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28/02/1991 | CANADA | N°[1991]_1_R.C.S._326

Canada | Immeubles port louis ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326 (28 février 1991)


Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326

Les Immeubles Port Louis Ltée Appelante

c.

Corporation municipale du Village

de Lafontaine Intimée

répertorié: immeubles port louis ltée c. lafontaine (village)

No du greffe: 20942.

1990: 27 avril; 1991: 28 février.

Présents: Le juge en chef Lamer* et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka et Gonthier.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1988] R.J.Q. 1239, 23 Q.A.C. 173, qui a co

nfirmé un jugement de la Cour supérieure, J.E. 85‑474. Pourvoi rejeté.

Jean‑Jacques Rainville et Mario St‑Pierre, pour l...

Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326

Les Immeubles Port Louis Ltée Appelante

c.

Corporation municipale du Village

de Lafontaine Intimée

répertorié: immeubles port louis ltée c. lafontaine (village)

No du greffe: 20942.

1990: 27 avril; 1991: 28 février.

Présents: Le juge en chef Lamer* et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka et Gonthier.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1988] R.J.Q. 1239, 23 Q.A.C. 173, qui a confirmé un jugement de la Cour supérieure, J.E. 85‑474. Pourvoi rejeté.

Jean‑Jacques Rainville et Mario St‑Pierre, pour l'appelante.

Stéphane Sansfaçon et Albert Prévost, pour l'intimée.

//Le juge Gonthier//

Le jugement de la Cour a été rendu par

Le juge Gonthier -- Le présent litige porte d'une part, sur les conséquences juridiques du défaut d'une corporation municipale de donner à certains propriétaires de lots affectés, les avis requis à l'adoption de règlements d'emprunt à l'égard d'améliorations locales et d'autre part, sur le recours en nullité de l'art. 33 du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, le délai pour l'exercer et la discrétion à cet égard.

I -- Les faits et procédures

De 1969 à 1978, l'intimée a adopté divers règlements d'emprunt afin de défrayer certains coûts d'améliorations locales. Il s'agissait principalement de travaux d'égout, d'aqueduc et de voirie. Chacun des règlements prévoyait qu'une partie des coûts de certains travaux devrait être supportée au moyen d'une taxe spéciale par les propriétaires d'immeubles d'un secteur donné de la municipalité, dont l'appelante.

En 1977 l'appelante a fait l'acquisition d'un immeuble dans le village de l'intimée. Ce terrain était situé dans un secteur affecté par les règlements d'emprunt. Aucune bâtisse n'était construite ni desservie par les travaux municipaux d'aqueduc ou d'égout qui faisaient l'objet des règlements. Le contrat de vente contenait la clause suivante:

[traduction] La présente vente est assujettie aux modalités suivantes que l'acheteur s'engage à respecter, savoir: --

. . .

2. Payer toutes les taxes et les cotisations qui se rattachent audit bien‑fonds, municipales et scolaires, générales et spéciales, et y compris tous les versements futurs de taxes spéciales, dont le paiement a été étalé sur un certain nombre d'années, à compter du trentième jour de septembre mil neuf cent soixante‑dix‑sept. [Je souligne.]

Entre 1978 et 1983, l'appelante a payé les taxes municipales de base aussi bien que les taxes additionnelles pour les améliorations locales. Les taxes de cette dernière catégorie totalisaient 136 354,46 $.

En 1983, l'appelante a intenté une action en vertu de l'art. 33 du Code de procédure civile en nullité des règlements d'emprunt et en répétition de taxes indûment payées pour les années 1978 à 1983. Elle soutenait principalement que l'intimée n'avait pas suivi les formalités essentielles à l'adoption desdits règlements. Elle ajoutait que l'intimée avait abusé de ses pouvoirs de taxation et que c'est par erreur de droit et sur la seule foi des comptes de taxes qui lui ont été envoyés qu'elle a payé les taxes dont elle réclame le remboursement.

En défense, l'intimée a alors plaidé que les différents règlements d'emprunt attaqués par l'appelante avaient été adoptés pour des travaux d'infrastructure municipale touchant la propriété de cette dernière; qu'elle était au courant de ces faits depuis plusieurs années et ne s'en était jamais plaint; que les avis donnés par l'intimée relatifs aux règlements adoptés étaient suffisants et que l'action était tardive.

La Cour supérieure a rejeté l'action, J.E. 85-474, et sa décision fut confirmée par la Cour d'appel, [1988] R.J.Q. 1239.

II -- Les dispositions législatives pertinentes

Les dispositions législatives utiles pour résoudre le présent litige sont les art. 684a (avant et après la modification de 1979) et 758 (avant et après la modification de 1975) du Code municipal, ainsi que l'art. 33 du Code de procédure civile.

Code municipal

L'article 684a fixait le pouvoir du conseil municipal d'imposer une taxe spéciale pour le paiement de travaux municipaux. Le voici tel qu'il se lisait avant la modification législative de 1979:

684a. Le conseil peut imposer la taxe spéciale pour le paiement de travaux municipaux de toute nature, y compris les travaux d'entretien, soit sur la base de l'évaluation municipale, soit sur la superficie, soit sur l'étendue en front des biens-fonds imposables assujettis à cette taxe. Lorsqu'il s'agit de lots qui sont situés à un carrefour ou qui ne sont pas rectangulaires, le conseil peut fixer l'étendue en front pour fins d'imposition, en tenant compte à la fois de l'étendue en front et de la superficie.

Le conseil peut aussi mettre le coût de ces travaux soit entièrement à la charge de la corporation, soit à la fois à sa charge et à celle des contribuables d'une ou de plusieurs parties de la municipalité, dans les proportions que détermine le règlement.

À partir de 1979, l'art. 684a (disposition aujourd'hui reprise dans l'essentiel par l'art. 979 du Code municipal du Québec, L.R.Q., ch. C-27.1) se lisait comme suit:

684a. Le conseil peut imposer la taxe spéciale pour le paiement de travaux municipaux de toute nature, y compris les travaux d'entretien, soit sur la base de l'évaluation municipale, soit sur la superficie, soit sur l'étendue en front des biens-fonds imposables assujettis à cette taxe. Lorsqu'il s'agit de lots qui sont situés à un carrefour ou qui ne sont pas rectangulaires, le conseil peut fixer l'étendue en front à des fins d'imposition, selon la formule qu'il juge appropriée.

Le conseil peut aussi mettre le coût de ces travaux soit entièrement à la charge de la corporation, soit à la fois à sa charge et à celle des contribuables d'une ou plusieurs parties de la municipalité, soit entièrement à la charge des contribuables d'une ou plusieurs parties de la municipalité, dans les proportions que détermine le règlement. [Je souligne.]

L'article 758 prescrivait les procédures de publicité entourant les règlements d'emprunt des corporations. Jusqu'en 1975, il prévoyait ceci:

758. 1. Les emprunts des corporations par émissions de bons ou autrement et les émissions de bons pour fins de paiement ou d'aide ne sont faits que sur un règlement à cet effet qui doit, pour entrer en vigueur et devenir exécutoire, être approuvé par les électeurs municipaux propriétaires d'immeubles imposables, conformément au présent article et subséquemment autorisé par le ministre des affaires municipales.

2. Une assemblée publique des électeurs municipaux propriétaires d'immeubles imposables doit être tenue, après l'adoption d'un tel règlement, au lieu, au jour et à l'heure fixés par le conseil à cette fin.

3. Cette assemblée doit être tenue entre sept heures et dix heures du soir, au plus tard le trentième jour de la date de l'adoption du règlement, après un avis de convocation d'au moins dix jours francs donné par le secrétaire-trésorier. [Je souligne.]

En 1975, une modification à l'art. 758 (Loi modifiant le Code municipal, L.Q. 1975, ch. 82, art. 35) fit apparaître le para. 4 qui se lisait ainsi:

4. L'avis public doit mentionner:

a) le numéro, le titre et l'objet du règlement ainsi que la date de son adoption par le conseil; en outre, lorsque le règlement impose une taxe spéciale sur les immeubles d'un secteur ou d'une zone de la municipalité à l'exclusion de tous les autres ou de quelques autres, l'avis doit clairement décrire le périmètre de ce secteur ou de cette zone en utilisant, pour autant que faire se peut, le nom des rues ou les noms ou numéros des chemins, selon le cas;

Code de procédure civile

33. À l'exception de la Cour d'appel, les tribunaux relevant de la compétence de la Législature du Québec, ainsi que les corps politiques et les corporations au Québec, sont soumis au droit de surveillance et de réforme de la Cour supérieure, en la manière et dans la forme prescrites par la loi, sauf dans les matières que la loi déclare être du ressort exclusif de ces tribunaux, ou de l'un quelconque de ceux-ci, et sauf dans les cas où la juridiction découlant du présent article est exclue par quelque disposition d'une loi générale ou particulière.

III -- Les décisions des tribunaux des instances inférieures

Cour supérieure

Le juge Michaud note d'abord, qu'en vertu du Code municipal, le recours en cassation d'un règlement municipal au motif d'illégalité est assujetti à une prescription de trois mois alors que l'action directe en nullité de l'art. 33 du Code de procédure civile est soumise à la prescription trentenaire de l'art. 2242 du Code civil du Bas-Canada.

Il constate que l'appelante a intenté l'action plus de cinq ans après l'adoption du dernier règlement contesté et qu'elle a acheté sa propriété en connaissant les taxes spéciales comme en fait foi la clause spécifique de l'acte de vente. De plus, il signale que l'appelante a même écrit à la municipalité dans le but de déterminer comment elle pourrait tirer un meilleur profit des services municipaux.

Le juge de première instance déclare alors que malgré la prescription trentenaire de l'action directe en nullité, la Cour supérieure peut exercer sa discrétion et refuser d'intervenir si le plaignant a fait preuve d'un manque de diligence dans la contestation. Après avoir cité diverses autorités, notamment Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec c. Pillin, [1983] C.A. 277, Cité de Sillery v. Sun Oil Co., [1962] B.R. 914, confirmé par [1964] R.C.S. 552, et Comité de citoyens et d'action municipale de St-Césaire Inc. c. Ville de St-Césaire, [1985] C.S. 35, confirmé par [1986] R.J.Q. 1061 (C.A.), le juge conclut que l'action en nullité doit être intentée dans un délai raisonnable et que la tardiveté est dans l'espèce évidente. Il ajoute qu'accorder une annulation plus de cinq ans après la mise en vigueur du plus récent règlement compromettrait la stabilité des finances municipales.

Selon le premier juge, les lettres envoyées par l'appelante à la corporation municipale, la clause au contrat de vente et le paiement des taxes d'amélioration tendent à démontrer que celle-ci avait connaissance des règlements bien avant d'intenter l'action. Conséquemment, le fait d'avoir attendu si longtemps avant d'intervenir constitue une renonciation tacite à son droit de contester les règlements. Il rejette donc l'action.

Cour d'appel

Le juge Lévesque (ad hoc)

Le juge Lévesque circonscrit le litige à deux questions que le juge de la Cour supérieure n'a pas eu à traiter en profondeur (à la p. 1240):

1. Est-ce que les règlements entrepris sont ultra vires du Code municipal ou du moins sont-ils applicables à l'appelante?

2. L'insuffisance des avis publics de convocation d'électeurs constitue-t-elle un motif suffisant pour que la Cour supérieure intervienne pour annuler les règlements attaqués?

Sur le premier point le juge Lévesque conclut que les règlements étaient autorisés par l'art. 684a du Code municipal et non par l'art. 697 contrairement à la prétention de l'appelante. Il déclare que le pouvoir discrétionnaire du conseil municipal ne saurait être contrôlé en l'absence de fraude ou de grave violation à la loi. Le juge Lévesque ajoute que la vocation première des immeubles était résidentielle et s'est perpétuée. Il était donc raisonnable pour les autorités municipales de prévoir l'extension des services aux immeubles de l'appelante et que cette dernière en bénéficierait. Le but de ces travaux était raisonnable puisqu'il s'agissait de desservir un secteur à plus ou moins long terme et de servir également à son développement.

Statuant sur la question de la suffisance des avis publics, le juge cite l'arrêt City of Beaconsfield c. Bagosy (1974), [1982] J.M. 92, qui reconnaît qu'un avis insuffisant est une raison valable pour annuler un règlement. Le juge Lévesque déclare que l'insuffisance des avis n'est pas une cause de nullité absolue mais un événement unique donnant lieu à l'application de la discrétion judiciaire.

Il note que dans le présent cas, tous les règlements ont été adoptés depuis plus de cinq ans, les travaux exécutés, les obligations émises et les taxes payées sans protêt. De surcroît, l'appelante n'a pas justifié son retard à exercer le recours alors que la mention des taxes dans l'acte de vente constitue une présomption de connaissance. Il considère que le premier juge a correctement exercé sa discrétion et confirme sa décision selon laquelle l'appelante a renoncé à son droit d'invoquer l'insuffisance des avis.

Le juge Tyndale

Sans se prononcer sur le fond, le juge Tyndale considère l'action tardive et à l'instar du juge Lévesque rejette l'appel.

