtre en fonction de la prévisibilité objective, c'est‑à‑dire un degré de mens rea moindre que celui requis dans le cas de l'auteur principal, il est contraire aux principes de justice fondamentale. Nous ne croyons pas non plus que cette dérogation aux principes de justice fondamentale peut être sauvegardée par l'article premier de la Charte.

La solution adoptée par la Cour d'appel, à la p. 134, a été de déclarer la disposition partiellement inopérante en ces termes:

[TRADUCTION] Ainsi, dans une accusation de tentative de meurtre, lorsque le par. 21(2) est invoqué pour déterminer la responsabilité d'une partie à l'infraction, il faut conclure que les mots "devait savoir" du par. 21(2) sont inopérants et ne peuvent être invoqués par le juge des faits pour déterminer la culpabilité de la personne ainsi accusée.

Les mots "devait savoir" de cet article ne seront pas inopérants dans tous les cas. Cette mesure de prévisibilité objective est certainement appropriée lorsque la mens rea de l'auteur principal peut être vérifiée en fonction d'un critère qui est lui aussi objectif. Par exemple, une partie à un meurtre complet peut être reconnue coupable en vertu du par. 21(2) sous sa forme actuelle si, comme dans les affaires Martineau et Rodney, les critères stricts de l'al. 213a), y compris la prévisibilité objective de la mort, ont tous été établis. C'est précisément le degré "minimum garanti" de mens rea prescrit par notre Cour dans l'arrêt R. c. Vaillancourt, précité.

En l'espèce cependant, il n'y a pas eu d'homicide. Le crime ici en cause est un crime pour lequel l'intention spécifique de l'auteur principal devait être démontrée. Dans les cas où l'auteur principal est soumis à un critère de mens rea qui exige la prévision subjective, la partie à l'infraction ne peut être constitutionnellement reconnue coupable du même crime en fonction d'un critère de prévisibilité objective. À cet égard, l'élément actus reus de l'infraction ne saurait être ignoré. Les considérations de principe examinées dans l'arrêt Martineau justifient qu'on traite les meurtres complets plus sévèrement que les tentatives de meurtre. Si une personne qui tente de tuer ne peut être reconnue coupable que si le ministère public prouve qu'elle avait l'intention spécifique de le faire, alors, celui qui accompagnait l'auteur principal ne peut pas être reconnu coupable si le ministère public prouve seulement que la tentative était objectivement prévisible.

Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de répondre ainsi aux questions constitutionnelles:

1.Le paragraphe 21(2) du Code criminel porte‑t‑il atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 7 ou l'al. 11d), ou les deux à la fois, de la Charte canadienne des droits et libertés?

Oui, dans la mesure où une partie peut être déclarée coupable pour le motif qu'elle devait savoir que l'infraction serait la conséquence probable de la réalisation de l'intention commune dans les cas où une norme subjective est constitutionnellement exigée à l'égard de l'auteur principal; en conséquence, les mots "devait savoir" sont inopérants dans les cas, et seulement dans les cas, où une prévision subjective est constitutionnellement requise de la part de l'auteur principal.

2.Si la réponse à la première question est affirmative, le par. 21(2) du Code criminel est‑il justifié en vertu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Dans les cas susmentionnés, la violation n'est pas justifiée en vertu de l'article premier.

//Le juge Sopinka//

Version française des motifs rendus par

LE JUGE SOPINKA — J'ai pris connaissance des motifs rédigés par le juge en chef Lamer et le juge L'Heureux-Dubé.

Je souscris au résultat auquel arrivent le juge en chef Lamer et le juge L'Heureux-Dubé. Je ne partage pas la conclusion et de la Cour d'appel qu'il existe un principe de justice fondamentale selon lequel, il faut, dans tous les cas, que la partie à une infraction possède le même degré de mens rea que l'auteur principal de cette infraction. Je suis d'accord avec le juge en chef Lamer pour dire que le bon principe constitutionnel est celui qui porte que si les stigmates sociaux et autres facteurs exigent que l'auteur principal de l'infraction possède l'état d'esprit minimum requis constitutionnellement pour être déclaré coupable de cette infraction, alors une partie au sens du par. 21(2) doit posséder le même état d'esprit minimal.

