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24/09/1992 | CANADA | N°[1992]_2_R.C.S._1065

Canada | Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065 (24 septembre 1992)


Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065

Vidéotron Ltée et Premier Choix: TVEC Inc. Appelantes

c.

Industries Microlec Produits Électroniques Inc.,

Groupe Microlec Inc., Circuits Microlec Inc.,

Distributeurs Microlec Inc., André Duplessis,

Jean‑François Duplessis, Réjean Grondin,

Jean Daigneault et René Gilbert Intimés

Répertorié: Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc.

No du greffe: 21882.

1992: 26 mars; 1992: 24 septembre.

Pré

sents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier et Stevenson*.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'a...

Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065

Vidéotron Ltée et Premier Choix: TVEC Inc. Appelantes

c.

Industries Microlec Produits Électroniques Inc.,

Groupe Microlec Inc., Circuits Microlec Inc.,

Distributeurs Microlec Inc., André Duplessis,

Jean‑François Duplessis, Réjean Grondin,

Jean Daigneault et René Gilbert Intimés

Répertorié: Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc.

No du greffe: 21882.

1992: 26 mars; 1992: 24 septembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier et Stevenson*.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1990] R.J.Q. 703, 69 D.L.R. (4th) 519, 56 C.C.C. (3d) 436, qui a confirmé un jugement de la Cour supérieure**. Pourvoi rejeté, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente.

Luc Huppé, pour les appelantes.

Danielle Barot, en qualité d'amicus curiae, pour les intimés.

Les motifs suivants ont été rendus par

//Le juge en chef Lamer//

Le juge en chef Lamer -- J'ai pris connaissance des motifs de mon collège, le juge Gonthier, et je les partage sans réserve. Quoique les motifs qu'il invoque soient suffisants pour disposer de ce pourvoi, je me permets d'ajouter quelques commentaires au soutien d'une approche différente. À la lecture de l'art. 50 du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, il est évident que le législateur québécois a, à toutes fins pratiques, créé une infraction. Le fait qu'il ait choisi de traiter de l'outrage au tribunal dans le Code de procédure civile ne change en rien le fait que, en regard de la Charte canadienne des droits et libertés, la personne citée pour outrage au tribunal est une inculpée au sens de l'art. 11 de la Charte, et qu'elle jouit de la garantie constitutionnelle prévue à l'al. 11c) qui prévoit spécifiquement la non-contraignabilité d'un inculpé.

Quant aux art. 295, 302 et 309 C.p.c., aux raisons énoncées par mon collègue pour reconnaître au Code un régime spécial pour l'outrage au tribunal, s'ajoute celle à l'effet que, s'il y a place à interprétation d'une loi ou à un ensemble de lois, l'interprétation qui ne viole pas la Charte est celle que l'on doit adopter.

Le jugement des juges La Forest et Gonthier a été rendu par

//Le juge Gonthier//

Le juge Gonthier -- Ce litige soulève la question de la contraignabilité de l'intimé lors d'une requête pour outrage au tribunal fondé sur le non-respect d'une injonction.

I. Les faits

Le 4 décembre 1987, la Cour supérieure accueillait l'action en injonction permanente des appelantes, et ordonnait aux intimés de cesser de distribuer des décodeurs permettant de débrouiller les signaux de télévision payante des appelantes: [1988] R.J.Q. 546. Le 6 janvier 1989, celles-ci déposaient une requête pour l'émission d'une ordonnance spéciale de comparaître en vertu de l'art. 53 C.p.c. Elles alléguaient que les intimés avaient commis un outrage au tribunal, en ne respectant pas l'injonction permanente. Lors de l'enquête, elles ont cité à la barre l'intimé André Duplessis. Ce dernier s'est objecté à témoigner, au motif qu'il n'était pas contraignable dans une instance où il était lui-même cité pour outrage. Le 31 août 1989, la Cour supérieure a accueilli l'objection de l'intimé. La Cour d'appel a rejeté un appel de cette décision le 6 février 1990: [1990] R.J.Q. 703, 69 D.L.R. (4th) 519, 56 C.C.C. (3d) 436. Cette Cour a autorisé les appelantes à se pourvoir contre le jugement de la Cour d'appel le 8 novembre 1990, [1990] 2 R.C.S. xi.

II. Les dispositions pertinentes

Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25

295. Toute personne est apte à déposer en justice, sauf si, en raison de sa condition physique ou mentale, elle n'est pas en état de rapporter des faits dont elle a eu connaissance; et toute personne apte à déposer peut être contrainte de le faire.

302. Toute personne présente à l'audience peut être requise de rendre témoignage, et elle est tenue de répondre comme si elle avait été régulièrement assignée.

309. Un témoin ne peut refuser de répondre pour le motif que sa réponse pourrait tendre à l'incriminer ou à l'exposer à une poursuite, de quelque nature qu'elle puisse être; mais s'il fait une objection en ce sens, sa réponse ne pourra servir contre lui dans aucune poursuite pénale intentée en vertu de quelque loi du Québec.

III. Les jugements d'instances inférieures

La Cour supérieure

Le juge Galipeau de la Cour supérieure s'écarte de la jurisprudence de la Cour d'appel, qui dans Syndicat des employés de l'Hôpital St-Augustin (CSN) c. Procureur général du Québec, [1977] C.A. 539, avait conclu à la contraignabilité de la personne recherchée pour outrage. Il suit plutôt le juge Lévesque de la Cour supérieure, qui avait conclu au contraire dans Duquette c. Zellers Inc., C.S. Montréal, no 500-05-000747-863, le 6 juillet 1987, inédit, se basant sur la common law (selon Société Radio-Canada c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618) et sur les décisions de la Cour d'appel qui avaient reconnu que, même en matière d'outrage civil, la preuve devait être faite au-delà de tout doute raisonnable.

La Cour d'appel

Le juge Brossard, pour la cour, note que le jugement du juge Lévesque dans Duquette c. Zellers Inc., précité, s'éloignait de la jurisprudence majoritaire de la Cour supérieure et de la Cour d'appel. Le juge Brossard retient deux éléments de cette décision: elle s'appuie sur la common law, et elle applique les règles du droit pénal à un cas d'outrage civil. Il est d'accord avec la première proposition, considérant Radio-Canada, précité, et Cotroni c. Commission de police du Québec, [1978] 1 R.C.S. 1048. L'article 309 C.p.c. ne peut d'ailleurs être considéré comme une disposition dérogatoire à la common law en matière d'outrage au tribunal. Il revoit ensuite la jurisprudence de la common law, et constate que maintenant, même quant aux outrages civils, la personne citée pour outrage n'y est pas contraignable.

Le juge Brossard déclare en outre que la contraignabilité dans ce cas serait incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés. Les procédures pour outrage au tribunal dépassent le simple litige privé, et ils relèvent de l'intérêt public et de la bonne marche de l'administration de la justice. Il y a donc matière à appliquer la Charte. Par ailleurs, suivant R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, la possibilité d'emprisonnement rendrait les procédures pour outrage au tribunal sujettes à l'art. 11 de la Charte, qui protège l'intimé contre l'auto-incrimination.

IV. La question en litige

L'intimé, cité pour outrage au tribunal suite au manquement allégué à une ordonnance, est-il contraignable à témoigner?

V. Analyse

A. L'unicité de l'outrage au tribunal

Les appelantes ont beaucoup insisté devant nous sur la distinction entre l'«outrage civil» et l'«outrage criminel». Elles prétendent que, lorsque la procédure principale où l'ordonnance dont violation est alléguée a été émise est de nature civile, il s'ensuit que l'outrage lui-même peut être qualifié d'outrage civil, et qu'il obéit alors aux règles du Code de procédure civile. À l'appui, les appelantes invoquent la décision de la Cour d'appel dans C.T.C.U.M. c. Syndicat du transport de Montréal (C.S.N.), [1977] C.A. 476, à la p. 482:

. . . la procédure subséquente participe de la nature de celle qui l'a précédée, elle devient, si l'on me permet l'expression, une procédure caméléon qui emprunte la couleur et la nature de celle qui l'a précédée et à laquelle elle est rattachée.

La Cour d'appel s'était basée sur deux arrêts de cette Cour, soit In re Storgoff, [1945] R.C.S. 526, et Ministre du Revenu national c. Lafleur, [1964] R.C.S. 412. Dans ces deux affaires, il s'agissait de déterminer si des brefs de prérogative, l'habeas corpus dans la première et la prohibition dans la seconde, relevaient de la procédure criminelle (fédérale) ou de la procédure civile (provinciale). Cette Cour a décidé que ces brefs sont assujettis aux règles fédérales ou provinciales selon la nature de la procédure à laquelle ils se rattachent.

Sans vouloir me prononcer sur la pertinence de ces deux arrêts en matière d'outrage au tribunal, je suis d'accord qu'il s'agit bien en l'espèce d'un cas d'outrage civil, régi par le Code de procédure civile. Toutefois, cela n'avance en rien les appelantes; l'apposition du qualificatif «civil» à un outrage au tribunal ne dispense pas pour autant d'étudier les fondements du pouvoir de punir pour outrage au tribunal, afin de déterminer quelles sont les règles applicables à celui‑ci.

L'article 50 C.p.c. définit ainsi l'outrage:

50. Est réputé coupable d'outrage au tribunal celui qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou d'un de ses juges, ou qui agit de manière, soit à entraver le cours normal de l'administration de la justice, soit à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité du tribunal.

