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18/04/1991 | CANADA | N°[1991]_1_R.C.S._830

Canada | R. c. Corbeil, [1991] 1 R.C.S. 830 (18 avril 1991)


R. c. Corbeil, [1991] 1 R.C.S. 830

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Chantal Linda Corbeil Intimée

répertorié: r. c. corbeil

No du greffe: 21897.

1991: 31 janvier; 1991: 18 avril.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Cory et Stevenson.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1990] R.J.Q. 963, 57 C.C.C. (3d) 554, qui a accueilli l'appel de l'intimée contre sa déclaration de culpabilité sur l'accusation d'avoir tenu une maison de déb

auche. Pourvoi rejeté, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente.

Éric Simard et Jean‑Pierre Proulx, pour l'appelante.
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R. c. Corbeil, [1991] 1 R.C.S. 830

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Chantal Linda Corbeil Intimée

répertorié: r. c. corbeil

No du greffe: 21897.

1991: 31 janvier; 1991: 18 avril.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Cory et Stevenson.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1990] R.J.Q. 963, 57 C.C.C. (3d) 554, qui a accueilli l'appel de l'intimée contre sa déclaration de culpabilité sur l'accusation d'avoir tenu une maison de débauche. Pourvoi rejeté, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente.

Éric Simard et Jean‑Pierre Proulx, pour l'appelante.

Michel Ferland, pour l'intimée.

//Le juge en chef Lamer//

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges La Forest, Cory et Stevenson rendu par

Le juge en chef Lamer — Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et je suis en grande partie d'accord avec les motifs du juge Fish de la Cour d'appel du Québec, [1990] R.J.Q. 963, 57 C.C.C. (3d) 554.

Il est important de garder à l'esprit que le pourvoi du ministère public est interjeté de plein droit en vertu de l'al. 693(1)a) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. Par conséquent, le seul point litigieux dont notre Cour est régulièrement saisie est la question de droit qui a donné lieu à la dissidence du juge Tourigny en Cour d'appel, c'est‑à‑dire la question de savoir si l'existence d'un élément de soin et d'administration est nécessaire pour justifier une déclaration de culpabilité de tenue d'une maison de débauche en contravention du par. 210(1) du Code. Je suis d'accord avec les motifs du juge Fish et, avec égards, je ne peux partager les motifs de dissidence du juge Tourigny dans la mesure où je conclus que la simple participation aux activités "illicites" qui ont cours dans une maison de débauche n'est pas suffisante pour justifier une déclaration de culpabilité de tenue d'une maison de débauche.

Je partage l'avis du juge Fish qu'une personne qui répond à la définition de "tenancier" contenue au par. 197(1) ne "tient" pas nécessairement une maison de débauche aux fins du par. 210(1). Je suis d'accord avec le juge Fish que, bien que cela puisse sembler incongru à première vue, il serait encore plus incongru d'interpréter le verbe "tient" du par. 210(1) de manière que l'infraction "moindre" (prévue au par. 210(2)) exige un degré plus élevé de culpabilité que l'infraction plus grave, punissable par voie de mise en accusation, prévue au par. 210(1).

À mon avis, l'arrêt de notre Cour R. v. Kerim, [1963] R.C.S. 124, est compatible avec la conclusion que la simple participation aux activités "illicites" d'une maison de débauche n'est pas suffisante pour justifier une déclaration de culpabilité de tenue d'une maison de débauche. Dans l'affaire Kerim, l'accusé était le président de la société qui était propriétaire de la maison de jeu, et il était sur les lieux chaque soir. Ainsi, dans l'affaire Kerim il existait clairement un élément de contrôle sur les lieux. Ce qui n'existait pas, cependant, c'était une participation de l'accusé à l'utilisation illicite de l'endroit. Notre Cour a conclu que, sans l'élément de participation, on ne pouvait pas dire que l'accusé "tenait" une maison de jeu.

En l'espèce, c'est la situation inverse. Le juge du procès a conclu que l'accusée, Mme Corbeil, a participé aux activités "illicites" de la maison de débauche. Il est clair que l'accusée en l'espèce était un "occupant" du local et l'utilisait de façon "permanente ou temporaire". Cependant, l'élément requis de contrôle quant au soin et à l'administration des lieux, qui existait dans l'affaire Kerim, précitée, est inexistant en l'espèce.

L'analyse qui précède peut se résumer comme suit. Pour que s'applique l'infraction de tenue d'une maison de débauche, deux éléments doivent exister: (1) l'accusé doit avoir un certain degré de contrôle sur le soin et l'administration des lieux, et (2) l'accusé doit participer dans une certaine mesure, comme le dit l'arrêt Kerim, aux activités "illicites" qui ont cours dans la maison de débauche. Cela ne signifie pas que l'élément de participation exige une participation personnelle aux actes de nature sexuelle qui ont lieu dans la maison de débauche; il suffit que l'accusé participe à l'utilisation de la maison comme maison de débauche. Évidemment, l'élément de participation aux activités "illicites" n'est pas nécessaire pour constituer l'infraction moindre prévue à l'al. 210(2)c) qui prévoit qu'un propriétaire, locateur, etc., ou une personne ayant autrement la charge ou le contrôle d'un local, qui permet sciemment que ce local ou une partie du local soit loué ou employé aux fins de maison de débauche, est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Parce que l'infraction de tenue d'une maison de débauche est une infraction plus grave, punissable par voie de mise en accusation, que celle prévue à l'al. 210(2)c), les deux éléments de culpabilité sont nécessaires pour justifier une déclaration de culpabilité en vertu du par. 210(1). Plus simplement, dans le cas visé à l'al. 210(2)c), l'accusé est passif devant l'utilisation illicite de la maison mais, dans le cas visé au par. 210(1), il est actif.

Je signale que, bien que le Parlement ait choisi de réglementer au moyen du Code criminel de nombreuses activités reliées à la prostitution et aux actes d'indécence, comme induire une personne à avoir des rapports sexuels illicites avec une autre personne (al. 212(1)a)) et solliciter une personne dans un endroit public aux fins de la prostitution (par. 213(1)), la prostitution elle‑même n'est pas illégale au Canada (voir Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123, à la p. 1162). Le paragraphe 210(1), un autre exemple, n'interdit pas la prostitution; il érige en infraction criminelle l'action qui consiste à tenir une maison de débauche. Pour cet autre motif, je suis d'avis que, pour justifier une déclaration de culpabilité en vertu du par. 210(1), il faut établir que l'accusé exerçait un degré de contrôle sur le soin et l'administration des lieux. Si cet élément de contrôle sur le soin et l'administration n'était pas nécessaire pour justifier une déclaration de culpabilité, le sens du verbe "tenir" aux fins du par. 210(1) serait en réalité étendu, vu la définition large de "maison de débauche" au par. 197(1), de manière à comprendre la prostitution elle‑même. Il en serait ainsi parce qu'un simple usager d'un endroit aux fins de la prostitution serait coupable de l'infraction visée au par. 210(1), la tenue d'une maison de débauche. À mon avis, une personne qui utilise simplement un endroit à des fins de prostitution sans tenter d'exercer aucun contrôle quant au soin et à l'administration de ces lieux, comme c'était le cas dans l'affaire R. v. Pierce and Golloher (1982), 66 C.C.C. (2d) 388 (C.A. Ont.), ne "tient" pas l'endroit en tant que maison de débauche. Si cette personne n'est pas coupable d'une infraction reliée, comme la perpétration d'une action indécente dans un endroit public (al. 173(1)a)), sa conduite n'est pas interdite par le Code criminel.

Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de maintenir l'acquittement inscrit par la Cour d'appel du Québec.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Les motifs suivants ont été rendus par

Le juge L'Heureux-Dubé (dissidente) — Ce pourvoi concerne l'interprétation du par. 210(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, antérieurement le par. 193(1) aux termes duquel l'intimée a été accusée. Comme je ne suis pas d'accord avec les motifs et la conclusion du Juge en chef, avec déférence, j'inscris ma dissidence pour les motifs exposés ci‑dessous.

Les faits

L'intimée a été trouvée au Studio Altesse, un salon de massage qui offrait à ses clients un massage d'une demi‑heure "du cou aux chevilles" pour 60 $. Au choix du client, le massage incluait la masturbation. Les frais de 60 $ étaient perçus par une masseuse, telle l'intimée, qui en remettait la moitié au propriétaire de l'établissement, M. André Véronneau. La masseuse conservait l'autre moitié. En l'espèce, l'intimée, vêtue d'une "mini‑robe" rose, se trouvait dans l'une des cabines du salon à l'arrivée de la police. Son client était entièrement nu.