La Cour à la majorité, dans l'affaire R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 000, conclut que le meurtre est une infraction spéciale qui exige la prévision subjective de la mort. Dans les motifs que j'ai rédigés dans l'affaire Martineau, j'explique pourquoi on peut s'en tenir à appliquer l'arrêt R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, pour trancher cette question. En supposant que la Cour à la majorité dans l'affaire Martineau ait raison, il s'ensuivrait que la prévision subjective serait une condition constitutionnelle de la tentative de meurtre. Compte tenu de cela, si on applique les principes constitutionnels que le juge en chef Lamer a formulés au sujet du par. 21(2) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, il faut démontrer que la partie à l'infraction avait le même état d'esprit.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l'appelante: Le ministère du Procureur général, Toronto.

Procureurs des intimés: Danson & Zucker, Toronto.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: John C. Tait, Ottawa.

* Juge en chef à la date de l'audition.

** Juge en chef à la date du jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1990] 2 R.C.S. 731 ?
Date de la décision : 13/09/1990
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Justice fondamentale - Meurtre par imputation - Homicide survenu au cours d'un vol qualifié commis par un complice - L'article 21(2) du Code criminel viole‑t‑il les art. 7 ou 11d) de la Charte? - Dans l'affirmative, cette violation est‑elle justifiée en vertu de l'article premier de la Charte? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 11d) - Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 21(2).

Droit criminel - Meurtre par imputation - L'article 21(2) du Code criminel viole‑t‑il les art. 7 ou 11d) de la Charte? - Dans l'affirmative, cette violation est‑elle justifiée en vertu de l'article premier de la Charte?.

Les intimés ont été reconnus coupables de tentative de meurtre. Au cours d'un vol qualifié — un parmi plusieurs autres — une personne a été atteinte d'un coup de feu et a été grièvement blessée. Ni l'un ni l'autre intimé n'est à l'origine du coup de feu. L'intimé Johnson a cependant admis être un des voleurs mais a dit qu'il n'avait eu aucune intention de faire feu et qu'il n'y avait eu aucune discussion concernant l'usage d'armes à feu. L'intimé Logan s'était vanté d'avoir participé à la planification des vols. Le juge du procès a dit au jury dans ses directives que le ministère public devait établir hors de tout doute raisonnable que l'accusé savait ou devait savoir que quelqu'un ferait probablement feu dans l'intention de tuer. La Cour d'appel a accueilli les appels en ce qui concerne les déclarations de culpabilité de tentative de meurtre et les a remplacées par des déclarations de culpabilité de vol qualifié. Il s'agit en l'espèce de savoir (1) si le par. 21(2) du Code criminel porte atteinte à l'art. 7 ou à l'al. 11d) de la Charte, ou aux deux à la fois, et (2), dans l'affirmative, s'il est justifié en vertu de l'article premier.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Dickson et le juge en chef Lamer et les juges Wilson, Gonthier et Cory: On ne peut dégager de l'arrêt R. c. Vaillancourt une proposition générale portant que le Parlement ne peut jamais adopter de dispositions exigeant des niveaux différents de culpabilité de la part des auteurs principaux et des parties. En principe, la proposition semble plutôt équitable, mais elle ne doit pas être érigée en principe de justice fondamentale.

Il y a quelques infractions à l'égard desquelles l'application de l'élément objectif du par. 21(2) restreindra les droits que l'art. 7 reconnaît à un accusé. Si une infraction est de celles pour lesquelles l'art. 7 exige un degré minimum de mens rea, alors l'arrêt Vaillancourt empêche effectivement le Parlement de prévoir la déclaration de culpabilité d'une partie à cette infraction sur le fondement d'un degré de mens rea moindre que le degré minimum exigé par la Constitution.

L'examen de la question de savoir si une partie à une infraction avait la mens rea requise pour justifier une déclaration de culpabilité en application du par. 21(2) doit se faire en deux étapes. Premièrement, un degré minimum de mens rea est‑il requis, à titre de principe de justice fondamentale, pour qu'une personne puisse être déclarée coupable comme auteur principal de cette infraction particulière? Deuxièmement, si les principes de justice fondamentale exigent un certain degré minimum de mens rea pour justifier une déclaration de culpabilité de cette infraction, alors ce degré minimum de mens rea est également exigé par la Constitution pour justifier la déclaration de culpabilité d'une partie à cette infraction.

