La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/11/1991 | CANADA | N°[1991]_3_R.C.S._622

Canada | Coronation Insurance Co. c. Taku Air Transport Ltd., [1991] 3 R.C.S. 622 (28 novembre 1991)


Coronation Insurance Co. c. Taku Air Transport Ltd., [1991] 3 R.C.S. 622

Coronation Insurance Company et

Eagle Star Insurance Company Limited Appelantes

c.

Carol Florence, Andrew R. Florence et

Russell A. Florence, mineurs représentés

par leur tutrice ad litem, Carol Florence Intimés

et

Deborah Passarell, Natasha Passarell,

Jackelynn Passarell et Rocky Passarell,

mineurs représentés par leur tutrice

ad litem, Deborah Passarell Intimés

et

Taku Air Transport Ltd., Robert Carl

Berchtenbreiter,

mineur représenté par

son tuteur ad litem, Ian D. Izzard;

Gerald Abel, administrateur de la

succession de feu Ben Abel; Ray Frederick
...

Coronation Insurance Co. c. Taku Air Transport Ltd., [1991] 3 R.C.S. 622

Coronation Insurance Company et

Eagle Star Insurance Company Limited Appelantes

c.

Carol Florence, Andrew R. Florence et

Russell A. Florence, mineurs représentés

par leur tutrice ad litem, Carol Florence Intimés

et

Deborah Passarell, Natasha Passarell,

Jackelynn Passarell et Rocky Passarell,

mineurs représentés par leur tutrice

ad litem, Deborah Passarell Intimés

et

Taku Air Transport Ltd., Robert Carl

Berchtenbreiter, mineur représenté par

son tuteur ad litem, Ian D. Izzard;

Gerald Abel, administrateur de la

succession de feu Ben Abel; Ray Frederick

Smith et Nora Anias, administrateurs de

la succession de feue Shelley Smith Défendeurs

Répertorié: Coronation Insurance Co. c. Taku Air Transport Ltd.

No du greffe: 22157.

1991: 21 juin; 1991: 28 novembre.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Cory, McLachlin, Stevenson et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1990), 48 B.C.L.R. (2d) 222, 72 D.L.R. (4th) 184, [1990] I.L.R. 1‑2643, qui a infirmé une décision de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (1989), 37 C.C.L.I. 271, [1989] I.L.R. 1‑2458, écartant la responsabilité des assureurs appelants. Pourvoi accueilli.

Stephen D. Gill et Eric M. Lane, pour les appelantes.

J. J. Camp, c.r., Gary V. Lank, David Church et Shawn Neylan, pour les intimés.

//Le juge Cory//

Version française du jugement des juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Cory et Iacobucci rendu par

Le juge Cory — Le présent pourvoi fait ressortir les difficultés qui surgissent lorsque des principes du droit des assurances énoncés par les tribunaux en 1766 reçoivent une application stricte dans le cas de polices d'assurance qui sont prescrites par une loi ou un règlement et qui sont destinées en principe à profiter à des tiers (en l'occurrence des passagers transportés par des lignes aériennes commerciales) et non pas exclusivement à l'assuré.

Les faits

Taku et les assureurs

Taku était un petit transporteur aérien qui exerçait ses activités dans le nord de la Colombie‑Britannique. Quand l'entreprise a été lancée en 1978, les appelantes (Coronation) l'ont assurée. Au cours de la première année de la police, Taku a eu trois accidents. Coronation a en conséquence refusé de renouveler la police. Dans un télex en date du 24 septembre 1979, Peter May, un employé du mandataire de l'assureur, écrivait:

[traduction] . . . bien que j'aie dit à Doug que je pouvais lui faire un prix pour le renouvellement de la police ayant pris connaissance du dossier je ne crois pas que nous puissions accéder à la demande STOP. Il n'est pas question que nous passions un contrat . . .

Taku s'est donc fait couvrir par British Aviation Insurance Company. Entre 1979 et 1986, Taku a été impliquée dans d'autres accidents. On a donc mis fin à sa couverture et Taku a de nouveau commencé à chercher de l'assurance et a adressé une demande à Coronation. C'est encore une fois Peter May qui s'est occupé de la demande, qui lui avait été transmise par un courtier. Les noms Taku et Bond "disaient" apparemment quelque chose à M. May, car il a témoigné:

[traduction] Il m'a fourni des détails concernant le risque que représentait Taku et je me souviens fort bien de lui en avoir demandé parce que les noms de Bond et de Taku me disaient quelque chose et, en conséquence, je tenais particulièrement à ce qu'il me fasse rapport sur les accidents de sa cliente au cours des dix dernières années.

Malgré ses réserves, il n'a pas vérifié les dossiers de la compagnie d'assurance, mais a demandé à Taku de lui divulguer ses antécédents. Elle ne l'a pas fait. Elle lui a signalé plutôt un seul accident survenu, d'après elle, en 1978 alors qu'elle était assurée en vertu d'une police établie par BAIC. En réalité, l'accident mentionné avait eu lieu en 1979, à l'époque où l'assureur de Taku était encore Coronation. Quoi qu'il en soit, Coronation n'a pas fait d'enquête sur Taku. Elle s'est contentée de calculer en fonction des faux renseignements qu'elle avait reçus de Taku le risque présenté par la police. Elle n'a pas consulté ses propres dossiers. Elle n'est pas entrée en communication avec l'assureur précédent, BAIC. Elle ne s'est pas non plus renseignée sur les accidents de Taku auprès du Bureau canadien de la sécurité aérienne.

De plus, Coronation a demandé à Taku de déclarer le nombre de sièges qu'elle désirait assurer pour chaque aéronef. Dans le cas de ses appareils Beaver, Taku n'a demandé qu'une couverture pour quatre places, ce qui lui a été accordé.

Le contrat

Comme on pourrait s'y attendre, ce sont les appelantes qui ont rédigé le contrat d'assurance intervenu avec Taku. La police était en apparence conforme au Règlement. Elle comportait des modalités approuvées par voie de règlement par le Comité des transports aériens (CTA) en août 1983. La première modalité figure dans la police sous la rubrique [traduction] "conditions":

[traduction] 22. Fausses déclarations et fraude

La présente police sera nulle si l'assuré a fait une fausse déclaration ou une omission concernant un fait ou une circonstance importants, que ce soit en vertu des déclarations ou autrement, à l'égard de la présente assurance ou de l'objet de celle‑ci, s'il a commis une fraude ou une tentative de fraude ou s'il a fait une fausse déclaration touchant une question reliée à la présente assurance ou à l'objet de celle‑ci, que ce soit avant ou après le sinistre.

La seconde modalité apparemment approuvée par le CTA se trouve sous la rubrique [traduction] "exclusions":

[traduction] 1. La présente police ne s'appliquera PAS et la Société ne sera pas tenue d'indemniser un assuré ou de se porter à sa défense si l'aéronef . . .

h)est en vol, sauf si le nombre total de passagers (sauf l'équipage utilisé pour le vol) transportés dans l'aéronef au moment du sinistre ou des dommages est au plus égal au nombre de "sièges" indiqué dans les déclarations à l'égard de l'aéronef;

Comme le révèlent les procédures dans la présente affaire, la Cour fédérale (le juge Strayer) a décidé que le CTA n'avait pas compétence pour approuver ces modalités à titre de règlements et qu'elles étaient en conséquence entachées de nullité.

Pour satisfaire aux exigences réglementaires concernant la délivrance de permis aux transporteurs aériens, les assureurs ont en outre établi l'avenant no 3 portant que, sous réserve de certaines conditions y énumérées, la police était conforme au Règlement sur les transporteurs aériens, C.R.C. 1978, ch. 3. L'avenant reprenait les clauses stipulant l'irresponsabilité des assureurs dans le cas de fausses déclarations relatives à un fait substantiel et prévoyait:

[traduction] Les conditions et exclusions de la présente police sont modifiées par les présentes de façon que la couverture de ladite police soit conforme aux dispositions du Règlement sur les transporteurs aériens, C.R.C. ch. 3; C.C.T. 1983‑7 AIR, sous réserve des conditions suivantes: -

1.Cette modification est strictement conforme au certificat d'assurance déposé auprès du secrétaire du Comité des transports aériens de la Commission canadienne des transports . . .

