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02/05/1991 | CANADA | N°[1991]_1_R.C.S._933

Canada | R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933 (2 mai 1991)


R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933

Owen Lloyd Swain Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Le procureur général du Canada,

la Commission d'examen du lieutenant‑gouverneur de l'Ontario,

le Conseil canadien des droits des personnes handicapées,

l'Association canadienne pour la santé mentale et

l'Association canadienne pour l'intégration communautaireIntervenants

Répertorié: R. c. Swain

No du greffe: 19758.

1990: 19 février; 1991: 2 mai.

Présents: Le juge en chef Lamer* et les juges Wilson, L

a Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel...

R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933

Owen Lloyd Swain Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Le procureur général du Canada,

la Commission d'examen du lieutenant‑gouverneur de l'Ontario,

le Conseil canadien des droits des personnes handicapées,

l'Association canadienne pour la santé mentale et

l'Association canadienne pour l'intégration communautaireIntervenants

Répertorié: R. c. Swain

No du greffe: 19758.

1990: 19 février; 1991: 2 mai.

Présents: Le juge en chef Lamer* et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1986), 53 O.R. (2d) 609, 24 C.C.C. (3d) 385, 50 C.R. (3d) 97, 13 O.A.C. 161, qui a rejeté l'appel d'un acquittement pour cause d'aliénation mentale. Pourvoi accueilli, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente. Les réponses aux questions constitutionnelles sont les suivantes: (1) le par. 542(2) du Code criminel est intra vires, (2) les critères de common law restreignent l'art. 7 de la Charte — il n'est pas nécessaire de répondre au sujet des art. 9 et 15 de la Charte — et (3) ne sont pas justifiés en vertu de l'article premier, (4) le par. 542(2) du Code criminel viole les art. 7 et 9 de la Charte et (5) il n'est pas justifié en vertu de l'article premier.

Clayton Ruby, Marlys Edwardh et Michael Code, pour l'appelant.

Eric Siebenmorgen, pour l'intimée.

I. G. Whitehall, c.r., et B. Glendinning, pour l'intervenant le procureur général du Canada.

Paul J. French, pour l'intervenante la Commission d'examen du lieutenant‑gouverneur de l'Ontario.

Gwen Brodsky et Yvonne Peters, pour les intervenants le Conseil canadien des droits des personnes handicapées, l'Association canadienne pour la santé mentale et l'Association canadienne pour l'intégration communautaire.

//Le juge en chef Lamer//

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Sopinka et Cory rendu par

Le juge en chef Lamer — Le présent pourvoi soulève plusieurs questions relatives au fonctionnement du moyen de défense d'aliénation mentale et à la façon dont notre droit criminel traite les personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale. La Cour doit répondre à la question de savoir si les dispositions du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, qui établissent le régime législatif concernant les personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale relèvent des pouvoirs du Parlement en matière de droit criminel et si ces dispositions sont incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés. On a également demandé à la Cour de décider si la règle de common law qui permet au ministère public, dans certaines circonstances, de présenter une preuve d'aliénation mentale, contre le gré de l'accusé, est incompatible avec la Charte.

Les faits

En octobre 1983, Owen Swain a été arrêté et accusé de voies de fait et de voies de fait graves en vertu de l'art. 245 et du par. 245.2(2) du Code criminel (maintenant les art. 266 et 268, L.R.C. (1985), ch. C‑46). Ces accusations faisaient suite à un incident au cours duquel l'appelant, M. Swain, a attaqué de façon étrange sa femme et ses deux enfants en bas âge. Heureusement, Mme Swain et les enfants n'ont subi que des blessures superficielles. Au procès, l'épouse de l'appelant a témoigné qu'au cours de l'incident, Swain semblait se battre contre l'air et parler d'esprits. Au moment de son arrestation, l'appelant était très excité et employait une sorte de "dialecte" pour parler de thèmes religieux. M. Swain a déclaré au procès que, pendant l'incident, il croyait que sa famille était attaquée par des démons et qu'il devait accomplir certains gestes pour les protéger.

Le 1er novembre 1983, l'appelant a été transféré de la prison de Toronto au Penetanguishene Mental Health Centre, conformément à une demande faite en vertu de la Loi sur la santé mentale, L.R.O. 1980, ch. 262 (Formule 1). Pendant qu'il était au Centre, Swain a agi de façon étrange et régressive. Deux médicaments antipsychotiques lui ont été prescrits et administrés, et son état s'est rapidement amélioré. Le 19 décembre 1983, l'appelant a été remis en liberté (à la condition qu'il continue de consulter un psychiatre), sur la recommandation du Dr Fleming, directeur du département de médecine légale du Penetanguishene Mental Health Centre. M. Swain est retourné en prison pour un bref séjour et peu après a été mis en liberté sous caution assortie de conditions. L'appelant est demeuré en liberté sous caution jusqu'au 10 juin 1985, et il a continué de prendre ses médicaments et de consulter un psychiatre.

Le 3 mai 1985, M. Swain a subi son procès devant le juge O'Connell de la Cour de district de l'Ontario. Le ministère public a cherché à produire une preuve relative à l'aliénation mentale de l'accusé au moment de l'infraction, ce à quoi l'appelant s'est opposé. Après un voir‑dire, le juge du procès a conclu que le ministère public pouvait présenter ce genre de preuve. À la conclusion du procès, M. Swain a été déclaré non coupable relativement à tous les chefs d'accusation pour cause d'aliénation mentale. L'avocat de la défense a alors demandé que le par. 542(2) du Code (maintenant l'art. 614), qui prévoit la détention automatique d'une personne acquittée pour cause d'aliénation mentale au bon plaisir du lieutenant‑gouverneur, soit déclaré invalide parce qu'il viole la Charte. Le juge O'Connell a mis l'affaire en délibéré et, le 10 juin 1985, il a conclu que le par. 542(2) ne portait pas atteinte aux droits reconnus par la Constitution à M. Swain et ordonné que l'appelant soit tenu sous une garde rigoureuse, au Queen Street Mental Health Centre de Toronto, jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur soit connu. M. Swain a déposé un avis d'appel en Cour d'appel de l'Ontario et demandé d'être mis en liberté sous caution jusqu'à l'issue de l'appel. Le juge Martin, en chambre, a ajourné cette demande afin de permettre à la commission d'examen (l'organisme qui peut être nommé pour conseiller le lieutenant‑gouverneur en ce qui concerne la détention des personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale) de procéder rapidement à l'audition du cas de l'appelant. Le 12 juin 1985, le lieutenant‑gouverneur a délivré un mandat ordonnant la mise sous bonne garde de l'appelant dans un hôpital psychiatrique, à des fins d'évaluation dont il devait être fait rapport à la commission d'examen dans les trente jours suivants. Ni l'appelant ni son avocat n'ont été informés au préalable de cette décision, même s'il semble qu'on ait tenté d'en aviser l'avocat de l'appelant. Par conséquent, ni l'appelant ni son avocat n'ont présenté d'observations en rapport avec cette décision.

En vertu du mandat susmentionné, M. Swain a été envoyé au Clarke Institute of Psychiatry afin d'y subir un examen et une évaluation psychiatriques; il a été hospitalisé au département de médecine légale jusqu'au 12 juillet 1985. Le 26 juillet 1985, la commission d'examen a procédé à un examen comme le prévoit l'art. 547 du Code (maintenant l'art. 619). L'appelant et son avocat étaient présents. Le 6 août 1985, la commission d'examen a recommandé au lieutenant‑gouverneur la mise sous bonne garde de M. Swain, au Queen Street Mental Health Centre. Peu après, le lieutenant‑gouverneur a délivré un mandat pour le maintien en détention de M. Swain. Le lieutenant‑gouverneur a accepté les recommandations de la commission qui prévoyaient notamment que l'administrateur du Queen Street Mental Health Centre ait le pouvoir discrétionnaire de permettre la réinsertion de l'appelant dans la société, sous réserve de conditions relatives à la surveillance et au suivi du traitement.

L'avocat de l'appelant a écrit au lieutenant‑gouverneur à deux reprises (le 30 juillet et le 20 août 1985), pour obtenir le droit de comparaître et de présenter des observations devant le lieutenant‑gouverneur au moment de l'étude de la recommandation de la commission d'examen. Cette demande n'a pas été accordée. Ce n'est qu'après la délivrance du mandat du lieutenant‑gouverneur pour le maintien en détention de M. Swain que la recommandation de la commission d'examen a été communiquée à l'avocat de l'appelant.

La Cour d'appel de l'Ontario a entendu l'appel au début de septembre 1985. Le juge Thorson, au nom de la majorité, l'a rejeté, le juge Brooke étant dissident. L'appelant a demandé l'autorisation de se pourvoir contre cette décision, et notre Cour lui a accordé l'autorisation le 26 mars 1987. Au moment de la demande d'autorisation de pourvoi, l'appelant était sous bonne garde. Cependant, le 4 septembre 1986, le lieutenant‑gouverneur de l'Ontario a ordonné la levée de son mandat de détention et la libération inconditionnelle de l'appelant.

Le régime législatif

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34:

16. (1) Nul ne doit être déclaré coupable d'une infraction à l'égard d'un acte ou d'une omission de sa part alors qu'il était aliéné.

(2) Aux fins du présent article, une personne est aliénée lorsqu'elle est dans un état d'imbécillité naturelle ou atteinte de maladie mentale à un point qui la rend incapable de juger la nature et la qualité d'un acte ou d'une omission, ou de savoir qu'un acte ou une omission est mauvais.

(3) Une personne qui a des idées délirantes sur un point particulier, mais qui est saine d'esprit à d'autres égards, ne doit pas être acquittée pour le motif d'aliénation mentale, à moins que ses idées délirantes ne lui aient fait croire à l'existence d'un état de choses qui, s'il eût existé, aurait justifié ou excusé son acte ou omission.

(4) Jusqu'à preuve du contraire, chacun est présumé être et avoir été sain d'esprit.

. . .

542. (1) Si, lors du procès d'un accusé inculpé d'un acte criminel, il est déposé que l'accusé était aliéné au moment où l'infraction a été commise et s'il est acquitté,

a) le jury, ou

b) le juge ou magistrat, quand il n'y a pas de jury,

doit constater si l'accusé était aliéné lors de la perpétration de l'infraction et déclarer s'il est acquitté pour cause d'aliénation mentale.

(2) S'il est constaté que l'accusé était aliéné au moment où l'infraction a été commise, la cour, le juge ou le magistrat devant qui le procès s'instruit doit ordonner que l'accusé soit tenu sous une garde rigoureuse dans le lieu et de la manière que la cour, le juge ou le magistrat ordonne, jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur de la province soit connu.

. . .

545. (1) Lorsque, en application de la présente Partie, un accusé est déclaré atteint d'aliénation mentale, le lieutenant‑gouverneur de la province où l'accusé est détenu peut

a) rendre une ordonnance pour la bonne garde de l'accusé dans le lieu et de la manière qu'il prescrit, ou

b) s'il est d'avis que la mesure est dans l'intérêt véritable de l'accusé sans nuire à l'intérêt public, rendre une ordonnance portant libération de l'accusé, soit inconditionnellement, soit aux conditions qu'il prescrit.

(2) Le prévenu visé à l'alinéa (1)a) peut être transféré aux fins de sa réhabilitation à tout endroit au Canada que précise le mandat signé par l'agent qu'autorise à cette fin le lieutenant‑gouverneur de la province où il est détenu, sous réserve du consentement du responsable de l'établissement de l'endroit.

(3) Le mandat visé au paragraphe (2) donne à toute personne qui a la garde du prévenu le pouvoir de le remettre à la personne responsable du lieu indiqué dans ce mandat et à cette dernière de le détenir de la manière indiquée dans l'ordonnance mentionnée au paragraphe (1).

. . .

547. (1) Le lieutenant‑gouverneur d'une province peut nommer une commission pour examiner le cas de chaque personne qui est sous garde dans un lieu de ladite province en vertu d'une ordonnance rendue en conformité de l'article 545 ou du paragraphe 546(1) ou (2).

(2) La commission mentionnée au paragraphe (1) se compose de trois à cinq membres qui choisissent parmi eux un président lorsque le lieutenant‑gouverneur n'en a pas désigné.

(3) Au moins deux membres de la commission doivent être des psychiatres dûment qualifiés et autorisés à exercer la médecine en conformité des lois de la province pour laquelle la commission est nommée et un membre au moins de la commission doit appartenir au barreau de la province.

(4) Trois membres de la commission d'examen, dont au moins un psychiatre visé au paragraphe (3) et un membre du barreau de la province, constituent un quorum de la commission.

(5) La commission doit examiner le cas de chaque personne mentionnée au paragraphe (1),

a) au plus tard six mois après qu'a été rendue l'ordonnance visée dans ce paragraphe relativement à cette personne, et

b) au moins une fois tous les douze mois après l'examen exigé à l'alinéa a), aussi longtemps que cette personne reste sous garde en vertu de l'ordonnance,

et la commission doit, immédiatement après chaque examen, faire un rapport au lieutenant‑gouverneur énonçant en détail les résultats de cet examen et indiquant,

. . .

d) lorsque la personne sous garde a été trouvée non coupable, pour cause d'aliénation mentale, si, de l'avis de la commission, cette personne est rétablie et, dans l'affirmative, si à son avis, il est dans l'intérêt du public et dans l'intérêt de cette personne que le lieutenant‑gouverneur ordonne qu'elle soit libérée absolument ou sous réserve des conditions que le lieutenant‑gouverneur peut prescrire,

. . .

f) les conclusions qu'elle estime souhaitables afin de réhabiliter la personne dont le cas a été examiné et compatibles avec l'intérêt public.

(6) En plus de tout examen qui doit être effectué en vertu du paragraphe (5), la commission doit examiner tout cas mentionné au paragraphe (1) lorsque le lieutenant‑gouverneur le lui demande et elle doit, immédiatement après un tel examen, faire rapport au lieutenant‑gouverneur en conformité du paragraphe (5).

(7) Aux fins de l'examen prévu par le présent article, le président de la commission peut exercer tous les pouvoirs, mentionnés aux articles 4 et 5 de la Loi sur les enquêtes, d'un commissaire nommé en vertu de la Partie I de cette loi. [Je souligne.]

Charte canadienne des droits et libertés

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

. . .

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

. . .

9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires.

. . .

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

. . .

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

Loi constitutionnelle de 1982

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Jugements des juridictions inférieures

Cour de district de l'Ontario (Le juge O'Connell)

L'appelant a subi son procès devant le juge O'Connell de la Cour de district de l'Ontario. Au procès, le ministère public a voulu produire une preuve d'aliénation mentale. M. Swain s'est opposé à ce que la question de l'aliénation mentale soit soulevée et la cour a procédé à un voir‑dire pour établir l'admissibilité de la preuve. Le juge O'Connell a mentionné les arrêts R. v. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337, et R. v. Saxell (1980), 59 C.C.C. (2d) 176, et a affirmé ce qui suit:

[traduction] . . . quant à la première question, je dois être convaincu qu'il y avait ce que j'appellerais, d'après mon interprétation des décisions, une preuve convaincante que ces infractions sont graves et que la preuve produite correspond au caractère grave des infractions.

Le juge O'Connell était convaincu que les infractions reprochées étaient graves et que ce n'était pas [traduction] "une question futile dans quelque sens du mot". Il a ajouté qu'il était convaincu que M. Swain souffrait d'aliénation mentale, au sens légal du terme. Le juge O'Connell a déclaré qu'il y avait une preuve convaincante d'une conduite qui aurait pu mettre la vie des enfants en danger et que M. Swain constituait un danger pour le public au moment de l'incident allégué, et il a conclu que le ministère public avait le droit de présenter une preuve d'aliénation mentale, contre le gré de l'appelant.

Après avoir entendu la preuve du ministère public concernant l'aliénation mentale, le juge O'Connell a analysé les éléments essentiels de l'infraction de voies de fait graves et conclu qu'il y avait une preuve suffisante de cette infraction. Il a déclaré que [traduction] "[q]uant à Mme Swain, la question des voies de fait simples ne fait aucun doute".

Le juge du procès a ensuite abordé la question de l'aliénation mentale et il a conclu que M. Swain était atteint d'une maladie mentale qui le rendait incapable de juger la nature et la qualité des actes commis cette nuit‑là. Par conséquent, il a déclaré l'appelant non coupable pour cause d'aliénation mentale relativement à chacun des chefs d'accusation.

L'avocat de M. Swain a ensuite présenté une requête en vertu de la Charte, dans laquelle il soutenait que le par. 542(2) était incompatible avec les dispositions de la Charte et devrait recevoir une "interprétation atténuée" de façon à permettre à la cour d'examiner si M. Swain avait besoin d'être placé en milieu surveillé plutôt que de rendre tout simplement une ordonnance de bonne garde. Le juge du procès a mis la question en délibéré et a rendu son jugement le 10 juin 1985.

Le juge O'Connell a conclu que le par. 542(2) ne portait pas atteinte aux droits constitutionnels de M. Swain et il a ordonné que l'appelant soit tenu sous une garde rigoureuse au Queen Street Mental Health Centre de Toronto, jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur soit connu. Le juge du procès a examiné les art. 7, 9, 12 et 15 de la Charte et conclu que le par. 542(2) ne portait atteinte à aucune de ces garanties constitutionnelles. Le juge O'Connell a beaucoup insisté sur la conclusion de l'arrêt Saxell selon lequel le par. 542(2) ne contrevenait pas à la Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III. Il a ensuite ajouté:

[traduction] Si les gestes du lieutenant‑gouverneur ou de la commission d'examen portent atteinte à l'équité, il existe des recours en droit, par voie de demande de protection des droits et libertés garantis par la Charte, notamment par les art. 7, 9, 12 et 15, parce qu'à mon avis, les articles du Code, comme le soutient le ministère public, constituent un régime ou un système fondé sur l'article du Code qui prévoit des cas exceptionnels comme celui en l'espèce, c'est‑à‑dire un système qui prévoit l'évaluation, l'observation, la consultation et même, le cas échéant, la réinsertion rapide dans la collectivité. Le paragraphe 542(2) doit être interprété en corrélation avec les art. 545 et 547. Cette disposition doit traiter des personnes déclarées aliénées et du traitement de ces personnes considérées en droit comme des malades et non comme des personnes qui purgent une peine, des personnes punies.

Le juge O'Connell a ensuite affirmé que si la disposition était inconstitutionnelle en vertu des dispositions susmentionnées de la Charte, elle serait sauvegardée en vertu de l'article premier de la Charte.

Cour d'appel de l'Ontario (le juge Thorson; le juge Brooke, dissident) (1986), 24 C.C.C. (3d) 385

M. Swain a interjeté appel de la décision du juge du procès, invoquant qu'il avait commis une erreur en permettant au ministère public d'introduire une preuve d'aliénation mentale, malgré les objections de la défense, en déclarant l'appelant non coupable pour cause d'aliénation mentale et en concluant que le par. 542(2) du Code ne violait pas la Charte (ni en général ni en l'espèce). En outre, M. Swain a allégué en appel que le par. 542(2) ne constituait pas un exercice valable des pouvoirs conférés par le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 en matière de droit criminel.

La majorité a tout d'abord traité de la preuve d'aliénation mentale présentée indépendamment par le ministère public. Le juge Thorson a souligné que le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de permettre au ministère public de produire une preuve d'aliénation mentale et a cité de longs extraits de l'arrêt Saxell de la Cour d'appel de l'Ontario. D'après la majorité, les circonstances de l'espèce indiquaient clairement que l'appelant était aliéné au moment où il a commis les infractions. Le juge Thorson a ajouté que le juge du procès n'avait pas commis d'erreur en constatant une solide preuve prima facie de voies de fait graves. La majorité n'a pas jugé bon d'écarter la conclusion du juge du procès selon laquelle les infractions en cause étaient de nature grave. La cour a conclu à la majorité, à la p. 401:

[traduction] Il serait contraire aux intérêts de la justice d'interdire au ministère public de produire des preuves psychiatriques et de risquer ainsi de déclarer coupable un homme qui n'avait pas la capacité de juger la nature et la qualité de ses actes.

La majorité a ensuite examiné la question de savoir si le juge du procès avait commis une erreur en déclarant M. Swain non coupable pour cause d'aliénation mentale et elle a conclu que l'appelant avait été acquitté pour ce motif avec raison. Le juge Thorson a affirmé que, dans l'arrêt Kjeldsen c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 617, notre Cour a établi que quiconque comprend le caractère matériel d'un acte mais n'a pas de réactions émotives normales (comme dans le cas d'un psychopathe), apprécie tout de même la nature et la qualité de l'acte. Toutefois, cela ne signifie pas que quiconque connaît les caractéristiques matérielles d'un acte, est nécessairement en mesure de juger la nature et la qualité de l'acte au sens du par. 16(2).

Par la suite, la majorité a étudié les questions relatives à la Charte au regard du par. 542(2). Le juge Thorson a déclaré qu'il ne faut pas examiner isolément la disposition attaquée, mais plutôt dans le cadre de tout le régime du Code criminel portant sur les personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale (ci‑après "le régime des mandats du lieutenant‑gouverneur ou M.L.‑G."). La majorité a souligné que les protections procédurales que prévoit l'art. 32 de la Loi sur la santé mentale s'appliquent également aux examens de détention faits par la commission d'examen.

Quant à l'art. 7 de la Charte, la majorité a conclu (invoquant Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177) que le régime en soi ne peut être contesté en vertu de l'art. 7 si l'équité procédurale (un volet des principes de justice fondamentale) n'en est pas exclue et, par interprétation large, peut être considérée faire partie de ce régime. La majorité a estimé que les règles d'équité procédurale n'étaient pas exclues du régime du Code criminel et que, par interprétation large, elles pouvaient être considérées en faire partie. Le juge Thorson a cité, à la page 410, une affirmation faite dans l'arrêt Saxell, précité, selon laquelle le pouvoir du lieutenant‑gouverneur en matière d'ordonnance de garde ou de libération était exprimé comme une faculté dans les dispositions du Code parce que:

[traduction] Il serait inopportun que le Parlement emploie un langage impératif pour conférer des pouvoirs à un représentant du souverain. . . [Italiques omis.]

Puis, la majorité a souligné que personne ne prétendait que M. Swain n'avait pas bénéficié des règles d'équité en matière de procédure. Si une personne croit qu'elle n'a pas bénéficié de l'application régulière des règles de procédure, elle peut, d'après la majorité, procéder par voie de certiorari ou demander réparation en vertu du par. 24(1) de la Charte.

En ce qui a trait à l'art. 9 de la Charte, la majorité a conclu que la détention automatique en vertu du par. 542(2) ne constitue pas une détention arbitraire. Le juge Thorson a déclaré ce qui suit aux pp. 415 et 416:

[traduction] À mon avis, la détention autorisée par le par. 542(2) n'est pas arbitraire. L'évaluation par les autorités du caractère dangereux de la personne acquittée et de ses besoins en matière de traitement prend un certain temps. Aucune évaluation de ce genre n'est faite lors de son procès. . .

En outre, la déclaration de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale soulève, à mon avis, une préoccupation raisonnable que l'accusé demeure peut‑être un danger pour le public et a besoin de traitements additionnels. En vertu de la loi, ce n'est qu'après cette déclaration que l'État a le droit de le priver de sa liberté pour le moment afin de bien évaluer ces questions, dans des conditions qui permettent d'assurer la protection du public.

En ce qui concerne l'art. 12 de la Charte, la majorité a conclu que le par. 542(2) n'autorisait pas une détention indéterminée puisque, à son avis, le lieutenant‑gouverneur était tenu d'agir "immédiatement" pour lever l'ordonnance rendue en vertu du paragraphe 542(2) et y substituer sa propre ordonnance de garde ou de remise en liberté.

Quant à l'art. 15, la majorité a affirmé ce qui suit, à la page 422:

[traduction] Comme l'a décidé cette cour dans Re McDonald and The Queen, le par. 15(1) de la Charte exige que les personnes qui sont dans une situation semblable soient traitées de façon semblable. [Références omises.]

De l'avis de la majorité, la situation d'une personne acquittée pour cause d'aliénation mentale et celle d'une personne acquittée purement et simplement ne sont pas semblables, pas plus que ne le sont la situation d'une personne acquittée pour cause d'aliénation mentale et celle des personnes atteintes de déséquilibre mental internées à la suite de procédures civiles. De plus, le fait que le système des mandats du lieutenant‑gouverneur puisse être administré différemment d'une province à l'autre ne signifie pas que le par. 542(2) contrevient à l'art. 15. Après avoir mentionné l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario R. v. Morgentaler (1985), 22 C.C.C. (3d) 353, le juge Thorson a affirmé ce qui suit, à la p. 424:

[traduction] De la même façon, le par. 542(2) ne contrevient pas à l'art. 15 puisque ce paragraphe, en soi, ne comporte aucune discrimination. L'administration apparemment inégale du système où sont placées les personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale selon le par. 542(2), ne relève pas de cette cour dans le cadre d'un appel portant sur la constitutionnalité du paragraphe en cause.

La majorité a conclu que, si le par. 542(2) contrevenait à l'une des dispositions pertinentes de la Charte, il s'agirait d'une limite raisonnable dont la justification pourrait se démontrer en vertu de l'article premier.

Pour déterminer si le par. 542(2) est intra vires du Parlement en matière de droit criminel, la majorité a conclu qu'il fallait examiner le but et l'objet de la règle attaquée. Le juge Thorson a déclaré ce qui suit, à la p. 429:

[traduction] La première détention en vertu du par. 542(2) a pour but de donner aux autorités la possibilité d'évaluer la condition mentale de l'accusé et de décider du traitement médical qui lui convient. La détention est également fondée sur le concept de la protection du public contre celui qui a commis un acte qui serait considéré comme un acte criminel, si l'auteur n'avait pas été aliéné au moment de sa perpétration. Comme dans Pattison, le but de la règle attaquée en l'espèce comporte deux volets: la prévention du crime et la protection du public; elle constitue donc, à mon avis, un exercice valable du pouvoir conféré par le par. 91(27) en matière de droit criminel.

Le juge Brooke a exprimé une opinion dissidente. À son avis, à la p. 434, maintenir le régime établi par le Code en ce qui a trait aux personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale, en l'espèce, [traduction] "équivaut à employer le système de justice criminelle pour obtenir une décision qu'on ne pourrait obtenir par voie civile parce que l'état de l'individu ne le justifie pas".

Le juge Brooke a affirmé qu'il aurait conclu que le par. 542(2) était inopérant en ce qui a trait à M. Swain et qu'il aurait remis l'appelant en liberté, à condition qu'il poursuive ses traitements. Il a déclaré ce qui suit, à la p. 436:

[traduction] Avec égards, j'estime que le juge du procès a commis une erreur lorsqu'il a rejeté la requête qui lui était présentée conformément à l'art. 24 de la Charte . . . Il aurait dû conclure que le par. 542(2) portait atteinte aux droits garantis à l'appelant par l'art. 7 de la Charte. Ordonner que l'appelant soit tenu sous une garde rigoureuse jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur soit connu constitue une entrave à sa liberté d'une manière non conforme aux principes de justice fondamentale.

Le juge Brooke a souligné que le lieutenant‑gouverneur n'entend pas d'éléments de preuve, ni d'observations venant de la personne dont la liberté est en jeu. De plus, le processus décisionnel a lieu après l'incarcération. Il en a conclu que la personne acquittée pour cause d'aliénation mentale ne bénéficie pas d'un procès public et équitable avant de perdre sa liberté.

Les questions en litige

Le juge en chef Dickson a formulé, le 25 septembre 1987, les questions constitutionnelles suivantes:

1.Le paragraphe 542(2) du Code criminel du Canada est‑il intra vires du Parlement du Canada?

2.Les critères de common law, énoncés par la Cour d'appel de l'Ontario, qui permettent à la poursuite de produire une preuve de l'aliénation mentale d'un accusé, violent‑ils les art. 7, 9 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

3.Si la réponse à la 2e question est affirmative, les critères de common law, énoncés par la Cour d'appel de l'Ontario, qui permettent à la poursuite de produire une preuve de l'aliénation mentale d'un accusé, sont‑ils justifiés par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et donc compatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982?

4.Le pouvoir que confère la loi de détenir une personne déclarée non coupable en raison de son aliénation mentale conformément au par. 542(2) du Code criminel du Canada, viole‑t‑il les art. 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés?

5.Si la réponse à la 4e question est affirmative, le pouvoir que confère la loi de détenir une personne déclarée non coupable en raison de son aliénation mentale conformément au par. 542(2) du Code criminel du Canada, est‑il justifié par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Analyse

Puisque le par. 542(2) fait l'objet de deux contestations distinctes sur le plan constitutionnel, je traiterai des questions constitutionnelles 1, 4 et 5 après avoir analysé les questions 2 et 3.

1.La présentation d'une preuve d'aliénation mentale par le ministère public, contre le gré de l'accusé, viole‑t‑elle la Charte?

L'appelant prétend que la règle de common law qui permet au ministère public de présenter une preuve d'aliénation mentale, contre le gré de l'accusé, énoncée par la Cour d'appel de l'Ontario dans R. v. Simpson et R. v. Saxell, précités, viole l'art. 7 de la Charte. Les intervenants, le Conseil canadien des droits des personnes handicapées (ci‑après le "C.C.D.P.H.") et les autres, appuient l'appelant dans sa contestation de la constitutionnalité de la règle de common law en vertu de l'art. 15 de la Charte.

Il convient de souligner que notre Cour a indiqué dans l'arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, aux pp. 592 et 593, que, dans les cas où la Charte s'applique de manière générale au litige en cause (au sens de l'art. 32), elle s'applique aux règles de la common law aussi bien qu'aux lois et aux règlements. De plus, dans l'arrêt R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, à la p. 645, le juge Le Dain (dissident, mais non sur ce point) a fait l'affirmation suivante relativement à l'article premier de la Charte:

Une restriction est prescrite par une règle de droit au sens de l'art. 1 si elle est prévue expressément par une loi ou un règlement, ou si elle découle nécessairement des termes d'une loi ou d'un règlement, ou de ses conditions d'application. La restriction peut aussi résulter de l'application d'une règle de common law. [Je souligne.]

Par conséquent, si certains éléments d'une règle de common law sont incompatibles avec les dispositions de la Constitution, ils sont alors inopérants (par. 52(1)). Cela dit, j'examinerai tout d'abord les arguments présentés par l'appelant en vertu de l'art. 7.

L'article 7

Pour plus de commodité, je reproduis ici le texte de l'art. 7:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Pour invoquer la protection accordée par l'art. 7, une personne doit démontrer qu'il y a atteinte, réelle ou potentielle, à sa vie, à sa liberté ou à sa sécurité. Une fois démontré l'intérêt à cet égard, il s'agit alors de déterminer si l'atteinte à la liberté ou à la sécurité de la personne est conforme ou non aux principes de justice fondamentale.

À mon avis, il est évident que la question de la liberté de M. Swain est en cause en l'espèce. La règle de common law permet au ministère public, dans certaines circonstances, de présenter une preuve de l'aliénation mentale de l'accusé, contre le gré de celui‑ci. Si le ministère public réussit à faire la preuve de l'aliénation mentale de l'accusé, au sens de l'art. 16 du Code, celui‑ci sera assujetti au régime législatif, établi par les art. 542 à 547 du Code, qui prévoit la délivrance de mandats par le lieutenant‑gouverneur de la province. Cela signifie que l'accusé sera tenu sous une garde rigoureuse jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur soit connu. Selon l'ordonnance rendue par le lieutenant‑gouverneur, l'accusé peut être détenu indéfiniment, sous réserve d'examens périodiques (lorsqu'une commission d'examen a été nommée). Nous analyserons plus loin les caractéristiques du régime des M.L.‑G. J'ai fait ce bref exposé tout simplement pour montrer que lorsque la poursuite soulève la question de l'aliénation mentale, la liberté de l'accusé est nettement en péril. Par conséquent, il faut déterminer si l'entrave à la liberté est conforme aux principes de justice fondamentale.

Dans Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, notre Cour a dit (aux pp. 503 et 513):

. . . les principes de justice fondamentale se trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique. Ils relèvent non pas du domaine de l'ordre public en général, mais du pouvoir inhérent de l'appareil judiciaire en tant que gardien du système judiciaire.

. . .

La question de savoir si un principe donné peut être considéré comme un principe de justice fondamentale au sens de l'art. 7 dépendra de l'analyse de la nature, des sources, de la raison d'être et du rôle essentiel de ce principe dans le processus judiciaire et dans notre système juridique à l'époque en cause.

Il est donc nécessaire d'examiner si les préceptes fondamentaux de notre système juridique permettent au ministère public de présenter une preuve d'aliénation mentale, contre le gré de l'accusé.