La mens rea requise pour une déclaration de culpabilité de meurtre doit logiquement être la même pour une déclaration de culpabilité de tentative de meurtre. Cependant, la logique n'est pas une raison suffisante pour apposer l'étiquette d'"exigence constitutionnelle".

L'éventail de peines que le juge peut imposer n'est pas déterminant du niveau de mens rea requis par la Constitution. Le point décisif est plutôt de savoir si la déclaration de culpabilité imposera à l'accusé des stigmates sociaux graves et prolongés.

La mens rea requise de l'auteur d'une tentative de meurtre ne peut pas, sans restreindre l'art. 7 de la Charte, exiger moins qu'une prévision subjective de la part de l'accusé — l'élément moral requis d'un meurtrier en vertu du sous‑al. 212a)(i). Le Parlement pourrait bien étendre notre définition de la tentative de meurtre pour inclure les meurtriers visés au sous‑al. 212a)(ii) qui n'ont pas réussi leur coup, mais il ne peut pas aller plus loin et édicter que la prévisibilité objective est suffisante pour justifier une déclaration de culpabilité, sans restreindre l'art. 7 de la Charte.

Lorsque les principes de justice fondamentale exigent une prévision subjective pour déclarer coupable l'auteur principal d'une tentative de meurtre, ce même degré minimum de mens rea est exigé par la Constitution pour déclarer coupable une partie à l'infraction de tentative de meurtre. Toute déclaration de culpabilité de tentative de meurtre, qu'il s'agisse de l'auteur principal directement ou d'une partie en application du par. 21(2), entraînera suffisamment de stigmates pour déclencher l'exigence constitutionnelle. Dans la mesure où le par. 21(2) autoriserait la déclaration de culpabilité d'une partie à l'infraction de tentative de meurtre sur le fondement de la prévisibilité objective, son application restreint l'art. 7 de la Charte.

Vu qu'un degré minimum de mens rea (la prévision subjective) est requis du point de vue constitutionnel pour déclarer coupable l'auteur principal d'une tentative de meurtre, la restriction de l'art. 7 en l'espèce se situe dans la déclaration de culpabilité, par l'application du par. 21(2), d'une partie qui n'a pas ce même degré de mens rea. Ce n'est pas l'objectif législatif du par. 21(2) dans son ensemble que notre Cour doit examiner, mais seulement l'objectif législatif de la partie du par. 21(2) qui restreint en l'espèce les droits de l'accusé en vertu de l'art. 7 de la Charte. Ce traitement différent des parties et des auteurs principaux accusés de tentative de meurtre est la restriction qui doit subir le test de l'article premier.

En l'espèce, l'objectif d'une telle différenciation est de décourager les entreprises criminelles communes et d'inciter les personnes qui participent à ce genre d'entreprises à s'assurer que leurs complices ne commettent pas d'infractions autres que celles qui ont été planifiées. C'est un objectif législatif suffisamment important pour justifier une dérogation aux droits reconnus à un accusé en vertu de l'art. 7 de la Charte.

L'objectif de cette disposition est que cette possibilité d'une déclaration de culpabilité au moyen du par. 21(2) rendra les parties plus responsables des actes de leurs complices. Il y a donc nettement un lien rationnel entre la restriction et l'objectif législatif. Néanmoins, elle ne respecte pas le critère de proportionnalité parce qu'elle réduit indûment les droits que l'art. 7 de la Charte reconnaît à l'accusé.

À cause de l'importance de l'objectif législatif, l'élément objectif du par. 21(2) peut se justifier relativement à la plupart des infractions. Cependant, dans le cas des quelques infractions pour lesquelles la Constitution exige l'intention subjective, les stigmates rendent la violation trop grave et l'emportent sur l'objectif législatif qui, par conséquent, ne peut pas être justifié en vertu de l'article premier.

Les mots "devait savoir" sont inopérants quand on cherche à déterminer, en vertu du par. 21(2), si une personne est partie à une infraction pour laquelle la Constitution exige, pour justifier une déclaration de culpabilité, une prévision subjective des conséquences, ce qui est le cas de la tentative de meurtre. Une fois ces mots supprimés, le reste de la disposition exige, dans le contexte de la tentative de meurtre, que la partie au projet commun sache qu'il est probable que son complice fera quelque chose avec l'intention de tuer dans la poursuite de l'objectif commun.