Au procès de l'intimée, et le propriétaire et Manon St‑Denis, une autre employée du salon, ont été des témoins à charge. (Véronneau et St‑Denis ont été déclarés coupables de l'infraction prévue au par. 193(1) (maintenant par. 210(1)) du Code, sur la foi des preuves résultant de la même descente de police). La déposition principale de St‑Denis a révélé que l'intimée n'était pas la gérante du salon. St‑Denis a également témoigné que, lorsqu'un client arrivait, une masseuse, en l'espèce l'intimée, le rencontrait à l'avant et ils se rendaient ensemble dans une cabine de massage. Il n'y avait pas de réceptionniste en permanence. Si le client désirait une autre masseuse que celle qui l'avait accueilli, ou s'informait s'il y en avait d'autres, une autre se présentait. Les habitués pouvaient ainsi retrouver leur masseuse favorite. En outre, on tenait un registre dans lequel chaque masseuse était obligée d'inscrire l'heure d'arrivée et de départ de ses clients, ce qui permettait le calcul du nombre de clients par jour. Les clients payaient la masseuse directement et celle‑ci déposait ensuite la moitié du prix dans une boîte que Véronneau ramassait soit à la fin de la journée, soit le lendemain matin. La dernière masseuse à mettre de l'argent dans la boîte chaque jour comptait l'argent pour s'assurer que le total correspondait au nombre de clients inscrits dans le registre.

C'est sur la foi de cette preuve que l'intimée a été déclarée coupable au procès et c'est sur cette même preuve que le juge dissident en Cour d'appel a conclu que l'intimée exerçait un degré de contrôle sur l'utilisation illégale du local. La majorité a interprété différemment la loi, a fait droit à l'appel et a inscrit un verdict d'acquittement.

Les textes législatifs

Les dispositions applicables à ce pourvoi sont énoncées à la partie VII du Code criminel intitulée "Maisons de désordre, jeux et paris". Le paragraphe 197(1) (par. 179(1) au moment du procès) est ainsi rédigé:

197. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

. . .

"maison de débauche" Local qui, selon le cas:

a) est tenu ou occupé;

b) est fréquenté par une ou plusieurs personnes,

à des fins de prostitution ou pour la pratique d'actes d'indécence.

. . .

"tenancier" S'entend notamment d'une personne qui, selon le cas:

a) est un propriétaire ou occupant d'un local;

b) aide un propriétaire ou occupant d'un local ou agit pour son compte;

c) paraît être propriétaire ou occupant d'un local ou paraît lui aider ou agir pour son compte;

d) a le soin ou l'administration d'un local;

e) emploie un local, de façon permanente ou temporaire, avec ou sans le consentement du propriétaire ou de l'occupant.

L'article 210 du Code criminel prévoit notamment:

210. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de deux ans quiconque tient une maison de débauche.

(2) Est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, selon le cas:

a) habite une maison de débauche;

b) est trouvé, sans excuse légitime, dans une maison de débauche;

c) en qualité de propriétaire, locateur, occupant, locataire, agent ou ayant autrement la charge ou le contrôle d'un local, permet sciemment que ce local ou une partie du local soit loué ou employé aux fins de maison de débauche.

Les jugements des tribunaux d'instance inférieure

En Cour des sessions de la paix, le juge Boyer a entendu les témoignages de Véronneau, de St‑Denis et de deux agents de la Sûreté du Québec. Après avoir fait remarquer que l'avocat de l'intimée avait reconnu que le salon était une maison de débauche au sens du Code, le juge du procès a conclu que, puisque l'intimée "occupait ce local en l'employant de façon, que ce soit permanent ou temporaire, tel que confirmé par les chèques qui lui étaient émis, je la trouve coupable . . ."

En Cour d'appel, le juge Fish (le juge Monet souscrivant à la décision et ajoutant quelques observations) a conclu qu'il n'existait "aucune preuve" justifiant la déclaration de culpabilité en vertu du par. 210(1) et a fait droit à l'appel interjeté de la déclaration de culpabilité: [1990] R.J.Q. 963, 57 C.C.C. (3d) 554 (ci‑après cité au R.J.Q.). Le juge Fish analyse la définition du mot "tenancier" à l'art. 197 et les infractions prévues à l'art. 210 et, se référant à l'arrêt R. v. Kerim, [1963] R.C.S. 124, il fait observer (à la p. 966):

[traduction] Bien que l'art. 197 définisse le mot "tenancier" comme suit: "propriétaire ou occupant d'un local", le propriétaire ne peut être déclaré coupable d'avoir "tenu" un tel local que s'il est prouvé qu'il a participé à l'utilisation illicite de ce local: arrêt Kerim, précité. Cela ne signifie toutefois pas, à mon avis, que quiconque participe à l'utilisation illicite d'un local — par exemple, qui y habite ou qui en est client — en est tenancier. Le sens ordinaire du mot "tient" ne permet simplement pas cette interprétation: employer, ce n'est pas tenir. [En italique dans l'original.]

De l'avis du juge Fish, la jurisprudence a introduit dans l'infraction consistant à "tenir" une maison de débauche un élément d'administration ou de contrôle de cette maison. Au surplus, il a fait expressément mention des modifications apportées par S.C. 1953‑54, ch. 51. Il a conclu que, bien que l'intimée [traduction] "eût bien pu" être déclarée coupable d'avoir habité la maison, si elle avait été inculpée de l'infraction prévue à l'al. 210(2)a) du Code, aucun élément de preuve ne justifiait la condamnation à l'égard de l'infraction consistant à tenir une maison de débauche que prévoit le par. 210(1) du Code.

Dans ses motifs de dissidence, le juge Tourigny, faisant référence à la définition de "tenancier" du par. 197(1), étudie aussi l'arrêt R. v. Kerim, précité, et fait observer (à la p. 969):

Je le répète, il ne suffit pas de faire la preuve qu'une personne occupe un local ou emploie un local dans une maison de débauche, encore faut‑il, comme l'a précisé l'arrêt Kerim, démontrer sa participation active dans l'usage illégal pour que cette personne puisse être trouvée coupable de l'acte criminel prévu au paragraphe (1) plutôt que de l'infraction punissable sur déclaration de culpabilité sur procédure sommaire prévue au paragraphe (2) de l'article 210.

Le juge Tourigny conclut à la p. 969 que les arrêts R. v. Pierce and Golloher (1982), 66 C.C.C. (2d) 388 (C.A. Ont.), et R. v. McLellan (1980), 55 C.C.C. (2d) 543 (C.A.C.‑B.), "semblent exiger une certaine forme de contrôle pour qu'une personne puisse être trouvée coupable de l'acte criminel prévu" au par. 210(1). Après une revue de ces deux arrêts, tous deux menant à l'acquittement de l'accusé, elle dit (aux pp. 969 et 970):

Les circonstances de ces deux affaires me paraissent sensiblement différentes de celle qui nous occupe. Ici, Mme Corbeil est une personne qui fréquente régulièrement l'endroit, reçoit des sommes d'argent du propriétaire et y travaille régulièrement, au moins pendant une période donnée, comme masseuse.

J'en viens donc à la conclusion que les différences suffisent pour que, contrairement aux cas de prostituées qui utilisent de temps à autre, sans aucun accord avec qui ce soit et de façon individuelle, des locaux, il puisse y avoir accusation et condamnation aux termes de l'article 210(1).

Le juge Tourigny fait aussi remarquer que c'était la masseuse qui percevait le prix payé par les clients et que ni le propriétaire ni St‑Denis n'exerçaient de contrôle sur la tenue des comptes.

Analyse

1.Introduction

Ce pourvoi a été formé de plein droit à cause de la dissidence sur une question de droit en Cour d'appel. Je souscris à la formulation qu'a faite le Juge en chef de la question de droit que notre Cour doit trancher.

L'interaction des par. 197(1) et 210(1) du Code criminel est ici au c{oe}ur du débat. Outre leur divergence dans l'appréciation des faits, les juges de la majorité et de la minorité en Cour d'appel ont interprété différemment ces deux dispositions du Code. Aux termes du par. 210(1), quiconque "tient" une maison de débauche est coupable d'une infraction, tandis que le par. 197(1) donne la définition du terme "tenancier". La Cour d'appel à la majorité a conclu qu'une personne visée à l'al. e) de la définition de "tenancier" donnée au par. 197(1) pourrait ne pas être une personne qui "tient" aux fins du par. 210(1). Cela soulève la question de la portée de la définition, ainsi que de l'intention du Parlement lorsqu'il a inclus à l'al. e) de la définition du mot "tenancier", au par. 197(1), une personne qui "emploie un local, de façon permanente ou temporaire, avec ou sans le consentement du propriétaire ou de l'occupant".