Cette définition met bien en évidence les traits communs à tous les types d'outrage couverts par le Code de procédure civile, traits communs qui peuvent être indûment masqués par une trop forte insistance sur la distinction entre outrage civil et outrage criminel. La sanction de l'outrage au tribunal, même lorsqu'elle sert à assurer l'exécution d'une ordonnance purement privée, comporte toujours un élément de «droit public», en quelque sorte, car elle met toujours en jeu le respect du rôle et de l'autorité des tribunaux, un des fondements de l'État de droit. Dans United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901, le juge McLachlin établit un lien direct entre l'outrage au tribunal et la primauté du droit à la p. 931:

La primauté du droit est le fondement de notre société; sans elle, la paix, l'ordre et le bon gouvernement n'existent pas. La primauté du droit est directement tributaire de la capacité des tribunaux de faire observer leur procédure et de maintenir leur dignité et le respect qui leur est dû. Pour ce faire, les tribunaux ont, depuis le XIIe siècle, exercé le pouvoir de punir pour outrage au tribunal.

Comme le montre bien l'inclusion des art. 49 à 54 C.p.c., concernant l'outrage au tribunal, au chapitre intitulé «Des pouvoirs des tribunaux et des juges», le pouvoir de punir pour outrage au tribunal fait partie intégrante des pouvoirs inhérents des tribunaux (voir Radio-Canada, précité), et à ce titre constitue un élément essentiel pour la bonne marche de la justice.

Cet aspect de droit public de l'outrage au tribunal se traduit bien sûr dans les sanctions qui l'accompagnent. Tout outrage au tribunal, même s'il s'agit d'un outrage civil, peut entraîner une peine de prison d'un an, aux termes de l'art. 51 C.p.c. L'outrage au tribunal s'éloigne quelque peu du droit privé pour se rapprocher du droit public, ce qui lui confère une place d'exception au sein d'un code essentiellement de droit privé comme le Code de procédure civile. Comme nous le verrons, en droit québécois, l'outrage au tribunal fait l'objet d'un régime très spécial.

B. La spécificité de l'outrage au tribunal en droit québécois

Parmi les diverses institutions de droit judiciaire régies par le Code de procédure civile, l'outrage au tribunal occupe une place hautement spécifique, voire même exceptionnelle. Dès l'article premier, cette spécificité est marquée:

1. Nonobstant toute disposition contraire d'une loi générale ou spéciale, l'emprisonnement est supprimé en matière civile, sauf le cas d'outrage au tribunal.

Que l'outrage au tribunal soit une exception au tout premier article du Code montre à quel point il s'agit d'une institution exorbitante du droit judiciaire privé. De plus, que la raison pour laquelle l'outrage fait figure d'exception, en l'occurrence la possibilité d'emprisonnement, soit elle-même l'objet de l'article premier du Code indique également l'importance de cette considération lorsqu'il s'agit de déterminer le droit applicable à l'outrage au tribunal. L'article premier contient déjà l'essence de la spécificité de l'outrage.

En pratique, les art. 49 à 54 C.p.c. jettent les bases d'un régime spécial pour l'outrage au tribunal. L'article 52 exige que l'intimé ait la chance de se justifier dans les cas d'outrage in facie. Pour l'outrage au tribunal commis ex facie, l'art. 53 prévoit qu'une ordonnance de comparaître doit être signifiée personnellement à l'intimé. L'article 54 impose au juge qui condamne pour outrage au tribunal d'énoncer précisément la peine imposée et de motiver sa décision. De plus, il soumet l'exécution du jugement au chapitre XIII du Code de procédure pénale, L.R.Q., ch. C-25.1.

D'autres articles du Code de procédure civile contribuent également à la spécificité de l'outrage au tribunal. Par exemple, l'art. 761 C.p.c., qui traite de l'outrage au tribunal pour manquement à une ordonnance d'injonction, limite la responsabilité des personnes non nommées à l'ordonnance aux seuls cas où celles‑ci y ont sciemment contrevenu. L'article 313 C.p.c. permet au témoin qui refuse de répondre d'opposer une raison valable pour être excusé de son défaut. Enfin, protection additionnelle, l'al. 5 de l'art. 26 C.p.c. assure qu'il y aura toujours possibilité d'appeler d'un jugement final en matière d'outrage au tribunal.

Au régime d'exception créé par le Code de procédure civile lui-même sont venues se greffer des règles d'inspiration jurisprudentielle particulières à l'outrage. La plus connue et la plus importante de ces règles reste sans doute la nécessité de prouver l'outrage au tribunal au-delà du doute raisonnable, fardeau exceptionnel en droit civil (Imperial Oil Ltd. c. Tanguay, [1971] C.A. 109, suivi depuis lors). Dans les cas de manquement à une ordonnance, lorsqu'il subsiste un doute quant à la portée juridique de l'ordonnance qui aurait été violée, celui-ci doit bénéficier à l'intimé (Toupin c. Longchamps, C.A. Montréal, nos 500-09-001674-860, 500-09-001675-867, 500-09-001676-865, le 11 avril 1990, J.E. 90-818). Le juge doit laisser une certaine latitude à l'intimé quant à la pertinence de la preuve présentée pour tenter de se justifier (Simard c. Pavillon Charleroi Royer Inc., C.A. Montréal, no 500-09-000310-789, le 9 février 1979, J.E. 79-188).

De même, les tribunaux se montrent très exigeants quant à la preuve que l'intimé était bien sous le coup d'une ordonnance du tribunal. Ainsi une sentence arbitrale qui ne fait que donner acte à un règlement intervenu entre les parties ne formule aucun ordre dont la contravention pourrait donner lieu à un outrage au tribunal (Restaurant Faubourg St-Denis Inc. c. Durand, [1990] R.J.Q. 1218 (C.A.)). Dans la même veine, l'ordonnance de respecter un contrat ne peut fonder un recours pour outrage au tribunal, dès lors que le contrat est long et complexe et que son interprétation ne se ferait véritablement qu'au stade du recours pour outrage (Sporting Club du Sanctuaire Inc. c. 2320-4365 Québec Inc., [1989] R.D.J. 596 (C.A.)). Le jugement qui règle les droits de visite du parent n'ayant pas la garde de l'enfant ne constitue pas non plus une ordonnance à l'endroit du parent gardien (Charlebois c. Bourbeau, [1979] C.A. 545).

Les tribunaux font également preuve d'une réticence notable à condamner pour outrage au tribunal l'intimé qui ne s'est pas conformé à une ordonnance de payer une somme d'argent, l'emprisonnement pour dettes ayant été aboli. Il faut que la conduite du débiteur démontre une certaine volonté de se soustraire à ses obligations (Parent c. Perreault, [1979] C.A. 237, et Droit de la famille -- 728, [1989] R.D.F. 671 (C.A.)). Comme la Cour d'appel l'a déjà souligné, l'outrage au tribunal ne peut être réduit à un simple moyen d'exécution des jugements (Daigle c. St-Gabriel de Brandon (Corp. municipale de la paroisse de), C.A. Montréal, no 500-09-000520-874, le 22 janvier 1991, J.E. 91-195).

En somme, le régime spécial de l'outrage au tribunal en droit québécois procède du principe suivant: l'outrage au tribunal est strictissimi juris et de nature quasi pénale, étant donné les conséquences possibles. À mon avis, il serait à tout le moins incohérent que l'intimé cité pour outrage soit contraignable à témoigner. Ce serait contraire à un principe fondamental du droit pénal du Québec, expressément reconnu à l'art. 33.1 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12. Cela aurait pour effet de faciliter singulièrement la preuve au-delà du doute raisonnable, dont le requérant doit par ailleurs scrupuleusement s'acquitter. Je conclus donc que l'intimé ne doit pas être tenu pour contraignable, dans le cadre du régime exceptionnel de l'outrage au tribunal au sein du Code de procédure civile.

Cette solution correspond d'ailleurs à celle qui a été retenue en common law, d'où le droit québécois de l'outrage au tribunal tire sa source, comme cette Cour l'a rappelé dans Radio-Canada, précité (voir Comet Products U.K. Ltd. c. Hawkex Plastics Ltd., [1971] 2 Q.B. 67 (C.A.), MacNeil c. MacNeil (1975), 67 D.L.R. (3d) 114 (C.A.N.-É.), et Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1988] 3 C.F. 277 (C.A.)). La non-contraignabilité de l'intimé s'inscrit également dans la foulée de la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège le droit à la non-incrimination.

Les appelantes ont soutenu que l'impossibilité de contraindre l'intimé lors d'un recours pour outrage au tribunal rend l'outrage très difficile à prouver, et mine à la longue le respect accordé aux ordonnances du tribunal. En l'espèce, cet argument me paraît peu convaincant, car les appelantes ont déjà pu obtenir une première condamnation pour outrage au tribunal d'un des intimés, sur la base de preuves qu'elles avaient elles-mêmes recueillies (Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., C.S. St-François, no 450-05-000518-858, le 11 octobre 1988, inédit). Les appelantes n'ont présenté aucune décision, étude ou commentaire à l'appui de cet argument. Or, la non-contraignabilité de l'intimé étant la règle en common law depuis de nombreuses années, si les problèmes pressentis par les appelantes s'y étaient manifestés, ils auraient certainement attiré l'attention de la jurisprudence ou de la doctrine. En outre, il reste que l'outrage au tribunal, de par les éléments de droit public qu'il comporte, dont en particulier l'emprisonnement, doit être soumis à certaines règles de justice fondamentale, même si son efficacité pourrait en être diminuée. Je partage entièrement l'avis de la Cour d'appel que l'outrage au tribunal ne peut se réduire à un simple moyen d'exécution des jugements. S'il était constaté que l'outrage au tribunal (et la possibilité d'emprisonnement qui l'accompagne) est inadéquat dans certains cas où justement il est employé essentiellement pour assurer l'exécution des jugements, il appartiendrait plutôt au législateur d'y pourvoir au besoin.

C. Les articles 295, 302 et 309 du Code de procédure civile

Ces trois articles énoncent la règle générale de contraignabilité des témoins en droit judiciaire québécois. Les appelantes soumettent que ces articles devraient également s'appliquer aux procédures d'outrage au tribunal en vertu du Code de procédure civile, en l'absence de mention à l'effet contraire au Code lui-même.

