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25/01/1991 | CANADA | N°[1991]_1_R.C.S._99

Canada | R. c. Landry, [1991] 1 R.C.S. 99 (25 janvier 1991)


R. c. Landry, [1991] 1 R.C.S. 99

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Pierre Landry Intimé

Répertorié: R. c. Landry

No du greffe: 21217.

1990: 29 mai; 1991: 25 janvier.

Présents: Le juge en chef Lamer* et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec (1988), 26 Q.A.C. 194, 48 C.C.C. (3d) 552, qui a accueilli l'appel interjeté par l'accusé de sa déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré et

l'a remplacée par un verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale. Pourvoi rejeté.

Denis Dionne et Pau...

R. c. Landry, [1991] 1 R.C.S. 99

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Pierre Landry Intimé

Répertorié: R. c. Landry

No du greffe: 21217.

1990: 29 mai; 1991: 25 janvier.

Présents: Le juge en chef Lamer* et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec (1988), 26 Q.A.C. 194, 48 C.C.C. (3d) 552, qui a accueilli l'appel interjeté par l'accusé de sa déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré et l'a remplacée par un verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale. Pourvoi rejeté.

Denis Dionne et Paul Roy, pour l'appelante.

Martin Tremblay, pour l'intimé.

//Le juge en chef Lamer//

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Wilson, La Forest et Cory rendu par

Le juge en chef Lamer — Le présent pourvoi porte sur l'interprétation du par. 16(2) des dispositions du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, sur l'aliénation mentale. Plus précisément, on a demandé à notre Cour d'examiner la question de savoir s'il était nécessaire, pour être en mesure "de juger la nature et la qualité d'un acte ou d'une omission" aux fins du par. 16(2), qu'un accusé puisse comprendre que l'acte est moralement mauvais. Le présent pourvoi soulève également la question de savoir si la Cour d'appel a commis une erreur en écartant la déclaration de culpabilité prononcée au procès et en déclarant l'accusé non coupable pour cause d'aliénation mentale aux termes de l'al. 686(1)d) (auparavant l'al. 613(1)d)).

Les faits

Le 21 avril 1984, Michel Fortin a été trouvé mort dans sa maison; il avait succombé à deux blessures par balles à la tête. L'intimé a été arrêté le lendemain et a été interrogé par les policiers au sujet de l'incident. Il avait été accusé et déclaré coupable, environ trois ans auparavant, de voies de fait contre la victime. L'intimé a refusé de parler aux policiers et a été remis en liberté plusieurs jours plus tard.

Près de quatre mois plus tard, en réponse à un nouvel interrogatoire des policiers, l'intimé a avoué avoir causé la mort de M. Fortin. Il a admis qu'il avait prémédité son acte: il avait obtenu une arme à feu à cette fin quelque temps auparavant et il était entré dans la maison de la victime le jour en question avec l'arme dissimulée sur lui. Après avoir tiré deux coups de feu à la tête de sa victime, il a quitté les lieux, a jeté l'arme dans une rivière et est retourné chez lui.

L'intimé a été déclaré coupable de meurtre au premier degré par un jury en Cour supérieure du Québec. L'intimé a admis qu'il avait commis matériellement l'acte de meurtre de M. Fortin, mais il a soutenu qu'il devait être déclaré non coupable pour cause d'aliénation mentale en application de l'art. 16 du Code criminel. Une preuve non contredite présentée au procès indique que l'intimé souffrait d'une psychose grave qui lui faisait croire qu'il était Dieu et qu'il avait pour mission de détruire toutes les forces du mal sur Terre. En proie à d'autres hallucinations, il pensait que M. Fortin était "Satan" et qu'il devait le tuer pour réellement délivrer la Terre de toutes les forces du mal. L'intimé savait que le meurtre était un crime et que, selon toute vraisemblance, il serait arrêté pour cet acte, mais il croyait néanmoins que l'acte était nécessaire pour remplir sa mission divine. Le juge du procès a expliqué au jury, dans ses directives, qu'il devait examiner le moyen de défense d'aliénation mentale, et que l'intimé ne devrait pas être déclaré coupable s'il n'était pas capable, en raison de sa maladie mentale, de juger la nature ou la qualité de son acte ou de savoir que l'acte était légalement mauvais.