Le juge Jacques, dissident

Le juge Jacques indique d'abord que la loi nécessite que les avis décrivent suffisamment "les propriétaires d'immeubles imposables". Or, les lots dont l'appelante est propriétaire ne sont pas mentionnés dans quatre des avis contestés (règlements 96, 104, 117 et 135). Quant au règlement 70, il est inexécutoire, le défaut de tenir l'assemblée dans les trente jours ayant vicié la procédure. Selon lui ces illégalités suffisent à déplacer le fardeau de preuve sur la corporation intimée. Le juge note que l'arrêt City of Beaconsfield c. Bagosy, précité, a déjà établi qu'un avis est une condition essentielle à la validité d'un règlement de zonage et non une simple irrégularité. Il écrit à la p. 1244:

Je suis d'avis qu'il en est de même quant à l'imposition d'une taxe foncière à l'égard des immeubles qui n'ont pas été indiqués dans l'avis public aux électeurs municipaux propriétaires des immeubles imposables. Le règlement n'est pas alors "exécutoire" quant aux immeubles omis, même s'il peut l'être à l'égard des immeubles indiqués à l'avis.

Le juge Jacques signale que les éléments retenus par le premier juge ne sauraient révéler un acquiescement, puisqu'il faut une connaissance expresse ou présumée de ce à quoi on acquiesce. Il conclut finalement que le délai n'est pas excessif et ne constitue pas une renonciation tacite si on le compare au délai de cinq ans que le législateur a fixé pour la prescription de l'action en recouvrement de taxes indûment payées. De plus, ce délai ne cause aucun préjudice à la municipalité dont la seule obligation est de rembourser une somme qu'elle n'aurait pas dû percevoir. Il est donc d'avis que le droit au remboursement d'une somme indûment payée l'emporte sur la stabilité des finances municipales.

IV -- Les questions en litige

Les questions en litige peuvent être résumées comme suit:

1. L'adoption des règlements contestés était-elle conforme à la loi?

a)Est-ce que l'art. 684a permet à l'intimée d'imposer une taxe spéciale à l'appelante sans assumer les coûts en partie?

b)Est-ce que l'intimée a satisfait aux exigences légales concernant les avis?

2.Quelles sont les conséquences juridiques de l'insuffisance des avis publics de convocation des électeurs?

3.Eu égard à la nature de l'illégalité commise, la Cour supérieure avait-elle discrétion pour rejeter une action directe en nullité pour motif de tardiveté?

4.Dans l'affirmative, la Cour supérieure a-t-elle valablement exercé sa discrétion eu égard aux circonstances de l'espèce?

J'examinerai quelle est la nature du vice reproché et ses conséquences juridiques à savoir si elle donne ouverture à contrôle judiciaire. Je discuterai ensuite de la nature du remède applicable en l'espèce.

V -- L'analyse

A. L'adoption des règlements contestés était-elle conforme à la loi?

1. L'article 684a du Code municipal

Devant la Cour d'appel, l'appelante avait soulevé un moyen qu'elle a abandonné depuis. Elle prétendait que le pouvoir de l'intimée d'imposer une taxe spéciale reposait sur l'art. 697 du Code municipal. Cet article est plus restrictif que l'art. 684a du Code municipal. La Cour d'appel a rejeté cet argument et l'appelante admet devant nous que l'intimée agissait en vertu de l'art. 684a. Sur cette base, elle conteste maintenant la répartition des coûts effectuée par la corporation qui ne serait pas conforme à l'article. Selon elle, la disposition ne permet pas à la corporation d'imposer une taxe spéciale sans supporter, du moins en partie, le fardeau financier. L'appelante s'appuie sur la modification législative de 1979 qui a ajouté au second paragraphe que la répartition des coûts pouvait être "entièrement à la charge des contribuables d'une ou plusieurs parties de la municipalité" ainsi que sur le silence du législateur à ce sujet avant la modification. Elle soutient donc qu'à l'époque de l'adoption des règlements contestés, la corporation était obligée d'assumer au moins une partie du fardeau financier. Sa prétention suppose que l'article se divise en deux parties, la première traiterait des bases de taxation alors que la deuxième viserait le mode de répartition du coût.

Cet argument n'est pas plus valable que celui qui fut présenté en Cour d'appel. L'article 684a, tel qu'il se lisait avant la modification de 1979, autorise clairement, dans son premier paragraphe, l'imposition d'une taxe spéciale et laisse le choix de plusieurs bases de répartition: l'évaluation municipale, la superficie et l'étendue en front des biens-fonds imposables assujettis à cette taxe. Il n'y a nulle mention d'une quelconque contribution de la corporation. Cette possibilité n'est mentionnée qu'au second paragraphe commençant avec les mots "Le conseil peut aussi mettre le coût de ces travaux . . .". (Je souligne.) Je ne suis pas d'accord avec la lecture de la disposition qu'effectue l'appelante et la division qui en résulte. L'article en entier expose la répartition des coûts et le second paragraphe par l'insertion du mot "aussi" annonce des pouvoirs additionnels en la matière. L'article envisage en premier lieu le paiement par les propriétaires d'immeubles et en second lieu traite des variations apportées à ce mode. La modification de 1979 n'a fait que clarifier un pouvoir que la municipalité avait déjà en vertu du premier paragraphe. Cet argument est rejeté.

2. L'absence d'avis aux propriétaires des lots P-215a et P-237

L'appelante soutient que les règlements d'emprunt de l'intimée furent adoptés sans que ne soient suivies les formalités essentielles prévues à cette fin par la loi en matière d'avis, niant ainsi à l'appelante son droit d'être entendue. Pour les cinq premiers règlements, soit les règlements numéros 70, 77, 96, 104 et 117, adoptés entre le 22 janvier 1969 et le 31 juillet 1975, lesdites formalités étaient prévues à l'époque par l'art. 758 du Code municipal. Le paragraphe 1 spécifiait que le règlement "doit, pour entrer en vigueur et devenir exécutoire, être approuvé par les électeurs municipaux propriétaires d'immeubles imposables". Cette approbation devait se faire par assemblée publique et selon le par. 3, avoir lieu "au plus tard le trentième jour de la date de l'adoption du règlement" alors que les électeurs devaient avoir reçu un "avis de convocation d'au moins dix jours francs". La loi prévoyait donc que le groupe des propriétaires d'immeubles imposables était une composante essentielle du processus réglementaire. L'avis de convocation des propriétaires intéressés devait permettre à ceux-ci de se reconnaître afin de faire valoir leurs points de vue lors de l'assemblée des propriétaires tenue en présence du maire. En ce qui concerne le règlement numéro 135 adopté le 23 mai 1978, le conseil devait en plus satisfaire aux conditions édictées par le par. 758(4), c'est-à-dire offrir une description claire du périmètre visé.

La plupart des avis publics de convocation contestés n'indiquent pas les immeubles de l'appelante parmi ceux visés par les règlements d'emprunt. À l'instar des juges de la Cour d'appel, je considère la désignation contenue aux avis publics comme nettement insuffisante et ne remplissant pas les conditions de l'art. 758 du Code municipal. L'intimée a manqué à son obligation d'informer et d'entendre l'appelante lors de l'adoption des règlements, portant ainsi atteinte à la loi et à la règle audi alteram partem.

B. Les conséquences juridiques de l'insuffisance des avis

La compétence du conseil en soi n'est pas mise en cause mais il s'agit d'une modalité dans l'exercice de ses pouvoirs, soit le défaut de respecter une condition préalable légale: le préavis aux propriétaires de certains lots visés. Y a-t-il là plus qu'une simple irrégularité parce que ce vice touche un droit important, celui d'être informé, entendu et de pouvoir participer à un vote? Et puisque ce droit est attaché à certaines personnes et qu'il n'intéresse qu'eux, est-il susceptible d'être l'objet d'une renonciation de leur part?

La réponse à ces questions est importante car, comme nous le verrons, elle peut être déterminante du recours disponible et en conséquence des modalités du remède auquel il donne droit. Elle emportera la décision à rendre sur le pourvoi. Pour bien en saisir la portée, il y a d'abord lieu d'identifier les principales atteintes possibles aux droits du contribuable, leur nature et la classification qu'en ont fait nos tribunaux d'une part et les recours qu'ils ont reconnu au contribuable dans chaque cas. Il est en effet important dans cette analyse de garder à l'esprit la distinction entre le droit et le recours comme le souligne fort à propos de Smith dans Judicial Review of Administrative Action (4e éd. 1980), à la p. 422:

[traduction] La question de savoir si le tribunal était incompétent est une chose; celle de savoir si le tribunal compte tenu de la conduite du requérant aurait dû en application de son pouvoir discrétionnaire annuler les procédures, en est une autre. La confusion dans le droit actuel résulte dans une large mesure du défaut de reconnaître qu'il s'agit de deux questions distinctes.

1. Illégalités: ultra vires ou irrégularités

Constatons d'abord que la jurisprudence qualifie ces atteintes en fonction des recours prévus dans nos lois selon qu'il s'agit du recours en cassation prévu aux lois municipales ou ceux invoquant le pouvoir de surveillance et de contrôle des cours supérieures. En effet, les art. 689 et suiv. du Code municipal du Québec comme les art. 397 et suiv. de la Loi sur les cités et villes établissent un recours en cassation, pour cause d'illégalité, à l'encontre de certains actes municipaux et l'assujettissent à une prescription de trois mois. Néanmoins, les tribunaux ont statué que le défaut d'exercer ce recours n'avait pas pour effet de purger toutes les illégalités et ils ont établi des catégories de vices qui relèvent du pouvoir de surveillance de la Cour supérieure. Dans un article intitulé "Aspects contentieux de la résolution et du règlement en droit municipal" (1986), 46 R. du B. 627, le professeur Gilles Rousseau fait une étude détaillée des distinctions jurisprudentielles développées pour sanctionner les illégalités les plus graves au cas où le droit au recours particulier est déchu. À la page 651, il écrit:

Très rapidement au début du siècle, la jurisprudence, après avoir accepté que certains vices pouvaient être soulevés hors délai, a été placée devant l'obligation conséquente de départager les illégalités, d'identifier celles qui franchiraient la barrière et celles qui ne passeraient pas. C'est ainsi que l'on vit apparaître une première distinction entre l'illégalité, incluant les "informalités" et les "irrégularités", et les cas d'ultra vires.

Nos tribunaux ont admis l'action directe en nullité et la requête en jugement déclaratoire en matière d'ultra vires. Avec le temps, la disponibilité de ces recours a été étendue à certains vices se situant en deçà de l'absence de compétence initiale. Il est ainsi devenu plus difficile de circonscrire la notion d'ultra vires. On retrouve dans la jurisprudence nombre de qualificatifs dont le sens n'est pas constant et varie avec le contexte de leur emploi tels nullité absolue ou relative, abus et excès de pouvoir ou pures et simples illégalités, informalités ou irrégularités.

Au départ, ces distinctions entre les divers types d'illégalités servaient à décider du recours approprié et à permettre une extension du délai de contestation. Le professeur Rousseau fait état de l'utilité de ces distinctions selon la nature des illégalités. Aux pages 652 et 653 de l'article précité, il note:

Les intérêts que la jurisprudence attache à la distinction sont tous liés à la gravité particulière que présente le vice d'ultra vires: l'idée générale est qu'il justifie un élargissement et un prolongement de la contestation. Les recours offerts par le droit commun, principalement l'action en nullité, mais aussi aujourd'hui la requête pour jugement déclaratoire, peuvent être utilisés malgré l'existence des recours spéciaux en cassation; ils sont encore recevables nonobstant l'expiration du délai de trois mois qui leur est assigné; la possibilité d'invoquer la nullité d'une décision municipale en défense ou par voie d'exception a quelquefois été liée à l'ultra vires; suivant certains arrêts récents, la présence de l'excès de juridiction ou de l'ultra vires permettrait encore d'exercer l'action en nullité dans toute l'étendue du délai de trente ans prévu par le droit commun (art. 2242 C.c.), alors que si la décision contestée est plutôt affectée d'abus de pouvoir, le tribunal peut exercer une discrétion et rejeter le recours même s'il respecte ce délai. Enfin, les conditions relatives au demandeur ou concernant l'intérêt requis (art. 55 C.p.c.) sont assouplies; l'ultra vires donne ouverture aux recours exercés par les contribuables ou les électeurs municipaux en vertu de l'article 33 C.p.c., même s'ils n'établissent pas un préjudice spécial ou distinct.

En ce qui concerne les moyens de contestation, la distinction entre l'illégalité et l'ultra vires a surtout été utilisée pour maintenir la contestation pour vice de forme à l'intérieur de trois mois et pour dégager de cette restriction l'action qui allègue ultra vires ou incompétence.

Cette utilisation diverse des notions dans la jurisprudence comporte une confusion entre le droit et le recours, laquelle sous-tend la prétention de l'appelante que, puisque dans l'espèce il s'agit d'une nullité absolue, la Cour supérieure n'a aucune discrétion pour rejeter le recours pour motif de tardiveté.

S'il est vrai que certains juges ont distingué entre nullité absolue et nullité relative, c'était surtout pour permettre la sanction hors délai des illégalités graves et assujettir à une courte prescription la contestation de simples informalités et irrégularités. Aucun des jugements cités par l'appelante ne nie la discrétion que possède la cour de rejeter le recours, même présenté dans le délai de prescription de trente ans, si elle le juge néanmoins tardif.