Il est bien établi que les règles générales cèdent le pas aux règles spécifiques. Ici, les art. 295, 302 et 309 C.p.c. doivent s'effacer devant la règle de non-contraignabilité de l'intimé cité pour outrage au tribunal, qui fait partie d'un régime hautement spécifique à l'intérieur du Code de procédure civile.

L'absence d'une exception expresse au Code de procédure civile n'est pas déterminante. Cette Cour a déjà reconnu que «[l]e Code civil ne contient pas tout le droit civil. Il est fondé sur des principes qui n'y sont pas tous exprimés et dont il appartient à la jurisprudence et à la doctrine d'assurer la fécondité» (Cie Immobilière Viger Ltée c. Lauréat Giguère Inc., [1977] 2 R.C.S. 67, à la p. 76; voir aussi Lapierre c. Procureur général du Québec, [1985] 1 R.C.S. 241). Comme l'a dit J. E. C. Brierley, «Quebec's "Common Laws" (Droits communs): How Many Are There?», dans Mélanges Louis-Philippe Pigeon (1989), 109, à la p. 116:

[traduction] En fait, on peut faire valoir que, dans la tradition de droit civil de la France et du Québec, la reconnaissance du caractère insuffisant des textes législatifs est un précepte fondamental du principe même d'un code civil comme mode de législation.

Tout comme le Code civil, le Code de procédure civile ne constitue pas un exposé exhaustif du droit. Le droit judiciaire québécois repose certes sur le Code de procédure civile, mais ce dernier n'en est pas l'unique expression.

Alors que le Code civil s'inspire en majeure partie du droit civil que le Québec a hérité de la France, le lignage du Code de procédure civile est plus complexe. Comme le montre J.-M. Brisson, dans son ouvrage La formation d'un droit mixte: l'évolution de la procédure civile de 1774 à 1867 (1986), à côté de l'Ordonnance de Louis XIV d'avril 1667 et du droit anglais de l'époque existaient, bien avant la codification, des règles et coutumes locales. Celles-ci, à la fois sous le régime français et sous le régime anglais, adaptaient, complétaient et modifiaient le droit du Vieux Continent. Le grand mérite du premier Code de procédure civile (1867), mis en vigueur en vertu de l'Acte concernant le Code de Procédure Civile du Bas Canada, S. Prov. C. 1866, 29-30 Vict., ch. 25, était justement de réunir en un seul lieu ces éléments épars. Après la Confédération, de plus, des contraintes de nature constitutionnelle découlant du partage des compétences en matière d'administration de la justice et d'organisation des tribunaux sont venues ajouter à la complexité des sources du droit judiciaire québécois.

Le Code de 1867 n'aspirait pas à la complétude, car son avant-dernier article, l'art. 1360, maintenait expressément en vigueur le droit antérieur au Code:

1360. Les lois sur la procédure existantes lors de la mise en force du présent code sont abrogées:

1o Dans les cas où ce code contient quelque disposition qui a expressément ou implicitement cet effet;

2o Dans les cas où elles sont contraires ou incompatibles avec quelqu'une des dispositions de ce code, ou dans les cas où il contient des dispositions expresses sur le sujet particulier de telles lois;

. . .

Son successeur le Code de procédure civile de 1897, mis en vigueur en vertu de la Loi concernant le Code de procédure civile de la province de Québec, S.Q. 1897, ch. 48, a repris ce texte quasi intégralement à l'art. 1. L'article premier du Code de procédure civile actuel, tel qu'il se lisait lors de l'adoption du Code en 1965, S.Q. 1965, ch. 80, se contente d'abroger le Code de procédure alors en vigueur, et ne dit rien quant au reste du droit judiciaire. Qui plus est, l'art. 2 C.p.c., qui donne à la procédure le rôle de servante du droit, ainsi que les art. 20 et 46 C.p.c., qui permettent au tribunal de suppléer au Code, impliquent un droit judiciaire qui déborde le Code. Il existe donc hors du Code de procédure civile des règles de droit judiciaire qui le complètent.

En l'espèce, le Code de procédure civile contient déjà les fondements du régime d'exception applicable à l'outrage au tribunal. Ce régime est complété par des règles d'origine doctrinale et jurisprudentielle requises par son caractère et la sanction particulière qui s'y rattache. Comme je l'ai déjà mentionné, l'outrage au tribunal est une institution hautement spécifique au sein du Code de procédure civile. Bien que le Code dicte généralement la procédure applicable aux recours pour outrage au tribunal, lorsque des dispositions aussi générales que les art. 295, 302 et 309 C.p.c. entrent en conflit avec une règle aussi primordiale au régime spécial de l'outrage que la non-contraignabilité de l'intimé, ces dispositions ne peuvent avoir préséance.

VI. Conclusion

Je suis d'avis de rejeter cet appel, sans frais devant cette Cour.

Les motifs suivants ont été rendus par

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Le juge L'Heureux-Dubé (dissidente) -- J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mon collègue le juge Gonthier et, en toute déférence, je ne partage pas son avis. Pour les raisons qui suivent, j'estime que la règle générale de la contraignabilité des parties en matière civile doit trouver application dans le cadre du présent pourvoi.

Les faits

Pour une meilleure compréhension des enjeux ici en cause, il est utile de considérer de façon plus détaillée les faits à l'origine de la présente affaire.

L'appelante Vidéotron Ltée exploite une entreprise de câblodistribution à travers l'Est du Canada aux termes de licences émises par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes ("CRTC"). L'appelante Premier Choix: TVEC Inc. exploite, pour sa part, une entreprise de télévision payante à travers l'Est du Canada aux termes d'une licence émise par le CRTC. Son service est transmis par satellite aux câblodistributeurs, dont Vidéotron Ltée. Cette dernière transmet ce service à ses abonnés avec l'ensemble des autres services disponibles sur le câble. Puisqu'il est de l'essence même du système de télévision payante que les usagers en supportent le coût, les deux compagnies appelantes contrôlent l'accès à ce service. Ce contrôle est exercé au moyen d'un système de brouillage de signaux qui rend inintelligible la réception des services de télévision payante. Afin de visionner les services en question, le téléspectateur doit être un abonné de base de la câblodistribution de Vidéotron Ltée, en plus du service de télévision payante qu'il désire. À l'occasion de cet abonnement, Vidéotron Ltée loue au téléspectateur un décodeur programmé pour débrouiller les seuls signaux des services de télévision payante pour lesquels l'abonné paie les frais d'abonnement. Ces frais comprennent un montant de 4 $ par mois pour la location du décodeur requis pour débrouiller les signaux. Les frais d'abonnement servent à acquitter les taxes fédérales et provinciales applicables à ce service, les frais d'opération, les droits du CRTC et les redevances payables aux fournisseurs du service de télévision payante, tel Premier Choix. Le solde constitue un revenu pour Vidéotron Ltée. Les revenus des appelantes sont ainsi directement liés au nombre de personnes qui paient les frais d'abonnement à ce service.

Les personnes physiques intimées sont administrateurs ou représentants des compagnies intimées qui fabriquent et mettent en marché un décodeur (décodeur Microlec) semblable à celui fourni par Vidéotron Ltée à ses abonnés. Sa seule fonction est de débrouiller les signaux de télévision payante. Ainsi, la personne qui a à sa disposition un tel décodeur peut accéder au service de télévision payante sans en acquitter les frais d'abonnement exigibles par le câblodistributeur. Il a été admis par les intimés que plus de 20 000 décodeurs Microlec ont été mis en marché entre 1983 et 1986.

Les appelantes ont intenté des procédures en injonction contre les intimés dès 1986, pour les empêcher de fabriquer ou de mettre en marché les décodeurs Microlec. En juin 1987, la Cour d'appel du Québec ([1987] R.J.Q. 1246) accueillait le pourvoi des appelantes contre une décision de la Cour supérieure (J.E. 86-1005) qui avait rejeté leur requête en injonction interlocutoire. De l'avis du juge Malouf, pour la majorité, les activités des intimés constituent, à l'égard des appelantes, un délit civil de concurrence déloyale pouvant être sanctionné au moyen d'une injonction puisque (à la p. 1251):

Les agissements des intimées mettent en échec le droit conféré aux appelantes par les licences que leur a émises le C.R.T.C. de percevoir une contrepartie pécuniaire pour les services offerts par leur entreprise et les privent du contrôle qu'elles sont tenues d'exercer sur l'accès aux services de télévision payante qu'elles offrent.

En outre, le préjudice causé aux appelantes était sérieux en raison de la grande quantité de décodeurs Microlec mis en marché par les intimés et l'impact de leurs activités sur la situation financière de l'appelante Premier Choix. Au surplus, ce préjudice était irréparable puisque chaque décodeur vendu éloignait définitivement un abonné potentiel. Le juge Malouf devait conclure (à la p. 1251) que l'ordonnance d'injonction était le seul remède possible dans les circonstances de l'espèce puisque «[l]es appelantes ne [pouvaient] être compensées en deniers, vu l'impossibilité d'évaluer le nombre de personnes ayant acheté un décodeur Microlec et celle d'évaluer quantitativement les dommages subis». Ayant statué que le jugement final serait inefficace pour corriger la situation antérieure si l'injonction interlocutoire n'était pas émise, vu l'impossibilité de retracer et de rappeler les décodeurs mis en marché par les intimés avant ce jugement, le juge Malouf infirmait le jugement de première instance et émettait l'ordonnance d'injonction interlocutoire réclamée par les appelantes.