La Cour d'appel du Québec, à l'unanimité, a annulé la déclaration de culpabilité de l'intimé et l'a remplacée par un verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale: (1988), 48 C.C.C. (3d) 552, 26 Q.A.C. 194 (ci‑après cité au Q.A.C.).

Dispositions législatives pertinentes

Code criminel

16. (1) Nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction à l'égard d'un acte ou d'une omission de sa part alors qu'il était aliéné.

(2) Pour l'application du présent article, une personne est aliénée lorsqu'elle est dans un état d'imbécillité naturelle ou atteinte de maladie mentale à un point qui la rend incapable de juger la nature et la qualité d'un acte ou d'une omission, ou de savoir qu'un acte ou une omission est mauvais.

(3) Une personne qui a des hallucinations sur un point particulier, mais qui est saine d'esprit à d'autres égards, ne peut être acquittée pour le motif d'aliénation mentale, à moins que les hallucinations ne lui aient fait croire à l'existence d'un état de choses qui, s'il eût existé, aurait justifié ou excusé son acte ou omission.

(4) Jusqu'à preuve du contraire, chacun est présumé être et avoir été sain d'esprit.

. . .

686. (1) Lors de l'audition d'un appel d'une déclaration de culpabilité ou d'un verdict portant que l'appelant est incapable de subir son procès, pour cause d'aliénation mentale, ou d'un verdict spécial de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale, la cour d'appel:

. . .

d) peut écarter une déclaration de culpabilité et déclarer l'appelant non coupable pour cause d'aliénation mentale et ordonner que l'appelant soit détenu sous bonne garde jusqu'à ce que le lieutenant‑gouverneur ait fait connaître son bon plaisir, quand elle estime que, même si l'appelant a accompli l'acte, ou est responsable de l'omission, dont il est accusé, il était aliéné au moment de l'acte ou de l'omission, de façon à ne pas être criminellement responsable de sa conduite;

Charte canadienne des droits et libertés

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Jugements des instances inférieures

Cour supérieure du Québec

L'intimé a subi son procès devant le juge Ducros, siégeant avec jury, en Cour supérieure. Il a été déclaré coupable de meurtre au premier degré. Le seul moyen de défense soulevé au procès était l'aliénation mentale et ce moyen de défense a été rejeté par le jury.

Cour d'appel du Québec (les juges Beauregard, Nichols et Tourigny)

L'intimé a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité devant la Cour d'appel du Québec sur le fondement que le juge du procès a commis une erreur de droit en refusant de recevoir en preuve un rapport psychiatrique, que les propos "incendiaires" du substitut du procureur général ont causé un préjudice irréparable à l'intimé et à son droit de présenter une défense complète, que le juge du procès a omis de donner des directives adéquates au jury relativement à l'art. 16 ainsi qu'à certaines questions subsidiaires, et que le verdict rendu par le jury était déraisonnable compte tenu de la preuve.

La cour a convenu que l'intimé souffrait d'une maladie mentale au moment où il a commis l'acte criminel. Par conséquent, la question principale était de savoir si la maladie mentale l'avait rendu incapable de juger la nature ou la qualité de son acte ou de savoir que l'acte était mauvais.

Le juge Beauregard n'a pas contesté le fait que l'intimé savait qu'il commettait un meurtre et que ce meurtre était illégal. Toutefois, à son avis, ces faits n'empêchaient pas l'intimé d'invoquer l'art. 16 étant donné qu'il croyait à ce moment‑là qu'il agissait selon les ordres de Dieu pour tuer Satan. Le juge du procès dans son exposé au jury n'a pas expliqué de façon adéquate que l'intimé devait être acquitté si l'on croyait qu'il avait des hallucinations sur ce point. Citant un extrait d'une conférence prononcée par le juge Martin de la Cour d'appel de l'Ontario, le juge Beauregard a exprimé l'avis que, compte tenu des hallucinations dont l'intimé souffrait, il n'avait pas pu juger la nature et la qualité de l'acte. Dans sa conférence, le juge Martin a fait les remarques suivantes sur les conséquences d'une définition du terme "mauvais" au par. 16(2) qui lui attribuerait le sens de "légalement mauvais" plutôt que de "moralement répréhensible":