3.SI LA SOCIÉTÉ OU LES ASSUREURS EFFECTUENT UNE INDEMNISATION OU UN PAIEMENT OU S'Y VOIENT TENUS [. . .] DANS UN CAS OÙ, N'EÛT ÉTÉ LES STIPULATIONS DU PRÉSENT AVENANT, IL N'Y AURAIT EU AUCUN PAIEMENT NI AUCUNE OBLIGATION DE PAYER, ALORS, SUR PAIEMENT DES SOMMES SUSVISÉES, L'ASSURÉE DOIT IMMÉDIATEMENT REMBOURSER À LA SOCIÉTÉ OU AUX ASSUREURS LA TOTALITÉ DE LA SOMME AINSI VERSÉE DE MÊME QUE TOUS LES FRAIS D'ENQUÊTE, TOUS LES HONORAIRES D'AVOCAT, TOUS LES INTÉRÊTS OU TOUTES LES AUTRES DÉPENSES ENGAGÉES PAR LA SOCIÉTÉ OU LES ASSUREURS.

4.La totalité de la police sera nulle si le transporteur aérien a fait une fausse déclaration ou une omission touchant un fait ou une circonstance importants à l'égard de l'assurance ou de l'objet de celle‑ci, s'il a commis une fraude ou une tentative de fraude ou s'il a fait une fausse déclaration à l'égard d'une question reliée à l'assurance ou à l'objet de celle‑ci, que ce soit avant ou après un sinistre.

Il ressort du contrat d'assurance dressé par les assureurs que ses rédacteurs connaissaient à fond la teneur du Règlement au moment où ce contrat a été établi. La police faisait supporter entièrement aux passagers le risque de déclarations fausses faites par Taku.

Le sinistre

Le 27 septembre 1986, un aéronef Beaver appartenant à Taku et exploité par elle s'est écrasé dans un lac. Lors de l'écrasement l'avion avait à son bord cinq passagers plutôt que les quatre indiqués par Taku dans sa demande d'assurance. Tous les passagers, y compris MM. Passarell et Florence, ont trouvé la mort.

La procédure

Invoquant les fausses déclarations de Taku concernant ses accidents, Coronation a refusé d'honorer la police à la suite du sinistre. Coronation a intenté contre Taku une action visant à faire déclarer la police nulle ab initio ou, subsidiairement, à se faire décharger de l'obligation d'indemniser Taku.

Ayant demandé, avec succès, à être constitués défendeurs dans l'action, les veuves des passagers et les tuteurs ad litem des enfants de MM. Florence et Passarell ont présenté une demande reconventionnelle visant à faire déclarer que Coronation était tenue d'indemniser Taku. Ils ont fait valoir à titre subsidiaire qu'il incombait aux compagnies d'assurance appelantes d'exécuter tout jugement pouvant être obtenu par les familles des passagers en vertu de la Family Compensation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 120, puisque Taku était devenue insolvable. Il faut se rappeler qu'aux termes de l'art. 26 de l'Insurance Act, R.S.B.C. 1979, ch. 200, les compagnies d'assurance peuvent invoquer contre les passagers tous les moyens de défense dont elles pourraient se prévaloir contre Taku. L'article 26 dispose:

[traduction] 26. (1) Lorsqu'une personne voit engager sa responsabilité pour des lésions corporelles ou un préjudice matériel causés à une autre personne, qu'elle est assurée contre cette responsabilité, qu'elle ne s'acquitte pas des dommages‑intérêts auxquels elle a été condamnée par suite de cette responsabilité et que la saisie‑exécution s'avère infructueuse, la personne ayant droit aux dommages‑intérêts peut se faire dédommager en intentant contre l'assureur une action en paiement du montant des dommages‑intérêts jusqu'à concurrence de la valeur nominale de la police, sous réserve toutefois des droits en equity dont l'assureur aurait pu se prévaloir si la somme adjugée avait été payée.

En première instance, les intimés ont demandé un ajournement. Cela devait leur permettre d'introduire en Cour fédérale une action en annulation des clauses d'exclusion relatives aux fausses déclarations et au nombre de sièges assurés, clauses que le CTA avait approuvées à titre de règlements en août 1983. La demande des intimés a été accueillie par le juge Strayer, Florence c. Comité des transports aériens (1988), 34 Admin. L.R. 36 (C.F.D.P.I.). Il a conclu que l'al. 20.3(3)b) du Règlement sur les transporteurs aériens, habilitant le CTA à approuver des conditions supplémentaires, équivalait à une délégation illicite du pouvoir réglementaire de la Commission canadienne des transports (CCT). Le juge Strayer a dit que la CCT ne pouvait déléguer à un autre organisme le pouvoir réglementaire qu'il tenait du législateur fédéral. Cette conclusion du juge Strayer n'a pas été contestée et doit donc être retenue aux fins du présent pourvoi.

Les procédures devant les juridictions inférieures

La première instance ((1989), 37 C.C.L.I. 271)

En première instance, le juge Meredith a déclaré le contrat d'assurance nul ab initio puisque Taku en avait violé les conditions en ne révélant pas ses accidents et en faisant des fausses déclarations à cet égard. Il a rejeté les arguments selon lesquels la connaissance de la fausseté de ces déclarations pouvait être imputée aux assureurs en raison du contenu de leurs propres dossiers. Pour arriver à cette décision il a pris en considération la conclusion du juge Strayer que l'al. 20.3(3)b) constituait une délégation irrégulière d'un pouvoir discrétionnaire, conclusion dont il découlait que toute approbation de conditions faite en vertu de cet alinéa était invalide. De l'avis du juge Meredith, cette invalidité avait pour conséquence que la police établie en faveur de Taku ne répondait pas aux exigences posées par le Règlement. Cela étant, la CCT n'aurait pas dû délivrer de permis au transporteur aérien. Le juge Meredith a conclu que l'omission de se conformer à un règlement valide n'avait aucune incidence sur la validité du contrat intervenu entre les compagnies d'assurances appelantes et Taku.

Le juge Meredith s'est dit navré des dures conséquences qu'entraînait pour les passagers l'application stricte du droit des contrats d'assurance. Il a adjugé les dépens aux intimés pour deux motifs. Premièrement, il a fait remarquer que les appelantes devaient savoir que l'obtention d'un permis par Taku dépendait de la fourniture d'une preuve qu'elle était assurée contre sa propre négligence pour la protection des passagers. En dressant un contrat qui faisait supporter entièrement à ces derniers le risque que l'assurée ne fasse de fausses déclarations concernant un fait substantiel, les assureurs ont écarté tout intérêt financier qu'ils auraient eu à faire enquête sur Taku. Deuxièmement, le juge Meredith a conclu que c'était avec justification que les familles avaient tenté de prouver que les assureurs étaient au courant de tous les risques importants inhérents à la police. Bien que le contrat d'assurance fût censé leur profiter, les passagers étaient dans l'impossibilité de savoir se qui s'était passé lors de sa négociation.

Cour d'appel ((1990), 48 B.C.L.R. (2d) 222)

Le juge Anderson

Le juge Anderson a décidé que, bien que n'opérant pas la modification rétroactive du contrat d'assurance, la décision du juge Strayer avait pour conséquence que l'al. 20.3(3)b) était nul ab initio, de sorte que, du point de vue juridique, il n'a jamais existé. L'avenant no 3 porte que la police donne une couverture conforme au Règlement. Le juge Anderson a interprété cette clause comme l'expression par les parties de l'intention de modifier le contrat en fonction de la modification du Règlement, de manière qu'il soit toujours conforme à celui‑ci. Par suite du jugement du juge Strayer, le juge Anderson a interprété l'avenant comme si les conditions irrégulièrement approuvées par le CTA n'existaient pas. Il a en conséquence conclu à la responsabilité des assureurs fondée sur la validité de la police.

Le juge Locke

Le juge Locke a souscrit à l'avis du juge Anderson. Il a conclu que, comme l'al. 20.3(3)b) avait été déclaré nul, les exclusions approuvées sous son régime se trouvaient effacées de la police et de l'avenant. L'avocat des assureurs a fait valoir que la police n'aurait jamais été délivrée à Taku en l'absence des conditions approuvées en vertu du règlement invalide. Ce à quoi le juge Locke a répondu en reconnaissant le conflit qui existait manifestement entre les droits des parties découlant du droit des contrats et la politique d'intérêt public exprimée dans le Règlement. Il a souligné que les assureurs avaient choisi de se lancer dans un domaine fortement réglementé. La décision de rédiger des polices qui soient conformes à [traduction] "une multiplicité de règlements" démontre l'intention des assureurs d'observer tout règlement valide pouvant être en vigueur à un moment donné. D'après lui, la possibilité d'un jugement subséquent portant invalidité d'un règlement faisait partie des [traduction] "risques des affaires". Les assureurs demeuraient donc responsables en vertu du contrat conformément au règlement valide.