Par jugement rendu le 4 décembre 1987 ([1988] R.J.Q. 546), le juge Jean-Louis Péloquin accueillait l'action en injonction permanente des appelantes et statuait, à l'instar de la Cour d'appel, que la mise en marché des décodeurs Microlec fabriqués par les intimés constitue un délit civil de concurrence déloyale, engageant ainsi leur responsabilité en vertu de l'art. 1053 du Code civil du Bas-Canada ("C.c.B.-C."). Par le même jugement, il émettait une ordonnance d'injonction permanente, dont voici la teneur (à la p. 552):

En conséquence, pour ces motifs:

Le Tribunal rejette le plaidoyer des défendeurs;

Accueille l'action des demanderesses;

Émet une ordonnance d'injonction permanente enjoignant aux défendeurs, à leurs administrateurs, officiers, représentants, préposés et ayants-droit, et à quiconque en leur nom ou à leur profit ainsi qu'à toute personne qui aura connaissance ou à qui sera signifiée cette ordonnance, de ne pas introduire dans le commerce, mettre en marché ou autrement mettre en circulation, directement ou indirectement, tout appareil programmé ou conçu de manière à permettre de débrouiller les signaux de télévision payante transmis et fournis par les demanderesses Vidéotron Ltée ou Premier Choix: T.V.E.C. Inc., de façon à rendre tel appareil disponible à des abonnés de services de câblodistribution des territoires couverts par les licences de l'une ou l'autre des demanderesses;

En 1988, les appelantes intentaient des procédures pour outrage au tribunal contre tous les intimés. Seul l'intimé Jean-François Duplessis fut trouvé coupable d'outrage au tribunal et condamné à une amende de 1 500 $ ou, à défaut, à un terme d'emprisonnement d'un mois. Vu l'incapacité des appelantes d'établir hors de tout doute raisonnable la transgression par les autres intimés de l'ordonnance d'injonction permanente, la requête pour outrage fut rejetée contre ces derniers: C.S. St-François, no 450-05-000518-858, le 11 octobre 1988, inédit.

Au début de 1989, des procédures d'outrage au tribunal contre les intimés furent intentées une fois de plus pour le défaut de se conformer à cette même ordonnance d'injonction permanente. À la requête des appelantes et conformément aux art. 53 et 761 du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25 ("C.p.c."), une ordonnance spéciale fut émise par la Cour supérieure enjoignant aux intimés de comparaître devant la Cour supérieure, pour entendre la preuve des faits qui leur étaient reprochés et faire valoir leurs moyens de défense.

Lors de l'audition de cette requête, après avoir fait entendre quelques témoins, le procureur des appelantes voulut citer à la barre l'un des intimés, André Duplessis. Avant même que ce dernier ne soit assermenté, son procureur s'objecta à ce qu'il témoigne au motif qu'étant l'un des intimés sur la requête pour outrage au tribunal, il n'était pas contraignable. Le juge de première instance lui donna raison. La Cour d'appel rejeta l'appel (décision publiée à [1990] R.J.Q. 703, 69 D.L.R. (4th) 519, 56 C.C.C. (3d) 436), d'où le présent pourvoi. C'est donc dans ce contexte que nous sommes appelés, en dernière instance, à décider l'issue de ce litige.

La question en litige

La seule question en litige devant nous, comme devant les instances inférieures, consiste à décider si une personne, poursuivie pour outrage au tribunal en vertu de l'art. 761 C.p.c., peut être contrainte de témoigner lors de son procès pour outrage.

Analyse

Si je suis d'accord avec mon collègue Gonthier qu'il y a lieu, dans un premier temps, de cerner les fondements de l'outrage au tribunal afin de déterminer les règles applicables à celui-ci, cette étude m'amène, cependant, à un constat distinct. Or, cette conclusion initiale est importante car elle constitue le fil directeur à l'aide duquel la procédure de l'injonction et la règle de la contraignabilité du Code de procédure civile doivent, à mon avis, être analysées.

Les fondements de l'outrage au tribunal

Le législateur québécois a défini, au premier alinéa de l'art. 50 C.p.c., les actes qui sont susceptibles de constituer un outrage au tribunal:

50. Est réputé coupable d'outrage au tribunal celui qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou d'un de ses juges, ou qui agit de manière, soit à entraver le cours normal de l'administration de la justice, soit à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité du tribunal.

Bien que cette description suggère que la toile de fond de la sanction de l'outrage au tribunal soit le respect du rôle et de l'autorité des tribunaux, elle laisse également entrevoir qu'il s'agit d'une institution complexe, susceptible de s'appliquer à diverses situations. Comme le soulignent D. Ferland, B. Emery et J. Tremblay:

En droit québécois, l'outrage au tribunal est décrit sommairement par le législateur, dans des termes similaires (a. 50). Est donc réputé coupable d'outrage au tribunal celui qui contrevient à une ordonnance autre qu'une injonction, notamment, en matière de garde, de droits de visite et de sortie. . .

Est aussi réputé coupable d'outrage celui qui contrevient à une ordonnance d'injonction (a. 761), ou commet une entrave à l'administration de la justice en matière d'injonction (a. 50) ou à l'occasion de commentaires ou d'écrits relatifs à des causes sub judice ou causes pendantes devant les tribunaux, ou porte atteinte à l'autorité ou à la dignité du tribunal, ou qui commet des manoeuvres frauduleuses empêchant l'exécution d'un jugement condamnant à payer une pension alimentaire.

(Précis de procédure civile du Québec (1992), aux pp. 56 et 57.)

Il s'agit donc d'un terme générique qui, défini sommairement, masque une certaine complexité. Ce constat doit, à mon avis, constituer le point de départ de toute réflexion axée sur les fondements de l'outrage au tribunal. Présente dans la sphère privée, la sanction de l'outrage évolue également dans la sphère publique. Tout en étant propre à l'outrage, cette dualité permet d'en saisir les fondements. À ce sujet, la Commission de réforme du droit du Canada écrit:

L'outrage civil en common law consiste essentiellement en la désobéissance à un jugement ou à une ordonnance judiciaire. Il en est ainsi de la désobéissance à une injonction, du refus de se conformer à l'ordre de témoigner ou de se présenter devant le tribunal pour rendre témoignage. Il implique donc un préjudice de caractère particulier: si l'injonction n'est pas respectée, c'est celui en faveur de qui elle a été émise qui en souffrira; si le témoin refuse de comparaître, c'est la partie qui l'a assigné qui en fera les frais.

L'outrage criminel, pour sa part, résulte de paroles, d'actes ou d'écrits constituant, au sens large du terme, une entrave à l'administration de la justice ou jetant le discrédit sur celle-ci. Telles sont la corruption d'un témoin ou d'un juré, la tentative d'influence sur une décision de justice, l'accusation calomnieuse de partialité dirigée contre un juge, la désobéissance à un ordre judiciaire émis dans le cadre d'une instance criminelle. L'outrage criminel implique donc un préjudice de caractère général: si on tente d'influencer indûment le cours de la justice, c'est la société toute entière qui en subira les conséquences.

Le premier type d'outrage est au service des individus et se justifie avant tout par le désir de protéger des intérêts individuels; le second est au service de la société et se justifie par le désir de protéger les intérêts collectifs. [Je souligne; en italique dans l'original.]

(Document de travail 20, Droit pénal: L'outrage au tribunal -- Infractions contre l'administration de la justice (1977), à la p. 12.)

Notre Cour vient d'ailleurs de rappeler, dans un arrêt récent, l'importance de préserver la distinction entre ces deux types d'outrages: United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901. Dans cet arrêt, le juge Cory, dissident sur un autre point, souligne que ces deux outrages se distinguent clairement par leurs objectifs (à la p. 911):

Le droit criminel vise à protéger la société, alors que le droit civil régularise et facilite les rapports de nature privée. L'unique raison d'être d'une catégorie distincte d'outrage criminel est de combler le besoin de décourager et de punir les comportements qui causent des préjudices graves à l'intérêt public. Lorsque le préjudice causé par la désobéissance à une ordonnance est de nature privée, le pouvoir de punir pour outrage civil est suffisant. Pour déterminer si, par leur comportement, des personnes s'exposent à l'outrage criminel, la cour doit déterminer la victime et la nature du préjudice causé par la désobéissance. [Je souligne.]

Mon collègue Gonthier est d'avis que l'outrage civil comporte un élément de "droit public" puisqu'il met toujours en jeu le respect du rôle et de l'autorité des tribunaux. Une trop forte insistance sur la distinction entre l'outrage civil et l'outrage criminel masque, selon lui, ce trait commun à tous les outrages. Avec égards, je ne puis être d'accord. D'une part, le caractère hybride de l'outrage, conjugué au large éventail de situations où il est susceptible de s'appliquer constitue, à mes yeux, la pierre angulaire de cette institution. (Voir, au même effet que l'arrêt précité, Poje c. Attorney General for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516, à la p. 517, et B.C.G.E.U. c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214, aux pp. 233 et 234.) Un rappel de cette caractéristique m'apparaît donc essentiel dans le cadre de l'examen des fondements de l'outrage au tribunal. D'autre part, je crois que minimiser ou ignorer cette dualité, c'est risquer une confusion entre les deux types d'outrages en projetant, dans une situation factuelle purement privée, des paramètres qui sont propres au droit public. Sans nier, pour autant, que le respect du rôle et de l'autorité des tribunaux soit le dénominateur commun aux deux outrages, l'essence de l'outrage civil doit résider, avant tout, dans la protection des intérêts individuels: ceux-ci constituent, indépendamment du véhicule procédural, la genèse de l'intervention judiciaire.

À mon avis, la meilleure façon de cerner cette spécificité consiste à examiner la place occupée par l'injonction au sein de l'éventail des recours disponibles au créancier d'une obligation civile. Cet aperçu présentera le double avantage d'illustrer le rôle particulier assigné à l'outrage civil et de replacer la présente affaire dans le contexte factuel qui lui est propre.

L'injonction et l'outrage au tribunal

L'article 751 C.p.c. définit l'injonction de la façon suivante:

751. L'injonction est une ordonnance de la Cour supérieure ou de l'un de ses juges, enjoignant à une personne, à ses officiers, représentants ou employés, de ne pas faire ou de cesser de faire, ou, dans les cas qui le permettent, d'accomplir un acte ou une opération déterminés, sous les peines que de droit.

