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29/10/1992 | CANADA | N°[1992]_3_R.C.S._165

Canada | Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer, [1992] 3 R.C.S. 165 (29 octobre 1992)


Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer, [1992] 3 R.C.S. 165

Daniel Hofer, père, Daniel Hofer, fils, Larry Hofer,

David Hofer, Paul Hofer, fils, Leonard Hofer et

John Gerald Hofer Appelants

c.

Michael Wollmann, Jacob Hofer et Joshua Hofer,

en leur qualité de représentants de Lakeside Colony

of Hutterian Brethren, Lakeside Holding Co. Ltd. et

Lakeside Colony Ltd. Intimés

Répertorié: Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer

No du greffe: 22382.

1992: 5 mai; 1992: 29 octobre.

Présents: Les juge

s La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVO...

Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer, [1992] 3 R.C.S. 165

Daniel Hofer, père, Daniel Hofer, fils, Larry Hofer,

David Hofer, Paul Hofer, fils, Leonard Hofer et

John Gerald Hofer Appelants

c.

Michael Wollmann, Jacob Hofer et Joshua Hofer,

en leur qualité de représentants de Lakeside Colony

of Hutterian Brethren, Lakeside Holding Co. Ltd. et

Lakeside Colony Ltd. Intimés

Répertorié: Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer

No du greffe: 22382.

1992: 5 mai; 1992: 29 octobre.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1991), 70 Man. R. (2d) 191, 77 D.L.R. (4th) 202, qui a rejeté un appel contre un jugement du juge Ferg (1989), 62 Man. R. (2d) 194, 63 D.L.R. (4th) 473. Pourvoi accueilli, le juge McLachlin est dissidente.

Donald G. Douglas, pour les appelants.

Michael F. C. Radcliffe, Roy H. C. Baker, c.r., et William R. Murray, pour les intimés.

//Le juge Gonthier//

Version française du jugement des juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et Iacobucci rendu par

Le juge Gonthier — Il s'agit en l'espèce de déterminer si la Cour devrait aider la colonie huttérite intimée (demanderesse) à mettre à exécution l'expulsion des défendeurs de ses rangs. Pour trancher cette question, la Cour doit décider si l'expulsion était conforme aux règles applicables et aux principes de justice naturelle.

Les intimés (ci‑après les demandeurs) ont intenté la présente action en leur qualité de représentants de la colonie huttérite de Lakeside, de la Lakeside Holding Co. Ltd. et de la Lakeside Colony Ltd. La colonie elle‑même est une association volontaire dont tous les membres ont souscrit à des statuts. La société de portefeuille Lakeside Holding Co. Ltd. est propriétaire des terres sur lesquelles résident les membres de la colonie et elle possède ces terres en fiducie pour la colonie. La société Lakeside Colony Ltd. loue les terres de la société de portefeuille et y exploite une entreprise agricole. Étant donné que les relations entre ces entités ne sont pas en cause dans le présent litige, je vais simplement les désigner collectivement par le mot «colonie».

Les défendeurs résident tous actuellement sur les terres de la colonie. Daniel Hofer, père, Daniel Hofer, fils, Larry Hofer et David Hofer sont tous membres de la colonie, à moins, évidemment, que cette dernière ne les ait effectivement expulsés de ses rangs. Les trois derniers sont les fils adultes de Daniel Hofer. Paul Hofer, fils, Leonard Hofer et John Gerald Hofer sont des jeunes gens qui n'ont pas encore adhéré à la colonie, du fait que les huttérites croient au baptême des adultes et en font une condition d'adhésion. Ils sont les fils de membres permanents de la colonie qui ne sont pas directement en cause dans la présente action. Pour plus de commodité, je désignerai parfois Daniel Hofer, fils, David Hofer, et Larry Hofer comme «les fils», Paul Hofer, fils, Leonard Hofer et John Gerald Hofer comme les «jeunes défendeurs», et les sept défendeurs ensemble comme le groupe de Daniel Hofer, père.