Notre Cour est donc appelée à décider si la personne qui "emploie" un local au sens de l'al. e) de la définition du par. 197(1) est aussi une personne qui "tient" une maison de débauche au sens du par. 210(1) et commet ainsi l'infraction prévue dans cet article. Pour formuler les critères applicables, il convient d'examiner le contexte de l'adoption du texte de loi et les précédents pertinents. L'interaction des diverses définitions et infractions énoncées aux par. 197(1), 210(1) et 210(2) sera également étudiée.

2.Contexte législatif

Les infractions en cause remontent à l'ancien droit pénal anglais. Les dispositions de la Disorderly Houses Act (R.-U.), 25 Geo. 2, ch. 36, ont posé les bases des infractions de même nature prévues au Code criminel. En particulier, la définition actuelle de "tenancier" du par. 197(1) s'inspire de l'art. VIII de la Loi de 1752, qui se lit:

[traduction] VIII. Et attendu qu'en raison des nombreuses inventions subtiles et astucieuses des personnes qui tiennent des maisons de débauche, de jeu ou d'autres maisons de désordre, il est difficile de prouver qui en est le véritable propriétaire ou tenancier, ce qui a permis à nombre de délinquants notoires d'échapper au châtiment; Édicte, par l'autorité du susdit: Dorénavant, quiconque se montre, agit ou se conduit comme le maître ou la maîtresse, ou comme la personne chargée du soin, de la conduite ou de l'administration d'une maison de débauche, de jeu ou de désordre, sera réputé en être le tenancier et pourra être poursuivi et puni en conséquence, bien qu'en réalité il n'en soit pas le propriétaire ou le tenancier réel. [Je souligne.]

Au Canada, les infractions relatives aux maisons de débauche ont leur origine dans l'Acte relatif aux Vagabonds, S.C. 1869, ch. 28, que le Parlement a passé en 1869, puis incorporé dans le premier Code criminel. Il n'est pas sans intérêt de noter que, dans le premier Code criminel, on trouvait diverses infractions dans différentes parties du Code visant les personnes qui "tenaient" une maison de désordre (terme qui s'entend en outre d'une maison de débauche) et le "tenancier" d'une maison de débauche, qui était tenu pour un vagabond. La partie XIV du Code criminel, 1892, S.C. 1892, ch. 29, était intitulée "Des nuisances" et créait les infractions suivantes:

195. Une maison de débauche publique est une maison, chambre, suite de chambres ou local d'un genre quelconque tenu dans un but de prostitution.

198. Est coupable d'un acte criminel et passible d'un an d'emprisonnement, tout individu qui tient une maison déréglée, c'est‑à‑dire, une maison de débauche, une maison de jeu, ou une maison de paris, telles que définies ci‑dessus.

2. Quiconque se montre, agit ou se conduit comme le maître ou la maîtresse, ou comme la personne chargée du soin, de la conduite ou de l'administration d'une maison déréglée, sera réputé la tenir et pourra être poursuivi et puni en conséquence, bien qu'en réalité il ou elle n'en soit pas le propriétaire ou ne la tienne pas réellement.

La partie XV, intitulée "Du vagabondage", contenait les articles suivants:

207. Est réputé vagabond, libertin, dés{oe}uvré ou débauché, quiconque, --

. . .

j.) Tient ou habite une maison déréglée, de prostitution ou mal famée, ou une maison fréquentée par des prostituées;

208. Tout vagabond, libertin, dés{oe}uvré ou débauché est, sur conviction sommaire devant deux juges de paix, passible d'une amende n'excédant pas cinquante piastres, ou d'un emprisonnement, avec ou sans travail forcé, de six mois au plus, ou des deux peines à la fois.

L'historique de la loi nous révèle que par la suite le Parlement, par diverses modifications, a élargi la portée de la définition de "tenancier" (énoncée à l'origine au par. 198(2)) ainsi que la définition de "maison de débauche" (énoncée à l'origine à l'art. 195).

Interprétant ces articles du Code de 1892, les tribunaux ont conclu qu'étant donné la définition de maison de débauche à l'art. 195, une prostituée ne pouvait pas être déclarée coupable d'avoir "tenu" une maison, à moins que d'autres personnes n'aient également fréquenté le local à des fins de prostitution: R. v. Mannix (1905), 10 C.C.C. 150 (C.A. Ont.). En 1907 (S.C. 1907, ch. 8, art. 2), le Parlement a modifié la définition de maison de débauche pour en étendre la portée à l'occupant et à la personne ou aux personnes qui utilisaient un local quelconque à des fins de prostitution. L'ancien par. 195(1) a été renuméroté 225 et libellé comme suit:

225. Une maison de débauche publique est une maison, une chambre, un appartement ou un local quelconque tenu pour les fins de la prostitution ou habité ou fréquenté par une ou plusieurs personnes pour ces fins. [Modification soulignée.]

En 1917 (S.C. 1917, ch. 14, art. 3), cette définition a de nouveau été modifiée pour inclure les locaux employés pour des "actes indécents". Ainsi, de 1917 jusqu'aux modifications apportées en 1953‑1954, la définition de maison de débauche était la suivante:

225. Une maison de débauche publique est une maison, chambre, appartement ou local d'un genre quelconque tenu dans un but de prostitution, ou pour y pratiquer des actes indécents, ou occupé ou fréquenté par une ou plusieurs personnes pour les fins susdites.

Il faut toutefois remarquer que les infractions consistant à tenir une maison de jeu, de débauche ou de désordre sont restées regroupées dans la même disposition à partir du Code de 1892 jusqu'en 1947. Cette année‑là (S.C. 1947, ch. 55, art. 4), ces infractions ont été en partie séparées avec le résultat que la tenue d'une maison de jeu et la tenue d'une maison de paris se sont retrouvées au par. 229(1), tandis que l'infraction consistant à tenir une maison de débauche était prévue au par. 229(2).

De même, les modifications apportées en 1947 ont élargi les paramètres de l'infraction consistant à "tenir" une maison de désordre en présumant être un "tenancier" quiconque aide au soin, à la conduite ou à l'administration de celle‑ci. La disposition adoptée à l'origine, demeurée telle quelle depuis le Code de 1892, était modifiée et devenait libellée comme suit (les passages modifiés sont soulignés):

229. ...

(3) Quiconque se montre, agit ou se conduit comme le maître ou la maîtresse d'une maison de désordre, ou comme la personne ayant le soin, la conduite ou l'administration d'une maison de désordre, ou comme aidant à ce soin, à cette conduite ou à cette administration, est réputé en être le tenancier, et est passible de poursuite et de punition comme tel, bien qu'effectivement il ou elle n'en soit pas le propriétaire ou tenancier réel.

Les tribunaux, dont notre Cour, ont presque uniformément décidé que les modifications de 1907 élargissant la définition de maison de débauche pouvaient justifier une déclaration de culpabilité d'une personne qui louait simplement une chambre ou occupait une maison à des fins de prostitution, pour l'infraction consistant à "tenir" une maison: R. v. Smith (1908), 12 O.W.R. 80 (C.A.); R. v. Miket (1938), 53 B.C.R. 37 (C.A.); R. v. Richards (1938), 70 C.C.C. 105 (C.A. Ont.); R. v. Cohen, [1939] R.C.S. 212. Contra, voir R. v. Sorvari (1937), 69 C.C.C. 281 (C.A. Ont.).

Cependant, il semble que peu de décisions publiées aient trait au cas de la personne accusée d'avoir tenu un "local d'un genre quelconque" qui n'était pas une chambre ni une maison mais qui était fréquenté aux fins d'actes indécents. Les tribunaux qui ont étudié cette expression n'ont pas prononcé de déclaration de culpabilité à cet égard. Dans Perron v. The Queen (1954), 18 C.R. 270 (B.R. Qué.), l'accusée était une prostituée inculpée d'avoir "tenu" une maison. Aucun élément de preuve n'établissait qu'elle occupait un local ni qu'elle était locataire d'une chambre dans cette maison. Après un examen attentif de l'interprétation de la définition élargie du mot "tenancier" que donne le par. 229(3) ci‑dessus, le juge Rinfret, pour un banc de cinq juges, dit (à la p. 275):

Prise textuellement cette énumération pourrait s'appliquer à n'importe quelle personne qui, de près ou de loin, pourrait contribuer à l'opération de l'établissement et couvrirait les employés ou employées subalternes qui n'ont rien à faire ni à dire dans la conduite et l'administration de l'établissement mais qui aident dans son soin.

