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11/06/1992 | CANADA | N°[1992]_2_R.C.S._170

Canada | R. c. Kelly, [1992] 2 R.C.S. 170 (11 juin 1992)


R. c. Kelly, [1992] 2 R.C.S. 170

William Thomas Kelly Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Kelly

No du greffe: 21719.

1991: 31 octobre; 1992: 11 juin.

Présents: Les juges L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Stevenson* et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1989), 41 B.C.L.R. (2d) 9, 52 C.C.C. (3d) 137, 73 C.R. (3d) 355, qui a rejeté l'appel de l'accusé contre sa déclaration de cul

pabilité relativement à des accusations d'acceptation d'une commission secrète en contravention de l'al. 426(1)a) du ...

R. c. Kelly, [1992] 2 R.C.S. 170

William Thomas Kelly Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Kelly

No du greffe: 21719.

1991: 31 octobre; 1992: 11 juin.

Présents: Les juges L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Stevenson* et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1989), 41 B.C.L.R. (2d) 9, 52 C.C.C. (3d) 137, 73 C.R. (3d) 355, qui a rejeté l'appel de l'accusé contre sa déclaration de culpabilité relativement à des accusations d'acceptation d'une commission secrète en contravention de l'al. 426(1)a) du Code criminel. Pourvoi rejeté, le juge Sopinka est dissident.

Stephen Tick, pour l'appelant.

Patricia J. Donald, pour l'intimée.

Version française du jugement des juges L'Heureux-Dubé, Gonthier, Cory et Iacobucci rendu par

//Le juge Cory//

Le juge Cory — La question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir quels sont les éléments que le ministère public doit prouver pour obtenir une déclaration de culpabilité en vertu de l'al. 426(1)a) (anciennement l'al. 383(1)a)) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. Il faut notamment déterminer si, en vertu de la disposition, il doit y avoir une "affaire entachée de corruption" entre le "donneur" et l'"acceptant" de la récompense ou du bénéfice.

Les faits

L'appelant William Kelly était l'un des dirigeants de Kelly, Peters and Associates Ltd. ("KPA"), la société centrale d'un groupe de sociétés qui offraient au grand public des services de planification financière. KPA et ses sociétés affiliées offraient à leurs clients des conseils en placements ainsi que des services de mise en {oe}uvre des conseils donnés en matière de planification. Dans l'ensemble, les clients de KPA étaient des gens d'affaires et des professionnels prospères, à revenus élevés, qui avaient besoin de conseils financiers.

En principe, on exigeait des nouveaux clients des frais de consultation de 2 500 $ pour l'établissement d'un "plan de base" personnalisé. Ce plan dressait un tableau de la situation financière du client et lui présentait certaines recommandations de base quant à l'organisation de ses affaires financières: préparation d'un testament, achat d'assurance‑vie et investissements dans des régimes enregistrés d'épargne‑retraite.

Les clients de KPA payaient des frais de consultation additionnels pour obtenir des conseils en placements immobiliers ainsi que des renseignements sur des stratégies de planification fiscale. Ces frais variaient entre 2 000 $ et 30 000 $ par an en fonction de la nature des conseils.

Kelly a été déclaré coupable relativement à des accusations concernant ses opérations avec Qualico Development Ltd. ("Qualico"), une société immobilière. Chacun des chefs d'accusation portait sur un immeuble d'habitation spécifique mis sur le marché par Qualico. Les unités de ces immeubles étaient vendues conformément aux dispositions du droit fiscal canadien applicables aux immeubles résidentiels à logements multiples, communément appelés IRLM. Il n'y a pas de doute que les IRLM ont souvent été achetés à titre d'abris fiscaux.

Avant l'automne 1980, KPA n'avait jamais recommandé à ses clients d'acheter des IRLM. Cette année‑là, en octobre, Kelly a fait des démarches auprès de Qualico relativement à un projet d'IRLM, Mirror Development, en cours de construction à Vancouver. Kelly a dit au gérant du bureau de Vancouver de Qualico que KPA fournissait des conseils financiers à de "solides" clients qui seraient intéressés à investir dans les IRLM de Mirror Development. Il a convaincu Qualico de consentir à KPA le droit exclusif de vente des 112 unités du projet.

Qualico n'avait jamais fait affaire avec Kelly. KPA a donc dû fournir une garantie de bonne exécution de 112 000 $. Aux termes de l'entente, KPA devait vendre toutes les unités dans un délai relativement court. Cette entente a été signée le 7 novembre 1980. Le 24 novembre, toutes les unités étaient vendues. KPA a reçu la somme de 262 000 $ pour la vente des unités ainsi que le remboursement de sa garantie de bonne exécution. La majorité des unités ont été vendues à des clients de KPA, mais Kelly, son épouse et certains des associés de KPA en ont aussi acheté.

KPA a de la même façon mis sur le marché trois autres projets de Qualico. Elle a reçu des commissions totalisant 925 586 $ pour les quatre projets. Qualico a versé à KPA les mêmes frais de commission que ceux qu'elle aurait payés à un agent engagé pour la vente des unités.

La preuve présentée au procès

Un échantillon des clients de KPA ont témoigné. Chacun d'entre eux s'était porté acquéreur d'unités dans les IRLM de Qualico, sur la recommandation de Kelly ou de l'un de ses associés. Les clients ont tous témoigné qu'ils ne savaient pas que KPA recevait de Qualico une commission chaque fois qu'elle vendait à l'un de ses clients une unité d'IRLM.

Au cours de la rencontre initiale avec de nouveaux clients, le personnel de KPA présentait l'historique de l'entreprise, les divers antécédents professionnels de ses membres, la philosophie de l'entreprise en matière de placements, les services offerts ainsi que les diverses sources de la rémunération que KPA recevait directement ou indirectement de sociétés affiliées. En principe, cette présentation durait entre une heure et une heure et demie. L'explication des sources de rémunération de KPA prenait moins de cinq minutes. Ces sources n'ont jamais été mentionnées dans les documents remis aux clients et n'étaient jamais soulevées au cours de la rencontre initiale avec le client. Lorsqu'il rencontrait un client pour la première fois, Kelly a témoigné qu'il avait comme habitude d'inscrire sur "un tableau blanc" les grandes sources de rémunération de KPA. Kelly avait informé les associés de l'entreprise qu'il ne voulait pas donner davantage de précisions écrites relativement au projet d'IRLM.

Selon le témoignage de Kelly, la notice d'offre aurait dû permettre aux clients acheteurs d'IRLM de savoir que KPA recevait des commissions. Pour chacun des quatre projets, les notices d'offre étaient des brochures longues et assez compliquées, qui renfermaient deux mentions d'une ligne traitant des [traduction] "Frais d'émission et de vente". Il importe de signaler que, lors du contre‑interrogatoire, l'accusé a lui‑même eu beaucoup de difficulté à retrouver ces passages dans les brochures, même s'il se fondait sur celles‑ci pour dire qu'il avait divulgué l'existence des commissions. Par contre, les clients de KPA ont indiqué qu'ils n'avaient pas lu attentivement les notices d'offre, se fiant aux conseils que lui fournissait KPA à titre onéreux. Fait révélateur, on n'a jamais recommandé aux clients de KPA d'autres IRLM que ceux de Qualico.

En 1982, l'économie canadienne était en pleine récession. Les investisseurs immobiliers ne pouvaient pas trouver d'acheteurs ni payer leurs créanciers. Les clients de KPA étaient fort insatisfaits de leurs placements et ont été choqués d'apprendre que l'appelant avait reçu d'importantes commissions relativement à la vente des IRLM. L'appelant a fait l'objet de quatre chefs d'accusation d'avoir, par corruption, accepté une récompense ou un bénéfice en contravention de l'al. 383(1)a) (maintenant l'al. 426(1)a)) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34. Il a été déclaré coupable relativement aux quatre chefs d'accusation: (1987), 1 W.C.B. (2d) 173. La Cour d'appel à la majorité a rejeté l'appel contre la déclaration de culpabilité: (1989), 41 B.C.L.R. (2d) 9, 52 C.C.C. (3d) 137, 73 C.R. (3d) 355. L'appelant se pourvoit maintenant de plein droit devant notre Cour par suite de la dissidence du juge Hutcheon.

Les décisions des tribunaux d'instance inférieure

La Cour provinciale de la Colombie‑Britannique

Le juge du procès a conclu que les démarches faites auprès des clients de KPA intéressés à l'achat d'IRLM coïncidaient exactement avec la période de deux semaines, mentionnée dans l'entente conclue avec Qualico pour la vente des unités de Mirror Development. Le juge a aussi noté que KPA n'a recommandé aucun autre achat d'IRLM à ses clients avant l'achèvement du projet suivant de Qualico.

Le juge du procès a ensuite examiné dans quelle mesure il y avait eu divulgation aux clients de la rémunération tirée des opérations avec Qualico. À son avis, la plupart des clients avaient été informés oralement que KPA recevait des revenus d'"opérations immobilières". En ce qui concerne la mention dans les notices d'offre de [traduction] "frais de vente" et de "frais de commercialisation", il a fait remarquer que certains clients expérimentés auraient pu, à la lecture des notices, conclure au versement de commissions à KPA pour la vente des IRLM; toutefois, aucun des clients n'a témoigné qu'il y avait eu divulgation explicite des commissions reçues de Qualico.

Le juge du procès était convaincu que l'appelant Kelly était en fait l'agent de ses clients. Kelly se représentait comme un conseiller en planification financière possédant des compétences spéciales. Il conseillait ses clients relativement à des questions importantes et confidentielles. Il entendait spécifiquement établir un rapport fiduciaire à long terme avec ses clients. Il était conseiller et s'occupait aussi de la mise en oeuvre des conseils fournis à ses clients, qui se trouvaient alors, à cet égard, ses commettants.