La colonie a demandé à la cour d'ordonner aux appelants (ci‑après défendeurs) de quitter définitivement les terres de la colonie et de lui rendre tous les biens qui lui appartiennent. Elle a aussi demandé à la cour de rendre un jugement déclarant que Daniel Hofer et ses fils n'étaient plus membres de la colonie. La colonie a eu gain de cause devant le juge Ferg de première instance, (1989), 62 Man. R. (2d) 194, et ce jugement a été confirmé en appel, avec une dissidence de la part du juge O'Sullivan, (1991), 70 Man. R. (2d) 191.

Les défendeurs ont déposé une demande reconventionnelle qui a été rejetée en première instance et n'a pas fait l'objet d'un appel.

I. La norme de contrôle

Les tribunaux hésitent à connaître de la question de l'adhésion à une association volontaire, particulièrement une association religieuse. Toutefois, ils ont exercé leur compétence lorsqu'un droit de propriété ou un droit civil dépendait de cette question. Comme l'a dit le juge Crocket dans Ukrainian Greek Orthodox Church of Canada c. Trustees of the Ukrainian Greek Orthodox Cathedral of St. Mary the Protectress, [1940] R.C.S. 586:

[traduction] . . . il est bien établi qu'à moins qu'un droit de propriété ou un droit civil ne soit touché de ce fait, les tribunaux civils de notre pays ne permettront pas qu'on s'en serve pour mettre à exécution un décret ou une ordonnance purement ecclésiastique.

Or, un droit de propriété est en jeu en l'espèce, particulièrement du point de vue de la colonie. Si les défendeurs étaient étrangers à la colonie, celle‑ci pourrait assurément leur interdire l'accès aux biens en vertu de son droit de propriété. Toutefois, si Daniel Hofer et ses fils sont membres de la colonie, ils ont, en vertu de ses statuts, certains droits de vivre dans la colonie et d'en tirer leur subsistance. Les résidants de la colonie, comme les jeunes défendeurs, jouissent également de certains droits qui subsistent à certaines conditions.

Pour les membres de la colonie, ces droits d'y rester sont de nature contractuelle et ne constituent pas des droits de propriété. Mais s'ils sont contractuels, les droits en cause n'en revêtent pas moins une grande importance pour tous les intéressés et ils sont susceptibles d'être mis à exécution par les tribunaux. Comme le déclarait lord Denning, à la p. 1180 de l'arrêt Lee c. Showmen's Guild of Great Britain, [1952] 1 All E.R. 1175 (C.A.), à la p. 1180, un droit contractuel qui permet de gagner sa vie est sur le même pied qu'un droit de propriété en matière de compétence à l'égard d'associations volontaires:

[traduction] Si un comité viole un contrat en expulsant un membre, notre cour rendra un jugement déclarant que son action est ultra vires. Elle accordera également une injonction afin d'empêcher l'expulsion du membre si cela s'avère nécessaire pour protéger son droit de propriété ou son droit de gagner sa vie [. . .] mais elle n'accordera pas d'injonction en vue de donner à un membre le droit d'adhérer à un club social, à moins que des droits de propriété s'y rattachent, parce qu'il est trop personnel pour être mis à exécution spécifiquement . . .

Si les défendeurs ont le droit de rester dans la colonie, la question n'est pas tellement de savoir s'il s'agit d'un droit de propriété ou d'un droit contractuel, mais plutôt de savoir s'il est suffisamment important pour justifier l'intervention de la cour et si le redressement demandé est susceptible d'être mis à exécution par elle. En l'espèce, les droits en cause sont de la plus haute importance et le «redressement» demandé est uniquement que la cour n'intervienne pas pour mettre à exécution l'expulsion. Par conséquent, la cour doit décider si Daniel Hofer et ses fils sont membres de la colonie et si les jeunes défendeurs sont des résidants dont les droits n'ont pas été révoqués.