Par ailleurs, la procédure d'outrage au tribunal consécutive à une ordonnance d'injonction est régie par l'art. 761 C.p.c.:

761. Toute personne nommée ou désignée dans une ordonnance d'injonction, qui la transgresse ou refuse d'y obéir, de même que toute personne non désignée qui y contrevient sciemment, se rendent coupables d'outrage au tribunal et peuvent être condamnées à une amende n'excédant pas cinquante mille dollars, avec ou sans emprisonnement pour une durée d'au plus un an, et sans préjudice à tous recours en dommages-intérêts. Ces pénalités peuvent être infligées derechef jusqu'à ce que le contrevenant se soit conformé à l'injonction.

Le tribunal peut également ordonner que ce qui a été fait en contravention à l'injonction soit détruit ou enlevé, s'il y a lieu.

La lecture conjointe de ces deux dispositions, situées dans le chapitre intitulé "De l'injonction" ne peut, à mon avis, que mener au constat suivant: la procédure d'outrage au tribunal de l'art. 761 C.p.c. constitue, avant tout, une mesure d'exécution de l'ordonnance d'injonction. Ce constat appelle, à son tour, deux remarques. Si la sanction de l'outrage au tribunal occupe, comme le suggère mon collègue Gonthier, une place particulière au sein du Code de procédure civile, il s'ensuit logiquement que l'injonction, dont l'outrage prévu à l'art. 761 C.p.c. est l'accessoire, représente un moyen exceptionnel d'assurer le respect d'une obligation purement privée. Or, un lien aussi manifeste entre ces deux recours exige, à mes yeux, que l'on prête autant d'attention au rôle de l'injonction comme mode de sanction d'une obligation civile qu'à la place de l'outrage dans le Code de procédure civile.

On ne saurait trop insister sur la spécificité de l'injonction parmi les recours disponibles au créancier d'une obligation civile. En vertu de l'art. 1065 C.c.B.-C., toute obligation rend celui qui ne s'y conforme pas passible, entre autres remèdes, de dommages-intérêts et de l'exécution en nature. Le choix du créancier est, en revanche, souvent influencé, voire imposé, par la nature de l'obligation et les circonstances entourant l'inexécution. Ainsi, l'exécution en nature par le recours en injonction est parfois, comme le démontrent les circonstances à l'origine du présent pourvoi, le seul remède à la disposition du créancier (voir, sur l'exécution en nature d'obligations de ne pas faire: J.-L. Baudouin, Les obligations (3e éd. 1989), no 687, à la p. 411, et J. Pineau et D. Burman, Théorie des obligations (2e éd. 1988), no 344, à la p. 426).

Dans le cadre de la présente affaire, ce sont les droits des appelantes reliés à la propriété et à l'exploitation de leurs entreprises que l'ordonnance d'injonction protège et fait valoir à l'encontre des intimés. À l'instar de la Cour d'appel du Québec qui émettait, en juin 1987, une ordonnance d'injonction interlocutoire en faveur des appelantes, la Cour supérieure a reconnu, le 4 décembre 1987, leurs droits privés dans les termes suivants (à la p. 550):

En mettant en marché ces décodeurs Microlec, les défendeurs participent au délit de vol de services fournis par les demanderesses en procurant aux abonnés de base de Vidéotron l'instrument qui leur permet d'obtenir cette télévision payante sans payer.

L'ordonnance d'injonction permanente fut donc émise en raison d'un délit civil de concurrence déloyale régi, au Québec, par l'art. 1053 C.c.B.-C. Il appert, à la lecture des deux jugements précités, que l'injonction était le seul recours disponible aux appelantes, vu l'impossibilité d'évaluer le nombre de personnes ayant transigé avec les intimés et celle d'évaluer quantitativement les dommages subis. Cette ordonnance, ainsi que les droits privés dont elle assure l'exécution, demeureraient lettre morte si une procédure d'outrage au tribunal ne pouvait en forcer l'exécution.

Cette genèse de l'injonction met donc en lumière la fonction première de la procédure d'outrage au tribunal qui lui est rattachée: prévenir et sanctionner toute contravention à une ordonnance ayant reconnu le droit de nature privée d'une ou plusieurs personnes. Contrairement à mon collègue Gonthier, je doute que, dans un tel contexte, le respect du rôle et de l'autorité du tribunal ayant émis l'injonction confère un élément de "droit public" à l'outrage civil, au point d'engendrer les conséquences qu'il entrevoit en matière de procédure. En effet, il m'apparaît évident que, puisqu'une ordonnance d'injonction est toujours émise sous la forme d'un ordre du tribunal, toute personne contrevenant à un tel ordre refuse d'obéir à un ordre direct de la cour et, de ce fait, porte atteinte à l'autorité du tribunal. Toutefois, accorder une place prépondérante à cette considération équivaut à reléguer à l'arrière-plan les droits privés que vise à protéger l'ordonnance d'injonction. Or, il a été admis par les parties, et les faits énoncés ci-avant confirment que, dans le cadre de la présente affaire, l'outrage est de nature civile. Dans ces conditions, l'objectif premier du droit judiciaire privé doit, à mon avis, demeurer la sanction des droits subjectifs. Les professeurs Savoie et Taschereau (Procédure civile (1973), t. I) ont bien cerné l'essence de la procédure civile, ainsi que son caractère mixte (à la p. 9):

. . .la procédure civile est un droit sanctionnateur, c'est-à-dire qu'elle a pour but de rendre efficace les normes du droit déterminateur de façon que soient respectés les droits subjectifs; le droit substantif détermine les droits subjectifs, la procédure civile permet de les sanctionner.

Et, aux pp. 7 et 8:

Malgré son qualificatif de "civile" qui semble lui donner exclusivement un caractère de droit privé, la procédure a aussi sa place dans le droit public puisque dans le sens large que nous lui avons donné, elle traite de l'organisation et de la compétence des tribunaux c'est-à-dire de l'organisation et des pouvoirs de cet organisme de l'État dont le rôle est d'apporter une sanction aux droits subjectifs; elle touche également au droit public en ce sens qu'elle sert à mettre le citoyen en relation avec cet organisme de l'État qui seul a le pouvoir de sanctionner les droits subjectifs du citoyen. [Je souligne.]

Ces auteurs s'empressent toutefois d'ajouter que, malgré son caractère mixte, l'essence de la procédure civile demeure de nature privée:

Cependant, dans une grande partie des règles qu'elle édicte, la procédure civile constitue essentiellement du droit privé puisque son rôle premier est de sanctionner les rapports des individus entre eux. [Je souligne.]

Bien qu'elle soit également destinée à maintenir le respect de l'autorité du tribunal, la procédure de l'outrage civil ne bascule donc pas, de ce fait, dans la sphère du droit public. Tout comme l'injonction dont elle est l'accessoire, elle constitue, avant tout, un véhicule par l'intermédiaire duquel les droits subjectifs sont mis en application. La possibilité d'emprisonnement dont elle est assortie n'altère pas cette fonction première: un aperçu historique de cette sanction ne vient que confirmer l'étroite relation qu'elle entretient avec l'exécution des ordonnances d'injonctions civiles.

En tant que sanction virtuelle d'un ordre du tribunal, l'emprisonnement était prévu dans la codification de 1866. Bien que le recours en injonction, comme moyen de sanctionner une obligation civile, ne fut véritablement réglementé qu'à partir de 1878 (Acte pourvoyant à ce que le bref d'injonction puisse être obtenu en certains cas, et réglant la procédure à cette fin, S.Q. 1878, 41 Vict., ch. 14; A. Prujiner, "Origines historiques de l'injonction en droit québécois" (1979), 20 C. de D. 249), la contrainte par corps fut insérée dans le Titre Vingtième du Livre Troisième du premier Code civil, intitulé De l'emprisonnement en matières civiles. La désobéissance à une injonction était l'une des rares situations donnant ouverture à ce moyen:

2273. Il y a encore lieu à la contrainte par corps pour mépris de tout ordre ou injonction d'un tribunal, ou pour résistance à tel ordre ou injonction, et pour tout acte tendant à éluder l'ordre ou le jugement d'un tribunal, en prévenant ou empêchant la saisie ou la vente des biens en exécution de tel jugement.

Suivant par là les recommandations des Commissaires (Code civil du Bas Canada: Sixième et Septième Rapports et Rapport Supplémentaire (1865), à la p. 75), le législateur québécois retrancha les dispositions relatives à la contrainte par corps du Code civil afin qu'elles s'intègrent, en 1897, au nouveau Code de procédure civile. Avant la réforme de ce dernier en 1965, ces dispositions se trouvaient à la section IV, "Emprisonnement en matière civile et contrainte par corps", du chapitre XXX, intitulé Exécution forcée des jugements. Une lecture des versions française et anglaise de l'art. 834, inspiré de l'ancien art. 2273 C.c.B.-C., est révélatrice de l'objectif assigné à l'emprisonnement dans le contexte d'une ordonnance d'injonction:

834. Il y a encore lieu à contrainte par corps pour mépris d'une ordonnance ou injonction d'un tribunal ou d'un juge, ou pour résistance à cette ordonnance ou injonction, ou pour tout acte tendant à éluder l'ordonnance ou l'injonction, en prévenant ou empêchant la saisie ou la vente des biens en exécution de l'ordonnance ou de l'injonction.

L'emprisonnement en ce cas ne peut excéder un an, mais peut être imposé derechef jusqu'à ce qu'il ait été obéi à l'ordonnance ou injonction.

834. Coercive imprisonment may also be ordered for contempt of any process or order of the court or of a judge, or for resistance to such process or order, or for any evasion of any such judgment or order, by preventing or obstructing the seizure or sale of property in execution of such judgment or order.