Le juge Gibbs

Le juge Gibbs, dissident, a conclu à l'inexistence d'un lien entre l'invalidation de l'al. 20.3(3)b) et la validité du contrat d'assurance. À son avis, la décision du juge Strayer n'avait de répercussions que sur le permis de Taku. Le fait que Taku avait exercé ses activités d'une manière contraire aux exigences du Règlement sur les transporteurs aériens (qui était valide), estimait‑il, n'avait aucun effet sur la validité du contrat passé par les appelantes et Taku. Le juge Gibbs a conclu que l'avenant incorporait par renvoi dans le contrat le Règlement tel qu'il existait d'après les assureurs au moment d'établir la police. Il a rejeté l'argument selon lequel il incombait aux assureurs de faire enquête sur le transporteur aérien. Il était en outre d'avis d'infirmer la décision du juge de première instance portant adjudication des dépens aux familles, puisque, d'après lui, le premier motif avancé par le juge Meredith ne tenait pas compte de ce que les dépens doivent se rapporter à [traduction] "l'instance" et non pas aux événements dont elle tire son origine. Le juge Gibbs a ajouté ne pouvoir saisir la logique d'adjuger les dépens aux familles alors que c'étaient les assureurs qui avaient obtenu gain de cause et que rien ne faisait croire à une conduite irrégulière.

La question en litige

Les appelantes peuvent‑elles se soustraire à l'obligation d'indemniser en invoquant un moyen de défense fondé soit sur les principes de common law en matière d'assurance, soit sur les modalités du contrat?

L'objet du Règlement

C'est à la lumière du contexte réglementaire dans lequel les compagnies d'assurances et Taku exerçaient leurs activités qu'il convient d'aborder les moyens avancés par les parties à la présente action. L'industrie aéronautique relève de la catégorie générale des transports. La Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, ch. N‑17, s'applique au transport aérien visé par la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, ch. A‑3. L'article 3 de la première loi énonce la raison d'être prépondérante de la réglementation dans ce domaine:

3. Il est par les présentes déclaré qu'un système économique, efficace et adéquat de transport utilisant au mieux tous les moyens de transport disponibles au prix de revient global le plus bas est essentiel à la protection des intérêts des usagers des moyens de transport . . .

Je signale en passant que le mot "sûr" a été ajouté à l'article en 1987.

Ce sont les passagers en tant qu'usagers des moyens de transport qui sont censés bénéficier de l'intervention de l'État dans ce domaine.

Pour assurer la réalisation des objets de la loi, la CCT a pris un Règlement destiné à protéger les passagers en imposant à tout transporteur aérien commercial l'obligation d'obtenir, comme condition de délivrance d'un permis, une assurance suffisante pour le cas où des passagers décéderaient ou seraient blessés par suite de la négligence du transporteur. En 1983, la CCT a approuvé des modifications au Règlement sur les transporteurs aériens. Ces modifications prévoient notamment que soit portée de 40 000 $ à 300 000 $ l'assurance minimale requise pour chaque passager. La couverture devait être basée sur le nombre de sièges passagers. Cette augmentation considérable dénote l'importance attachée par l'organisme de réglementation au but d'assurer aux passagers, ou aux personnes à leur charge, la possibilité de se faire indemniser par suite de la négligence d'un transporteur aérien. Les modifications en question comprennent en outre une disposition visant à empêcher les assureurs de stipuler des exceptions à leur responsabilité ou de l'assujettir à des conditions. Ce règlement porte:

20.3 (1) Un transporteur aérien ne peut exploiter un service aérien commercial que s'il possède pour chaque sinistre lié à l'exploitation de ce service

a) une assurance responsabilité couvrant les blessures ou le décès de passagers pour un montant au moins équivalent du produit de $ 300 000 multiplié par le nombre de sièges passagers à bord de l'aéronef utilisé dans le cadre du service aérien commercial;

. . .

(3) Un transporteur aérien ne peut, pour se conformer au paragraphe (1), souscrire à une assurance responsabilité qui contient une clause d'exclusion ou d'exemption qui réduit l'étendue des risques assurés pour un sinistre en deçà des montants minimaux prévus à ce paragraphe, à moins que cette clause

a) ne soit une clause d'exclusion normalement adoptée par les compagnies d'assurances en aviation internationale, qui vise

(i) la guerre, la piraterie aérienne et d'autres dangers,

(ii) le bruit, la pollution et d'autres dangers, et

(iii) la contamination radioactive des aéronefs; ou

b) n'ait été approuvée par écrit par le Comité.

20.4 (1) Chaque transporteur aérien autorisé et chaque transporteur aérien inscrit sur la liste d'admissibilité doivent déposer auprès du Comité un certificat d'assurance valide conforme à l'annexe XVI et signé par un agent autorisé ou un représentant de l'assureur.

(2) Le Comité n'accepte un certificat d'assurance visé au paragraphe (1) que si celui‑ci

a) établit à la satisfaction du Comité que les exigences de l'article 20.3 ont été respectées; et

b) stipule l'engagement de la part de l'assureur ou de son agent d'aviser par écrit le Secrétaire dès que l'étendue des risques assurés du transporteur aérien

(i) est modifiée ou est censée être modifiée de façon que le transporteur aérien ne puisse plus respecter les exigences de l'article 20.3, ou

(ii) est annulée ou est censée être annulée.

Le "Comité" visé au Règlement sur les transporteurs aériens est le CTA.

Le transporteur aérien qui viole le Règlement sur les transporteurs aériens risque la révocation de son permis et se rend coupable d'une infraction à l'art. 17 de la Loi sur l'aéronautique et à l'art. 161 du Règlement. Il est évident néanmoins que c'est pour la protection et au profit des passagers qu'a été pris le Règlement, l'objet de celui‑ci étant visiblement de faire bénéficier d'une assurance les passagers qui décèdent ou sont blessés par suite de la négligence du transporteur aérien. Ce régime réglementaire exige la participation active de la compagnie d'assurance. L'assureur doit en effet dresser un contrat qui soit conforme au Règlement et remettre à la CCT un certificat d'assurance. Le régime profite à l'assureur en ce sens qu'il oblige tous les transporteurs aériens à se faire assurer comme condition de l'obtention d'un permis.

L'obligation de divulgation incombant à l'assureur et à l'assuré en common law

Bien que ce soit l'État qui a fixé par voie de règlement les conditions quant à la couverture devant être fournie par le contrat d'assurance, les appelantes, pour nier leur responsabilité, ont eu recours à deux principes de droit privé. Elles invoquent à la fois la théorie de l'uberrima fides propre au droit des assurances et les principes généraux des contrats à l'appui du point de vue selon lequel la police délivrée à Taku était nulle ab initio. Principe bien établi du droit des assurances, la théorie de l'uberrima fides astreint les parties à un contrat d'assurance à la bonne foi la plus totale. Quiconque demande une police d'assurance se voit imposer une lourde obligation de divulguer complètement tous les renseignements pertinents.

Au cours des débats, les appelantes ont mentionné et invoqué la théorie telle qu'elle est formulée par lord Mansfield dans l'arrêt Carter v. Boehm (1766), 3 Burr. 1905, 97 E.R. 1162. D'après le lord juge Mansfield, l'obligation de divulgation découlait de la nature du contrat typique d'assurance. Pour fixer la prime appropriée, l'assureur doit apprécier exactement le risque inhérent à la délivrance d'une police. Se fondant sur l'expérience de l'industrie des assurances en Grande‑Bretagne au XVIIIe siècle, il a supposé que c'était la partie qui demandait une assurance qui connaissait le mieux les faits influant sur le risque. En raison de l'inégalité de l'assureur et de l'assuré en ce qui concerne les possibilités d'accès aux renseignements pertinents et essentiels, a‑t‑il conclu, la common law imposait à l'assuré éventuel l'obligation de communiquer à l'assureur tous les facteurs pertinents. Lord Mansfield a statué que si un assuré omettait, même par inadvertance, de s'acquitter de cette obligation, la police serait entachée de nullité. Il a écrit à ce sujet (à la p. 1909):

[traduction] L'assurance est un contrat aléatoire.

Les faits particuliers, à partir desquels les aléas se calculent, ne sont le plus souvent connus que de l'assuré: l'assureur se fie à ses déclarations et compte qu'il ne taira aucune circonstance dont il a connaissance dans le but de faire croire l'assureur à l'inexistence de cette circonstance et de l'amener à apprécier le risque en conséquence.

La non‑divulgation d'une telle circonstance constitue une fraude et entraîne donc la nullité de la police. Quand même la dissimulation résulterait d'une erreur, sans qu'il n'y ait aucune intention frauduleuse, l'assureur n'en a pas moins été trompé et la police est nulle parce que le risque couru diffère en réalité de celui qu'on croyait courir et qu'on a eu l'intention de courir au moment de l'accord.