Voyons de plus près la jurisprudence, la classification qu'elle a fait des atteintes aux droits du contribuable et les conséquences qu'elle y a attribuées. "Illégalité" est le terme générique englobant tout acte non conforme à la loi. Dans Trudeau v. Devost, [1942] R.C.S. 257, le juge Taschereau affirmait à la p. 265: "La résolution ultra vires est illégale mais la résolution illégale n'est pas nécessairement ultra vires." Dans cet arrêt, notre Cour concluait que c'est seulement si l'acte est ultra vires qu'il y a ouverture à l'action directe en nullité. On peut lire à la p. 262:

La jurisprudence est unanime et maintenant parfaitement établie que, quand il s'agit d'illégalité, tout contribuable peut recourir à cette procédure spéciale indiquée par la loi, dans les délais stipulés, mais que quand il s'agit d'actes ultra vires il y a toujours le recours en vertu de l'article 50 du Code de Procédure Civile, pour faire constater l'existence de la nullité absolue. Le défaut de juridiction entraîne cette nullité absolue . . . Dechène v. Cité de Montréal, [1894] A.C. 640; Toronto Railway Co. v. Corp. de Toronto, [1904] A.C. 809; Shannon Realties Ltd. v. Ville de St-Michel, [1924] A.C. 185; Donohue Bros. v. La Malbaie, [1924] R.C.S. 511. [Souligné dans l'original.]

Il ne suffisait donc pas d'alléguer une illégalité, encore fallait-il prouver un acte ultra vires pour prétendre passer outre les procédures spéciales édictées pour la contestation des actes des corporations municipales. Le Conseil privé dans Dechène v. City of Montreal, [1894] A.C. 640, décidait déjà que la requête en cassation était le recours approprié et rejeta le moyen de l'action directe en nullité pour la sanction d'une illégalité simple qualifiée d'irrégularité. Trente ans plus tard, ce même tribunal dans Shannon Realties, Ltd. v. Ville de St. Michel, [1924] A.C. 185, réitère ce principe tout en confirmant la décision de notre Cour. Le recours à l'action directe en nullité était exclu pour contester des évaluations faites selon des principes erronés ou des méthodes fautives parce que la loi avait créé des mécanismes spéciaux de contestation par voie d'appel. Lord Shaw signale aux pp. 194 et 195:

[traduction] Il s'ensuit que le pourvoi fondé sur l'art. 50 du Code de procédure civile est rejeté, non pas parce qu'un redressement a été refusé, mais parce que le redressement expressément prévu et écarté de façon prohibitive a été ignoré.

Par contre, le juge Mignault dans Donohue Bros. v. Corporation of the Parish of St. Etienne de La Malbaie, [1924] R.C.S. 511, a conclu à l'excès de juridiction et au droit de recourir à l'action directe en nullité face à un rôle d'évaluation dans lequel la corporation avait évalué des machines comme parties intégrantes d'un moulin contrairement à ce que prescrivait la loi. Le juge Mignault prend grand soin de distinguer ce cas, de Shannon Realties, Ltd. v. Ville de St. Michel, précité, où une surévaluation ne donnait pas lieu à une allégation d'ultra vires.

La Cour d'appel appliquait cette règle. Dans Tremblay v. Corporation des Éboulements (1923), 35 B.R. 474, le juge Allard écrit à la p. 479:

Il est de jurisprudence bien établie que lorsqu'il s'agit d'une illégalité qui n'affecte pas la juridiction du conseil, les contribuables qui ont à se plaindre doivent le faire par action en cassation.

Il endosse ainsi la position du juge Sévigny de la Cour supérieure du Saguenay qui avait déclaré en première instance:

Considérant que le droit de surveillance et de réforme sur les corps politiques et les corporations, donné à la Cour supérieure, ne s'applique qu'au cas de nullité absolue, d'actes ultra vires ou d'actes qui consacrent des décisions arbitraires, oppressives et abusives, et non au cas d'illégalités provenant d'informalités et d'irrégularités, qui peuvent être réformées en recourant au mode spécial indiqué par la loi, lorsqu'il y en a un;

Dans Corporation de la paroisse de St-Joseph de Maskinongé v. Boucher (1926), 41 B.R. 359, on a considéré que le recours à l'art. 50 du Code de procédure civile (aujourd'hui l'art. 33) ne pouvait être accueilli que pour faire invalider un acte affecté d'une nullité radicale. La cour rejeta donc l'action directe vu l'absence de preuve sur le caractère arbitraire et oppressif de l'acte. Aux pages 361 et 362, le juge Rivard commenta:

On discute encore sur la détermination des cas où la Cour supérieure peut exercer sur les corporations municipales le droit de surveillance, de réforme et de contrôle que lui donne cet article 50. On discutera sans doute longtemps, parce qu'il paraît difficile de formuler la règle d'une manière exacte et précise: trop d'éléments concourent à faire varier la solution, suivant les circonstances particulières de chaque espèce. Il est certain que le recours existe, en principe, dans les cas où un conseil municipal a agi dans une matière qui n'était pas de sa compétence, lorsqu'il a outrepassé ses pouvoirs ou empiété sur une juridiction qui n'était pas la sienne. Mais, quand il faut juger si un abus de pouvoir doit être assimilé à un excès de pouvoir, la solution est moins certaine, parce que des circonstances diverses doivent être prises en considération, et il en est de même lorsqu'on allègue une injustice flagrante, voisine de la fraude et indice de mauvaise foi. En somme, le plus loin qu'il semble qu'on puisse aller, ce serait de dire que le recours de l'article 50 doit être accueilli, lorsque, à cause d'un défaut de compétence, d'une fraude, d'un vice flagrant équivalant à un excès de pouvoir, ou d'une violation évidente de la loi, l'acte attaqué doit être considéré comme frappé d'une nullité radicale.

Déjà au premier quart de notre siècle, une définition précise de l'ultra vires était difficile à établir. Le juge en chef Lamothe formule certains principes dans Ville de La Tuque v. Desbiens (1919), 30 B.R. 20. La municipalité avait commis une série d'actes dont on recherchait la nullité par l'action directe du Code de procédure civile. La déclaration de principe du Juge en chef que l'on trouve en p. 21 fut reprise maintes fois par nos tribunaux:

Deux grands principes ont été affirmés dans des décisions antérieures; ce sont les deux phares qui doivent nous guider: Quand il s'agit d'une nullité absolue, on peut toujours recourir à l'article 50 C. proc. Quand il s'agit d'illégalités provenant d'informalités, et d'irrégularités, il faut recourir au mode spécial indiqué par la loi, lorsqu'il y en a un.

Il n'est pas toujours facile de distinguer si un acte municipal attaqué est nul absolument ou s'il est simplement annulable. Quelquefois cette distinction apparaît clairement; d'autres fois, elle reste confuse et nuageuse. Si un conseil municipal entreprend un commerce sans que le pouvoir exprès lui en ait été donné, on n'hésite pas à déclarer cette entreprise ultra vires. Si un conseil municipal fait un acte qui entre, strictement parlant, dans la limite de ses pouvoirs, mais qu'il fait cet acte autrement que la loi lui prescrit de le faire, les distinctions commencent. Les tribunaux ont souvent annulé des décisions municipales comportant une injustice criante à l'égard d'un ou de plusieurs contribuables; le fait qu'une décision apparaît arbitraire, oppressive et abusive, peut porter les tribunaux à la considérer comme nulle ab initio. La tendance de la jurisprudence a été de considérer un abus criant de pouvoir comme équivalent à un excès de pouvoir. Les mots ultra vires ont reçu par là une signification plus large.

2. L'ultra vires: ses diverses manifestations

On voit donc qu'en droit municipal, l'ultra vires réfère aux vices les plus graves. L'expression signifie à "l'extérieur de la compétence" et peut être synonyme de nullité absolue. Il nous faut cerner de plus près le traitement jurisprudentiel des motifs d'intervention de la Cour supérieure par le biais de son pouvoir de contrôle et de surveillance, pour distinguer l'absence, l'abus et l'excès de pouvoir afin de décider où se situe la présente espèce et la façon dont on peut ou doit en disposer.

a) L'absence de compétence

Créature de la loi, une municipalité ne possède que les pouvoirs qui lui ont été délégués expressément ou qui découlent directement de pouvoirs ainsi délégués. Agir autrement constitue une atteinte à l'existence même du pouvoir puisque l'autorité administrative n'a aucune compétence pour agir comme elle le fait. Cette incompétence peut avoir trait à la matière, le territoire ou la personne. En droit municipal, la plupart des illustrations de cette situation se retrouvent en matière de taxation.

Dans Abel Skiver Farm Corp. c. Ville de Ste-Foy, [1983] 1 R.C.S. 403, notre Cour a rappelé les principes à suivre pour déterminer le recours approprié face à l'illégalité alléguée. Tenant compte de la spécificité de l'acte, le juge Beetz a envisagé la question sous la forme de deux hypothèses. Si la municipalité a employé une méthode fautive ou un principe erroné d'évaluation, le contribuable qui s'abstient ou néglige d'avoir recours aux moyens expéditifs et spéciaux qui lui sont fournis par la loi, sera irrecevable à contester le rôle d'évaluation (voir Shannon Realties, Ltd. v. Ville de St. Michel, précité). Par contre, si elle a évalué pour fins d'imposition un objet exempt d'impôt, on tiendra alors que son geste est ultra vires et sans compétence et qu'il peut être attaqué devant les tribunaux supérieurs de droit commun (voir Donohue Bros. v. Corporation of the Parish of St. Etienne de La Malbaie, précité). Après avoir formulé ces principes, le juge Beetz considéra l'objet du pourvoi. Comme l'action visait à faire annuler les rôles d'évaluation et de perception quant à la terre de l'appelante qui avait été évaluée en tant qu'immeuble ordinaire, alors qu'elle aurait dû être reconnue comme "terre en culture" au sens de l'art. 523 de la Loi des cités et villes, il estima que la ville avait évalué un bien exempt d'impôt et commis par là un acte ultra vires n'ayant pas compétence sur un bien de cette sorte.

L'arrêt Montreal Light, Heat & Power Cons. v. City of Westmount, [1926] R.C.S. 515, applique la même règle. La cité de Westmount avait poursuivi en recouvrement de taxes municipales et scolaires une compagnie d'électricité. En défense, cette dernière invoqua l'illégalité de l'imposition. En effet la ville avait inclus des compteurs d'électricité dans l'évaluation des biens de la compagnie. Or, ces compteurs étaient de par leur nature exempts d'impôt puisque non seulement ils étaient des biens meubles mais ils étaient placés temporairement chez les abonnés. Même si le contribuable n'avait ni attaqué le rôle d'évaluation ni interjeté appel suivant la Loi des cités et villes et la Loi de l'instruction publique, la Cour a rejeté la poursuite et invalidé le rôle dans sa totalité. Il était clairement hors la compétence de la municipalité de les taxer.

Dans Soeurs Dominicaines de l'Enfant-Jésus v. Corporation de la paroisse St-Colomb-de-Sillery (1928), 45 B.R. 101, on contesta l'imposition d'une propriété appartenant à une institution de charité et destinée à hospitaliser des prêtres retirés alors que la loi exemptait ce type d'immeubles. La Cour d'appel a distingué parmi les allégations des appelantes entre des motifs de simples illégalités et des motifs d'ultra vires. Le juge Létourneau déclare à la p. 111:

Un seul des moyens d'appel peut être retenu: l'ultra vires; les autres ne pouvaient donner lieu à l'action qui a été prise, celle de l'article 50 C. proc. Dans la cause de L'Oeuvre du Patronage de St-Hyacinthe v. La Cité de St-Hyacinthe, il s'agissait plutôt d'une fin de non recevoir basée sur l'inaccomplissement d'une formalité préalable essentielle et qui était imposée par le statut même: le Patronage ne pouvait être assujetti au paiement de la taxe dont il s'agissait que si, au préalable, on lui avait fourni une facture du coût des travaux avec, à l'appui, les pièces justificatives, et l'on ne s'était pas conformé à cette obligation.

Dans l'espèce, il faut reconnaître que la loi (art. 693 C. mun.) exempte en principe les propriétés de la communauté appelante, et ceci est suffisant pour nous permettre de dire que, sauf l'exception que nous trouvons au texte, la corporation est sans pouvoir quant à la taxation de ces propriétés.

. . .

Sauf le cas d'exception dont j'ai déjà parlé, la corporation est sans droit et incompétente; d'où l'ultra vires.

Considérant que l'acte reproché à la municipalité était de la nature d'une "nullité radicale ab initio: absence totale de pouvoir", la cour conclut que la congrégation était justifiée de recourir à l'action directe en nullité.

On retrouve la formulation du précepte dans Brown v. Corporation of the Village of Asbestos (1929), 67 C.S. 531. En l'espèce la corporation avait taxé un travailleur demeurant à l'extérieur de la municipalité et n'y venant que pour travailler. La corporation n'avait aucune compétence sur les non-résidents et avait posé là un acte clairement ultra vires qui pouvait être attaqué devant la Cour supérieure à tout moment. Le juge White de la Cour supérieure déclare à la p. 533 de ses notes:

[traduction] Il semble clair que si la partie du règlement contesté est ultra vires, elle peut être attaquée devant la Cour supérieure à tout moment par une personne intéressée. Il serait difficile de croire qu'un règlement qui outrepassait la compétence législative d'une corporation deviendrait légal s'il n'était pas contesté dans un délai de trois mois.