[TRADUCTION] Dans l'exemple suivant cité par Stephen il pourrait y avoir une différence [History of the Criminal Law of England (1883), Vol. II, p. 149]:

A tue B, sachant qu'il tue B, et sachant qu'il est illégal de tuer B mais, en proie à des hallucinations, pensant que le salut de la race humaine sera obtenu par son exécution pour le meurtre de B, et que Dieu lui (A) a commandé d'arriver à ce résultat par ce moyen. L'acte de A est un crime si le terme "mauvais" signifie illégal. Il ne s'agit pas d'un crime si le terme "mauvais" signifie moralement répréhensible.

Toutefois, il semble vraisemblable que, s'il devait être convaincu que l'accusé agissait en proie à des hallucinations comme celles qui sont décrites, un jury conclurait probablement qu'il était incapable de "juger" la nature et la qualité de l'acte selon l'interprétation de ce terme par les tribunaux canadiens.

(G. A. Martin, "Mental Disorder and Criminal Law Responsibility in Canadian Law", dans S.J. Hucker, C. D. Webster et M. H. Ben‑Aron, éd., Mental Disorder and Criminal Responsibility (1981), 15, à la p. 21.)

Le juge Beauregard a tiré des dernières remarques de cet extrait la conclusion que le par. 16(2) ne doit pas être interprété de façon si restrictive qu'il faille déclarer coupable un accusé comme la personne décrite par le juge Martin et, par conséquent, l'intimé. De plus, une telle interprétation porterait atteinte à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (aux pp. 210 et 211):

Si l'article 7 de la Charte empêche le Parlement de permettre qu'une personne puisse être stigmatisée par une condamnation de meurtre autrement que par une disposition légale qui est conforme avec les principes de justice fondamentales (sic), et s'il faut d'abord interpréter les textes de loi comme conformes à notre constitution, je suis d'opinion qu'il faut interpréter l'article 16 d'une façon assez large pour offrir une défense à l'appelant dans le présent dossier.

Landry qui sait qu'il tue Fortin et qui sait que cela est illégal est coupable de meurtre malgré son dérangement mental. Mais, même si Landry connaît la nature et la conséquence de son acte et même s'il sait que c'est illégal, il est incapable de juger la nature et la qualité de son acte si, à ce moment‑là, il pense qu'il est Dieu et que Fortin est Satan: il y a erreur de jugement provenant de la confusion entre Landry et Dieu et Fortin et Satan.

Le juge Nichols souscrit aux conclusions du juge Beauregard. Il souligne que, indubitablement, par suite des arrêts de notre Cour dans Schwartz c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 673, et Cooper c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 1149, le terme "mauvais" utilisé dans la deuxième partie du par. 16(2) signifie "légalement mauvais". Toutefois, il conclut que l'appréciation de la qualité d'un acte aux fins de la première partie du par. 16(2) comporte l'appréciation du caractère moralement répréhensible de l'acte (à la p. 201):

Lorsqu'on dit qu'un acte est mauvais on se réfère indubitablement à la qualité de l'acte.

. . .

Lorsqu'on dit que le mot "mauvais" doit être interprété comme voulant dire légalement mauvais, il faut donc se demander si la loi fait de la qualité de l'acte un critère déterminant.

La réponse à cette question va de soi. Il suffit de lire l'article 16(2) dans son ensemble sans tenter de compartimenter chacun des mots de l'article comme s'ils devaient nécessairement avoir un sens différent. Le mot "mauvais" doit être lu en regard de la qualité de l'acte.

Dans la première partie de l'article 16(2) la maladie mentale, pour justifier une défense d'aliénation mentale, doit être telle que, suivant une balance de probabilités, elle rende l'accusé incapable de juger — entre autres — de la qualité de son acte. Dans la seconde partie de l'article, la maladie mentale peut encore justifier une défense d'aliénation mentale si elle rend l'accusé incapable de savoir que son acte est mauvais. [Souligné dans l'original.]