Il n'incombe nullement à l'assuré de fournir des renseignements généralement disponibles. L'assureur ne saurait compter sur le proposant pour l'informer sur les circonstances courantes dans une industrie donnée ni pour effectuer à sa place l'évaluation du risque. Pour reprendre les propos de lord Mansfield (à la p. 1910):

[traduction] Il est bien des faits relativement auxquels l'assuré peut en toute innocence garder le silence; il n'est pas tenu de mentionner ce dont l'assureur est au courant: Scientia utrinque par pares contrahentes facit.

L'assureur ne peut alléguer la nullité de la police du fait que l'assuré ne lui a pas révélé ce qu'il savait en fait, peu importe la façon dont il a pu acquérir ces connaissances.

L'assuré n'a pas à mentionner ce que l'assureur devrait savoir, ce sur quoi ce dernier prend sur lui de s'informer ou ce sur quoi il renonce à être renseigné.

Le monde qu'habitait lord Mansfield au moment où il a formulé le principe régissant les contrats d'assurance différait quelque peu de celui que nous connaissons. Il était moins complexe, et même, à certains égards, moins rude. L'industrie des assurances était tout autre. Les polices d'assurance couvraient le plus souvent un navire ou sa cargaison. Le contrat était conclu au profit de l'assuré. C'était le propriétaire en sa qualité d'assuré qui avait tous les détails concernant le navire ou sa cargaison. Nul ne connaissait mieux que le propriétaire en effet la présence d'une carie sèche naissante ou la tendance du navire à embarquer de l'eau par vent fort. Ces renseignements n'étant pas facilement accessibles à la compagnie d'assurance, il convenait de dégager l'assureur de toute responsabilité de les obtenir. Ce principe était valable en 1766. Il peut l'être encore aujourd'hui lorsque la police profite exclusivement à l'assuré.

Je ne crois toutefois pas qu'il devrait s'appliquer à la situation qui se présente en l'espèce. Il s'agit ici d'un cas où l'assureur se lançait dans un domaine qu'il savait fortement réglementé. Aux termes du Règlement, un transporteur aérien commercial doit se procurer et produire une preuve d'assurance couvrant ses passagers pour un montant de 300 000 $ par passager, sans quoi il ne peut obtenir un permis.

Le Règlement exige donc qu'un transporteur aérien ait une assurance qui profite aux membres du public qui sont ses passagers. Ces membres du public bénéficiaires de l'assurance sont exclus des négociations menant à l'établissement de la police. Ce sont eux qui courent le risque. Ce sont eux qui sont censés bénéficier de la police. Ce sont pourtant leurs réclamations qu'on peut faire si facilement échouer.

Le Règlement, traduisant en cela l'intérêt public, rend obligatoire une assurance pour les passagers. L'assurance profite surtout aux membres du public passagers à bord d'aéronefs, non pas au transporteur aérien. Or, si l'application automatique de principes énoncés par un tribunal il y a deux cents ans, à une époque et dans des circonstances différentes, permet d'écarter si facilement cette assurance, alors la règle de droit semble être d'une injustice criante. C'est le tribunal et non le législateur qui a énoncé les principes présidant à l'établissement des polices d'assurance en 1766. Il ne semble donc pas hors de propos que ce soit un tribunal qui formule les principes applicables dans la société moderne.

Voici quelle est vraiment la situation actuelle. Un transporteur aérien ne peut se faire délivrer un permis que s'il a contracté une assurance pour ses passagers. Pour recevoir un permis, le transporteur doit se trouver un assureur et en obtenir une police. À défaut de police, aucun vol n'est possible. Le Règlement fournit donc aux compagnies d'assurance une clientèle captive. Pourtant, suivant le principe posé par lord Mansfield, l'assureur n'est pas tenu à l'indemnisation dans les cas où un passager décède ou est blessé par suite de la négligence du transporteur, si ce dernier a fait sur la formule de demande d'assurance de fausses déclarations concernant le nombre de ses accidents. Cela vaut même si la fausseté de ces déclarations se dégagerait des dossiers de l'assureur lui‑même. Voilà donc une situation qui décourage à la fois de toute vérification par l'assureur et de toute divulgation par l'assuré. Dans un domaine fortement réglementé et potentiellement dangereux, le passager est laissé sans protection.

Le risque et l'injustice peuvent être encore plus grands pour les passagers de petits transporteurs dans les régions isolées du pays. La possibilité de recourir à d'autres moyens de transport n'existe peut‑être pas pour eux. Il est peu probable que les passagers qui montent à bord d'un aéronef dans des endroits éloignés soient en mesure d'évaluer la situation financière du transporteur. Celui‑ci ne dispose peut‑être pas des moyens que possèdent les lignes aériennes plus grandes et risque en conséquence de ne pas pouvoir payer dans l'éventualité de demandes d'indemnisation présentées pour le compte de ses passagers. En l'absence d'une assurance valide, les passagers réclamants ne recevront peut‑être aucune indemnisation de leurs pertes. Ils n'auront pas non plus la possibilité d'obtenir leur propre assurance d'un de ces distributeurs tellement en évidence dans les grands aéroports. Ils sont très vulnérables et exposés à un risque. Pourtant, ils n'auront souvent aucune protection et le Règlement sera facilement contourné.

Il me semble que, lorsque la police d'assurance prescrite par une loi ou un règlement profite principalement aux membres du public passagers à bord d'aéronefs et non pas simplement à l'assuré, il incombe à l'assureur de prendre certaines mesures minimales pour se renseigner sur les antécédents du transporteur aérien qui demande à être assuré. Tout au moins l'assureur doit consulter ses propres dossiers relatifs au proposant. Il doit en outre examiner le dossier public des accidents du transporteur aérien.

Le caractère fortement réglementé de l'industrie aéronautique fait que l'information sur les accidents est facilement accessible. Les organismes de réglementation recueillent des renseignements sur tous les incidents de ce genre, même quand ils décident de ne pas mener d'enquête. En 1984, une loi fédérale a créé le Bureau canadien de la sécurité aérienne. Aux termes des par. 3(1) et 5(3) du Règlement sur le Bureau canadien de la sécurité aérienne (DORS/84‑929, modifié par DORS/87‑642), tous les incidents doivent être signalés. Bien qu'aucune preuve n'ait été présentée sur ce point, le Bureau suivait apparemment la pratique salutaire, qu'a également adoptée son successeur le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, consistant à emmagasiner ces renseignements sur une base de données accessible au public. La base de données comprend tous les accidents survenus depuis 1976.

Les modestes exigences susmentionnées ne constituent certainement pas une charge excessive pour l'assureur qui se lance dans le domaine de l'assurance aviation, où les bénéficiaires sont les passagers. En l'espèce, les assureurs détenaient eux‑mêmes des renseignements qui leur auraient permis d'apprécier avec une plus grande exactitude le risque que comportait la police. À tout le moins, les assureurs auraient dû examiner leurs propres dossiers avant d'établir cette police. Ils n'ont pas satisfait aux normes que sont tenus de respecter les assureurs dans ce domaine. N'ayant pas fait preuve de la diligence requise, les assureurs ne sauraient se soustraire à la responsabilité envers les passagers que leur impose la police en invoquant le fait que l'assurée a elle aussi manqué à son obligation.

Je crois que mon point de vue se trouve dans une certaine mesure étayé par l'arrêt Canadian Indemnity Co. c. Canadian Johns‑Manville Co., [1990] 2 R.C.S. 549. Le juge Gonthier y fait remarquer que si les obligations correspondantes auxquelles le principe en question assujettit l'assuré ont fait l'objet de nombreux commentaires, on ne peut pas en dire autant des obligations correspondantes de l'assureur. Dans cette affaire, l'assurée n'avait pas remis à l'assureur un rapport, qu'elle avait en sa possession, sur les risques pour la santé présentés par l'amiante. À cette époque, les dangers de l'amiante étaient connus dans l'industrie. Le juge Gonthier a dit (aux pp. 619 et 620):

. . . la loi ne soustrait pas l'assuré à l'obligation de déclarer les faits pertinents à moins que l'assureur ne connaisse ces faits (en l'espèce, il ne les connaissait certainement pas) ou qu'il puisse être présumé les connaître parce que la matière relève de celles qui seraient notoires pour un souscripteur raisonnablement compétent. Comme je l'ai déjà dit, un assureur qui assure contre des risques dans une industrie pour la première fois doit trouver des moyens de porter ses connaissances à un niveau minimal. Il ne peut tout bonnement pas s'en remettre à l'assuré et, par la suite, lui reprocher son ignorance du risque. Agir de la sorte ne serait pas frauduleux, mais équivaudrait certainement à de la mauvaise foi.

. . .