L'absence de compétence est la plus nette des formes d'ultra vires mais comme le rappellent les auteurs Pépin et Ouellette (Principes de contentieux administratifs (2e éd. 1982), à la p. 88), les tribunaux ont étendu le contrôle judiciaire de droit commun en appliquant la notion d'ultra vires à des conditions ne régissant plus seulement l'existence de la compétence d'agir mais des modalités de son exercice. Ainsi même si à l'origine l'organe administratif a pleine compétence sur la matière, le territoire ou la personne, les gestes posés en cours d'exercice de cette compétence peuvent affecter sa juridiction. C'est alors qu'on dira d'un acte qu'il constitue un abus ou un excès de pouvoir.

b) L'abus de pouvoir

Une municipalité doit exercer ses pouvoirs en poursuivant les fins voulues par le législateur. Elle entache ses actes et décisions si elle abuse de son pouvoir discrétionnaire. Un acte municipal posé à des fins déraisonnables ou condamnables ou à des fins non prévues par la loi est nul. Cette illégalité ne résulte pas de la violation de textes précis mais dérive de limites imposées par les tribunaux au pouvoir discrétionnaire de l'administration et touche le fond de la décision contestée puisque ce sont les motifs de l'acte qu'il faut évaluer. C'est ainsi que les tribunaux vérifieront si l'acte est frauduleux, discriminatoire, injuste ou empreint de mauvaise foi. Auquel cas il sera qualifié d'abus de pouvoir et ne saurait être couvert par l'expiration des trois mois requis pour les recours spécifiques.

Dans Thériault v. Corporation de la Paroisse de Notre-Dame du Lac (1903), 9 R. de J. 326, un règlement ordonnait à un propriétaire de participer financièrement à l'entretien d'une route alors qu'il n'en profitait pas. La Cour supérieure a accueilli l'action directe en nullité et a qualifié l'acte d'abus de pouvoir puisqu'une grande injustice avait été commise à l'endroit du demandeur.

Dans Ville de Beaconsfield v. Brunet (1920), 31 B.R. 196, la ville avait adopté un règlement pour abolir un chemin, elle s'est reprise et en a adopté un autre rétablissant ce même chemin. L'intimée a attaqué par action directe en nullité ce dernier règlement en alléguant l'ultra vires. Le juge en chef Lamothe n'y a pas vu d'actes ultra vires puisqu'il n'y avait là aucun signe d'oppression. Pour le Juge en chef, il s'agissait plutôt d'une nullité relative et comme le conseil a agi à l'intérieur de sa compétence, le recours à l'action directe en nullité a été refusé.

Le juge Bernier a émis l'opinion dans Corporation de la Rivière du Gouffre v. Larouche (1925), 39 B.R. 267, qu'un procès-verbal rédigé, homologué et mis en vigueur le même jour en l'absence des avis publics requis était un abus de pouvoir. Il a accueilli l'action directe en nullité et affirmé à la p. 270 que l'illégalité était fatale:

Ce n'est pas une simple irrégularité, ni même une simple illégalité; c'est un abus radical des pouvoirs d'un conseil municipal.

Dans l'arrêt Corporation du village de St-Ulric de la Rivière Blanche v. Corporation du comté de Matane (1924), 38 B.R. 247, on lit en p. 252:

Sur la détermination de la limite jusqu'où la Cour supérieure peut aller la jurisprudence a pu paraître varier, suivant les espèce (sic) particulières. On a décidé qu'elle avait le droit d'intervenir dans le cas d'une injustice criante et oppressive, constituant un abus d'autorité tel qu'il marquait de la mauvaise foi et pouvait être assimilé à la fraude et à l'excès de pouvoir; c'est le plus loin qu'on pouvait aller.

Dans Corporation de la paroisse St-Joseph de Maskinongé v. Boucher, précité, des propriétaires dont les immeubles avaient été rattachés à l'entretien d'un cours d'eau, demandaient l'annulation de la décision de la corporation. On a rejeté l'action parce que les demandeurs ne pouvaient prouver l'abus de pouvoir. La Cour d'appel affirma qu'en l'absence de preuve sur le défaut de compétence, la fraude, le vice flagrant équivalant à fraude ou la violation de la loi, bref sans la preuve d'une nullité radicale, le recours à l'action directe est sans fondement.

Le juge Pratte a repris ce principe dans Corporation de St-Joseph de Beauce v. Lessard, [1954] B.R. 475. Des contribuables se plaignaient de la décision hâtive de la corporation de construire un pont traversant la rivière Chaudière et surtout de la répartition des coûts. En l'espèce, le juge a considéré que la corporation ayant agi de bonne foi, l'allégation d'ultra vires devait être rejetée. On peut lire à la p. 478:

Le champ d'application de l'art. 50 C. P. a été si souvent exploré qu'il serait fastidieux de passer en revue les nombreux arrêts auxquels il a donné lieu et qui en ont fixé les limites. Rappelons seulement que, suivant une jurisprudence constante, il y a lieu à l'action de l'art. 50 C. P., à l'encontre des procédés municipaux, dans le cas d'excès de pouvoir, dans le cas de fraude, et aussi lorsqu'une violation de la loi ou un abus de pouvoir équivalant à fraude a pour effet une injustice flagrante.

Ce passage a été repris par notre Cour dans Cité de Sillery v. Sun Oil Co., précité, à la p. 556, où le juge Abbott a réitéré que le fardeau de prouver que l'autorité municipale a agi à des fins frauduleuses appartient à ceux qui demandent l'annulation. Comme la compagnie ne s'était pas déchargée de son fardeau, l'action directe en nullité a été rejetée. Cette même règle a prévalu dans Beauchamp c. Cité d'Outremont, [1970] C.A. 286, où un contribuable fut débouté parce qu'il n'était pas parvenu à prouver la fraude.

c)Les illégalités graves qui ne sont pas de simples irrégularités ou informalités

D'autres formes d'illégalités invoquées devant les tribunaux portent sur le non-respect par un organisme, de formalités requises dans l'exercice de ses pouvoirs. La violation invoquée par l'appelante serait de cette nature.

En vertu de l'art. 14 du Code municipal, nulle action, poursuite ou procédure fondée sur la forme ou sur l'omission de formalités même impératives, dans des actes ou procédures relatifs à des matières municipales, n'est recevable, à moins que la forme ou l'omission n'ait causé une injustice réelle ou que les formalités omises ne soient de celles dont l'omission rende nuls, d'après les dispositions du Code municipal, les procédures ou autres actes municipaux qui doivent en être accompagnés. L'article 11 de la Loi sur les cités et villes et l'art. 3 de la Loi sur la fiscalité municipale, L.R.Q., ch. F-2.1, sont au même effet. Néanmoins, ces articles ne touchent que les simples informalités (voir City of Beaconsfield c. Bagosy, précité). Le professeur Jacques L'Heureux dans Droit municipal québécois (1984), t. 2, affirme aux pp. 319 et 320:

En vertu de la jurisprudence, lorsqu'une formalité est une condition essentielle à la validité d'un acte, son omission entraîne la nullité de l'acte sans qu'il soit nécessaire de prouver préjudice.

. . .

Les notions de "formalité essentielle" et d'"élément essentiel" demeurent, toutefois, assez imprécises en jurisprudence. En fait, on peut dire que, globalement parlant, les tribunaux annulent un acte pour irrégularité de procédure lorsque le but de la procédure n'a pas été atteint.

La jurisprudence a établi que les illégalités qui atteignent la procédure dans sa substance ou qui affectent un droit fondamental sont admissibles à une contestation élargie. Notre Cour s'est prononcée dans Air Canada c. Cité de Dorval, [1985] 1 R.C.S. 861, sur l'importance de la publicité entourant l'acte réglementaire. La Cour a alors annulé un règlement qui décrétait une taxe d'affaires et autorisait le conseil à en fixer le taux par simple résolution. Cette façon de faire avait permis à la ville de se déléguer un pouvoir qu'elle n'était en droit d'exercer que suivant une procédure de publicité rigoureuse. Notre Cour a reconnu que cette sous-délégation enfreignait une règle impérieuse et substantielle puisque la ville recourait, en fixant la taxe d'affaires, à un mode d'adoption différent de celui prévu par la loi. C'est en ce sens qu'on a qualifié l'acte de la ville d'ultra vires. On peut lire à la p. 874:

Le conseil s'est ainsi autorisé, sans droit, de la charte et de la loi pour faire par résolution ce qu'il ne pouvait faire que par règlement. Il s'est délégué le pouvoir d'arrêter le taux par résolution alors que la législature lui avait conféré ce pouvoir avec obligation de l'exercer par règlement. Le conseil de la cité de Dorval a, de cette façon, excédé sa juridiction ce qui donne ouverture au recours de l'art. 33 C.p.c.

L'arrêt Town of St. Louis v. Citizens Light and Power Co. (1903), 13 B.R. 19, était au même effet. Un contrat passé en vertu d'une résolution plutôt que d'un règlement fut considéré nul, faute du consentement valable de la corporation. Le juge en chef Lacoste a estimé que c'était la condition de l'exercice valide du pouvoir qui manquait et qu'il ne s'agissait pas là d'une simple informalité. Conséquemment, l'acte était frappé de nullité absolue sans devoir exiger la preuve d'une injustice résultant de l'omission de formalités essentielles. Pour la cour, le défaut de procéder de la manière requise entraînait la nullité absolue de la résolution et du contrat lui-même.

Dans Ville de La Tuque v. Desbiens, précité, un règlement autorisant des travaux municipaux avait été passé sans que la corporation n'ait en caisse la somme requise au paiement. Cet acte fut qualifié d'ultra vires et donna ouverture à l'action directe en nullité.

Les défauts d'approbation sont souvent invoqués comme des illégalités substantielles susceptibles de faire annuler un acte. Dans Corporation municipale du Village de Ste-Anne-du-Lac v. Hogue, [1959] R.C.S. 38, la municipalité avait passé une résolution pour accorder une franchise d'aqueduc mais avait négligé d'obtenir l'approbation de la majorité des électeurs propriétaires et du lieutenant-gouverneur en conseil comme la loi l'exigeait. Ce défaut d'obtenir l'approbation requise fut considéré comme frappant le contrat de nullité absolue. Pour le juge Taschereau, "L'acte du conseil municipal est frappé d'une nullité absolue, que toutes les parties intéressées peuvent invoquer" (p. 40). Dans ses notes on peut voir qu'il prend bien soin de distinguer la nullité radicale de la simple omission de remplir des formalités. À la page 42, il observe:

Il ne s'agit pas ici, en effet, d'une objection faite à la forme, ou d'omission de remplir des formalités, mais bien d'une nullité radicale, que l'appelante était justifiée d'invoquer pour refuser de reconnaître l'existence légale d'une franchise exclusive, sans que l'annulation de cette procédure ait été préalablement prononcée . . . [En italique dans l'original.]

Dans Gravel c. Cité de St-Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660, notre Cour a déclaré qu'un contrat signé par la ville était nul de nullité absolue parce que l'approbation de la Commission municipale exigée par la loi n'avait jamais été obtenue.

Dans Théberge c. Métabetchouan (Ville), [1987] 2 R.C.S. 746, notre Cour a sanctionné le défaut de respecter le délai minimum de quinze (15) jours qu'il doit y avoir entre la publication de l'avis de scrutin et la consultation prévu par la Loi des cités et villes. Les juges de la Cour supérieure et de la Cour d'appel avaient rejeté l'action considérant que la preuve ne révélait aucun préjudice actuel, nulle flagrante injustice et pas de trace d'un quelconque excès de pouvoir. Le juge Lamer a écarté ce raisonnement en raison des dispositions particulières de la Loi et plus spécifiquement de l'art. 335 de la Loi des cités et villes. Cet article prescrit en effet qu'aucune élection ne devient nulle simplement en raison du non‑respect de la loi en ce qui a trait aux délais fixés "à moins qu'il ne paraisse au tribunal que cet inaccomplissement a pu influer sur le résultat de l'élection" (je souligne). Le juge Lamer a retenu la mince majorité des votes obtenus lors de l'élection pour conclure que quelques jours de plus auraient pu avoir un effet déterminant sur l'élection et a reconnu l'importance de l'informalité. Il a conclu à la nullité du scrutin et a déclaré sans effet le règlement. À noter que l'action fut intentée en toute diligence après les actes reprochés.

Des avis insuffisants ou défectueux, tout comme une approbation déficiente, peuvent porter atteinte à la validité de l'acte dans sa substance et affecter des droits que le législateur a voulu protéger. Ces illégalités ont un degré suffisant de gravité pour justifier l'exercice du pouvoir de surveillance et de contrôle et une extension du délai de contestation.

Le pouvoir réglementaire dont dispose une corporation est circonscrit par certaines exigences statutaires, dont le droit d'être entendu. Ce principe est consacré par l'arrêt Wiswell v. Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg, [1965] R.C.S. 512. Notre Cour fut appelée à décider si le par. 206(5) du Metropolitan Winnipeg Act, qui prévoyait un recours distinct assorti d'une prescription de trois mois, s'appliquait à l'acte attaqué, soit un manquement aux règles de publicité lors de l'adoption d'un règlement. Les appelants voulaient faire annuler une modification au règlement de zonage au motif d'insuffisance des avis de motion qui avaient été affichés dans les colonnes de deux journaux mais n'avaient jamais été envoyés aux intéressés comme la loi l'exigeait. Le juge Hall a conclu à la nullité absolue du règlement municipal parce qu'on n'avait pas offert aux citoyens une possibilité réelle de se faire entendre, et a permis l'exercice du recours déclaratoire malgré la déchéance du recours spécial. En citant la doctrine, il précise à la p. 524:

[traduction] Le droit à cet égard est exposé par Rogers dans The Law of Canadian Municipal Corporations, vol. 2, p. 893, de la manière suivante:

. . . si un règlement municipal s'inscrit dans le cadre de la compétence du conseil et n'est pas contesté dans le délai imparti, il est rendu valide avec le temps.