In such cases the term of imprisonment cannot exceed one year, but may be repeatedly inflicted until the process or order is obeyed. [Je souligne.]

Ainsi, la version anglaise identifie expressément la coercition comme étant l'objectif visé par l'emprisonnement. Par ailleurs, lors de l'adoption du Code de procédure civile en 1965, S.Q. 1965, ch. 80, l'article premier vint abolir la contrainte par corps, sauf le cas d'outrage au tribunal. Or, la version anglaise du quatrième alinéa se lisait comme suit:

Coercive imprisonment shall be abolished in civil matters, notwithstanding any provision to the contrary, except in cases of contempt of court. [Je souligne.]

Bien que l'art. 761 C.p.c. ne mentionne pas la coercition, l'objectif assigné à l'emprisonnement dans le contexte de la violation alléguée d'une ordonnance d'injonction civile demeure, à mon avis, inchangé. Cet objectif apparaît, de surcroît, indissociable de la dualité qui est propre à l'outrage:

L'outrage en matières proprement civiles a une dimension avant tout coercitive. La procédure utilisée vise à obliger la partie à se soumettre à un ordre émis par le tribunal dans l'intérêt d'une autre. Bien souvent, la simple menace d'exercer une sanction suffit à forcer l'exécution de l'ordre. Au criminel, au contraire, l'outrage est avant tout punitif et dissuasif. La procédure sanctionne un comportement jugé attentatoire à la dignité du processus judiciaire ou à l'administration de la justice. Elle vise à dénoncer toute atteinte à une institution fondamentale, et au-delà, à décourager la récidive. Dans les deux cas donc, la philosophie des peines ne peut être ni de même nature, ni de même facture. [Je souligne; en italique dans l'original.]

(Commission de réforme du droit du Canada, op. cit., à la p. 14.)

(Au même effet, voir R. J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance (1983), aux pp. 248 et 249; "The Coercive Function of Civil Contempt" (1965), 33 U. Chi. L. Rev. 120, à la p. 129.)

La fonction de l'outrage consécutif à une ordonnance d'injonction civile en est donc une de coercition. Si le caractère punitif et dissuasif de l'outrage criminel lui confère une dimension publique, l'outrage civil conserve, en revanche, son caractère privé: l'objectif poursuivi par la partie requérante est de faire respecter l'ordonnance civile, émise dans son seul intérêt. Les pouvoirs du tribunal, au premier rang desquels celui d'emprisonner, s'articulent par là autour d'une fin précise: obliger l'intimé à agir, où à s'abstenir de poser des actes déterminés, tels que définis par l'ordonnance d'injonction et ce, au profit des droits du requérant. Aucun objectif punitif ni dissuasif ne sous-tend l'exercice de ces pouvoirs. Dans ces conditions, l'outrage civil consécutif à l'injonction agit, en quelque sorte, comme une voie d'exécution forcée du jugement ayant accordé l'ordonnance (voir A. Popovici, L'outrage au tribunal (1977), à la p. 42). Au surplus, bien que la simple menace d'emprisonnement suffise, dans la majorité des cas, à forcer l'exécution de l'ordonnance, les modalités mêmes de l'emprisonnement ne peuvent être assimilées à celles qui régissent la sanction d'un outrage criminel. Comme l'explique le professeur Sharpe, op. cit., aux pp. 252 et 253:

[traduction] En règle générale, en l'absence de l'élément de désobéissance publique, l'affaire est considérée principalement comme coercitive plutôt que punitive. Une fois le respect obtenu, la cour n'a plus qu'à s'occuper des dépens. Même lorsque la cour impose l'emprisonnement à l'auteur d'un outrage, cela a pour objet d'assurer le respect, et il sera mis en liberté et dégagé des conséquences de son outrage s'il fait ce qu'il a auparavant négligé ou refusé de faire. Dans une affaire d'outrage criminel, le défendeur devra purger la période d'emprisonnement fixée, qui a pour objet de punir et de dissuader, tandis que dans les affaires civiles, dans lesquelles une durée précise est ordinairement (quoique pas nécessairement) fixée, le défendeur peut demander sa libération avant la fin de la période d'emprisonnement. [Je souligne.]

En résumé, puisque l'outrage au tribunal est une institution hybride, la simple logique exige que l'on ne confère pas à un outrage purement civil la dimension publique qui est au coeur de l'outrage criminel. Tout comme l'injonction, l'outrage qui lui est consécutif vise à sanctionner, avant tout, les droits subjectifs protégés par l'ordonnance. En raison de leur caractère coercitif, l'objectif et les modalités de l'emprisonnement participent à cette même finalité. Dans ces conditions, les relations entre l'ordonnance d'injonction, la procédure de l'outrage de l'art. 761 C.p.c. et la possibilité d'emprisonnement m'apparaissent non seulement compatibles, mais étroitement complémentaires. En dernière analyse, puisqu'il s'agit, en l'espèce, d'un outrage consécutif à une ordonnance d'injonction civile, les paramètres propres au droit public ne sauraient trouver application car leur finalité se situe, à mes yeux, aux antipodes de l'objectif assigné à l'outrage civil. C'est donc à la lumière de ces principes que j'aborderai la question de la contraignabilité.

L'outrage au tribunal et la règle de la contraignabilité

Puisque la contraignabilité d'une partie à une instance civile est, avant tout, une question de preuve et de procédure, il m'apparaît logique de recourir au Code de procédure civile afin de déterminer les règles applicables en la matière. Bien que cette approche soit également privilégiée par mon collègue Gonthier, la Cour d'appel du Québec s'est appuyée, en revanche, sur la common law. Le juge Brossard, pour la cour, conclut de la façon suivante son analyse de la contraignabilité (à la p. 709 R.J.Q.):

Bref, la common law semble donc reconnaître aujourd'hui qu'un intimé, poursuivi pour outrage au tribunal, même dans une instance civile, mais passible d'emprisonnement, ne saurait être contraint de témoigner contre lui-même. Or, suivant les décisions précitées de la Cour suprême du Canada dans les affaires de Cotroni et Société Radio-Canada, ce sont les règles de common law que nous devons appliquer au Québec en matière d'outrage au tribunal, même dans le cadre de procédures civiles, à moins d'exclusion explicite de la part du législateur québécois. J'ai déjà émis l'opinion que je ne croyais pas que l'article 309 puisse être considéré comme une déviation explicite de la common law.

Avec égards, ces deux décisions n'ont pas la portée que leur prête le juge Brossard. Les arrêts Société Radio-Canada c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618, et Cotroni c. Commission de police du Québec, [1978] 1 R.C.S. 1048, concernent l'enquête sur le crime organisé et les questions en litige relevaient du droit administratif. Or, en matière de droit public, le droit fondamental au Québec est la common law (voir L.-P. Pigeon, Rédaction et interprétation des lois (3e éd. 1986), aux pp. 109 et 110). Dans le cadre de la présente affaire, il s'agit de décider de l'applicabilité d'une règle de procédure civile dans un procès pour outrage civil. Ce dernier a un objectif précis: déterminer si les intimés ont contrevenu à leur obligation, sanctionnée par l'ordonnance d'injonction, de ne pas fabriquer et mettre en marché leurs décodeurs. Contrairement aux arrêts précités, le contexte est donc purement privé. Au demeurant, depuis l'Acte de Québec de 1774, le droit civil québécois n'est plus régi par la common law (voir Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705, aux pp. 737 et 738).

Par ailleurs, le fait que l'outrage au tribunal soit une institution empruntée au droit anglais n'a rien d'extraordinaire car le droit privé québécois est riche en règles de droit issues de sources étrangères (au sujet du Code de procédure civile, voir J. M. Brisson, La formation d'un droit mixte: l'évolution de la procédure civile de 1774 à 1867 (1986)). Or, calquer aveuglément les principes de la common law sur ces règles comporte, à mon avis, le risque d'éluder la question de leur compatibilité dans le droit récepteur (voir, en matière de fiducie, les motifs du juge Beetz dans Royal Trust Co. c. Tucker, [1982] 1 R.C.S. 250). Enfin, une telle approche m'apparaît d'autant plus erronée qu'elle s'articule, en l'espèce, dans le contexte de dispositions s'intégrant dans la structure générale d'un code (P.-A. Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990), aux pp. 29, 30 et 517; J.-L. Baudouin, "The Impact of the Common Law on the Civilian Systems of Louisiana and Quebec", dans J. Dainow, dir., The Role of Judicial Decisions and Doctrine in Civil Law and in Mixed Jurisdictions (1974), ch. I).

C'est donc sur cette toile de fond qu'il y a lieu d'analyser les dispositions du Code de procédure civile. Je les reproduis pour fins de commodité:

295. Toute personne est apte à déposer en justice, sauf si, en raison de sa condition physique ou mentale, elle n'est pas en état de rapporter des faits dont elle a eu connaissance; et toute personne apte à déposer peut être contrainte de le faire.

302. Toute personne présente à l'audience peut être requise de rendre témoignage, et elle est tenue de répondre comme si elle avait été régulièrement assignée.

309. Un témoin ne peut refuser de répondre pour le motif que sa réponse pourrait tendre à l'incriminer ou à l'exposer à une poursuite, de quelque nature qu'elle puisse être; mais s'il fait une objection en ce sens, sa réponse ne pourra servir contre lui dans aucune poursuite pénale intentée en vertu de quelque loi de Québec.

Bien qu'elles posent clairement la contraignabilité des parties comme étant la règle générale applicable en matière civile, mon collègue Gonthier est d'avis que ces dispositions ne s'appliquent pas dans le cadre d'un outrage civil. Elles seraient écartées en raison du régime spécial de l'outrage, au sein duquel la règle de la non-contraignabilité occuperait une place primordiale.