Le juge du procès a fait ressortir que l'appelant s'est conduit [traduction] "d'une manière visant délibérément à bénéficier de la pleine confiance de ses clients". Le juge a aussi précisé que [traduction] "l'accusé s'est donné beaucoup de mal pour dissimuler délibérément à ses clients la possibilité de corruption". À son avis, l'appelant n'a pas divulgué à ses clients l'existence des commissions. Voici les points essentiels du jugement:

[traduction] . . . il avait l'obligation de divulguer d'une manière complète, franche et impartiale les commissions que lui versait Qualico. D'après les éléments de preuve, il a tout au mieux délibérément tenté de faire de l'existence de ces commissions une possibilité lointaine, même pas une probabilité. En omettant de faire une divulgation appropriée, l'accusé a, à mon avis, agi d'une façon malhonnête, déloyale, sans intégrité, et donc par corruption, en acceptant les commissions de Qualico.

S'il avait divulgué d'une manière complète, franche et impartiale l'existence des commissions à ses clients, certains n'auraient peut‑être pas agi autrement. Toutefois, certains auraient peut‑être été mieux placés pour négocier une réduction des frais de consultation qu'ils payaient. Certains auraient peut‑être mis en doute la qualité et le nombre d'IRLM qu'on leur disait d'acheter. Certains auraient peut‑être acheté d'autres IRLM, dont l'achat n'aurait peut‑être pas entraîné le versement de commissions à l'accusé.

En négociant secrètement un contrat avec Qualico, l'accusé a sciemment entravé l'exercice de son jugement professionnel et s'est placé dans une situation de conflit d'intérêts criminel. [En italique dans l'original.]

En conséquence, le juge du procès a déclaré l'appelant coupable relativement aux quatre chefs d'accusation.

La Cour d'appel (1989), 52 C.C.C. (3d) 137

Le juge Locke, s'exprimant au nom de la majorité, a cité les motifs de la Cour d'appel de la Saskatchewan dans l'arrêt R. c. Morris (1988), 64 Sask. R. 98, à la p. 118; dans cette affaire, la cour a conclu que les dispositions de l'art. 383 (maintenant l'art. 426) visent à préserver l'intégrité des employés et des agents d'un commettant et de ceux qui font affaire avec eux. C'est pourquoi la société a déclaré inacceptables les commissions secrètes puisqu'elles mettent en péril l'intégrité de l'activité commerciale. L'infraction créée vise essentiellement l'acceptation d'une "commission secrète". Toutefois, si l'agent accepte une commission au su et avec le consentement de son commettant, il ne commet pas d'infraction.

De l'avis du juge Locke, de par sa conception, l'article vise à ne pas placer l'agent dans une situation de tentation. Il cite l'arrêt R. c. Brown (1956), 116 C.C.C. 287, à la p. 289, qui dit que [traduction] "faire la chose même que la loi interdit est un acte entaché de corruption au sens donné à l'expression "par corruption" dans l'article en question" (p. 154).

Il a aussi conclu que l'article n'exige pas l'existence d'une "affaire entachée de corruption" (à la p. 155):

[traduction] . . . la loi prévoit l'existence d'une opération, mais il suffit que le donneur paie l'acceptant pour accomplir quelque chose relativement aux affaires de son client et que l'acceptant le sache. Cette opération peut être complètement inoffensive du point de vue du donneur, et être dans le cours normal des affaires. Toutefois, l'acceptant commet un acte criminel s'il connaît la raison pour laquelle l'argent est versé. Selon moi, c'est le cas en l'espèce.

. . .

Comme je l'ai mentionné, à mon avis, l'expression "par corruption" peut viser une partie seulement. Le libellé même de l'article n'exige pas littéralement que l'autre partie à l'opération soit également coupable d'une infraction. [En italique dans l'original.]

De l'avis du juge Locke, l'acceptation par Kelly de la commission versée par Qualico était un acte entaché de "corruption", sauf s'il y avait eu divulgation suffisante de l'existence de cette commission aux clients de KPA.

Selon lui, [traduction] "on ne peut prétendre avec succès que le juge du procès n'était pas fondé à conclure qu'il n'y avait pas eu divulgation suffisante de l'existence des commissions versées par Qualico" (p. 159). Il ajoute que [traduction] "[l]a divulgation doit être appropriée et complète en ce sens que le commettant doit être expressément informé de l'existence des commissions ou elle doit être tellement limpide que le commettant ne pourrait nier qu'il aurait dû être au courant. Cela n'a pas été fait en l'espèce" (p. 160). En conséquence, la Cour d'appel à la majorité a rejeté l'appel.

Le juge Hutcheon, dissident, a conclu que l'alinéa en question exigeait la preuve de l'existence d'une "affaire entachée de corruption" entre l'agent et la tierce partie. À son avis, l'alinéa n'est pas applicable en l'absence d'une affaire entachée de corruption entre le donneur et l'acceptant de la commission. Il a alors appliqué sa conclusion aux faits de l'espèce, à la p. 146:

[traduction] . . . Qualico n'était pas partie à une affaire entachée de corruption. Les commissions étaient payées au taux habituel et dans le cours normal des affaires. Qualico n'était pas au courant des relations entre Kelly/Peters et ses clients. Selon mon interprétation de l'art. 383, dans chaque cas d'une infraction consommée, il doit y avoir une personne qui donne un bénéfice "à titre de contrepartie . . ." et une personne qui accepte ce bénéfice "à titre de contrepartie . . .". Qualico n'a pas "donné" quoi que ce soit; elle a payé la commission habituelle versée aux autres agents. Dans ces circonstances, l'art. 383 du Code criminel n'est pas applicable. [En italique dans l'original.]

Le juge Hutcheon aurait accueilli l'appel et annulé les déclarations de culpabilité.

La question en litige

La question en litige est relativement restreinte. Elle doit se fonder sur la question de droit soulevée par le juge Hutcheon dans sa dissidence. La Cour d'appel a soigneusement rédigé son ordonnance formelle pour trancher le litige. Voici la partie ayant trait aux motifs de dissidence du juge Hutcheon:

[traduction] Qu'il soit en outre pris acte du fait que le juge Hutcheon est dissident et aurait rejeté l'appel et que sa dissidence se fonde entièrement sur les questions de droit suivantes:

1.Le ministère public devait essentiellement prouver que les commissions avaient été acceptées secrètement par Kelly/Peters et en contravention de l'al. 383(1)a) du Code criminel. En appel, la principale question est de savoir si l'art. 383 est applicable si l'auteur des paiements n'a pas conclu avec Kelly une affaire entachée de corruption. À mon avis, l'art. 383 (maintenant l'al. 426(1)a)) n'est pas applicable dans ces circonstances et la déclaration de culpabilité doit être annulée.

Il est donc évident que les motifs de dissidence soulèvent une seule question de droit. Il s'agit de déterminer si l'art. 383 (maintenant l'art. 426) est applicable dans le cas où l'auteur des paiements, en l'occurrence Qualico, n'a pas conclu une affaire entachée de corruption avec l'acceptant, Kelly. Pour répondre à cette question, il faut l'examiner dans le contexte des éléments de l'infraction et de l'interprétation donnée à l'expression "par corruption".

La disposition législative pertinente

Voici le texte du par. 426(1) du Code criminel:

426. (1) Commet une infraction quiconque, selon le cas:

a) par corruption:

(i)donne ou offre, ou convient de donner ou d'offrir, à un agent,

(ii)étant un agent, exige ou accepte ou offre ou convient d'accepter, de qui que ce soit,

une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque sorte à titre de contrepartie pour faire ou s'abstenir de faire, ou pour avoir fait ou s'être abstenu de faire, un acte relatif aux affaires ou à l'entreprise de son commettant ou pour témoigner ou s'abstenir de témoigner de la faveur ou de la défaveur à une personne quant aux affaires ou à l'entreprise de son commettant;

L'importance du mandat

Avant d'examiner l'objet de l'art. 426, je tiens à faire ressortir l'importance du mandat dans la société contemporaine. Celle‑ci ne pourrait tout simplement pas fonctionner en l'absence de mandataires ou d'agents. Il existe une multitude de rapports commettant‑agent. Mentionnons notamment qu'il est difficile de vendre une maison ou un immeuble commercial sans un agent immobilier ou encore de s'assurer sans consulter un agent d'assurance. Les agents de voyages organisent les vacances, et les courtiers agissent à titre d'agents dans le cadre d'opérations financières fort complexes et difficiles. Les avocats agissent également à titre d'agents pour le compte de leurs clients.

De plus en plus, les conseillers financiers agissent à titre d'agents pour leurs clients. Très souvent, les gens d'affaires et les professionnels qui ont un revenu élevé sont trop accaparés par leur travail pour bien organiser leurs affaires financières. Ils font alors appel aux services de conseillers financiers. Le rapport commettant‑agent est presque toujours fondé sur la divulgation de renseignements confidentiels par le commettant à l'agent. Ce rapport repose sur la confiance que le commettant peut avoir dans les conseils et les services que l'agent lui fournit.

La nature du mandat

Dans The Law of Agency (5e éd. 1983), Fridman propose, à la p. 9, la définition suivante du mandat:

[traduction] Le mandat est le rapport qui existe entre deux personnes dont l'une, l'agent, est en droit considérée comme la représentante de l'autre, le commettant, si bien que cet agent peut, par la conclusion de contrats ou l'aliénation de biens, influer sur la situation juridique du commettant à l'égard de tierces parties. [En italique dans l'original.]