Toutefois, il convient de souligner que l'effet curatif du défaut d'annuler un règlement est limité aux règlements qui sont simplement annulables et non nuls. Les tribunaux ont établi une distinction entre ces deux catégories de règlements illégaux. Un règlement annulable est celui qui est entaché d'un vice en raison du non‑respect d'une formalité prévue par la loi ou d'une irrégularité dans les procédures relatives à son adoption et est par conséquent susceptible d'être annulé, tandis qu'un règlement nul est celui qui outrepasse la compétence législative soit en raison d'une absence complète du pouvoir de légiférer à l'égard de la question visée soit en raison du non‑respect d'une condition préalable à son adoption.

Même si le règlement est annulable seulement de la manière invoquée par l'intimée, je ne crois pas que l'art. 206 de The Metropolitan Winnipeg Act, précité, constitue un obstacle à l'action visant à obtenir un jugement déclarant le règlement invalide.

Dans Eaton v. St. James Assiniboia Community Committee, [1974] 2 W.W.R. 342, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a décidé que le règlement était seulement annulable parce que l'appelante n'avait pas prouvé que les irrégularités procédurales ont rendu celui-ci nul. La cour précise que le recours particulier ne couvre pas le règlement invalide et que si celui-ci avait été nul à cause du non-respect de conditions essentielles à sa passation, il eût été sans effet.

Dans l'affaire City of Beaconsfield c. Bagosy, précité, la Cour d'appel du Québec a établi clairement que les avis publics adressés aux propriétaires intéressés doivent être suffisamment détaillés pour permettre aux personnes touchées par le règlement de savoir dans quelle mesure leurs droits seront affectés. Dans ses notes, le juge Bélanger écrit à la p. 95:

À mon sens, un tel avis devait contenir des informations suffisantes pour que les personnes intéressées se rendent compte que c'est à elles qu'il était adressé: sans qu'il n'ait été nécessaire qu'on y reproduise en entier le règlement de modification, il était essentiel que le groupe de propriétaires qui avaient des droits à faire valoir soient identifiés au moins par le territoire visé par le règlement et que la nature de la modification, donc l'objet du règlement, soit indiquée.

Pour les juges de la Cour d'appel une telle insuffisance dans les avis équivaut à une absence d'avis et entraîne l'annulation du règlement.

Notre Cour en 1920 a aussi déclaré nul un règlement qui n'était pas précédé d'un avis de motion valide conformément à une disposition du Code municipal de l'époque (Boily v. Corporation de St-Henri de Taillon (1920), 61 R.C.S. 40).

Dans Desy v. Corporation de St-Constant (1923), 36 B.R. 202, on invoqua l'irrégularité d'un avis pour faire annuler un règlement. Le juge Allard fait remarquer que le contribuable a tout de même été avisé et qu'il n'y a pas lieu de qualifier l'acte d'ultra vires. La cour rejeta donc l'action.

3. La nature de l'illégalité commise par la corporation

Dans tous ces arrêts, la qualification de la nullité est abordée et traitée uniquement afin de déterminer si l'acte attaqué donne ouverture au seul recours spécial statutaire assujetti à une courte prescription ou également au pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure. Il est clair que si l'acte est considéré ultra vires des pouvoirs de la corporation, l'action directe en nullité est recevable. Pourtant, l'appelante soumet qu'il faut faire une autre distinction dans le type de nullité recherchée, mais cette fois-ci, pour nier à la Cour supérieure son pouvoir discrétionnaire de rejeter l'action en raison du comportement du demandeur. Elle prétend que le caractère des actes commis par la corporation ne permet pas à la Cour supérieure de poser d'autre geste que celui de constater la nullité absolue.

Cet argument ignore d'une part la distinction à faire entre le droit et le remède et, d'autre part, la nature de l'action directe en nullité qui relève, à l'instar des brefs de prérogative, du pouvoir de surveillance et de contrôle inhérent de la Cour supérieure dont l'exercice est par nature discrétionnaire. La jurisprudence québécoise a toujours référé à l'art. 33 du Code de procédure civile mais le recours a ses assises dans la common law et dans les pouvoirs inhérents des cours supérieures.

Il est vrai qu'on a nié à l'appelante son droit d'être entendue et qu'en ne lui donnant pas d'avis d'assemblée, on a négligé de demander et d'obtenir une approbation que la loi requiert, soit celle de certains "électeurs propriétaires d'immeubles imposables", dont les auteurs de l'appelante. Il est aussi indéniable que l'appelante pouvait invoquer l'invalidité des règlements d'emprunt par le biais d'une action directe en nullité puisqu'il ne s'agit ni d'une simple irrégularité ni d'une informalité. L'illégalité alléguée met en cause le respect de la règle audi alteram partem et l'exercice du droit de vote de l'appelante. Celle-ci avait à première vue, un droit à la sanction offerte par l'action directe en nullité. Cependant, l'insuffisance des avis n'emporte pas une absence totale de juridiction, elle met plutôt en cause une exigence particulière attachée à l'exercice par la corporation de sa compétence. De plus, lesdits avis ont été insuffisants face à certaines personnes seulement. D'ailleurs l'appelante dans son action ne réclame l'annulation des règlements qu'à son endroit. Il ne s'agit pas d'une absence totale d'avis ou d'approbation. Le droit à l'avis suffisant n'est attaché qu'aux personnes à qui il bénéficie. Dans ce contexte, il est important de distinguer entre le droit qui est enfreint et le pouvoir remédiateur auquel on fait appel.

Dire que l'action directe en nullité est recevable n'implique pas dans tous les cas que le demandeur a trente ans pour se plaindre. La prescription trentenaire de l'action directe en nullité s'applique à la demande en justice, au conduit procédural alors que le pouvoir discrétionnaire est inhérent à la juridiction de contrôle que possède la Cour supérieure par le biais de l'art. 33 du Code de procédure civile. C'est la nature de ce pouvoir de contrôle qu'il faut maintenant examiner.

C. Le recours en nullité de l'art. 33 du Code de procédure civile

1. L'origine de l'action directe en nullité

Au Québec, l'art. 33 du Code de procédure civile confirme le pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour supérieure et codifie l'action directe en nullité des actes du gouvernement et de l'administration. Les professeurs Dussault et Borgeat (Traité de droit administratif (2e éd. 1989), t. III), décrivent l'action directe en nullité comme suit à la p. 550:

L'action directe en nullité ou action en cassation devant la Cour supérieure est un recours propre au Québec découlant de la "codification", à l'article 33 du Code de procédure civile, du pouvoir de réforme, de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure du Québec sur les tribunaux et organismes inférieurs relevant de la compétence du Parlement du Québec.

Cette disposition législative ne représente pourtant qu'un des différents moyens d'exercice du pouvoir de surveillance et de contrôle que possèdent les cours supérieures. Les recours extraordinaires (art. 834 et suiv. du Code de procédure civile) et la requête en jugement déclaratoire (art. 453 et suiv. du Code de procédure civile) permettent aussi aux tribunaux supérieurs de surveiller les actes des autorités gouvernementales et administratives. La jurisprudence et certains auteurs ont d'ailleurs reconnu que l'action directe n'était pas née de la codification mais existait bien avant son entrée au Code de par la common law. Le professeur Patrick Théroux dans un article intitulé "La notion de délai raisonnable dans l'exercice d'un recours par voie d'action directe en nullité sous l'article 33 C.p.c.", dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit administratif (1989), vol. 2, écrit à la p. 173:

Cependant, en dépit de ces distinctions importantes au niveau du cheminement procédural du recours, il ne faut pas perdre de vue que le fondement même de l'action directe en nullité est substantiellement de même nature que celui des recours qualifiés d'extraordinaires par le Code à savoir, qu'il vise essentiellement à mettre en oeuvre le pouvoir de surveillance et de réforme de la Cour supérieure.

Le professeur Gerald Le Dain, plus tard juge de notre Cour, note dans "The Supervisory Jurisdiction in Quebec" (1957), 35 R. du B. can. 788, à la p. 796:

[traduction] . . . malgré l'importance de la codification de la compétence générale et de la procédure, il existe au Québec un contrôle judiciaire de common law qui continue d'être une source importante de principes et de règles.

Dans l'arrêt Three Rivers Boatman Ltd. v. Conseil canadien des relations ouvrières, [1969] R.C.S. 607, le juge Fauteux trace l'historique du pouvoir traditionnel dévolu aux cours supérieures. Aux pages 615 à 618, il s'exprime en ces termes:

Au jour où elle fut créée en 1849, la Cour supérieure acquit en plénitude la juridiction civile de première instance et particulièrement la juridiction de surveillance jusqu'alors exercée par la Cour du Banc du Roi, cf 12 Victoria, c. 38, art. VII. Au même temps, on décréta que les brefs de prérogatives, afférents à l'exercice de cette juridiction de surveillance, émaneraient désormais de la Cour supérieure, cf 12 Victoria, c. 41, art. XVI. La Cour supérieure devenait ainsi nantie du pouvoir de surveillance, basé sur la common law, qu'exerçait en Angleterre la Court of King's Bench sur laquelle la Cour du Banc du Roi fut modelée. Cette loi du contrôle judiciaire sur les tribunaux, corps politiques ou corporations exerçant des pouvoirs judiciaires ou quasi judiciaires, nous vient du droit public anglais introduit au Québec lors et par suite de la cession. On réfère à cette juridiction de surveillance, que possédait en Angleterre la Court of B.R. (Banco Regis), dans la cause de Groenvelt v. Burwell.

. . .

C'est en 1957, par la loi 5-6 Elizabeth II, c. 15, art. 1, que la Législature de Québec amenda l'art. 50 C.P.C., -- reproduit à l'art. 33 du nouveau Code, --pour statuer expressément que le droit de surveillance ou de réforme de la Cour supérieure sur les tribunaux inférieurs serait limité aux tribunaux relevant de la compétence de la Législature de Québec. Une législature est présumée légiférer dans les limites de sa compétence. La Législature de Québec n'a pas la compétence pour modifier et rien n'indique qu'elle ait entendu modifier, par cet amendement de 1957, l'autorité de surveillance et contrôle que la Cour supérieure possède depuis avant la Confédération, tant en vertu de sa loi organique qu'en vertu des pouvoirs inhérents à sa fonction, sur les organismes qui relèvent maintenant de la compétence du Parlement et qui exercent une action judiciaire ou quasi judiciaire dans les affaires de la province et rendent des décisions qui y sont exécutoires. [En italique dans l'original.]

Le principe de subordination de l'administration publique au pouvoir de surveillance des cours supérieures est la pierre angulaire du système de droit administratif canadien et québécois. Ce contrôle judiciaire est une conséquence nécessaire de la rule of law telle qu'identifiée par Dicey dès 1885, dans son ouvrage Introduction to the Study of the Constitution. Ce principe est fortement ancré dans la common law et est à l'origine des fondements mêmes du régime britannique, dont s'inspire le nôtre. Dicey voyait trois sens à la rule of law: premièrement, le principe de légalité et la loi gouvernent les actes de l'autorité publique par opposition à l'arbitraire et aux vastes pouvoirs discrétionnaires; deuxièmement, tous sont égaux devant la loi; et troisièmement, tous sont justiciables devant les tribunaux de droit commun. Ces principes signifient fondamentalement que l'exercice du pouvoir public doit être contrôlé et en corollaire, que l'administré doit posséder les recours appropriés pour se protéger contre l'arbitraire. C'est à partir de ces principes que se fonde, dans notre système juridique et politique, le contrôle judiciaire des cours de justice sur l'action administrative (voir Brun et Tremblay, Droit constitutionnel (2e éd. 1990), aux pp. 626 et suiv.; Chevrette et Marx, Droit constitutionnel (1982), aux pp. 33 et suiv.).

La Cour supérieure a acquis une juridiction de surveillance héritée de la common law. Et malgré la codification de ce pouvoir au Code de procédure civile, les principes développés en la matière tant en Angleterre que dans les autres provinces canadiennes demeurent. Dans Procureur général du Québec c. Farrah, [1978] 2 R.C.S. 638, le juge Pratte écrivait à la p. 651:

Ce pouvoir de surveillance des cours supérieures sur les tribunaux inférieurs ne s'exerce pas par le biais d'une procédure d'appel mais plutôt par brefs de prérogative, comme les brefs de mandamus, de prohibition et de certiorari. Tant en Angleterre qu'ici, on peut aussi utiliser l'action en nullité et le jugement déclaratoire pour exercer ce pouvoir de contrôle . . .

Dans l'arrêt Vachon c. Procureur général du Québec, [1979] 1 R.C.S. 555, le juge Pigeon a énoncé que le justiciable rencontrant toutes les conditions d'ouverture des art. 834 et suiv. et de l'art. 33 du Code de procédure civile peut choisir entre ces deux voies procédurales. Il a ajouté que le pouvoir de surveillance de la Cour supérieure n'a pas été créé par la codification des articles et que la distinction est purement procédurale entre les deux recours. On sollicite que la Cour supérieure exerce son pouvoir de surveillance et de contrôle. Le véhicule procédural pour l'exercice du droit peut varier mais dans les deux cas le fondement du recours relève du pouvoir inhérent de la Cour supérieure.

2. La nature discrétionnaire du recours

L'appelante soutient qu'en matière de nullité absolue, le juge saisi ne possède pas de discrétion puisque son rôle se limite à constater la nullité. La discrétion, ajoute-t-elle, n'existe qu'en matière d'abus de pouvoir. Une telle affirmation méconnaît les fondements du pouvoir de contrôle et de surveillance et mésestime la nature essentiellement discrétionnaire de l'exercice par la Cour supérieure de son pouvoir. En réponse à cet argument, je citerai ce passage de Wade (Administrative Law (6e éd. 1988), aux pp. 695 et 696):

[traduction] Lorsque le redressement existe ex debito justitiae, comme dans ces affaires, cela signifie que la cour exercera normalement son pouvoir discrétionnaire en faveur du requérant; cela ne signifie pas que la cour n'a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser le redressement, par exemple lorsqu'il y a eu un retard indu.