Compte tenu de la preuve présentée au procès, la Cour d'appel a infirmé la déclaration de culpabilité et a rendu un verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale en application de l'ancien al. 613(1)d) du Code criminel.

L'appelante se pourvoit maintenant devant notre Cour contre l'arrêt de la Cour d'appel.

Les questions en litige

L'appelante soulève les questions suivantes:

1.La Cour d'appel du Québec a‑t‑elle erré en droit en appliquant le mot "mauvais" au sens de moralement mauvais à la "qualité de l'acte", à l'article 16(2) du Code criminel?

2.La Cour d'appel du Québec a‑t‑elle erré en droit en se basant sur l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés pour élargir la défense d'aliénation mentale au point de couvrir l'erreur de jugement constituant le mobile ou la justification morale de l'accusé pour commettre un acte criminel?

3.La Cour d'appel du Québec a‑t‑elle erré en droit en appliquant l'al. 613(1)d) [maintenant l'al. 686(1)d)] du Code criminel en l'espèce?

Analyse

À mon avis, les deux premières questions soulevées dans le présent pourvoi sont en fait tranchées par l'arrêt de notre Cour R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303.

Dans l'arrêt Chaulk, notre Cour a réexaminé son interprétation du terme "mauvais" au par. 16(2). Dans l'arrêt Schwartz, précité, la Cour, à la majorité, a conclu que "mauvais" aux fins du par. 16(2) signifie "légalement mauvais". Le juge du procès et la Cour d'appel en l'espèce se sont fondés sur notre arrêt Schwartz pour interpréter la deuxième partie du par. 16(2) et ont par conséquent appliqué ce critère d'une manière restrictive qui excluait tout examen de la capacité de l'intimé de juger le caractère moralement répréhensible de son acte. Par conséquent, le juge Nichols s'est senti obligé de tenir compte de l'incapacité de l'intimé de juger le caractère moralement répréhensible de l'acte aux termes de la première partie du critère, c.‑à‑d. pour évaluer la "nature ou la qualité" de l'acte. En outre, le juge Beauregard a invoqué l'art. 7 de la Charte pour étendre la portée du par. 16(2) afin de protéger un accusé qui est incapable de juger le caractère moralement répréhensible d'un acte.

Je ne peux appuyer le raisonnement qui a permis à la Cour d'appel d'arriver à sa conclusion. La Cour d'appel a interprété le par. 16(2) d'une manière qui contredit clairement les arrêts antérieurs de notre Cour. Conformément aux arrêts Cooper c. La Reine, précité, Kjeldsen c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 617, et R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24, la première partie du critère du par. 16(2) protège l'accusé qui, en raison d'une maladie mentale, était incapable de juger les conséquences matérielles de son acte. La Cour d'appel a commis une erreur en utilisant l'art. 7 de la Charte pour modifier l'interprétation établie de cette disposition législative.

Malgré mon désaccord avec les motifs de la Cour d'appel, je suis d'avis qu'elle est arrivée à la bonne conclusion. Je suis d'avis que si la Cour d'appel avait eu l'avantage de connaître l'arrêt Chaulk de notre Cour, elle serait arrivée à une conclusion identique sur le fondement de motifs différents. Il a été démontré au procès et admis par la Cour d'appel que l'intimé en l'espèce souffrait d'une maladie mentale au point qu'il n'était pas capable de juger que l'acte était moralement répréhensible dans les circonstances. Il souffrait d'une hallucination qu'il lui faisait croire qu'il était Dieu et qu'il avait pour mission divine de tuer la victime, M. Fortin. En conséquence, pour les motifs exposés par notre Cour dans l'arrêt Chaulk, je conviens avec la Cour d'appel que l'intimé aurait dû être acquitté pour cause d'aliénation mentale. Toutefois, cet acquittement est justifié en vertu de la deuxième partie du par. 16(2) et non, comme l'a jugé la Cour d'appel, en vertu de la première partie.