Avec égards, je ne puis être d'accord. À mon avis, le Code de procédure civile constitue un ensemble de règles interdépendantes que l'on doit considérer comme un tout (art. 2 C.p.c. et Rapport préliminaire des commissaires à la révision du Code de procédure civile (1962), à la p. 3). En conséquence, la section du Code relative à l'outrage (art. 49 à 54 C.p.c.) ne saurait être interprétée comme une enclave à l'intérieur de celui-ci. Puisque celle-ci est silencieuse sur la question de la contraignabilité d'un intimé, il faut se référer aux règles générales qui sont, à cet égard, claires et non ambiguës. Une telle démarche a, par ailleurs, le mérite d'être cohérente avec la méthode employée par le législateur québécois: lorsqu'il a voulu que des procédures contenues au Code soient assujetties à un régime spécial, il l'a fait expressément (voir les art. 944 et suiv. en matière d'arbitrage, l'art. 996 pour le recouvrement des petites créances et l'art. 1051 pour le recours collectif). Finalement, puisque le Code est clair, il serait illogique de l'écarter en se référant à d'autres sources, que celles-ci soient doctrinales ou jurisprudentielles (F. P. Walton, Le domaine et l'interprétation du Code civil du Bas-Canada (1980), à la p. 87). Sans vouloir me prononcer sur le bien fondé de la décision de la Cour d'appel dans l'affaire Imperial Oil Ltd. c. Tanguay, [1971] C.A. 109, cette même conclusion s'imposerait à l'égard du fardeau de preuve si le Code de procédure civile avait contenu des dispositions similaires.

L'application du principe de la non-contraignabilité dans un contexte purement privé m'apparaît, par ailleurs, incompatible avec les valeurs sous-jacentes que cette règle et le privilège contre l'auto-incrimination visent à protéger. Dans l'arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, à la p. 480, le juge Wilson, par ailleurs dissidente, résume ainsi le fondement de ces deux privilèges:

Mon étude des origines historiques du droit de ne pas être contraint de témoigner et du droit à la protection contre l'auto-incrimination ainsi que mon examen des raisons de principe avancées pour justifier leur maintien à l'époque moderne m'amènent à conclure que leur préservation tient au souci de veiller à ce que l'État respecte la vie privée, l'autonomie personnelle et la dignité des citoyens. L'État ne saurait déranger un particulier sans justification et ne peut compter sur ce dernier pour fournir cette justification de sa propre bouche. [Je souligne.]

Sans revenir à mes remarques antérieures concernant la spécificité de l'outrage civil consécutif à une ordonnance d'injonction, projeter ces considérations dans un contexte privé serait, à mes yeux, incohérent. Au niveau de la panoplie de moyens dont dispose une partie dans l'arène judiciaire, l'avantage dont jouit l'État dans un contexte criminel ou pénal justifie, à lui seul, que les règles de preuve soient plus exigeantes à son égard (voir J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (1992), à la p. 3). Cependant, imposer cet obstacle procédural à une partie privée ayant obtenu une injonction et qui, par définition, ne dispose pas des mêmes moyens que le procureur général m'apparaît doublement contestable: tout en rendant beaucoup plus difficile la sanction des droits subjectifs protégés par l'ordonnance, l'application de ce principe équivaudrait à transformer en procédure criminelle une poursuite purement privée en niant, par là, les modalités et finalités qui sont propres à l'outrage civil consécutif à une ordonnance d'injonction.

J'estime que, lorsque ces considérations se trouvent conjuguées à la logique interne du Code de procédure civile, la question de la contraignabilité des intimés ne peut se résoudre que par l'affirmative. Il me reste, toutefois, à considérer l'incidence des Chartes sur cette conclusion.

L'incidence des Chartes sur la règle de la contraignabilité

Bien que la validité constitutionnelle des art. 295, 302 et 309 C.p.c. n'ait été soulevée à aucun stade des procédures, les intimés soutiennent que l'application de la règle de la contraignabilité irait à l'encontre de l'art. 33.1 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, et de l'al. 11c) de la Charte canadienne des droits et libertés. Puisque l'argumentation devant notre Cour a surtout été consacrée à l'incidence de la Charte canadienne, j'en discuterai en premier lieu.

En assumant que la Charte s'applique -- sans toutefois en décider ni me prononcer sur les motifs de la Cour d'appel à ce sujet, ni sur la question de l'application au droit privé québécois des critères développés par notre Cour dans l'arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573 -- j'estime que les intimés ne peuvent bénéficier de la protection de l'al. 11c). Quoique dans l'arrêt R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, le juge Wilson, pour la Cour, écrive qu'en certaines circonstances, l'art. 11 pourrait s'appliquer dans une affaire privée, elle poursuit (à la p. 561):

À mon avis, une véritable conséquence pénale qui entraînerait l'application de l'art. 11 est l'emprisonnement ou une amende qui par son importance semblerait imposée dans le but de réparer le tort causé à la société en général plutôt que pour maintenir la discipline à l'intérieur d'une sphère d'activité limitée.

À l'appui de cette affirmation, le juge Wilson cite ce commentaire du professeur Stuart ("Annotation to R. v. Wigglesworth" (1984), 38 C.R. (3d) 388, à la p. 389):

[traduction] . . . d'autres formes de mesures disciplinaires punitives, comme les amendes ou l'emprisonnement, ne peuvent être distinguées des peines en matière criminelle et devraient certainement être assujetties à la protection de l'al. 11h). [Je souligne.]

Puisque la sanction de l'outrage consécutif à une ordonnance d'injonction civile a une dimension purement coercitive et non punitive, j'estime que ces considérations ne peuvent s'appliquer dans un contexte similaire à la présente affaire. De plus, le terme "inculpé" contenu dans cet article renvoie, à mes yeux, à une poursuite qui dépasse nécessairement le cadre purement privé à l'intérieur duquel évoluent le recours en injonction et la procédure d'outrage civil. La même conclusion s'impose à l'égard de l'art. 33.1 de la Charte des droits et libertés de la personne, qui semble aussi destiné à régir des lois de nature pénale ou disciplinaire (voir, par exemple, Montréal-Est (Ville de) c. Labrosse, [1985] C.S. 960; Comité -- Infirmières et infirmiers -- 8, [1983] D.D.C.P. 295 (Comité de discipline); sur l'art. 33 généralement: Contenants Industriels Ltée c. Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec, [1988] R.J.Q. 1345 (C.S.)).

Quoique, comme le Juge en chef le souligne dans ses notes, on doive préférer une "interprétation qui ne viole pas la Charte" lorsqu'il s'agit d'interpréter une législation, j'estime qu'il n'y a pas place ici à interprétation: les dispositions du Code de procédure civile ici en question font partie d'un régime privé -- et non pénal ou quasi pénal --, elles sont claires et non ambiguës et, en dernière analyse, leur constitutionnalité n'est pas contestée.

Conclusion

Pour toutes ces raisons, je suis d'avis d'accueillir l'appel avec dépens dans toutes les cours.

Pourvoi rejeté, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente.

Procureurs des appelantes: Langlois, Robert, Montréal.

Procureurs des intimés: Pateras & Iezzoni, Montréal.

* Le juge Stevenson n'a pas pris part au jugement.

** C.S. St-François, no 450‑05‑000518-858, le 31 août 1989.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Procédure civile - Outrage au tribunal - Non‑respect d'une injonction - Contraignabilité - La personne citée pour outrage est‑elle contraignable à témoigner? - Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 49 à 54, 295, 302, 309, 761 - Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 33.1 - Charte canadienne des droits et libertés, art. 11c).

Libertés publiques - Témoignages interdits - Outrage au tribunal - Non‑respect d'une injonction - Contraignabilité - La personne citée pour outrage est‑elle contraignable à témoigner? - Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 33.1 - Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 295, 302, 309.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Contraignabilité - Outrage au tribunal - Non‑respect d'une injonction - La personne citée pour outrage est‑elle contraignable à témoigner? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 11c) - Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 295, 302, 309.

La Cour supérieure a accueilli l'action en injonction permanente demandée par les appelantes et ordonné aux intimés de cesser de distribuer des décodeurs permettant de débrouiller les signaux de télévision payante. Les appelantes ont par la suite déposé une requête pour la délivrance d'une ordonnance spéciale de comparaître, en vertu de l'art. 53 C.p.c., alléguant que les intimés avaient commis un outrage au tribunal en ne respectant pas l'injonction. Lors de l'enquête, elles ont cité à la barre l'un des intimés. Ce dernier s'est objecté à témoigner, au motif qu'il n'était pas contraignable dans une instance où il était lui‑même cité pour outrage. La Cour supérieure a accueilli l'objection et la Cour d'appel a confirmé cette décision.

Arrêt (le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest et Gonthier: La personne citée pour un outrage en vertu du Code de procédure civile ne peut être contrainte à témoigner. La sanction de l'outrage au tribunal, même lorsqu'elle sert à assurer l'exécution d'une ordonnance purement privée, comporte toujours un élément de «droit public», car elle met en jeu le respect du rôle et de l'autorité des tribunaux, un des fondements de l'État de droit, et la bonne marche de l'administration de la justice. Ce rapprochement avec le droit public et les règles propres à l'outrage prévues au Code de procédure civile font de l'outrage au tribunal une institution hautement spécifique au sein du Code. À ce régime d'exception créé par le Code sont également venues se greffer des règles d'inspiration jurisprudentielle. L'outrage au tribunal est en droit québécois strictissimi juris et de nature quasi pénale, vu les conséquences possibles, notamment l'emprisonnement. Il serait donc contraire au principe fondamental du droit pénal du Québec, expressément reconnu à l'art. 33.1 de la Charte des droits et libertés de la personne, que la personne citée pour outrage soit contraignable à témoigner. Cela aurait également pour effet de faciliter la preuve au‑delà du doute raisonnable, dont le requérant doit par ailleurs scrupuleusement s'acquitter. La non‑contraignabilité correspond à la solution qui a été retenue en common law, d'où le droit québécois de l'outrage au tribunal tire sa source, et elle s'inscrit dans la foulée de la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège le droit à la non‑incrimination.