Afin de trancher la question du statut de membre ou de résidant des défendeurs, la cour doit décider si leur expulsion de la colonie est valide. Il n'appartient pas à la cour d'examiner le bien‑fondé de la décision d'expulser. Elle est appelée, toutefois, à décider si l'expulsion présumée a été faite conformément aux règles applicables, dans le respect des principes de justice naturelle et sans mauvaise foi. Cette norme remonte au moins aussi loin que l'énoncé du juge Stirling dans l'arrêt Baird c. Wells (1890), 44 Ch. D. 661, à la p. 670:

[traduction] Les seules questions dont notre cour peut connaître sont les suivantes: Premièrement, les règles du club ont‑elles été observées? Deuxièmement, a‑t‑on fait quelque chose de contraire à la justice naturelle? Et, troisièmement, la décision attaquée a‑t‑elle été prise de bonne foi?

Cette analyse est conforme à l'arrêt Hofer c. Hofer, [1970] R.C.S. 958. Dans cette affaire, un certain nombre d'huttérites avaient été expulsés après s'être convertis à une autre croyance religieuse. En mettant à exécution cette expulsion, le juge Ritchie a souligné, aux pp. 972 et 973, que les règles pertinentes avaient été suivies et que les principes de justice naturelle avaient été respectés. C'est également la norme qu'ont appliquée en l'espèce le juge de première instance et les juges majoritaires de la Cour d'appel. En fait, la colonie convient qu'elle doit agir conformément à ses propres règles et aux principes de justice naturelle en expulsant des membres, et elle reconnaît que la cour a compétence pour en décider.

II. Le cadre institutionnel

Pour répondre à la question de savoir si l'expulsion des défendeurs est équitable et conforme aux règles applicables, il faut d'abord déterminer en quoi consistent les exigences de l'équité et quelles sont les règles applicables. Auparavant, il est nécessaire de comprendre le cadre institutionnel dans lequel fonctionnait la colonie de Lakeside.

Les règles qui composent le cadre institutionnel de la colonie de Lakeside proviennent de quatre sources: a) la tradition et la coutume des huttérites, b) les statuts auxquels ont adhéré les membres de la colonie, c) la constitution de l'Église huttérite et les règles concernant la communauté de biens, et d) la Loi constituant en corporation «The Hutterian Brethren Church», S.C. 1951, ch. 77.

A. La constitution de l'Église huttérite

Il convient de commencer par examiner la constitution de l'Église huttérite et les règles concernant la communauté de biens. Ce document, qui se présente sous la forme de statuts, a été signé par les représentants de 60 colonies huttérites du Canada le 1er août 1950. De nombreuses autres colonies se sont ajoutées depuis, dont certaines aux États‑Unis. Il y est déclaré en préambule que l'Église huttérite existe de façon ininterrompue depuis le XVIe siècle, qu'elle compte aujourd'hui de nombreuses colonies largement dispersées et qu'il est donc souhaitable de procéder à une réorganisation de l'Église.

L'article 1 précise que l'Église porte le nom de Hutterian Brethren Church. L'article 2 définit ainsi les objets et les fins poursuivis:

[traduction] a) Obtenir pour ses membres et leurs dépendants mineurs, ainsi que pour les novices, aides, enfants et personnes nécessiteuses dont elle a la charge, sans distinction de race, de classe, de statut social, de nationalité, de religion, d'âge ou de sexe, l'assistance spirituelle, culturelle, pédagogique et financière, fondée sur la vie et la mission de Jésus Christ et des Apôtres, fondée sur l'esprit et l'exemple de la première communauté chrétienne de Jérusalem et de la communauté rétablie par Jacob Hutter, en 1533, à l'époque de la naissance du «mouvement des Baptiseurs», de sorte que les membres parviennent à une unité spirituelle complète dans une communauté totale de biens (que ce soit sur le plan de la production ou sur celui de la consommation), dans la pureté parfaite de leurs relations mutuelles, la vérité absolue et une attitude pacifique véritable, proclamant et témoignant par la parole et le geste que la volonté de Dieu est que l'amour, la justice, la vérité et la paix règnent pour tous les hommes sur la terre. Tous les membres, les aînés en particulier, sont responsables de la réalisation des objets de l'Église par la stricte conformité aux manifestations spontanées de l'Esprit Saint ainsi que par l'encouragement et l'éducation mutuels.

b) L'Église attend de tous ses membres un dévouement total aux fins et aux objets poursuivis. Le capital et les surplus de produits et de fonds de chaque congrégation ou de chaque communauté devront être affectés par ladite congrégation ou communauté aux {oe}uvres sociales auxquelles l'Église se consacre en permanence, aidant les pauvres, les faibles et les malades qui ont besoin de cette aide, qui la demandent et l'acceptent, en particulier les enfants, ainsi qu'à l'achat de bien‑fonds, de bétail et d'équipement pour l'usage de la congrégation ou de la communauté afin que ses membres puissent subvenir à leurs besoins et acquérir des fonds destinés à la réalisation des fins de l'Église.