L'action directe en nullité, tout comme le certiorari, dérive d'un pouvoir essentiellement discrétionnaire. À l'origine, il servait à contrôler les abus de pouvoir des tribunaux d'instances inférieures. Pour le professeur Wade, il ne fait aucun doute que le contrôle judiciaire de l'administration est d'abord et avant tout discrétionnaire. Il écrit à la p. 709 du volume précité:

[traduction] Un tel pouvoir discrétionnaire peut empiéter sur le principe de la primauté du droit et doit par conséquent être exercé avec la plus grande diligence. Dans une affaire normale, le redressement accompagne le droit. Toutefois, le fait qu'une personne lésée puisse avoir recours au certiorari ex debito justitiae ne change rien au fait que la cour a le pouvoir d'exercer son pouvoir discrétionnaire contre elle comme elle peut le faire dans le cas de tout redressement discrétionnaire. Cela signifie qu'elle peut avoir à se soumettre à un certain acte administratif qui est par hypothèse illégal. Car, comme cela a été souligné précédemment, un acte nul est en fait un acte valide si le tribunal n'a pas accordé un redressement à l'égard de celui‑ci.

Selon la jurisprudence le recours est assujeti à la prescription trentenaire applicable à toute action en justice sous réserve des droits d'action particuliers. Néanmoins, le juge Anglin note dans Côté v. Corporation of the County of Drummond, [1924] R.C.S. 186, à la p. 188:

[traduction] Il se peut que le redressement que prévoit l'art. [33 C.p.c.] soit tellement spécial et extraordinaire que le fait de l'accorder constitue une question qui relève d'un pouvoir discrétionnaire légitime et que dans certains cas il ne doive pas être accordé lorsqu'il y a eu un retard important, bien qu'inférieur à trente ans, pour intenter l'action.

Dans cette décision, le juge Mignault complète par ces propos (aux pp. 191 et 192):

Je me hâte d'ajouter, cependant, que si l'on ne peut dire qu'il y ait à l'égard de l'action en nullité à la cour supérieure d'autre prescription proprement dite que celle du droit commun, trente ans, la cour supérieure, exerçant une juridiction extraordinaire sous l'art. [33 C.p.c.], dont l'opportunité est laissée à sa discrétion, peut très bien refuser d'intervenir lorsqu'on a laissé s'écouler un long délai avant de demander la cassation d'un acte municipal. (Voy. le dictum du juge Andrews dans Thériault v. Notre-Dame-du-Lac). Sans faire état de la distinction que faisait la jurisprudence de la province de Québec entre le recours pour irrégularités devant la cour de circuit et l'action en nullité à la cour supérieure, dont j'ai parlé dans mon opinion dissidente dans Ville Saint-Michel v. Shannon Realties, Limited, je ne vois rien qui empêcherait la cour supérieure de prendre en considération le fait que le demandeur avait un recours facile par voie d'appel ou d'action devant la cour de circuit ou la cour de magistrat et qu'il n'en a pas profité. Je ne dis pas que cette circonstance est décisive, mais lorsqu'elle se complique, comme dans le cas actuel, d'un long délai, totalement inexpliqué depuis la mise en vigueur de l'acte municipal, je suis d'opinion que la cour supérieure peut très bien refuser d'exercer son droit de surveillance et de contrôle. [Je souligne.]

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire en commentant ces remarques du juge Mignault, dans Sidbec-Dosco Inc. c. Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec, [1987] R.J.Q. 197, à la p. 200:

On constate donc que bien qu'il fasse une distinction entre irrégularité qui donne ouverture au seul recours devant la Cour de circuit de nullité qui donne également ouverture à une action en Cour supérieure, il ne tire pas de distinction en ce qui touche la discrétion appartenant à la Cour supérieure d'exercer ou de ne pas exercer son pouvoir de contrôle et de supervision.

La Cour d'appel du Québec a reconnu l'exercice d'une discrétion pour motif de délai en matière de contrôle des tribunaux administratifs. À cet effet on peut citer Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec c. Pillin, précité, de même que Québec (Procureur général) c. Giroux, [1988] R.J.Q. 1774. Dans ce dernier cas, il s'agissait d'une action directe en nullité à l'encontre d'une décision de la Commission des affaires sociales. L'action avait été intentée en mars 1984 et la décision contestée datait du 1er décembre 1981. La Cour d'appel a qualifié de déraisonnable le délai de 27 mois et a rejeté l'action pour ce motif. Le juge Meyer (ad hoc) explique que la distinction entre nullité absolue et relative a sa place en droit municipal mais que si l'action directe n'est qu'un substitut au bref en évocation, toutes les contestations doivent se soumettre à la règle du délai raisonnable. Aux pages 1776 et 1777, on peut lire:

L'intimé soulève la question de nullité absolue par opposition à nullité relative et prétend que, dans le présent cas, il s'agit d'une nullité absolue et que donc c'est seulement la prescription de 30 ans qui doit s'appliquer et qu'aucune notion de délai raisonnable n'est pertinente. Toutefois, je crois, avec respect, qu'il mêle les notions qui sont pertinentes lorsqu'il s'agit d'une action directe en nullité qui attaque un règlement municipal, par exemple, et l'action directe en nullité qui n'est qu'un substitut au bref d'évocation et qui attaque une décision d'un tribunal administratif. Dans le cas des règlements qui sont attaqués pour nullité, la notion de nullité absolue a vraiment sa place, mais l'erreur de droit par un tribunal inférieur dans une décision qui n'affecte que les parties à cette décision n'est sûrement pas la même chose. D'ailleurs, toute la jurisprudence citée par l'intimé concerne les règlements.

L'appelante invoque ces propos pour prétendre que la nature de l'action directe en nullité en matière réglementaire est distincte des brefs de prérogative et qu'il n'y a pas lieu d'appliquer la jurisprudence rendue sur l'art. 33 du Code de procédure civile à l'encontre de décisions quasi judiciaires. Il est vrai que l'exigence du délai raisonnable est stipulée expressément au Code de procédure civile en matière de recours extraordinaires. Néanmoins, cette exigence subsiste dans l'exercice de l'action directe en nullité en vertu des principes de common law. Je ne comprends pas les propos du juge Meyer comme signifiant que l'action directe en nullité d'un règlement municipal ne doit pas être intentée avec diligence. La distinction dont il traite est pertinente au choix du recours mais n'écarte pas la nature discrétionnaire du pouvoir de la cour. Pour rechercher la nature de l'illégalité, il est assez naturel de s'en tenir à des décisions rendues en matière de droit municipal mais pour traiter du pouvoir discrétionnaire et de son application, toutes les décisions rendues sont pertinentes. C'est le même pouvoir qui est exercé et la discrétion subsiste.

C'est en raison même de leur caractère discrétionnaire que les recours en révision judiciaire doivent être exercés avec diligence (voir Dussault et Borgeat, op. cit., à la p. 660; Evans et autres, Administrative Law: Cases, Text, and Materials (3e éd. 1989), aux pp. 1074 à 1078). Le juge peut en outre examiner la conduite des parties et la présence de recours alternatifs pour rejeter le recours sans même prendre de décision sur le fond. C'est ce qui ressort de deux décisions de notre Cour, Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, et Homex Realty and Development Co. c. Corporation of the Village of Wyoming, [1980] 2 R.C.S. 1011.

Dans l'affaire Harelkin, le juge Beetz parlant au nom de la majorité a réaffirmé la nature discrétionnaire des brefs de prérogative. Un étudiant avait été sommé de quitter la faculté de service social de son université. Son appel au comité du conseil de l'université avait été rejeté sans qu'on ne l'ait entendu. Il a alors demandé un certiorari et un mandamus plutôt que d'utiliser la procédure d'appel au comité du sénat de l'université. Le juge de première instance a accordé un certiorari et a ordonné à l'institution de tenir une audience. La Cour d'appel a infirmé la décision au motif qu'il existait un droit d'appel et qu'aucune circonstance spéciale ne justifiait d'accorder de bref à la partie requérante. L'étudiant se présenta devant cette Cour en argumentant que le défaut du comité du conseil de respecter le principe audi alteram partem était assimilable au défaut de compétence et que le bref devait être émis ex debito justitiae. Notre Cour confirma la position de la Cour d'appel et le juge Beetz déclara aux pp. 575 et 576:

Au cours des ans, les cours ont formulé divers critères pouvant servir de guide sur la façon d'exercer ce pouvoir discrétionnaire. Dans ce processus, l'étendue du pouvoir discrétionnaire a été plus ou moins réduite selon les circonstances de chaque cas. Parfois, particulièrement lorsqu'il est question d'absence de compétence, les cours sont allées jusqu'à dire que le certiorari doit être émis ex debito justitiae. Se fondant sur l'hypothèse discutable que les causes portant sur un déni de justice naturelle peuvent être assimilées à celles ou il y a absence de compétence, on a dit également que le certiorari devrait être émis ex debito justitiae lorsqu'il y a déni de justice naturelle.

Associer l'expression ex debito justitiae aux recours discrétionnaires du certiorari et du mandamus n'est pas heureux. Cette association est fondée sur une contradiction et crée beaucoup de confusion dans notre droit.

Littéralement, ex debito justitiae signifie [traduction] "de plein droit", par opposition à [traduction] "de complaisance" (P.G. Osborne, A Concise Law Dictionary, 5e éd.; Black's Law Dictionary, 4e éd.); un bref ne peut être à la fois un bref de complaisance et un bref de plein droit. Dire qu'un bref doit être émis ex debito justitiae signifie simplement que les circonstances militent en faveur de l'émission du bref plutôt que du refus. Mais l'expression, bien que latine, n'a aucun pouvoir magique et ne peut faire d'un bref de complaisance un bref de plein droit, ni détruire le pouvoir discrétionnaire, même dans les cas d'absence de compétence.

A fortiori, le pouvoir discrétionnaire subsiste dans les cas non pas d'absence de compétence, mais d'excès ou d'abus de compétence, comme ceux où il y a violation de la justice naturelle.

Dans l'affaire Homex, un propriétaire avait conclu une entente avec le village à l'effet qu'il s'acquitterait de toutes les exigences financières relativement aux travaux et services sur sa propriété. Avant même l'installation de ces services, le propriétaire vendit ses terrains à la compagnie Homex. Cette dernière ne voulut pas assumer les obligations auxquelles s'était engagé le propriétaire précédent et les contesta. Sans donner d'avis à la compagnie, la corporation adopta un règlement en vertu duquel les terrains achetés par la compagnie n'étaient pas réputés faire l'objet de plans de lotissement enregistrés. Cette dernière a présenté une demande d'examen judiciaire et alors que cette demande était pendante, morcela ses lots en damier. Notre Cour considéra que la compagnie avait le droit de se faire entendre et qu'elle n'avait pas eu cette possibilité. Statuant sur le droit au redressement, soit la cassation du règlement, compte tenu des circonstances, la majorité décida que la compagnie avait perdu ce droit par sa conduite. On peut lire de la plume du juge Estey aux pp. 1034 et 1035:

Je reconnais que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire de refuser le redressement a été critiqué, mais cette critique envisage généralement ce pouvoir comme une tentative des tribunaux d'appliquer ou d'imposer leur propre code de moralité. Toutefois, cette remarque nie ou refuse de reconnaître l'histoire même du certiorari, un redressement extraordinaire et discrétionnaire dont les tribunaux contemporains ont hérité des tribunaux anciens. Dire que ce bref est un recours universel lorsqu'un organisme public porte atteinte aux droits d'une personne par une mesure qui dépasse sa compétence ou dans des circonstances où il a commis une erreur de droit dans l'exercice de cette compétence, n'équivaut pas à dire que le tribunal d'appel doit appliquer servilement les règles relatives à la délivrance d'un certiorari et répondre automatiquement à la demande de la personne touchée sans autre examen. Les principes en vertu desquels le certiorari et maintenant l'ordonnance moderne d'examen judiciaire sont accordés, comprennent depuis longtemps celui de la perte du droit au redressement lorsqu'à cause de la conduite du requérant, un tribunal refuse d'accorder le redressement discrétionnaire. [Je souligne.]

Les principes de la common law trouvant leur source en Angleterre, il est utile de rappeler certaines décisions s'intéressant particulièrement au pouvoir discrétionnaire du juge saisi d'un bref de prérogative. Ainsi, dans Regina v. Aston University Senate, Ex parte Roffey, [1969] 2 Q.B. 538, un règlement stipulait que des étudiants ayant échoué certains examens pouvaient être tenus d'abandonner ou subir à nouveau tous les examens. Suite à l'échec de certains étudiants, les autorités universitaires les avaient sommés de quitter sans même procéder à une audition. Ces derniers ont demandé un bref de certiorari pour annuler l'ordonnance et un bref de mandamus pour obliger l'université à déterminer conformément à la loi s'ils pouvaient subir à nouveau les examens ou être contraints de quitter les études. La cour en vint à la conclusion que les autorités universitaires avaient violé les principes de justice naturelle mais que le bref de prérogative étant un recours discrétionnaire, peut être refusé si celui qui le demande ne s'est pas prévalu de ses droits en temps utile. En l'espèce, l'inaction des requérants les avait privés de tout recours. Le juge Donaldson écrit à la p. 555:

[traduction] En l'espèce, je considère que le facteur temps est décisif. Les redressements fondés sur des prérogatives sont de nature exceptionnelle et ceux qui ne s'occupent pas de leurs droits ne devraient pas pouvoir les invoquer.