Le commettant doit pouvoir faire confiance à l'agent car ce dernier peut influer sur sa situation juridique. C'est peut‑être là l'élément central du rapport. Essentiellement, l'agent vise à atteindre les mêmes résultats que ceux qu'aurait atteints le commettant s'il avait agi pour son compte. L'agent peut exercer une si grande influence sur les affaires du commettant et il possède un si grand pouvoir d'agir pour le compte de ce dernier qu'il doit, cela va de soi, agir en tout temps au mieux des intérêts du commettant.

Les fonctions d'un agent

L'agent doit exécuter les fonctions qu'il s'est engagé à remplir. Dans l'exercice de ses fonctions, l'agent doit avant tout agir au mieux des intérêts du commettant. Toutefois, pour y arriver, l'agent ne doit pas excéder le mandat que lui a confié le commettant.

Dans le contexte des affaires de "commissions secrètes", les fonctions essentielles de l'agent découlent de la nature fiduciaire du mandat. Le rapport de confiance est axé sur le commettant, et l'agent ne doit pas laisser ses intérêts personnels entrer en conflit avec ses obligations envers celui‑ci. Il y a conflit d'intérêts quand l'agent doit choisir entre son intérêt personnel et son obligation envers le commettant. Selon Fridman, op. cit., à la p. 153:

[traduction] Si l'agent se trouve dans une situation où son intérêt personnel peut influer sur l'exécution de son obligation envers le commettant, il est tenu de faire une divulgation complète de toutes les circonstances pertinentes, pour que le commettant puisse, en pleine connaissance, décider s'il consent à l'acte de l'agent.

Les tribunaux ont adopté une ligne de conduite stricte, cherchant non seulement à interdire les véritables actes frauduleux commis par un agent à l'endroit de son commettant, mais aussi à empêcher que les agents ne se trouvent pas dans une situation qui invite à la corruption. On trouve dans Bowstead on Agency (14e éd. 1976) plusieurs exemples où l'agent a un intérêt personnel et doit, par conséquent, faire une divulgation complète (à la p. 130):

[traduction] . . . un agent ne peut acheter le bien de son commettant ni vendre son bien à ce dernier parce que dans un tel cas il y aurait conflit entre son intérêt et son obligation. L'agent ne peut recevoir une commission des deux parties à une opération; il ne peut réaliser de profits secrets en exploitant sa situation ou le bien de son commettant; il ne peut retirer un bénéfice pour lui‑même de rapports avec une tierce partie qui sont en contravention de ses rapports avec son principal et il ne peut faire concurrence à son commettant.

Le mandat est extrêmement important pour le fonctionnement de notre société. Ce rapport est fondé sur la confiance et il est de nature fiduciaire. Il est essentiel d'en préserver l'intégrité.

L'objet de l'art. 426

Il n'y a pas de doute que l'art. 426 reconnaît à la fois l'importance du mandat et la nécessité de préserver l'intégrité du rapport qu'il implique. Cet article vient confirmer qu'un agent ne devrait pas être placé dans une situation qui entre en conflit avec celle du commettant. Par exemple, le bénéfice qu'un agent accepte d'une tierce partie le placera dans une situation de conflit d'intérêts à l'égard de son commettant, sauf si l'existence de ce bénéfice est divulgué avec diligence et d'une façon appropriée. Il est interdit à quiconque d'offrir à un agent un bénéfice, que l'on sait secret, afin de l'influencer quant aux affaires de son commettant. Une telle action vient corrompre et détruire le rapport découlant d'un mandat. Le versement d'un bénéfice secret rend les conseils et les services fournis par l'agent tellement suspects qu'ils ne peuvent être acceptés.

Cette situation a été bien énoncée dans l'arrêt R. c. Morris, précité, aux pp. 112 et 116:

[traduction] L'article vise à interdire à quiconque de profiter secrètement de la situation et des services d'un agent en lui versant une contrepartie quelconque. [. . .] [C]omme au moment de son adoption, l'article continue de viser à protéger le commettant, l'employeur, dans la conduite de ses affaires et de son entreprise, contre les personnes qui pourraient utiliser ou tenter d'utiliser son agent.

. . .

L'historique législatif de cet article démontre que son objet et son intention sont de criminaliser l'acceptation par un agent ou un employé de "commissions secrètes" pour témoigner de la faveur ou de la défaveur quant aux affaires ou à l'entreprise de son commettant.

Il ne peut y avoir de doute que l'objet louable de l'art. 426 est de protéger le rapport découlant d'un mandat, d'en préserver l'intégrité et de protéger le commettant.

L'article 426 est‑il applicable aux faits de l'espèce?

a) Le mandat -‑ Le premier élément

Le ministère public doit tout d'abord établir que Kelly agissait et savait qu'il agissait à titre d'agent pour le compte des clients de sa société, KPA. En l'espèce, il n'y a pas de doute qu'il y avait un mandat entre Kelly et ses clients et que Kelly était au courant de l'existence de ce mandat. En fait, cet élément de l'infraction n'a été soulevé ni en appel ni en première instance.

b)L'acceptation d'un bénéfice pour influencer les affaires du commettant — Le deuxième élément

Le ministère public doit en deuxième lieu prouver que l'agent a accepté un bénéfice à titre de contrepartie pour agir dans le cadre des affaires de son commettant. Il n'y a pas de doute que Kelly a accepté une commission d'une tierce partie. Il va sans dire que cette commission est comprise dans la catégorie "une récompense, un avantage ou un bénéfice", prévue à l'art. 426. Il est également évident que Kelly a accepté les commissions à titre de contrepartie pour faire un acte relatif aux affaires des commettants. Il est clair que Kelly a accepté le paiement pour recommander et ultérieurement vendre à ses clients les IRLM.

Pour établir la mens rea requise relativement à ce deuxième élément, le ministère public doit prouver que l'acceptant a sciemment accepté la commission à titre de contrepartie pour agir dans le cadre des affaires de ses clients ou de ses commettants. Il faut se rappeler que les infractions portant sur les "commissions secrètes" sont, de par leur nature même, secrètes. Elles découlent d'opérations qui sont intrinsèquement clandestines. Il s'ensuit que les tribunaux doivent faire preuve de bon sens et tirer les déductions raisonnables et appropriées des faits.

L'intention de Qualico, en payant les commissions, était certes d'encourager Kelly à inciter ses clients à se porter acquéreurs des IRLM de Qualico. En l'espèce, c'est Kelly qui a demandé à Qualico de négocier une entente concernant la vente des IRLM et la réception des commissions de vente applicables. C'est Kelly qui a informé le gérant local de Qualico qu'il avait des clients "solides" à qui il pourrait vendre les IRLM. Dans le cadre de l'entente visant la vente de toutes les unités comprises dans le premier projet, Kelly était disposé à assumer les risques liés à une garantie de bonne exécution, assortie d'un délai rigoureux. Ce n'est que pendant que les unités de Qualico étaient sur le marché que Kelly recommandait à ses clients d'acheter des IRLM. En conséquence, il ressort clairement de la nature inhérente des commissions et des actes de Kelly que celui‑ci acceptait sciemment les paiements de Qualico à titre de contrepartie pour inciter ses commettants (en l'occurrence ses clients) à se porter acquéreurs d'IRLM. Il a fort bien réussi sur ce plan.

c)La non‑divulgation et l'interprétation de l'expression "par corruption" — Le troisième élément

(i) Interprétation de l'expression "par corruption" à l'art. 426

On se souviendra que l'art. 426 vise quiconque, selon le cas, par corruption:

1.donne ou offre, ou convient de donner ou d'offrir, à un agent,

2.étant un agent, exige ou accepte ou offre ou convient d'accepter, de qui que ce soit, une récompense, etc.

Quelle interprétation doit‑on donner à l'expression "par corruption" dans cet article? On soutient que la perpétration de l'infraction est complète dès que l'agent accepte le bénéfice à titre de contrepartie pour influencer les affaires du commettant. Cette thèse se fonde notamment sur les arrêts Cooper c. Slade (1858), 6 H.L.C. 746, 10 E.R. 1488, et R. c. Gallagher (1985), 16 A. Crim. R. 215 (C.C.A. Vict.). Je ne peux accepter cette prétention car elle se fonde sur une jurisprudence ancienne sur la corruption des électeurs. Il est exact que ces arrêts et ceux qui ont trait à la corruption de fonctionnaires portent sur l'interprétation du terme "corruption". Toutefois, ils se distinguent facilement des affaires de commissions secrètes. Dans les cas de corruption de fonctionnaires, l'existence d'un mandat n'est pas nécessaire. Cependant, l'art. 426 est entièrement axé sur la protection du commettant vulnérable et la préservation de l'intégrité du rapport agent‑commettant. De plus, la nature d'une commission est fort différente de celle d'un pot‑de‑vin.

L'expression "par corruption" doit être interprétée dans le contexte de l'art. 426. Il est bien établi dans le domaine de l'interprétation législative qu'il faut conférer un sens à chaque terme d'une loi. Il serait superflu d'inclure l'expression "par corruption" dans l'article si la perpétration de l'infraction était complète dès l'acceptation du bénéfice dans les circonstances décrites dans l'article. L'expression "par corruption" doit donc ajouter quelque chose à l'infraction.

À mon avis, l'expression "par corruption", au sens où elle est utilisée dans cet article, implique le secret. C'est en raison de la non‑divulgation de l'existence de la commission qu'il est impossible pour le commettant de déterminer s'il doit suivre les conseils de l'agent ou admettre les actes accomplis par ce dernier. C'est la non‑divulgation qui rend la réception de la commission ou de la récompense entachée de corruption. Dans ce contexte, l'expression "par corruption" ajoute l'élément de non‑divulgation à l'actus reus de l'infraction.