L'appelant soutient que l'un des principes de justice fondamentale dispose que l'accusé peut participer de façon significative à sa défense et prendre des décisions fondamentales quant à la conduite de sa défense, comme celle de renoncer à la défense d'aliénation mentale. (Je m'arrête pour souligner que j'utiliserai le terme "défense" au sens large d'"argument qu'une personne peut opposer à une accusation criminelle"; voir mes motifs de jugement dans l'arrêt R. c. Chaulk, [1990] R.C.S. 1303 à la p. 1318.) Il prétend que le fonctionnement de notre système contradictoire est fondé sur l'autonomie de l'accusé qui peut prendre des décisions fondamentales concernant sa défense, après avoir évalué certains risques et conséquences. On retrouve l'argument de l'appelant dans le jugement du juge Stewart, dans Faretta v. California, 422 U.S. 806 (Calif. C.A., 1975), à la p. 834:

[traduction] Le droit de se défendre est personnel. C'est le défendeur, et non son avocat ni l'État, qui supportera les conséquences personnelles d'une déclaration de culpabilité. C'est donc le défendeur qui doit être libre de décider s'il est avantageux d'être représenté par un avocat dans son cas. Et bien qu'il puisse mener sa propre défense, à son détriment peut‑être, il faut accepter sa décision par "respect pour la personne, élément vital du droit".

Notre Cour a reconnu, à de nombreuses occasions, que les principes fondamentaux de notre système juridique sont fondés sur le respect de l'autonomie et de la valeur intrinsèque de chacun. Dans Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité, à la p. 503, je dis que les principes de justice fondamentale sont:

. . . des éléments essentiels d'un système d'administration de la justice fondé sur la foi en "la dignité et la valeur de la personne humaine" (préambule de la Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III) et en "la primauté du droit" (préambule de la Charte canadienne des droits et libertés).

De même, le juge Wilson a dit dans l'arrêt R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, à la p. 171:

À mon avis, le respect du pouvoir décisionnel de l'individu dans des domaines d'importance personnelle aussi fondamentaux que traduit la jurisprudence américaine nous renseigne aussi sur la Charte canadienne. D'ailleurs, comme le Juge en chef le rappelle dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., la foi en la valeur et en la dignité humaines "constitue [. . .] le fondement même de la tradition politique dans laquelle s'insère la Charte".

Notre Cour a également reconnu que la structure de notre système contradictoire fait partie intégrante de notre régime juridique. Dans l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, le juge Sopinka a dit, aux pp. 358 et 359, dans son analyse de la doctrine du caractère théorique:

La première raison d'être de la politique ou de la pratique en question tient à ce que la capacité des tribunaux de trancher des litiges a sa source dans le système contradictoire. L'exigence du débat contradictoire est l'un des principes fondamentaux de notre système juridique et elle tend à garantir que les parties ayant un intérêt dans l'issue du litige en débattent complètement tous les aspects.

De même, dans l'arrêt R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, à la p. 195, le juge Sopinka a traité de "notre système accusatoire et contradictoire de justice criminelle". La Cour d'appel de l'Ontario a également reconnu le processus contradictoire comme une partie intégrante de notre système de justice. Dans Phillips v. Ford Motor Co. of Canada Ltd. (1971), 18 D.L.R. (3d) 641, le juge Evans a affirmé ce qui suit à la page 661:

[traduction] Le procès n'est pas censé être une exploration scientifique où le juge joue le rôle de directeur des recherches; c'est un forum créé en vue d'exercer la justice pour les parties en cause.

Dans "Two Models of Judicial Decision‑Making" (1968) 46 R. du B. can. 406, à la p. 412, le professeur Weiler a ainsi qualifié le processus contradictoire:

[traduction] Le processus contradictoire est celui qui répond plus ou moins à cette description: en prélude au règlement du litige, les parties intéressées ont la possibilité de produire des éléments de preuve et de présenter des arguments devant un arbitre impartial non intéressé qui tranche l'affaire d'après la preuve et les arguments. Ceci s'oppose au processus décisionnel public fondé sur le "pouvoir légitime" ou sur la "médiation/convention" où les modes respectifs de participation garantie sont le vote et la négociation. La décision judiciaire se distingue en ce qu'elle garantit à chaque partie touchée le droit de préparer et de présenter des observations sur lesquelles le règlement du litige sera fondé.

Puisque les principes de justice fondamentale reposent sur un système accusatoire et contradictoire de justice criminelle fondé sur le respect de l'autonomie et de la dignité humaines, il me semble évident qu'il faut également, en vertu des principes de justice fondamentale, qu'un accusé ait le droit de contrôler la conduite de sa propre défense. L'appelant a souligné avec raison qu'un accusé ne sera pas en mesure de choisir s'il doit ou non présenter un moyen de défense fondé sur l'aliénation mentale lors de son procès à moins qu'il ne soit apte à subir ce procès. Si, à tout moment avant le verdict, la question de la capacité de l'accusé de conduire sa propre défense est soulevée, le juge du procès peut ordonner que cette question soit tranchée avant d'aller plus loin (voir l'art. 543 (maintenant l'art. 615) du Code criminel). Ainsi, l'accusé qui n'a pas été jugé incapable de subir son procès doit être considéré comme capable de conduire sa propre défense.

L'accusé décide lui‑même s'il sera représenté par un avocat, s'il témoignera ou non en sa propre défense et quels témoins il citera à comparaître. Cela traduit le respect qu'a toujours eu notre société pour l'autonomie de l'individu dans un système contradictoire. Dans l'arrêt R. c. Chaulk, précité, j'ai souligné qu'il faut définir la défense d'aliénation mentale comme une exemption de responsabilité pénale fondée sur l'incapacité de former une intention criminelle. À mon avis, la question de savoir s'il y a lieu ou non de soulever cette exemption pour faire obstacle à la culpabilité criminelle fait partie intégrante de la conduite générale de la défense de l'accusé.

La question demeure la suivante: le pouvoir du ministère public de présenter une preuve d'aliénation mentale, contre le gré de l'accusé, entrave‑t‑il le contrôle de l'accusé sur la conduite de sa propre défense?

Le simple fait que le ministère public puisse soulever un moyen de défense que l'accusé n'a pas l'intention d'employer, et ainsi donner lieu à un verdict spécial que l'accusé ne désire pas, signifie que l'accusé a perdu un certain degré de contrôle sur la conduite de sa propre défense. À mon avis, cela suffit à répondre à la question déjà posée. Toutefois, l'appelant a prétendu que le contrôle de l'accusé sur sa propre défense est menacé de façon plus immédiate lorsque le ministère public peut soulever indépendamment la question de l'aliénation mentale. Il soutient que ce pouvoir permet au ministère public d'obliger l'accusé à présenter des moyens de défense incompatibles, discrédite et attaque la crédibilité de l'accusé, ce qui désavantage d'autres moyens de défense, et a tendance à laisser au jury l'impression que, en raison d'une maladie mentale, l'accusé est "le genre de personne" qui aurait commis l'infraction reprochée.

Il n'est pas difficile de voir que le pouvoir du ministère public de soulever indépendamment la question de l'aliénation mentale pourrait très bien empêcher l'accusé de faire valoir d'autres moyens de défense. Par exemple, le prévenu qui veut présenter une défense d'alibi peut très bien voir ses efforts contrariés si le ministère public soulève le moyen de défense incompatible d'aliénation mentale. Il est également évident que la possibilité que le ministère public soulève la question de l'aliénation mentale peut réduire la crédibilité de l'accusé face au jury et mener ce dernier à conclure qu'il est une personne susceptible de commettre un crime. De tout temps, les malades mentaux ont été l'objet d'abus, de négligence et de discrimination dans notre société. L'opprobre de la maladie mentale peut être très lourd à porter. L'intervenant le C.C.D.P.H. décrit ainsi la façon dont les malades mentaux ont été traités dans l'histoire:

[traduction] Pendant des siècles, les personnes souffrant de déficience mentale ont été systématiquement isolées, placées en marge de la société, dévalorisées, ridiculisées et exclues des processus social et politique normaux.

J'estime que cette description est malheureusement exacte; elle semble venir d'une peur irrationnelle de notre société face au malade mental. Bien que j'aie beaucoup d'estime pour l'intelligence et la bonne foi des jurés canadiens, il me semble toutefois que la crédibilité d'un accusé pourrait être irrémédiablement atteinte si le ministère public présente une preuve d'aliénation mentale.

Le ministère public prétend que le droit d'un accusé de contrôler sa défense est bien protégé par l'exercice du pouvoir judiciaire discrétionnaire qui était envisagé dans les arrêts Simpson et Saxell, précités. Dans Saxell, la Cour d'appel de l'Ontario a conclu que le ministère public ne peut présenter une preuve d'aliénation mentale qu'avec l'autorisation du juge du procès, qui peut d'abord exiger la tenue d'un voir‑dire. La cour a signalé que l'exercice de ce pouvoir devrait être fondé sur les facteurs suivants, aux pp. 188 et 189:

[traduction] La considération la plus importante est que l'intérêt de la justice exige que l'accusé ne soit pas déclaré coupable de l'infraction qui lui est reprochée. Il doit y avoir des éléments de preuve convaincants que l'accusé a commis l'acte allégué. De toute évidence, il ne faudrait pas que la preuve d'aliénation mentale influence la décision du jury sur cette question, soit en attaquant sa crédibilité, s'il décide de témoigner, soit en entraînant la conclusion selon laquelle l'accusé est le genre de personne susceptible de commettre cet acte.

La preuve de l'aliénation mentale au moment de la perpétration de l'acte doit être suffisamment substantielle et soulever une question si sérieuse, à savoir si l'accusé était capable de commettre l'infraction, qu'il est dans l'intérêt de la justice de la produire.

Même si les motifs du jugement dans R. v. Simpson, précité, ne le précisent pas expressément, j'estime que dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de décider s'il doit autoriser le ministère public à produire une preuve de l'aliénation mentale de l'accusé, le juge devrait tenir compte de la nature et de la gravité de l'infraction reprochée et de la mesure dans laquelle l'accusé peut présenter un danger pour le public.

Je partage l'avis que, "de toute évidence", il ne faudrait pas que la preuve d'aliénation mentale influence la décision du jury sur la question de savoir si l'accusé a bel et bien commis l'acte reproché; mais, avec égards, je ne vois pas comment le pouvoir discrétionnaire du juge du procès, qui peut refuser de permettre au ministère public de soulever la question de l'aliénation mentale sauf s'il y a des "éléments de preuve convaincants" que l'accusé a commis l'acte reproché, pourra faire obstacle à cette conséquence. À mon avis, bien que la Cour d'appel de l'Ontario ait reconnu les effets néfastes que peut avoir la décision de laisser le ministère public présenter une preuve d'aliénation mentale, elle n'a pas formulé de mécanisme qui protège adéquatement le droit de l'accusé de contrôler sa défense.

Selon moi, le fait que le ministère public puisse présenter une preuve d'aliénation mentale, contre le gré de l'accusé, en vertu de la règle de common law existante, entrave effectivement le contrôle de l'accusé sur la conduite de sa défense. Cependant, cela ne veut pas dire que si un accusé choisit de présenter des éléments de preuve qui tendent à mettre en doute sa capacité mentale de former une intention criminelle, sans toutefois soulever la défense d'aliénation mentale (au sens de l'art. 16), le ministère public sera incapable de présenter sa propre preuve d'aliénation mentale. En effet, lorsque la preuve même de l'accusé tend à mettre en doute sa capacité mentale de former une intention criminelle, le ministère public aura le droit de présenter sa propre preuve d'aliénation mentale et le juge du procès sera fondé à donner des directives au jury relativement à l'art. 16. Il appartiendra au juge du procès de déterminer, dans les circonstances particulières de chaque espèce, si la preuve de l'accusé, en fait, met en cause la capacité mentale de former une intention criminelle. Il est nécessaire que le ministère public puisse présenter une preuve d'aliénation mentale dans ces circonstances parce que, si ce n'était pas le cas, le jury pourrait bien n'avoir qu'une image incomplète de la capacité mentale de l'accusé. Si l'accusé pouvait présenter certains éléments de preuve d'incapacité mentale (sans aller jusqu'à une défense d'aliénation mentale) et pouvait en même temps empêcher le ministère public de présenter tout élément de preuve d'aliénation mentale qu'elle peut avoir en sa possession, il se pourrait bien que l'accusé puisse être acquitté par un jury privé du "tableau complet" de l'incapacité mentale de l'accusé. Un tel résultat est évidemment peu souhaitable. De plus, la possibilité pour le ministère public de présenter une preuve d'aliénation mentale seulement après que l'accusé a mis en cause sa capacité mentale de former une intention criminelle ne soulève pas le problème, analysé précédemment, de la possibilité pour le ministère public de placer un accusé dans une situation où il doit avancer des moyens de défense incompatibles.

Ainsi, bien que le droit d'un accusé de contrôler sa défense soit un principe de justice fondamentale, ce droit n'est pas "absolu". Si un accusé choisit de mener sa défense de telle manière que sa capacité mentale de former une intention criminelle est d'une manière ou d'une autre mise en doute, le ministère public aura alors le droit de "compléter le tableau" en présentant sa propre preuve d'aliénation mentale et le juge du procès sera fondé à donner au jury des directives relativement à l'art. 16.

La règle de common law énoncée dans les arrêts R. v. Simpson et R. v. Saxell, précités, ne limite pas le ministère public à ne soulever l'aliénation mentale que lorsque la défense de l'accusé met en cause sa capacité mentale de former une intention criminelle. Par conséquent, la règle de common law qui permet à la poursuite de présenter une preuve d'aliénation mentale, contre le gré de l'accusé, contrevient bien à un principe de justice fondamentale.

Le ministère public a toutefois souligné que sa capacité de présenter indépendamment une preuve d'aliénation mentale est compatible avec un second principe de justice fondamentale, savoir qu'une personne qui était aliénée au moment de la perpétration de l'infraction (et donc incapable d'avoir une intention criminelle) ne devrait pas être déclarée coupable en droit criminel. Autrement dit, on prétend que le ministère public doit pouvoir présenter la preuve d'aliénation mentale lorsque l'accusé décide de ne pas le faire, parce qu'il serait contraire aux principes de justice fondamentale de déclarer l'accusé coupable d'une infraction criminelle lorsqu'il existe un doute véritable quant à la culpabilité criminelle de l'accusé.

Je suis d'accord qu'il relève d'un des principes de justice fondamentale que l'appareil judiciaire criminel ne doit pas déclarer coupable une personne qui était aliénée au moment de l'infraction. Dans la mesure où ce principe est protégé par la Charte, il fait partie des droits individuels que prévoit l'art. 7. Cependant, en l'espèce, ce principe de justice fondamentale n'entre pas en jeu du fait que l'accusé demande la reconnaissance des droits que lui reconnaît l'art. 7 de la Charte. L'accusé a démontré qu'il y avait eu atteinte à sa liberté d'une façon qui est incompatible avec le principe de justice fondamentale selon lequel l'accusé doit avoir le contrôle de la conduite de sa défense. À mon avis, cela règle la question. Comme je le dis dans l'arrêt R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199, aux pp. 1247 et 1248, en ce qui concerne l'al. 11b), les garanties juridiques mentionnées dans cet arrêt ont été adoptées au profit des particuliers. En l'espèce, l'accusé a choisi de ne pas invoquer le principe de justice fondamentale selon lequel, dans notre système de justice criminelle, on ne déclare pas coupable une personne qui était aliénée au moment de l'infraction. Par conséquent, ce principe ne peut, en l'espèce, servir à l'analyse fondée sur l'art. 7.

Il n'est pas acceptable que l'État puisse contrecarrer l'exercice du droit de l'accusé en tentant de faire jouer les intérêts de la société dans l'application des principes de justice fondamentale, et restreindre ainsi les droits reconnus à l'accusé par l'art. 7. Les intérêts de la société doivent entrer en ligne de compte dans l'application de l'article premier de la Charte, lorsqu'il incombe au ministère public de démontrer que la justification de la règle de droit attaquée peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. En d'autres termes, j'estime que l'évaluation des intérêts de la société par rapport au droit individuel garanti par l'art. 7 ne devrait se faire que dans le contexte de l'article premier de la Charte. Par conséquent, bien que j'admette que l'un des préceptes fondamentaux de notre système juridique soit qu'une personne aliénée au moment de l'infraction ne doit pas être déclarée coupable, je préfère traiter de cette question, en l'espèce, dans le cadre de l'examen de l'article premier de la Charte.

J'estime donc que la règle de common law qui permet au ministère public de présenter une preuve d'aliénation mentale contre le gré de l'accusé constitue une entrave à la liberté, incompatible avec les principes de justice fondamentale. En conséquence, la règle de common law restreint les droits reconnus à l'accusé par l'art. 7 de la Charte.

Puisque j'ai conclu qu'il existe une restriction des droits que l'art. 7 reconnaît à l'accusé, il n'y aura pas lieu de déterminer si la règle de common law qui permet au ministère public de présenter une preuve d'aliénation mentale contre le gré de l'accusé restreint également les droits prévus aux art. 9 et 15 de la Charte, à moins que la restriction à l'art. 7 puisse être jugée acceptable par l'application de l'article premier. Je suis d'avis que l'art. 9 ne s'applique pas en l'espèce et je remarque que les parties n'ont présenté aucun argument eu égard à cet article, bien qu'il ait été inclus dans la question constitutionnelle.

Avant de passer à l'article premier, j'aimerais toutefois souligner que, puisque le présent pourvoi comporte une contestation fondée sur la Charte d'une règle de common law, formulée par les tribunaux, l'analyse de la Charte fait intervenir des considérations différentes de celles qui s'appliquent à la contestation d'une disposition législative. Par exemple, la cour ayant conclu que la règle de common law actuelle restreint les droits que l'art. 7 de la Charte reconnaît à l'accusé, il n'est peut-être pas strictement nécessaire d'examiner la pertinence de l'application de l'article premier. Après avoir conclu que la règle de common law énoncée par la Cour d'appel de l'Ontario restreint le droit à la liberté de l'accusé d'une façon non conforme aux principes de justice fondamentale, j'estime qu'il conviendrait peut-être de déterminer, à ce stade-ci, s'il est possible de formuler une autre règle de common law qui ne serait pas contraire aux principes de justice fondamentale.

S'il est possible d'énoncer une nouvelle règle de common law qui ne contrevienne pas au droit de l'accusé de contrôler la conduite de sa défense, je n'ai aucune difficulté à imaginer que la Cour puisse simplement la formuler, en remplacement de l'ancienne, sans chercher à savoir si l'ancienne règle pourrait néanmoins être maintenue en vertu de l'article premier de la Charte. Vu que la règle de common law a été créée par des juges et non par le législateur, l'égard que les tribunaux doivent avoir envers les organismes élus n'est pas en cause. S'il est possible de reformuler une règle de common law de façon qu'elle ne s'oppose pas aux principes de justice fondamentale, il faudrait le faire. Évidemment, s'il n'était pas possible de reformuler la règle de common law de sorte qu'il n'y ait pas violation d'une liberté ou d'un droit protégé par la Constitution, la Cour devrait alors déterminer si la règle de common law peut être maintenue parce qu'elle constitue une limite raisonnable en vertu de l'article premier de la Charte. Comme je l'ai souligné au début de cette analyse, notre Cour a affirmé qu'une restriction "prescrite par une règle de droit", au sens de l'article premier, peut découler de l'application tant d'une règle de common law que d'une disposition législative ou réglementaire. Or, je ne voudrais pas que l'on croie que j'ai conclu que l'article premier n'est jamais applicable lorsqu'une règle de common law est contestée en vertu de la Charte.

D'une certaine façon, cette étape de l'analyse ressemble à l'examen qu'aurait soulevé la contestation de la règle de common law si elle n'avait pas été fondée sur la Charte. Si les parties avaient allégué que la règle de common law était tout simplement contraire aux principes fondamentaux du droit criminel, la Cour aurait été en mesure d'apprécier si elle pouvait être reformulée de façon à être compatible avec les principes fondamentaux de droit criminel (principes de justice fondamentale), tout en atteignant ses objectifs originaux. En d'autres termes, il n'est pas strictement nécessaire d'invoquer le par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 pour contester une règle de common law, formulée par les tribunaux, sur le fondement des droits et valeurs garantis par la Charte; si une règle de common law peut être reformulée de sorte qu'elle soit compatible avec les principes fondamentaux tout en atteignant ses objectifs, un juge a le droit de procéder à cette reformulation et il n'est pas tenu de s'autoriser du par. 52(1).

Cependant, le présent pourvoi comporte bel et bien une contestation, en vertu du par. 52(1), de la règle de common law actuelle et, à mon avis, il y a de bonnes raisons de poursuivre l'analyse de l'application de l'article premier en l'espèce, selon les lignes directrices énoncées dans R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Le critère de l'arrêt Oakes offre une structure bien connue permettant de se concentrer sur les objectifs visés par la règle de common law et d'envisager d'autres façons d'atteindre ces objectifs. En outre, les questions constitutionnelles ont été formulées en fonction de l'article premier. Bien que cela ne soit pas déterminant en soi, la Cour a pu entendre les arguments réfléchis que les parties immédiatement concernées et un certain nombre d'intervenants ont fondés sur l'article premier. À mon avis, il serait à la fois pertinent et utile que la Cour profite de ces présentations pour apprécier l'objectif visé par la règle actuelle et déterminer s'il est possible d'énoncer une nouvelle règle de common law qui serait moins envahissante au regard de la façon dont l'accusé conduit sa défense. Enfin, j'ai déjà affirmé dans les présents motifs que l'évaluation de l'intérêt que représente pour la société la décision de ne pas déclarer coupable une personne qui était aliénée au moment de l'infraction devrait relever de l'analyse de l'article premier et non des principes de justice fondamentale en vertu de l'art. 7. Cela dit, je me sens tenu d'étudier cet intérêt en vertu de l'article premier de la Charte.

Pour les motifs qui précèdent, j'examinerai maintenant la question de savoir si la règle de common law actuelle constitue une limite raisonnable en vertu de l'article premier de la Charte.

L'article premier

Comme tous les droits et libertés garantis par la Charte, l'art. 7 est assujetti aux restrictions prévues à l'article premier de la Charte. Notre Cour a établi la procédure à suivre lorsque l'État tente de justifier, en vertu de l'article premier, une restriction apportée à un droit ou à une liberté, dans l'arrêt R. c. Oakes, précité.

1. L'objectif de la disposition attaquée doit être suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garanti par la Constitution; il doit se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique, pour qu'on puisse le qualifier de suffisamment important.

2. S'il est reconnu qu'un objectif est suffisamment important, les moyens choisis pour atteindre l'objectif doivent respecter un critère de proportionnalité; c'est‑à‑dire qu'ils doivent:

a) avoir un "lien rationnel" avec l'objectif et n'être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondés sur des considérations irrationnelles;

b) porter "le moins possible" atteinte au droit ou à la liberté en question;

c) être de nature à ce que leurs effets sur la restriction des droits et libertés soient proportionnels à l'objectif.

(i)L'objectif

Puisque le présent pourvoi porte sur une règle de common law, formulée par les tribunaux, le rôle de la Cour, selon cette partie des critères de l'arrêt Oakes, n'est pas d'interpréter l'objectif du législateur, mais bien d'interpréter l'objectif général que visait la règle de common law énoncée par les tribunaux.

À mon avis, l'objectif de la règle de common law qui permet au ministère public, dans certains cas, de présenter une preuve d'aliénation mentale contre le gré de l'accusé comporte deux volets. Le juge Martin a dégagé l'un de ces objectifs dans l'arrêt Simpson, précité (à la p. 362):

[traduction] . . . éviter que soit déclaré coupable un accusé qui n'est peut‑être pas responsable de l'infraction, pour cause d'aliénation mentale, mais qui refuse de produire une preuve forte du fait qu'il était aliéné.

La règle de common law n'a pas seulement pour but d'éviter que l'accusé soit traité de façon inéquitable, mais aussi de protéger l'intégrité du système de justice criminelle. L'accusé n'est pas le seul à avoir un intérêt dans l'issue du procès; la société elle‑même a intérêt à s'assurer que le système ne considère pas erronément des personnes aliénées comme des criminels.

L'appelant estime avec justesse que le second objectif est la protection du public contre des personnes dangereuses à l'heure actuelle et qui devraient être hospitalisées. Cet objectif tient au fait que la décision d'abandonner tout simplement la poursuite d'un accusé, soupçonné d'avoir été aliéné au moment de l'infraction, ne règle pas la question de l'accusé qui peut être dangereux à l'heure actuelle et qui, par conséquent, risque d'être de nouveau en contact avec le système de justice criminelle.

À mon avis, les objectifs susmentionnés se rapportent à des préoccupations urgentes et réelles dans notre société et sont suffisamment importants pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution. Par conséquent, j'examinerai maintenant la question de savoir si la règle de common law répond au critère de proportionnalité énoncé dans l'arrêt Oakes.

(ii)Le critère de proportionnalité

1. Le lien rationnel

À cette étape‑ci de l'analyse fondée sur l'arrêt Oakes, il s'agit de déterminer s'il existe un lien rationnel entre les objectifs, déjà relevés dans la première partie de l'analyse, et les mesures choisies pour les atteindre, savoir la règle de common law qui permet au ministère public de présenter indépendamment une preuve d'aliénation mentale dans certaines circonstances.

Permettre au ministère public de produire une preuve d'aliénation mentale lorsque l'accusé a choisi de ne pas le faire est une façon d'éviter la déclaration de culpabilité de personnes qui étaient aliénées au moment où l'infraction a été commise, mais qui ne désirent pas soulever la question de l'aliénation mentale. Bien que cette façon d'atteindre le premier objectif puisse présenter certains problèmes et ne soit peut‑être pas idéale, elle constitue tout de même un moyen logique d'atteindre l'objectif souhaité.

De même, permettre au ministère public de soulever l'aliénation mentale lorsque l'accusé a choisi de ne pas le faire est une façon de protéger le public contre des personnes qui sont peut‑être dangereuses à l'heure actuelle. Si le ministère public fait la preuve de l'aliénation mentale, l'accusé sera soumis à une détention et à des examens comme le prévoit le système de mandats du lieutenant‑gouverneur. Bien que cette méthode puisse également soulever certains problèmes, elle constitue néanmoins un moyen logique d'atteindre le second objectif.

Par conséquent, je suis d'avis, qu'il existe un lien rationnel entre les objectifs et les mesures choisies pour les atteindre; la règle de common law respecte donc la première partie du critère de proportionnalité établi dans l'arrêt Oakes.

2. L'atteinte minimale

Dans cette partie du critère de proportionnalité, il s'agit de déterminer si la règle de droit attaquée (en l'espèce, la règle et les critères de common law énoncés par la Cour d'appel de l'Ontario) viole le moins possible les droits garantis par la Charte afin d'atteindre l'objectif "urgent et réel". En d'autres termes, même s'il existe un lien rationnel entre les mesures choisies et l'objectif visé, ces mesures peuvent également être inutilement attentatoires aux droits garantis par la Constitution, compte tenu des autres solutions possibles. À plusieurs reprises, notre Cour a dit qu'il n'était pas nécessaire que la mesure choisie soit celle qui est la moins envahissante pour qu'une règle de droit réponde aux critères de l'atteinte minimale aux droits ou aux libertés (voir R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; et Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123). Cependant, comme je l'ai déjà indiqué, j'estime que l'analyse de l'arrêt Oakes fait appel à des considérations quelque peu différentes lorsque, comme en l'espèce, une règle formulée par les tribunaux est contestée en vertu de la Charte.

Dans des affaires où des dispositions législatives sont contestées en vertu du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, notre Cour a pris en considération le fait que ces dispositions sont adoptées par un corps élu qui doit tenir compte des intérêts conflictuels de différents groupes de la société et toujours considérer les aspects polycentriques des mesures envisagées. C'est pour cette raison que notre Cour a avancé que le législateur ne doit pas toujours adopter les mesures les moins envahissantes pour atteindre ses objectifs, mais qu'il doit choisir dans un éventail de mesures qui portent le moins possible atteinte aux droits garantis par la Charte. Cependant, comme je l'ai déjà indiqué, lorsqu'une règle de common law, formulée par les tribunaux, est contestée en vertu de la Charte, la retenue judiciaire n'entre pas en jeu.

À mon avis, la règle de common law actuelle qui permet à la poursuite, dans certaines circonstances, de soulever une preuve d'aliénation mentale contre le gré de l'accusé et qui contrevient ainsi aux principes de justice fondamentale selon lesquels l'accusé doit avoir plein contrôle de la conduite de sa défense, doit être étudiée rigoureusement en vertu de l'article premier. En d'autres termes, la Cour doit adopter la règle de common law la moins envahissante, celle qui permettra d'atteindre les objectifs visés sans avoir une incidence disproportionnée sur les droits en cause.

Comme je l'ai déjà souligné, j'admets que, selon l'un des préceptes fondamentaux de notre système de droit, on ne doit pas déclarer coupable, en droit criminel, une personne qui était aliénée au moment de l'infraction. Cependant, je ne crois pas que ce principe et l'objectif correspondant exigent que le ministère public puisse soulever la question de l'aliénation mentale, contre le gré de l'accusé, intervenant ainsi dans la conduite de sa défense. S'il estime que l'accusé était aliéné au moment de l'infraction, le ministère public n'est pas tenu de poursuivre l'accusé. Il peut toujours choisir d'abandonner l'accusation ou d'arrêter les procédures. Ce genre de décision de la part du ministère public serait compatible tant avec le droit de l'accusé de contrôler sa propre défense qu'avec le principe selon lequel une personne qui était aliénée au moment de l'infraction ne devrait pas être déclarée coupable en droit criminel.

Toutefois, l'abandon des accusations par le ministère public ne répond pas au second objectif urgent et réel qu'est la protection du public contre une personne qui est peut-être dangereuse à l'heure actuelle. Ainsi, même si une règle exigeant du ministère public qu'il abandonne les accusations ou qu'il arrête les procédures lorsqu'il est d'avis que l'accusé était aliéné au moment de l'infraction serait moins envahissante que la règle de common law actuelle, cette nouvelle règle ne permettrait pas d'atteindre le double objectif déjà mentionné. Dans certains cas, les deux objectifs pourraient être réalisés par la voie des procédures civiles d'internement. Il est vrai que les lois provinciales en matière de santé mentale offrent des solutions de rechange au ministère public lorsqu'il est en possession de preuves indiquant que l'accusé souffre probablement d'aliénation mentale grave mais qu'il ne désire pas intenter des poursuites contre l'accusé parce qu'il était probablement aliéné au moment de l'infraction. En outre, comme l'appelant l'a prétendu,

[traduction] Les dispositions des différentes lois provinciales en matière de santé mentale offrent une myriade de dispositions de fond et de procédure conçues pour la protection des malades mentaux que ne prévoit pas le régime de détention indéterminée du Code criminel, qui permet au ministère public d'obtenir la détention d'une durée indéterminée sans preuve hors de toute doute raisonnable. [Je souligne.]

Cependant, je ne voudrais pas que l'on conclue que j'ai statué sur la constitutionnalité des différentes lois provinciales en matière de santé mentale. J'aimerais tout simplement souligner que ces lois provinciales offrent en général plus de protection en matière de procédure que ne le fait le système des mandats du lieutenant‑gouverneur et que, en ce sens, elles constituent une solution de rechange lorsque le ministère public croit qu'un accusé était aliéné au moment de l'infraction et est peut‑être dangereux à l'heure actuelle. Quant à la question de savoir si une loi provinciale donnée portant sur l'internement civil est compatible avec les dispositions de la Charte, elle devra être tranchée lorsque les faits d'une espèce le justifieront et que la question aura fait l'objet d'un débat complet devant notre Cour. De toute façon, j'ai soulevé la possibilité que le ministère public ait recours aux procédures civiles d'internement adoptées par les provinces, dans l'unique but de souligner que, peu importe l'état de la règle de common law, le ministère public n'aura jamais à choisir entre poursuivre un accusé qui, à son avis, était aliéné au moment de l'infraction et permettre à quelqu'un qui, à son avis, est dangereux et aliéné à l'heure actuelle de demeurer en liberté.

Toutefois, je ne voudrais pas laisser entendre qu'il conviendrait de formuler une nouvelle règle de common law qui obligerait le ministère public à entreprendre des procédures civiles d'internement dès qu'il croit qu'un accusé était peut-être bien aliéné au moment de l'infraction et est dangereusement aliéné à l'heure actuelle. À mon avis, il serait inacceptable que notre Cour énonce une règle de common law qui fasse dépendre l'issue d'une instance criminelle à l'existence et à la validité de textes législatifs qui relèvent vraisemblablement de la compétence provinciale.

Compte tenu du raisonnement qui précède, il faut déterminer s'il est possible de formuler une nouvelle règle de common law qui ne restreigne pas les droits et libertés protégés par la Constitution; j'estime que c'est possible.