Dans Regina v. Herrod, Ex parte Leeds City District Council, [1976] Q.B. 540, trois affaires étaient devant la Cour d'appel. Dans l'affaire Greenwich, deux associés avaient tenté d'acquérir un emplacement et planifiaient de le convertir en bingo public. Ayant fait une demande de permis de zonage et de permis pour l'installation d'un bingo, les associés ont essuyé des refus. Ils firent appel au ministre pour le règlement de zonage et à la Crown Court pour le permis d'installation du bingo. Ils eurent gain de cause dans les deux cas et achetèrent le terrain dont ils avaient besoin. Ce n'est que cinq mois et demi plus tard que la ville de Greenwich demanda un certiorari. La Cour d'appel rejeta le tout en raison du délai excessif. Lord Denning, maître des rôles, déclare que le délai d'exercice du recours est un aspect primordial et a ses incidences sur la discrétion du tribunal. Il cite The Queen v. Sheward (1880), 5 Q.B.D. 179, confirmé par (1880), 9 Q.B.D. 741 (C.A.), et Rex v. Glamorganshire Appeal Tribunal, Ex parte Fricker (1917), 33 T.L.R. 152 (K.B.), et il écrit à la p. 557:

[traduction] La personne qui demande un bref de certiorari à la High Court en vue de faire annuler la décision de la Crown Court -- ou à cet égard de tout autre tribunal inférieur -- devrait agir promptement et avant que l'autre partie n'ait pris une mesure sur la foi de la décision. Autrement, elle pourrait constater que la High Court refusera de lui accorder un redressement. Si elle a causé un retard, c'est à elle qu'il incombe d'y remédier et non à l'autre partie.

Alors que le lord juge Shaw écrit à la p. 574:

[traduction] Celui qui demande une ordonnance de prérogative (ou anciennement un bref de prérogative) n'est pas dans la position d'une partie qui cherche à faire valoir un droit qu'elle prétend détenir. Il est plutôt un demandeur qui cherche à faire valoir ces mesures de redressement pour le motif que la High Court voudrait corriger une certaine irrégularité dans l'administration de la justice qui lui ont causé un tort pour que justice puisse être rendue. Quant à savoir si l'ordonnance demandée sera accordée ou refusée, cela est une question qui relève uniquement du pouvoir discrétionnaire de la cour; les ordonnances de prérogative ne peuvent être demandées de plein droit.

Lord Denning cite aussi au soutien de son opinion, l'arrêt Rex v. Stafford Justices, Ex parte Stafford Corporation, [1940] 2 K.B. 33 (C.A.). Dans cette affaire, la corporation de Stafford contestait la validité de la procédure mise en place pour faire dévier une autoroute, alors que des conditions préliminaires n'étaient pas remplies. Sir Wilfrid Greene, maître des rôles, considéra que la conduite du requérant et le délai étaient des considérations pertinentes pour refuser le recours. Il écrit d'ailleurs à la p. 43:

[traduction] Maintenant, à mon avis, l'ordonnance prévoyant la délivrance d'un bref de certiorari, sauf dans les cas où cela va de soi, relève strictement dans tous les cas d'un pouvoir discrétionnaire. Il est parfaitement vrai de dire qu'en l'absence de circonstances spéciales et si tout ce qui ressort est un excès évident de compétence, alors une personne lésée a droit ex debito justitiae à cette ordonnance. Cela signifie simplement, à mon avis, que la cour dans de telles circonstances exercera son pouvoir discrétionnaire par l'octroi du redressement. Dans tous les cas de redressements discrétionnaires, il est bien connu et établi que dans certaines circonstances -- je ne dirai pas dans toutes, mais dans un grand nombre d'entre elles -- la cour bien que nantie nominalement d'une discrétion, si elle doit agir selon les principes ordinaires de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire judiciaire, doit exercer ce pouvoir discrétionnaire d'une manière particulière, et si un juge à l'instance refuse de le faire, alors la Cour d'appel devra rétablir la situation. Toutefois, lorsqu'il est établi que, pour décider si un redressement en particulier devrait être accordé, la cour a le droit d'examiner la conduite du requérant ainsi que les circonstances de l'affaire, pour vérifier s'il convient ou non d'accorder le redressement demandé, il s'agit, à mon avis, d'une question relevant du pouvoir discrétionnaire.

En droit municipal et en regard de l'action directe en nullité, on a surtout fait valoir l'obligation de diligence du demandeur en matière d'abus de pouvoir. Dans Soeurs de Jeanne-d'Arc v. Aqueduc de Sillery (1929), 47 B.R. 235, la Cour du Banc du Roi a maintenu un jugement rendu par la Cour supérieure faisant droit à une action en recouvrement d'une somme pour le service d'aqueduc au couvent des appelantes. La communauté prétendait que le tarif de l'aqueduc établi par règlement municipal était excessif, discriminatoire et abusif. Le juge Cannon exprime l'opinion suivant laquelle un "laps de temps considérable" peut justifier le refus des tribunaux d'intervenir.

Dans l'arrêt Comité de citoyens et d'action municipale de St-Césaire Inc. c. Ville de St-Césaire, précité, le juge Turmel a rejeté l'action directe en nullité en raison du délai considérable entre les actes reprochés et l'institution de l'action.

Dans Samson c. Ville de St-Bruno de Montarville, [1981] C.A. 193, on a repoussé pour tardiveté, une action directe en nullité intentée à l'encontre d'un règlement de zonage. Les appelants dans cette cause attaquaient au motif d'abus de pouvoir la légalité d'un règlement de zonage qui constituait selon leur prétention une expropriation déguisée de leur propriété. Leur action en nullité intentée plus de treize ans après l'adoption du règlement fut rejetée parce qu'elle était tardive et qu'ils étaient dans l'incapacité d'établir des motifs suffisants pour justifier l'écoulement de ce long délai. La cour a conclu que le défaut de juridiction n'avaient pas été prouvé et que le premier juge était justifié d'exercer sa discrétion afin de refuser l'exercice du recours en raison du retard excessif.

Dans l'affaire Corporation municipale de la Cité de Sept-Iles c. Rioux, [1985] C.A. 295, les règlements attaqués par le biais d'une action directe en nullité interdisaient la présence ou l'occupation d'une maison mobile sur tout le territoire de la corporation sauf sur certains terrains lui appartenant. La réglementation fut jugée discriminatoire et l'action accueillie, malgré le délai de sept ans écoulé. L'importance de l'atteinte à un droit l'emportait sur le délai. Le juge Chouinard s'exprime ainsi pour la cour aux pp. 299 et 300:

L'appelante invoque la décision de notre Cour dans Samson c. Ville de St-Bruno-de-Montarville, [1981] C.A. 193. Il est vrai qu'alors l'exercice d'un recours en nullité de certains règlements municipaux fut refusé en première instance et confirmé par notre Cour. Si alors le délai de treize ans qui s'était écoulé entre l'adoption du règlement et le recours intenté fut mentionné, il faut bien ajouter qu'à deux reprises la succession Samson avait tenté de tirer profit de l'existence dudit règlement qu'elle voulait longtemps après faire annuler.

Plus loin, le juge distingue entre la nullité absolue et la nullité relative et semble associer cette dernière au recours en cassation tel qu'il appert de l'extrait suivant de la décision à la p. 300:

D'autre part, il me semble que dans l'espèce sous étude il s'agit d'une nullité absolue et non pas d'une nullité relative. À dessein, la requérante semble vouloir confondre la demande en cassation pour informalités ou illégalités de (sic) celle en nullité pour défaut de juridiction, abus de pouvoir ou discrimination.

Je précise qu'il ne faut pas confondre discrétion et arbitraire. Alors que l'arbitraire désigne le pouvoir exercé à sa guise, selon son bon vouloir, la discrétion elle, est assujettie à certaines règles, même si elle écarte l'obligation stricte d'agir. Le juge saisi d'une action directe en nullité ne décide pas selon son bon plaisir ce qu'il lui plait, mais doit exercer judiciairement son pouvoir de contrôle, bien se diriger en droit et respecter les principes qui s'appliquent. Tout en situant le rôle d'une cour d'appel qui doit se pencher sur l'exercice par un juge de première instance de sa discrétion en matière d'injonction, le juge Beetz dans l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, aux pp. 154 et 155, adopte les propos de lord Diplock qui circonscrivent fort bien l'exercice de cette discrétion:

La Chambre des lords a souligné dernièrement les limites auxquelles se trouve assujetti un tribunal d'appel qui substitue sa discrétion à celle du juge de première instance en matière d'injonction interlocutoire, et ce, même dans un cas où le tribunal d'appel bénéficie d'éléments de preuve supplémentaires: Hadmor Productions Ltd. v. Hamilton, [1982] 1 All E.R. 1042. Dans cette affaire, qui présente des ressemblances frappantes avec la présente instance, la Cour d'appel avait conclu que, compte tenu d'éléments de preuve supplémentaires produits devant elle, elle avait le droit d'exercer un nouveau pouvoir discrétionnaire, ce qu'elle a fait en infirmant la décision du juge de première instance sans même la commenter. La Chambre des lords, dans un arrêt unanime rendu par lord Diplock, a rétabli le jugement de première instance:

[traduction] Avant d'en venir à la preuve produite devant le juge et aux éléments de preuve supplémentaires dont disposait la Cour d'appel, je crois qu'il convient de rappeler à vos Seigneuries le rôle limité d'un tribunal d'appel dans un appel de ce genre. Une injonction interlocutoire est un redressement discrétionnaire et c'est le juge de la Haute Cour saisi de la demande visant à obtenir ce redressement qui détient le pouvoir discrétionnaire de l'accorder ou de ne pas l'accorder. Lorsque la décision du juge d'accorder ou de refuser une injonction interlocutoire est portée en appel, la tâche du tribunal d'appel, que ce soit la Cour d'appel ou cette Chambre, ne consiste pas à exercer un pouvoir discrétionnaire indépendant qui lui est propre. Ce tribunal doit déférer à la décision prise par le juge dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire et ne doit pas modifier cette décision simplement parce que ses membres auraient exercé le pouvoir discrétionnaire différemment. Au départ, le tribunal d'appel n'a qu'une fonction de révision. Il peut annuler la décision rendue par le juge dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, soit pour le motif que cette décision repose sur une erreur de droit ou sur une interprétation erronée de la preuve produite devant lui ou sur une conclusion à l'existence ou à l'inexistence de certains faits, conclusion dont, bien qu'elle puisse avoir été justifiée par la preuve produite devant le juge, le caractère erroné peut être démontré par des éléments de preuve supplémentaires dont on dispose au moment de l'appel, soit pour le motif qu'après que le juge a rendu son ordonnance les circonstances ont changé d'une manière qui aurait justifié qu'il accède à une demande en modification de cette ordonnance. Puisque les raisons données par les juges pour accorder ou refuser des injonctions interlocutoires se révèlent parfois sommaires, il peut à l'occasion y avoir des cas où, bien qu'on ne puisse découvrir aucune conclusion erronée de droit ou de fait, la décision du juge d'accorder ou de refuser l'injonction est à ce point aberrante qu'elle doit être infirmée pour le motif qu'aucun juge raisonnable conscient de son obligation d'agir judiciairement aurait pu la rendre. Ce n'est que si le tribunal d'appel a conclu que la décision rendue par le juge dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire doit être écartée pour l'une ou l'autre raison susmentionnée qu'il est autorisé à exercer son propre pouvoir discrétionnaire.

D'une part, le juge doit tenir compte de la nature de l'acte attaqué, de la nature de l'illégalité commise et ses conséquences, et d'autre part, des causes du délai entre l'acte attaqué et l'institution de l'action. La nature du droit invoqué est un facteur pertinent à l'exercice de la discrétion mais il n'est pas le seul. Il y a lieu aussi d'évaluer le comportement du demandeur. Ce dernier dans une action directe en nullité selon l'art. 33 du Code de procédure civile peut être appelé à justifier ou du moins à expliquer son inaction de façon à ce que la Cour supérieure puisse évaluer dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, le caractère raisonnable du délai d'exercice de son droit.

À mon avis et de façon générale, sauf le cas d'absence totale de compétence, le juge saisi en vertu de l'art. 33 du Code de procédure civile peut refuser d'accorder le redressement recherché, si, eu égard aux circonstances dont notamment l'importance de l'atteinte au droit alléguée et le comportement du demandeur, il estime justifié de le faire.

D. L'application des principes aux faits de l'espèce

Les juges majoritaires en Cour d'appel ont considéré que le juge de première instance avait eu raison d'exercer sa discrétion eu égard aux circonstances et à l'importance relative de la nullité invoquée. À la page 1242 de la décision de la Cour d'appel, le juge Lévesque (ad hoc) s'exprime ainsi:

Contrairement à l'inapplicabilité et à la nullité absolue dont l'effet est successif et à durée continue, l'insuffisance des avis est un événement unique dont l'effet dans le temps donne lieu à l'application de la discrétion judiciaire lorsque le Tribunal exerce son pouvoir de surveillance et de réforme, puisque le justiciable doit faire diligence pour intenter son recours.

Tous les règlements avaient été adoptés depuis plus de cinq ans. Les travaux ont été exécutés, toutes les obligations ont été émises à l'égard de chacun des règlements. Les taxes ont été payées sans protêt. L'appelante n'a pas justifié le délai pour intenter son action, qui relève alors du pouvoir de surveillance et de réforme de la Cour supérieure.