L'appelante soutient que la Cour d'appel a commis une erreur de droit en substituant un verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale aux termes de l'ancien al. 613(1)d) du Code en l'espèce. Dans l'arrêt R. c. Mailloux, [1988] 2 R.C.S. 1029, j'ai décrit la compétence conférée à la Cour d'appel par l'art. 613 (aux pp. 1042 à 1044):

Par conséquent, je suis d'avis que l'al. 613(1)a) s'applique à la résolution des questions d'aliénation mentale en appel et que l'al. 613(1)d) joue de deux manières: en premier lieu, il habilite une cour d'appel à trancher la question de la même façon que l'aurait fait un tribunal de première instance, lorsque ce dernier n'en a pas été saisi; en deuxième lieu, il habilite la cour, peu importe qu'elle agisse en vertu de l'al. 613(1)a) ou de l'al. 613(1)d), à inscrire, si cela est indiqué, un verdict de "non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale". Mon opinion sur ce point est appuyée par la façon dont les cours d'appel à travers le Canada ont exercé, à l'égard de questions d'aliénation mentale soulevées dans le contexte d'appels contre des déclarations de culpabilité, la compétence que leur confèrent les al. 613(1)a) et d). Cette façon de procéder, que l'avocat de l'intimée résume utilement dans son mémoire, est essentiellement la suivante:

1.Quand la question est soulevée pour la première fois en appel, la cour l'étudie et, si elle est convaincue que l'appelant était atteint d'aliénation mentale au moment de la perpétration de l'acte illégal, elle exerce la compétence que lui confère l'al. 613(1)d) pour annuler la déclaration de culpabilité et substituer le verdict spécial de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale.

2.Si l'aliénation mentale a été invoquée au procès et qu'il y a eu une erreur de droit sous la forme de directives erronées sur cette question et,

a)si la cour est convaincue que des directives appropriées auraient entraîné un verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale, elle substitue ce verdict;

b)si la cour n'est pas convaincue qu'en l'absence des directives erronées, un verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale aurait inévitablement été rendu, plutôt que d'appliquer l'al. 613(1)d) elle ordonne la tenue d'un nouveau procès.

3.S'il n'y a pas eu de directives erronées, mais que le verdict est déraisonnable ou ne peut s'appuyer sur la preuve, la cour annule la déclaration de culpabilité et substitue le verdict spécial prévu à l'al. 613(1)d).

4.S'il n'y a pas eu d'erreur de droit et si on ne peut dire du verdict qu'il est déraisonnable ou qu'il ne peut s'appuyer sur la preuve, la cour refuse de le modifier. [Renvois omis.]

Avec égards, j'estime que la Cour d'appel, bien qu'elle ait fondé sa décision sur des motifs erronés, a exercé à bon droit le pouvoir discrétionnaire que lui conférait l'ancien al. 613(1)d) du Code. Les faits de l'espèce entraînent l'application du deuxième principe que j'ai résumé dans l'arrêt Mailloux. La défense d'aliénation mentale a été soulevée au procès et, comme je l'ai mentionné précédemment, il y a eu une erreur de droit sous la forme d'une directive erronée sur la question: on a dit au jury que l'intimé ne pouvait pas avoir gain de cause aux termes de la deuxième partie du par. 16(2) si on concluait qu'il était capable de juger que son acte était légalement mauvais. Je suis convaincu que si le jury avait reçu des directives appropriées, conformes à l'arrêt Chaulk de notre Cour, il aurait prononcé un verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale. Étant donné qu'il y a en fait eu une directive erronée, le troisième principe résumé dans l'arrêt Mailloux ne s'applique pas et il n'est pas nécessaire de demander précisément si le verdict était déraisonnable ou ne pouvait être appuyé par la preuve. À mon avis, la Cour d'appel a agi dans le cadre des lignes directrices établies dans l'arrêt Mailloux. Sur ce fondement, je suis d'avis de confirmer l'arrêt de la Cour d'appel.

Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer le verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale prononcé par la Cour d'appel en application de l'ancien al. 613(1)d) du Code criminel.