Le double objectif susmentionné pourrait être atteint sans restreindre indûment les droits garantis par la Charte si la règle de common law actuelle était remplacée par une règle qui permettrait au ministère public de ne soulever indépendamment la question de l'aliénation mentale qu'après que le juge des faits a conclu que l'accusé est par ailleurs coupable de l'infraction reprochée. Sous ce régime, le tribunal pourrait juger de la question de l'aliénation mentale après avoir conclu à la culpabilité, mais avant d'inscrire la déclaration de culpabilité. Si le juge des faits concluait par la suite que l'accusé était aliéné au moment de l'infraction, le verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale serait inscrit. À l'inverse, si le juge des faits concluait que l'accusé n'était pas aliéné, au sens de l'art. 16, au moment de l'infraction, une déclaration de culpabilité serait inscrite.

Cette règle protégerait le droit de l'accusé de contrôler sa défense et permettrait d'atteindre tant l'objectif visant à éviter la déclaration de culpabilité d'une personne qui était aliénée au moment de l'infraction que l'objectif visant à protéger le public contre une personne qui peut être dangereuse à l'heure actuelle. Il est bien entendu qu'en vertu de ce régime, l'accusé pourrait également invoquer son droit garanti par l'art. 7 de ne pas être reconnu coupable s'il était aliéné au moment de l'infraction. L'accusé pourrait, s'il ne l'a pas déjà fait, soulever la question de l'aliénation mentale après que le juge des faits aurait conclu qu'il était coupable de l'infraction reprochée, mais avant qu'un verdict de culpabilité ne soit inscrit. Ce serait compatible avec le droit de l'accusé, en vertu de notre système de justice criminelle, d'obliger le ministère public à s'acquitter de tout son fardeau de la preuve de l'actus reus et de la mens rea avant de soulever d'autres questions. Cependant, cela ne signifie pas que l'accusé ne peut soulever la question d'aliénation mentale qu'après que l'actus reus et la mens rea ont tous deux été démontrés en preuve. Le ministère public ne pourrait soulever la preuve d'aliénation mentale qu'une fois le juge des faits convaincu que l'on s'est acquitté de tout le fardeau de la preuve de l'actus reus et de la mens rea ou après que la propre défense de l'accusé aurait d'une manière ou d'une autre mis en cause sa capacité mentale de former une intention criminelle, tandis que l'accusé pourrait le faire en tout temps au cours du procès. Comme je l'ai dit dans R. c. Chaulk, précité, la preuve d'un déséquilibre mental peut, dans certains cas, écarter la mens rea. Comme je l'ai dit précédemment, et je crois utile de le répéter ici, si, au cours d'un procès, l'accusé présente une preuve de déséquilibre mental qui (de l'avis du juge du procès) tend à mettre sa capacité mentale en cause, le ministère public aura le droit de présenter la preuve d'aliénation mentale et le juge du procès pourra donner au jury des directives sur la défense d'aliénation mentale au sens de l'art. 16. Cependant, si, de l'avis du juge des faits, cette preuve de déficience mentale ne répond pas aux exigences de l'art. 16, l'accusé aura encore le droit de voir cette preuve examinée en rapport avec l'élément essentiel que constitue la mens rea. Cela serait conforme à la pratique actuelle qui permet à l'accusé de nier l'élément de préméditation ou l'intention spécifique nécessaire à l'infraction de meurtre même si les exigences de l'art. 16 n'ont pas été réunies. Cette nouvelle règle de common law donnerait à l'accusé la possibilité d'attendre que le ministère public se soit acquitté de tout son fardeau de la preuve avant de présenter la question de l'aliénation mentale, sans pour autant enlever à l'accusé le droit déjà existant de présenter la preuve de sa condition mentale au cours du procès.

À mon avis, la nouvelle règle de common law permettrait d'atteindre les objectifs susmentionnés sans restreindre les droits garantis à l'accusé par l'art. 7 de la Charte. En vertu de la nouvelle règle de common law, le ministère public ne pourra produire une preuve d'aliénation mentale que dans deux cas. Le premier survient après que le juge des faits a conclu que l'accusé est par ailleurs coupable de l'infraction dont il est inculpé. Dans ces circonstances, le pouvoir du ministère public de soulever la question de l'aliénation mentale n'interviendra pas dans la conduite de la défense de l'accusé puisque ce pouvoir n'entrera en jeu qu'après la clôture de la défense de l'accusé. Le second survient si (de l'avis du juge du procès) l'accusé a soulevé, dans sa propre défense, la question de sa capacité de former une intention criminelle. Dans ces circonstances, le pouvoir qu'a le ministère public de présenter une preuve d'aliénation mentale n'est pas incompatible avec le droit de l'accusé de conduire sa propre défense puisque c'est justement la conduite de la défense par l'accusé qui a soulevé cette question. En outre, comme je l'ai déjà mentionné, n'autoriser le ministère public à présenter une preuve d'aliénation mentale qu'après que l'accusé a mis en cause sa capacité mentale de former une intention criminelle évite le problème que constitue la possibilité pour le ministère public d'obliger l'accusé à présenter des moyens de défense incompatibles.

Vu les motifs qui précèdent, il appert qu'il est donc possible de formuler une nouvelle règle de common law qui ne restreigne pas l'art. 7 de la Charte. S'il est possible de formuler une règle de common law qui permette d'atteindre les objectifs initiaux, sans restreindre l'art. 7, il s'ensuit certainement que l'on ne peut considérer que la règle actuelle porte "le moins possible" atteinte aux droits garantis. Il m'apparaît donc évident que la règle de common law actuelle énoncée dans les arrêts R. v. Simpson et R. v. Saxell, précités, permettant au ministère public de présenter indépendamment une preuve d'aliénation mentale ne restreint pas le moins possible les droits garantis à l'accusé par l'art. 7. Il n'y a donc pas lieu d'examiner le troisième élément du critère de proportionnalité de l'arrêt Oakes. La règle de common law actuelle ne respecte pas le critère de proportionnalité énoncé dans l'arrêt Oakes et ne constitue pas une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Compte tenu de ces conclusions, je suis d'avis que la règle de common law énoncée dans les arrêts Simpson et Saxell, précités, est incompatible avec les dispositions de la Constitution et inopérante en vertu du par. 52(1). Il n'y a donc pas lieu de déterminer si cette règle restreint également l'application de l'art. 15 de la Charte.

Cependant, comme une nouvelle règle de common law a été formulée pour remplacer celle qui vient à peine d'être annulée, je crois qu'il convient de déterminer si la nouvelle contreviendrait à l'art. 15 de la Charte. La validité de l'ancienne règle de common law était contestée en vertu de l'art. 15. La Cour ayant conclu qu'elle contrevenait à l'art. 7 de la Charte, qu'elle ne pouvait être maintenue à titre de limite raisonnable en vertu de l'article premier et qu'elle était donc considérée comme inopérante conformément au par. 52(1), il était inutile d'examiner si elle contrevenait également à l'art. 15 de la Charte. Ce n'est pas le cas de la nouvelle règle de common law. Comme je l'ai déjà mentionné, lorsque la constitutionnalité d'une règle formulée par les tribunaux est en cause, l'analyse de la Charte est différente de celle qui s'applique à une disposition législative. Il ne suffit pas de dire que la règle de common law nouvellement énoncée est moins envahissante que l'ancienne règle ou même de dire que la nouvelle règle de common law ne restreint pas l'application de l'art. 7 de la Charte. Si notre Cour doit énoncer une nouvelle règle de common law en remplacement de l'ancienne, elle est tenue d'examiner la situation de cette nouvelle règle au regard de tous les aspects pertinents de la Charte. À mon avis, seul l'art. 15 de la Charte pourrait être directement applicable à la nouvelle règle de common law. Comme je l'ai déjà mentionné, je ne crois pas que l'art. 9 s'applique à la question de la production d'une preuve d'aliénation mentale par le ministère public. Par conséquent, j'examinerai maintenant la question de savoir si la nouvelle règle de common law restreint l'application de l'art. 15 de la Charte.

L'article 15

Pour plus de commodité, je reproduis ici le texte du par. 15(1):

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Dans Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, notre Cour a étudié de façon très détaillée le sens et le contenu de la garantie prévue au par. 15(1). Le juge McIntyre (au nom de la majorité au sujet du par. 15(1), mais dissident quant à l'application de l'article premier) a souligné que l'égalité était un "concept comparatif" et a affirmé, à la p. 164:

Il faut cependant reconnaître dès le départ que toute différence de traitement entre des individus dans la loi ne produira pas forcément une inégalité et, aussi, qu'un traitement identique peut fréquemment engendrer de graves inégalités.

Le juge McIntyre a ensuite rejeté le "critère de la situation analogue" alors répandu parce qu'il comportait "un grave défaut" et il a affirmé, à la p. 168:

Il faut tenir compte du contenu de la loi, de son objet et de son effet sur ceux qu'elle vise, de même que sur ceux qu'elle exclut de son champ d'application. Les questions qui seront soulevées d'un cas à l'autre sont telles que ce serait une erreur que de tenter de restreindre ces considérations à une formule limitée et figée.

Le juge McIntyre a souligné que l'art. 15 prévoit lui-même que le droit à l'égalité devant la loi et dans la loi ainsi que les droits à la même protection et au même bénéfice de la loi qu'il confère doivent exister "indépendamment de toute discrimination". Il a alors défini le terme "discrimination" de la façon suivante, à la p. 174:

J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société.

Notre Cour a confirmé cette définition de "discrimination" dans l'arrêt McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229.

Dans R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, notre Cour a repris et élargi le point de vue adopté par le juge McIntyre, dans Andrews, précité, à l'égard du par. 15(1). Le juge Wilson, au nom de la Cour, a affirmé ce qui suit, à la p. 1331:

La réserve intrinsèque de l'art. 15 portant que la différence de traitement doit se faire "indépendamment de toute discrimination" est déterminante quant à savoir s'il y a eu violation de l'article. Ce n'est que si l'un des quatre droits à l'égalité a été violé de manière discriminatoire que les valeurs protégées par l'art. 15 sont menacées et que le rôle légitime de la cour à titre de protecteur de ces valeurs entre en jeu.

Le juge Wilson a ensuite affirmé que pour déterminer si la question de la discrimination est pertinente dans un cas particulier, il importe d'examiner non seulement la disposition législative contestée qui établit une distinction, mais aussi "l'ensemble des contextes social, politique et juridique". Pour déterminer si un individu ou un groupe relève d'une catégorie analogue à celles qui sont expressément énumérées à l'art. 15, les tribunaux doivent donc examiner "la place occupée par le groupe dans les contextes social, politique et juridique de notre société".

Par conséquent, notre Cour a conclu dans Turpin, précité, qu'une loi qui établissait une distinction, pour les fins du mode de procès, entre les personnes accusées de certaines infractions en Alberta et celles qui sont accusées des mêmes infractions ailleurs au Canada, ne contrevenait pas au par. 15(1) parce que le groupe ayant invoqué l'art. 15 ne constituait pas un groupe défavorisé dans la société canadienne, au sens qu'il souffrait de désavantages sociaux, politiques et juridiques dans notre société. Le juge Wilson a affirmé, à la p. 1333:

Il serait inutile de chercher des signes de discrimination tel que des stéréotypes, des désavantages historiques ou de la vulnérabilité à des préjugés politiques ou sociaux en l'espèce parce que ce qui est comparé c'est la situation de personnes qui sont accusées, ailleurs au Canada, d'une des infractions énumérées à l'art. 427, avec celle des personnes ainsi accusées en Alberta. À mon avis, faire droit aux demandes des appelants en vertu de l'art. 15 de la Charte serait "aller au‑delà de l'objet véritable du droit ou de la liberté en question"; voir R. c. Big M Drug Mart Ltd., à la p. 344.

Dans l'analyse de la jurisprudence de notre Cour, relativement au par. 15(1), je tiens compte des propos du juge Wilson, dans Turpin, précité, à la p. 1326:

Je fais d'abord remarquer que puisque nous en sommes aux premières interprétations de l'art. 15, nous serions mal avisés et peut-être même téméraires d'essayer de définir de manière exhaustive des expressions qui, de par leur nature même, se prêtent difficilement à une définition et qui visent à fournir un cadre à la "protection constante" des droits à l'égalité pour les années à venir.

Aussi, j'estime que les arrêts susmentionnés offrent un cadre fondamental d'analyse des plaintes fondées sur le par. 15(1). La cour doit d'abord déterminer si le plaignant a démontré que l'un des quatre droits fondamentaux à l'égalité a été violé (i.e. l'égalité devant la loi, l'égalité dans la loi, la même protection de la loi et le même bénéfice de la loi). Cette analyse portera surtout sur la question de savoir si la loi fait (intentionnellement ou non) entre le plaignant et d'autres personnes une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles. Ensuite, la cour doit établir si la violation du droit donne lieu à une "discrimination". Cette seconde analyse portera en grande partie sur la question de savoir si le traitement différent a pour effet d'imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres. De plus, pour déterminer s'il y a eu atteinte aux droits que le par. 15(1) reconnaît au plaignant, la cour doit considérer si la caractéristique personnelle en cause est visée par les motifs énumérés dans cette disposition ou un motif analogue, afin de s'assurer que la plainte correspond à l'objectif général de l'art. 15, c'est-à-dire corriger ou empêcher la discrimination contre des groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux dans la société canadienne.

Gardant ces éléments fondamentaux à l'esprit, j'examine maintenant la question de savoir si la nouvelle règle de common law contrevient au par. 15(1) de la Charte.

Les intervenants, le C.C.D.P.H. et les autres, ont prétendu que l'ancienne règle contrevenait au par. 15(1) parce qu'elle enlevait toute autonomie décisionnelle à un groupe particulier d'accusés, soupçonnés d'avoir été aliénés, au sens du par. 16(2) du Code criminel, au moment de la perpétration de l'infraction. Le C.C.D.P.H. a prétendu que l'ancienne règle de common law faisait une distinction entre les accusés en se fondant sur une caractéristique personnelle (le motif énuméré de la déficience mentale), imposant ainsi un fardeau ou un désavantage à certains accusés en intervenant dans la conduite de leur défense et en leur retirant toute autonomie décisionnelle.

Quel que soit le bien-fondé de cet argument, j'estime qu'il est évident que la nouvelle règle de common law ne peut être attaquée pour ces motifs. Comme je l'ai déjà souligné, la nouvelle règle de common law ne contrevient pas au droit de l'accusé de contrôler la conduite de sa défense et ce, parce qu'elle permet au ministère public de présenter une preuve d'aliénation mentale seulement lorsque la propre défense de l'accusé a mis en doute sa capacité mentale de former une intention criminelle ou lorsque l'accusé a terminé sa défense. On ne peut donc reprocher à la nouvelle règle d'imposer un fardeau ou un désavantage en intervenant dans la conduite de la défense d'un accusé ou en retirant toute autonomie décisionnelle à l'égard de la conduite de la défense d'un accusé. Bien qu'un accusé qui soulève la question de sa capacité mentale de former une intention criminelle s'expose au risque additionnel d'un verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale en raison de la possibilité qu'a alors le ministère public de présenter une preuve d'aliénation mentale, ce risque ne découle pas du fait que le ministère public estime qu'il y a aliénation mentale, mais plutôt des moyens de défense que l'accusé lui‑même a choisis. Quels que soient les éléments de preuve de l'aliénation mentale que le ministère public a à sa disposition, il ne peut les produire tant que l'accusé ne soulève pas lui‑même la question de sa capacité mentale de former une intention criminelle (ou, si l'accusé ne le fait pas, tant que le juge des faits n'a pas conclu que l'accusé est par ailleurs coupable de l'infraction reprochée). Par conséquent, toute différence dans la façon dont les accusés sont traités est fondée non pas sur une perception de l'incapacité mentale, mais sur la manière que l'accusé a choisie de mener sa défense.

Il faut toutefois reconnaître qu'une partie de la nouvelle règle de common law fait bien une distinction entre les individus, fondée sur une caractéristique personnelle qui correspond au motif énuméré qu'est la déficience mentale. La nouvelle règle de common law permet au ministère public de présenter une preuve d'aliénation mentale après que le juge des faits a conclu que l'accusé est par ailleurs coupable de l'infraction reprochée lorsque le ministère public estime que l'accusé était aliéné au moment de l'infraction. Si le ministère public n'en est pas convaincu, l'accusé sera déclaré coupable et se verra infliger une peine. Ce n'est que lorsque le ministère public estime que l'accusé était aliéné au moment de l'infraction, que l'accusé ne sera pas reconnu coupable et qu'il devra plutôt subir un procès sur la question de l'aliénation mentale (au cours duquel le ministère public pourra produire sa preuve d'aliénation mentale contre le gré de l'accusé). J'estime donc qu'il est évident que cet aspect de la nouvelle règle de common law établit une distinction entre les personnes comme M. Swain et les autres, en se fondant sur une caractéristique personnelle, savoir, l'aliénation mentale.

En outre, le fait que la plainte porte sur la caractéristique personnelle de l'aliénation mentale (qui est visée par le motif énuméré qu'est la déficience mentale) me convainc absolument que, si le traitement différent est "discriminatoire" (ce qui n'est pas encore établi), la plainte fondée sur le par. 15(1) correspond à l'objectif général de corriger ou d'empêcher la discrimination contre des groupes victimes de désavantages sociaux, politiques et juridiques dans la société canadienne. Il est indéniable que, dans notre société, les malades mentaux ont de tout temps souffert de désavantages et de stéréotypes négatifs et que, de façon générale, ils sont victimes de préjugés. Cependant, la question demeure: cet aspect de la nouvelle règle de common law donne-t-elle lieu à un traitement différent dans la loi qui soit discriminatoire? En d'autres termes, peut-on dire qu'une partie de la nouvelle règle de common law impose un fardeau, une obligation ou un désavantage différent, ou qu'elle empêche ou restreint l'accès à des possibilités, des bénéfices et des avantages?

J'ai déjà déclaré qu'à mon avis, cet aspect de la nouvelle règle de common law n'impose pas le fardeau ou le désavantage que représenterait une intervention dans la conduite de la défense de l'accusé. Cette partie de la nouvelle règle de common law fait une distinction entre les accusés en ce qu'elle retire certains accusés (ceux qui, de l'avis de la poursuite, étaient aliénés au moment de l'infraction) du groupe d'accusés pour lesquels le juge des faits est convaincu (sauf pour la question de l'aliénation mentale) que le ministère public s'est acquitté de toute la preuve de l'actus reus et de la mens rea qui lui incombait, et permet au ministère public de faire subir à ces accusés un autre "procès" sur la question de l'aliénation mentale. Si le ministère public n'exerce pas son pouvoir de présenter une preuve d'aliénation mentale à ce moment‑là, l'accusé sera déclaré coupable et se verra infliger une peine. Cette partie de la nouvelle règle de common law impose donc un traitement différent en ce que certains accusés sont soustraits au processus de déclaration de culpabilité et de détermination de la peine; ils sont plutôt soumis à un examen de la question de l'aliénation mentale afin de déterminer s'ils devraient être reconnus coupables eux aussi ou s'ils devraient être assujettis au système des mandats du lieutenant-gouverneur. Toute autre différence de traitement (i.e. entre les personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale et les autres personnes acquittées) tiennent aux dispositions du Code prévoyant le système des mandats du lieutenant-gouverneur, et non à la nouvelle règle de common law. Il sera question de ces dispositions du Code plus loin.

Je ne vois pas comment une règle permettant au ministère public de faire passer un individu de la catégorie de personnes qui seront certainement déclarées coupables et se verront infliger une peine, au groupe de personnes qui seront peut-être acquittées, quoique pour cause d'aliénation mentale, puisse être considérée comme imposant un fardeau ou un désavantage à cet individu. À mon avis, l'opinion contraire équivaudrait à dire qu'un accusé a le droit d'être reconnu coupable et puni même s'il n'a pas la capacité mentale de former une intention criminelle. Il ne saurait en être ainsi. Comme je l'ai déjà affirmé, et j'estime qu'il est utile de le répéter, il relève d'un des principes de justice fondamentale que l'appareil judiciaire criminel ne doit pas déclarer coupable une personne qui était aliénée au moment de l'infraction. Cela permet d'écarter toute proposition selon laquelle un accusé aurait de quelque façon un droit d'être déclaré coupable à tort.

Compte tenu du raisonnement qui précède, à mon avis, bien qu'un aspect de la nouvelle règle de common law donne lieu à un traitement différent dans la loi, fondé sur une caractéristique personnelle, elle n'entraîne pas une "discrimination". J'estime donc que la nouvelle règle de common law ne contrevient pas au par. 15(1) de la Charte. Cette opinion est évidemment fondée sur les arguments et la preuve dont disposait la Cour dans le présent pourvoi. Aucun argument visant directement la nouvelle règle de common law n'a été présenté à l'audience pour la simple raison que la nouvelle règle n'existait pas encore et que les parties n'en avaient proposé aucune. Par conséquent, même si j'ai jugé bon d'examiner la nouvelle règle en regard du par. 15(1) de la Charte, les présents motifs ne sauraient empêcher un accusé de soulever d'autres arguments et éléments de preuve en vue de la contester en vertu du par. 15(1).

Je m'arrête un instant pour faire remarquer que, jusqu'à ce que la nouvelle règle de common law soit bien connue, il faudrait peut-être que les juges du procès rappellent au jury que le ministère public soulève la question de l'aliénation mentale après qu'un verdict de culpabilité a été rendu, mais avant qu'une déclaration de culpabilité soit inscrite, parce que c'est ce qu'exige la loi et non parce que le ministère public a choisi de présenter sa preuve de cette façon. Sans cette directive, le jury pourrait penser que le ministère public soulève des théories incompatibles et croire qu'il présente une preuve d'aliénation mentale à ce moment précis pour des "raisons de stratégie". Je respecte beaucoup l'intelligence et le bon sens des jurés canadiens et la capacité des juges du procès de leur expliquer des concepts juridiques complexes. À mon avis, une directive claire de la part du juge du procès suffira à éliminer toute confusion que pourrait soulever la nouvelle règle de common law.

J'aimerais également souligner que, tout au long de mes motifs sur cette question, j'ai pris soin de dire que l'ancienne règle de common law restreignait le droit garanti par l'art. 7 de la Charte et ce n'est qu'après avoir conclu que la restriction n'était pas justifiée en vertu de l'article premier de la Charte que j'ai dit que la règle violait la Constitution. Ce choix de terme est délibéré mais ne repose pas sur le fait que ce pourvoi porte sur la contestation, en vertu de la Charte, d'une règle de common law plutôt que d'une disposition législative. Peu importe qu'il s'agisse d'une disposition législative ou d'une règle de common law, j'estime qu'il est faux d'affirmer qu'une règle de droit viole une disposition donnée de la Charte (comme l'art. 7) avant d'avoir procédé à l'examen de l'article premier. La Charte garantit les droits et libertés qui y sont énoncés, sous réserve de limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique en vertu de l'article premier. Ainsi, une règle de droit qui restreint un droit énoncé dans la Charte ne violera la Constitution que si elle n'est pas justifiée en vertu de l'article premier. Dans un tel cas, les parties incompatibles de la règle de droit seront abrogées en vertu du par. 52(1) ou reformulées de façon à ne pas violer la Constitution. Si une règle de droit qui restreint un droit énoncé dans la Charte est justifiée en vertu de l'article premier, elle ne viole pas la Constitution.

Conclusion

En l'espèce, l'accusé a été acquitté pour cause d'aliénation mentale après que le ministère public eut présenté une preuve d'aliénation mentale contre son gré. On ne saura jamais si M. Swain aurait été reconnu coupable ou acquitté si le ministère public n'avait pas présenté la preuve d'aliénation mentale. Dans ces circonstances, je serais normalement d'avis d'ordonner la tenue d'un nouveau procès. Cependant, en l'espèce, M. Swain a déjà subi un procès; il a été acquitté pour cause d'aliénation mentale, détenu en vertu d'un mandat du lieutenant‑gouverneur, puis libéré inconditionnellement suivant une ordonnance du lieutenant‑gouverneur. J'estime qu'il serait injuste d'ordonner maintenant la tenue d'un nouveau procès en invoquant la violation de ses droits constitutionnels au cours du premier procès. De même, il serait tout aussi inapproprié d'inscrire un acquittement. À mon avis, dans ces circonstances, il convient d'arrêter les procédures. Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner l'arrêt des procédures.

2.Le paragraphe 542(2) du Code criminel du Canada est‑il intra vires du Parlement du Canada?

L'appelant soutient que le par. 542(2) ainsi que le régime législatif dans lequel il s'insère, notamment les art. 545 et 547, excèdent le pouvoir du Parlement en matière de droit criminel. Le texte de ces dispositions est reproduit plus haut.

Dans tout litige portant sur le partage des compétences en régime fédéral, la première étape de l'analyse consiste à découvrir le "caractère véritable" du texte de loi attaqué. Pour déterminer le caractère véritable d'une disposition donnée, il faut examiner cette disposition dans l'ensemble de son contexte législatif. L'appelant fait valoir que, de par son caractère véritable, le régime législatif en cause vise le traitement et la guérison des malades mentaux, non leur châtiment. Notre Cour devrait donc en conclure que ces dispositions excèdent le pouvoir du Parlement en matière de droit criminel en vertu du par. 91(27) et qu'elles relèvent plutôt de la compétence provinciale en vertu du par. 92(7) (l'établissement, l'entretien et l'administration des hôpitaux, asiles [. . .] dans la province), du par. 92(13) (la propriété et les droits civils dans la province) et du par. 92(16) (toutes les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province).

Je ne puis souscrire à cette qualification. Pour déterminer le "caractère véritable" du texte législatif attaqué, [traduction] "il convient [d'en] identifier la caractéristique dominante ou la plus importante". (Voir Hogg, Constitutional Law of Canada (2e éd.), à la p. 313, je souligne.) Il est vrai que la caractéristique dominante de ces dispositions n'est pas le châtiment; mais ce n'est pas non plus le traitement. Le "caractère véritable" du régime législatif auquel sont assujetties les personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale est la protection de la société contre les individus dangereux qui ont eu un comportement prohibé par le Code criminel et ce, par le biais de la prévention de tels actes dans l'avenir. Ce processus peut certes comporter accessoirement une phase de traitement, mais là n'est pas l'objectif dominant des dispositions législatives.

La loi qui comporte une prohibition et une peine et qui vise une fin publique communément reconnue comme étant de nature criminelle relèvera du pouvoir du Parlement en matière de droit criminel (Canadian Federation of Agriculture v. Attorney‑General for Quebec, [1951] A.C. 179). Sont considérés comme fins publiques la paix publique, l'ordre, la sécurité, la santé et la moralité (Reference re Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. 1, à la p. 50).

Il est vrai que les dispositions relatives à l'aliénation mentale ne sont pas assorties d'une "peine", en ce sens que les personnes acquittées en raison de leur aliénation mentale ne sont pas tenues responsables de leurs actes et ne sont pas soumises à un châtiment. Il est néanmoins reconnu depuis longtemps que le pouvoir en matière de droit criminel comporte aussi un aspect préventif:

[traduction] Il est possible d'adopter validement une loi "relative" au droit criminel même si cette loi ne possède pas en soi les caractéristiques d'une loi pénale. Ce serait le cas, par exemple, d'une loi qui ne ferait qu'abroger une loi pénale. Son domaine d'application privilégié, toutefois, est la législation visant la prévention du crime, obligeant par exemple une personne à garder la paix, ou prévoyant la détention d'une personne incapable de subir son procès pour cause d'aliénation mentale. Bien que les lois de ce type s'éloignent du droit criminel classique, leur validité ne fait aucun doute. [Je souligne; Hogg, Constitutional Law of Canada, 2e éd., à la p. 411.]

En d'autres termes, la législation fédérale en matière criminelle peut être absolue ou conditionnelle dans son application, elle peut être punitive après le fait et préventive . . .

[Le Parlement a le pouvoir] de légiférer relativement au droit criminel préventif; en obligeant, par exemple, quelqu'un à garder la paix. Le pouvoir du Parlement s'étend de façon plus manifeste à la détention de l'accusé qui a été acquitté pour cause d'aliénation mentale au moment de la perpétration de l'infraction alléguée. [Je souligne; Finkelstein, Laskin's Canadian Constitutional Law, vol. 2, (5e éd.) à la p. 850.]

Cet aspect préventif du pouvoir en matière de droit criminel a été reconnu par notre Cour dans l'arrêt Goodyear Tire and Rubber Company of Canada Limited v. The Queen, [1956] R.C.S. 303. Le juge Locke y affirme, à la p. 308:

[traduction] Le pouvoir de légiférer relativement au droit criminel n'est pas restreint, à mon avis, à la définition des infractions et à l'imposition de peines en sanctionnant la contravention. Le pouvoir du Parlement s'étend aussi bien à la prévention du crime qu'à son châtiment.

Plus récemment, notre Cour a eu l'occasion de confirmer à nouveau cet aspect préventif du pouvoir en matière de droit criminel en examinant, dans l'arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, à la p. 329, les dispositions relatives aux délinquants dangereux:

D'où l'importance de reconnaître la nature précise des objectifs pénologiques de la partie XXI. Il est clair que la détention pour une période indéterminée répond à des fins à la fois punitives et préventives. L'une et l'autre constituent des buts légitimes de la sanction pénale.

Bien que, dans ces deux arrêts, l'aspect préventif soit reconnu dans le contexte de dispositions sur la détermination de la peine, il n'est pas nécessaire qu'il y ait déclaration de culpabilité pour que le Parlement puisse légiférer en vertu de cet aspect particulier du par. 91(27). Sur ce point, je souscris à la conclusion de la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt Attorney General of Canada v. Pattison (1981), 59 C.C.C. (2d) 138. La cour y a exprimé l'avis, à la p. 142, qu'une déclaration de culpabilité n'était pas nécessaire pour que le texte législatif relève du par. 91(27). Elle a conclu que l'art. 101 du Code visant la perquisition, la saisie et la confiscation des armes à feu dont la possession ne serait pas souhaitable pour des motifs de sécurité était intra vires du Parlement en matière de droit criminel:

[traduction] La disposition législative peut viser à prévenir le crime. Elle peut viser à prévenir la mort ou les blessures corporelles résultant de coups de feu qui ne sont pas des crimes parce que le tireur souffrait d'aliénation mentale. Il peut toutefois être nécessaire de tenir un procès criminel pour en décider. Affirmer que l'article n'est pas de nature pénale, puisqu'il pourrait s'avérer que la mort ou les blessures ne sont pas le résultat d'actes criminels, est à mon avis insoutenable. Si l'objet d'une disposition est de réduire l'incidence des blessures ou des décès attribuables à la force destructrice d'une arme à feu, cette disposition relève clairement de la compétence législative du gouvernement du Canada de légiférer en matière de droit criminel.

Notre Cour a mentionné, dans l'arrêt MacDonald c. Vapour Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134, à la p. 146, qu'une mesure relevant de l'aspect préventif de la compétence en matière de droit criminel doit être reliée de quelque façon à une procédure criminelle, mais elle n'a pas statué qu'il devait y avoir, de fait, déclaration de culpabilité pour que les dispositions visant la prévention puissent être considérées comme relevant du pouvoir en matière de droit criminel:

L'arrêt de cette Cour dans Goodyear Tire and Rubber Co. of Canada Ltd. c. La Reine, qui a maintenu la validité d'une loi fédérale autorisant l'émission d'une ordonnance d'interdiction à l'occasion d'une déclaration de culpabilité d'infraction relative aux coalitions, fait voir que le pouvoir fédéral en matière de droit criminel permet l'adoption de mesures préventives pour renforcer une déclaration de culpabilité. À la poursuite pour une infraction, on a joint une sanction effective. Cela ne favorise aucunement une législation fédérale qui, en l'absence de toute procédure criminelle, prévoit des procédures purement civiles en dommages‑intérêts avec demande d'injonction. [Je souligne.]

Étant donné que les dispositions relatives à l'aliénation mentale ne s'appliquent qu'aux personnes dont les actes sont prohibés par le Code criminel, le lien requis avec le droit criminel est présent. Par le biais de la surveillance des individus acquittés pour cause d'aliénation mentale, le système des mandats du lieutenant‑gouverneur vise à prévenir la répétition de comportements dangereux prohibés par le Code criminel et protège par conséquent la société. La protection de la société est clairement l'un des buts du droit criminel.

Tout en étant conscient du danger qu'il y a d'éroder les compétences provinciales en donnant à la notion de "protection de la société" une portée trop large, j'aimerais souligner qu'en l'espèce, le Parlement protège la société contre des individus dont le comportement est prohibé par le Code criminel. Ce ne sont pas tous les aliénés mentaux qui sont visés, mais seulement ceux qui, par suite de leurs actions, se voient assujettis au droit criminel.