À l'instar du juge Lévesque de la Cour d'appel, je suis d'avis qu'il ne s'agit pas d'une absence de compétence, ni même d'un vice touchant à l'exercice global par l'intimée de ses pouvoirs comme dans l'affaire Air Canada, précitée. La matière est sous l'autorité entière de l'intimée. Il s'agit plutôt d'un vice dans l'exercice de ce pouvoir, soit le défaut de préavis à certaines personnes. Ces personnes sont les seules lésées et en ce sens ce défaut pourrait être qualifié de nullité relative.

Il était loisible au juge du procès dans l'exercice de sa discrétion de tenir compte du comportement de l'appelante. Il a souligné son manque de diligence à faire valoir ses droits en intentant son action plus de quinze (15) ans après le premier règlement attaqué et cinq (5) ans après le plus récent ainsi que le besoin d'une certaine stabilité dans les finances municipales. De plus, l'appelante a pris l'engagement lors de l'acquisition de sa propriété de payer les taxes spéciales comme en fait foi l'acte de vente, ce qui constitue une présomption de connaissance pour elle et ses auteurs. L'appelante a reçu chaque année les comptes de taxes qu'elle a payé sans aucune protestation. Les travaux ont été effectués et les obligations émises et remboursées.

J'estime qu'il n'y a pas lieu que notre Cour intervienne pour redresser le jugement de première instance, puisque le juge a judiciairement exercé sa discrétion et qu'il a respecté les principes de droit établis.

VI -- Conclusions

Pour tous ces motifs, je rejetterais le pourvoi avec dépens devant toutes les cours.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l'appelante: Dunton, Rainville, Toupin & Perrault, Montréal.

Procureurs de l'intimée: Rochon, Prévost, Auclair, Fortin & D'Aoust, St‑Jérôme.

*Juge en chef à la date du jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1991] 1 R.C.S. 326 ?
Date de la décision : 28/02/1991
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit municipal - Règlements d'emprunt - Insuffisance des avis publics de convocation des électeurs - Action directe en nullité - Règlements contestés en vigueur depuis plus de cinq ans - La Cour supérieure avait‑elle discrétion pour rejeter l'action pour motif de tardiveté? - Dans l'affirmative, la cour a‑t‑elle valablement exercé sa discrétion? - Code municipal, art. 684a, 758 - Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 33.

Procédure civile - Action directe en nullité - Règlements municipaux contestés en vigueur depuis plus de cinq ans - Délai d'exercice du recours - Nature discrétionnaire du recours - Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 33.

De 1969 à 1978, l'intimée a adopté des règlements d'emprunt afin de défrayer certains coûts d'améliorations locales. Chacun des règlements prévoyait qu'une partie des coûts de certains travaux devrait être supportée au moyen d'une taxe spéciale par les propriétaires d'immeubles d'un secteur donné de la municipalité. En 1977, l'appelante a fait l'acquisition d'un terrain situé dans un secteur visé par les règlements d'emprunt. Le contrat de vente stipulait que l'appelante s'engageait à payer les taxes municipales générales et spéciales, y compris "tous les versements futurs de taxes spéciales dont le paiement a été étalé sur un certain nombre d'années". En 1983, l'appelante a intenté, en vertu de l'art. 33 C.p.c., une action en nullité des règlements d'emprunt et en répétition des taxes spéciales indûment payées pour les années 1978 à 1983, alléguant principalement que l'intimée n'avait pas suivi les formalités essentielles à l'adoption de ces règlements. L'article 758 du Code municipal disposait que pour entrer en vigueur et devenir exécutoire, un règlement d'emprunt devait être approuvé par les "électeurs municipaux propriétaires d'immeubles imposables" à une assemblée publique tenue au plus tard le trentième jour de la date de l'adoption du règlement alors que ces électeurs devaient avoir reçu un "avis de convocation d'au moins dix jours francs". Or, les lots dont l'appelante était propriétaire n'étaient même pas mentionnés dans la plupart des avis de convocation contestés. La Cour supérieure a rejeté l'action directe en nullité pour motif de tardiveté. Le premier juge a déclaré que malgré la prescription trentenaire de l'action directe en nullité, la Cour supérieure peut exercer sa discrétion et refuser d'intervenir si le plaignant a fait preuve d'un manque de diligence dans la contestation. Le juge a conclu que l'action n'avait pas été intentée dans un délai raisonnable, la clause au contrat de vente et le paiement des taxes d'amélioration démontrant que l'appelante avait connaissance des règlements depuis plus de cinq ans. La Cour d'appel, à la majorité, a confirmé le jugement de la Cour supérieure.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

L'adoption des règlements contestés n'est pas conforme aux dispositions du Code municipal. L'article 684a, avant comme après la modification législative de 1979, permettait à l'intimée d'imposer une taxe spéciale à l'appelante sans en assumer les coûts en partie, mais l'intimée n'a pas satisfait aux conditions de l'art. 758 concernant les avis publics de convocation des électeurs. La plupart des avis contestés n'indiquaient pas les immeubles de l'appelante parmi ceux visés par les règlements d'emprunt. La désignation contenue aux avis était donc nettement insuffisante. En ne lui donnant pas d'avis d'assemblée, on a nié à l'appelante son droit d'être entendue et on a négligé de demander et d'obtenir une approbation requise par la loi. Le groupe des propriétaires d'immeubles imposables constituait une composante essentielle du processus réglementaire.

L'insuffisance des avis publics de convocation des électeurs constitue une illégalité grave qui porte sur l'inobservation par la municipalité de formalités requises par la loi. Cette illégalité met en cause le respect de la règle audi alteram partem et l'exercice du droit de vote de l'appelante. Il est donc indéniable, à première vue, que l'appelante pouvait attaquer la validité des règlements d'emprunt par une action directe en nullité puisqu'il ne s'agit ni d'une simple irrégularité ni d'une informalité. Cependant, sauf le cas d'absence totale de compétence, le juge peut refuser d'accorder le redressement recherché, si, eu égard aux circonstances, il estime justifié de le faire. Ce pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refuser un tel recours est inhérent à la juridiction de contrôle que possède la Cour supérieure en vertu de l'art. 33 C.p.c. Vu la nature discrétionnaire du recours, et malgré la prescription trentenaire prévue à l'art. 2242 C.c.B.‑C., l'action directe en nullité doit être exercée dans un délai raisonnable. L'exigence du délai raisonnable subsiste dans l'exercice de ce recours en vertu des principes de common law.

Le juge saisi d'une action directe en nullité doit exercer judiciairement son pouvoir de contrôle et respecter les principes de droit établis. Il ne peut agir de façon purement arbitraire. Dans l'exercice de sa discrétion, le juge doit tenir compte d'un certain nombre de facteurs, entre autres, de la nature de l'acte attaqué et de la nature de l'illégalité commise et ses conséquences. Il doit également tenir compte des causes du délai entre l'acte attaqué et l'institution de l'action. La nature du droit invoqué et le comportement du demandeur sont d'autres facteurs pertinents à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour supérieure. Le demandeur peut être appelé à expliquer son inaction de façon à ce que la Cour supérieure puisse évaluer le caractère raisonnable du délai d'exercice de son droit.

En l'espèce, le juge de première instance a eu raison d'exercer sa discrétion et de rejeter l'action eu égard aux circonstances et à l'importance relative de la nullité invoquée. Il ne s'agissait pas d'un cas d'absence de compétence, ni même d'un vice touchant à l'exercice global par l'intimée de ses pouvoirs. La matière était sous l'autorité entière de l'intimée. Il s'agissait plutôt d'un vice dans l'exercice de ce pouvoir, soit le défaut de préavis à certaines personnes. Ces personnes étaient les seules lésées et, en ce sens, ce défaut pourrait être qualifié de nullité relative. Enfin, il était loisible au juge du procès dans l'exercice de sa discrétion de tenir compte du comportement de l'appelante et de son manque de diligence à faire valoir ses droits.


Parties
Demandeurs : Immeubles port louis ltée
Défendeurs : Lafontaine (Village)

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec c. Pillin, [1983] C.A. 277
Cité de Sillery v. Sun Oil Co., [1962] B.R. 914, conf. [1964] R.C.S. 552
Comité de citoyens et d'action municipale de St‑Césaire Inc. c. Ville de St‑Césaire, [1985] C.S. 35, conf. [1986] R.J.Q. 1061 (C.A.)
City of Beaconsfield c. Bagosy (1974), [1982] J.M. 92
Trudeau v. Devost, [1942] R.C.S. 257
Dechène v. City of Montreal, [1894] A.C. 640
Shannon Realties, Ltd. v. Ville de St. Michel, [1924] A.C. 185
Donohue Bros. v. Corporation of the Parish of St. Etienne de La Malbaie, [1924] R.C.S. 511
Tremblay v. Corporation des Éboulements (1923), 35 B.R. 474
Corporation de la paroisse de St‑Joseph de Maskinongé v. Boucher (1926), 41 B.R. 359
Ville de La Tuque v. Desbiens (1919), 30 B.R. 20
Abel Skiver Farm Corp. c. Ville de Ste‑Foy, [1983] 1 R.C.S. 403
Montreal Light, Heat & Power Cons. v. City of Westmount, [1926] R.C.S. 515
Soeurs Dominicaines de l'Enfant‑Jésus v. Corporation de la paroisse de St‑Colomb‑de‑Sillery (1928), 45 B.R. 101
Brown v. Corporation of the Village of Asbestos (1929), 67 C.S. 531
Thériault v. Corporation de la Paroisse de Notre‑Dame du Lac (1903), 9 R. de J. 326
Ville de Beaconsfield v. Brunet (1920), 31 B.R. 196
Corporation de la Rivière du Gouffre v. Larouche (1925), 39 B.R. 267
Corporation du village de St-Ulric de la Rivière Blanche v. Corporation du comté de Matane (1924), 38 B.R. 247
Corporation de St‑Joseph de Beauce v. Lessard, [1954] B.R. 475
Beauchamp c. Cité d'Outremont, [1970] C.A. 286
Air Canada c. Cité de Dorval, [1985] 1 R.C.S. 861
Town of St. Louis v. Citizens Light and Power Co. (1903), 13 B.R. 19
Corporation municipale du Village de Ste‑Anne‑du‑Lac v. Hogue, [1959] R.C.S. 38
Gravel c. Cité de St‑Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660
Théberge c. Métabetchouan (Ville), [1987] 2 R.C.S. 746
Wiswell v. Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg, [1965] R.C.S. 512
Eaton v. St. James Assiniboia Community Committee, [1974] 2 W.W.R. 342
Boily c. Corporation de St‑Henri de Taillon (1920), 61 R.C.S. 40
Desy c. Corporation de St‑Constant (1923), 36 B.R. 202
Three Rivers Boatman Ltd. v. Conseil canadien des relations ouvrières, [1969] R.C.S. 607
Procureur général du Québec c. Farrah, [1978] 2 R.C.S. 638
Vachon c. Procureur général du Québec, [1979] 1 R.C.S. 555
Côté v. Corporation of the County of Drummond, [1924] R.C.S. 186
Sidbec‑Dosco Inc. c. Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec, [1987] R.J.Q. 197
Québec (Procureur général) c. Giroux, [1988] R.J.Q. 1774
Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561
Homex Realty and Development Co. c. Corporation of the Village of Wyoming, [1980] 2 R.C.S. 1011
Regina v. Aston University Senate, Ex parte Roffey, [1969] 2 Q.B. 538
Regina v. Herrod, Ex parte Leeds City District Council, [1976] Q.B. 540
The Queen v. Sheward (1880), 5 Q.B.D. 179, conf. (1880), 9 Q.B.D. 741 (C.A.)
Rex v. Glamorganshire Appeal Tribunal, Ex parte Fricker (1917), 33 T.L.R. 152
Rex v. Stafford Justices, Ex parte Stafford Corporation, [1940] 2 K.B. 33
Soeurs de Jeanne‑d'Arc v. Aqueduc de Sillery (1929), 47 B.R. 235
Samson c. Ville de St‑Bruno de Montarville, [1981] C.A. 193
Corporation municipale de la Cité de Sept‑Iles c. Rioux, [1985] C.A. 295
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110.
Lois et règlements cités
Code civil du Bas‑Canada, art. 2242.
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 33, 453, 834 et suiv.
Code municipal, art. 14, 684a [aj. 1963, ch. 65, art. 8
mod. 1968, ch. 86, art. 38
rempl. 1979, ch. 36, art. 49], 758 [rempl. 1963, ch. 65, art. 10
mod. 1975, ch. 82, art. 35], 697 [mod. 1946, ch. 55, art. 14
1950, ch. 74, art. 11
1979, ch. 72, art. 291].
Code municipal du Québec, L.R.Q., ch. C‑27.1, art. 689 et suiv., 979.
Loi sur la fiscalité municipale, L.R.Q., ch. F‑2.1 [auparavant L.Q. 1979, ch. 72], art. 3.
Loi sur les cités et villes, L.R.Q., ch. C‑19, art. 11, 397 et suiv.
Doctrine citée
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L'Heureux, Jacques. Droit municipal québécois, t. 2. Montréal: Wilson & Lafleur/SOREJ, 1984.
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Wade, H. W. R. Administrative Law, 6th ed. Oxford: Clarendon Press, 1988.

Proposition de citation de la décision: Immeubles port louis ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326 (28 février 1991)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1991-02-28;.1991..1.r.c.s..326 ?
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