Bien que le Code de procédure civile dicte généralement la procédure applicable aux recours pour outrage au tribunal, lorsque des dispositions aussi générales que les art. 295, 302 et 309 C.p.c. entrent en conflit avec une règle aussi primordiale au régime spécial de l'outrage que la non‑contraignabilité de la personne citée pour outrage, ces dispositions ne peuvent avoir préséance. L'absence d'une exception expresse au Code n'est pas déterminante.

Le juge en chef Lamer: À la lecture de l'art. 50 C.p.c., il est évident que le législateur a, à toutes fins pratiques, créé une infraction. Le fait qu'il ait choisi de traiter de l'outrage au tribunal dans le Code de procédure civile ne change rien au fait que, en regard de la Charte canadienne des droits et libertés, la personne citée pour outrage est une inculpée au sens de l'art. 11 de la Charte, et qu'elle jouit de la garantie constitutionnelle prévue à l'al. 11c) qui prévoit spécifiquement la non‑contraignabilité d'un inculpé. Quant aux art. 295, 302 et 309 C.p.c., s'il y a place à interprétation, l'interprétation qui ne viole pas la Charte est celle que l'on doit adopter.

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente): Bien que le respect du rôle et de l'autorité des tribunaux soit le dénominateur commun des outrages civils et criminels, il est important de préserver la distinction entre ces deux types d'outrages et de ne pas conférer une dimension publique à un outrage purement civil. Alors qu'au criminel l'outrage est avant tout punitif et dissuasif et vise à protéger les intérêts collectifs, l'outrage en matières purement civiles est avant tout coercitif et vise la protection des intérêts individuels. Dans la présente affaire, la fonction première de la procédure d'outrage au tribunal prévue à l'art. 761 C.p.c. est de prévenir et de sanctionner toute contravention à l'ordonnance d'injonction, qui a reconnu des droits de nature privée à l'une des parties. S'il fallait dans ce contexte accorder une place prépondérante au respect du rôle et de l'autorité du tribunal, cela équivaudrait à reléguer à l'arrière‑plan les droits privés que vise à protéger l'ordonnance d'injonction. Or, l'objectif premier du droit judiciaire privé doit demeurer la sanction des droits subjectifs. Tout comme l'injonction dont elle est l'accessoire, la procédure de l'outrage civil constitue un véhicule par l'intermédiaire duquel les droits subjectifs d'une partie sont mis en application. La possibilité d'emprisonnement dont l'outrage civil est assorti n'altère pas son caractère privé puisque la coercition est l'objectif visé par l'emprisonnement. Dans ces conditions, les relations entre l'ordonnance d'injonction, la procédure de l'outrage de l'art. 761 C.p.c. et la possibilité d'emprisonnement sont non seulement compatibles, mais étroitement complémentaires.

Les articles 295, 302 et 309 C.p.c. posent clairement la contraignabilité des parties comme étant la règle générale en matière civile et ces dispositions sont applicables à une personne poursuivie pour outrage au tribunal en vertu de l'art. 761 C.p.c. La section relative à l'outrage (art. 49 à 54 C.p.c.) ne peut s'interpréter comme une enclave à l'intérieur du Code de procédure civile. Ce Code constitue un ensemble de règles interdépendantes que l'on doit considérer comme un tout. Puisque la section relative à l'outrage est silencieuse sur la question de la contraignabilité d'une personne citée pour outrage, il faut donc se référer aux règles générales. Ces règles sont claires et il n'y a pas lieu de les écarter en se référant à d'autres sources. Par ailleurs, l'application du principe de la non‑contraignabilité dans un contexte purement privé est incompatible avec les valeurs sous‑jacentes que cette règle et le privilège contre l'auto‑incrimination visent à protéger. De plus, imposer cet obstacle procédural à une partie privée ayant obtenu une injonction est doublement contestable: d'une part, l'application de ce principe rendrait beaucoup plus difficile la sanction des droits subjectifs protégés par l'ordonnance et, d'autre part, cela équivaudrait à transformer en procédure criminelle une poursuite purement privée en niant les modalités et finalités qui sont propres à l'outrage civil consécutif à une ordonnance d'injonction.

Finalement, même en assumant que la Charte canadienne des droits et libertés s'applique, les intimés ne peuvent bénéficier de la protection de l'al. 11c) puisque la sanction de l'outrage consécutif à une ordonnance d'injonction civile a une dimension purement coercitive et non punitive. De plus, le terme "inculpé" à l'art. 11 renvoie à une poursuite qui dépasse nécessairement le cadre purement privé à l'intérieur duquel évoluent le recours en injonction et la procédure d'outrage civil. La même conclusion s'impose à l'égard de l'art. 33.1 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.


Parties
Demandeurs : Vidéotron Ltée
Défendeurs : Industries Microlec Produits Électroniques Inc.

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Gonthier
Arrêts mentionnés: Syndicat des employés de l'Hôpital St‑Augustin (CSN) c. Procureur général du Québec, [1977] C.A. 539
Duquette c. Zellers Inc., C.S. Montréal, no 500‑05‑000747‑863, le 6 juillet 1987
Société Radio‑Canada c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618
Cotroni c. Commission de police du Québec, [1978] 1 R.C.S. 1048
R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541
C.T.C.U.M. c. Syndicat du transport de Montréal (C.S.N.), [1977] C.A. 476
In re Storgoff, [1945] R.C.S. 526
Ministre du Revenu national c. Lafleur, [1964] R.C.S. 412
United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901
Imperial Oil Ltd. c. Tanguay, [1971] C.A. 109
Toupin c. Longchamps, J.E. 90‑818
Simard c. Pavillon Charleroi Royer Inc., J.E. 79‑188
Restaurant Faubourg St‑Denis Inc. c. Durand, [1990] R.J.Q. 1218
Sporting Club du Sanctuaire Inc. c. 2320‑4365 Québec Inc., [1989] R.D.J. 596
Charlebois c. Bourbeau, [1979] C.A. 545
Parent c. Perreault, [1979] C.A. 237
Droit de la famille — 728, [1989] R.D.F. 671
Daigle c. St‑Gabriel de Brandon (Corp. municipale de la paroisse de), J.E. 91‑195
Comet Products U.K. Ltd. c. Hawkex Plastics Ltd., [1971] 2 Q.B. 67
MacNeil c. MacNeil (1975), 67 D.L.R. (3d) 114
Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1988] 3 C.F. 277
Cie Immobilière Viger Ltée c. Lauréat Giguère Inc., [1977] 2 R.C.S. 67
Lapierre c. Procureur général du Québec, [1985] 1 R.C.S. 241.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente):
United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901
Poje c. Attorney General for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516
B.C.G.E.U. c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214
Société Radio‑Canada c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618
Cotroni c. Commission de police du Québec, [1978] 1 R.C.S. 1048
Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705
Royal Trust Co. c. Tucker, [1982] 1 R.C.S. 250
Imperial Oil Ltd. c. Tanguay, [1971] C.A. 109
Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425
SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573
R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541
Montréal‑Est (Ville de) c. Labrosse, [1985] C.S. 960
Contenants Industriels Ltée c. Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec, [1988] R.J.Q. 1345
Comité — Infirmières et infirmiers — 8, [1983] D.D.C.P. 295.
Lois et règlements cités
Acte concernant le Code de Procédure Civile du Bas Canada, S. Prov. C. 1866, 29‑30 Vict., ch. 25.
Acte de Québec (1774).
Acte pourvoyant à ce que le bref d'injonction puisse être obtenu en certains cas, et réglant la procédure à cette fin, S.Q. 1878, 41 Vict., ch. 14.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 11c).
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 33, 33.1 [ad. 1982, ch. 61, art. 12].
Code civil du Bas‑Canada, art. 1053, 1065, 2273 (ancien).
Code de procédure civile, S.Q. 1965, ch. 80, art. 1.
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 1, 2, 20, 26, al. 5, 46, 49, 50, 51, 52, 53, 54 [mod. 1990, ch. 4, art. 222], 295, 302, 309, 313, 751, 761, 944 et suiv., 996, 1051.
Code de procédure civile de la province de Québec (1897), art. 1, 834.
Code de procédure civile du Bas Canada (1867), art. 1360.
Code de procédure pénale, L.R.Q., ch. 25.1, chap. XIII.
Loi concernant le Code de procédure civile de la province de Québec, S.Q. 1897, ch. 48.
Doctrine citée
Baudouin, Jean‑Louis. Les obligations, 3e éd. Cowansville: Yvon Blais, 1989.
Baudouin, Jean‑Louis. "The Impact of the Common Law on the Civilian Systems of Louisiana and Quebec". In Joseph Dainow, ed., The Role of Judicial Decisions and Doctrine in Civil Law and in Mixed Jurisdictions. Baton Rouge: Louisiana State University Press, 1974.
Brierley, John E. C. «Quebec's "Common Laws" (Droits communs): How Many Are There?». In Mélanges Louis‑Philippe Pigeon. Montréal: Wilson & Lafleur, 1989, 109.
Brisson, Jean‑Maurice. La formation d'un droit mixte: l'évolution de la procédure civile de 1774 à 1867. Montréal: Thémis, 1986.
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Côté, Pierre‑André. Interprétation des lois, 2e éd. Cowansville: Yvon Blais, 1990.
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Walton, Frederick Parker. Le domaine et l'interprétation du Code civil du Bas‑Canada. Traduction par Maurice Tancelin. Toronto: Butterworths, 1980.

Proposition de citation de la décision: Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065 (24 septembre 1992)


Origine de la décision
Date de la décision : 24/09/1992
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1992] 2 R.C.S. 1065 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1992-09-24;.1992..2.r.c.s..1065 ?
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