Le juge Rinfret a conclu que cette théorie contredisait les précédents faisant autorité (en particulier l'arrêt R. v. Mark (1924), 43 C.C.C. 368 (C.A. Ont.), relatif à une maison de jeu), et n'était pas compatible avec les textes de loi alors en vigueur. L'accusée a donc été acquittée. Voir aussi Wilson v. The Queen, [1953] B.R. 424.

Jusqu'aux années 1950, les cours d'appel des provinces avaient rendu plusieurs décisions contradictoires sur l'interprétation de l'infraction consistant à tenir une maison de jeu — infraction, on s'en souviendra, qui est demeurée jusqu'en 1947 dans le même article du Code que l'infraction consistant à tenir une maison de débauche. Certains juges ont émis l'opinion que la personne qui ne faisait qu'employer un local pouvait, s'il s'agissait d'une maison de jeu, être déclarée coupable de l'infraction consistant à "tenir" une maison: R. v. Marin (1937), 68 C.C.C. 245 (C.A. Ont.); R. v. Sokol (1949), 95 C.C.C. 360 (C.A. Man.); R. v. Girone and Genoe (1953), 106 C.C.C. 33 (C.A.C.‑B.). Ces arrêts semblent être fondés sur une définition large de "maison de jeu" au Code criminel, qui s'entend d'une "salle ou un endroit ouvert, tenu ou employé pour y tenir des paris entre les personnes qui le fréquentent": S.R.C. 1927, ch. 36, sous-al. 227a)(ii). La définition de "maison de débauche" telle qu'elle était alors à l'art. 225, est naturellement à peine plus restreinte, car elle inclut "un local quelconque . . . fréquenté par une ou plusieurs personnes . . .". Mais les tribunaux ont été prêts dans ces affaires à conclure qu'un accusé pouvait tenir un local même s'il ne faisait que l'employer pour recevoir des paris.

Toutefois, d'autres juges ont soutenu le contraire. Dans R. v. Eakins (1943), 79 C.C.C. 256 (C.A. Ont.), l'accusé avait été vu à plusieurs reprises employer une salle publique d'un hôtel de Toronto pour recevoir, puis payer des paris sur des courses de chevaux. Il a été déclaré coupable au procès sur l'inculpation d'avoir tenu une maison de pari. Le juge Robertson, juge en chef de l'Ontario, a fait droit à l'appel et a dit, à la p. 257:

[traduction] Il n'y a pas la moindre preuve que l'appelant ait agi ou se soit conduit comme le maître ou comme une personne ayant d'une façon ou d'une autre le soin, la conduite ou l'administration de l'hôtel, ou qu'il ait aidé à ce soin, à cette conduite ou à cette administration, ou qu'il ait eu en réalité seulement le droit de s'y trouver, sauf si l'on pouvait le déduire du fait qu'il le fréquentait souvent à cette fin. [Je souligne.]

Le juge en chef Robertson a refusé de suivre l'arrêt Marin, précité, et a conclu dans ces termes:

[traduction] Vu les dispositions du par. (2) de l'art. 229, il semble qu'il ne saurait être question de déclarer coupable à titre de tenancier du local celui dont le seul lien avec le local a consisté dans l'emploi qu'il en a fait en l'espèce. Dans ces circonstances, nous ne nous estimons pas autorisés à ne pas tenir compte des termes explicites de la loi . . .

Voir également R. v. Smith and Bird (1951), 102 C.C.C. 126 (C.A. Ont.) et, de même, Lewis v. The King (1949), 97 C.C.C. 268 (B.R. Qué.) et Mark, précité.

C'est dans ce contexte que le Parlement a de nouveau modifié le Code (S.C. 1953‑54, ch. 51). Le juge Fish fait les remarques qui suivent au sujet des modifications de 1953‑1954 (à la p. 967):

[traduction] En réagençant ces dispositions, le Parlement a employé une terminologie plus moderne, mais il n'a pas, à mon avis, manifesté l'intention de changer le fond ni la portée de la loi.

Je ne suis pas d'accord. À mon avis, les amendements de 1953‑1954 ont modifié la loi quant aux tenanciers de maisons de débauche et de maisons de pari en ajoutant un nouvel alinéa à la définition de "tenancier". Le Parlement a ainsi étendu à nouveau la portée de la définition de "tenancier", pour inclure désormais une personne qui "emploie un local, de façon permanente ou temporaire, avec ou sans le consentement du propriétaire ou de l'occupant" (S.C. 1953‑54, ch. 51, sous‑al. 168(1)h)(v)). C'est précisément ce sous-alinéa, maintenant l'al. e) de la définition de "tenancier" au par. 197(1), qui est en litige ici. Cette définition "moderne" de "tenancier" s'applique aux simples "utilisateurs", comme dans les arrêts Perron et Eakins, précités, et vise tant les infractions concernant les maisons de pari que celles touchant les maisons de débauche. Les tribunaux ont réagi à cette nouvelle définition, dans le cas des infractions relatives aux maisons de pari, en déclarant coupables ceux qui, selon la définition antérieure, auraient pu être acquittés à titre de simples "utilisateurs": voir, par exemple, R. v. Rubenstein, [1960] O.R. 133 (C.A.).

3.Les textes de loi actuels

À mon avis, si le Parlement a choisi d'élargir progressivement la définition des mots "tenancier" et "maison de débauche", c'est pour répondre à un certain nombre de préoccupations, dont l'interprétation restrictive donnée par les tribunaux, les modifications du comportement des catégories de personnes visées par ces textes et la volonté de décourager les arguments d'ordre purement technique ou sémantique. Ces modifications avaient pour but, à mon sens, de soutenir les efforts du Parlement en vue de régler un problème qu'il jugeait grave. Le Parlement est compétent pour créer des infractions dont la définition outrepasse la signification ordinaire ou l'usage courant, afin de réaliser ses objectifs et d'extirper le vice qu'il combat.

Sur ce point, je ne suis pas d'accord avec le juge Fish lorsqu'il dit que [traduction] "[l]e sens ordinaire du mot "tient" ne permet simplement pas cette interprétation: employer, ce n'est pas tenir" (p. 966). En fait, le Parlement a décidé en l'occurrence qu'"employer", c'est "tenir" pour les fins de cette disposition. Cela il avait le droit de le faire.

Il ressort clairement du libellé des dispositions précitées que l'infraction consistant à "tenir" une maison de débauche vise un large éventail de circonstances factuelles. Celles‑ci correspondent principalement à la définition large de "tenancier" du par. 197(1), laquelle, comme l'atteste l'historique du texte de loi, traduit les efforts du Parlement pour englober une gamme étendue de cas. En réalité, chacun des cinq alinéas de la définition de "tenancier" vise un cas distinct. Le paragraphe 197(1) prévoit que le mot "tenancier" s'entend notamment d'une personne qui, selon le cas:

a) est un propriétaire ou occupant d'un local;

C'est le cas classique du propriétaire ou du locateur qui gère le local à titre de maison de débauche, ainsi que du prostitué qui utilise sa propre résidence comme maison de débauche.

b) aide un propriétaire ou occupant d'un local ou agit pour son compte;

Cet alinéa vise, par exemple, celui qui gère le local pendant la journée ou l'adjoint du propriétaire ou de l'occupant qui aide habituellement à l'exploitation de l'entreprise. Ce dernier n'est peut‑être pas habilité à administrer l'immeuble complet, mais il participe à l'exploitation de l'entreprise que constitue la maison de débauche.

c) paraît être propriétaire ou occupant d'un local ou paraît lui aider ou agir pour son compte;

Cet alinéa pourrait permettre de déclarer coupable la personne qui, sans être le gérant ou l'adjoint habituel, semble l'être au moment où elle fait l'objet d'une surveillance ou quand une accusation est portée. Il n'est pas nécessaire de prouver directement qu'elle est propriétaire ni qu'elle aide le propriétaire ou l'occupant. Au surplus, cette définition pourrait viser une personne qui semble participer à l'exploitation de l'entreprise, mais n'a peut‑être que le contrôle nominal du local.

d) a le soin ou l'administration d'un local;

Cet alinéa s'applique vraisemblablement aux autres personnes qui dirigent temporairement l'entreprise ou contrôlent le local.

e) emploie un local, de façon permanente ou temporaire, avec ou sans le consentement du propriétaire ou de l'occupant.