Pour ce motif, je ne puis me rendre à l'argument de l'appelant selon lequel l'arrêt de notre Cour Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213, s'applique en l'espèce. Dans cet arrêt, le juge Martland a conclu, au nom de la Cour, que le par. 33(3) de la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F‑14, excédait le pouvoir du Parlement de légiférer, en vertu du par. 91(12) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, à l'égard des "pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur". Le paragraphe 33(3) interdisait le dépôt de certains débris dans des eaux fréquentées par le poisson. Notre Cour a jugé que le Parlement ne pouvait se fonder sur un pouvoir accessoire pour adopter des mesures législatives trop larges et qui, par conséquent, pouvaient au plus être reliées à un sujet de compétence fédérale (à la p. 226):

Le paragraphe 33(3) ne cherche pas à établir un lien entre la conduite prohibée et les dommages, réels ou probables, que les pêcheries pourraient subir. C'est une interdiction générale d'exercer certaines activités de compétence provinciale; ce paragraphe ne fixe pas les éléments de l'infraction de manière à établir un lien entre l'interdiction et les dommages vraisemblables aux pêcheries. De plus, aucune preuve produite devant la Cour n'indique que l'ensemble des activités visées par le paragraphe cause effectivement des dommages aux pêcheries. À mon avis, l'interdiction, dans ses termes généraux, n'est pas nécessairement accessoire au pouvoir fédéral de légiférer sur les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur et elle excède les pouvoirs du Parlement fédéral.

Avec égards, je suis d'avis qu'il existe une forte relation entre les dispositions relatives aux mandats du lieutenant‑gouverneur et la prévention du crime. Comme je l'ai souligné précédemment, les seuls aliénés mentaux qui tombent dans le champ d'application des dispositions sont ceux qui ont commis des actes prohibés par le Code criminel. Laissés sans surveillance et sans traitement, ces individus peuvent présenter un grand danger pour les autres membres de la société.

Je suis d'accord avec l'appelant pour dire que, même si les mesures législatives prévoient effectivement la surveillance et la détention des individus, elles ne visent pas à les punir. Le Parlement reconnaît que, pour des raisons d'intérêt public, les personnes atteintes d'aliénation mentale au sens légal ne devraient être ni tenues criminellement responsables de leurs actions ni punies. Toutefois, le fait que les dispositions relatives au renvoi sous garde ne soient pas conçues pour punir les personnes acquittées ne mène pas inéluctablement à la conclusion que leur objet est le traitement et qu'elles excèdent la compétence du Parlement en matière de droit criminel.

Dans l'arrêt Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112, notre Cour a statué que des mesures législatives prévoyant la détention forcée des héroïnomanes étaient intra vires de la province de la Colombie‑Britannique car elles relevaient de sa compétence en matière de santé en vertu du par. 92(16). Le juge en chef Dickson (alors juge puîné) a conclu que les dispositions imposant la détention n'étaient pas punitives, mais au contraire nécessaires au traitement des héroïnomanes, aux pp. 132 et 133:

Tout bien considéré, je crois qu'il était loisible à la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique de conclure, comme elle l'a fait, que les dispositions de la loi contestée relatives à l'examen, à l'arrestation et à la détention de personnes ou de patients qui souffrent de toxicomanie ne visent aucunement à être punitives. Elles sont accessoires à la "cure" définie dans la Loi. Le but de la Loi n'est pas de punir ceux qui font usage de stupéfiants. Elle vise à fournir des services et d'autres moyens permettant d'aider un "patient" à supprimer ou à réduire son usage du stupéfiant qui y est défini ou sa dépendance à son égard.

Ce passage ne signifie cependant pas, à mon avis, qu'une loi imposant la détention forcée mais sans intention punitive excède nécessairement le domaine criminel. Il importe de faire remarquer que dans l'arrêt Schneider, notre Cour a souligné à l'unanimité que les sujets reliés à la "santé" ne relèvent pas exclusivement de la compétence fédérale ou provinciale, aux pp. 114, 142 et 132:

Cette conclusion ne doit pas s'interpréter comme empêchant le Parlement du Canada d'adopter des lois sur la santé publique, qui viseraient à protéger le bien‑être national. En l'espèce, il n'y a pas de loi fédérale pour l'écarter ou la remplacer.

. . .

Somme toute, la "santé" n'est pas l'objet d'une attribution constitutionnelle spécifique, mais constitue plutôt un sujet indéterminé que les lois fédérales ou provinciales valides peuvent aborder selon la nature ou la portée du problème de santé en cause dans chaque cas.

. . .

J'avoue qu'il n'est pas facile de déterminer si l'Heroin Treatment Act est une loi provinciale valide en matière de santé, qui comporte ce qu'on pourrait appeler des aspects punitifs, ou si, de par son caractère véritable, elle constitue du droit pénal et est par conséquent invalide.

Le juge Dickson a conclu que la caractéristique la plus marquante de l'Heroin Treatment Act, S.B.C. 1978, ch. 24, était son aspect traitement et que la coercition était simplement accessoire à son efficacité. Or, le régime législatif en cause en l'espèce est très différent de celui dont il était question dans l'arrêt Schneider, précité. Dans cette affaire, le titre même de la Loi indiquait que son objet principal était le traitement. Cette loi mettait l'accent sur les héroïnomanes en tant qu'individus. Par contre, les dispositions contestées relatives au renvoi sous garde des personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale visent avant tout la société et la fonction de protection et de prévention qu'y remplit le droit criminel. Bien que ce régime puisse permettre accessoirement le traitement ou la participation d'un individu à une cure, il s'agit là d'une considération secondaire et d'un simple moyen pour atteindre les fins de protection et de prévention.

Cette distinction entre l'objectif du système des mandats du lieutenant‑gouverneur et les moyens choisis pour l'atteindre a été énoncée en ces termes par le juge Macfarlane de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique dans l'arrêt Re Rebic and The Queen (1986), 28 C.C.C. (3d) 154, à la p. 171:

[traduction] L'objectif de la mesure législative est la protection de la société et de l'accusé jusqu'au rétablissement de la santé mentale de ce dernier. Le moyen choisi pour l'atteindre est le traitement du patient dans un hôpital, plutôt que dans un environnement carcéral. [Je souligne.]

Dans l'arrêt R. v. Saxell, précité, à la p. 186, la Cour d'appel de l'Ontario a également reconnu que si les dispositions relatives à l'aliénation mentale peuvent comporter des éléments de traitement et de cure, ces éléments ne sont que le moyen d'atteindre le but de la protection publique. Chaque guérison contribuera à accroître la sécurité de la société:

[traduction] Mais ces dispositions du Code ne visent pas à punir les accusés; elles visent la protection du public et le traitement des accusés. Manifestement, le public est mieux protégé par le traitement des accusés. De fait, la loi initiale dont dérivent les articles 542 et 545 disposait qu'"il peut être dangereux de permettre aux personnes ainsi acquittées de recouvrer leur liberté . . .": Criminal Lunatics Act, 1800 (R.-U.), ch. 94.

Notre compréhension de la maladie mentale s'étant approfondie avec les années, on en est venu, pour des motifs à la fois humanitaires et pragmatiques, à accepter et même à préconiser le traitement des personnes détenues sous le système des mandats du lieutenant‑gouverneur. Ce traitement, toutefois, n'est pas prescrit par les dispositions contestées; il ne constitue que le moyen d'atteindre les fins visées, soit la protection de la société.

Les dispositions du Code criminel ne prévoient pas directement l'administration d'un traitement médical. Elles énoncent simplement la procédure à suivre aux fins du renvoi sous garde, procédure visant la protection de la société et non le traitement de l'individu. Le Parlement a mis en oeuvre un système de protection de la société par le biais de la neutralisation des personnes potentiellement dangereuses qui, par suite des actes prohibés qu'elles ont commis, ont été assujetties au droit criminel. Le retrait de ces personnes de la société, au nom de la protection collective, découle de la compétence fédérale. Pour des motifs humanitaires, le Parlement a décidé que ces individus seraient remis aux autorités provinciales, à des fins de traitement. En soi, cependant, les dispositions contestées visent avant tout le retrait de ces personnes de la société et ne sont reliées au traitement que d'une manière secondaire, accessoire. Au lieu de prescrire un "traitement", les dispositions fournissent aux personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale une solution de rechange à la simple incarcération, fondée sur des préoccupations d'ordre humanitaire.

Le libellé même des dispositions du Code révèle que ce sont les intérêts de la société qui en sont l'axe principal. Par exemple, tout l'article du Code criminel qui traite de la détention des personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale est intitulé: "Surveillance des aliénés", et non "Traitement des aliénés". Les pouvoirs qui sont conférés au lieutenant‑gouverneur par le par. 545(1) du Code se limitent à ordonner soit la garde, soit la mise en liberté de l'individu et ne s'étendent pas à des aspects précis du traitement. Le lieutenant‑gouverneur peut ordonner la libération, soit inconditionnellement soit avec conditions, ". . . s'il est d'avis que la mesure est dans l'intérêt véritable de l'accusé sans nuire à l'intérêt public". (Je souligne.)

De même, avant qu'un individu détenu en application de ces dispositions puisse être remis en liberté, la commission d'examen doit déterminer ". . . si, de l'avis de la commission, cette personne est rétablie et, dans l'affirmative, si à son avis, il est dans l'intérêt du public et dans l'intérêt de cette personne que le lieutenant‑gouverneur ordonne qu'elle soit libérée absolument ou sous réserve des conditions" (al. 547(5)d)). (Je souligne.) La Cour fédérale a examiné la définition du mot "rétablie" dans l'affaire Lingley c. Commission d'examen du Nouveau‑Brunswick, [1973] C.F. 861. Elle a clairement dit, aux pp. 866 et 867, que ce terme englobait les intérêts sociétaux:

Il ressort clairement à la lecture des articles 545 et 547 que l'intérêt public et l'intérêt de l'accusé lui‑même étaient d'importance primordiale dans l'esprit du législateur quand il a adopté ces articles. La lecture de l'article 547(5)d) me convainc qu'en se posant la question de savoir si un accusé est rétabli, la Commission est fondée à interpréter le "rétablissement" comme étant le rétablissement total et à décider que si l'on ne peut plus dire qu'un accusé est aliéné mental d'un point de vue légal, selon la définition de l'article 16, il n'est néanmoins "pas rétabli" dans un cas comme celui‑ci, où des preuves solides démontrent que l'accusé souffre de désordres psychopathiques qui le rendraient "dangereux" pour le public si on le libérait.

Les dispositions prévoyant la réclusion, ainsi que les critères devant servir à déterminer s'il doit y avoir remise en liberté ou non, s'attachent donc moins au traitement qu'à la protection de la société. Le Parlement fait bien sûr preuve de compassion envers les personnes souffrant de maladies psychologiques et il ne les tiendra pas responsables de leurs actes pas plus qu'il ne les punira. Cependant, ce n'est pas au Parlement qu'il appartient de les traiter; son attention doit plutôt se porter sur les conséquences que pourrait avoir sur la société la libération d'individus dangereux. Que les dispositions mêmes du Code ne soient pas axées sur le traitement ne témoigne pas d'un manque de sensibilité de la part du Parlement, mais simplement de la reconnaissance des responsabilités et des priorités qui lui sont attribuées par les dispositions de la Constitution sur le partage des pouvoirs.

Notons que, même si le "traitement" au sens étroit relève des pouvoirs attribués aux provinces, le Parlement peut avoir compétence sur des sujets qui, par certains aspects, s'apparentent à des formes de "traitement". Ainsi, personne ne conteste que la condamnation à une peine peut toucher à la question de la réinsertion. Le pouvoir que le Parlement possède en matière de droit criminel l'autorise en effet à accorder aussi bien la libération inconditionnelle que la libération sous condition, encore que certaines de ces conditions puissent inclure un programme de traitement. Si le Parlement choisit de répondre à une conduite prohibée par le Code criminel en se préoccupant davantage de la réinsertion, il ne perd pas de ce fait sa compétence législative.

À titre d'exemple, notre Cour a conclu dans l'arrêt Attorney General of British Columbia v. Smith, [1967] R.C.S. 702, que la Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1952, ch. 160, était intra vires du Parlement en matière de droit criminel. Dans cette affaire, on a fait valoir que la Loi, qui prévoyait la mise en place d'un système de rechange pour les enfants ayant commis des actes qui ‑- n'eût été leur âge ‑- auraient constitué des crimes en vertu du Code criminel, était ultra vires du Parlement parce qu'elle traitait du bien‑être des enfants. Bien que reconnaissant l'effet accessoire de cette loi sur la compétence provinciale en matière de bien‑être des enfants, notre Cour a néanmoins conclu qu'elle se rapportait principalement au droit criminel (aux pp. 710, 712 et 713):

[traduction] En bref, et dans son ensemble, l'objet de la Loi est la délinquance juvénile dans ses rapports avec le crime et la prévention du crime, un problème courant d'intérêt public, à la fois humain et social, dont l'aspect de partage des compétences sur le plan constitutionnel, pour ce qui est de ses éléments constitutifs, de son atténuation et de sa solution, est manifestement et véritablement considéré par le Parlement comme étant sans importance.

. . .

On peut manifestement affirmer que la Loi accorde une protection spéciale aux enfants mal dirigés et qu'elle devrait avoir accessoirement pour effet d'améliorer en fin de compte leur bien‑être.

. . .

[Le juge doit prendre en considération] . . . l'intérêt ou le bien de l'enfant, le meilleur intérêt de la collectivité et la bonne administration de la justice. Cela, je crois, qualifie la nature de la protection que la Loi vise à apporter aux jeunes dont la délinquance est alléguée ou constatée, et étaye la proposition selon laquelle la Loi n'est pas une législation relative à la protection et au bien‑être des enfants au sens où on l'envisageait dans l'affaire de la Loi de l'adoption, précitée, [. . .] mais une véritable législation relative au droit criminel au sens large.

La préoccupation du Parlement à l'égard des droits individuels lui donne également compétence pour légiférer quant à la procédure d'examen des mandats du lieutenant‑gouverneur. Il est certes possible que l'adoption de ces dispositions ne soit pas entièrement justifiée par le motif de la protection de la société, mais il ne fait pas de doute que le Parlement peut, en soupesant les droits individuels et la nécessité de protéger la société, prévoir une certaine forme d'examen. À mesure que s'amenuise le danger que présentait l'individu pour la société, le droit criminel perd progressivement son emprise et les aspects coercitifs du mandat sont assouplis jusqu'au jour où l'individu est libéré de toute surveillance sous l'empire du Code criminel.

3.La détention automatique, aux termes du par. 542(2) du Code criminel du Canada, d'une personne déclarée non coupable en raison de son aliénation mentale viole‑t‑elle la Charte canadienne des droits et libertés?

À la suite d'un verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale, le juge du procès doit, aux termes du par. 542(2), ordonner automatiquement que la personne acquittée soit tenue sous une garde rigoureuse jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur de la province soit connu. L'appelant soutient que cette disposition du Code criminel restreint les droits que lui reconnaissent les art. 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés et ne peut être sauvegardée par l'article premier. Il fait valoir, en premier lieu, que le par. 542(2) du Code criminel restreint les droits procéduraux que lui garantit l'art. 7 parce qu'il ne prévoit aucune possibilité d'audition avant que le juge du procès n'ordonne la mise sous "garde rigoureuse" de la personne acquittée en raison de son aliénation mentale. Étant donné que la preuve d'aliénation mentale présentée au procès n'a trait qu'à l'aliénation au moment de l'infraction, le juge ne dispose d'aucun élément lui permettant de déterminer si la détention est nécessaire en raison du danger que présente le patient.

L'appelant soutient, de plus, que le par. 542(2) contrevient aux droits substantiels que lui garantit l'art. 7 et à son droit à la protection contre la détention arbitraire en vertu de l'art. 9, parce qu'il oblige le juge du procès à ordonner la "garde rigoureuse" de façon automatique et arbitraire, sans que l'exercice de ce pouvoir soit soumis à certaines normes. La disposition applique la présomption trop globale selon laquelle tous les prévenus acquittés en raison de leur aliénation mentale sont dangereux à l'heure actuelle et que leur état nécessite l'hospitalisation, au lieu de prévoir un examen véritable qui permettrait, selon les faits de chaque espèce, de vérifier la validité de cette présomption.

L'article 7

La détention automatique exigée par le par. 542(2) porte clairement atteinte au droit de l'appelant à la liberté. Cependant, si cette atteinte est conforme aux principes de justice fondamentale, il n'y aura pas de restriction des droits que lui reconnaît l'art. 7 de la Charte. Comme il a été dit dans Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité, aux pp. 503 et 504, les principes de justice fondamentale, quoique non limités à la "justice naturelle", exigent à tout le moins ces garanties en matière de procédure. Or, le par. 542(2) ne prévoyant aucune audition ou autre forme quelconque de garantie procédurale, il est inutile d'aller plus loin pour conclure que l'atteinte à la liberté n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale.

Avec égards, je ne puis me rendre à l'opinion de la majorité de la Cour d'appel, selon laquelle il suffit de donner une interprétation large à ces dispositions pour qu'elles soient considérées comme respectant l'équité procédurale qu'exigent les principes de justice fondamentale. Sur ce point, l'opinion majoritaire se fonde sur l'arrêt Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, précité et, en particulier, sur le passage suivant du juge Wilson, à la p. 188:

Si, sur le plan de l'interprétation législative, l'équité en matière de procédure demandée par les appelants n'est pas exclue par l'économie de la Loi, il va sans dire qu'il n'y a aucune raison de recourir à la Charte. Le litige peut être tranché par d'autres moyens.

Bien que je sois d'accord avec cet énoncé, j'ai expliqué, dans l'arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, la façon d'introduire par interprétation large des exigences constitutionnelles dans des dispositions législatives attributives de pouvoirs discrétionnaires. Lorsque la disposition confère un pouvoir discrétionnaire précis qui restreint un droit ou une liberté garantis par la Charte on peut conclure qu'elle constitue une violation et que le tribunal doit alors procéder à l'examen en vertu de l'article premier (aux pp. 1077 et 1078):

La Constitution étant la loi suprême du pays et rendant inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit, il est impossible d'interpréter une disposition législative attributrice de discrétion comme conférant le pouvoir de violer la Charte à moins, bien sûr, que ce pouvoir soit expressément conféré ou encore qu'il soit nécessairement implicite. Une telle interprétation nous obligerait en effet, à défaut de pouvoir justifier cette disposition législative aux termes de l'article premier, à la déclarer inopérante. Or, quoique cette Cour ne doive pas ajouter ou retrancher un élément à une disposition législative de façon à la rendre conforme à la Charte, elle ne doit pas par ailleurs interpréter une disposition législative, susceptible de plus d'une interprétation, de façon à la rendre incompatible avec la Charte et, de ce fait, inopérante. Une disposition législative conférant une discrétion imprécise doit donc être interprétée comme ne permettant pas de violer les droits garantis par la Charte. [Je souligne.]

Appliquant cette méthode d'analyse en l'espèce, je constate que le par. 542(2) ne confère pas un pouvoir discrétionnaire imprécis au juge du procès. Au contraire, il exige qu'il agisse toujours de manière à enfreindre les droits que garantit l'art. 7 à la personne acquittée pour cause d'aliénation, en ce qu'il dispose que le juge "doit ordonner que [la personne acquittée] soit tenu[e] sous une garde rigoureuse [. . .] jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur [. . .] soit connu". (Je souligne.) Cette ordonnance de "garde rigoureuse" est donc rendue automatiquement tout de suite après le procès et avant toute audience sur la question de l'état mental actuel. Même si on tente de donner au par. 542(2) une interprétation qui le garde dans les limites de la constitutionnalité, il est impossible de conclure que le Parlement n'avait pas l'intention d'autoriser une telle conduite de la part du juge du procès. Étant donné que le par. 542(2) est rédigé de façon précise et qu'il oblige le juge du procès à ordonner la mise sous garde rigoureuse, immédiatement après le procès, de la personne acquittée pour cause d'aliénation mentale, ce n'est pas un cas où il suffirait à notre Cour d'interpréter largement le texte législatif pour y inclure les garanties procédurales qui le rendraient conforme aux exigences constitutionnelles.

Bien que je sois prêt à reconnaître la nécessité d'analyser globalement le régime en cause en l'espèce, je ne puis, avec égards, souscrire à l'opinion majoritaire de la Cour d'appel suivant laquelle, si le par. 542(2), pris isolément, enfreint l'art. 7, les exigences procédurales sont néanmoins satisfaites par les art. 545 et 547. À supposer, sans en décider, que ces dispositions subséquentes soient conformes aux principes de justice fondamentale, aucune audience ni aucun examen ultérieurs ne sauraient changer le fait que le renvoi initial sous garde est ordonné par le juge du procès sans qu'il y ait eu possibilité d'une audience.

Je ne puis non plus accepter l'argument de l'intimée suivant lequel les exigences constitutionnelles sont satisfaites par l'équité en matière de procédure assurée au cours du procès lui‑même. Avec égards, je ne vois pas en quoi les garanties dont l'accusé a pu jouir pendant son procès peuvent le protéger dans le processus de renvoi sous garde postérieur à l'acquittement.

L'appelant soutient que les arguments qu'il a fait valoir à l'égard de l'art. 9 s'appliquent également à l'égard des aspects substantiels (par opposition à procéduraux) de l'art. 7. Étant donné que l'art. 9 est une illustration de ce que prévoit l'art. 7, et vu qu'en l'espèce le point central des arguments de fond relatifs à l'art. 7 est l'absence de critères servant à fonder l'ordonnance de détention (c.‑à‑d. détention arbitraire), il suffira d'examiner l'art. 9, ce que je vais faire à l'instant.

L'article 9

L'appelant prétend qu'il serait vain de parler des défauts que comporte le par. 542(2) d'un point de vue procédural sans en aborder également les problèmes de fond. Je conviens avec l'appelant que les problèmes de fond que comporte le texte législatif restreignent son droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l'art. 9 de la Charte.

L'ordonnance de détention est rendue automatiquement, sans critère rationnel permettant de déterminer, parmi les personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale, lesquelles devraient être détenues et lesquelles devraient être libérées. Il n'y a pas lieu à ce stade d'établir la norme qu'exigerait l'art. 9 pour la détention d'une personne ainsi acquittée. L'obligation du juge du procès d'ordonner la détention n'est assujettie à aucune norme que ce soit. Je ne puis imaginer fondement plus arbitraire pour une détention. Comme l'a dit le juge La Forest dans l'arrêt R. c. Lyons, précité, à la p. 348, qui fait siennes les observations du ministère public en concluant que le pouvoir discrétionnaire du ministère public à l'égard des demandes visant à faire déclarer un délinquant dangereux n'était pas "arbitraire" et n'enfreignait pas l'art. 9:

[traduction] . . . c'est l'absence de pouvoir discrétionnaire qui, bien souvent, rendrait arbitraire l'application de la loi.

Niant que la disposition soit "arbitraire" et ne comporte aucune norme, l'intimée fait valoir que les critères d'application du par. 542(2) existent tant dans l'économie des dispositions en cause que dans la jurisprudence: ainsi, le par. 542(2) ne vise que les actes criminels (par. 542(1)); le juge des faits doit être convaincu que la personne acquittée pour cause d'aliénation mentale a bel et bien commis l'acte allégué même si elle était incapable d'avoir l'élément moral requis; le désordre mental doit être suffisamment grave pour satisfaire au critère du par. 16(2); et enfin l'aliénation doit avoir été établie suivant la prépondérance des probabilités (par. 16(4)). Avec égards, tout en convenant que l'ordonnance de détention obligatoire rendue sous le régime du par. 542(2) ne vise que les personnes qui remplissent ces quatre critères, je ne l'en estime pas moins arbitraire dans la façon dont elle s'applique à leur égard. En effet, ces personnes ne sont pas toutes dangereuses.

En conclusion, étant donné que le par. 542(2) oblige le juge du procès à ordonner automatiquement la garde rigoureuse, sans qu'il puisse se fonder sur aucun critère ni aucune norme et avant la tenue d'une forme quelconque d'audience sur la question de la condition mentale présente de l'accusé, cette disposition porte atteinte aux droits que possède l'appelant en vertu des art. 7 et 9 de la Charte. Voyons maintenant si la disposition peut être sauvegardée par l'article premier.

L'article premier

L'objectif

Comme je l'ai indiqué précédemment, le critère suivant lequel une disposition législative dont on a jugé qu'elle restreint un droit ou une liberté garantis par la Charte peut être sauvegardée est celui que notre Cour a établi dans l'arrêt Oakes, précité. Toutes les parties au présent pourvoi semblent reconnaître que l'objectif du par. 542(2) répond effectivement à des préoccupations "urgentes et réelles". Cet objectif est la protection du public et la prévention du crime par le biais de la détention, en attendant la décision du lieutenant‑gouverneur, des personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale qui constituent un danger parce qu'elles sont toujours aliénées.

Le critère de la proportionnalité

Avant d'aborder l'élément proportionnalité de l'enquête menée en vertu de l'article premier, il convient de préciser l'aspect de la disposition législative contestée qui restreint les droits garantis par la Charte et qui, par conséquent, doit être soupesé par rapport à l'importance de l'objectif poursuivi. En l'espèce, le fait qu'aucune audience ne soit prévue au par. 542(2) porte atteinte, de façon incompatible avec les principes de justice fondamentale, au droit à la liberté de l'appelant et, partant, enfreint ses droits prévus à l'art. 7 de la Charte. La protection que lui garantit l'art. 9 contre la détention arbitraire est également restreinte en ce que l'exercice du pouvoir du juge du procès d'ordonner la détention ne repose sur aucun critère.

1.Le lien rationnel

Pour que soit respecté le premier volet du critère de proportionnalité, il doit y avoir un lien rationnel entre l'objectif visant à protéger le public et à prévenir le crime grâce à la détention des personnes dangereuses acquittées pour cause d'aliénation mentale en attendant la décision du lieutenant‑gouverneur, et le moyen choisi pour atteindre cet objectif, considéré comme restreignant le droit de l'appelant. Le moyen choisi par le Parlement au par. 542(2) et qui porte atteinte aux art. 7 et 9 est l'ordonnance automatique et arbitraire de détention, prononcée sans qu'il existe de garantie procédurale ni de norme la régissant.

Je conviens avec l'intimée et avec le procureur général du Canada qu'il existe un lien rationnel entre l'objectif et le moyen choisi pour y parvenir étant donné qu'il est raisonnable de présumer qu'un certain nombre de prévenus acquittés pour cause d'aliénation continueront de présenter un danger pour le public. Même si je ne suis pas prêt à reconnaître qu'il en sera ainsi pour chaque individu, je suis d'accord pour dire que cette présomption, bien qu'elle ne soit certes pas irréfutable, est raisonnable.

Nous savons que les individus qui ont été déclarés non coupables en raison de leur aliénation mentale ont, dans le passé, commis un acte prohibé par le Code criminel. Ils étaient alors incapables soit de juger la nature et la qualité de cet acte, soit de savoir qu'il était moralement répréhensible (R. c. Chaulk, précité). Il semble raisonnable de présumer que ces personnes pourraient être encore "aliénées" d'un point de vue légal et que cette incapacité à juger la nature et la qualité de leurs actions, ou leur amoralité, pourrait se traduire par une conduite dangereuse dans l'avenir.

La Cour suprême des États‑Unis est arrivée à une conclusion analogue dans l'arrêt Jones v. United States, 463 U.S. 354 (1983), à la p. 366 et aux pp. 364 et 365 (note 13):

[traduction] Nous ne croyons pas davantage qu'il était déraisonnable de la part du Congrès de tirer de l'acquittement pour cause d'aliénation mentale une inférence quant à la persistance de la maladie mentale. Le bon sens enseigne qu'une personne que la maladie mentale a conduite à commettre un acte criminel est susceptible d'être encore malade et de nécessiter des soins.

13 . . . Nous avons eu à plusieurs reprises l'occasion de reconnaître "le caractère incertain du diagnostic posé dans ce domaine et l'imprécision des opinions professionnelles. Tout ce qu'on peut affirmer quant à l'état actuel des connaissances et des thérapies en matière de maladie mentale, c'est que la science ne peut encore porter de jugements définitifs. . ." La leçon que nous en tirons n'est pas que le gouvernement, confronté à cette incertitude, ne peut agir, mais plutôt que les tribunaux doivent faire montre d'une retenue particulière à l'égard des jugements raisonnables émanant des textes législatifs. [Références omises.]

Le postulat voulant que les personnes déclarées non coupables en raison de leur aliénation mentale constituent une menace pour la société peut, certes, être rationnel, mais je m'empresse toutefois d'ajouter que je reconnais qu'il n'est pas toujours valable. Bien que la violence passée et les troubles mentaux antérieurs puissent accroître la possibilité de conduite dangereuse dans l'avenir, il n'en sera pas nécessairement ainsi. De plus, ce ne sont pas tous les individus déclarés non coupables en raison de leur aliénation mentale qui auront connu ce cheminement. Néanmoins il reste qu'il existe un lien rationnel entre l'objectif et le moyen utilisé. En ordonnant la détention de tous les prévenus acquittés pour cause d'aliénation mentale en attendant la décision du lieutenant‑gouverneur, le Parlement s'assure que la société sera protégée contre ceux qui sont dangereux.

2. L'atteinte minimale

Étant donné que le par. 542(2) entrave de façon différente les droits que garantissent à l'appelant les art. 7 et 9, je vais traiter séparément chacun de ces articles, en commençant par le droit à la liberté consacré par l'art. 7.

L'ordonnance de garde rigoureuse exigée par le par. 542(2) reste valable jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur de la province soit connu. Le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur est "connu" par la libération du patient ou l'émission d'un mandat de détention ou de libération sous condition. Rien n'oblige le lieutenant‑gouverneur à agir à l'intérieur d'un laps de temps donné: l'ordonnance rendue en vertu du par. 542(2) n'est assujettie à aucun délai et l'art. 545, conformément auquel est décerné le mandat du lieutenant‑gouverneur, est formulé en termes discrétionnaires. En fait, il ressort du libellé des dispositions que le lieutenant‑gouverneur n'est pas même tenu de rendre une ordonnance.

Les statistiques suivantes, tirées de la Base de données canadiennes: Personnes détenues en vertu d'un mandat du lieutenant‑gouverneur (1988), montrent que la durée du renvoi initial sous garde ordonné par le juge du procès à la suite d'un verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale peut être assez longue:

Temps moyen écoulé entre le jugement du tribunal et la délivrance du mandat du lieutenant‑gouverneur:

Colombie‑Britannique:0,1 mois

Alberta:5,4 mois

Saskatchewan:3,2 mois

Manitoba:1,9 mois

Ontario:2,3 mois

Québec:1,2 mois

Nouveau‑Brunswick:1,4 mois

Nouvelle‑Écosse:2,2 mois

Terre‑Neuve:1,5 mois

Canada:1,8 mois

Peu importe la durée réelle de la période écoulée entre le jugement du tribunal et la délivrance d'un mandat du lieutenant‑gouverneur dans un cas donné, le par. 542(2) ne répond pas à l'exigence d'atteinte minimale que comporte le critère de proportionnalité. Le Parlement pourrait aisément employer un moyen qui atteindrait le même objectif sans restreindre de façon aussi considérable la liberté garantie à l'appelant par l'art. 7. Le procureur général du Canada prétend que le par. 542(2) n'est qu'une disposition de transition qui vise à assurer la protection de la société jusqu'à ce qu'une décision soit prise quant à la délivrance d'un mandat du lieutenant‑gouverneur conformément à l'art. 545 du Code. Il n'y a rien de mal à ce genre de disposition. Cependant, la nature indéterminée de l'ordonnance de garde rigoureuse rendue en vertu du par. 542(2) porte atteinte au droit à la liberté (de façon non conforme aux principes de justice fondamentale) dans une mesure inacceptable.

Vu la nécessité de procéder à l'examen de la condition mentale et de la dangerosité actuelles avant la mise en liberté et vu la nature des questions à trancher, il y aura toujours un laps de temps entre l'acquittement pour cause d'aliénation mentale et la décision de libérer ou de détenir le prévenu en vertu d'un mandat du lieutenant‑gouverneur. Ce délai est inévitable puisque la preuve présentée au procès à l'appui de la défense fondée sur l'art. 16 ne se rapporte qu'à la condition mentale au moment de l'infraction. La détention automatique par suite d'un acquittement pour cause d'aliénation est donc, dans une certaine mesure, une codification d'une réalité pratique.

Outre qu'elle favorise, à court terme, l'atteinte de l'objectif législatif visé, la détention automatique sert également à prévenir le crime et à protéger la société pour l'avenir. Bien qu'il soit toujours difficile de prévoir les cas de récidive et de récurrence de la maladie mentale, la preuve devant notre Cour indique que la possibilité qu'ont ainsi les psychiatres d'observer l'individu en milieu hospitalier et de l'y évaluer conduit souvent à une évaluation plus exacte:

[traduction] Il peut être utile d'examiner l'évaluation des patients gardés en milieu hospitalier, là où elle donne les meilleurs résultats, à travers les yeux d'un clinicien. Ce dernier pourrait expliquer que s'il est vrai que de nombreux accusés se présentent de prime abord comme des patients modèles, ce masque tombe rapidement . . .