L'article 2 définit également les pouvoirs des [traduction] «congrégations ou communautés» de l'Église que sont les colonies, notamment le pouvoir de détenir des biens de toute nature. En vertu de l'al. 2f), chaque colonie a le pouvoir d'établir des règles ou règlements non contraires à la constitution ou aux lois en général.

Les autres articles de la constitution établissent trois niveaux d'autorité: l'Église, la conférence et la colonie.

1. L'Église et le conseil de gestion

Les articles 3 à 18 définissent l'organisation de l'Église. Celle‑ci se compose de toutes les colonies signataires des statuts et de toutes celles admises ultérieurement conformément aux statuts. Son siège social est situé à Wilson Siding, en Alberta. Elle se divise en trois conférences: Darius‑Leut, Lehrer‑Leut et Schmied‑Leut. Chacune de ces conférences choisit trois personnes pour former un conseil de gestion de neuf membres. Ces gestionnaires désignent ensuite parmi eux un doyen, un doyen adjoint et un secrétaire. La date de l'assemblée annuelle, modifiée par la suite en assemblée semestrielle, est fixée. Des assemblées extraordinaires peuvent également être tenues après avoir donné un préavis de sept jours.

L'article 6 énonce les pouvoirs du conseil de gestion:

[traduction]

6. Le dogme et la discipline ecclésiastiques, ainsi que les affaires, pouvoirs, privilèges et toutes questions touchant ou se rapportant généralement aux huttérites sont administrés, gérés, exercés, opérés, conduits et contrôlés par un conseil de gestion de neuf membres, dont trois sont désignés par chacune desdites conférences, pourvu toutefois qu'hormis les questions purement administratives, les résolutions ou décisions dudit conseil n'aient force obligatoire ou exécutoire qu'après avoir été approuvées, ratifiées et confirmées par chacune desdites conférences.

2. Les conférences et les conseils de conférence

Les articles 19 à 32 traitent de l'organisation des trois conférences susmentionnées. Les pouvoirs de la conférence sont exercés par un conseil de conférence composé de deux délégués de chaque colonie. Ces conseils de conférence désignent parmi leurs membres un président, un vice‑président et un secrétaire. Il semble qu'en pratique le président et le vice‑président soient appelés doyen et doyen adjoint, comme dans le cas du conseil de gestion de l'Église. On prévoit la tenue d'une assemblée annuelle ainsi que d'assemblées extraordinaires après avoir donné un préavis de quatre jours.

En vertu de l'article 29, le quorum est fixé aux deux tiers de tous les membres du conseil de conférence. Les pouvoirs de la conférence sont énoncés à l'article 23:

[traduction]

23. Chaque conseil de conférence exerce un contrôle sur le dogme et la discipline ecclésiastiques au sein de sa conférence, s'occupe de toutes les questions se rapportant généralement aux huttérites au sein de cette conférence et peut prendre les mesures qu'il juge appropriées à l'égard des questions touchant ou se rapportant aux huttérites au sein de cette conférence.

3. Les colonies

Les articles 33 à 47 définissent l'organisation des colonies, appelées «congrégations» ou «communautés». Chaque colonie est régie par ses propres règles adoptées en vertu de l'article 2f). L'article 35 énonce deux conditions pour être membre d'une colonie. Pour être membre d'une colonie, il faut être membre de l'Église et être admis à devenir membre de la colonie par le vote de ses membres.