//Le juge McLachlin//

Version française des motifs des juges L'Heureux-Dubé et McLachlin rendus par

Le juge McLachlin — Il s'agit d'un pourvoi parmi plusieurs concernant les dispositions relatives à l'aliénation mentale contenues à l'art. 16 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. J'ai expliqué dans mes motifs de l'arrêt connexe R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303, en quoi mon opinion différait de celles de mes collègues le juge en chef Lamer et le juge Wilson. Compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, y compris le fait que le présent pourvoi a été entendu le même jour que le pourvoi Chaulk et le fait que le résultat, pour ce qui est de l'accusé, reste le même, je délivre les présents motifs malgré le dépôt antérieur de l'arrêt Chaulk qui lie notre Cour. Conformément à la position que j'ai adoptée dans Chaulk, je suis d'avis de faire quelques brèves remarques sur les questions soulevées en l'espèce.

Le juge en chef Lamer a exposé les questions de la manière suivante:

1.La Cour d'appel du Québec a‑t‑elle erré en droit en appliquant le mot "mauvais" au sens de moralement mauvais à la "qualité de l'acte", à l'article 16(2) du Code criminel?

2.La Cour d'appel du Québec a‑t‑elle erré en droit en se basant sur l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés pour élargir la défense d'aliénation mentale au point de couvrir l'erreur de jugement constituant le mobile ou la justification morale de l'accusé pour commettre un acte criminel?

3.La Cour d'appel du Québec a‑t‑elle erré en droit en appliquant l'al. 613(1)d) [maintenant l'al. 686(1)d)] du Code criminel en l'espèce?

En ce qui a trait à la première question, je souscris à l'opinion du juge en chef Lamer selon laquelle la Cour d'appel a commis une erreur dans son interprétation de la première partie du par. 16(2), c.‑à‑d. l'incapacité de juger la nature et la qualité d'un acte ou d'une omission. Notre Cour a établi clairement à plusieurs occasions que la première partie du par. 16(2) vise l'incapacité de juger la nature et les conséquences matérielles d'un acte ou d'une omission: Cooper c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 1149, Kjeldsen c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 617, R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24. Des facteurs connexes, comme les attributs émotifs d'un accusé (Kjeldsen) ou sa capacité de juger les conséquences pénales associées à un acte ou à une omission (Abbey), ne sont pas pertinents aux termes de la première partie du par. 16(2).

Relativement à la deuxième question exposée par le juge en chef Lamer, l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés mentionné par la Cour d'appel ne peut être utilisé pour modifier la position énoncée précédemment. La seule question soulevée en l'espèce est de savoir si l'accusé souffre d'aliénation mentale au sens du par. 16(2) du Code, et, comme je le dis plus haut, notre Cour a élaboré le critère approprié pour la première partie du par. 16(2) dans les arrêts Cooper, Kjeldsen, et Abbey. Je ne conteste pas que les dispositions du Code criminel doivent être interprétées en conformité avec les valeurs de la Charte, mais je ne suis pas d'accord avec l'utilisation que fait le juge Beauregard de l'art. 7 pour donner en réalité une nouvelle interprétation de la première partie du par. 16(2) en vue d'arriver à un résultat qui n'est pas compatible avec les arrêts antérieurs de notre Cour.

Je souscris à l'opinion du juge en chef Lamer que l'argument fondé sur l'incapacité de l'intimé n'est pertinent qu'à l'égard de la deuxième partie du par. 16(2), c.‑à‑d. l'incapacité de juger qu'un acte ou une omission est mauvais. Pour les motifs que j'ai exprimés dans l'arrêt Chaulk, je suis d'avis que la question à se poser relativement à la deuxième partie du par. 16(2) est de savoir si l'accusé est incapable de juger qu'un acte ou une omission est mauvais, dans le sens qu'il s'agit d'un acte ou d'une omission qu'il ne devrait pas accomplir. Par conséquent, je ne partage pas l'opinion du juge en chef Lamer que le terme "mauvais" au par. 16(2) signifie seulement "moralement répréhensible".