En reconnaissant que l'expression "par corruption" visée à l'art. 426 implique le secret, on adopte une interprétation compatible avec l'analyse contenue dans l'arrêt R. c. Brown, précité. Dans cette affaire, le juge Laidlaw de la Cour d'appel a analysé le sens de l'expression "par corruption" dans le contexte de l'art. 368 (maintenant l'art. 426): [traduction] "Le problème auquel veut remédier cette disposition du Code criminel est celui des opérations secrètes conclues avec une personne dans la situation d'un agent relativement aux affaires ou à l'entreprise de son commettant" (p. 289). (Je souligne.)

En conférant à l'expression "par corruption" le sens de "secrètement" ou de "non‑divulgation", on renforce l'objet de l'art. 426, qui est de préserver l'intégrité du rapport agent‑commettant. Cette interprétation est également appuyée par la rubrique introductive intitulée "Commissions secrètes". C'est le caractère secret du bénéfice et non le bénéfice en soi qui constitue l'élément essentiel de l'infraction. L'appelant Kelly soutient que les termes de cette rubrique sont de simples notes marginales dont on ne doit pas tenir compte dans l'interprétation de l'article. Je ne puis souscrire à cette opinion. L'arrêt R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, établit clairement qu'il est approprié de tenir compte des rubriques des lois et de l'historique d'un article comme moyen d'en interpréter l'objet.

Bref, dans le contexte des commissions secrètes, l'expression "par corruption" signifie que leur existence n'a pas été divulguée. Cette définition offre une certaine symétrie entre les deux infractions constituées par l'al. 426(1)a). En ce qui concerne l'acceptant‑agent, l'expression "par corruption" signifie que l'agent n'a pas divulgué l'existence du paiement au commettant d'une façon appropriée et en temps opportun. En ce qui concerne le donneur, l'expression "par corruption" signifie que la récompense a été donnée dans l'espoir et avec l'intention que l'agent n'en divulgue pas l'existence au commettant, d'une façon adéquate et en temps opportun.

(ii) Quelle est la norme appropriée de divulgation?

Quelle est alors l'étendue de la divulgation attendue d'un agent? En d'autres termes, jusqu'à quel point le ministère public doit‑il prouver la non‑divulgation s'il veut établir la culpabilité d'un agent en vertu de l'art. 426? Dans l'arrêt Kelly, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, à la majorité, a conclu que la divulgation [traduction] "doit être appropriée et complète en ce sens que le commettant doit être expressément informé de l'existence des commissions ou elle doit être tellement limpide que le commettant ne pourrait nier qu'il aurait dû être au courant" (p. 160). Dans l'arrêt R. c. Arnold (1991), 65 C.C.C. (3d) 171, la Section d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a accepté cette norme. Ces tribunaux ont conclu que l'agent doit faire une divulgation complète, franche et impartiale. Par contre, le juge Hutcheon, dissident dans l'arrêt Kelly, mentionne en obiter qu'une norme de "divulgation complète, franche et impartiale" est trop exigeante du point de vue du droit pénal et qu'une [traduction] "divulgation partielle pourrait être suffisante".

De nouveau, l'examen de l'objet de l'art. 426 peut nous aider à déterminer la norme requise de divulgation. L'interdiction des commissions secrètes repose sur le principe de la protection des commettants vulnérables et de la préservation de l'intégrité du mandat. En exigeant de l'agent qu'il divulgue la réception d'une commission, on contribue à l'atteinte de l'objectif de l'article. En fait, la divulgation de l'existence d'une commission est essentielle pour attirer l'attention du commettant sur les risques de conflits d'intérêts. En cas de non‑divulgation, le commettant n'a aucun moyen de savoir si l'agent agit réellement au mieux des intérêts qu'il représente et il ne peut déterminer s'il devrait accepter les conseils de l'agent.

Pour atteindre l'objet de l'article, on doit exiger de l'agent qu'il divulgue d'une façon appropriée et en temps opportun l'existence d'une commission. Une divulgation générale et vague du fait que l'agent reçoit des commissions ne permet pas d'atteindre cet objectif. L'agent doit divulguer la nature du bénéfice reçu, son montant calculé le mieux possible ainsi que sa source. Il se peut que l'agent ne soit pas en mesure de déterminer avec exactitude le montant de la commission qu'il recevra. Il suffira qu'il déploie des efforts raisonnables pour attirer l'attention du commettant sur le montant approximatif et la source de la commission à recevoir. De toute évidence, le commettant sera influencé par le montant du bénéfice reçu par l'agent. Plus le bénéfice de l'agent sera élevé, plus le conflit d'intérêts sera important et, toute proportion gardée, plus le risque sera grand pour le commettant. La divulgation doit être faite en temps opportun en ce sens que le commettant doit être informé de l'existence du bénéfice dès que possible. Certes, la divulgation doit être faite au moment où la récompense risque d'influencer l'agent relativement aux affaires du commettant. En conséquence, il est essentiel que l'agent divulgue clairement au commettant d'une façon aussi diligente que possible la source et le montant, exact ou approximatif, du bénéfice.

Le rapport découlant du mandat ne sera protégé que dans le cas où la divulgation est à la fois appropriée et faite en temps opportun. Muni de ces renseignements, le commettant pourra alors déterminer s'il doit se fier aux conseils de l'agent et dans quelle mesure. Il serait préférable que cette divulgation soit faite par écrit.

Il est évident que les clients de KPA ne savaient pas qu'elle avait accepté une commission de vente de Qualico pour chaque IRLM de cette dernière vendu aux clients de KPA. À la rencontre initiale avec les nouveaux clients, le personnel de KPA faisait l'historique de l'entreprise, décrivait les services qu'elle offrait et ses diverses sources de rémunération. La présentation durait environ une heure à une heure et demie, mais on consacrait moins de cinq minutes aux explications sur les sources de rémunération. Une divulgation aussi vague et générale n'est pas suffisante pour atteindre les objectifs de l'art. 426.

Rien ne prouve que les clients ont été mis au courant des commissions reçues de Qualico au moment où les ventes ont été effectuées. Kelly lui-même a avisé les associés de KPA qu'il ne voulait pas divulguer par écrit des renseignements additionnels concernant les sources de rémunération du projet d'IRLM. Les notices d'offre pour les IRLM de Qualico renfermaient deux mentions d'une ligne traitant des [traduction] "Frais d'émission et de vente" pour les projets, mais il n'y avait aucune mention expresse du fait que c'était l'appelant qui devait recevoir ces frais à titre de commissions. Par conséquent, en l'espèce, on ne peut certainement pas dire qu'il y a eu une divulgation faite de façon appropriée et en temps opportun. On peut constater également que Kelly connaissait l'étendue de la divulgation et qu'il a pris consciemment la décision de la restreindre. Il y avait donc une preuve forte pouvant fonder la déclaration de culpabilité de l'appelant.

(iii) Affaire entachée de corruption

Le ministère public doit‑il prouver l'existence d'une affaire entachée de corruption entre le donneur et l'acceptant du bénéfice? À mon avis, il n'a pas à le faire. Il s'agit là du point sur lequel le juge Hutcheon a exprimé sa dissidence. Pour lui, l'existence d'une "affaire entachée de corruption" est une condition préalable à la perpétration de l'infraction prévue à l'art. 426. À son avis, il doit y avoir un donneur coupable et un acceptant coupable pour que le ministère public puisse obtenir une déclaration de culpabilité en vertu de l'art. 426. L'analyse fondée sur une affaire entachée de corruption met l'accent sur le rapport entre l'agent et la tierce partie plutôt que sur le rapport essentiel qui existe entre l'agent et le commettant.

Exiger que le donneur et l'acceptant aient tous deux agi par corruption, c'est oublier l'existence des deux dispositions indépendantes de l'al. 426(1)a). L'emploi de "selon le cas" à l'al. 426(1)a) doit vouloir dire que l'article s'applique soit au donneur soit à l'acceptant. La disposition n'a pas besoin de s'appliquer aux deux en même temps. À mon avis, cette interprétation est appuyée par l'intention et l'objet évidents de l'article.

Donc, l'art. 426 a pour objet de protéger le commettant contre les personnes qui pourraient avoir recours ou tenter d'avoir recours à son agent dans la conduite de ses affaires. Cet article s'intéresse à l'intégrité de l'agent et au droit du commettant de se fier à cette intégrité. En conséquence, si l'agent accepte secrètement une commission dans le but d'influencer les affaires du commettant, il doit être déclaré coupable, que le donneur ait ou non eu l'intention que l'acceptant ne divulgue pas au commettant, d'une façon appropriée et en temps opportun, l'existence du bénéfice.

La définition de l'infraction contenue dans l'article nous permet de trancher la question de savoir s'il faut prouver l'existence d'une affaire entachée de corruption. En vertu du sous‑al. 426(1)a)(ii), commet un acte criminel l'agent qui accepte sciemment un bénéfice, à titre de contrepartie pour influencer les affaires de son commettant, sans l'avoir divulgué d'une façon suffisante. Lorsqu'une poursuite est intentée contre un agent‑acceptant en vertu de cet article, le donneur doit avoir versé le bénéfice à l'acceptant à titre de contrepartie pour influencer le commettant de l'acceptant. Toutefois, en vertu du sous‑al. 426(1)a)(ii), le ministère public n'a pas à établir que le donneur a agi par corruption en ce sens qu'il savait, prévoyait ou s'attendait que l'agent‑acceptant ne divulguerait pas l'existence du bénéfice au commettant d'une façon appropriée et en temps opportun. L'article 426 prévoit que l'acceptant peut être déclaré coupable, sans égard à la culpabilité ou à l'innocence du donneur. Cet article n'exige pas l'existence d'une affaire entachée de corruption.