Ce dernier alinéa est très large et vise les personnes qui emploient simplement le local qui constitue, en droit, une maison de débauche. Littéralement, quiconque pénètre un moment dans un local emploie ce local. Les personnes visées par cette disposition ne sont ni propriétaires ni locataires du local et n'ont pratiquement aucune association permanente, sur le plan juridique, avec le local. Il suffit qu'elles emploient le local temporairement. Le tenancier peut être l'utilisateur du bien d'autrui, par exemple, un lieu de stationnement ou une cabane abandonnée. Littéralement, le prostitué ou le client se trouvant dans la maison de débauche pourrait même en être le "tenancier". Pour éviter que des personnes étrangères au local ne soient déclarées coupables, les tribunaux ont limité la portée de cet alinéa, mais non, à mon sens, dans la mesure affirmée par la Cour d'appel à la majorité.

Dans le même esprit, le but visé par chacune des infractions énoncées à l'art. 210 au regard des maisons de débauche est différent. Les infractions prévues à l'art. 210 comprennent le fait de "tenir", d'habiter une maison ou d'y être "trouvé" et de permettre sciemment que son local soit employé aux fins de maison de débauche. Conjointement avec la définition complète de "tenancier" donnée au par. 197(1), le par. (1) et chaque alinéa du par. (2) de l'art. 210 sont conçus pour combattre des maux distincts, identifiés par le Parlement. Puisque, aux termes du par. 210(1), tenir une maison de débauche est l'une de ces infractions, notre Cour doit décider quelles sont les personnes que le Parlement voulait frapper de la sanction énoncée dans cette disposition plutôt que de la peine prévue au par. (2).

Le Juge en chef met en lumière les différences entre le par. 210(1) et l'al. 210(2)c). J'admets qu'il y a des différences évidentes entre le propriétaire (ou les autres personnes énumérées à l'al. c)), qui permet sciemment que son local soit employé aux fins de maison de débauche, et celui, notamment le propriétaire, qui tient effectivement la maison de débauche. C'est une différence de degré de participation à l'exploitation de la maison. De la même façon — et c'est à mon avis, une différence plus pertinente en l'espèce — l'infraction consistant à habiter une maison de débauche, prévue à l'al. 210(2)a), et celle consistant à y être "trouvé", prévue à l'al. 210(2)b), diffèrent aussi de l'infraction consistant à "tenir" une telle maison, prévue au premier paragraphe. Le Parlement a défini chaque infraction pour régler un problème différent. De toute évidence, chaque personne qui "habite" une maison de débauche ne sera pas nécessairement considérée comme tenancière de celle‑ci, étant donné la distinction incorporée dans les diverses infractions prévues au par. 210(1) et à l'al. 210(2)a). De la même façon, les personnes trouvées dans une maison de débauche ne peuvent pas dans tous les cas être assimilées aux personnes qui "tiennent" la maison.

Pour ce qui est des sanctions, le Code criminel repose sur le principe fondamental que les infractions plus graves doivent être punies plus sévèrement. Le paragraphe 210(1), créant un acte criminel, et le par. 210(2), créant une infraction punissable par procédure sommaire, reflètent cette différence de sévérité de la sanction. Cela renforce le point de vue selon lequel celui qui emploie un local, défini comme un "tenancier" au par. 197(1), doit être puni plus sévèrement que celui qui habite une maison de débauche ou qui y est trouvé, soit les infractions prévues aux al. 210(2)a) et b).

Compte tenu de ces considérations, notre Cour doit interpréter l'infraction consistant à "tenir", prévue au par. 210(1), d'une manière qui reflète adéquatement la diversité des situations de fait que le texte d'incrimination est censé viser. J'ai fait mention de diverses situations visées par la définition de "tenancier" donnée au par. 197(1). L'examen de la jurisprudence nous éclairera davantage sur le sens de l'infraction consistant à "tenir" une maison de débauche.

4.R. v. Kerim

L'arrêt Kerim de notre Cour, précité, semble avoir marqué un tournant décisif dans l'interprétation de l'infraction consistant à tenir une maison de jeu. La majorité et la minorité en Cour d'appel semblent ici s'appuyer sur Kerim. À mon avis, on ne saurait retenir l'interprétation de la majorité en Cour d'appel. En outre, je ne peux pas partager l'interprétation donnée par mon collègue le Juge en chef.

Monsieur Kerim était président d'une société qui, pendant deux ans, a loué ses locaux dans un hôtel, quatre soirs par semaine, à diverses organismes religieux et charitables. Ces organismes tenaient des bingos dans l'hôtel au profit d'o{eu}vres charitables. Quoique M. Kerim ait été sur place chaque soir, il ne participait en rien aux bingos. Il a été inculpé d'avoir tenu une maison de jeu, infraction prévue au par. 176(1), maintenant par. 201(1). Il a été déclaré coupable au procès, mais la Cour d'appel de l'Ontario a annulé la déclaration de culpabilité. À la majorité, notre Cour a rejeté le pourvoi du ministère public.

Pour la majorité, le juge Martland a conclu que M. Kerim était visé par la définition de "tenancier" contenue dans la loi et que le local était une "maison de jeu" au sens du Code criminel. Le juge Martland dit ensuite, aux pp. 130 et 131:

[traduction] La définition de tenancier à l'al. 168(1)h) [maintenant par. 197(1)] est très large et le mot s'entend du tenancier d'un "local ou endroit", mots qui sont aussi définis d'une manière large. Tout occupant, voire tout propriétaire est un tenancier visé par cette définition. Mais ce fait ne constitue pas en soi une infraction. L'infraction définie au par. 176(1) [maintenant par. 201(1)] consiste dans le fait de tenir une maison de jeu. La question qu'il faut se poser est celle‑ci: si le "local" est employé d'une façon qui en fait une maison de jeu, est‑ce que toute personne visée par la définition de tenancier de ce local tient ipso facto la maison de jeu? À mon avis, ce n'est pas la conclusion qu'il faut nécessairement tirer. L'infraction consiste à tenir une maison de jeu et, à mon avis, pour que l'infraction soit perpétrée, il faut plus que le fait de tenir un local dont l'utilisation, par une autre personne que l'accusé, en fait une maison de jeu. Je ne vois pas, par exemple, comment le propriétaire d'une maison prise à bail par un locataire qui, à son insu, l'exploite comme maison de jeu, pourrait être déclaré coupable de l'infraction. Qu'en est‑il du "tenancier" qui ne participe pas du tout à l'organisation des jeux, mais qui sait que le local en cause est employé à cette fin et qui permet cette utilisation? C'est, à mon sens, le type de cas qu'envisageait le législateur en créant l'infraction définie à l'al. 176(2)b) [maintenant 210(2)b)] et, à mon avis, cette infraction doit avoir été créée parce que l'on n'estimait pas que cette personne tenait elle‑même la maison de jeu au sens du par. 176(1).

Je souscris à la conclusion du juge Laidlaw de la cour d'instance inférieure, selon laquelle l'infraction définie au par. 176(1) suppose une participation quelconque à l'utilisation illicite du local et la preuve en l'espèce n'établit pas une telle participation de la part de l'intimé. [Je souligne.]

J'ai fait remarquer que l'arrêt Kerim portait sur un local dont l'utilisation, "par une autre personne que l'accusé", en faisait une maison de jeu (distinction que le juge Estey fait lui aussi dans Rockert c. La Reine, [1978] 2 R.C.S. 704). Monsieur Kerim a été acquitté parce qu'il n'avait pas participé à l'utilisation illicite du local, savoir l'organisation de bingos ou le fait de jouer au bingo dans le local.

D'après le Juge en chef, l'arrêt Kerim exige la présence de deux "éléments" pour qu'une déclaration de culpabilité puisse être prononcée en vertu du par. 210(1): (i) "un certain degré de contrôle sur le soin et l'administration" de la maison de débauche par l'accusé doit être prouvé; (ii) l'accusé doit "participer dans une certaine mesure" aux activités "illicites" exercées dans la maison de débauche. À mon avis, cette interprétation n'est exigée ni par les termes du par. 210(1), ni par la définition de "tenancier" du par. 197(1), ni par les motifs de la majorité dans l'arrêt Kerim. Il ressort nettement des motifs du juge Martland dans l'arrêt Kerim que M. Kerim était visé par la définition donnée par le Parlement au mot "tenancier" dans le Code criminel. La question dont était saisie la Cour était de savoir ce qu'il fallait prouver pour que M. Kerim soit reconnu coupable à titre de personne qui "tenait" la maison de jeu, outre la preuve qu'il tombait sous le coup de la définition légale de "tenancier". La majorité a conclu que le ministère public devait prouver en outre "une participation quelconque à l'utilisation illicite du local". Vu les faits de l'espèce, M. Kerim était nettement visé par la définition de "tenancier" au par. 197(1), du moins aux termes de l'al. d), puisqu'il avait le soin ou l'administration de l'hôtel. Mais l'on ne saurait, à mon sens, inférer de cet arrêt qu'il faut dans tous les cas, pour prouver l'infraction consistant à "tenir" une maison de débauche, un "degré de contrôle sur le soin et l'administration du local".