À son procès, l'intimé a été déclaré coupable de meurtre au premier degré par un jury en Cour supérieure du Québec. Le juge du procès a expliqué au jury dans ses directives qu'un accusé souffre d'aliénation mentale au sens du par. 16(2) du Code criminel si, en raison d'une maladie mentale, il n'est pas capable de juger la nature et la qualité d'un acte ou d'une omission ou de savoir que l'acte ou l'omission est légalement mauvais. En déclarant l'intimé coupable, le jury a donc rejeté l'argument de l'aliénation mentale fondé sur les deux parties du par. 16(2). En ce qui a trait à la deuxième partie du par. 16(2), le jury a déterminé que l'intimé était capable de savoir qu'en droit, son acte ne devrait pas être accompli. Cette capacité est suffisante pour soustraire l'intimé à l'application de la deuxième partie du par. 16(2); l'intimé n'est pas une personne incapable de savoir que son acte était mauvais.

Par conséquent, je suis d'avis que le verdict du jury ne peut être modifié. J'estime qu'il n'est pas nécessaire d'examiner la question relative à l'al. 686(1)d) (auparavant l'al. 613(1)d)) du Code criminel.

Je serais d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir le verdict rendu au procès, si je n'étais pas liée par l'arrêt Chaulk.

//Le juge Sopinka//

Version française des motifs rendus par

Le juge Sopinka — Les questions soulevées dans le présent pourvoi ont été réglées dans l'arrêt rendu à la majorité, R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303. Je souscris donc aux motifs du juge en chef Lamer.

Pourvoi rejeté.

Procureur pour l'appelante: Denis Dionne, Alma.

Procureur pour l'intimé: Martin Tremblay, Chicoutimi.

* Juge en chef à la date du jugement.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Moyens de défense - Aliénation mentale - Annulation de la déclaration de culpabilité de l'accusé par la Cour d'appel qui l'a remplacée par un verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale - La Cour d'appel a‑t‑elle fait erreur en appliquant le mot "mauvais" au sens de "moralement répréhensible" à la notion de "qualité de l'acte" à l'art. 16(2) du Code criminel? - La Cour d'appel a‑t‑elle fait erreur en appliquant l'art. 686(1)d) du Code?.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Justice fondamentale - Accusé inculpé pour meurtre au premier degré invoquant la défense d'aliénation mentale - Cour d'appel s'appuyant sur l'art. 7 de la Charte pour étendre la défense d'aliénation mentale aux cas où la "maladie mentale" a un effet sur le mobile ou la justification morale d'un accusé dans la perpétration de l'acte criminel - La Cour d'appel a‑t‑elle fait erreur? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 7 - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 16(2).

L'intimé a été inculpé de meurtre au premier degré. Au procès, il a admis qu'il avait tué la victime mais il a soulevé la défense d'aliénation mentale en application de l'art. 16 du Code criminel. Une preuve non contredite présentée au procès indique que l'intimé souffrait d'une psychose grave. Il croyait au moment du meurtre qu'il agissait selon les ordres de Dieu pour tuer Satan. L'intimé savait que le meurtre était un crime mais il croyait néanmoins que l'acte était nécessaire pour remplir sa mission divine. Le juge du procès a expliqué au jury qu'il devait examiner le moyen de défense d'aliénation mentale, en disant que l'intimé ne devrait pas être déclaré coupable s'il n'était pas capable, en raison de la maladie mentale, de juger la nature ou la qualité de son acte ou de savoir que l'acte était légalement mauvais. Le jury a rejeté la défense d'aliénation mentale et a déclaré l'accusé coupable. La Cour d'appel a annulé la déclaration de culpabilité de l'intimé et l'a remplacée par un verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale. La cour a conclu que l'appréciation de la qualité d'un acte aux fins de la première partie du par. 16(2) comporte l'appréciation du caractère répréhensible de l'acte. La cour a conclu en outre que compte tenu de l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, il fallait donner à l'art. 16 une interprétation assez large pour constituer un moyen de défense pour l'accusé en l'espèce.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Lamer et les juges Wilson, La Forest, Sopinka et Cory: En tenant compte de l'incapacité de l'accusé de juger le caractère moralement répréhensible de l'acte en vertu de la première partie du critère du par. 16(2) du Code, c.‑à‑d. dans le cadre de l'appréciation de la nature ou de la qualité de l'acte, la Cour d'appel a interprété le par. 16(2) d'une façon qui contredit clairement des arrêts antérieurs de notre Cour. La première partie du critère du par. 16(2) protège seulement l'accusé qui, en raison d'une maladie mentale, était incapable de juger les conséquences matérielles de son acte. La Cour d'appel a également fait erreur en utilisant l'art. 7 de la Charte pour modifier l'interprétation établie de cette disposition législative. Cependant l'acquittement de l'accusé est justifié par la deuxième partie du par. 16(2). Il a été démontré au procès et admis par la Cour d'appel que l'accusé souffrait d'une maladie mentale au point qu'il n'était pas capable de juger que l'acte était moralement répréhensible dans les circonstances. Étant donné que le jugement de la majorité de notre Cour dans l'arrêt Chaulk a redéfini le mot "mauvais" au par. 16(2) et lui a attribué le sens de "moralement répréhensible" et non pas d'"illégal" ou de "légalement mauvais", l'accusé aurait dû être acquitté pour cause d'aliénation mentale.