Sommaire

L'actus reus de l'infraction prévue au sous‑al. 426(1)a)(ii) comporte donc trois éléments qui devront être établis en cas d'accusation contre un agent‑acceptant relativement à l'acceptation d'une commission:

(1) l'existence d'un mandat;

(2) l'acceptation par l'agent d'un bénéfice à titre de contrepartie pour faire ou s'abstenir de faire un acte relatif aux affaires de son commettant;

(3) l'omission de la part de l'agent de divulguer d'une façon appropriée et en temps opportun la source, le montant et la nature du bénéfice.

La mens rea requise doit être établie pour chacun des éléments de l'actus reus. Conformément au sous‑al. 426(1)a)(ii), l'agent‑acceptant accusé doit:

(1) être au courant de l'existence du mandat;

(2) avoir accepté sciemment le bénéfice à titre de contrepartie pour un acte à être fait relativement aux affaires du commettant;

(3) être au courant de l'étendue de la divulgation au commettant ou de l'absence de divulgation.

Si l'accusé savait qu'il y a eu divulgation, il reviendra alors à la cour de déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, elle a été faite de façon appropriée et en temps opportun.

Dans le contexte des commissions secrètes, l'expression "par corruption" signifie qu'elles ont été versées secrètement ou qu'elles n'ont pas été divulguées comme il se doit. L'existence d'une "affaire entachée de corruption" n'est pas nécessaire. En conséquence, l'acceptant d'une récompense ou d'un bénéfice peut être déclaré coupable malgré l'innocence du donneur. Pour l'application de l'article, le ministère public aura établi la non‑divulgation s'il démontre que l'agent n'a pas divulgué au commettant d'une façon appropriée et en temps opportun la source, le montant et la nature du bénéfice.

En l'espèce, Qualico a payé la commission habituelle à Kelly. De toute évidence, la commission visait à inciter Kelly à influencer ses clients. Kelly était au courant de cette intention. Il a accepté la commission secrètement et influencé les affaires de ses commettants. Le paiement de la commission n'a pas été divulgué d'une façon appropriée et en temps opportun. Le ministère public n'avait pas à établir que Qualico avait agi par corruption lors du paiement des commissions, ou qu'il s'agissait d'une affaire entachée de corruption conclue avec Kelly.

En conséquence, le ministère public a prouvé tous les éléments requis pour obtenir une déclaration de culpabilité en vertu de l'art. 426.

Dispositif

Le pourvoi est par conséquent rejeté.

Version française des motifs rendus par

//Le juge Sopinka//

Le juge Sopinka (dissident) — J'ai eu l'occasion de lire les motifs du juge Cory, mais, malheureusement, je ne peux souscrire à sa conclusion. Je conviens avec lui de l'importance du rapport commettant‑agent et de la nécessité de protéger légalement la confiance sur laquelle il repose. Toutefois, contrairement au juge Cory, je ne crois pas que la réponse à cette nécessité réside dans la criminalisation de l'inexécution d'obligation à moins que le législateur n'ait clairement manifesté son intention à cet effet. Plus particulièrement, je ne peux convenir que le défaut de l'appelant de faire une divulgation complète, geste unilatéral, transforme l'inexécution d'obligation en un acte criminel.

L'objet et le sens de l'art. 426

On constate, à l'étude de l'historique de l'article, que celui‑ci porte sur le versement ou la réception par un agent de commissions secrètes ou de pots‑de‑vin. Ces bénéfices ou récompenses doivent viser à influencer l'agent dans l'exercice de ses fonctions envers le commettant. Je fais mien, à titre d'énoncé définitif de l'objet de la disposition législative, l'exposé du juge Laidlaw dans R. c. Brown (1956), 116 C.C.C. 287 (C.A. Ont.), à la p. 289:

[traduction] Le problème auquel veut remédier cette disposition du Code criminel est celui des opérations secrètes conclues avec une personne dans la situation d'un agent relativement aux affaires ou à l'entreprise de son commettant. Elle vise à ce que personne ne profite secrètement de la situation de l'agent et de ses services en retour d'une quelconque contrepartie. L'agent ne peut offrir qu'à son commettant, accepter ou convenir d'accepter que de ce dernier une contrepartie pour tout service rendu relativement à ses affaires ou à son entreprise. L'article est également destiné à protéger le commettant dans la gestion de ses affaires ou de son entreprise contre ceux qui pourraient profiter secrètement, ou tenteraient de profiter des services de son agent. Ce dernier ne doit en aucun temps et dans aucune circonstance subir cette influence malveillante. La disposition cherche également à protéger l'agent contre toute personne disposée à profiter secrètement de sa situation et de ses services. Il est interdit à quiconque de conclure des opérations secrètes en vertu desquelles il "donne ou offre, ou convient de donner ou d'offrir" une contrepartie à un agent pour ses services relativement aux affaires ou à l'entreprise de son commettant. [Je souligne.]

La disposition interdit toute opération destinée à influencer l'agent dans sa gestion des affaires du commettant. Elle cherche donc à proscrire les différentes étapes de ces opérations. Elle s'applique au stade de la formation en interdisant toute offre ou demande, au stade de l'accord et enfin au stade où les opérations sont complétées par le paiement de bénéfices ou de récompenses.

L'article 426 cherche à mettre l'agent à l'abri de l'influence de tierces parties qui souhaitent le récompenser en retour de quelque acte influant sur les affaires du commettant. Dans R. c. Morris (1988), 64 Sask. R. 98 (C.A.), on dit, à la p. 112:

[traduction] Il ne doit en aucun temps et dans aucune circonstance subir ce genre d'influence. La disposition cherche également à éviter que l'employé soit sollicité par des personnes disposées à profiter secrètement de sa situation et de ses services en le récompensant ou en le payant en retour.

En conséquence, si un agent est accusé d'avoir reçu une récompense ou un bénéfice, il faut démontrer qu'il l'a accepté à titre de contrepartie visant à l'influencer. Pour ce faire, il faut prouver qu'elle a été offerte, promise ou donnée dans cette intention et que l'agent savait ou croyait qu'elle a été ainsi donnée.

La Cour d'appel, à la majorité, s'est grandement fiée aux jugements de la Court of Criminal Appeal de Victoria rendus dans R. c. Gallagher, ci‑dessous. Dans cette affaire, un agent était accusé d'avoir reçu des avantages en contravention de la disposition de Victoria en matière de corruption. L'alinéa 176(1)b) de la Crimes Act 1958 (Vict.) est ainsi libellé:

[traduction] Commet une infraction criminelle [. . .] quiconque, étant un agent, par corruption, accepte ou exige de qui que ce soit, pour lui‑même ou pour une autre personne, une contrepartie de quelque sorte —

. . .

b)dont l'acceptation ou la perspective est susceptible, de quelque façon, d'influencer l'agent ou de l'amener à témoigner ou à s'abstenir de témoigner de la faveur ou de la défaveur à une personne quant aux affaires ou à l'entreprise de son commettant;

Au cours du premier appel (1985), 16 A. Crim. R. 215, on a approuvé la directive suivante au jury, à la p. 222:

[traduction] Le quatrième et dernier élément du crime présumé dans chaque chef d'accusation porte sur le fait que l'agent a, par corruption, reçu une contrepartie. Cet élément recherche l'état d'esprit de l'agent au moment où il a reçu la contrepartie. Il a agi par corruption s'il croyait alors que la personne lui donnant cette contrepartie avait l'intention de l'influencer pour qu'il témoigne ou s'abstienne de témoigner de la faveur ou de la défaveur à une personne quant aux affaires ou à l'entreprise de son commettant. Le fait que l'agent lui‑même ait accepté la contrepartie dans l'intention de témoigner de la faveur ou de s'abstenir de témoigner de la défaveur ou non n'est pas pertinent. En fait, qu'il ait ou non effectivement témoigné de la faveur ou se soit abstenu de témoigner de la défaveur n'est pas pertinent. Il suffit qu'il ait cru que la personne lui donnant la contrepartie cherchait à l'influencer, car en l'acceptant il compromettait sa loyauté. [Je souligne.]

Toutefois, on a ordonné un nouveau procès pour des motifs différents. L'accusé a été déclaré coupable et il a de nouveau interjeté appel. Voir R. c. Gallagher (1987), 29 A. Crim. R. 33. La Cour d'appel a confirmé dans le deuxième appel que le bénéficiaire doit croire que le donneur cherche à l'influencer pour qu'il lui témoigne de la faveur dans sa gestion des affaires du commettant. Contrairement au donneur, l'acceptant pouvait être déclaré coupable pour ce motif. À la page 35, la cour a dit: [traduction] "si, par méprise, le bénéficiaire a cru que le donneur souhaitait l'influencer, le donneur n'a pas agi par corruption, mais le bénéficiaire l'a fait."

L'article 426 précise davantage que la loi de Victoria que le paiement doit être versé dans le but d'amener l'agent à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte relativement aux affaires du commettant. L'agent n'est coupable que si la récompense ou le bénéfice est versé "à titre de contrepartie pour faire ou s'abstenir de faire, ou pour avoir fait ou s'être abstenu de faire, un acte relatif aux affaires ou à l'entreprise de son commettant . . ." Le bénéfice doit, en fait, être offert dans cette intention ou le bénéficiaire doit croire qu'il l'est. Si le donneur n'avait pas cette intention et si l'acceptant ne croyait pas qu'il l'avait, le bénéfice ne peut pas être considéré comme contrepartie d'un tel acte. Généralement, dans toute opération, la "contrepartie" est donnée en compensation pour l'obligation de chaque partie. Le bénéficiaire d'une promesse ou d'un bénéfice résultant d'une promesse n'en détermine pas la nature unilatéralement. Celle‑ci est déterminée par celui qui fait la promesse avec l'accord de celui à qui elle est faite.