Il n'est pas rare qu'une personne donne, après quelques jours passés en observation, une impression fort différente de celle qu'elle avait laissée après une évaluation sommaire. Examinons, à titre d'exemple, le cas de Leonard S., accusé d'une infraction relativement mineure. Lors de l'entrevue initiale, il était renfrogné et silencieux. Il parlait d'un débit monotone sur un ton de colère rentrée. À l'évaluation sommaire, le psychiatre a formulé initialement à son égard un certain nombre d'hypothèses de diagnostic qui allaient d'un désordre de la personnalité passive agressive à la schizophrénie, en passant par la dépression. Il fut décidé de l'admettre dans l'unité d'observation et en l'espace de quelques semaines, il montra tous les signes de la schizophrénie et ce, de façon constante, jusqu'à la fin de sa période d'internement. [Butler, B. Clinical Assessment and the Mentally Disordered Offender, Working Paper in Forensic Psychiatry, numéro 26, p. 52, aux pp. 75 et 76]

Un témoin de la défense, Sheila Hodgins (directrice de la recherche à l'Institut Philippe Pinel du Québec), s'est également exprimée en contre‑interrogatoire sur les avantages de l'observation en clinique:

[traduction] . . . il est très difficile de faire l'évaluation d'un patient après une, deux ou même trois entrevues. Le personnel soignant a eu l'occasion d'observer le patient dans plusieurs situations différentes et sur de longues périodes, vingt‑quatre heures par jour. Quant à moi, je me fie davantage à leurs observations qu'à celles de quelqu'un qui ne l'aurait interviewé qu'à une, deux ou trois reprises.

À long terme donc, la prévention du crime et la protection de la société sont assurées par le maintien sous garde, en vertu d'un mandat du lieutenant‑gouverneur, des individus dangereux ayant besoin de traitement.

Le moyen choisi par le Parlement, soit la détention automatique, favorise donc l'atteinte de l'objectif de deux façons principales. En premier lieu, les personnes acquittées en raison de leur aliénation mentale, immédiatement soumises à une ordonnance de détention, ne constituent plus, à court terme, un danger pour la société. En second lieu, s'il résulte de l'observation de l'individu en clinique des prédictions plus exactes quant à la possibilité de récurrence de la maladie mentale, la prévention du crime et la protection de la société seront assurées pour l'avenir.

Cependant, le volet atteinte minimale du critère de l'arrêt Oakes, précité, exige que les prévenus acquittés pour cause d'aliénation mentale ne soient détenus que le temps nécessaire pour déterminer si leur aliénation les rend toujours dangereux. Le Parlement a prévu, dans d'autres dispositions du Code criminel, le renvoi sous garde à des fins d'observation psychiatrique pour une période déterminée, ce qui témoigne de sa préoccupation au sujet des problèmes d'ordre constitutionnel que soulève la détention pour une période indéterminée.

À titre d'exemple, le renvoi sous garde aux fins d'observation psychiatrique peut être ordonné au moment de l'enquête préliminaire (art. 465); au moment du procès, pour déterminer la capacité de l'accusé (art. 543); au moment de la demande visant à faire déclarer un accusé délinquant dangereux (art. 691); ou au moment de l'appel (art. 608.2). Le libellé de ces dispositions du Code obéit à la même logique: le renvoi sous garde est limité à une période de 30 jours dans la plupart des cas, sauf circonstances exceptionnelles où il peut y avoir prolongation à 60 jours. Sans me prononcer sur la constitutionnalité de ces mesures, l'anomalie que constitue le renvoi sous garde pour une période indéterminée au par. 542(2) démontre clairement que le moyen choisi par le Parlement ne porte pas atteinte aussi peu que possible au droit à la liberté que possède l'appelant en vertu de l'art. 7.

En conclusion, le par. 542(2) ne peut être justifié comme étant une restriction raisonnable imposée aux droits que l'art. 7 garantit à l'appelant et il est, en conséquence, inopérant conformément au par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

Même s'il n'est pas nécessaire de poursuivre l'analyse, j'aimerais souligner qu'une période de détention limitée ne porterait pas moins atteinte aux droits de l'appelant en vertu de l'art. 9 que l'actuel par. 542(2). L'ordonnance du juge du procès n'en perdrait pas en effet son caractère arbitraire. Vu l'absence de preuve présentée à ce sujet au procès, je suis certes prêt à reconnaître que l'effet qu'aurait sur un individu une période de détention automatique et arbitraire, ne reposant sur aucun critère, ne serait pas nécessairement sans proportion avec l'importance de l'objectif poursuivi. Cependant, le moyen choisi par le Parlement au par. 542(2), savoir une période de détention indéterminée, contribue à mon avis à faire pencher la balance et à rendre l'effet de la restriction disproportionnée à l'objectif. Le paragraphe 542(2) ne saurait donc satisfaire au critère de l'arrêt Oakes et, partant, ne saurait non plus être justifié en regard de l'art. 9 de la Charte.

Étant donné ma conclusion que le par. 542(2) porte atteinte aux art. 7 et 9 de la Charte et ne peut être sauvegardé par l'article premier, il n'y a pas lieu d'aborder la question de l'art. 15, soulevée par certains intervenants.

Les autres dispositions du régime législatif

Bien que l'appelant ait fait référence dans ses arguments au [traduction] "régime législatif dans lequel s'insère le par. 542(2)", il n'a pas, dans sa requête pour que soient formulées les questions constitutionnelles, fait mention des art. 545 et 547. Le paragraphe 32(1) des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/83‑74, dispose:

32. (1) Lorsque, dans le cas d'un pourvoi [. . .], une partie

a) entend contester la validité ou l'applicabilité constitutionnelle d'une loi du Parlement du Canada ou d'une loi de la législature d'une province, ou de l'un de leurs règlements d'application, ou

. . .

elle doit, après avoir donné avis aux autres parties [. . .], s'adresser au Juge en chef ou à un juge pour que soit formulée la question.

C'est pour faire en sorte que le procureur général du Canada ainsi que les procureurs généraux de toutes les provinces soient avisés et aient la possibilité d'intervenir de plein droit qu'on exige la formulation d'une question constitutionnelle lorsque la constitutionnalité d'une loi est contestée. Le paragraphe 32(4) impose au Juge en chef ou à un juge de notre Cour qui formule la question constitutionnelle l'obligation d'en ordonner la signification:

32. . . .

(4) Sur requête, le Juge en chef ou un juge formule la question et en ordonne la signification, dans le délai qu'il fixe, au procureur général du Canada et aux procureurs généraux de toutes les provinces, avec avis que ceux qui veulent intervenir ‑- qu'ils désirent ou non plaider ‑- doivent déposer dans le délai précisé dans l'avis, non inférieur à quatre semaines à compter de la date de l'avis, un avis d'intervention conforme à la formule C.

Bien que le procureur général du Canada ainsi que les procureurs généraux de l'Ontario et de la Colombie‑Britannique soient intervenus en l'espèce, il nous est impossible de savoir si les procureurs généraux des autres provinces seraient aussi intervenus dans le cas où ils auraient su que la contestation portait également sur l'applicabilité constitutionnelle du système des mandats du lieutenant‑gouverneur (art. 545 et 547). Ces dispositions n'ayant pas fait l'objet d'une question constitutionnelle, je me refuse à les examiner à ce stade. Je soulignerai toutefois, incidemment, que l'absence de garanties procédurales aux art. 545 et 547 fait, à mon avis, naître des soupçons.

Période transitoire

Si, pour les motifs donnés précédemment, le par. 542(2) est simplement déclaré inopérant conformément au par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, il s'ensuivra qu'à compter de la date du présent jugement, les juges seront obligés de libérer dans la société toutes les personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale, y compris celles qui pourraient fort bien présenter un danger pour le public. En raison des conséquences graves d'une telle déclaration, le par. 542(2) jouira d'une période de validité temporaire de six mois. Pendant cette période, toutefois, toute détention ordonnée en vertu du par. 542(2) sera limitée à 30 jours dans la plupart des cas, ou à 60 jours au maximum si le ministère public établit qu'un délai plus long est nécessaire dans les circonstances de l'espèce. Cette durée semble suffisante dans le contexte des autres dispositions du Code criminel visant la détention aux fins d'observation psychiatrique et compte tenu du fait qu'un mandat peut être délivré dans certaines provinces dans un délai à peu près équivalent. Les tribunaux pourront choisir de limiter à une période de 30 à 60 jours les ordonnances qu'ils prononceront sous l'empire du par. 542(2). À défaut, chaque personne acquittée pourra recourir au bref d'habeas corpus après 30 jours.

Chacune des parties aux présentes pourra, en cas de nécessité et sur requête appuyée des éléments de preuve requis, revenir devant notre Cointur pour justifier toute prolongation de la période transitoire ou toute modification de ses conditions, selon ce qu'en décidera la Cour.

Vu cette période transitoire, il n'y a que deux circonstances dans lesquelles un juge serait contraint de libérer dans la société une personne acquittée pour cause d'aliénation mentale et constituant un danger potentiel. En premier lieu, ce résultat malheureux se produirait si, pendant la période transitoire, le lieutenant‑gouverneur d'une province ne pouvait ni délivrer un mandat prolongeant la détention ni rendre une ordonnance de mise en liberté dans un délai de 30 à 60 jours. Mais cette éventualité est improbable vu les données qu'a fournies à notre Cour l'un des intervenants, la Commission d'examen du lieutenant‑gouverneur de l'Ontario. En second lieu, un résultat analogue se produirait après l'expiration de la période transitoire si le Parlement soit n'adoptait pas une nouvelle disposition pour remplacer le par. 542(2) avant l'expiration de la période de six mois, soit ne revenait pas devant notre Cour pour demander à cette fin une prolongation de la période transitoire.

Je remarque que notre Cour a déjà prévu des périodes transitoires semblables, notamment dans Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721 et R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190. En outre, la possibilité d'une période transitoire dans des circonstances appropriées a été reconnue dans le jugement rendu par le juge Cory pour la majorité dans Askov, précité.

Dispositif

Pour les motifs qui précèdent, il convient, dans les circonstances de l'espèce, d'ordonner l'arrêt des procédures. En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de prononcer l'arrêt des procédures. Je suis d'avis de répondre comme suit aux questions constitutionnelles:

Question 1:Le paragraphe 542(2) du Code criminel du Canada est‑il intra vires du Parlement du Canada?

Réponse:Oui.

Question 2:Les critères de common law, énoncés par la Cour d'appel de l'Ontario, qui permettent à la poursuite de produire une preuve de l'aliénation mentale d'un accusé, violent‑ils les art. 7, 9 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse:Oui, les critères de common law restreignent l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il n'y a pas lieu de répondre à cette question en ce qui concerne les art. 9 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Question 3:Si la réponse à la 2e question est affirmative, les critères de common law, énoncés par la Cour d'appel de l'Ontario, qui permettent à la poursuite de produire une preuve de l'aliénation mentale d'un accusé, sont‑ils justifiés par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et donc compatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Réponse:Non.

Question 4:Le pouvoir que confère la loi de détenir une personne déclarée non coupable en raison de son aliénation mentale conformément au par. 542(2) du Code criminel du Canada, viole‑t‑il les art. 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse:Oui.

Question 5:Si la réponse à la 4e question est affirmative, le pouvoir que confère la loi de détenir une personne déclarée non coupable en raison de son aliénation mentale conformément au par. 542(2) du Code criminel du Canada, est‑il justifié par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Réponse:Non. Cependant, pendant une période transitoire de six mois, une ordonnance rendue conformément au par. 542(2) sera valide, mais seulement pour une durée n'excédant pas 30 à 60 jours.

//Le juge Wilson//

Version française des motifs rendus par

Le juge Wilson — J'ai eu l'avantage de lire les motifs du juge en chef Lamer en l'espèce et je veux traiter d'une ou deux questions à l'égard desquelles je ne souscris pas entièrement à son opinion.

Toutefois, je tiens d'abord à souligner que je suis d'accord avec le Juge en chef, qui estime que, du point de vue de la compétence, le par. 542(2) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, constitue un exercice valide du pouvoir fédéral en matière de droit criminel.

Je souscris également aux motifs du Juge en chef selon lesquels le par. 542(2) porte atteinte aux droits que les art. 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés garantissent à l'accusé et n'est pas sauvegardé par l'article premier. Toutefois, j'exprime une réserve quant à l'analyse que fait le Juge en chef à l'égard de cet aspect du pourvoi. Je ne puis être d'accord avec lui que les pouvoirs discrétionnaires conférés par la loi devraient être interprétés de manière à faire en sorte qu'ils soient conformes à la Charte. Je suis d'avis que cette position équivaut à présumer la constitutionnalité, une présomption qui, selon moi, ne s'applique pas dans les affaires portant sur la Charte. Bien que je reconnaisse que l'efficacité de "l'interprétation atténuée" dans le contexte de la Charte n'a pas été déterminée de façon définitive (voir Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, à la p. 125), je préfère l'opinion exprimée dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 169, selon laquelle:

. . . il incombe à la législature d'adopter des lois qui contiennent les garanties appropriées permettant de satisfaire aux exigences de la Constitution.

Toutefois, en l'espèce, la question ne se pose simplement pas étant donné que le paragraphe ne confère pas un pouvoir discrétionnaire, imprécis ou autre, mais constitue plutôt une directive. Par conséquent, je préfère attendre que soit clairement posée à notre Cour la question importante de savoir si les lois qui confèrent des pouvoirs discrétionnaires doivent être interprétées par les tribunaux de manière à éviter les conflits avec les garanties que confère la Charte. J'examine maintenant la constitutionnalité de la règle de common law.

La règle de common law

Comme le Juge en chef, j'estime qu'il est inutile de traiter des art. 9 et 15 de la Charte puisque je suis d'accord avec lui que la règle de common law énoncée dans les arrêts R. v. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337, et R. v. Saxell (1980), 59 C.C.C. (2d) 176, porte atteinte au droit à la liberté que confère l'art. 7 à l'accusé parce qu'elle lui enlève le contrôle de ses propres moyens de défense contrairement aux principes de justice fondamentale. Je souscris à l'argument de l'appelant selon lequel permettre au ministère public de présenter une preuve d'aliénation mentale contre le gré de l'accusé équivaut à admettre une atteinte trop importante au droit fondamental d'un accusé de présenter les moyens de défense qui, à son avis, sont dans son meilleur intérêt et de renoncer à ceux qu'il considère ne pas l'être. Je conviens avec l'appelant que permettre à la poursuite de soulever la question de l'aliénation mentale peut fausser complètement le procès en raison de l'effet que cela peut avoir sur les autres moyens de défense soulevés par l'accusé, sur l'évaluation par le jury de sa crédibilité et sur le rôle traditionnel joué par l'avocat de la défense dans un système contradictoire. L'appelant a donné certains exemples de cette déformation:

[traduction]

a) Imposer à un accusé, qui ne désire pas soulever la défense d'aliénation mentale, le fardeau de démontrer, notamment, qu'il n'est pas dangereux à l'heure actuelle constitue une injustice.

b) Permettre à la poursuite de placer un accusé dans une situation où il doit présenter des moyens de défense incompatibles. Cela peut très bien être contraire aux avis donnés par l'avocat.

c) Discréditer un accusé ou diminuer sa crédibilité de manière à l'empêcher de présenter d'autres moyens de défense possibles, comme l'alibi ou l'accident. Cette situation diminue les chances de l'accusé d'obtenir un acquittement sans réserve.

d) Imposer à l'accusé la tâche de réfuter la conclusion inévitable qu'il est, en raison d'une aliénation mentale, le genre de personne susceptible d'avoir commis l'infraction.

e) Accorder au ministère public un outil stratégique au moyen duquel une personne peut être privée de sa liberté à la suite d'une preuve établie selon une norme inférieure à celle du doute raisonnable. Dans l'arrêt R. v. Simpson, précité, le juge Martin a dit à la p. 364:

[traduction]. . . étant donné que la preuve de l'aliénation mentale vise à obtenir un acquittement, la norme de preuve devrait être celle de la prépondérance des probabilités, que la preuve d'aliénation mentale soit présentée par la poursuite ou par la défense. Il serait en fait étrange d'appliquer une norme de preuve différente en matière d'aliénation mentale qui entraînerait un acquittement de l'accusé selon la partie qui a présenté l'élément de preuve. À mon avis, le juge du procès en l'espèce était fondé à exposer au jury que la poursuite doit démontrer selon la prépondérance des probabilités que l'accusé souffrait d'aliénation mentale.

f) Accorder au ministère public l'avantage stratégique d'obtenir ce qui peut être considéré comme un verdict de compromis lorsque tous les jurés ne sont pas convaincus de la culpabilité hors de tout doute raisonnable mais sont convaincus que l'accusé souffre d'aliénation mentale et qu'il est peut‑être dangereux.

g) Permettre au ministère public tout en cherchant à obtenir un "acquittement" de demander ce qui en réalité est une détention d'une durée indéterminée selon le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur de la province. Par conséquent, on peut obtenir par ce moyen une plus longue période d'incarcération que si l'accusé était déclaré coupable et puni. Étant donné que l'aliénation mentale constitue un véritable moyen de défense qui nie la mens rea, la poursuite convaincue de la validité du moyen de défense n'a pas à poursuivre l'"innocent". Dans le cas où le ministère public continue à poursuivre un innocent dans le but de soulever la défense d'aliénation mentale, par crainte qu'un accusé puisse être dangereux à l'avenir, les lois provinciales sur la santé mentale sont plus qu'adéquates pour protéger cet intérêt public.

Toutefois, le ministère public soutient que permettre à la poursuite de soulever la question de l'aliénation mentale contre le gré de l'accusé permet d'appliquer un autre précepte fondamental de notre système de justice criminelle, qui est formulé dans le par. 16(1) du Code criminel, c'est‑à‑dire que les personnes souffrant d'aliénation mentale qui ne sont pas criminellement responsables de leur conduite ne devraient pas être déclarées coupables d'infractions criminelles. Le ministère public prétend que si une preuve de l'aliénation mentale de l'accusé au moment de la perpétration de l'infraction n'est pas présentée soit par l'accusé soit par la poursuite, ce principe sera violé et il peut en résulter une déclaration de culpabilité illégale, c'est‑à‑dire qui va à l'encontre du par. 16(1).

Je conviens que, selon un précepte fondamental de notre système de justice criminelle, les personnes souffrant d'aliénation mentale ne doivent pas être déclarées coupables d'infractions criminelles, mais je ne suis pas convaincue que permettre à la poursuite d'introduire au procès une preuve d'aliénation mentale valorise toujours ce principe ou le fasse valoir d'une manière conforme aux principes de justice fondamentale.

Aux termes du par. 16(4) du Code criminel, l'accusé est présumé avoir été sain d'esprit au moment où il a commis l'infraction. L'accusé qui choisit de ne pas se défendre en invoquant l'aliénation mentale se fonde sur cette présomption établie par la loi. Si ce que j'ai dit au sujet de l'effet de la règle de common law est correct, permettre à la poursuite de soulever la question de l'aliénation mentale peut réduire de façon importante les chances d'acquittement sans condition d'un accusé. Cela peut faire échouer complètement la stratégie adoptée par la défense et priver l'accusé, particulièrement un accusé sain d'esprit, du procès équitable que le système contradictoire était destiné à lui assurer. C'est un prix élevé à payer pour protéger le nombre relativement restreint de personnes qui passent dans le système de justice criminelle et qui souffrent véritablement d'aliénation mentale mais qui ne désirent pas le soulever dans leur défense. Dans les cas où le ministère public peut présenter une preuve d'aliénation mentale contre le gré de l'accusé et où il ne réussit pas à la démontrer, les arguments de la défense peuvent avoir été annihilés pour rien. Il en ressort simplement que le choix de l'accusé était judicieux, mais c'est une maigre consolation pour lui ou pour son avocat.

Je suis d'avis qu'il faut également se rappeler que permettre à la poursuite de présenter une preuve d'aliénation mentale a aussi pour conséquence que l'accusé peut en subir des effets plus néfastes que s'il était déclaré coupable. La personne acquittée pour cause d'aliénation mentale est détenue selon le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur, souvent pour une période excédant celle qui aurait été possible à la suite de la déclaration de culpabilité. Elle doit également vivre avec l'opprobre d'être considérée à la fois comme criminelle et aliénée et peut devoir faire face à des conditions pires que celles vécues en prison. L'intervenant le Conseil canadien des droits des personnes handicapées a décrit de la manière suivante le Penetanguishene Mental Health Centre où l'appelant a initialement passé quelque temps et où 130 détenus canadiens sont gardés en vertu de mandats du lieutenant‑gouverneur:

[traduction] . . . un environnement hautement coercitif qui met l'accent sur les règles et les règlements plutôt que sur les droits de la personne. À Oak Ridge, il y a des grilles d'acier qui sont fermées à double tour. Les grilles sont cadenassées au bout du corridor, de 22 h 30 à 6 h 30 ou 7 h. Les fenêtres des chambres des détenus sont munies de barreaux. Le tiers des patients dorment sur des dalles de béton. La propreté des chambres laisse à désirer. Il n'y a pas de personnel d'entretien. Il y a des détecteurs de métal, un système de télévision en circuit fermé et un appareil à rayons X. La nuit, tous les détenus sont enfermés dans des chambres individuelles. Les détenus sont également enfermés dans leur chambre le jour s'il n'y a pas suffisamment de personnel, ce qui est souvent le cas. Les détenus gardés dans l'unité d'évaluation sont soumis à un éclairage intense 24 heures par jour. Dans certaines parties de l'établissement, il n'y a pas de thermostat. Il y a un seul psychiatre pour tous les détenus à Oak Ridge et il passe le cinquième de son temps hors de l'établissement. En conséquence, on demande aux détenus en vertu d'un mandat du lieutenant‑gouverneur d'agir comme thérapeutes les uns des autres. Sous prétexte de traitement, les détenus de l'une des unités n'ont pas le droit de parler entre eux au cours d'une journée ordinaire.

Je suis d'avis que l'intérêt de la société à veiller à ce que les personnes qui ne sont pas criminellement responsables ne soient pas déclarées coupables ne peut l'emporter sur le droit d'un accusé de contrôler ses propres moyens de défense et de renoncer à la défense d'aliénation mentale si c'est dans son intérêt. Comme je l'ai dit dans l'arrêt R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, aux pp. 1313 et 1316:

Obliger l'accusé à subir un procès avec jury quand il considère qu'un tel procès constitue un fardeau plutôt qu'un avantage semblerait revenir, pour reprendre l'expression du juge Frankfurter, [traduction] "à enchaîner un homme à ses privilèges et [à] qualifier cela de Constitution".

. . .

. . . dans le cas de droits constitutionnels protégeant l'individu . . . un accusé ne saurait être forcé de se prévaloir de droits destinés à le favoriser même si ces droits peuvent présenter un intérêt pour la société.

Un certain nombre d'auteurs américains ont exprimé la même opinion. Cohn dans "Offensive Use of the Insanity Defense: Imposing the Insanity Defense Over the Defendant's Objection" (1988), 15 Hastings Const. L.Q. 295, dit à la p. 313:

[traduction] La Constitution ne garantit pas de façon explicite à une personne le droit de choisir ses moyens de défense contre une poursuite criminelle. Toutefois, l'imposition d'un moyen de défense indésiré porte atteinte à la nature même de notre système de justice criminelle. Même si le fait de retirer le contrôle à un accusé ne viole pas en soit l'application régulière de la loi, il viole notre notion fondamentale d'un procès équitable. Les droits énumérés à un procès par jury, à l'interrogatoire des témoins, à l'assistance d'un avocat, et le droit contre l'auto‑incrimination, de même que la notion plus vague de l'application régulière de la loi, ne sont que des façons d'appliquer le concept anglo‑américain fondamental du procès équitable tel qu'il a été élaboré au cours des siècles. Le droit de choisir personnellement ses propres moyens de défense, bien qu'il ne soit pas un droit énuméré, est essentiel à cette conception d'un procès équitable. En fait, il est inhérent à notre cadre constitutionnel de jurisprudence criminelle.

M. Cohn conclut que, sous réserve de la restriction traditionnelle aux termes du droit américain selon laquelle les renonciations doivent être réfléchies et volontaires, un défendeur habile devrait être en mesure de renoncer à un moyen de défense viable fondé sur l'aliénation mentale tout comme il peut présenter un plaidoyer de culpabilité ou renoncer à son droit constitutionnel à l'assistance d'un avocat. Singer dans "The Imposition of the Insanity Defense on an Unwilling Defendant" (1980), 41 Ohio St. L.J. 637, partage l'opinion de M. Cohn et dit également que le droit d'un accusé de présenter un plaidoyer de culpabilité ou de choisir ses propres moyens de défense est lié au droit à l'assistance d'un avocat. Elle ajoute que si l'avocat de l'accusé lui a conseillé d'éviter de plaider l'aliénation mentale pour des raisons pragmatiques ou tactiques et que le tribunal refuse d'accepter cette décision, alors le droit de l'accusé à l'assistance efficace d'un avocat est compromis parce que la décision de la cour annihile ou neutralise les conseils d'expert que l'avocat a donnés.

De plus, ce qui est intéressant dans ces deux articles, c'est l'examen de la jurisprudence américaine sur le sujet. Les deux auteurs font ressortir deux courants jurisprudentiels américains. Le premier découle de l'arrêt Whalem v. United States, 346 F.2d 812 (D.C. Cir. 1965), dans lequel la cour a conclu que, puisque la société n'est intéressée à punir que ceux qui sont moralement coupables, les juges du procès ont le pouvoir discrétionnaire de soulever le moyen de défense malgré les objections du défendeur. Par ailleurs, dans l'arrêt Frendak v. United States, 408 A.2d 364 (D.C. Ct. App. 1979), la cour a conclu que le juge du procès doit respecter le choix d'un accusé s'il renonce au moyen de défense [traduction] "volontairement et en connaissance de cause". Si, librement et en pleine connaissance des choix possibles et des conséquences, un accusé renonce à la défense d'aliénation mentale, alors le tribunal ne peut de lui‑même l'imposer. Les réponses des autres tribunaux à l'égard de ces deux arrêts contraires ont été diverses. Certains tribunaux appliquent l'arrêt Whalem et d'autres l'arrêt Frendak.

Je suis d'avis que la position qui convient aux termes de notre Charte est celle qui a été adoptée dans l'arrêt Frendak. Par conséquent, je conclus que la Cour d'appel a commis une erreur lorsqu'elle a décidé que le juge du procès avait, à bon droit, permis au ministère public de soulever la défense d'aliénation mentale contre le gré de l'accusé. Je suis d'avis que cette façon de procéder a porté atteinte aux droits que l'art. 7 confère à l'accusé.

L'article premier de la Charte

Dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, notre Cour a résumé le critère énoncé dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, dont doit tenir compte celui qui propose une restriction aux droits conférés par la Charte. À la page 768, le juge en chef Dickson a dit:

Pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, il faut satisfaire à deux exigences. En premier lieu, l'objectif législatif que la restriction vise à promouvoir doit être suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit garanti par la Constitution. Il doit se rapporter à des "préoccupations urgentes et réelles". En second lieu, les moyens choisis pour atteindre ces objectifs doivent être proportionnels ou appropriés à ces fins. La proportionnalité requise, à son tour, comporte normalement trois aspects: les mesures restrictives doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question, ou avoir un lien rationnel avec cet objectif; elles doivent être de nature à porter le moins possible atteinte au droit en question et leurs effets ne doivent pas empiéter sur les droits individuels ou collectifs au point que l'objectif législatif, si important soit‑il, soit néanmoins supplanté par l'atteinte aux droits. La Cour a affirmé que la nature du critère de proportionnalité pourrait varier en fonction des circonstances.

Je suis d'avis que la règle de common law ne peut être sauvegardée en vertu de l'article premier de la Charte en tant que limite raisonnable et justifiée imposée au droit de l'accusé de contrôler sa propre défense. Je reconnais tout à fait l'importance de la préoccupation que vise la règle de common law, c'est‑à‑dire que les personnes souffrant d'aliénation mentale ne soient pas déclarées coupables d'infractions criminelles. Je souscris à l'opinion du juge en chef Lamer que ce but a suffisamment d'importance pour justifier une dérogation à un droit ou à une liberté garanti par la Constitution et que permettre au ministère public de soulever la question de l'aliénation mentale au cours du procès constitue un moyen rationnel pour atteindre cet objectif. Je suis également d'accord avec lui que, pour veiller à ce que l'aliéné ne soit pas déclaré coupable, il existe d'autres moyens qui ne portent pas aussi gravement atteinte aux droits que l'art. 7 confère à un accusé. À mon avis, la présente règle de common law ne peut constituer une limite raisonnable en raison de l'effet important qu'elle a sur la stratégie de la défense et sur le rôle de l'avocat de la défense. Avec égards, je souscris à l'opinion du professeur Stuart qui, dans le cadre d'observations sur la décision Simpson dans Canadian Criminal Law: A Treatise (2e ed. 1987), dit aux pp. 344 et 345:

[traduction] Bien que cette décision représente une tentative des plus consciencieuses pour parvenir à un compromis judicieux, je soutiens que la décision de permettre à la poursuite de présenter la preuve de l'aliénation mentale est regrettable. Il est difficile de comprendre la crainte que, dans le cas contraire, une déclaration de culpabilité ne soit inscrite sans que le moyen de défense approprié n'ait été présenté. Lorsque la preuve n'a pas été produite, il ne semble pas convenable que le juge, et à plus forte raison la poursuite, fasse des conjectures sur le moyen de défense approprié. Permettre à la poursuite ou même au juge de présenter des éléments de preuve peut très bien causer un préjudice à un autre moyen de défense valide et porter atteinte au système contradictoire. Assurément, toute possibilité qu'une telle situation se produise ne devrait‑elle pas être résolue par une règle favorable à la défense plutôt que par l'attribution d'un pouvoir discrétionnaire aléatoire au juge du procès? Décidément, il y a quelque chose d'étrange et de tout à fait troublant à ce que la poursuite cherche à faire acquitter un accusé et que celui‑ci s'efforce avec acharnement d'être déclaré coupable. [Références omises.]

Toutefois, je ne puis souscrire à l'opinion du Juge en chef quant à l'application du volet sur l'atteinte minimale du critère énoncé dans l'arrêt Oakes dans les circonstances de l'espèce. Dans l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur généra), [1989] 1 R.C.S. 927, notre Cour a adopté une norme d'examen moins rigoureuse en application de ce volet du critère de la proportionnalité. Elle a alors expliqué pour quelle raison cet adoucissement de l'exigence de l'arrêt Oakes selon laquelle la restriction doit "porter atteinte le moins possible" au droit en question ne convenait tout simplement pas dans tous les cas. À la page 993, le juge en chef Dickson, le juge Lamer (maintenant Juge en chef) et moi‑même avons dit:

Pour trouver le point d'équilibre entre des groupes concurrents, le choix des moyens, comme celui des fins, exige souvent l'évaluation de preuves scientifiques contradictoires et de demandes légitimes mais contraires quant à la répartition de ressources limitées. Les institutions démocratiques visent à ce que nous partagions tous la responsabilité de ces choix difficiles. Ainsi, lorsque les tribunaux sont appelés à contrôler les résultats des délibérations du législateur, surtout en matière de protection de groupes vulnérables, ils doivent garder à l'esprit la fonction représentative du pouvoir législatif. [Je souligne.]

Bien qu'il faille tenir compte du rôle vital du législateur dans une démocratie représentative, la Cour a néanmoins établi clairement que ce n'est pas dans tous les cas qu'un tel respect devrait prévaloir sur un examen exigeant. À la page 994, la Cour a dit:

Il arrive parfois qu'au lieu d'arbitrer entre des groupes différents, le gouvernement devienne plutôt ce qu'on pourrait appeler l'adversaire singulier de l'individu dont le droit a été violé. Par exemple, pour justifier une atteinte à des droits consacrés par les art. 7 à 14 de la Charte, l'État fera valoir, au nom de toute la société, sa responsabilité de poursuivre les criminels alors que la personne fera valoir le caractère prépondérant des principes de justice fondamentale. Il est possible qu'il n'y ait pas de demandes contradictoires venant de différents groupes. Dans de tels cas, et d'ailleurs chaque fois que l'objet du gouvernement se rapporte au maintien de l'autorité et de l'impartialité du système judiciaire, les tribunaux peuvent décider avec un certain degré de certitude si les [traduction] "moyens les moins radicaux" ont été choisis pour parvenir à l'objectif compte tenu de la somme d'expérience acquise dans le règlement de ces questions.

Les deux principes énoncés dans l'arrêt Irwin Toy s'appliquent au présent pourvoi de façon très particulière. Nous traitons en l'espèce, non pas d'une règle de droit élaborée par le pouvoir législatif, mais plutôt d'une règle de common law créée par le pouvoir judiciaire. Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de s'en remettre au législateur: il incombe directement à la cour de faire des "choix difficiles". Il importe également de ne pas oublier la nature du droit en jeu dans le présent pourvoi. Dans la mesure où le présent litige porte sur le droit de la poursuite de présenter la défense d'aliénation mentale contre le gré de l'accusé, nous traitons en l'espèce d'une situation dans laquelle l'État agit à titre d'"adversaire singulier" qui cherche à restreindre les intérêts de l'accusé à l'égard de l'art. 7.