Le juge L'Heureux‑Dubé: Les facteurs qui, suivant la majorité, ont eu pour effet de rendre inconstitutionnel le critère de prévisibilité objective dans l'arrêt R. c. Martineau ne sont pas applicables au crime de tentative de meurtre. Une déclaration de culpabilité de tentative de meurtre requiert la preuve de l'intention spécifique de tuer. Une mens rea moindre ne sera pas suffisante. Le Parlement a décidé de créer une infraction distincte de tentative de meurtre, reconnaissant par là que les résultats d'actes criminels ne doivent pas être ignorés. La mort d'une victime rend un critère de prévisibilité objective constitutionnellement acceptable. Lorsque la tentative ne cause pas la mort, la logique et les principes de justice fondamentale consacrés dans la Charte exigent que l'intention spécifique de commettre la tentative de meurtre soit prouvée de façon concluante. Lorsque de simples tentatives sont en cause, la mens rea joue un rôle dominant. La philosophie sous‑jacente au choix du critère de prévision subjective en matière de tentative de meurtre ne vient pas de la relation entre ce crime et le crime de meurtre complété, mais plutôt de son lien avec les crimes de tentative en général. L'exigence de prévision subjective pour les crimes de tentative est motivée par la primauté de l'élément mens rea, et non par les peines éventuelles ou les stigmates sociaux qui pourraient se rattacher à une déclaration de culpabilité de l'infraction complète.

Dans le cas de simples tentatives, aucun autre acte illicite n'est nécessaire. L'article 222 punit l'intention, non l'acte lui‑même. Les critères de la mens rea pour l'infraction complète de meurtre et pour de simples tentatives sont nécessairement différents.

Les mots "devait savoir" de cet article ne seront pas inopérants dans tous les cas. Cette mesure de prévisibilité objective est certainement appropriée lorsque la mens rea de l'auteur principal peut être vérifiée en fonction d'un critère qui est lui aussi objectif.

Il n'y a pas eu d'homicide en l'espèce. Le crime ici en cause est un crime pour lequel l'intention spécifique de l'auteur principal devait être démontrée. Dans les cas où l'auteur principal est soumis à un critère de mens rea qui exige la prévision subjective, la partie à l'infraction ne peut être constitutionnellement reconnue coupable du même crime en fonction d'un critère de prévisibilité objective. À cet égard, l'élément actus reus de l'infraction ne saurait être ignoré. Les considérations de principe examinées dans l'arrêt Martineau justifient qu'on traite les meurtres complets plus sévèrement que les tentatives de meurtre. Si une personne qui tente de tuer ne peut être reconnue coupable que si le ministère public prouve qu'elle avait l'intention spécifique de le faire, alors, celui qui accompagnait l'auteur principal ne peut pas être reconnu coupable si le ministère public prouve seulement que la tentative était objectivement prévisible.

Le juge Sopinka: Il n'existe pas de principe de justice fondamentale selon lequel il faut, dans tous les cas, que la partie à une infraction possède le même degré de mens rea que l'auteur principal de cette infraction. Le bon principe constitutionnel est celui qui porte que si les stigmates sociaux et autres facteurs exigent que l'auteur principal de l'infraction possède l'état d'esprit minimum requis constitutionnellement pour être déclaré coupable de cette infraction, alors une partie au sens du par. 21(2) doit posséder le même état d'esprit minimal. Si on suppose que le meurtre est une infraction qui exige la prévision subjective de la mort, il s'ensuit que la prévision subjective est une condition constitutionnelle de la tentative de meurtre.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Logan

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Lamer
Arrêts examinés: R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636
R. c. Ancio, [1984] 1 R.C.S. 225
arrêts mentionnés: R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 000
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé
Distinction d'avec les arrêts: R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 000
R. c. Rodney, [1990] 2 R.C.S. 000
arrêts mentionnés: R. c. Ancio, [1984] 1 R.C.S. 225
R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636.
Citée par le juge Sopinka
Arrêts appliqués: R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 000
R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 11d).
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 21(1), (2), 212a)(i), 213a), 222.
Doctrine citée
Stuart, Don. Canadian Criminal Law, Toronto: Carswells, 1982.

Proposition de citation de la décision: R. c. Logan, [1990] 2 R.C.S. 731 (13 septembre 1990)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1990-09-13;.1990..2.r.c.s..731 ?
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