Par conséquent, dans la plupart des cas, on établira la culpabilité de l'agent en démontrant qu'il a accepté une récompense offerte, promise ou donnée dans l'intention de l'influencer. L'infraction est consommée sans qu'il soit nécessaire de démontrer que les actes de l'agent ont effectivement été influencés. Comme l'a souligné la Cour d'appel dans Gallagher, le facteur décisif réside dans l'état d'esprit de l'agent qui accepte la contrepartie. Si ce dernier est influencé par la tentation de modifier la façon d'exercer ses fonctions en raison de l'espoir de recevoir un bénéfice ou une récompense, le problème auquel la disposition cherche à remédier se pose. Pour le même motif, si l'agent exige un bénéfice en retour d'un acte ou d'une abstention à l'endroit du commettant, l'article s'applique. La loyauté de l'agent a été affectée par l'espoir d'une récompense. Pour ce motif, l'agent qui croit qu'un bénéfice est offert à titre de contrepartie visant à influer sur les affaires de son commettant est coupable même si, en fait, il n'a pas été offert dans ce but.

L'utilisation de l'expression "par corruption" vise à souligner la nécessité que le donneur ou l'acceptant n'agisse pas en toute innocence, mais de mauvaise foi, en faisant intentionnellement ce que la disposition interdit par ailleurs. Dans R. c. Brown, précité, à la p. 289, on a déclaré que l'expression "par corruption" s'entend de l'acte de [traduction] "faire la chose même que la loi interdit". Dans R. c. Gross (1945), 86 C.C.C. 68 (C.A. Ont.), le juge Roach, en mettant l'accent sur le but de l'avantage ou contrepartie, a ajouté qu'il doit être de mauvaise foi. Il s'est exprimé ainsi (à la p. 75):

[traduction] L'expression "par corruption" dans l'article donne le ton au comportement visé. Le problème réside dans le fait de donner un avantage ou une contrepartie, non pas de bonne foi, mais de mauvaise foi, et expressément, en tout ou en partie, dans l'intention d'obtenir l'effet interdit par l'article.

Je ne peux convenir que la non‑divulgation par celui qui reçoit l'offre est synonyme de l'expression "par corruption". Bien que dans certaines situations auxquelles l'article s'applique la divulgation ou l'intention de divulguer de la part de celui qui reçoit l'offre puisse neutraliser la mauvaise foi, dans d'autres, la divulgation n'est pas un facteur pertinent. Ainsi, si le donneur est accusé, il peut être coupable s'il a simplement présenté une offre à titre de contrepartie pour influer sur les affaires du commettant. Pourvu que le donneur ait l'intention que le bénéfice ne soit pas divulgué au commettant, l'infraction est perpétrée dès que l'offre est faite. L'intention de divulguer de celui qui reçoit l'offre ou, en fait, la véritable divulgation, n'est pas pertinente. Dans la mesure où le donneur aurait tout de même agi par corruption, on ne peut considérer les deux termes interchangeables. À mon avis, la divulgation et la non‑divulgation sont un seul facteur qui, dans certaines applications de l'article, peut être pertinent à l'égard de l'élément moral de l'infraction. Dans les cas où le donneur est accusé, l'infraction est perpétrée dès que l'offre est faite ou acceptée ou que la récompense ou le bénéfice est accepté dans l'état d'esprit requis. Il ressort des cas mentionnés précédemment que l'élément essentiel de l'infraction à l'égard du bénéficiaire est l'influence sur l'esprit de l'agent au moment où l'un de ces événements se déroule. Si le comportement subséquent n'est pas pertinent pour démontrer que l'agent a été ou n'a pas été véritablement influencé, la divulgation subséquente est elle aussi non pertinente pour excuser une infraction consommée.

Application à l'espèce

Il ressort du libellé des accusations en l'espèce que les infractions imputées sont relatives à une opération effectuée avec Qualico, en vertu de laquelle l'appelant a accepté une contrepartie pour amener ses clients à investir dans Mirror Development. Le premier chef d'accusation est ainsi libellé:

[traduction] Entre le 1er juin 1980 et le 31 mars 1983, en la ville de Vancouver (Colombie‑Britannique), étant un agent de Janet BIGA, Michael DRISCOLL, Bruce HARRISON, Garry HENRY et autres clients de KELLY PETERS & ASSOCIATES LTD., a, par corruption, accepté de QUALICO DEVELOPMENTS LTD. une récompense ou bénéfice, à savoir deux cent soixante‑deux mille dollars (262 000 $), à titre de contrepartie pour faire ou avoir fait un acte relativement aux affaires de Janet BIGA, Michael DRISCOLL, Bruce HARRISON, Garry HENRY et autres clients de KELLY PETERS & ASSOCIATES LTD. concernant des investissements par les personnes susdites dans Mirror Developments, en contravention de l'alinéa 383(1)a) du Code Criminel du Canada. [Je souligne.]

Les paiements ont été versés par Qualico à l'appelant conformément à un accord et ne peuvent être considérés comme étant la contrepartie de la vente effectuée à des clients de l'appelant. Les commissions devaient être payées en contrepartie d'une vente faite à qui que ce soit. L'accord a été conclu sans lien de dépendance, et le montant des commissions était identique à celui payé à tout autre vendeur. Dans beaucoup de cas, l'appelant a vendu à ses clients; toutefois, il n'a pas vendu parce qu'il a été poussé par Qualico à le faire ni parce qu'il croyait que c'était là le but de l'accord avec Qualico ou des paiements. La décision de vendre à ses clients a été prise unilatéralement. Son défaut de divulguer de manière complète constitue une inexécution d'obligation, mais il n'est pas coupable de l'infraction imputée.

La Cour d'appel, à la majorité, a résumé l'affaire contre l'appelant de la façon suivante:

[traduction] Je crois que la loi prévoit l'existence d'une opération, mais il suffit que le donneur paie l'acceptant pour accomplir quelque chose relativement aux affaires de son client et que l'acceptant le sache. Cette opération peut être complètement inoffensive du point de vue du donneur, et être dans le cours normal des affaires. Toutefois, l'acceptant commet un acte criminel s'il connaît la raison pour laquelle l'argent est versé. Selon moi, c'est le cas en l'espèce. [Je souligne.]

((1989), 52 C.C.C. (3d) 137, à la p. 155)

Avec égards, si l'on applique ce critère aux faits de l'espèce, j'estime que l'appelant aurait dû être acquitté. Il ne savait ni ne croyait que Qualico le payait pour vendre à ses clients. Les cas mentionnés précédemment ont fait ressortir cet élément et, en l'espèce, il est totalement inexistant.

En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner qu'un acquittement soit prononcé relativement à chaque accusation.

Version française des motifs rendus par

//Le juge McLachlin//

Le juge McLachlin — J'ai lu les motifs des juges Sopinka et Cory et je conviens avec ce dernier que le pourvoi doit être rejeté. Toutefois, les motifs du juge Cory me préoccupent à deux points de vue et je tiens à y apporter mes commentaires. Mes préoccupations visent l'absence de divulgation, qui constitue un élément de l'actus reus, et la connaissance de cette absence de divulgation, qui constitue un élément de la mens rea.

Je suis convaincue que la connaissance de la non‑divulgation peut constituer l'aspect de la mens rea de l'infraction d'acceptation d'une commission secrète qui est sous‑entendu par l'expression "par corruption". Pour les motifs exprimés par la Cour d'appel à la majorité et le juge Cory de notre Cour, il n'est pas nécessaire que l'affaire soit entachée de corruption. En fait, le sous‑al. 426(1)a)(ii) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, établit clairement que l'infraction est commise simplement si l'agent "exige" ou "convient d'accepter" une récompense, ce qui en soi est suffisant pour contredire la prétendue nécessité d'une affaire conclue entachée de corruption.

J'éprouve des difficultés relativement au moment et à la nature de la divulgation qui permettent de conclure à l'absence de cet élément de la mens rea de l'infraction. Le juge Cory précise que la divulgation doit être faite "de façon appropriée" et "en temps opportun". À mon avis, le juge Cory donne à ces expressions une interprétation qui élargit la portée de l'infraction d'une façon incompatible avec les principes du droit pénal.

La première difficulté vise le moment de la divulgation. Le juge Cory précise qu'"il est essentiel que l'agent divulgue clairement au commettant d'une façon aussi diligente que possible la source et le montant, exact ou approximatif, du bénéfice" (je souligne). Il apporte à ce sujet les précisions suivantes (à la p. 000):

La divulgation doit être faite en temps opportun en ce sens que le commettant doit être informé de l'existence du bénéfice dès que possible. Certes, la divulgation doit être faite au moment où la récompense risque d'influencer l'agent relativement aux affaires du commettant.

Ce passage soulève un certain nombre de questions. Quand l'acte criminel est‑il consommé? Qu'entend‑on par l'expression "dès que possible"? Comme moyen de défense, l'agent peut‑il prétendre que le moment n'était pas encore venu où il pouvait être influencé? Dans l'affirmative, quand arrive ce moment? Ces questions ouvrent la porte à toute une gamme de réponses.

L'analyse du juge Cory montre que cette infraction est fort différente de l'ensemble des infractions criminelles. Une infraction est consommée dès la perpétration d'un acte particulier, l'actus reus, accompagnée de l'état d'esprit coupable, la mens rea. Par exemple, l'infraction de voies de fait est consommée lorsqu'une personne emploie la force contre une autre personne sans son consentement, l'actus reus, et le fait d'une manière intentionnelle. L'acte est commis avec l'intention nécessaire et l'infraction est consommée en une seule opération. Selon l'analyse que fait le juge Cory de l'infraction d'acceptation de commissions secrètes, l'agent peut commettre une partie de l'actus reus, c'est‑à‑dire l'acceptation d'une commission dans les circonstances requises et le faire avec une partie de la mens rea, c'est‑à‑dire la connaissance des circonstances qui constitue jusqu'à ce point l'actus reus. Toutefois, la culpabilité de l'agent est à ce moment‑là incertaine et dépendra du fait qu'il n'a pas divulgué "d'une façon appropriée et en temps opportun la source, le montant et la nature du bénéfice", l'autre élément de l'actus reus, tout en étant au courant "de l'étendue de la divulgation au commettant ou de l'absence de divulgation", l'autre élément de la mens rea. Selon l'analyse du juge Cory, la perpétration d'une partie de l'infraction peut être différée en fonction des circonstances. L'actus reus et la mens rea nécessaires apparaissent si, au moment que le juge de première instance estime, après coup, "opportun", l'agent n'avait pas fait une divulgation complète et était au courant de cette absence de divulgation, une conduite non criminelle devenant alors une conduite criminelle. C'est un peu comme si l'infraction était latente et ne se concrétiserait que lorsque le tribunal décide qu'elle a été accomplie.