5.Les décisions postérieures à R. v. Kerim

Depuis l'arrêt R. v. Kerim, les tribunaux ont eu l'occasion d'interpréter, en fonction de diverses situations, l'infraction consistant à tenir une maison de débauche que prévoit le par. 210(1). Il ressort à l'évidence de la jurisprudence que le par. 197(1) a été appliqué à diverses catégories de tenanciers, suivant les faits et les circonstances de chaque espèce. Parmi ces circonstances, figurent les divers rôles joués par les accusés dans l'exploitation d'une maison de débauche, allant de celui de gérant et d'âme dirigeante d'un établissement de saunas, à celui des prostituées qui utilisaient simplement un parc de stationnement à des fins de prostitution. À mi‑chemin, on trouve les cas où l'accusé était plus qu'un intrus dans le local, mais moins que le propriétaire et l'exploitant du bordel.

Dans l'arrêt R. v. Woszczyna; R. v. Soucy (1983), 6 C.C.C. (3d) 221 (C.A. Ont.), le juge Martin, au nom de la Cour, a déclaré coupable le [traduction] "propriétaire, âme dirigeante et alter ego" d'une société qui possédait et exploitait un sauna. Le juge Martin a repoussé l'argument que l'arrêt Kerim exigeait [traduction] "la participation quotidienne à l'administration du local". Mis à part le fait qu'il connaissait la nature des activités exercées dans le local, selon les conclusions du juge Martin, M. Woszczyna jouait nettement un rôle dans l'administration de l'établissement: [traduction] "il percevait le produit de l'exploitation de l'entreprise qui y était exercée; il embauchait et payait le personnel et payait les autres frais d'exploitation sur ce produit" (p. 226). Dans R. v. Soucy, affaire entendue simultanément avec l'affaire Woszczyna, la déclaration de culpabilité de l'accusé a été confirmée. Le juge Martin a fait observer que Soucy était le [traduction] "caissier/préposé" et était au courant de la nature des activités dans le sauna.

L'arrêt R. v. Karavasilis (1980), 54 C.C.C. (2d) 530 (C.A. Ont.), concernait des poursuites relatives à la tenue d'une maison de jeu, comme l'arrêt Kerim, précité. L'accusé louait le local en cause et fournissait les tables, les cartes et les feuilles servant à tenir la marque, mais il restait derrière le comptoir et vendait des boissons et des cigarettes aux joueurs. Il ne retenait pas sa part des gains et le seul gain que l'accusé tirait se limitait à son bénéfice sur les articles vendus. Le juge Morden a maintenu la déclaration de culpabilité prononcée au procès et a conclu aux pp. 538 et 539:

[traduction] En l'espèce, les activités de l'appelant lui‑même, qui fournissait le local et le matériel et vendait des boissons, ont fait de ce local une maison de jeu. L'on peut affirmer à juste titre qu'il a participé, dans une large mesure, à la promotion, à l'organisation et à l'exploitation des jeux de rami et, par conséquent, qu'il a tenu une maison de jeu. [Je souligne.]

Dans ces affaires, il s'agissait d'entreprises établies dans des locaux qui constituaient des maisons de débauche ou de jeu aux termes du Code criminel. Les accusés étaient nettement visés par la définition de "tenancier" du par. 197(1) du Code criminel et les tribunaux ont conclu qu'ils avaient participé activement à l'exploitation, sinon à l'administration, du local comme maison de débauche ou de jeu.

Ces arrêts n'ont cependant pas établi qu'il fallait prouver que le tenancier d'une maison de débauche avait participé aux activités sexuelles exercées dans ce local. Dans les arrêts Karavasilis et Kerim, précités, il n'a pas été nécessaire de prouver que l'accusé avait parié. En fait, notre Cour et d'autres ont conclu que le local lui‑même pouvait être visé par la définition de "maison de débauche" sans qu'il fût nécessaire d'établir par une preuve directe que des actes sexuels y avaient été commis: Theirlynck v. The King, [1931] R.C.S. 478; Patterson v. The Queen, [1968] R.C.S. 157; R. v. Sorko, [1969] 4 C.C.C. 241 (C.A.C.‑B.). Comme l'a fait remarquer le juge Morden dans l'arrêt Karavasilis, il suffisait, pour déclarer l'accusé coupable à l'égard de la "tenue" d'une maison de jeu, qu'il ait participé à la promotion, à l'organisation ou à l'exploitation, en l'occurrence, de jeux de cartes dans cette maison. À mon avis, le même raisonnement s'applique à une maison de débauche.

À l'autre extrême, la définition la plus large de "tenancier" du par. 197(1) est en cause. Ce sont des affaires où l'accusé n'est pas le propriétaire ou le bailleur du local, mais simplement "emploie un local, de façon permanente ou temporaire, avec ou sans le consentement du propriétaire ou de l'occupant", selon les termes de l'al. e) de la définition. Comme le juge Tourigny l'a bien démontré dans son opinion dissidente en Cour d'appel, c'était le cas des accusées dans l'arrêt R. v. Pierce and Golloher, précité. Le juge en chef adjoint MacKinnon, pour la Cour d'appel de l'Ontario, a examiné le cas de prostituées qui utilisaient un parc de stationnement public pour pratiquer leur métier. Les véhicules des clients occupaient des emplacements de stationnement sans ordre précis. Le ministère public a soutenu que les accusées avait utilisé les lieux de stationnement temporairement et tombaient donc sous le coup de l'al. e) de la définition de "tenancier" au par. 197(1) actuel. Le juge en chef adjoint MacKinnon a étudié l'arrêt Kerim, précité, et fait les observations suivantes, à la p. 394:

[traduction] Je suis d'accord avec le substitut du procureur général pour dire que l'alinéa pertinent dit clairement qu'un "tenancier" peut être un intrus. Je peux imaginer une situation où la personne inculpée emploie une maison ou une grange abandonnée à des fins de prostitution, y dirige les clients et, dans une certaine mesure, en contrôle l'utilisation. En l'espèce, il n'y a aucune preuve que les intimées aient dirigé leurs clients vers ce parc de stationnement, et il n'y a en fait aucun élément de preuve montrant que des clients ou que tous les clients jouissaient du privilège d'y stationner. Au surplus, rien ne prouve que les intimées ou certaines d'entre elles aient eu voix au chapitre quant à la désignation des emplacements à utiliser ou quant à leur répartition. L'on peut déduire de la fréquence d'emploi du parc de stationnement par les intimées qu'elles se chargeaient de diriger leurs clients vers ce parc‑là, mais de toute évidence, les intimées n'avaient aucun droit ni intérêt à l'égard du parc de stationnement en qualité de propriétaires, de locataires ou de titulaires d'autorisation. [Je souligne.]

Il est clair à la lecture de l'opinion du juge en chef adjoint MacKinnon qu'à son avis, le ministère public doit prouver plus que le fait que l'accusé fréquente régulièrement un endroit. Aux pages 395 et 396, il fait remarquer:

[traduction] S'il avait été prouvé que les intimées avaient conclu un bail concernant un emplacement de stationnement, ou qu'elles pouvaient en utiliser un conformément à leur bail d'appartement, ou qu'elles avaient cherché à empêcher d'autres clients d'utiliser le parc de stationnement bien qu'elles aient elles‑mêmes été des intruses, cet élément montrerait une forme de contrôle ou d'administration ou d'activité de contrôle, d'administration ou de direction du local, qui est indispensable à la déclaration de culpabilité à l'égard de l'infraction reprochée. Cet élément n'a, bien sûr, pas été prouvé ni n'a fait l'objet d'un argument; l'on a soutenu que leur simple présence dans le parc de stationnement, à plusieurs reprises, était suffisante pour établir qu'elles étaient tenancières d'une maison de débauche. Je le répète, je ne souscris pas à cette proposition . . . [Je souligne.]

Il ressort clairement de ce passage que la "simple présence", même régulière, dans un local ou un endroit est insuffisante en soi pour justifier une déclaration de culpabilité en vertu du par. 210(1). Selon le juge en chef adjoint MacKinnon, la preuve d'une tentative de prise de contrôle, de l'administration ou de la direction suffit pour appuyer une déclaration de culpabilité. Mais je n'interprète pas l'arrêt Pierce and Golloher comme indiquant que la preuve du contrôle ou de l'administration est un élément essentiel qu'il faut prouver pour fonder une déclaration de culpabilité en vertu du par. 210(1). Le juge en chef adjoint MacKinnon dit seulement que, vu les faits de l'espèce, la preuve du contrôle ou de l'administration, tel un bail relatif aux lieux de stationnement, pourrait justifier la déclaration de culpabilité et que la simple présence sur les lieux est insuffisante.