En conséquence, il y va de la stabilité de ces contrats que l'assuré puisse se fier à la diligence et au professionnalisme de l'assureur et ainsi éviter de voir le contrat d'assurance annulé en raison de faits qu'il n'a pas déclarés, mais qui auraient dû être notoires pour l'assureur s'il avait acquis le niveau de connaissance qu'un souscripteur raisonnablement compétent doit avoir.

Je crois qu'en l'espèce les renseignements existant dans les dossiers des assureurs et les renseignements accessibles au public concernant les accidents de Taku doivent être considérés comme étant de ceux qu'un assureur est présumé connaître. Ce sont des renseignements qui deviendraient facilement notoires pour un souscripteur raisonnablement compétent {oe}uvrant dans le domaine de l'aviation. Il s'ensuit que les assureurs appelants ne se sont pas acquittés de l'obligation que leur impose l'arrêt Canadian Indemnity.

Les assureurs n'ont pas rempli l'obligation minimale et relativement légère, qui incombe à l'assureur fournissant une couverture au profit de passagers, de faire enquête sur les accidents de l'auteur d'une demande d'assurance. Vu cette conclusion, point n'est besoin d'examiner, relativement à la question des accidents, l'effet de la conclusion du juge Strayer que les règlements reproduits plus haut sont invalides. Quoi que dise le Règlement, les assureurs ne sauraient échapper à leur responsabilité en invoquant l'omission de l'assurée de divulguer ses accidents.

La norme de diligence appropriée dans le cas d'un assureur qui exerce ses activités dans ce domaine exige qu'il procède à une enquête indépendante sur les accidents du proposant avant de lui délivrer une police. L'assureur ne devrait pas pouvoir se soustraire facilement à cette obligation.

Cependant, que l'arrêt Canadian Indemnity Co., précité, s'applique ou non à la présente affaire, la norme de vérification que je propose ne représente qu'un élargissement raisonnable de la portée de la règle de droit actuelle. On a dit que l'un des plus grands attributs de la common law est sa capacité de changer et de s'adapter aux nouvelles pressions sociales et à l'évolution des besoins de la collectivité moderne. Si c'est le cas, le droit prétorien devrait, dans des limites convenables, se mettre au diapason. Lord Mansfield n'aurait pas pu prévoir le genre de police d'assurance prescrite par une loi dont il s'agit en l'espèce. Il lui aurait été inconcevable que l'ordre public puisse nécessiter qu'un transporteur aérien offre une protection au profit de tiers (les passagers). D'après moi, il convient dans les circonstances d'établir des lignes directrices à l'intention de ceux dont les activités consistent à fournir au profit des passagers de transporteurs aériens une assurance prescrite par l'État. Dans cette mesure restreinte, je crois qu'il y a lieu de modifier légèrement la position prise en 1766. Il ne s'agit en fait de rien de plus qu'un élargissement raisonnable de portée.

Le nombre de sièges passagers

Lorsque l'accident est survenu, l'appareil DHC‑2 Beaver en question était muni de cinq sièges passagers. Taku n'avait cependant demandé une assurance que pour quatre.

La question du nombre de passagers à être couverts par la police met en jeu des considérations bien différentes de celles étudiées relativement au dossier des accidents d'un transporteur. Seul le transporteur est vraiment en mesure de connaître le nombre de passagers qui seront transportés. Un propriétaire peut avoir décidé en effet qu'il serait plus avantageux de transporter une cargaison supplémentaire plutôt qu'un passager. Il n'y a que le propriétaire qui sait que l'arrangement des places a été modifié et qui connaît ses besoins en assurance. Donc, quand Taku a expressément demandé une couverture pour quatre passagers seulement, les assureurs étaient en droit de se fier à cette déclaration sans faire d'enquête. C'est précisément là le genre de renseignements dont, selon la formule de lord Mansfield, seul le propriétaire a une connaissance particulière.

La charge utile d'un avion particulier et le nombre de passagers à transporter sont des renseignements très pertinents d'une importance critique pour l'assureur. Ce sont des renseignements essentiels que l'assureur doit posséder afin de pouvoir évaluer le risque et fixer la prime. Le nombre de passagers à couvrir est fixé par le propriétaire. En exigeant que l'assuré ne transporte que le nombre précis de passagers déclarés d'avance, l'assureur ne fait que lui demander d'exploiter l'aéronef en conformité avec les besoins stipulés par le transporteur lui‑même.

Seule Taku pouvait être au courant des changements qu'elle était susceptible d'effectuer dans le nombre de sièges. Elle n'a demandé une assurance que pour quatre sièges passagers. L'assureur était en droit de se fier aux déclarations de Taku. Il n'est nullement tenu de vérifier continuellement le nombre de sièges passagers dans un aéronef de l'assurée à la suite de changements apportés à l'arrangement des places. Un assureur ne manque pas à l'obligation susmentionnée, que lui impose la common law, en limitant sa responsabilité à la couverture fournie pour le nombre de sièges expressément visés dans la demande d'assurance présentée par le transporteur.

Comme ma collègue le juge McLachlin, j'estime que la décision de la Cour fédérale n'a aucune incidence sur la condition du contrat qui limite la responsabilité à un nombre convenu de sièges passagers. L'assurée a violé cette condition du contrat. Quoique l'avenant ait été en principe destiné à modifier le contrat de manière à le rendre conforme au Règlement, cette modification était assujettie à une clause, contenue dans le certificat d'assurance, limitant la responsabilité au nombre déclaré de sièges passagers. Le contrat est en conséquence nul ab initio en ce qui concerne Taku.

Malgré cette conclusion, je me dois d'ajouter que je ne puis souscrire au raisonnement du juge Gibbs de la Cour d'appel qu'a accepté ma collègue. Le juge Gibbs a conclu que l'interprétation de la majorité, selon laquelle l'avenant modifiait le contrat pour qu'il soit conforme au règlement valide, introduisait dans la police d'assurance une [traduction] "absurdité commerciale". Il fallait, d'après lui, supposer que les parties ont voulu que la prime convenue entre l'assureur et l'assurée reste fixe indépendamment de toute variation possible du risque soit par suite d'une modification du Règlement résultant d'un [traduction] "caprice de l'organisme de réglementation", soit en raison d'une décision judiciaire. Je ne puis retenir ce point de vue. L'assureur est toujours soumis au "caprice" exprimé dans la décision d'un tribunal. Par exemple, un tribunal peut être appelé à interpréter une police ou une loi qui a des répercussions sur la situation de l'assureur. L'assureur doit néanmoins accepter comme faisant partie des affaires le risque inhérent à une telle interprétation. Une décision judiciaire lie un assureur au même titre que n'importe quel autre membre de la collectivité qui peut être touché par une interprétation d'une loi, d'un règlement ou d'une clause d'un contrat.

Peut être écartée également la conclusion que la modification du Règlement ou la prise d'un règlement nouveau conduirait à "l'absurdité commerciale" pour un assureur. Les rédacteurs du contrat ont eux‑même reconnu la possibilité que l'avenant fasse naître de nouvelles responsabilités. Cette reconnaissance se dégage nettement de la clause 3, qui porte que l'assurée est tenue d'indemniser l'assureur de toute responsabilité résultant de l'avenant. Aux termes du contrat d'assurance, les parties contractantes reconnaissaient et acceptaient ce risque de modification du Règlement ou de changement dans la réglementation.

Quoi qu'il en soit, une compagnie qui assure un transporteur aérien doit savoir qu'elle entre dans un domaine commercial des plus fortement réglementés. Loin d'être fonction d'un "caprice" de l'organisme de réglementation, les règlements répondent habituellement à des besoins et exigences liés à la sécurité des passagers à bord d'aéronefs. La modification du Règlement ou la prise d'un règlement nouveau constitue un risque inhérent à l'exploitation d'une entreprise dans ce domaine autant que peut l'être l'interprétation donnée par un tribunal à une police. Il ne faut pas oublier que c'est l'assureur qui dresse le contrat. C'est l'assureur qui peut stipuler la limitation ou l'exclusion de sa responsabilité advenant de nouvelles circonstances.

Les intimés jouissent de par la loi d'un droit d'exercer des poursuites sous réserve de tout moyen de défense que l'assureur peut faire valoir contre Taku suivant le par. 26(1) de l'Insurance Act. L'assureur pourrait sur ce fondement opposer un moyen de défense à toute action intentée soit par Taku, soit par les passagers innocents. Les appelantes doivent en conséquence obtenir gain de cause. Ce résultat est désolant et, du point de vue des passagers, vide le Règlement de tout son sens. Les passagers sont exposés à un risque. Ils le demeureront jusqu'à ce que soient modifiés l'Insurance Act de la Colombie‑Britannique ou le Règlement. Il n'y a donc pas d'autre issue possible.