L'article 7 de la Charte garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. Il garantit des droits qui sont fondamentaux dans toute société libre et démocratique et, à ce titre, on ne peut y déroger facilement. Dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, j'ai exprimé l'opinion que si une limite imposée au droit garanti par l'art. 7 résulte de la violation des principes de justice fondamentale, l'examen prend fin et il n'est pas nécessaire d'examiner l'application de l'article premier. À la page 523 j'ai expliqué:

J'affirme cela parce que je ne crois pas qu'une limite au droit garanti par l'art. 7, qui a été imposée contrairement aux principes de justice fondamentale puisse être "raisonnable" ni que sa "justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique". L'exigence, que l'on trouve à l'art. 7, d'observer les principes de justice fondamentale me semble restreindre le pouvoir du législateur d'imposer des limites au droit garanti par l'art. 7, que lui confère l'article premier.

De même, dans l'arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, j'ai dit qu'une disposition qui viole les principes de justice fondamentale pourrait rarement être justifiée aux termes de l'article premier.

Il me semble que dans un cas comme l'espèce, où la question vise une règle de common law qui porte atteinte à l'une des garanties de la Charte les plus essentielles à la bonne administration de la justice, il incombe à la cour, en appliquant le volet de l'atteinte minimale du critère énoncé dans l'arrêt Oakes et en tentant d'élaborer une nouvelle règle de common law, de choisir les moyens les plus valables possibles du point de vue constitutionnel pour favoriser les objectifs du gouvernement. Il va sans dire que cela ne signifie pas que la cour devrait statuer de façon définitive sur des questions constitutionnelles complexes dont elle n'est pas saisie de façon régulière. En termes pratiques, cela signifie qu'il ne suffit pas que la cour présente des solutions qui, bien qu'elles soient susceptibles de porter atteinte aux droits dans une moindre mesure que la règle de common law actuelle, ne peuvent satisfaire au critère de l'atteinte minimale ou aux autres critères de l'arrêt Oakes. Il ne suffit pas non plus de convenir d'une nouvelle règle de common law qui semble de prime abord porter atteinte à d'autres garanties de la Charte et ne pas se justifier en vertu de l'article premier. En d'autres termes, je suis d'avis que, dans un cas comme l'espèce, la cour est chargée de modifier la common law de façon à la rendre conforme à la Constitution dans tous ses aspects.

Avant de passer aux solutions de rechange à la règle de common law actuelle, il convient de mentionner un autre aspect de présent pourvoi. Comme je l'ai déjà signalé, aux termes du par. 16(1) du Code, l'état de la santé mentale de l'accusé doit être vérifié à un certain moment avant qu'une déclaration de culpabilité soit inscrite. La constitutionnalité de cette disposition n'est pas contestée en l'espèce. Par conséquent, la Cour doit tenter de trouver à la règle de common law une modification qui sera non seulement constitutionnelle, mais également conforme aux dispositions du Code criminel.

Bien que je souscrive à l'opinion du Juge en chef que le fait de modifier la règle de common law actuelle de manière à accorder à la poursuite seulement un droit conditionnel de présenter une preuve d'aliénation mentale au cours du procès, c'est‑à‑dire, dans les circonstances où l'accusé a lui‑même soulevé la question de sa capacité mentale, constitue un moyen moins envahissant d'atteindre l'objectif du gouvernement, je ne suis pas certaine qu'une telle règle de common law modifiée soit pleinement conforme à la Charte. À mon avis, le fait de permettre au ministère public de soulever la question de l'aliénation mentale au cours du procès, même si cette permission est conditionnelle, entraîne toujours la violation du droit de l'accusé de contrôler ses moyens de défense, pour les mêmes motifs que j'ai mentionnés précédemment. Cette règle ne pourra pas non plus répondre au critère de l'atteinte minimale de l'arrêt Oakes parce que, bien que ce soit un moyen moins envahissant d'atteindre l'objectif du gouvernement, ce n'est pas le moyen le moins envahissant.

Je crois, en outre, que le fait d'accorder à la poursuite le droit conditionnel de soulever la question de l'aliénation mentale au cours du procès porte atteinte aux droits à l'égalité des déficients mentaux garantis à l'art. 15 de la Charte. Cela prive, et ce, de façon discriminatoire, les déficients mentaux, un groupe de notre société qui a souffert de stéréotypes et a toujours été défavorisé, du contrôle de leurs moyens de défense qui est accordé aux autres accusés. Enlever aux déficients mentaux l'autonomie de prendre leurs propres décisions vient renforcer le stéréotype voulant qu'ils soient incapables de penser de façon rationnelle et de s'occuper de leurs propres intérêts. Autrement dit, ils sont ainsi privés de l'égalité avec les autres accusés sous le couvert, au mieux, d'un paternalisme bienveillant. Le droit conditionnel de la poursuite ne sera acceptable du point de vue constitutionnel, à mon avis, que si l'on peut démontrer qu'il n'existe aucune autre solution qui permette d'atteindre le même objectif sans restreindre les droits conférés à l'accusé par les art. 7 et 15, ou du moins en leur imposant des limites sensiblement moins importantes.

Il me semble que le principe avancé pour appuyer le droit de la poursuite de présenter une preuve d'aliénation mentale peut être pleinement respecté en autorisant que la question de l'aliénation mentale de l'accusé soit soulevée à la conclusion du procès suite au rejet des moyens de défense de l'accusé et alors que les éléments essentiels de l'infraction ont été établis par la poursuite hors de tout doute raisonnable. À ce stade, je suis d'avis que l'une ou l'autre partie devrait être libre de soulever la question de l'aliénation mentale de l'accusé. Évidemment, je me rends compte que cette position comporte un aspect tautologique étant donné que l'aliénation mentale a un effet direct sur la preuve de la mens rea. Toutefois, je préfère adopter cette position étant donné qu'à la fois elle respecte le droit de l'accusé de renoncer à la défense d'aliénation mentale et elle fait en sorte que tout préjudice qu'il pourrait subir en raison de la déclaration de culpabilité découle de sa propre décision de ne pas se prévaloir de ce moyen de défense et non du fait que la poursuite a soulevé la question au milieu du procès.

À mon avis, si le droit de la poursuite de soulever la question de l'aliénation mentale de l'accusé est restreint, comme je le propose, les exigences du par. 16(1) sont satisfaites et il n'est pas porté atteinte aux droits dont jouit l'accusé au cours du procès en vertu de l'art. 7 ou l'art. 15. Je ne formule pas d'opinion sur la question de savoir si d'autres droits constitutionnels de l'accusé sont violés par une telle règle ou le par. 16(1) du Code et, s'ils le sont, si cette atteinte serait justifiée en vertu de l'article premier, car nous ne sommes pas, pour des raisons évidentes, saisis de cette question.

Il convient d'ajouter que je reconnais que le fait de restreindre le droit du ministère public en ne l'autorisant pas à présenter la question de l'aliénation mentale avant que l'accusé n'ait été déclaré coupable peut avoir pour effet que certains accusés qui, en fait, souffrent d'aliénation mentale seront acquittés et échapperont ainsi totalement à l'incarcération prévue au Code criminel. Il va sans dire que, pour certaines personnes, cette situation équivaudrait à un échec de notre système de justice criminelle. À mon avis toutefois l'incarcération de ces personnes dans des établissements pour les criminels souffrant d'aliénation mentale n'est requise ni par les principes de justice fondamentale ni par le Code criminel. Le paragraphe 16(1) du Code prévoit seulement qu'il est illégal de déclarer coupable d'une infraction criminelle une personne souffrant d'aliénation mentale. Le risque qu'un criminel souffrant d'aliénation mentale se place hors de portée de la loi demeure en d'autres termes une question qui relève du législateur s'il juge que les procédures civiles d'internement prévues par les législatures provinciales ne sont pas adéquates pour bien protéger le public.

En conclusion, je suis d'avis qu'empêcher des personnes souffrant d'aliénation mentale d'être déclarées coupables d'infractions criminelles constitue un objectif important, mais il ne l'est pas suffisamment pour justifier une dérogation à un droit constitutionnel de l'accusé aussi fondamental que celui en l'espèce, particulièrement lorsque l'objectif peut être atteint par les moyens moins envahissants que j'ai proposés. Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner l'arrêt des procédures. Je suis d'avis de répondre aux questions constitutionnelles de la manière indiquée par le Juge en chef.

Je souscris à la conclusion du juge en chef Lamer, pour les motifs qu'il mentionne, qu'il faut prévoir une période transitoire selon les modalités qu'il a énoncées pour pallier aux conséquences d'une décision de notre Cour disposant que le par. 542(2) du Code criminel est inopérant.

//Le juge Gonthier//

Version française des motifs des juges La Forest et Gonthier rendus par

Le juge Gonthier -- J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs du juge en chef Lamer et de ceux des juges Wilson et L'Heureux-Dubé. J'arrive aux mêmes conclusions que le Juge en chef et je souscris à la majeure partie de ses motifs.

Je suis d'accord que ce que l'on appelle maintenant le critère de l'arrêt Oakes (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103) fournit un cadre d'analyse utile pour déterminer si la règle de common law actuelle est conforme à la Charte canadienne des droits et libertés, mais ce cadre n'est pas essentiel, ceci d'autant plus que ni le principe relatif à la liberté de l'accusé de mener sa défense ni celui de la santé mentale comme élément essentiel de la responsabilité criminelle ne l'emporte sur l'autre. L'un et l'autre doivent être appliqués dans toute la mesure du possible.

Je m'écarte toutefois de l'analyse que fait le Juge en chef lorsqu'il considère que ce dernier principe ne devrait pas nécessairement compter pour déterminer s'il y a eu violation de la justice fondamentale garantie par l'art. 7 de la Charte. Ce principe que l'art. 16 du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, prescrit de façon impérative relève de l'intégrité du système de justice lui-même. Bien qu'un accusé puisse choisir de ne pas invoquer ce principe dans l'exercice de son droit de mener sa défense comme il l'entend, il incombe quand même au système de justice d'en assurer le respect. En d'autres termes, même si ce principe profite à l'accusé, il ne lui est pas loisible d'en écarter les conséquences, pas plus qu'il n'a le droit d'assumer la culpabilité quand il est innocent.

Avec égards, je ne suis pas de l'avis du Juge en chef non plus quand il dit qu'il est possible de réaliser l'objectif de non‑intervention dans la défense de l'accusé par l'abstention du ministère public de poursuivre. Bien que ce soit vrai dans les faits, je suis d'avis que cette solution ne convient pas. S'en remettre au pouvoir discrétionnaire de poursuivre pour assurer le respect du principe que la santé mentale est une condition essentielle de la responsabilité criminelle équivaut à substituer ce pouvoir discrétionnaire à une décision judiciaire et écarte le recours en justice. La chose est particulièrement importante lorsque la question en litige est entourée d'incertitude et pourrait donc être mieux tranchée par le processus judiciaire. Cela revient à soutenir qu'il est possible d'obvier aux déficiences d'une loi et même à son inconstitutionnalité en ne l'appliquant pas. Il faut plutôt prévoir la mise en oeuvre de ce principe dans le cadre du procès lui‑même. Je suis d'accord avec le Juge en chef que son application ne comporte pas forcément d'entrave à la liberté de l'accusé de mener sa défense.

Je partage aussi l'avis du Juge en chef au sujet des failles de la règle de common law actuelle et quant à la "nouvelle règle de common law" qu'il énonce et qu'il considère comme pouvant le mieux concilier l'application de ces deux principes de façon conforme à l'art. 15 de la Charte.

Je souscris aussi à ses motifs et à ses conclusions au sujet des autres questions en litige dans le présent pourvoi. En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner l'arrêt des procédures et de répondre aux questions constitutionnelles comme il le fait.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Version française des motifs rendus par

Le juge L'Heureux-Dubé (dissidente) -- J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs du juge en chef Lamer et de ceux du juge Wilson mais, avec déférence, je ne puis être d'accord ni souscrire à leur conclusion. Les questions en litige dans ce pourvoi‑ci touchent la constitutionnalité du régime législatif qui prévoit la détention des personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale (art. 542 à 547 du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34), ainsi que de la règle de common law qui permet au ministère public de présenter indépendamment une preuve d'aliénation mentale.

J'estime que la règle de common law en vertu de laquelle le ministère public peut faire indépendamment une preuve d'aliénation mentale constitue un principe de justice fondamentale qui non seulement s'harmonise avec les valeurs qu'incarnent les "principes de justice fondamentale" de l'art. 7, mais s'en veut le reflet. De plus, je conviens avec la majorité de la Cour d'appel de l'Ontario que le par. 542(2) du Code criminel, analysé dans son contexte législatif et de mise en oeuvre, est également tout à fait compatible avec les garanties accordées par la Charte. Je partage toutefois la conclusion de mes deux collègues selon laquelle le par. 542(2) du Code criminel est intra vires du Parlement du Canada.

Comme je souscris, pour l'essentiel, aux motifs du juge Thorson qui a rédigé l'opinion majoritaire de la Cour d'appel de l'Ontario en ce qui concerne les violations alléguées des art. 7 et 9 résultant du régime législatif en cause, mes remarques porteront principalement sur la constitutionnalité de la règle de common law, quitte à ajouter de brefs commentaires sur la constitutionnalité des dispositions législatives.

Dispositions législatives pertinentes

Pour plus de commodité, je reproduis ici les dispositions en vigueur au moment du procès.

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34:

542. (1) Si, lors du procès d'un accusé inculpé d'un acte criminel, il est déposé que l'accusé était aliéné au moment où l'infraction a été commise et s'il est acquitté,

a) le jury, ou

b) le juge ou magistrat, quand il n'y a pas de jury,

doit constater si l'accusé était aliéné lors de la perpétration de l'infraction et déclarer s'il est acquitté pour cause d'aliénation mentale.

(2) S'il est constaté que l'accusé était aliéné au moment où l'infraction a été commise, la cour, le juge ou le magistrat devant qui le procès s'instruit doit ordonner que l'accusé soit tenu sous une garde rigoureuse dans le lieu et de la manière que la cour, le juge ou le magistrat ordonne, jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur de la province soit connu.

. . .

545. (1) Lorsque, en application de la présente Partie, un accusé est déclaré atteint d'aliénation mentale, le lieutenant‑gouverneur de la province où l'accusé est détenu peut

a) rendre une ordonnance pour la bonne garde de l'accusé dans le lieu et de la manière qu'il prescrit, ou

b) s'il est d'avis que la mesure est dans l'intérêt véritable de l'accusé sans nuire à l'intérêt public, rendre une ordonnance portant libération de l'accusé, soit inconditionnellement, soit aux conditions qu'il prescrit.

(2) Le prévenu visé à l'alinéa (1)a) peut être transféré aux fins de sa réhabilitation à tout endroit au Canada que précise le mandat signé par l'agent qu'autorise à cette fin le lieutenant-gouverneur de la province où il est détenu, sous réserve du consentement du responsable de l'établissement de l'endroit.

(3) Le mandat visé au paragraphe (2) donne à toute personne qui a la garde du prévenu le pouvoir de le remettre à la personne responsable du lieu indiqué dans ce mandat et à cette dernière de le détenir de la manière indiquée dans l'ordonnance mentionnée au paragraphe (1).

. . .

547. (1) Le lieutenant-gouverneur d'une province peut nommer une commission pour examiner le cas de chaque personne qui est sous garde dans un lieu de ladite province en vertu d'une ordonnance rendue en conformité de l'article 545 ou du paragraphe 546(1) ou (2).

(2) La commission mentionnée au paragraphe (1) se compose de trois à cinq membres qui choisissent parmi eux un président lorsque le lieutenant-gouverneur n'en a pas désigné.

(3) Au moins deux membres de la commission doivent être des psychiatres dûment qualifiés et autorisés à exercer la médecine en conformité des lois de la province pour laquelle la commission est nommée et un membre au moins de la commission doit appartenir au barreau de la province.

(4) Trois membres de la commission d'examen, dont au moins un psychiatre visé au paragraphe (3) et un membre du barreau de la province, constituent un quorum de la commission.

(5) La commission doit examiner le cas de chaque personne mentionnée au paragraphe (1),

a) au plus tard six mois après qu'a été rendue l'ordonnance visée dans ce paragraphe relativement à cette personne, et

b) au moins une fois tous les douze mois après l'examen exigé à l'alinéa a), aussi longtemps que cette personne reste sous garde en vertu de l'ordonnance,

et la commission doit, immédiatement après chaque examen, faire un rapport au lieutenant‑gouverneur énonçant en détail les résultats de cet examen et indiquant,

. . .

d) lorsque la personne sous garde a été trouvée non coupable, pour cause d'aliénation mentale, si, de l'avis de la commission, cette personne est rétablie et, dans l'affirmative, si à son avis, il est dans l'intérêt du public et dans l'intérêt de cette personne que le lieutenant-gouverneur ordonne qu'elle soit libérée absolument ou sous réserve des conditions que le lieutenant-gouverneur peut prescrire,

. . .

f) les conclusions qu'elle estime souhaitables afin de réhabiliter la personne dont le cas a été examiné et compatibles avec l'intérêt public.

(6) En plus de tout examen qui doit être effectué en vertu du paragraphe (5), la commission doit examiner tout cas mentionné au paragraphe (1) lorsque le lieutenant‑gouverneur le lui demande et elle doit, immédiatement après un tel examen, faire rapport au lieutenant-gouverneur en conformité du paragraphe (5).

(7) Aux fins de l'examen prévu par le présent article, le président de la commission peut exercer tous les pouvoirs, mentionnés aux articles 4 et 5 de la Loi sur les enquêtes, d'un commissaire nommé en vertu de la Partie I de cette loi.

Les articles suivants de la Charte canadienne des droits et libertés sont pertinents:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

. . .

9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires.

Analyse

La règle de common law

Pour déterminer la validité de la règle de common law qui permet au ministère public de présenter indépendamment une preuve d'aliénation mentale, il est essentiel de procéder à un examen complet des buts visés par cette règle et des limites internes qui en régissent la mise en oeuvre. Il s'agit d'une règle qui a été formulée avec soin: ce n'est pas un effet du hasard qu'elle permette au ministère public de présenter ce genre de preuve, son application obéissant au contraire à des paramètres stricts. Son fondement repose sur deux principes de justice fondamentale qui, inversement, en constituent les limites.

Les deux principes de justice fondamentale que mes collègues ont identifiés ‑- le droit de l'accusé de contrôler pleinement sa défense et la règle fondamentale selon laquelle les personnes atteintes d'aliénation mentale, non responsables de leur conduite, ne devraient pas être déclarées coupables d'un acte par ailleurs criminel ‑- trouvent leur juste expression dans l'équilibre que permet d'atteindre l'application légitime de la règle de common law. Il ne fait aucun doute que ces deux principes sont bel et bien, au sens de l'art. 7, de nature "fondamentale". Notre Cour en a, à plusieurs reprises, analysé le caractère fondamental.

Dans l'arrêt Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, le juge Lamer (alors juge puîné) a analysé en ces termes, à la p. 492, le principe suivant lequel le droit criminel ne devrait pas servir à punir un innocent:

Une loi qui permet de déclarer coupable une personne qui n'a véritablement rien fait de mal viole les principes de justice fondamentale . . .

Il ajoute, à la p. 513:

Depuis des temps immémoriaux, il est de principe dans notre système juridique qu'un innocent ne doit pas être puni. Ce principe est depuis longtemps reconnu comme un élément essentiel d'un système d'administration de la justice fondé sur la foi en la dignité et la valeur de la personne humaine et en la primauté du droit.

La nature "fondamentale" du principe suivant lequel l'accusé a le droit de contrôler sa défense et de prendre les décisions pertinentes à cet égard ne fait non plus aucun doute. Comme le souligne mon collègue le Juge en chef, ce principe est fondé sur le respect de l'autonomie individuelle ainsi que sur la nature contradictoire de notre système de justice criminelle. Or, la règle de common law ici en cause ne viole, à mon avis, aucun de ces principes fondamentaux.

Quelle que soit la façon que l'on choisisse de cataloguer ou de caractériser le principe selon lequel il n'y a pas de condamnation sans faute ‑- comme un droit inhérent à l'accusé ou comme une règle dictée par des impératifs purement sociaux —, je ne suis pas convaincue qu'il y ait lieu de procéder à un examen fondé sur l'article premier. Étant donné qu'à mon avis, la règle de common law reflète un juste équilibre entre les deux principes dégagés précédemment, je les examinerai sous l'angle de l'art. 7.

J'estime que, dans l'examen des principes de justice fondamentale, une approche étroite n'est pas justifiée et qu'il y a lieu de s'en garder. Ces principes, ainsi que leur violation qu'on allègue, doivent être analysés dans le cadre plus large du système juridique auquel ils se rattachent. Il m'apparaît difficile de s'engager dans le processus de tamisage préconisé par mes collègues. Les principes de justice fondamentale ne s'élaborent pas indépendamment les uns des autres mais évoluent graduellement par un processus qu'on pourrait qualifier de fécondation mutuelle. Notre système juridique ne se veut pas simplement un ensemble de règles et de principes qui opèrent de façon autonome, chacun dans les limites de sa sphère propre. Toute analyse comportant un examen de ces principes, qu'elle réponde à des exigences d'ordre constitutionnel ou autre, doit respecter cette intégrité. À cet égard, je fais miens les propos du juge La Forest (dissident pour d'autres motifs) qui affirme, dans l'arrêt R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670, à la p. 745, que "les principes de justice fondamentale ont pour effet de protéger l'intégrité du système lui‑même". Avec égards, je ne partage donc pas le point de vue du Juge en chef lorsqu'il dit à la p. 000:

. . . l'accusé a choisi de ne pas invoquer le principe de justice fondamentale selon lequel, dans notre système de justice criminelle, on ne déclare pas coupable une personne qui était aliénée au moment de l'infraction. Par conséquent, ce principe ne peut, en l'espèce, servir à l'analyse fondée sur l'art. 7.

La règle de common law ici en litige a connu précisément une évolution semblable à celle que je viens d'évoquer. Les principes de justice fondamentale que mes collègues préfèrent dissocier se combinent pour former un principe plus général, dont les éléments traduisent de façon harmonieuse les considérations qui les sous‑tendent. Considérée dans le vaste cadre dans lequel elle s'insère, la règle de common law, ainsi que son application concrète, est, à mon avis, compatible avec les principes de justice fondamentale.

La capacité pour le ministère public de présenter indépendamment une preuve d'aliénation mentale paraît avoir été contestée pour la première fois, en appel, dans l'arrêt R. v. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337. La règle en cause ici tire d'ailleurs son origine des motifs qu'a prononcés le juge Martin dans cette affaire au nom d'un banc unanime de cinq juges de la Cour d'appel de l'Ontario. Le juge Martin a formulé cette règle après avoir soigneusement pesé le pour et le contre. Il a pris note du point soulevé par la défense, soit que de permettre au ministère public de présenter une preuve d'aliénation mentale causerait préjudice à l'accusé, point que mes collègues examinent en détail dans leurs motifs. Le juge Martin a également souligné le précepte fondamental de notre système de justice criminelle voulant que ceux qui ne devraient pas être tenus responsables de leurs actes ne devraient pas être déclarés coupables. Cependant, comme je l'ai indiqué précédemment, il a également reconnu, à la p. 359, la capacité du système de justice criminelle de concilier des intérêts divergents entre lesquels [traduction] "il est souvent nécessaire d'établir un équilibre". Au surplus, il a mis en doute, comme je le fais, la possibilité qu'il résulte de la preuve d'aliénation mentale présentée par le ministère public des conséquences préjudiciables [traduction] "draconiennes". Il a conclu, à la p. 359, que [traduction] "la poursuite a, dans les circonstances appropriées, le droit de présenter une preuve démontrant que l'accusé était aliéné au moment de la perpétration de l'acte" (je souligne). En formulant la règle, le juge Martin s'est aussi montré très conscient de la nécessité, parallèlement à la reconnaissance du principe selon lequel le système de justice criminelle ne peut prononcer de déclaration de culpabilité en l'absence de faute, de protéger les intérêts de l'accusé ainsi que le caractère contradictoire du système en général. Il a abordé ainsi la question, à la p. 361:

[traduction] De façon générale, le système contradictoire nous a bien servis et je ne voudrais pas, quant à moi, en voir s'éroder les caractéristiques essentielles. Mais je ne suis pas convaincu que l'application inflexible d'une règle qui interdit à la poursuite de produire la preuve pertinente d'aliénation mentale dont elle dispose lorsque l'accusé refuse de le faire, constitue un élément essentiel de ce système.

Par contre, il est clair que la poursuite ne devrait pas pouvoir étayer une preuve faible de la perpétration de l'acte par une preuve faible de l'aliénation, lorsque l'admission d'une telle preuve risquerait de priver l'accusé d'un procès équitable quant à la question de savoir s'il a commis l'acte, en amenant le jury à conclure qu'il est le genre de personne susceptible d'avoir commis l'acte dont il est inculpé.

La façon dont le juge Martin articule la règle, aux pp. 362 et 363, tient compte de ces préoccupations en apparence divergentes et reflète l'équilibre prudent dont j'ai discuté dès le départ:

[traduction] [Le pouvoir discrétionnaire du juge du procès] est suffisamment large pour lui permettre d'exclure une preuve d'aliénation mentale offerte par la poursuite à moins que le juge ne soit convaincu que cette preuve est suffisamment importante pour que l'intérêt de la justice en exige la présentation. En aucun cas l'intérêt de la justice n'obligera la poursuite à produire une telle preuve s'il n'a pas été présenté antérieurement des éléments de preuve susceptibles de convaincre un jury hors de tout doute raisonnable que l'accusé a commis l'acte reproché avec l'intention criminelle requise, indépendamment de tout état d'aliénation.

Si la poursuite veut prouver que l'accusé était aliéné au moment de la perpétration de l'acte, le test approprié n'est pas, à mon avis, si cette preuve, présentée par l'accusé, serait suffisante pour obliger le juge du procès à soumettre la défense d'aliénation mentale au jury, mais plutôt si elle est assez importante et soulève une question à ce point sérieuse quant à savoir si l'accusé était capable de commettre l'infraction, que l'intérêt de la justice exige qu'elle soit produite.

. . .

Dans tous les cas où la poursuite présente une preuve d'aliénation mentale et où l'accusé nie avoir commis l'acte, il incombe au juge du procès de dire au jury qu'il n'a pas à tenir compte de cette preuve à moins qu'il ne soit convaincu hors de tout doute raisonnable que l'accusé a commis l'acte reproché avec l'intention criminelle requise. [Je souligne.]

Notons que dans un nouvel examen de la question dans l'arrêt R. v. Saxell (1980), 59 C.C.C. (2d) 176, la Cour d'appel de l'Ontario, s'exprimant à la majorité par la voix du juge Weatherston, a resserré l'application de la règle, à la p. 189, en exigeant que le juge du procès tienne également compte de [traduction] "la nature et de la gravité de l'infraction reprochée et de la mesure dans laquelle l'accusé peut présenter un danger pour le public".

Ainsi, il est clair que le ministère public ne pourra présenter une preuve d'aliénation, contre le gré de l'accusé, que dans les cas où la culpabilité de celui‑ci ne soulève pas de doute sérieux, où la preuve de l'aliénation est accablante, où il s'agit d'une infraction grave et où l'accusé présente toujours une menace pour la société en raison de sa dangerosité. Cette règle tient donc largement compte du droit de l'accusé de contrôler sa défense puisque l'application en est strictement et sévèrement limitée. Ce n'est pas à la légère qu'une cour prendra en considération la preuve d'aliénation mentale présentée à l'initiative du ministère public et elle aura toujours le pouvoir discrétionnaire d'écarter cette preuve si elle estime qu'il en résulterait un préjudice trop grand pour l'accusé. Bien que la règle originale ait été formulée avant la Charte, l'équilibrage des intérêts en cause en respecte les impératifs et il ne fait pas de doute qu'à la lumière de la Charte, les tribunaux redoubleront dorénavant de prudence en s'efforçant d'appliquer la règle avec toute la rigueur voulue et, de ce fait, d'une manière compatible avec les principes de justice fondamentale.

Ce n'est certes pas la première fois que notre Cour aborde, dans l'examen d'une règle de fond consacrée par la Charte, la question du pouvoir discrétionnaire du juge du procès dans l'établissement de cet équilibre et qu'elle doit, pour ce faire, peser des "intérêts contradictoires". Dans l'arrêt R. c. Corbett, précité, il s'agissait de savoir si l'art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, ch. E‑10, permettant le contre‑interrogatoire de l'accusé sur ses antécédents criminels, était incompatible avec la garantie qu'accorde l'al. 11d) de la Charte. En concluant à l'absence d'incompatibilité, le juge en chef Dickson qui s'est fait le porte‑parole de la majorité sur ce point, a dit aux pp. 691 et 692:

L'équilibre atteint par la conjugaison de l'art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada et de l'exigence que le juge donne des directives claires est admirablement résumé dans l'extrait suivant des motifs du juge Martin dans l'affaire R. v. Davison, DeRosie and MacArthur aux pp. 441 et 442:

[traduction] L'accusé qui témoigne a deux qualités. En tant qu'accusé il est protégé par une règle fondamentale de politique générale qui interdit à la poursuite de produire des éléments de preuve tendant à démontrer sa mauvaise moralité, sous réserve évidemment des exceptions reconnues à cette règle. En sa qualité de témoin, cependant, sa crédibilité peut être attaquée.

. . .

À mon avis, la règle de politique générale qui met un accusé à l'abri de toute contestation de sa bonne moralité, de crainte que le jury ne soit détourné de la question qu'il est appelé à trancher, savoir celle de la culpabilité ou de l'innocence de l'accusé relativement à l'accusation précise dont la cour se trouve saisie, n'est pas complètement subordonnée à la règle permettant qu'un accusé qui choisit de témoigner soit contre-interrogé sur la question de sa crédibilité. Dans ce domaine du droit, comme dans bien d'autres, un équilibre a été établi entre des intérêts contradictoires, équilibre par lequel on essaie autant que possible de reconnaître l'objet des deux règles sans appliquer l'une à l'exclusion totale de l'autre.

On peut maintenant ajouter dans la balance, en faveur de l'accusé, le pouvoir discrétionnaire qu'a le juge du procès d'écarter la preuve de ses condamnations antérieures dans les cas exceptionnels où l'application automatique de l'art. 12 minerait son droit à un procès équitable. [Je souligne; références omises.]

Des considérations similaires ont été exprimées dans l'arrêt R. c. Beare; R. c. Higgins, [1988] 2 R.C.S. 387, où, en examinant la pertinence de l'existence d'un pouvoir discrétionnaire dans l'application de la loi, le juge La Forest a, au nom de la Cour, affirmé, à la p. 410, que "[l]'existence d'un pouvoir discrétionnaire conféré par ces dispositions législatives ne porte pas atteinte, à mon avis, aux principes de justice fondamentale".

Dans tout examen du juste équilibre à maintenir en vertu de l'art. 7, il faut aussi tenir compte du champ d'application de la règle ou de la loi attaquée. Dans l'arrêt R. c. Potvin, [1989] 1 R.C.S. 525, où il s'agissait de déterminer si l'art. 643 du Code criminel était incompatible avec l'art. 7 de la Charte dans la mesure où il permettait la lecture en preuve d'une déposition faite à l'enquête préliminaire, le juge Wilson a conclu, au nom de la majorité, que la disposition était compatible avec les principes de justice fondamentale pourvu que l'accusé ait eu l'occasion voulue de contre-interroger le témoin au moment où le témoignage antérieur a été donné. Elle a ajouté, à la p. 545:

Quoi qu'il en soit, puisque le par. 643(1) ne peut être invoqué que lorsque des conditions préalables strictes sont remplies par la partie qui veut produire en preuve le témoignage antérieur, ce n'est pas une disposition que le ministère public peut utiliser à volonté à son avantage ou comme un moyen de protéger des témoins à charge qui pourraient se révéler non crédibles devant le juge des faits.

La même remarque vaut pour la règle de common law ici en cause.

Certains points que soulève le Juge en chef quant au champ d'application et à la mise en oeuvre de la règle tiennent peut-être au fait qu'il se réfère exclusivement aux motifs de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Saxell, précité, où se trouve reformulée la règle initialement énoncée dans l'arrêt Simpson, précité. Dans la mesure où, dans l'arrêt Saxell, la cour ne faisait que reformuler la règle (en y ajoutant les exigences indiquées précédemment), elle a eu tort d'affirmer que la poursuite n'avait qu'à démontrer, par une "preuve convaincante", que l'accusé avait commis l'acte, nonobstant la preuve d'aliénation. Dans l'arrêt Simpson, la cour a souligné avec insistance, à la p. 362, que la norme était plus élevée et que la poursuite devait produire une preuve [traduction] "susceptible de convaincre un jury hors de tout doute raisonnable que l'accusé a commis l'acte reproché". Toute autre interprétation de la règle ne rend pas justice au délicat équilibre qu'a établi la Cour d'appel dans l'arrêt Simpson. Ainsi que je l'ai déjà clairement indiqué, la règle, correctement interprétée et appliquée, fait ressortir les valeurs fondamentales inhérentes à notre système de justice criminelle et établit entre elles un équilibre qui satisfait aux exigences constitutionnelles. Or, cette conclusion se trouve forcément menacée par toute tentative de modifier l'importance accordée aux différents intérêts qui composent cet équilibre.