Dans l'arrêt R. v. McLellan, précité, la cour a décidé que le rez‑de‑chaussée d'un hôtel était une maison de débauche. Conformément au par. 210(1) actuel, une prostituée a été inculpée d'avoir "tenu" une maison de débauche, parce qu'elle avait employé diverses chambres à des fins de prostitution à quatre reprises. Le ministère public a affirmé que l'accusée, McLellan, "tenait" une maison de débauche parce qu'elle avait employé l'hôtel temporairement à ces quatre reprises. Après avoir étudié l'arrêt Kerim, précité, et une décision antérieure inédite de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, le juge en chef Nemetz a conclu que le simple fait de fournir une chambre, à des fins de prostitution ou pour la pratique d'actes d'indécence, constitue l'essence de l'élément matériel de l'infraction consistant à tenir une maison de débauche.

Ces affaires illustrent les diverses situations visées par la définition de "tenancier" du par. 197(1), qui peuvent se présenter et qui peuvent être incluses dans les paramètres de l'infraction appelée "tenue" d'une maison de débauche au par. 210(1). Ces circonstances, à l'égard desquelles le Parlement a estimé utile de créer une infraction, sont visées, comme la jurisprudence le montre, par la définition large de "tenancier" du par. 197(1). Par conséquent, le test qui doit être énoncé doit refléter adéquatement les préoccupations qui ont inspiré cet article du Code criminel.

6.Le test approprié au regard de l'infraction consistant à "tenir" une maison de débauche

La large portée de la définition du par. 197(1) et la jurisprudence servent à mettre en lumière la nécessité de retenir un test assez souple pour permettre de déterminer, selon les faits de l'espèce, ce qui constitue l'infraction consistant à "tenir" une maison de débauche. Ce test doit tenir compte de la nature et du degré de participation inhérents à divers cas touchant des maisons de débauche, du cas du parc de stationnement à celui de l'exploitation du bordel traditionnel. À mon avis, le test du "degré de contrôle sur le soin et l'administration" du local, combiné à la participation aux activités illicites du lieu, ne découle pas de la jurisprudence ni de la bonne interprétation des par. 210(1) et 197(1) à laquelle on fait référence.

Dans la vaste majorité des cas, la personne inculpée d'avoir "tenu" une maison de débauche sera le propriétaire ou le gérant et la question de savoir si elle avait le soin et l'administration du local ne sera peut‑être même pas en litige. Dans d'autres affaires cependant, s'il s'agit d'un établissement ou d'une entreprise établie qui est une maison de débauche, l'exigence d'"un degré de contrôle sur le soin et l'administration du local n'est pas compatible avec l'éventail d'actes que le par. 210(1) est censé réprimer, étant donné la large définition de "tenancier" au par. 197(1). Les conduites interdites varient de la propriété et administration quotidienne d'une maison de débauche (comme dans l'arrêt Woszczyna, précité), à l'aide à l'exploitation du local, ou peut‑être apparence de propriété du local (comme dans l'arrêt Soucy, précité), à la participation à certaines des tâches que comporte l'exploitation du local comme maison de débauche (comme en l'espèce), à l'utilisation habituelle d'un local ou endroit et l'introduction sans permission dans un endroit (comme dans l'arrêt Pierce and Golloher, précité). L'exigence de la preuve d'un degré de contrôle sur le soin et l'administration de la maison de débauche signifierait que la conduite de certaines personnes participant en fait à l'exploitation quotidienne de la maison de débauche (ou de la maison de jeu, quant à cela), comme entreprise ou affaire en activité, échapperait au par. 210(1); or, c'est une conduite que cet article, à mon avis, est censé viser. L'interprétation correcte du libellé du par. 210(1), en conjonction avec le par. 197(1), ainsi que de l'évolution historique des dispositions de la loi et de la jurisprudence, exige seulement la preuve d'un degré de participation active dans l'exploitation d'une maison de débauche pour que soit fondée la déclaration de culpabilité à l'égard de l'infraction consistant à "tenir" une maison de débauche.

Cette approche nous permet de nous assurer que chacune des infractions énumérées à l'art. 210 est séparée et distincte et, en outre, que les degrés différents de sévérité des peines prévues aux par. (1) et (2) sont respectés. Les personnes qui fréquentent régulièrement une maison de débauche à titre d'employés et qui exercent activement des fonctions autres que des activités sexuelles ou en plus de celles‑ci ne peuvent pas être tenues simplement pour des personnes "habitant" cette maison, au sens de l'al. 210(2)a), ou pour des personnes qui y sont "trouvées", au sens de l'al. (2)b). Ces personnes qui y habitent ou y sont "trouvées" ne jouent aucun rôle dans l'exploitation de l'entreprise au delà de la simple fourniture de "services" ou de la participation à ceux‑ci. La personne qui y habite, au sens de l'al. (2)a), est le prostitué qui y travaille assez régulièrement, mais n'est chargé d'aucune des fonctions d'organisation que comporte l'exploitation de l'entreprise commerciale. Ce qu'on appelle la personne qui y est "trouvée" est simplement un client surpris dans le lieu. Ces personnes ne commettent qu'une infraction punissable par procédure sommaire. D'autres personnes qui se trouvent dans le local en raison seulement de leur métier (par exemple, l'électricien, le plombier, le jardinier) et qui ne sont pas censées être visées par les infractions prévues à l'art. 210, seraient soustraites à la responsabilité pénale, si cette interprétation était retenue. Aux fins de l'infraction de "tenue d'une maison de débauche" selon le par. 210(1), elles sont, pour citer les paroles du juge en chef adjoint MacKinnon dans l'arrêt Pierce and Golloher précité, "simplement présentes" dans le lieu.

Par ailleurs, il y a lieu de conclure que ceux qui (comme le dit le juge Morden dans l'arrêt Karavasilis, précité) "participent" activement "à la promotion, à l'organisation et à l'exploitation" du local comme maison de débauche "tiennent" une telle maison et commettent donc l'infraction plus grave prévue au par. 210(1). Ces personnes peuvent être les véritables propriétaires et administrateurs, ou peuvent être simplement des employés affectés à des tâches inhérentes à l'exploitation d'une entreprise, comme la comptabilité ou peut‑être la répartition des diverses chambres de la maison de débauche. D'autres personnes qui exercent diverses activités relatives à l'exploitation du local pourraient être déclarées coupables d'avoir tenu le local, comme le caissier/préposé dans R. v. Soucy.

En résumé, pour ce qui a trait à la question de droit soulevée dans ce pourvoi, je suis d'avis que le test approprié, pour l'application du par. 210(1), est "un degré de participation active à l'exploitation" de la maison de débauche. Par conséquent, je ne puis souscrire ni à l'opinion de la majorité de la Cour d'appel, ni au point de vue du Juge en chef.

7.Application aux faits de l'espèce

Le cas qui nous occupe concerne un établissement et une entreprise organisée — une maison de débauche, de l'aveu général — et les divers rôles joués par divers acteurs dans cet établissement. L'intimée y travaillait régulièrement, plusieurs jours par semaine. La preuve révèle que chaque masseuse, l'intimée incluse, était chargée d'accueillir les clients à la réception et soit de les conduire vers une cabine, soit de trouver la masseuse choisie par le client. L'intimée inscrivait les arrivées et les départs de ses clients. Le paiement des services était fait directement à l'intimée, qui plaçait ensuite dans une boîte la moitié revenant au propriétaire. La "gérante", St‑Denis, a témoigné qu'elle n'exerçait pas plus de contrôle sur cette boîte que n'importe qui. L'intimée aidait aussi à compter la recette à la fin de la journée; il s'agissait de s'assurer que la somme d'argent placée dans la boîte correspondait au nombre de clients inscrits dans le registre.

Le propriétaire de l'établissement était souvent absent au cours des périodes d'ouverture de la maison de débauche et le fait que l'intimée ne portait pas le titre de "gérante" ne peut pas en soi être décisif quant à la question de savoir si elle jouait un rôle dans l'exploitation de l'entreprise. Il n'y avait pas de relation de travail entre St‑Denis et l'intimée et il est évident que l'intimée ne se bornait pas à attendre les clients dans la cabine qui lui était assignée, ce qui en aurait fait une simple utilisatrice de la maison de débauche (ou une personne l'habitant). La preuve montre donc clairement que l'intimée était une participante active à l'exploitation de la maison de débauche et accomplissait des tâches qui allaient au‑delà de la simple présence sur les lieux. À l'évidence, l'intimée n'était pas un simple rouage dans le fonctionnement de l'entreprise et il est manifeste qu'elle faisait plus que simplement "habiter" la maison. Elle participait activement à l'exploitation de la maison de débauche et, par conséquent, elle satisfait à mon sens au critère approprié pour l'application du par. 210(1) du Code.