Bien qu'elle ait fondé sa décision sur des motifs erronés, la Cour d'appel a exercé à bon droit son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'al. 686(1)d) du Code. Si le jury avait reçu des directives appropriées, conformes à l'arrêt Chaulk, notre Cour est convaincue qu'il aurait prononcé un verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale.

Les juges L'Heureux‑Dubé et McLachlin: La Cour d'appel a commis une erreur dans son interprétation de la première partie du par. 16(2). La première partie du par. 16(2) vise seulement l'incapacité de juger la nature et les conséquences matérielles d'un acte ou d'une omission. De plus, si les dispositions du Code doivent être interprétées en conformité avec les valeurs de la Charte, la Cour d'appel a commis une erreur en utilisant l'art. 7 de la Charte pour donner en réalité une nouvelle interprétation de la première partie du par. 16(2) en vue d'arriver à un résultat qui n'est pas compatible avec des arrêts antérieurs de notre Cour.

L'argument fondé sur l'incapacité de l'accusé n'est pertinent qu'à l'égard de la deuxième partie du par. 16(2), l'incapacité de juger qu'un acte ou une omission est mauvais. Pour les motifs exprimés par le juge McLachlin dans l'arrêt Chaulk, la question qui doit être posée relativement à la deuxième partie du par. 16(2) est de savoir si l'accusé est incapable de juger qu'un acte ou une omission est mauvais, dans le sens qu'il s'agit d'un acte ou d'une omission qu'il ne devrait pas accomplir. Suivant les directives du juge du procès, le jury a rejeté l'argument de l'aliénation mentale fondé sur les deux parties du par. 16(2). Le jury a déterminé que l'accusé était capable de savoir qu'en droit, son acte ne devrait pas être accompli. Le verdict du jury ne devrait donc pas être modifié. En conséquence, le pourvoi aurait été accueilli mais, comme nous sommes liés par le jugement de la majorité dans l'arrêt Chaulk, le pourvoi doit être rejeté.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Landry

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge en chef Lamer
Arrêts appliqués: R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303
R. c. Mailloux, [1988] 2 R.C.S. 1029
Cooper c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 1149
Kjeldsen c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 617
R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24
arrêt mentionné: Schwartz c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 673.
Citée par le juge Sopinka
Arrêt appliqué: R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303.
Citée par le juge McLachlin
Arrêts appliqués: R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303
Cooper c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 1149
Kjeldsen c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 617
R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 16, 686(1)d) [auparavant art. 613(1)d)].
Doctrine citée
Martin, G. A. "Mental Disorder and Criminal Responsibility in Canadian Law". In Stephen J. Hucker, Christopher D. Webster and Mark H. Ben‑Aron, eds., Mental Disorder and Criminal Responsibility. Toronto: Butterworths, 1981, 15.

Proposition de citation de la décision: R. c. Landry, [1991] 1 R.C.S. 99 (25 janvier 1991)


Origine de la décision
Date de la décision : 25/01/1991
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1991] 1 R.C.S. 99 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1991-01-25;.1991..1.r.c.s..99 ?
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