Ainsi, quoiqu'il puisse y avoir atteinte à la liberté d'un accusé lorsque le ministère public présente indépendamment une preuve d'aliénation mentale, cette atteinte est, pour les raisons indiquées précédemment, entièrement compatible avec les principes de justice fondamentale et, partant, aucune violation de l'art. 7 n'a été démontrée. La règle de common law ne contrevenant pas à l'art. 7, point n'est besoin de procéder à une analyse en vertu de l'article premier.

Bien que la question constitutionnelle mentionne les art. 9 et 15, en plus de l'art. 7 de la Charte, ni l'appelant ni l'intimée n'ont présenté d'arguments à l'égard de ces autres articles. Je n'examinerai donc pas ces motifs subsidiaires d'invalidité constitutionnelle.

Le régime législatif

Comme je l'ai mentionné au départ, je partage l'avis de la Cour d'appel à la majorité selon lequel le régime législatif ici en cause est compatible avec les droits garantis par les art. 7 et 9 de la Charte. Je me bornerai donc à de brèves remarques à cet égard.

Le régime législatif, on se rappellera, est prévu aux art. 542 à 547 du Code criminel. Dans les observations que je ferai sur la constitutionnalité de ce régime au regard des art. 7 et 9 de la Charte, j'adopterai la démarche suivie par le Juge en chef. J'examinerai donc la question du caractère arbitraire en fonction de la garantie prévue à l'art. 9 de la Charte, bien qu'on en viendrait nécessairement au même résultat si cette question était examinée sous l'angle de l'art. 7 et des principes de justice fondamentale. Voyons d'abord l'argument selon lequel le régime législatif est inéquitable au plan de la procédure et porte ainsi atteinte aux principes de justice fondamentale.

Dans l'arrêt Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, le juge Wilson a tenu, à la p. 188, des propos particulièrement appropriés pour qui veut interpréter le régime législatif afin d'en déterminer la constitutionnalité:

Les appelants allèguent que les mécanismes de procédure énoncés dans la Loi sur l'immigration de 1976, indépendamment de l'application de cette procédure à leurs cas particuliers, ont porté atteinte aux droits qui leur sont reconnus par la Charte. Il est donc important de situer ces dispositions dans le contexte de l'ensemble de la Loi. Si, sur le plan de l'interprétation législative, l'équité en matière de procédure demandée par les appelants n'est pas exclue par l'économie de la Loi, il va sans dire qu'il n'y a aucune raison de recourir à la Charte. [Je souligne.]

Il convient également de se reporter aux motifs du juge La Forest dans l'arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309. Au nom de la Cour à la majorité, le juge La Forest a examiné les répercussions de l'art. 7 sur les notions traditionnelles d'équité procédurale. Il fait remarquer, aux pp. 361 et 362:

Évidemment, les exigences de la justice fondamentale englobent tout au moins l'équité en matière de procédure [. . .] Il est également clair que les exigences de la justice fondamentale ne sont pas immuables; elles varient selon le contexte dans lequel on les invoque. Ainsi, certaines garanties en matière de procédure pourraient être requises par la Constitution dans une situation donnée et ne pas l'être dans une autre.

. . .

Il me semble que l'art. 7 de la Charte reconnaît à l'appelant le droit à un procès équitable; il ne lui donne pas le droit de bénéficier des procédures les plus favorables que l'on puisse imaginer. [Je souligne.]

Bien que la Cour d'appel à la majorité ait suivi, dans le cas qui nous occupe, le canevas tracé dans ces arrêts, elle ne s'est pas, dans sa conclusion que le régime législatif était équitable sur le plan de la procédure, arrêtée à l'abondante jurisprudence touchant les devoirs et obligations qui incombent au lieutenant-gouverneur et à la commission d'examen aux différentes étapes procédurales prévues au Code. Je me référerai donc spécifiquement à un certain nombre d'arrêts pertinents à cet égard dont j'examinerai brièvement les conclusions.

Bien que la Cour d'appel ait, en l'espèce, conclu que le devoir du lieutenant-gouverneur de rendre une ordonnance aux termes de l'art. 545 prenait naissance "immédiatement", dès que possible dans les circonstances, il a par ailleurs été décidé, par exemple, que: (Saxell, précité) en dépit de l'expression permissive "peut", le lieutenant-gouverneur est tenu de rendre l'une des ordonnances prévues par le par. 545(1); (Re Abel and Advisory Review Board (1980), 56 C.C.C. (2d) 153 (C.A. Ont.)) la commission d'examen est tenue d'agir équitablement et de fournir au patient et à l'avocat de celui‑ci les faits sur lesquels elle portera son attention; (Re McCann and The Queen (1982), 67 C.C.C. (2d) 180 (C.A.C.‑B.)) le Order in Council Patients' Review Board, une commission dont la fonction est analogue à celle de la commission d'examen, est tenu d'observer les exigences de l'équité procédurale et donc d'informer le patient de tout changement dans ses recommandations et des motifs de ce changement, en plus de lui donner l'occasion voulue de faire des observations à ce sujet; (Re Egglestone and Mousseau and Advisory Review Board (1983), 42 O.R. (2d) 268 (C. div.)) la commission doit agir équitablement et le patient doit avoir à sa disposition les principaux faits sur lesquels la commission [traduction] "fera porter son attention", aussi le patient et son avocat doivent‑ils être présents lorsque les membres psychiatres livrent leurs conclusions à la commission, laquelle est tenue de divulguer les renseignements obtenus par les membres psychiatres; (Jollimore v. Nova Scotia (A.G.) (1986), 75 N.S.R. (2d) 191 (C.S.N.‑É.)) le lieutenant-gouverneur a l'obligation d'agir équitablement et il doit aviser le patient de son intention de ne pas suivre la recommandation de la commission d'examen, et le patient ou son avocat doivent avoir l'occasion de faire des observations à cet égard au lieutenant-gouverneur; (Attorney General of Ontario v. Grady (1988), 34 C.R.R. 289 (H.C. Ont.)) il y a eu violation du droit du patient à l'équité procédurale en ce que la commission n'était saisie d'aucune preuve, relevant de sa compétence, susceptible de justifier ses conclusions et en ce qu'elle n'a pas donné l'occasion de présenter des observations sur une décision qui ne découlait pas raisonnablement de la preuve et des documents soumis et qu'elle a fait montre de partialité en permettant à un représentant du procureur général de faire des remarques enflammées et non pertinentes. De plus, le patient aurait dû être autorisé à présenter ses observations concernant la recommandation de l'expert, et le lieutenant-gouverneur ne peut se fonder sur les recommandations de la commission d'examen que dans la mesure où ces recommandations ont été le fruit d'une audience équitable.

Compte tenu de la jurisprudence que je viens de passer en revue, je souscris aux motifs de la Cour d'appel suivant lesquels le régime législatif en cause ne porte pas atteinte aux principes de justice fondamentale. À cet égard, le juge Thorson, au nom de la majorité de la Cour d'appel, a conclu ainsi aux pp. 408 et 409:

[traduction] Je ne puis accepter, toutefois, qu'il y ait eu, en l'espèce, manquement à l'équité procédurale. De façon plus générale, je ne puis accepter que le par. 542(2) ou le processus qu'il a mis en marche en l'espèce comporte ou comportait, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte à la liberté de la personne, d'une façon non conforme aux principes de justice fondamentale.

Au surplus, s'il y avait violation de l'équité procédurale dans un cas donné, la victime pourrait recourir tant à la Charte qu'aux redressements de droit privé.

Je me range également à la conclusion de la Cour d'appel à la majorité suivant laquelle le par. 542(2) n'est pas arbitraire au sens de l'art. 9 de la Charte. Après un examen détaillé de la question, le juge Thorson affirme aux pp. 415 et 416:

[traduction] À mon avis, la détention autorisée par le par. 542(2) n'est pas arbitraire. L'évaluation par les autorités du caractère dangereux de la personne acquittée et de ses besoins en matière de traitement prend un certain temps. Aucune évaluation de ce genre n'est faite lors de son procès. . .

En outre, la déclaration de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale soulève, à mon avis, une préoccupation raisonnable que l'accusé demeure peut‑être un danger pour le public et a besoin de traitements additionnels. En vertu de la loi, ce n'est qu'après cette déclaration que l'État a le droit de le priver de sa liberté pour le moment afin de bien évaluer ces questions, dans des conditions qui permettent d'assurer la protection du public.

En raison de l'examen approfondi que la Cour d'appel a fait de cette question, mes remarques seront brèves. Bien que l'article présume, de fait, que toutes les personnes déclarées non coupables en raison de leur aliénation mentale devraient être détenues parce qu'elles peuvent encore présenter un danger ou avoir encore besoin de traitement, ou les deux, il s'agit d'une présomption logique dont le Parlement peut, dans le respect de la Constitution, se réclamer.

En outre, bien que la Cour d'appel n'ait pu s'inspirer des récents arrêts de notre Cour, nous n'avons pas, dans l'examen de la garantie qu'accorde l'art. 9 de la Charte, énoncé de normes permettant de mettre en doute la conclusion à laquelle elle est arrivée à la majorité, en l'espèce. L'article attaqué confère, certes, le pouvoir de détenir des personnes acquittées qui ne sont peut‑être pas dangereuses à l'heure actuelle ou ne nécessitent peut‑être pas de traitement, mais il ne le fait pas de façon arbitraire.

Dans l'arrêt R. c. Lyons, précité, le juge La Forest, en cherchant à déterminer si la partie XXI du Code criminel était arbitraire, a examiné, à la p. 347, le champ d'application des dispositions législatives et leur relation avec l'objectif poursuivi:

Toutefois, même si l'on donne au mot "arbitraire" son sens le plus large, on se rend vite compte que non seulement l'incarcération est‑elle autorisée par la loi, mais que les dispositions pertinentes définissent une catégorie restreinte de délinquants à l'égard desquels ces dispositions peuvent être légitimement invoquées, et qu'elles prescrivent en des termes on ne peut plus précis à quelles conditions un délinquant peut être désigné comme dangereux. [. . .] De surcroît, mon étude de la question concernant l'art. 12 comporte implicitement la conclusion, commandée par le bon sens, que les critères énoncés à la partie XXI sont loin d'être arbitraires compte tenu des objectifs visés; ils sont nettement conçus pour isoler un petit groupe de criminels extrêmement dangereux . . . [Je souligne.]

Dans l'arrêt R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621, le juge Le Dain, parlant au nom de la Cour, a formulé en ces termes, à la p. 633, la question que l'on doit se poser:

Bien qu'autorisé par la loi et exécuté pour des fins légitimes, l'arrêt au hasard, effectué dans le but de procéder à un contrôle routier ponctuel, a néanmoins entraîné, à mon avis, une détention arbitraire parce qu'il n'y avait aucun critère de sélection des conducteurs à qui on demanderait de s'arrêter et de se soumettre au contrôle routier ponctuel. La sélection était laissée à l'entière discrétion de l'agent de police. Un pouvoir discrétionnaire est arbitraire s'il n'y a pas de critère, exprès ou tacite, qui en régit l'exercice. [Je souligne.]

Il convient également de souligner les propos du juge La Forest dans l'arrêt R. c. Beare; R. c. Higgins, précité. Le juge La Forest a analysé la question de savoir si certaines dispositions relatives à la prise d'empreintes digitales contenues dans la Loi sur l'identification des criminels et dans le Code criminel violaient, par la façon arbitraire dont elles entrent en jeu, les principes de justice fondamentale. Les éléments importants de son examen portaient sur le champ d'application des dispositions législatives et la catégorie d'individus visés. Le juge La Forest a conclu ainsi, aux pp. 408 et 409:

La législation n'est pas arbitraire dans son champ d'application. La Loi sur l'identification des criminels et les par. 453.3(3) et 455.5(5) du Code criminel n'instaurent pas de structure légale arbitraire ou irrationnelle. Ils ne s'appliquent qu'à trois catégories d'inculpés non reconnus coupables d'un acte criminel . . .

. . .

Les dispositions contestées, par conséquent, ne jouent que dans le cas des actes criminels qui, évidemment, constituent la catégorie des infractions criminelles les plus graves. De plus, dans le cas de chaque catégorie d'accusés, il doit y avoir des motifs raisonnables et probables de croire que les personnes visées ont commis l'acte criminel. [Je souligne.]

De même en l'espèce, les mesures législatives attaquées jouent de façon restreinte et ne s'appliquent qu'aux personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale qui étaient accusées d'un acte criminel. De plus, le juge du procès possède un pouvoir discrétionnaire quant au lieu et aux conditions de la détention initiale.

Le dernier arrêt que je mentionnerai à cet égard est l'arrêt R. c. Luxton, [1990] 2 R.C.S. 711, dans lequel le juge en chef Lamer a conclu au nom de la majorité, aux pp. 722 et 723, que l'art. 669 du Code criminel, qui impose une période obligatoire d'emprisonnement aux accusés déclarés coupables de meurtre au premier degré, n'était pas arbitraire parce que:

. . . le Parlement a donné une définition restreinte d'une catégorie de meurtriers en vertu d'un principe directeur fondé sur la domination illégale et a défini spécifiquement les conditions auxquelles le délinquant peut être reconnu coupable de meurtre au premier degré. [. . .] On ne peut pas dire que la décision du Parlement d'assortir le meurtre au premier degré d'une peine minimale de 25 ans d'emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle est, compte tenu de toutes ces circonstances, arbitraire [. . .] La loi autorise l'emprisonnement, elle donne une définition restreinte d'une catégorie de délinquants contre qui on invoquera la peine et elle prescrit de manière très précise les conditions auxquelles un délinquant peut être reconnu coupable de meurtre au premier degré. [Je souligne.]

Il ne fait donc aucun doute que l'on doit examiner la disposition en cause dans son contexte global. Cela dit, contrairement aux affirmations du Juge en chef, les critères qui, d'après le ministère public intimé, éclairent la décision relative à la détention en vertu du par. 542(2), ne sont pas étrangers à un examen fondé sur l'art. 9. De fait, ces critères servent à catégoriser le genre d'éléments que notre Cour a jugé importants pour apprécier si le gouvernement a agi arbitrairement. "[C]ompte tenu de toutes ces circonstances" (le juge en chef Lamer dans l'arrêt Luxton, précité), et pour les motifs qu'a exprimés le juge Thorson pour la Cour d'appel à la majorité, la disposition législative attaquée ne s'applique pas arbitrairement et, par conséquent, la détention de l'appelant en l'espèce n'était pas arbitraire.

Enfin, avant de conclure, j'aimerais faire quelques brèves remarques au sujet de la législation contestée. En voulant s'attaquer à la position toute particulière de la personne acquittée pour cause d'aliénation mentale, le Parlement a mis en oeuvre un mécanisme global d'évaluation et d'examen. Une simple lecture littérale du texte du Code criminel ne donne qu'une vague idée du fonctionnement de ce mécanisme et de la complexité de son application pratique. Je n'ai pas, loin de là, la prétention d'affirmer qu'il s'agit du régime le meilleur ou le plus sophistiqué que le Parlement ait pu concevoir et il se peut que les propositions de réforme de la Commission de réforme du droit aient quelque mérite. Mais, dans le contexte des questions soulevées en l'espèce, le Parlement a fait des choix que la Constitution lui permettait de faire. Dans toute évaluation de mécanismes législatifs complexes, comme celui ici en cause, le pouvoir judiciaire se doit d'en respecter l'intégrité et de tenir compte de cette intégrité pour apprécier un système donné au regard des garanties constitutionnelles. C'est particulièrement le cas dans des situations qui, comme en l'espèce, impliquent des décisions difficiles en matière de traitement et de pronostic. En l'absence d'impératif constitutionnel, comme en l'espèce, et quelque souhaitables que puissent s'avérer certains changements, notre Cour ne saurait se comporter comme une "super‑législature" et jongler avec les pièces d'un mécanisme législatif légitime. Compte tenu de la complexité de la structure créée par le Parlement, toute velléité de réécrire la législation doit être laissée aux commissions de réforme et aux organismes législatifs.

Dispositif

Compte tenu de ce qui précède, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de répondre aux questions constitutionnelles de la manière suivante:

Question 1:Le paragraphe 542(2) du Code criminel du Canada est‑il intra vires du Parlement du Canada?

Réponse:Oui.

Question 2:Les critères de common law, énoncés par la Cour d'appel de l'Ontario, qui permettent à la poursuite de produire une preuve de l'aliénation mentale d'un accusé, violent‑ils les art. 7, 9 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse:Non, les critères de common law ne restreignent pas l'art. 7 de la Charte des droits et libertés. Il n'y a pas lieu de répondre à cette question en ce qui concerne les art. 9 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Question 3: Si la réponse à la 2e question est affirmative, les critères de common law, énoncés par la Cour d'appel de l'Ontario, qui permettent à la poursuite de produire une preuve de l'aliénation mentale d'un accusé, sont‑ils justifiés par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et donc compatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Réponse:Il n'y a pas lieu de répondre à cette question.

Question 4: Le pouvoir que confère la loi de détenir une personne déclarée non coupable en raison de son aliénation mentale conformément au par. 542(2) du Code criminel du Canada, viole‑t‑il les art. 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse:Non.

Question 5:Si la réponse à la 4e question est affirmative, le pouvoir que confère la loi de détenir une personne déclarée non coupable en raison de son aliénation mentale conformément au par. 542(2) du Code criminel du Canada, est‑il justifié par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Réponse:Il n'y a pas lieu de répondre à cette question.

Pourvoi accueilli, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente. Les réponses aux questions constitutionnelles sont les suivantes: (1) le par. 542(2) du Code criminel est intra vires, (2) les critères de common law restreignent l'art. 7 de la Charte — il n'est pas nécessaire de répondre au sujet des art. 9 et 15 de la Charte -- et (3) ne sont pas justifiés en vertu de l'article premier, (4) le par. 542(2) du Code criminel viole les art. 7 et 9 de la Charte et (5) il n'est pas justifié en vertu de l'article premier.

Procureurs de l'appelant: Ruby & Edwardh, Toronto.

Procureur de l'intimée: Le procureur général de l'Ontario, Toronto.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: John C. Tait, Ottawa.

Procureurs de l'intervenante la Commission d'examen du lieutenant‑gouverneur de l'Ontario: Hughes, Amys, Toronto.

Procureurs des intervenants le Conseil canadien des droits des personnes handicapées, l'Association canadienne pour la santé mentale et l'Association canadienne pour l'intégration communautaire: British Columbia Public Interest Advocacy Centre, Vancouver.

*Juge en chef à la date du jugement.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli. les réponses aux questions constitutionnelles sont les suivantes

Analyses

Droit constitutionnel - Compétence - Partage des compétences - Personne acquittée pour cause d'aliénation mentale devant être détenue sous garde rigoureuse jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur soit connu - Disposition qui vise à protéger la société et non à punir la personne - Traitement relevant de la responsabilité de la province - La disposition est‑elle ultra vires? - Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27) - Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 542(2).

Droit constitutionnel - Charte des droits - Droit à la liberté - Justice fondamentale - Emprisonnement arbitraire - Égalité devant la loi - Aliénation mentale soulevée par le ministère public contre le gré de la défense - Les critères de common law qui permettent au ministère public de produire des éléments de preuve de l'aliénation mentale de l'accusé violent‑ils les art. 7, 9, et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés? - Si oui, les critères de common law sont‑ils justifiés en vertu de l'article premier? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 9, 15.

Droit criminel - Moyens de défense - Droit de l'accusé de mener sa défense comme il l'entend - Aliénation mentale soulevée par le ministère public contre le gré de la défense - Les critères de common law qui permettent au ministère public de produire des éléments de preuve de l'aliénation mentale de l'accusé violent‑ils les art. 7, 9, et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés? - Si oui, les critères de common law sont‑ils justifiés en vertu de l'article premier? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 9, 15.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Droit à la liberté - Justice fondamentale - Emprisonnement arbitraire - Le pouvoir que confère la loi de détenir une personne déclarée non coupable pour cause d'aliénation mentale conformément à l'art. 542(2) du Code criminel, viole‑t‑il les art. 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés? - Si oui, les critères de common law sont‑ils justifiés en vertu de l'article premier de la Charte? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 9 - Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 542(2).

Droit criminel - Aliénation mentale - Pouvoir conféré par la loi de détenir une personne déclarée non coupable pour cause d'aliénation mentale - Charte des droits - Droit à la liberté - Justice fondamentale - Emprisonnement arbitraire - Le pouvoir conféré par la loi viole‑t‑il les art. 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés? - Si oui, ce pouvoir est‑il justifié en vertu de l'article premier de la Charte? - Charte canadienne des droits et libertés art. 1, 7, 9 - Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 542(2).

L'appelant a été arrêté et accusé de voies de fait et de voies de fait graves et il a été transféré de la prison à un centre de traitement psychiatrique pour les criminels atteints d'aliénation mentale. Son état s'est rapidement amélioré grâce à des médicaments et il a été remis en liberté dans la société sous certaines conditions. L'appelant est retourné en prison pour un bref séjour et peu après il a été mis en liberté sous caution assortie de conditions. Il est demeuré en liberté sous caution jusqu'au 10 juin 1985 et il a continué de prendre ses médicaments et de consulter un psychiatre.

Au procès, le ministère public a cherché à produire une preuve relative à l'aliénation mentale de l'accusé au moment de l'infraction, ce à quoi l'appelant s'est opposé. Après un voir‑dire, le juge du procès a conclu que le ministère public pouvait présenter ce genre de preuve. L'appelant a été déclaré non coupable pour cause d'aliénation mentale relativement à tous les chefs d'accusation. L'avocat de la défense a alors demandé que le par. 542(2) du Code criminel (maintenant l'art. 614), qui prévoit la détention automatique d'une personne acquittée pour cause d'aliénation mentale au bon plaisir du lieutenant‑gouverneur, soit déclaré invalide parce qu'il viole la Charte canadienne des droits et libertés. Le juge a conclu que le par. 542(2) ne portait pas atteinte aux droits reconnus par la Constitution à l'appelant et il a ordonné que l'appelant soit tenu sous une garde rigoureuse, jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur soit connu. L'appelant a interjeté appel et demandé d'être mis en liberté sous caution jusqu'à l'issue de l'appel. Cette demande a été ajournée afin de permettre un examen rapide du cas de l'accusé par la commission d'examen qui conseille le lieutenant‑gouverneur relativement à la détention des personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale. Le lieutenant‑gouverneur a délivré un mandat ordonnant la mise sous bonne garde de l'appelant dans un hôpital psychiatrique à des fins d'évaluation dont il devait être fait rapport à la commission d'examen dans les trente jours. En conséquence, ni l'appelant ni son avocat n'ont été informés au préalable de cette décision et ils n'ont pas pu présenter d'observations en rapport avec cette décision.

L'appelant a été envoyé dans un hôpital psychiatrique pendant trente jours pour examen et évaluation. La commission d'examen a procédé à un examen comme le prévoit l'art. 547 du Code. L'appelant et son avocat étaient présents. La commission a recommandé au lieutenant‑gouverneur que l'appelant soit mis sous bonne garde et que l'administrateur de l'établissement où il serait détenu ait le pouvoir discrétionnaire de permettre sa réinsertion dans la société, sous réserve des conditions relatives à la surveillance et au suivi du traitement. Peu de temps après, le lieutenant‑gouverneur a délivré un mandat selon ces recommandations.

L'avocat de l'appelant a demandé l'autorisation de comparaître et de présenter des observations devant le lieutenant‑gouverneur au moment de l'étude de la recommandation de la commission. Cette demande n'a pas été accordée. Ce n'est qu'après la délivrance du mandat du lieutenant‑gouverneur pour le maintien en détention de l'appelant que la recommandation du Conseil de révision a été communiquée à son avocat.

La Cour d'appel de l'Ontario, à la majorité, a rejeté l'appel.

Les questions constitutionnelles soulevées par l'espèce sont: (1) le paragraphe 542(2) du Code criminel est‑il intra vires? (2) les critères de common law, qui permettent à la poursuite de produire une preuve de l'aliénation mentale d'un accusé, violent‑ils les art. 7, 9, et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés? (3) si oui, les critères de common law sont‑ils justifiés par l'article premier de la Charte? (4) le pouvoir que confère la loi de détenir une personne déclarée non coupable en raison de son aliénation mentale conformément au par. 542(2) du Code criminel, viole‑t‑il les art. 7 et 9 de la Charte? et (5) si oui, ce pouvoir est‑il justifié par l'article premier de la Charte?

Arrêt (Le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente): Le pourvoi est accueilli. Les réponses aux questions constitutionnelles sont les suivantes: (1) le par. 542(2) du Code criminel est intra vires, (2) les critères de common law restreignent l'art. 7 de la Charte — il n'est pas nécessaire de répondre au sujet des art. 9 et 15 de la Charte — et (3) ne sont pas justifiés en vertu de l'article premier, (4) le par. 542(2) du Code criminel viole les art. 7 et 9 de la Charte et (5) il n'est pas justifié en vertu de l'article premier.

Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et Cory:

1. La présentation d'une preuve d'aliénation mentale par le ministère public, contre le gré de l'accusé, viole‑t‑elle la Charte?

La règle de common law qui permet au ministère public de présenter un preuve d'aliénation mentale contre le gré de l'accusé, viole l'art. 7 de la Charte. Puisque la question en litige relève, de manière générale, de l'art. 32, la Charte s'applique aux règles de common law.

Puisque, pour invoquer l'art. 7, il faut démontrer qu'il y a atteinte, réelle ou potentielle à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne, il s'agit alors de déterminer si l'atteinte à la liberté ou à la sécurité de la personne est conforme aux principes de justice fondamentale. Il est évident que la question de la liberté est en cause en l'espèce.

Les principes de justice fondamentale reposent sur un système accusatoire et contradictoire de justice criminelle fondé sur le respect de l'autonomie et de la dignité humaines. Il faut également, en vertu des principes de justice fondamentale, qu'un accusé ait le droit de contrôler la conduite de sa propre défense. Un accusé ne sera pas en mesure de choisir s'il doit ou non présenter un moyen de défense fondé sur l'aliénation mentale lors de son procès à moins qu'il ne soit apte à subir ce procès. Si, à tout moment avant le verdict, la question de la capacité de l'accusé de conduire sa propre défense est soulevée, le juge du procès peut ordonner que cette question soit tranchée avant d'aller plus loin. Ainsi, l'accusé qui n'a pas été jugé incapable de subir son procès doit être considéré comme capable de conduire sa propre défense.

La défense d'aliénation mentale constitue une exemption de responsabilité pénale fondée sur l'incapacité de former une intention criminelle. La question de savoir s'il y a lieu ou non de soulever cette exemption pour faire obstacle à la culpabilité criminelle fait partie intégrante de la conduite générale de la défense de l'accusé.

Le pouvoir du ministère public de présenter une preuve d'aliénation mentale, contre le gré de l'accusé, entrave le contrôle de l'accusé sur la conduite de sa propre défense. Le simple fait que le ministère public puisse soulever un moyen de défense que l'accusé n'a pas l'intention d'employer, et ainsi donner lieu à un verdict spécial que l'accusé ne désirait pas, signifie que l'accusé a perdu un certain degré de contrôle sur la conduite de sa propre défense. Le pouvoir du ministère public de soulever indépendamment la question de l'aliénation mentale pourrait très bien empêcher l'accusé de faire valoir d'autres moyens de défense et réduire sa crédibilité de façon irrémédiable.

Bien que le droit d'un accusé de contrôler sa défense soit un principe de justice fondamentale, ce droit n'est pas "absolu". Lorsque la preuve même de l'accusé tend à mettre en doute sa capacité mentale de former une intention criminelle, le ministère public aura le droit de présenter sa propre preuve d'aliénation mentale et le juge du procès sera fondé à donner des directives au jury relativement à l'art. 16 du Code. Il appartiendra au juge du procès de déterminer, dans les circonstances particulières de chaque espèce, si la preuve de l'accusé, en fait, met en cause la capacité mentale de former une intention criminelle.

La règle de common law contrevient à un principe de justice fondamentale parce qu'elle ne limite pas le ministère public à ne soulever l'aliénation mentale que lorsque la défense de l'accusé met en cause sa capacité mentale de former une intention criminelle, mais lui permet de le faire contre le gré de l'accusé.

Il n'est pas acceptable que l'État puisse contrecarrer l'exercice du droit de l'accusé en tentant de faire jouer les intérêts de la société dans l'application des principes de justice fondamentale, et restreindre ainsi les droits reconnus à l'accusé par l'art. 7. Les intérêts de la société doivent entrer en ligne de compte dans l'application de l'article premier de la Charte, lorsqu'il incombe au ministère public de démontrer que la justification de la règle de droit attaquée peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Il n'y a pas lieu de déterminer si la règle de common law restreint également les droits prévus aux art. 9 et 15 de la Charte, à moins que la restriction à l'art. 7 ne puisse être jugée acceptable par l'application de l'article premier.

Puisque le présent pourvoi comporte une contestation fondée sur la Charte d'une règle de common law, formulée par les tribunaux, l'analyse de la Charte fait intervenir des considérations différentes de celles qui s'appliquent à la contestation d'une disposition législative. Il n'était pas strictement nécessaire d'examiner l'application de l'article premier après avoir conclu que la règle de common law actuelle restreint le droit garanti par l'art. 7 de la Charte. Il conviendrait de déterminer, à ce stade‑ci, s'il est possible de formuler une autre règle de common law qui ne serait pas contraire aux principes de justice fondamentale. S'il est possible de reformuler une règle de common law de façon qu'elle ne s'oppose pas aux principes de justice fondamentale, il faudrait le faire. Évidemment, s'il n'était pas possible de reformuler la règle de common law de sorte qu'il n'y ait pas violation d'une liberté ou d'un droit protégé par la Constitution, la Cour devrait alors déterminer si la règle de common law peut être maintenue parce qu'elle constitue une limite raisonnable en vertu de l'article premier de la Charte.

Dans un pourvoi où elle doit examiner, en vertu de l'article premier, une règle de common law formulée par les tribunaux, notre Cour doit déterminer l'objectif général de cette règle de common law. En l'espèce, l'objectif de la règle comporte deux volets: (1) éviter que l'accusé soit traité de façon inéquitable, mais aussi protéger l'intégrité du système de justice criminelle en évitant qu'un accusé souffrant d'aliénation mentale soit déclaré coupable, et (2) protéger le public contre les personnes dangereuses à l'heure actuelle et qui devraient être hospitalisées. Ces objectifs se rapportent à des préoccupations urgentes et réelles dans notre société et sont suffisamment importants pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution.

Il existe un lien rationnel entre les objectifs et les mesures choisies pour les atteindre. Permettre au ministère public de produire une preuve d'aliénation mentale lorsque l'accusé a choisi de ne pas le faire est une façon d'éviter la déclaration de culpabilité de personnes qui étaient aliénées au moment où l'infraction a été commise, mais qui ne désirent pas soulever la question de l'aliénation mentale. C'est aussi une façon de protéger le public contre des personnes qui sont peut‑être dangereuses à l'heure actuelle. Bien que ces méthodes d'atteindre le premier objectif puissent présenter certains problèmes et ne soient peut‑être pas idéales, elles constituent tout de même un moyen logique d'atteindre les objectifs souhaités.

En raison de la retenue judiciaire, le législateur ne doit pas toujours adopter les mesures les moins envahissantes pour atteindre ses objectifs, mais il doit choisir dans un éventail de mesures qui portent le moins possible atteinte aux droits garantis par la Charte. La retenue judiciaire n'entre pas en jeu cependant lorsqu'une règle de common law formulée par les tribunaux, est contestée en vertu de la Charte. La cour doit adopter la règle de common law la moins envahissante, celle qui permettra d'atteindre les objectifs visés sans avoir une incidence disproportionnée sur les droits en cause.

Le double objectif susmentionné pourrait être atteint sans restreindre indûment les droits garantis par la Charte si la règle de common law actuelle était remplacée par une règle qui permettrait au ministère public de ne soulever indépendamment la question de l'aliénation mentale qu'après que le juge des faits a conclu que l'accusé est par ailleurs coupable de l'infraction reprochée. Sous ce régime, le tribunal pourrait juger de la question de l'aliénation mentale après avoir conclu à la culpabilité, mais avant d'inscrire la déclaration de culpabilité. Si le juge des faits concluait par la suite que l'accusé était aliéné au moment de l'infraction, le verdict de non‑culpabilité pour cause d'aliénation mentale serait inscrit. À l'inverse, si le juge des faits concluait que l'accusé n'était pas aliéné, au sens de l'art. 16, au moment de l'infraction, une déclaration de culpabilité serait inscrite.