Le règlement actuel

Par suite de la décision de la Cour fédérale concernant la validité de l'al. 20.3(3)b), l'organisme de réglementation a augmenté le nombre des exclusions permises (voir Règlement sur les transports aériens, DORS/88‑58, art. 7). Les dispositions pertinentes portent actuellement:

7. . . .

(3) Il est interdit à un transporteur aérien de souscrire, pour se conformer au paragraphe (1), une assurance responsabilité comportant une clause d'exclusion ou de renonciation qui réduit l'étendue des risques assurés pour un sinistre en deçà des montants minimaux prévus à ce paragraphe, sauf si cette clause, selon le cas:

. . .

d) précise que la police devient nulle si le transporteur aérien a caché ou faussé un fait matériel ou une circonstance concernant l'assurance ou le sujet assuré, ou s'il y a eu fraude, tentative de fraude ou fausse déclaration de la part du transporteur aérien relativement à toute question se rapportant à l'assurance ou au sujet assuré, que ce soit avant ou après une perte.

L'organisme de réglementation n'a pas jugé bon de permettre une exclusion semblable à la clause du contrat en cause portant restriction du nombre de passagers couverts. Il semble toutefois que toute tromperie par l'assurée quant au nombre de sièges utilisés dans l'aéronef relèverait de l'al. 7(3)d).

Le régime actuel de réglementation, comme le régime antérieur, paraît à première vue atteindre le but de la protection des droits de recouvrement des passagers et de leurs familles. Il se peut bien toutefois qu'en réalité les exclusions rendent cette protection illusoire. Le Règlement actuellement en vigueur continue à décourager les vérifications et la divulgation de renseignements. Je fais simplement remarquer que cela risque encore une fois de créer une situation tragique pour les passagers. En tant que tierces personnes ces derniers ne sont nullement en mesure de savoir si le transporteur a été honnête et parfaitement franc envers l'assureur. En outre, les passagers ignorent combien de sièges le transporteur a en fait assurés. Tant que le Règlement ou l'Insurance Act de la Colombie‑Britannique n'auront pas été modifiés la possibilité d'une tragédie subsistera. Entre‑temps, pour garantir aux passagers des transporteurs aériens une protection minimale, il conviendrait davantage que le Règlement exige des transporteurs se servant de petits appareils qu'ils affichent des avis informant les passagers du nombre de sièges approuvés aux fins d'assurance. C'est une exigence souvent posée à l'égard d'autres moyens de déplacement, à partir des ascenseurs jusqu'aux autobus, et elle assurerait aux passagers une meilleure protection que le règlement actuel.

Les dépens

Je souscris à l'adjudication des dépens proposée par ma collègue le juge McLachlin à cette exception près que j'ordonnerais aux appelantes de payer les dépens des intimés en notre Cour ainsi que devant les juridictions inférieures.

En première instance, le juge Meredith a adjugé les dépens aux intimés. La Cour d'appel a également adjugé aux intimés leurs dépens en première instance et en appel, mais selon un barème plus élevé en raison de la difficulté de la question en litige et à cause de l'importance que revêtait la réponse pour l'industrie aéronautique. Les tribunaux d'instance inférieure ont exercé de manière judiciaire leur pouvoir discrétionnaire à cet égard et il ne convient pas que notre Cour touche à leur décision.

La conduite des assureurs dans l'opération en cause justifie l'adjudication des dépens aux intimés. Les appelantes sont entrées volontairement dans un domaine fortement réglementé. C'est avec une solide connaissance des règlements applicables qu'elles ont dressé le contrat. La preuve en est que ce sont elles qui ont fait approuver pour la police en cause des conditions qui ont permis dans les faits de contourner l'exigence, posée par le Règlement, d'une assurance minimale pour chaque siège passager.

Les assureurs ont omis de prendre la simple mesure d'examiner leurs propres dossiers pour se renseigner sur Taku avant d'établir la police. Cette omission a eu lieu en dépit du fait que le nom de Taku "disait quelque chose" à un employé qui participait à l'opération.

Les familles ont légitimement exercé les présentes poursuites. En tant que tiers touchés par le contrat elles ne connaissaient pas de première main les circonstances de sa négociation. Quand l'action a été intentée, elles ont raisonnablement pu espérer parvenir à prouver que les assureurs connaissaient bel et bien les antécédents de Taku quand ils ont établi la police et qu'en fait il n'y avait pas eu de fausse déclaration.

Enfin, c'est en raison de l'importance de la question en litige pour l'industrie des assurances que les appelantes ont demandé, et obtenu, l'autorisation de pourvoi. Dans l'arrêt Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374, notre Cour a déjà adjugé les dépens à un particulier dans de telles circonstances. La présente espèce revêt certes de l'importance pour l'industrie des assurances, mais il n'y a aucune raison d'exiger que les malheureuses victimes d'un désastre aérien paient les dépens des appelantes ou qu'elles soient même privées des leurs. Elles sont victimes d'une réglementation inadéquate. Les assureurs ne sont pas les innocentes victimes d'une fraude mais bien des compagnies tellement âpres à toucher une prime qu'elles n'ont même pas examiné leurs propres dossiers.

Dispositif

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rejeter l'action, mais pour des motifs différents de ceux exposés par le juge Gibbs de la Cour d'appel et par ma collègue le juge McLachlin. Les intimés devraient se faire adjuger leurs dépens à tous les paliers, y compris en notre Cour.

//Le juge Sopinka//

Version française des motifs rendus par

Le juge Sopinka — J'ai eu l'avantage de lire les motifs des juges McLachlin et Cory en l'espèce et je suis d'accord que le pourvoi devrait être accueilli. Quant à la manière par laquelle j'arrive à cette conclusion et quant aux dépens, je fais miens les motifs du juge McLachlin. Bien que, autrement, je sois porté à adopter la position générale du juge Cory, le contexte législatif du présent pourvoi m'empêche de souscrire à son analyse.

Dans ses motifs, le juge Cory met l'accent sur la protection des passagers d'un transporteur aérien par l'imposition d'une assurance de responsabilité civile aéronautique. Bien qu'il s'agisse, sans aucun doute, d'un objectif louable, les nombreux règlements et dispositions en matière d'assurance obligatoire qui régissent l'attribution de permis de transporteur aérien m'amènent à tirer des conclusions différentes de celles du juge Cory. La législation visée dans le présent pourvoi réglemente de façon explicite les assurances qu'un transporteur aérien doit souscrire afin d'obtenir un permis. Elle prévoit non seulement le montant de l'assurance qui doit être souscrit, mais également les modalités en vertu desquelles il est possible de se soustraire au contrat d'assurance. Au moment du contrat et actuellement, l'organisme de réglementation a jugé bon de permettre aux parties contractantes de faire supporter aux passagers à bord d'aéronefs et non à l'assureur le risque ultime que représentent la non-divulgation d'un fait substantiel ou des fausses déclarations. Le règlement actuel prévoit que les parties sont libres de conclure un contrat relativement à une clause d'exclusion:

. . . précise que la police devient nulle si le transporteur aérien a caché ou faussé un fait matériel ou une circonstance concernant l'assurance ou le sujet assuré, ou s'il y a eu [. . .] fausse déclaration de la part du transporteur aérien relativement à toute question se rapportant à l'assurance ou au sujet assuré . . . [Règlement sur les transports aériens, DORS/88‑58, al. 7(3)d)].

Bien que je puisse ne pas être d'accord que le public doive à bon droit supporter le risque, cela est une conséquence inévitable de la possibilité d'inclure dans les contrats d'assurance aéronautique des exclusions visant le fait de cacher ou de fausser des faits substantiels. Par conséquent, l'assureur peut, aux termes de la loi, stipuler qu'il n'est pas soumis à l'obligation de faire une enquête sur le risque et faire incomber à l'assuré et donc en fin de compte aux passagers du transporteur aérien le risque que des faits substantiels soient cachés ou faussés.