Plusieurs articles des statuts traitent de la propriété des biens. Aucun membre d'une colonie ne possède quelque bien que ce soit. Tous les biens appartiennent à la colonie, à l'usage et au bénéfice communs de ses membres. Le membre qui quitte la colonie ou en est expulsé n'a droit à aucun bien de la colonie.

Suivant l'article 34, chaque colonie est une entité économique distincte et n'assume pas les obligations d'une autre colonie.

Les droits et les obligations des membres font l'objet de plusieurs articles, dont les plus importants sont les articles 40, 41 et 43:

[traduction]

40. Tout membre d'une congrégation ou communauté consacre tout son temps, son travail, ses gains et ses forces à cette congrégation ou communauté et aux buts pour lesquels elle est constituée, librement, volontairement et sans aucune rémunération ni récompense d'aucune sorte, autre que ce qui est ci‑après mentionné.

41. Les conjoints et les enfants des membres d'une congrégation ou communauté qui ne sont pas eux‑mêmes membres ont le droit de résider avec les membres et de tirer de cette congrégation ou communauté la subsistance, l'enseignement et l'éducation selon les règles, les prescriptions, les exigences et les règlements de cette congrégation ou communauté tant et aussi longtemps qu'ils obéissent et se soumettent aux règles, prescriptions, exigences et règlements de ladite congrégation ou communauté.

43. Les conjoints et les enfants des membres d'une congrégation ou communauté, qui ne sont pas eux‑mêmes membres, consacrent tout leur temps, leur travail, leurs gains et leurs forces à ladite congrégation ou communauté et aux buts pour lesquels elle est constituée, librement, volontairement et sans aucune rémunération ou récompense autre que ce qui est mentionné ci‑après, et ils obéissent et se soumettent aux règles, prescriptions, exigences et règlements de la congrégation ou communauté tant et aussi longtemps qu'ils restent dans cette congrégation ou communauté.

L'expulsion de membres est expressément prévue à l'article 46:

[traduction]

46. Tout membre d'une congrégation ou communauté peut être expulsé ou renvoyé de celle‑ci à une assemblée annuelle ou générale de ladite congrégation ou communauté par suite du vote de la majorité de tous ses membres, ou à sa propre demande, ou par suite de son départ ou de sa désertion de la congrégation ou communauté, ou pour avoir refusé de se conformer aux règles et règlements ou d'obéir aux directeurs de la congrégation ou communauté, ou de consacrer tout son temps, son travail, ses soins, ses gains et ses forces à la congrégation ou communauté et aux buts qu'elle poursuit, ou d'accomplir et d'exécuter les tâches, travaux, actes et choses que la congrégation ou communauté exige de lui ou d'assister et de participer aux assemblées, exercices du culte et offices réguliers des membres de la congrégation ou communauté.

B. Les statuts de la colonie de Lakeside

Les statuts de la colonie de Lakeside ont été adoptés initialement le 12 novembre 1987. On y dit en préambule que les signataires se sont associés en une communauté fondée sur leurs croyances religieuses et qu'ils ont consenti à souscrire aux statuts dans le but de régir les affaires de cette communauté.

L'article 13 établit un conseil d'administration composé de trois à sept membres. Le ministre de la congrégation choisi par l'Église est le président, et l'intendant choisi par la congrégation est le secrétaire‑trésorier. Selon l'article 21, le président est le directeur général et le chef de la colonie, et il gère activement ses affaires.

L'article 42 prévoit que c'est une société de portefeuille qui détient en fiducie pour la colonie le titre de propriété des terres que cette dernière possède.

Les assemblées des membres de la colonie sont régies par les articles 4 à 11. Le quorum requis est fixé aux quatre cinquièmes des membres masculins de la colonie, qui sont les seuls à avoir droit de vote. On prévoit la tenue d'une assemblée générale annuelle qui ne requiert aucun préavis. Des assemblées extraordinaires peuvent être tenues sur l'ordre du président. Un avis de la tenue d'une assemblée extraordinaire peut être donné à toute assemblée ecclésiastique de la colonie.