C'est un concept fondamental du droit pénal que les règles de droit doivent être précises et définitives. C'est là un concept essentiel puisqu'une personne risque d'être privée de sa liberté et de subir la sanction et l'opprobre que jette une déclaration de culpabilité criminelle. Ce principe est inscrit dans la common law depuis des siècles, et formulé dans la maxime nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege— il ne saurait exister de crimes ou de sanctions sauf en conformité avec des règles de droit bien établies et précises. La création d'un crime qui ne correspond pas à ce principe fondamental pourrait bien de ce fait être inconstitutionnelle. Comme l'a affirmé le juge Lamer, maintenant Juge en chef, dans le Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123, à la p. 1155:

Il me semble que, depuis l'adoption de la Charte, la théorie de l'imprécision ou de la portée excessive d'une loi a été à l'origine de deux moyens de contestation des lois. Premièrement, une loi qui ne donne pas un avertissement suffisant que la conduite envisagée est criminelle peut être contestée en vertu de l'art. 7 dans la mesure où cette loi peut priver une personne de sa liberté et de sa sécurité d'une manière qui n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale. Il me semble évident qu'il y a atteinte aux principes de justice fondamentale si une personne risque d'être privée de sa liberté parce qu'elle n'a pas reçu un avertissement suffisant que sa conduite était visée par l'infraction définie par le Parlement. Deuxièmement, lorsqu'une loi restreint une liberté ou un droit distinct garanti par la Charte, on peut tenir compte de la théorie de l'imprécision ou de la portée excessive d'une loi pour déterminer si la limite est imposée "par une règle de droit" au sens de l'article premier de la Charte.

C'est l'imprécision dans le premier sens mentionné par le juge Lamer que soulève l'analyse "après coup" du moment opportun de la divulgation, que préconise le juge Cory.

Le juge en chef Dickson, avec l'appui des juges La Forest et Sopinka, a convenu qu'il serait contraire aux principes de justice fondamentale de permettre à une personne d'être privée de sa liberté pour avoir violé une règle de droit imprécise. Le juge en chef Dickson affirme, à la p. 1141:

Il est certain que dans le contexte pénal où la liberté d'une personne est en jeu, il est impératif que les personnes soient en mesure de savoir d'avance avec un degré de certitude élevé quelles conduites sont interdites ou permises. Il serait contraire aux principes fondamentaux de notre système judiciaire d'incarcérer des personnes pour la violation d'une loi imprécise.

Le risque qu'une conduite donnée devienne criminelle si l'on juge (après coup) que, dans les circonstances, le moment était opportun aux fins de la divulgation, va à l'encontre de l'exigence fondamentale que les règles de droit pénal soient précises. Bref, un agent ne recevra pas ainsi un avertissement suffisant que l'acte qu'il se propose d'accomplir est criminel. Cette absence de prévisibilité risque non seulement d'être injuste, mais aussi de limiter l'effet de dissuasion associé à l'existence d'une interdiction criminelle, car une personne pourrait différer la divulgation qu'elle était tenue de faire parce que, dans les circonstances de l'époque, elle n'estimait pas nécessaire de la faire. Enfin, il faut aussi déterminer si un agent tenu de divulguer, à un certain moment, une récompense, quelles que soient les circonstances, a droit à un acquittement parce qu'il ne s'est pas rendu compte que le moment était venu de le faire.

À mon avis, si l'absence de divulgation constitue un élément de l'infraction, le moment de la divulgation doit être clair et précis en droit. Plutôt que d'attendre la réalisation d'un événement futur qui servira à déterminer le moment opportun de la divulgation, on devrait, à mon avis, préciser le moment où la divulgation doit être faite. Si l'actus reus est l'acceptation d'une commission secrète, alors le moment pertinent qui servira à déterminer s'il y a eu absence de divulgation est celui où la commission est acceptée. En pratique, si l'agent accepte une commission sans en informer le commettant au préalable (ou simultanément à l'acceptation, en admettant que cela soit possible), l'infraction est commise. Il appartient à l'agent de refuser la commission sauf s'il a tout d'abord informé le commettant de son intention de l'accepter.

À mon avis, il est logique de procéder de cette façon. Permettre à un agent d'accepter une commission secrète pour le motif qu'il en divulguera l'existence au commettant "dès que possible" encourage l'acceptation de ces commissions: le "chemin" du crime, tout comme celui de l'enfer, peut être pavé de bonnes intentions. Par contre, exiger de l'agent qu'il obtienne tout d'abord l'accord de son commettant avant d'accepter une commission ne crée aucun préjudice indu. Supposons, par exemple, que l'agent recevrait par courrier une commission non sollicitée. L'agent ne pourra accepter la somme d'argent ou toucher le chèque, selon le cas, tant qu'il n'aura pas informé le commettant de l'existence de la commission. Je suis d'avis qu'une telle exigence ne peut apporter que des résultats positifs.

Je passerai maintenant de l'examen du moment de la divulgation à celui du degré de divulgation. De nouveau, la considération de base est que les règles de droit pénal doivent être claires et précises. Le juge Cory précise que l'agent doit "calcul[er] le mieux possible" le montant de la commission et il conclut, à la p. 000:

Si l'accusé savait qu'il y a eu divulgation, il reviendra à la cour de déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, elle a été faite de façon appropriée. . .

Selon moi, cette norme appliquée "après coup" est trop imprécise pour satisfaire aux exigences du droit pénal.

Je suis d'accord avec le juge Cory que l'étendue de la divulgation requise dépend de l'objet que vise à atteindre l'obligation de divulgation. Je conviens également avec lui que "la divulgation de l'existence d'une commission est essentielle pour attirer l'attention du commettant sur les risques de conflits d'intérêts" (p. 000). L'obligation de divulgation vise à éviter les conflits d'intérêts et, donc, le risque que l'agent n'agisse pas exclusivement dans l'intérêt de ses commettants. Le montant de la commission est purement secondaire. Certains agents seront tentés par une commission élevée, mais d'autres le seront par une commission moindre. Par ailleurs, obliger la divulgation du montant d'une commission pose des difficultés pratiques de calcul, comme le reconnaît le juge Cory. Ces problèmes sont amplifiés si la divulgation doit être faite simultanément à l'acceptation de la commission ou, comme l'exigerait à toutes fins pratiques mon raisonnement, à l'avance.

À mon avis, le droit pénal exige tout simplement que l'agent qui a l'intention d'accepter une commission d'un tiers relativement à une opération qu'il a conclue avec son commettant en fasse part à ce dernier, et lui indique précisément sur quelle opération portera la commission. Ainsi informé, le commettant saura que l'agent risque d'être dans une situation de conflit d'intérêts. Il lui appartiendra ensuite de refuser de conclure l'opération en question, de demander d'autres détails ou le montant des commissions, ou de prendre d'autres mesures qu'il peut juger nécessaires. L'objectif de la disposition sera atteint et la question de savoir si la conduite de l'agent est criminelle ne tournera pas autour d'arguments visant à déterminer si l'agent a déployé des "efforts raisonnables" pour indiquer le montant de la commission "calculé le mieux possible" "compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire". Je tiens à préciser qu'il ne peut être suffisant de mentionner au début d'une relation qu'il pourra y avoir acceptation de commissions à l'occasion. L'infraction porte sur l'acceptation d'une commission donnée et il doit en être de même de la divulgation.

D'après les faits de l'espèce, il est évident qu'il n'y a eu aucune divulgation des commissions aux commettants en cause. En conséquence, il y a eu perpétration de l'infraction.

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté, le juge Sopinka est dissident.

Procureurs de l'appelant: Oreck, Chernoff, Tick, Farber & Folk, Vancouver.

Procureur de l'intimée: Le ministère du Procureur général, Vancouver.

* Le juge Stevenson n'a pas pris part au jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1992] 2 R.C.S. 170 ?
Date de la décision : 11/06/1992
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Commissions secrètes - Éléments de l'infraction - Vente par l'accusé agissant à titre de conseiller en placements d'unités d'habitation à ses clients - Non‑divulgation aux clients des commissions versées à l'accusé par la société immobilière relativement à la vente des unités - L'accusé est‑il coupable, en vertu de l'art. 426(1)a) du Code criminel, d'avoir, par corruption, accepté une récompense ou un bénéfice? - Le ministère public est‑il tenu de prouver l'existence d'une affaire entachée de corruption entre le donneur et l'acceptant? - Signification de l'expression "par corruption" - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 426(1)a).