Cette règle protégerait le droit de l'accusé de contrôler sa défense et permettrait d'atteindre tant l'objectif visant à éviter la déclaration de culpabilité d'une personne qui était aliénée au moment de l'infraction que l'objectif visant à protéger le public contre une personne qui peut être dangereuse à l'heure actuelle. Il est bien entendu qu'en vertu de ce régime, l'accusé pourrait également invoquer son droit garanti par l'art. 7 de ne pas être reconnu coupable s'il était aliéné au moment de l'infraction. L'accusé pourrait, s'il ne l'a pas déjà fait, soulever la question de l'aliénation mentale après que le juge des faits a conclu qu'il est coupable de l'infraction reprochée, mais avant qu'un verdict de culpabilité ne soit inscrit. Ce serait compatible avec le droit de l'accusé, en vertu de notre système de justice criminelle, d'obliger le ministère public à s'acquitter de tout son fardeau de la preuve de l'actus reus et de la mens rea avant de soulever d'autres questions. Cependant, cela ne signifie pas que l'accusé ne peut soulever la question de l'aliénation mentale qu'après que l'actus reus et la mens rea ont tous deux été démontrés en preuve. Le ministère public ne pourrait soulever la preuve d'aliénation mentale qu'une fois le juge des faits convaincu que l'on s'est acquitté de tout le fardeau de la preuve de l'actus reus et de la mens rea ou après que la propre défense de l'accusé aurait d'une manière ou d'une autre mis en cause sa capacité mentale de former une intention criminelle, tandis que l'accusé pourrait le faire en tout temps au cours du procès. La preuve d'un déséquilibre mental peut, dans certains cas, écarter la mens rea. Si, au cours d'un procès, l'accusé présente une preuve de déséquilibre mental qui (de l'avis du juge du procès) tend à mettre sa capacité mentale en cause, le ministère public aura le droit de présenter la preuve d'aliénation mentale et le juge du procès pourra donner au jury des directives sur la défense d'aliénation mentale au sens de l'art. 16. Cependant, si, de l'avis du juge des faits, cette preuve de la déficience mentale ne répond pas aux exigences de l'art. 16, l'accusé aura encore le droit de voir cette preuve examinée en rapport avec l'élément essentiel que constitue la mens rea. Cela serait conforme à la pratique actuelle qui permet à l'accusé de nier l'élément de préméditation ou l'intention spécifique nécessaire à l'infraction de meurtre même si les exigences de l'art. 16 n'ont pas été réunies. Cette nouvelle règle de common law donnerait à l'accusé la possibilité d'attendre que le ministère public se soit acquitté de tout son fardeau de la preuve avant de présenter la question de l'aliénation mentale, sans pour autant enlever à l'accusé le droit déjà existant de présenter la preuve de sa condition mentale au cours du procès.

Puisqu'il est possible de formuler une règle de common law qui permette d'atteindre les objectifs initiaux, sans restreindre l'art. 7, on ne peut considérer que la règle actuelle porte "le moins possible" atteinte aux droits garantis. Il n'y a donc pas lieu d'examiner le troisième élément du critère de proportionnalité de l'arrêt Oakes.

La nouvelle règle de common law qui remplace celle qui vient à peine d'être annulée doit être examinée en fonction de tous les aspects pertinents de la Charte et seul l'art. 15 est directement applicable à cette nouvelle règle. (L'article 9 ne s'applique pas à la question de la production d'une preuve d'aliénation mentale par le ministère public.)

La cour doit d'abord déterminer si le plaignant a démontré que l'un des quatre droits fondamentaux à l'égalité a été violé (i.e. l'égalité devant la loi, l'égalité dans la loi, la même protection de la loi et le même bénéfice de la loi). Cette analyse portera surtout sur la question de savoir si la loi fait (intentionnellement ou non) entre le plaignant et d'autres personnes une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles. Ensuite, la cour doit établir si la violation du droit donne lieu à une "discrimination". Cette seconde analyse portera en grande partie sur la question de savoir si le traitement différent a pour effet d'imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres. De plus, la cour doit considérer si la caractéristique personnelle en cause est visée par les motifs énumérés dans cette disposition ou un motif analogue, afin de s'assurer que la plainte correspond à l'objectif général de corriger ou empêcher la discrimination contre des groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux dans la société canadienne.

Un aspect de la nouvelle règle de common law fait une distinction entre les individus, fondée sur la caractéristique personnelle qu'est la déficience mentale. Si le ministère public estime que l'accusé était aliéné au moment de l'infraction, l'accusé ne sera pas reconnu coupable et il devra plutôt subir un procès sur la question de l'aliénation mentale (au cours duquel le ministère public pourra produire sa preuve d'aliénation mentale contre le gré de l'accusé). Cet aspect de la nouvelle règle de common law n'impose pas le fardeau ou le désavantage que représenterait une intervention dans la conduite de la défense de l'accusé. Il fait plutôt une distinction entre les accusés en ce que certains accusés sont soustraits au processus de déclaration de culpabilité et de détermination de la peine; ils sont plutôt soumis à un examen de la question de l'aliénation mentale afin de déterminer s'ils devraient être reconnus coupables eux aussi ou s'il devraient être assujettis au système de mandats du lieutenant‑gouverneur. Toute autre différence de traitement (i.e. entre les personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale et les autres personnes acquittées) tient aux dispositions du Code prévoyant ce système, et non à la nouvelle règle de common law.

On ne saurait considérer une règle permettant au ministère public de faire passer un individu de la catégorie de personnes qui seront certainement déclarées coupables et se verront infliger une peine, au groupe de personnes qui seront peut‑être acquittées, quoique pour cause d'aliénation mentale, comme imposant un fardeau ou un désavantage à cet individu. Bien qu'un aspect de la nouvelle règle de common law donne lieu à un traitement différent dans la loi, fondé sur une caractéristique personnelle, elle n'entraîne pas une "discrimination". La nouvelle règle de common law ne contrevient donc pas au par. 15(1) de la Charte. Les parties n'ont pas présenté d'argument visant à déterminer si le par. 15(1) s'appliquait à la nouvelle règle, mais les présents motifs ne sauraient empêcher une contestation future en vertu du par. 15(1).

2.Le paragraphe 542(2) du Code criminel du Canada est‑il intra vires du Parlement du Canada?

Les dispositions relatives à l'aliénation mentale relèvent de l'aspect préventif du pouvoir en matière de droit criminel prévu au par. 91(27). Elles ne s'appliquent qu'aux personnes dont les actes sont prohibés par le Code criminel et le système des mandats du lieutenant‑gouverneur protège la société parce qu'il vise à prévenir la répétition de comportements criminels et dangereux. La protection de la société est clairement l'un des buts du droit criminel.

Le fait que les dispositions relatives au renvoi sous garde ne soient pas conçues pour punir la personne acquittée ne mène pas inéluctablement à la conclusion que leur objet est le traitement et qu'elles excèdent la compétence du Parlement en matière de droit criminel. Le traitement n'est pas prescrit par les dispositions contestées. Il ne constitue que le moyen d'atteindre l'objet de ces dispositions qu'est la protection de la société.

Le "traitement" au sens étroit relève des pouvoirs attribués aux provinces. Cependant, le Parlement ne perd pas sa compétence législative en répondant à une conduite criminelle d'une manière qui favorise davantage la réinsertion. La préoccupation du Parlement à l'égard des droits individuels lui donne également compétence pour légiférer quant à la procédure d'examen des mandats du lieutenant‑gouverneur. Il est certes possible que l'adoption de ces dispositions ne soit pas entièrement justifiée par le motif de la protection de la société, mais il ne fait pas de doute que le Parlement peut, en soupesant les droits individuels et la nécessité de protéger la société, prévoir une certaine forme d'examen. À mesure que s'amenuise le danger que présentait l'individu pour la société, le droit criminel perd progressivement son emprise et les aspects coercitifs du mandat sont assouplis jusqu'au jour où l'individu est libéré de toute surveillance sous l'empire du Code criminel.

3.La détention automatique, aux termes du par. 542(2) du Code criminel du Canada, d'une personne déclarée non coupable en raison de son aliénation mentale viole‑t‑elle la Charte canadienne des droits et libertés?

La détention automatique exigée par le par. 542(2) porte atteinte au droit de l'appelant à la liberté. Il ne suffit pas de donner une interprétation large à ces dispositions pour que soit respectée l'équité en matière de procédure qu'exigent les principes de justice fondamentale.

Lorsque la disposition confère un pouvoir discrétionnaire précis qui restreint un droit ou une liberté garantis par la Charte on peut conclure qu'elle constitue une violation et que le tribunal doit alors procéder à l'examen en regard de l'article premier.

Le paragraphe 542(2) ne confère pas un pouvoir discrétionnaire imprécis au juge du procès. Au contraire, il exige qu'il agisse toujours de manière à enfreindre les droits que garantit l'art. 7 à la personne acquittée pour cause d'aliénation mentale. L'ordonnance de "garde rigoureuse" est donc rendue automatiquement tout de suite après le procès et avant toute audience sur la question de l'état mental actuel. Il ne suffirait pas en l'espèce à notre Cour d'interpréter largement le texte législatif pour y inclure les garanties procédurales qui le rendraient conforme aux exigences constitutionnelles.

Les exigences procédurales de l'art. 7 de la Charte ne sont pas satisfaites par les art. 545 et 547. À supposer, sans en décider, que ces dispositions subséquentes soient conformes aux principes de justice fondamentale, aucune audience ni aucun examen ultérieurs ne sauraient changer le fait que le renvoi initial sous garde est ordonné par le juge du procès, en vertu du par. 542(2), sans qu'il y ait eu possibilité d'une audience.

Les exigences constitutionnelles ne sont pas satisfaites par l'équité en matière de procédure assurée au cours du procès lui‑même. Les garanties dont l'accusé a pu jouir pendant son procès ne peuvent le protéger dans le processus de renvoi sous garde postérieur à l'acquittement.

L'article 9 est une illustration de ce que prévoit l'art. 7, et vu qu'en l'espèce le point central des arguments de fond relatifs à l'art. 7 est le caractère arbitraire de la détention, il suffira d'examiner l'art. 9.

Les problèmes de fond que comporte le texte législatif restreignent le droit de l'appelant à la protection contre la détention arbitraire garanti par l'art. 9 de la Charte. L'obligation du juge du procès d'ordonner la détention n'est assujettie à aucune norme que ce soit.

On peut trouver les critères d'application du par. 542(2) dans le régime législatif et la jurisprudence mais, même si l'ordonnance de détention obligatoire ne vise que les personnes qui remplissent ces critères, elle n'est pas moins arbitraire dans la façon dont elle s'applique à leur égard. En effet, ces personnes ne sont pas toutes dangereuses. Parce qu'il oblige le juge du procès à ordonner automatiquement la garde rigoureuse, sans qu'il puisse se fonder sur aucun critère ou aucune norme et avant la tenue d'une forme quelconque d'audience sur la question de la condition mentale présente de l'accusé, le par. 542(2) porte atteinte aux droits que possède l'appelant en vertu des art. 7 et 9 de la Charte.

L'objectif du par. 542(2) répond effectivement à des préoccupations "urgentes et réelles". Cet objectif est la protection du public et la prévention du crime par le biais de la détention, en attendant la décision du lieutenant‑gouverneur, des personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale qui constituent encore un danger parce qu'elles sont toujours aliénées.

Le fait qu'aucune audience ne soit prévue au par. 542(2) porte atteinte, de façon incompatible avec les principes de justice fondamentale, au droit à la liberté de l'appelant prévu à l'art. 7. La protection que lui garantit l'art. 9 contre la détention arbitraire est restreinte parce que l'exercice du pouvoir du juge du procès d'ordonner la détention ne repose sur aucun critère.

Le postulat voulant que les personnes déclarées non coupables en raison de leur aliénation mentale constituent une menace pour la société peut, certes, être rationnel, mais il n'est pas toujours valable. La violence passée et les troubles mentaux antérieurs des personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale n'indiquent pas forcément une plus grande probabilité de conduite dangereuse dans l'avenir. Il reste qu'il existe un lien rationnel entre l'objectif et le moyen utilisé. En ordonnant la détention de tous les prévenus acquittés pour cause d'aliénation mentale en attendant la décision du lieutenant‑gouverneur, le Parlement s'assure que la société sera protégée contre ceux qui sont dangereux.

Peu importe la durée réelle de la période écoulée entre le jugement du tribunal et la délivrance d'un mandat du lieutenant‑gouverneur dans un cas donné, le par. 542(2) ne répond pas à l'exigence d'atteinte minimale que comporte le critère de proportionnalité et il est en conséquence inopérant. La nature indéterminée de l'ordonnance de garde rigoureuse rendue en vertu du par. 542(2) porte atteinte au droit à la liberté (de façon non conforme aux principes de justice fondamentale) dans une mesure inacceptable.

Il y aura toujours un laps de temps entre l'acquittement pour cause d'aliénation mentale et la décision de libérer ou de détenir le prévenu en vertu d'un mandat du lieutenant‑gouverneur vu la nécessité de procéder à l'examen de la condition mentale et de la dangerosité actuelles avant la mise en liberté et vu la nature des questions à trancher. La détention automatique par suite d'un acquittement pour cause d'aliénation est donc, dans une certaine mesure, une codification d'une réalité pratique. Les personnes acquittées en raison de leur aliénation mentale, immédiatement soumises à une ordonnance de détention, ne constituent plus, à court terme, un danger pour la société. De plus, s'il résulte de l'observation de l'individu en clinique des prédictions plus exactes quant à la possibilité de récurrence de la maladie mentale, la prévention du crime et la protection de la société seront assurées pour l'avenir.

Cependant, les prévenus acquittés pour cause d'aliénation mentale ne devraient être détenus que le temps nécessaire pour déterminer si leur aliénation les rend toujours dangereux. Comme le par. 542(2) prévoit une détention pour une période indéterminée, il ne satisfait pas à l'aspect atteinte minimale du critère de l'arrêt Oakes et la restriction de l'application de l'art. 7 ne saurait être justifiée.

L'ordonnance du juge du procès ne perdrait pas son caractère arbitraire si elle était valable que pour une période limitée. L'effet qu'aurait sur un individu une période de détention automatique et arbitraire, ne reposant sur aucun critère, n'est pas nécessairement sans proportion avec l'importance de l'objectif poursuivi. Cependant, le moyen choisi par le Parlement au par. 542(2), savoir une période de détention indéterminée, contribue à mon avis à faire pencher la balance et à rendre l'effet de la restriction disproportionné à l'objectif. Le paragraphe 542(2) ne saurait donc satisfaire au critère de l'arrêt Oakes et, partant, ne saurait non plus être justifié, en regard de l'art. 9 de la Charte.

En raison des conséquences graves qu'entraînerait l'invalidation du par. 542(2), celui‑ci jouira d'une période de validité temporaire de six mois. Pendant cette période, toutefois, toute détention ordonnée en vertu du par. 545(2) sera limitée à 30 jours dans la plupart des cas, ou à 60 jours au maximum si le ministère public établit qu'un délai plus long est nécessaire dans les circonstances de l'espèce. Les tribunaux pourront choisir de limiter à une période de 30 à 60 jours les ordonnances qu'ils prononceront sous l'empire du par. 542(2). À défaut, chaque personne acquittée pourra recourir au bref d'habeas corpus après 30 jours.

Les juges La Forest et Gonthier: Souscrivent pour l'essentiel aux motifs du juge en chef Lamer. Il n'est pas nécessaire d'évaluer la conformité de la règle de common law actuelle avec la Charte, selon les critères de l'arrêt Oakes, car ni le principe relatif à la liberté de l'accusé de mener sa défense ni celui de la santé mentale comme élément essentiel de la responsabilité criminelle ne l'emporte sur l'autre. L'un et l'autre doivent être appliqués dans toute la mesure du possible. Le principe relatif à la santé mentale, que l'art. 16 du Code criminel prescrit de façon impérative, relève de l'intégrité du système de justice lui‑même. Il doit donc compter pour déterminer s'il y a eu violation de la justice fondamentale. Bien qu'un accusé puisse choisir de ne pas invoquer ce principe dans l'exercice de son droit de mener sa défense comme il l'entend, il incombe quand même au système de justice d'en assurer le respect. Il ne lui est pas loisible d'en écarter les conséquences.

S'en remettre au pouvoir discrétionnaire de poursuivre pour assurer le respect du principe que la santé mentale est une condition essentielle de la responsabilité criminelle équivaut à substituer ce pouvoir discrétionnaire à une décision judiciaire et écarte le recours en justice. Il faut que le procès lui‑même permette de reconnaître et de mettre en oeuvre ce principe.

Les juges La Forest et Gonthier souscrivent aux autres motifs et conclusions du juge en chef Lamer, y compris ce qui concerne la règle actuelle et la nouvelle règle de common law.

Le juge Wilson: Bien qu'il constitue un exercice valide du pouvoir fédéral en matière de droit criminel, le par. 542(2) du Code criminel porte atteinte aux droits que les art. 7 et 9 de la Charte garantissent à un accusé et il n'est pas sauvegardé par l'article premier. Il y a accord avec les motifs du juge en chef Lamer sous la réserve que les pouvoirs discrétionnaires conférés par la loi ne devraient pas être interprétés de manière à faire en sorte qu'ils soient conformes à la Charte en se fondant sur une présomption de constitutionnalité.

Il est inutile de traiter des art. 9 et 15 de la Charte puisque la règle de common law porte atteinte au droit à la liberté que confère l'art. 7 à l'accusé parce qu'elle lui enlève le contrôle de ses propres moyens de défense contrairement aux principes de justice fondamentale. Permettre au ministère public de présenter une preuve d'aliénation mentale contre le gré de l'accusé équivaut à admettre une atteinte trop importante au droit fondamental d'un accusé de présenter les moyens de défense qui, à son avis, sont dans son meilleur intérêt et de renoncer à ceux qu'il considère ne pas l'être. Cela pourrait fausser complètement le procès en raison de l'effet que cela peut avoir sur les autres moyens de défense soulevés par l'accusé, sur l'évaluation par le jury de sa crédibilité et sur le rôle traditionnel joué par l'avocat de la défense dans un système contradictoire.

Selon un précepte fondamental de notre système de justice criminelle, les personnes souffrant d'aliénation mentale ne doivent pas être déclarées coupables d'infractions criminelles, mais permettre à la poursuite d'introduire au procès une preuve d'aliénation mentale ne valorise pas toujours ce principe ni ne le fait valoir d'une manière conforme aux principes de justice fondamentale. Cela peut faire échouer complètement la stratégie adoptée par la défense et priver l'accusé de ses chances d'acquittement sans condition. L'accusé peut en subir des effets plus néfastes pour lui qu'une déclaration de culpabilité. L'intérêt de la société à veiller à ce que les personnes qui ne sont pas criminellement responsables ne soient pas déclarées coupables ne peut l'emporter sur le droit d'un accusé de contrôler ses propres moyens de défense et de renoncer à la défense d'aliénation mentale si c'est dans son intérêt. Si, librement et en pleine connaissance des choix possibles et des conséquences, un accusé renonce à la défense d'aliénation mentale, alors le tribunal ne peut de lui‑même l'imposer.

L'objectif voulant que les personnes souffrant d'aliénation mentale ne soient pas déclarées coupables d'infractions criminelles a suffisamment d'importance pour justifier une dérogation à un droit garanti par la Constitution, et permettre au ministère public de soulever la question de l'aliénation mentale au cours du procès constitue un moyen rationnel pour atteindre cet objectif. Cependant, pour veiller à ce que l'aliéné ne soit pas déclaré coupable, il existe d'autres moyens qui ne portent pas aussi gravement atteinte aux droits que l'art. 7 confère à un accusé. La présente règle de common law ne peut constituer une limite raisonnable en raison de l'effet important qu'elle a sur la stratégie de la défense et sur le rôle de l'avocat de la défense.

La retenue judiciaire n'a pas sa place dans l'examen d'une règle de common law: il incombe directement à la cour de faire des "choix difficiles".

L'État agit en l'espèce à titre d'"adversaire singulier" qui cherche à restreindre les intérêts de l'accusé à l'égard de l'art. 7. Si une limite imposée au droit garanti par l'art. 7 résulte de la violation des principes de justice fondamentale, l'examen prend fin et il n'est pas nécessaire d'examiner l'application de l'article premier.

Si, en appliquant le volet de l'atteinte minimale du critère énoncé dans l'arrêt Oakes, la cour tente d'élaborer une nouvelle règle de common law, cette nouvelle règle doit satisfaire à tous les critères constitutionnels. Elle doit également être conforme aux dispositions du Code criminel. Aux termes de l'al. 16a) du Code, l'état de la santé mentale de l'accusé doit être vérifié à un certain moment avant qu'une déclaration de culpabilité soit inscrite. Permettre au ministère public de soulever la question de l'aliénation mentale au cours du procès, même si cette permission est conditionnelle, entraîne toujours la violation du droit de l'accusé de contrôler ses moyens de défense. Cette règle ne pourra pas non plus répondre au critère de l'atteinte minimale de l'arrêt Oakes parce que, bien que ce soit un moyen moins envahissant d'atteindre l'objectif du gouvernement, ce n'est pas le moyen le moins envahissant.

Accorder à la poursuite le droit conditionnel de soulever la question de l'aliénation mentale au cours du procès porte atteinte aux droits à l'égalité des déficients mentaux garantis à l'art. 15 de la Charte. Cela prive, et ce, de façon discriminatoire, les déficients mentaux, un groupe de notre société qui a souffert de stéréotypes et a toujours été défavorisé, du contrôle de leurs moyens de défense qui est accordé aux autres accusés. Enlever aux déficients mentaux l'autonomie de prendre leurs propres décisions vient renforcer le stéréotype voulant qu'ils soient incapables de penser de façon rationnelle et de s'occuper de leurs propres intérêts. Le droit conditionnel de la poursuite ne sera acceptable du point de vue constitutionnel que si l'on peut démontrer qu'il n'existe aucune autre solution qui permette d'atteindre le même objectif sans restreindre les droits conférés à l'accusé par les art. 7 et 15, ou du moins en leur imposant des limites sensiblement moins importantes.

La question de l'aliénation mentale de l'accusé devrait être soulevée à la conclusion du procès dans les cas où les moyens de défense présentés par l'accusé ont été rejetés et où les éléments essentiels de l'infraction ont été établis par la poursuite hors de tout doute raisonnable. À ce stade, l'une ou l'autre partie devrait être libre de soulever la question de l'aliénation mentale de l'accusé. Cette position respecte le droit de l'accusé de renoncer à la défense d'aliénation mentale et elle fait en sorte que tout préjudice qu'il pourrait subir en raison de la déclaration de culpabilité découle de sa propre décision de ne pas se prévaloir de ce moyen de défense et non du fait que la poursuite a soulevé la question au milieu du procès.

Restreindre le droit du ministère public en ne l'autorisant pas à présenter la question de l'aliénation mentale avant que l'accusé ait été déclaré coupable peut avoir pour effet que certains accusés qui, en fait, souffrent d'aliénation mentale seront acquittés et échapperont ainsi totalement à l'incarcération prévue au Code criminel. L'incarcération de ces personnes dans des établissements pour les criminels souffrant d'aliénation mentale n'est requise ni par les principes de justice fondamentale ni par le Code criminel. Le risque qu'un criminel souffrant d'aliénation mentale se place hors de portée de la loi demeure une question qui relève du législateur s'il juge que les procédures civiles d'internement prévues par les législatures provinciales ne sont pas adéquates pour bien protéger le public.

Une période transitoire est nécessaire pour pallier aux conséquences d'une décision de notre Cour disposant que le par. 542(2) est inopérant.

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente): La règle de common law en vertu de laquelle le ministère public peut faire indépendamment une preuve d'aliénation mentale constitue un principe de justice fondamentale qui s'harmonise avec les valeurs qu'incarnent les "principes de justice fondamentale" de l'art. 7 et s'en veut le reflet. Le paragraphe 542(2) du Code criminel est intra vires et, analysé dans son contexte législatif et de mise en oeuvre, est également tout à fait compatible avec les garanties accordées par la Charte.

La règle de common law a été formulée avec soin: son application obéit à des paramètres stricts. Les deux principes distincts de justice fondamentale — le droit de l'accusé de contrôler pleinement sa défense et la règle fondamentale selon laquelle les personnes atteintes d'aliénation mentale, non responsables de leur conduite, ne devraient pas être déclarées coupables d'un acte par ailleurs criminel — trouvent leur juste expression dans l'équilibre que permet d'atteindre l'application légitime de la règle de common law. Ces deux principes sont bel et bien, au sens de l'art. 7, de nature "fondamentale" et ne sont pas violés par la règle de common law en cause en l'espèce. Le principe selon lequel il n'y a pas de condamnation sans faute ne devrait pas, en l'espèce, faire l'objet d'un examen fondé sur l'article premier. Étant donné que la règle de common law reflète un juste équilibre entre les deux principes, ils seront examinés sous l'angle de l'art. 7.

Une approche étroite n'est pas justifiée dans l'examen des principes de justice fondamentale et il y a lieu de s'en garder. Ces principes, ainsi que leur violation qu'on allègue, doivent être analysés dans le cadre plus large du système juridique auquel ils se rattachent. Les principes de justice fondamentale ne s'élaborent pas indépendamment les uns des autres mais évoluent graduellement par un processus de fécondation mutuelle. Toute analyse comportant un examen de ces principes doit respecter cette intégrité.

Les deux principes fondamentaux de justice se combinent pour former un principe plus général, dont les éléments traduisent de façon harmonieuse les considérations qui les sous‑tendent. Considérée dans le vaste cadre dans lequel elle s'insère, la règle de common law, ainsi que son application concrète, est compatible avec les principes de justice fondamentale.

Le ministère public ne pourra présenter une preuve d'aliénation, contre le gré de l'accusé, que dans les cas où la culpabilité de celui‑ci ne soulève pas de doute sérieux, où la preuve de l'aliénation est accablante, où il s'agit d'une infraction grave et où l'accusé présente toujours une menace pour la société en raison de sa dangerosité. Cette règle tient donc largement compte du droit de l'accusé de contrôler sa défense puisque l'application en est strictement et sévèrement limitée. À la lumière de la Charte, les tribunaux redoubleront dorénavant de prudence en s'efforçant d'appliquer la règle avec toute la rigueur voulue et, de ce fait, d'une manière compatible avec les principes de justice fondamentale.

Le régime législatif ici en cause est compatible avec les garanties qu'accordent les art. 7 et 9 de la Charte. Il ne porte pas atteinte aux principes de justice fondamentale et, en outre, le par. 542(2) n'est pas arbitraire au sens de l'art. 9 de la Charte. Bien que l'article présume, de fait, que toutes les personnes déclarées non coupables en raison de leur aliénation mentale devraient être détenues parce qu'elles peuvent encore présenter un danger ou avoir encore besoin de traitement, ou les deux, il s'agit d'une présomption logique dont le Parlement peut, dans le respect de la Constitution, se réclamer. L'article attaqué confère, certes, le pouvoir de détenir des personnes acquittées qui ne sont peut‑être pas dangereuses à l'heure actuelle ou ne nécessitent peut‑être pas de traitement, mais il ne le fait pas de façon arbitraire. Il joue de façon restreinte et ne s'applique qu'aux personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale qui étaient accusées d'un acte criminel. De plus, le juge du procès possède un pouvoir discrétionnaire quant au lieu et aux conditions de la détention initiale. Pour déterminer si une disposition est arbitraire, on doit l'examiner dans son contexte globale.

En voulant s'attaquer à la position toute particulière de la personne acquittée pour cause d'aliénation mentale, le Parlement a mis en oeuvre un mécanisme global d'évaluation et d'examen. Une simple lecture littérale du texte du Code criminel ne donne qu'une vague idée du fonctionnement de ce mécanisme et de la complexité de son application pratique. Le Parlement n'a pas conçu le meilleur régime, mais dans le contexte des questions soulevées en l'espèce, il a fait des choix que la Constitution lui permettait de faire. Dans toute évaluation de mécanismes législatifs complexes, le pouvoir judiciaire se doit d'en respecter l'intégrité et de tenir compte de cette intégrité pour apprécier un système donné au regard des garanties constitutionnelles. En l'absence d'impératif constitutionnel, notre Cour ne saurait se comporter comme une "super‑législature" et jongler avec les pièces d'un mécanisme législatif légitime. Compte tenu de la complexité de la structure créée par le Parlement, toute velléité de réécrire la législation doit être laissée aux commissions de réforme et aux organismes législatifs.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Swain

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge en chef Lamer
Arrêt appliqué: R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
arrêts examinés: Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143
R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296
Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112
arrêts écartés: R. v. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337
R. v. Saxell (1980), 59 C.C.C. (2d) 176
distinction d'avec l'arrêt: Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213
arrêts mentionnés: Kjeldsen c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 617
Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177
R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, infirmant (1985), 22 C.C.C. (3d) 353
SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573
R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B, [1985] 2 R.C.S. 486
R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303
Faretta v. California, 422 U.S. 806 (1975)
Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342
R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151
Phillips v. Ford Motor Co. of Canada Ltd. (1971), 18 D.L.R. (3d) 641
R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199
R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713
Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927
Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123
McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229
Canadian Federation of Agriculture v. Attorney-General for Quebec, [1951] A.C. 179
Reference re Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. 1
Goodyear Tire and Rubber Company of Canada Limited v. The Queen, [1956] R.C.S. 303
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
Attorney General of Canada v. Pattison (1981), 59 C.C.C. (2d) 138
MacDonald c. Vapour Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134
Re Rebic and The Queen (1986), 28 C.C.C. (3d) 154
Lingley c. Commission d'examen du Nouveau-Brunswick, [1973] C.F. 861
Attorney General of British Columbia v. Smith, [1967] R.C.S. 702
Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038
Jones v. United States, 463 U.S. 354 (1983)
Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721
R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190.
Citée par le juge Gonthier
Arrêt mentionné: R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.
Citée par le juge Wilson
Arrêts écartés: R. v. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337
R. v. Saxell (1980), 59 C.C.C. (2d) 176
arrêts mentionnés: Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110
Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145
R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296
Whalem v. United States, 346 F.2d 812 (1965)
Frendak v. United States, 408 A.2d 364 (1979)
R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B, [1985] 2 R.C.S. 486
Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé J. (dissidente)
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B, [1985] 2 R.C.S. 486
R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670
R. v. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337
R. v. Saxell (1980), 59 C.C.C. (2d) 176
R. c. Beare
R. c. Higgins, [1988] 2 R.C.S. 387
R. c. Potvin, [1989] 1 R.C.S. 525
Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
Re Abel and Advisory Review Board (1980), 56 C.C.C. (2d) 153
Re McCann and The Queen (1982), 67 C.C.C. (2d) 180
Re Egglestone and Mousseau and Advisory Review Board (1983), 42 O.R. (2d) 268
Jollimore v. Nova Scotia (A.G.) (1986), 75 N.S.R. (2d) 191
Attorney General of Ontario v. Grady (1988), 34 C.R.R. 289
R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621
R. c. Luxton, [1990] 2 R.C.S. 711.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 9, 11d), 12, 15(1), (2), 24(1), 32.
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 16, 101, 245, 245.2(2), 465, 542(1), (2), 543, 544, 545, 546, 547, 608.2, 643, 669, 691.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III.
Heroin Treatment Act, S.B.C. 1978, ch. 24.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(12), (27), 92(7), (13), (16).
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52(1).
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, ch. E-10, art. 12.
Loi sur la santé mentale, L.R.O. 1980, ch. 262, art. 32, formule 1.
Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1952, ch. 160.
Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F‑14, art. 33(3).
Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/83‑74, art. 32(1), (4).
Doctrine citée
Base de données canadiennes : Personnes détenues en vertu d'un mandat du lieutenant-gouverneur, (1988).
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Cohn, David S. "Offensive Use of the Insanity Defense: Imposing the Insanity Defense Over the Defendant's Objection" (1988), 15 Hastings Const. L.Q. 295.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed. Toronto: Carswells, 1985.
Laskin, Bora. Laskin's Canadian Constitutional Law, vol 2, 5th ed. Vol 2. By Neil Finkelstein. Toronto: Carswells, 1986.
Singer, Anne C. "The Imposition of the Insanity Defense on an Unwilling Defendant" (1980), 41 Ohio St. L.J. 637.
Stuart, Don. Canadian Criminal Law: A Treatise, 2nd ed. Toronto: Carswells, 1987.
Weiler, Paul. "Two Models of Judicial Decision-Making" (1968), 46 R. du B. can. 406.

Proposition de citation de la décision: R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933 (2 mai 1991)


Origine de la décision
Date de la décision : 02/05/1991
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1991] 1 R.C.S. 933 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1991-05-02;.1991..1.r.c.s..933 ?
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