L'intimée est donc nettement visée par la définition étendue de "tenancier" du par. 197(1) du Code et il a été reconnu en outre que le local était une maison de débauche. À mon avis, comme l'intimée a participé activement à l'exploitation d'une maison de débauche, le juge du procès n'a commis aucune erreur en prononçant une déclaration de culpabilité. Par voie de conséquence, je souscris à la conclusion tirée par le juge Tourigny, dissidente en Cour d'appel.

Dispositif

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir la déclaration de culpabilité prononcée par le juge du procès à l'endroit de l'intimée.

Pourvoi rejeté, le juge L'Heureux-Dubé est dissidente.

Procureur de l'appelante: Éric Simard, Valleyfield.

Procureur de l'intimée: Michel Ferland, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : [1991] 1 R.C.S. 830 ?
Date de la décision : 18/04/1991
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Tenue d'une maison de débauche - Éléments de l'infraction - Participation de l'accusée aux activités illicites d'une maison de débauche - Un élément de soin et d'administration des lieux est‑il nécessaire pour justifier une déclaration de culpabilité de tenue d'une maison de débauche? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 197(1), 210(1), (2).

L'accusée, une masseuse, a été inculpée pour tenue d'une maison de débauche en contravention du par. 210(1) du Code criminel. Elle a été trouvée dans un salon de massage qui offrait à ses clients un massage d'une demi‑heure "du cou aux chevilles" pour 60 $. Au choix du client, le massage incluait la masturbation. La preuve offerte au procès indiquait que l'accusée travaillait au salon de massage plusieurs jours par semaine. Chaque masseuse accueillait les clients à l'avant et les conduisait dans une cabine de massage ou contactait la masseuse choisie par le client. Elle inscrivait l'heure d'arrivée et de départ de ses clients. Les frais de 60 $ étaient perçus par la masseuse, qui en remettait la moitié au propriétaire de l'établissement. La dernière masseuse à mettre de l'argent dans la boîte qui servait de caisse au propriétaire à la fin de chaque journée comptait l'argent pour s'assurer de la correspondance du total et du nombre de clients inscrits dans le registre. L'accusée a été déclarée coupable à son procès, mais la Cour d'appel à la majorité a accueilli l'appel et inscrit un verdict d'acquittement. Le présent pourvoi vise à déterminer si l'existence d'un élément de soin et d'administration des lieux est nécessaire pour justifier une déclaration de culpabilité de tenue d'une maison de débauche en contravention du par. 210(1) du Code.

Arrêt (le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Cory et Stevenson: Une personne qui répond à la définition de "tenancier" contenue au par. 197(1) du Code ne "tient" pas nécessairement une maison de débauche aux fins du par. 210(1). Pour que s'applique l'infraction de tenue d'une maison de débauche, deux éléments doivent exister: (1) l'accusé doit avoir un certain degré de contrôle sur le soin et l'administration des lieux et (2) l'accusé doit participer dans une certaine mesure aux activités "illicites" qui ont cours dans la maison de débauche. L'élément de participation n'exige pas une participation personnelle aux actes de nature sexuelle qui ont lieu dans la maison de débauche; il suffit que l'accusé participe à l'utilisation de la maison comme maison de débauche. En l'espèce, on ne retrouve pas l'élément de "soin et d'administration" des lieux.

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente): Un élément de contrôle sur le soin et l'administration des lieux n'est pas nécessaire pour justifier une déclaration de culpabilité de tenue d'une maison de débauche. La définition de tenancier du par. 197(1) du Code comprend une personne qui "emploie un local, de façon permanente ou temporaire, avec ou sans le consentement du propriétaire ou de l'occupant". L'interprétation correcte du libellé du par. 210(1) du Code, en corrélation avec la définition large de "tenancier" du par. 197(1), l'évolution historique des dispositions de la loi et la jurisprudence, exige seulement la preuve d'un "degré de participation active à l'exploitation" d'une maison de débauche pour que soit fondée la déclaration de culpabilité à l'égard de l'infraction visée au par. 210(1).

Ce critère tient compte de la diversité des types de conduite inhérents à divers cas touchant des maisons de débauche, de l'exploitation du bordel traditionnel aux cas de personnes qui utilisent un parc de stationnement comme maison de débauche. Cette solution nous assure également que chacune des infractions énumérées à l'art. 210 est séparée et distincte et que les degrés différents de sévérité des peines prévues aux par. (1) et (2) sont respectés. L'exigence de la preuve d'un degré de contrôle sur le soin et l'administration de la maison de débauche signifierait que la conduite de certaines personnes participant en fait à l'exploitation quotidienne de la maison de débauche comme entreprise ou affaire en activité, échapperait au par. 210(1). C'est une conduite que cet article est censé viser.

En l'espèce, le juge du procès n'a pas commis d'erreur en inscrivant une déclaration de culpabilité. L'accusée était nettement visée par la définition de "tenancier" au par. 197(1). La preuve montre clairement que l'accusée était une participante active à l'exploitation de la maison de débauche et accomplissait des tâches qui allaient au‑delà de sa simple présence sur les lieux et qu'elle était plus qu'un simple rouage dans le fonctionnement de l'entreprise.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Corbeil

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge en chef Lamer
Arrêts mentionnés: R. v. Kerim, [1963] R.C.S. 124
R. v. Pierce and Golloher (1982), 66 C.C.C. (2d) 388
Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente)
R. v. Kerim, [1963] R.C.S. 124
R. v. Pierce and Golloher (1982), 66 C.C.C. (2d) 388
R. v. McLellan (1980), 55 C.C.C. (2d) 543
R. v. Mannix (1905), 10 C.C.C. 150
R. v. Smith (1908), 12 O.W.R. 80
R. v. Miket (1938), 53 B.C.R. 37
R. v. Richards (1938), 70 C.C.C. 105
R. v. Cohen, [1939] R.C.S. 212
R. v. Sorvari (1937), 69 C.C.C. 281
Perron v. The Queen (1954), 18 C.R. 270
R. v. Mark (1924), 43 C.C.C. 368
Wilson v. The Queen, [1953] B.R. 424
R. v. Marin (1937), 68 C.C.C. 245
R. v. Sokol (1949), 95 C.C.C. 360
R. v. Girone and Genoe (1953), 106 C.C.C. 33
R. v. Eakins (1943), 79 C.C.C. 256
R. v. Smith and Bird (1951), 102 C.C.C. 126
Lewis v. The King (1949), 97 C.C.C. 268
R. v. Rubenstein, [1960] O.R. 133
Rockert c. La Reine, [1978] 2 R.C.S. 704
R. v. Woszczyna
R. v. Soucy (1983), 6 C.C.C. (3d) 221
R. v. Karavasilis (1980), 54 C.C.C. (2d) 530
Theirlynck v. The King, [1931] R.C.S. 478
Patterson v. The Queen, [1968] R.C.S. 157
R. v. Sorko, [1969] 4 C.C.C. 241.
Lois et règlements cités
Acte relatif aux Vagabonds, S.C. 1869, ch. 28.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 173(1)a) [mod. ch. 19 (3e suppl.), art. 7], 197(1) "maison de débauche", "tenancier", 210(1), (2), 212(1)a), 213(1) [abr. & rempl. ch. 51 (1er suppl.), art. 1], 693(1)a) [mod. ch. 27 (1er suppl.), art. 140].
Code criminel, S.C. 1953‑54, ch. 51, art. 168(1)h)(v).
Code criminel, S.R.C. 1927, ch. 36, art. 229 [abr. & rempl. S.C. 1947, ch. 55, art. 4].
Code criminel, S.R.C. 1906, ch. 146, art. 225 [abr. & rempl. 1907, ch. 8, art. 2
abr. & rempl. 1917, ch. 14, art. 3].
Code criminel, 1892, S.C. 1892, ch. 29, art. 195, 198, 207, 208.
Disorderly Houses Act (R.‑U.), 25 Geo. 2, ch. 36, art. VIII.

Proposition de citation de la décision: R. c. Corbeil, [1991] 1 R.C.S. 830 (18 avril 1991)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1991-04-18;.1991..1.r.c.s..830 ?
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