L'accusé a fait l'objet de quatre chefs d'accusation d'avoir, par corruption, accepté une récompense ou un bénéfice en contravention de l'al. 426(1)a) du Code criminel. Il était l'un des dirigeants d'une société ("KPA") qui offre, moyennant des frais, des services de planification financière, y compris des conseils en placements immobiliers ainsi que des renseignements sur des stratégies de planification fiscale. En 1980, l'accusé a convaincu une société immobilière de consentir à KPA le droit exclusif de vente des unités de son projet d'IRLM. KPA a vendu toutes les unités, principalement à ses clients, dans le délai relativement court prévu dans l'entente et a reçu une commission de la société immobilière pour chacune des unités vendues. Les commissions étaient les mêmes que celles que la société immobilière aurait versées à tout vendeur. En première instance, la preuve a révélé que les clients de KPA ne savaient pas que celle‑ci recevait des commissions de la société immobilière. Lors de la première rencontre avec un client, KPA inscrivait sur un "tableau blanc" seulement des renseignements vagues et généraux sur ses grandes sources de rémunération. L'accusé a lui‑même avisé ses associés qu'il ne voulait pas donner davantage de précisions écrites relativement au projet d'IRLM. En défense, l'accusé a témoigné que les deux courtes mentions traitant des "Frais d'émission et de vente" dans la notice d'offre auraient dû permettre aux clients acheteurs d'IRLM de savoir que KPA recevait des commissions. L'accusé a été déclaré coupable relativement aux quatre chefs d'accusation. Le juge du procès a conclu que l'accusé avait l'obligation de divulguer les commissions d'une manière complète, franche et impartiale. La Cour d'appel à la majorité a confirmé la déclaration de culpabilité. La question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir quels sont les éléments que le ministère public doit prouver pour obtenir une déclaration de culpabilité en vertu de l'al. 426(1)a) du Code criminel. Il s'agit tout particulièrement de déterminer si l'art. 426 est applicable dans le cas où l'auteur des paiements n'a pas conclu une affaire entachée de corruption avec l'acceptant.

Arrêt (le juge Sopinka est dissident): Le pourvoi est rejeté.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et Iacobucci: En préservant l'intégrité du mandat et en protégeant les commettants vulnérables, l'art. 426 du Code reconnaît l'importance du rapport que le mandat implique dans notre société. L'actus reus de l'infraction prévue au sous‑al. 426(1)a)(ii) comporte trois éléments qui devront être établis en cas d'accusation contre un agent‑acceptant relativement à l'acceptation d'une commission: (1) l'existence d'un mandat; (2) l'acceptation par l'agent d'un bénéfice à titre de contrepartie pour faire ou s'abstenir de faire un acte relatif aux affaires de son commettant; et (3) l'omission de la part de l'agent de divulguer d'une façon appropriée et en temps opportun la source, le montant et la nature du bénéfice. L'expression "par corruption" ajoute ce troisième élément à l'actus reus de l'infraction. Dans le contexte des commissions secrètes, cette expression signifie qu'elles ont été versées secrètement ou qu'elles n'ont pas été divulguées comme il se doit. Le ministère public n'est pas tenu de prouver l'existence d'une affaire entachée de corruption entre le donneur et l'acceptant de la récompense ou du bénéfice. L'acceptant peut donc être déclaré coupable malgré l'innocence du donneur.

La mens rea requise doit aussi être établie pour chacun des éléments de l'actus reus. Conformément au sous‑al. 426(1)a)(ii), l'agent‑acceptant accusé doit: (1) être au courant de l'existence du mandat; (2) avoir accepté sciemment le bénéfice à titre de contrepartie pour un acte à être fait relativement aux affaires du commettant; et (3) être au courant de l'étendue de la divulgation au commettant ou de l'absence de divulgation. Si l'accusé savait qu'il y a eu divulgation, il reviendra alors à la cour de déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, elle a été faite de façon appropriée et en temps opportun.

En l'espèce, le ministère public a prouvé tous les éléments requis pour obtenir une déclaration de culpabilité en vertu de l'art. 426. Il n'y a pas de doute qu'il y avait un mandat entre l'accusé et ses clients et que l'accusé était au courant de l'existence de ce mandat. En outre, de toute évidence, la commission payée par la société immobilière visait à inciter l'accusé à influencer ses clients pour qu'ils achètent les unités d'IRLM, et l'accusé était au courant de cette intention. Il a accepté la commission secrètement et a influencé les affaires de ses commettants. Enfin, le paiement de la commission n'a pas été divulgué d'une façon appropriée et en temps opportun. Au moment des ventes, les clients de KPA ne savaient pas que KPA recevrait une commission de la société immobilière relativement à la vente de chaque unité d'IRLM vendue aux clients de KPA. La divulgation faite par KPA de ses sources de rémunération était vague et générale et ne satisfait pas aux objectifs de l'art. 426. L'accusé a pris consciemment la décision de restreindre la divulgation. Bien que les notices d'offre pour les IRLM renfermaient deux mentions d'une ligne traitant des "Frais d'émission et de vente" pour les projets, il n'y avait aucune mention expresse du fait que c'était l'accusé qui devait recevoir ces frais à titre de commissions.

Le juge McLachlin: L'absence de divulgation constitue un élément de l'actus reus de l'infraction d'acceptation d'une commission secrète aux termes du sous‑al. 426(1)a)(ii) du Code et la connaissance de cette absence de divulgation est un élément de la mens rea. Il n'est pas nécessaire que l'affaire soit entachée de corruption. Cependant, puisque le droit pénal doit être précis et définitif, le moment et l'étendue de la divulgation doivent être clairement définis. L'agent doit recevoir un avertissement suffisant que l'acte qu'il se propose d'accomplir est criminel. En ce qui a trait au moment de la divulgation, pour qu'il y ait certitude lorsque l'élément essentiel de l'infraction est l'acceptation d'une commission secrète, il faut que la divulgation au commettant soit faite au moment où la commission est acceptée. Si l'agent accepte une commission sans en informer le commettant au préalable (ou simultanément), l'infraction est commise. En ce qui concerne l'étendue de la divulgation, il n'est pas suffisant de mentionner au début d'une relation entre un agent et son commettant qu'il pourra y avoir acceptation de commissions à l'occasion. Les exigences du sous‑al. 426(1)a)(ii) ne seront satisfaites que si l'agent dit au commettant qu'il recevra une commission relativement à l'opération en question. Le montant de la commission est secondaire et n'a pas à être divulgué pour fins d'exonération. La divulgation au commettant du fait que l'agent recevra une commission relativement à une opération donnée l'informera que l'agent risque d'être dans une situation de conflit d'intérêts. En l'espèce, il n'y a eu aucune divulgation des commissions aux commettants en cause. En conséquence, il y a eu perpétration de l'infraction.

Le juge Sopinka (dissident): Lorsqu'un agent est accusé, en vertu du sous‑al. 426(1)a)(ii) du Code, d'avoir accepté une récompense ou un bénéfice, il faut démontrer qu'il l'a accepté à titre de contrepartie pour l'influencer. Pour obtenir une déclaration de culpabilité, le ministère public doit démontrer deux points essentiels de l'élément moral de l'infraction: (1) que l'agent savait ou croyait que le bénéfice qu'il a accepté visait à l'influencer, et (2) que l'agent a conclu l'opération de mauvaise foi. La première exigence tient compte de l'état d'esprit de l'agent au moment de l'opération. La corruption dans cette action est constituée par la croyance que la contrepartie de valeur est destinée à influencer l'agent afin qu'il favorise une certaine personne relativement aux affaires de son commettant. L'acceptant se fait alors prendre même s'il a mal interprété l'intention véritable du donneur. L'infraction est consommée sans qu'il soit nécessaire de démontrer que les actes de l'agent ont effectivement été influencés. Le facteur décisif réside dans l'état d'esprit de l'agent qui accepte la contrepartie. Il est facile de satisfaire à la seconde exigence par une preuve de malhonnêteté. La non‑divulgation par l'acceptant n'est pas synonyme de l'expression "par corruption" ou de la mauvaise foi, bien qu'elle puisse constituer un indicateur important de la mauvaise foi de l'agent. Dans certaines situations, la divulgation ou l'intention de divulguer sera très pertinente.

En l'espèce, l'accusé devrait être acquitté. Certes, il a vendu la plupart des unités à ses clients; toutefois, il n'a pas vendu parce qu'il a été poussé par la société immobilière à le faire ni parce qu'il croyait que c'était là le but de l'accord avec cette société ou des paiements. L'accord a été conclu sans lien de dépendance, le montant des commissions était identique à celui payé à tout autre vendeur et elles devaient être versées peu importe à qui les unités étaient vendues. La décision de vendre à ses clients a été prise unilatéralement. Son défaut de divulguer de manière complète constitue une inexécution d'obligation, mais il n'est pas coupable de l'infraction imputée.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Kelly

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Distinction d'avec les arrêts: Cooper c. Slade (1858), 6 H.L.C. 746, 10 E.R. 1488
R. c. Gallagher (1985), 16 A. Crim. R. 215
arrêts mentionnés: R. c. Morris (1988), 64 Sask. R. 98
R. c. Brown (1956), 116 C.C.C. 287
R. c. Arnold (1991), 65 C.C.C. (3d) 171
R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541.
Citée par le juge McLachlin
Arrêt mentionné: Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123.
Citée par le juge Sopinka (dissident)
R. c. Brown (1956), 116 C.C.C. 287
R. c. Morris (1988), 64 Sask. R. 98
R. c. Gallagher (1985), 16 A. Crim. R. 215
R. c. Gallagher (1987), 29 A. Crim. R. 33
R. c. Gross (1945), 86 C.C.C. 68.
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 383(1)a).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 426(1)a).
Doctrine citée
Bowstead on Agency, 14th ed. By F. M. B. Reynolds and B. J. Davenport. London: Sweet & Maxwell, 1976.
Fridman, G. H. L. The Law of Agency, 5th ed. London: Butterworths, 1983.

Proposition de citation de la décision: R. c. Kelly, [1992] 2 R.C.S. 170 (11 juin 1992)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1992-06-11;.1992..2.r.c.s..170 ?
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