La Commission canadienne des transports (la "CCT") (maintenant l'Office national des transports) réglemente ce domaine. Il s'agit d'un organisme spécialisé dont la seule fonction est de réglementer le transport. Elle a le mandat d'évaluer les besoins du public et des transporteurs en tenant compte de la diversité des problèmes de transport qui se posent dans notre vaste pays. Notre Cour n'a pas les ressources nécessaires pour s'acquitter de cette tâche. Si, comme c'est le cas en l'espèce, la CCT a rendu une décision, il ne revient pas à notre Cour de contourner cette décision sous le couvert d'un "élargissement raisonnable de portée". Il n'est pas bon de modifier le droit des contrats entre les assureurs et les assurés simplement pour tenir compte d'une série de faits défavorables. Dans un domaine aussi fortement réglementé, la décision de savoir si un assureur devrait être tenu de mener une enquête indépendante sur le dossier des accidents d'un assuré avant de délivrer une police, comme l'exige le juge Cory, est une décision de principe qui incombe à la CCT et non à notre Cour. Une telle exigence augmentera inévitablement les coûts de l'opération et, par conséquent, les primes d'assurance. En outre, les assureurs peuvent décider de refuser d'assurer les petits transporteurs aériens en raison des coûts que représentent les enquêtes; ce qui empêcherait le transporteur aérien d'exploiter son entreprise. Il convient également de souligner que l'art. 3 de la Loi nationale sur les transports d'alors, S.R.C. 1970, ch. N‑17, prévoyait que l'un des principes de la politique nationale du Canada en matière de transport était "qu'un système économique, efficace et adéquat de transport [. . .] au prix de revient global le plus bas [était] essentiel à la protection des intérêts des usagers des moyens de transport" (je souligne). Une déclaration semblable figure à l'art. 3 de la loi actuelle (S.C. 1987, ch. 34). Enfin, les données recueillies par les divers bureaux de la sécurité des transports aériens n'ont pas pour but de fournir des renseignements à l'industrie de l'assurance mais d'aider à prévenir les accidents. Si ces données sont incorrectes ou incomplètes, l'industrie de l'assurance ne devrait pas être responsable des erreurs susceptibles d'en résulter. Toutes ces questions sont complexes et comportent un grand nombre d'aspects; il s'agit également de questions à l'égard desquelles notre Cour ne dispose d'aucun élément de preuve pour déterminer le juste équilibre auquel on devrait parvenir; la CCT a précisément été constituée pour examiner et étudier ces questions. Nous n'avons pas eu l'avantage d'entendre les arguments de la CCT sur ce qui avait motivé sa décision. Par conséquent, nous ne savons pas quel effet aurait pour l'industrie l'inversion de l'obligation de divulgation. Pour ces motifs, je suis d'avis qu'il n'est pas opportun que la Cour impose à l'industrie de l'assurance l'"élargissement raisonnable de portée" que propose le juge Cory.

Le juge du procès a conclu que les assureurs n'étaient pas au courant du dossier des accidents de Taku. Il a également rejeté toute connaissance présumée de la part des assureurs. Il a précisément conclu que les assureurs [traduction] "ne doivent pas être présumés avoir été au courant des faits cachés ou faussés soit par le contenu de [leur] propre dossier ou par les renseignements dont aurait pu disposer [leur courtier]" (37 C.C.L.I. 271, à la p. 278). Le dossier des accidents de l'assuré ne constituait pas un fait notoire qu'un assureur compétent aurait dû connaître mais relevait particulièrement de la connaissance personnelle de l'assuré. En conséquence, la théorie de l'uberrima fides n'aide pas l'assuré. Le fait que le juge Cory se soit fondé sur l'arrêt Canadian Indemnity Co. c. Canadian Johns‑Manville Co., [1990] 2 R.C.S. 549, aux pp. 619 et 620, pour étayer une obligation d'enquête de l'assureur n'a pas tout à fait sa place parce que cet arrêt portait principalement sur l'interprétation de dispositions du Code civil du Québec. Selon les lois d'autres provinces, il revient aux parties de conclure un contrat relativement à l'attribution de l'obligation de mener une enquête dans le contexte de l'assurance. Qui plus est, le juge Gonthier dit clairement dans l'arrêt Canadian Indemnity, précité, que "la loi ne soustrait pas l'assuré à l'obligation de déclarer les faits pertinents à moins que l'assureur ne connaisse ces faits [. . .] ou qu'il puisse être présumé les connaître" (à la p. 619). Le juge du procès en l'espèce a clairement conclu que l'assureur ne connaissait pas le dossier des accidents de l'assuré et ne pouvait pas être présumé le connaître. L'omission d'un assureur de mener une enquête sur un risque ne devrait pas, en soi, le priver du droit de se soustraire au contrat sur le fondement d'une omission de l'assuré de divulguer des faits substantiels. Dans l'arrêt Ford c. Dominion of Canada General Insurance Co., [1991] 1 R.C.S. 136, le juge Cory, au nom de la Cour, a souscrit aux motifs minoritaires du juge Philp de la Cour d'appel du Manitoba:

[traduction] Un contrat d'assurance est uberrima fides; les deux parties sont astreints à la bonne foi la plus totale. On a dit que le rapport entre un assureur et un assuré est celui dans lequel l'assureur ne sait rien du risque qui doit être pris et l'assuré sait tout. De ce rapport découle l'obligation de l'assuré de divulguer tous les faits substantiels de manière que le risque que l'assureur prend sera celui qu'il a l'intention de prendre.

Les tribunaux appliquent ce principe fondamental du droit des assurances depuis plus de 200 ans . . .

C'est le principe que le juge DeGraves a appliqué lorsqu'il a conclu que Ford n'avait pas divulgué tous les faits substantiels et que, par conséquent, ses polices d'assurance étaient nulles. [(1989), 62 Man. R. (2d) 244, à la p. 249.]

Étant donné que la CCT et les textes législatifs visés en l'espèce permettent aux parties de conclure un contrat librement en ce qui a trait à l'attribution du risque que représente le fait de cacher et de fausser des faits substantiels (et donc l'obligation de mener une enquête sur les risques), je ne vois aucun motif de modifier cette liberté simplement parce que j'aurais pu trancher la question différemment. Il incombe aux organismes de réglementation de déterminer qui peut et qui ne peut pas supporter de tels risques. L'organisme de réglementation a rendu sa décision et il n'appartient pas à notre Cour de la modifier.

//Le juge McLachlin//

Version française des motifs des juges McLachlin et Stevenson rendus par

Le juge McLachlin — Je suis d'avis d'accueillir le présent pourvoi essentiellement pour les motifs exposés par le juge Gibbs de la Cour d'appel (1990), 48 B.C.L.R. (2d) 222. Ma décision diffère toutefois de la sienne sur la question des dépens.

À mon avis, c'est avec raison que le juge Gibbs a conclu que les droits des familles demandant l'indemnisation reposent sur le contrat d'assurance intervenu entre Taku et les assureurs (Coronation et Eagle Star), lequel ne saurait être considéré comme ayant été modifié par la décision rendue par la Cour fédérale: Florence c. Comité des transports aériens (1988), 34 Admin. L.R. 36. Or, ce contrat exclut la responsabilité pour laquelle plaident les familles.

Ainsi que le fait remarquer le juge Gibbs dans ses motifs, l'action des familles contre les assureurs est fondée sur le droit de poursuivre prévu à l'art. 26 de l'Insurance Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1979, ch. 200, qui prévoit:

[traduction] 26. (1) Lorsqu'une personne voit engager sa responsabilité pour des lésions corporelles ou un préjudice matériel causés à une autre personne, qu'elle est assurée contre cette responsabilité, qu'elle ne s'acquitte pas des dommages‑intérêts auxquels elle a été condamnée par suite de cette responsabilité et que la saisie‑exécution s'avère infructueuse, la personne ayant droit aux dommages‑intérêts peut se faire dédommager en intentant contre l'assureur une action en paiement du montant des dommages‑intérêts jusqu'à concurrence de la valeur nominale de la police, sous réserve toutefois des droits en equity dont l'assureur aurait pu se prévaloir si la somme adjugée avait été payée. [Je souligne.]

L'avocat des familles reconnaît que, aux termes du contrat, Taku ne pouvait obtenir gain de cause contre les assureurs en raison des déclarations inexactes qu'elle avait faites. Comme le droit des familles d'exercer des poursuites est assujetti aux mêmes droits en equity que ceux que les assureurs pouvaient faire valoir à l'endroit de Taku, il s'ensuit que les familles doivent être déboutées.

On a soutenu en Cour d'appel qu'il devrait être permis à un tiers d'intenter une action délictuelle contre un assureur, comme cela semble avoir été fait dans certaines causes en Californie. Ce point n'ayant toutefois pas été soulevé devant nous, je ne me prononce pas sur cet aspect des motifs du juge Gibbs.

Je souscris à la conclusion du premier juge que les demandeurs devraient supporter les dépens en première instance et je suis d'avis qu'il devrait en être de même pour les procédures en Cour d'appel. Chaque partie devrait supporter elle‑même les dépens entraînés par le pourvoi devant notre Cour.

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi.

Pourvoi accueilli avec dépens en faveur des intimés.

Procureurs des appelantes: Lane, Allen, Toronto; Edwards, Kenny & Bray, Vancouver.

Procureurs des intimés Florence: Ladner, Downs, Vancouver.

Procureurs des intimés Passarell: Lauk & Associates, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : [1991] 3 R.C.S. 622 ?
Date de la décision : 28/11/1991
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Assurance - Assurance aviation - Exclusions - Police du transporteur contenant des exclusions relatives aux fausses déclarations et au nombre de sièges déclarés - Règlement fédéral autorisant de telles exclusions invalidé à la suite de l'écrasement - Les assureurs sont‑ils responsables envers les familles des passagers morts dans l'écrasement? - La police était‑elle nulle ab initio en raison des fausses déclarations ou du passager additionnel transporté?.

En 1986, les assureurs appelants ont établi une police d'assurance en faveur de Taku, un transporteur aérien commercial. La police portait qu'elle serait nulle si l'assurée avait fait une fausse déclaration concernant un fait important et qu'elle ne s'appliquerait pas si le nombre total de passagers à bord de l'aéronef au moment du sinistre dépassait le nombre de sièges déclarés. Les assureurs en l'espèce avaient assuré Taku en 1978, mais à la suite de trois accidents survenus au cours de la première année, ils n'avaient pas renouvelé la police. En 1986, quand Taku leur a soumis une nouvelle demande d'assurance, les assureurs n'ont pas vérifié leurs propres dossiers concernant les accidents, mais lui ont plutôt demandé de divulguer cette information. Taku ne leur a signalé qu'un seul accident. De plus, elle n'a demandé et obtenu une couverture que pour quatre places dans le cas d'un de ses aéronefs. Cet aéronef s'est par la suite écrasé causant la mort des cinq passagers à son bord. Invoquant les fausses déclarations de Taku concernant ses accidents, les assureurs ont refusé d'honorer la police. Ils ont en outre intenté contre Taku une action visant à faire déclarer la police nulle ab initio. Les intimés membres des familles de deux passagers ont été constitués défendeurs dans l'action. En première instance, les intimés ont demandé un ajournement qui devait leur permettre d'introduire en Cour fédérale une action en annulation des clauses d'exclusion relatives aux fausses déclarations et au nombre de sièges assurés, clauses que le Comité des transports aériens avait approuvées à titre de règlements. La Cour fédérale a fait droit à la demande. À la reprise de l'instance, le premier juge a déclaré le contrat d'assurance nul ab initio à cause de la fausse déclaration de Taku concernant ses accidents. Il a rejeté les arguments selon lesquels la connaissance de la fausseté de ces déclarations pouvait être imputée aux assureurs en raison du contenu de leurs propres dossiers. Les dépens ont été adjugés aux intimés. La Cour d'appel, statuant à la majorité, a infirmé cette décision et a conclu à la responsabilité des assureurs fondée sur la validité de la police.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Cory et Iacobucci: Les assureurs ne sauraient se soustraire à leur responsabilité en invoquant l'omission de Taku de divulguer ses accidents. Bien que la théorie de l'uberrima fides formulée en 1766 puisse encore être valable lorsque la police profite exclusivement à l'assuré, elle ne devrait pas s'appliquer dans le domaine fortement réglementé de l'assurance aviation, où un transporteur aérien ne peut se faire délivrer un permis que s'il a contracté une assurance pour ses passagers. Lorsque la police d'assurance prescrite par une loi ou un règlement profite principalement aux membres du public passagers à bord d'aéronefs et non pas simplement à l'assuré, il incombe à l'assureur de prendre certaines mesures minimales pour se renseigner sur les antécédents du transporteur aérien qui demande à être assuré. Tout au moins, l'assureur doit consulter ses propres dossiers relatifs au proposant et examiner le dossier public des accidents du transporteur aérien. Cela ne constituera pas une charge excessive pour l'assureur, puisque l'information sur les accidents est facilement accessible. En l'espèce, les assureurs détenaient eux‑mêmes des renseignements qui leur auraient permis d'apprécier avec une plus grande exactitude le risque que comportait la police. À tout le moins, ils auraient dû examiner leurs propres dossiers avant d'établir cette police.

Les assureurs étaient toutefois en droit de se fier aux déclarations de Taku quant au nombre de sièges passagers. Seul le transporteur est vraiment en mesure de connaître le nombre de passagers qui seront transportés et il n'y a que le propriétaire qui sait que l'arrangement des places a été modifié et qui connaît ses besoins en assurance. La charge utile d'un avion particulier et le nombre de passagers à transporter sont des renseignements très pertinents d'une importance critique pour l'assureur. La décision de la Cour fédérale n'a aucune incidence sur la condition du contrat qui limite la responsabilité à un nombre convenu de sièges passagers. Comme l'assurée a violé cette condition, le contrat est nul ab initio en ce qui concerne Taku. Le droit d'exercer des poursuites dont jouissent les intimés aux termes de la loi est subordonné aux moyens de défense que les assureurs peuvent faire valoir contre Taku, et les assureurs doivent en conséquence obtenir gain de cause.

Les assureurs devraient payer les dépens des intimés en notre Cour et devant les juridictions inférieures. Les intimés sont victimes d'une réglementation inadéquate, tandis que les assureurs, loin d'être des innocentes victimes, sont plutôt des compagnies tellement âpres à toucher une prime qu'elles n'ont même pas examiné leurs propres dossiers.

Les juges McLachlin et Stevenson: Les droits des familles demandant l'indemnisation reposent sur le contrat d'assurance intervenu entre Taku et les assureurs, lequel ne saurait être considéré comme ayant été modifié par la décision rendue par la Cour fédérale en l'espèce. Comme Taku ne pouvait obtenir gain de cause contre les assureurs en raison des déclarations inexactes qu'elle avait faites, les familles doivent être déboutées. Les assureurs devraient supporter les dépens en première instance et en Cour d'appel, mais chaque partie devrait supporter elle‑même les dépens entraînés par le pourvoi devant notre Cour.

Le juge Sopinka: Au moment du contrat et actuellement, l'organisme de réglementation a jugé bon de permettre aux parties contractantes de faire supporter aux passagers à bord d'aéronefs et non à l'assureur le risque ultime que représentent la non‑divulgation d'un fait important ou des fausses déclarations et il n'y a aucune raison de toucher à cette liberté. Quant à savoir si un assureur devrait être tenu de mener une enquête indépendante sur le dossier des accidents d'un assuré avant d'accorder une couverture, c'est là une décision qui relève du domaine de l'ordre public et qui n'a pas à être prise par notre Cour. Le juge de première instance en l'espèce a manifestement conclu que les assureurs ne connaissaient pas le dossier des accidents de l'assurée et ne pouvaient être présumés le connaître. En conséquence, l'assurée ne devrait pas tirer parti de la théorie de l'uberrima fides. L'omission d'un assureur de mener une enquête sur un risque ne devrait pas, en soi, le priver du droit de se soustraire au contrat sur le fondement d'une omission de l'assuré de divulguer des faits substantiels.


Parties
Demandeurs : Coronation Insurance Co.
Défendeurs : Taku Air Transport Ltd.

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Arrêt non suivi: Carter v. Boehm (1766), 3 Burr. 1905, 97 E.R. 1162
arrêt mentionné: Florence c. Comité des transports aériens (1988), 34 Admin. L.R. 36
Canadian Indemnity Co. c. Canadian Johns‑Manville Co., [1990] 2 R.C.S. 549
Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374.
Citée par le juge McLachlin
Arrêt mentionné: Florence c. Comité des transports aériens (1988), 34 Admin. L.R. 36.
Citée par le juge Sopinka
Arrêts mentionnés: Canadian Indemnity Co. c. Canadian Johns‑Manville Co., [1990] 2 R.C.S. 549
Ford c. Dominion of Canada General Insurance Co., [1991] 1 R.C.S. 136.
Lois et règlements cités
Family Compensation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 120.
Insurance Act, R.S.B.C. 1979, ch. 200, art. 26(1).
Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, ch. N‑17, art. 3.
Loi nationale de 1987 sur les transports, S.C. 1987, ch. 34, art. 3.
Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, ch. A‑3, art. 17.
Règlement sur le Bureau canadien de la sécurité aérienne, DORS/84‑929 [mod. DORS/87‑642], art. 3(1), 5(3).
Règlement sur les transporteurs aériens, C.R.C. 1978, ch. 3 [mod. DORS/83‑443, art. 9], art. 20.3(1), (3), 20.4, 161.
Règlement sur les transports aériens, DORS/88‑58, art. 7(3)d).

Proposition de citation de la décision: Coronation Insurance Co. c. Taku Air Transport Ltd., [1991] 3 R.C.S. 622 (28 novembre 1991)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1991-11-28;.1991..3.r.c.s..622 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award