Les articles 32 à 35 traitent des droits et obligations des membres de la même manière que le fait la constitution de l'Église précitée, sous réserve de quelques variantes mineures. La question de la propriété des biens est également traitée dans des articles quasi identiques à ceux que l'on trouve dans la constitution de l'Église.

L'article 39 porte expressément sur la question de l'expulsion:

[traduction] 39. Tout membre d'une colonie peut être expulsé ou renvoyé de celle‑ci à une assemblée générale ou extraordinaire de la colonie par suite du vote de la majorité de ses membres ayant droit de vote, ou par suite de son départ ou de sa désertion de la colonie, ou pour avoir refusé de se conformer aux règles et règlements de l'Église huttérite ou de la colonie, ou de consacrer tout son temps, son travail, ses soins, ses gains et ses forces à la colonie et aux buts qu'elle poursuit, ou d'accomplir et d'exécuter les tâches, travaux, actes et choses que la colonie exige de lui ou d'assister et de participer aux assemblées, exercices du culte et offices réguliers des membres de la colonie.

Tout membre peut démissionner ou se retirer volontairement de la colonie.

Sans limiter la généralité de ce qui précède, toute personne qui cesse d'être membre de l'Église huttérite doit quitter la colonie et s'abstenir de réclamer quelque bien que ce soit de la colonie. Nous reconnaissons que tous les Canadiens ont droit à la liberté de religion, mais nous convenons, promettons et acceptons par les présentes que si l'un ou l'une de nous change de religion et cesse d'être membre de l'Église huttérite, il ou elle devra quitter la colonie.

Advenant le départ d'un groupe de membres dans le but de fonder une nouvelle colonie huttérite, ces personnes cessent d'être membres de la colonie de Lakeside pour devenir membres de la nouvelle colonie.

C. La Loi

Une personne morale appelée «The Hutterian Brethren Church» a été constituée par une loi privée du Parlement intitulée Loi constituant en corporation «The Hutterian Brethren Church». Cette loi est entrée en vigueur le 31 mai 1951. L'article 1 donne le nom des personnes qui ont présenté la pétition en vue d'obtenir l'adoption de la Loi et constitue l'Église en personne morale. L'article 2 établit le conseil des gérants ou de gestion composé de neuf membres. L'article 3 prévoit que le siège social est situé à Wilson Siding, en Alberta.

Les objets de l'Église ainsi que les pouvoirs du conseil de gestion sont établis aux art. 4 et 5:

4. La Corporation a pour objet de se livrer à la religion chrétienne, à l'adoration chrétienne, ainsi qu'à l'éducation et à l'enseignement religieux, et d'adorer Dieu conformément à la croyance religieuse des membres de la Corporation.

5. Le dogme et la discipline ecclésiastiques, ainsi que toutes les affaires temporelles de la Corporation, sont administrés, gérés, exercés, opérés, conduits et contrôlés par un conseil de neuf gérants.

Le pouvoir d'établir des règlements est prévu à l'art. 6:

6. La Corporation peut, lorsqu'il y a lieu, établir des règlements, non contraires aux lois en général, concernant:

a)l'administration, la gestion et le contrôle des biens, de l'entreprise et autres affaires temporelles de la Corporation;

b)la nomination, les fonctions, les devoirs et la rémunération de tous fonctionnaires, agents et serviteurs de la Corporation;

c)la nomination ou la révocation du conseil des gérants, ou de tous comités ou conseils spéciaux institués à l'occasion pour les objets de la Corporation;

d)la convocation d'assemblées régulières ou extraordinaires de la Corporation ou du conseil des gérants;

e)la détermination du quorum requis et de la procédure à suivre à toutes les assemblées mentionnées au précédent alinéa;

f) la détermination des qualités exigées des membres;

g)la définition de la croyance et du dogme de la Corporation;

h)la poursuite en général des objets et fins de la Corporation.

Les articles 7 à 15 traitent des différents pouvoirs de la personne morale.

D. Coutume et pratique huttérites

De nombreux éléments de preuve ont été présentés au sujet de la coutume et de la pratique suivies par les huttérites dans la gestion de leurs affaires et, en particulier, dans le domaine de la discipline.

1. Modèles disciplinaires

Selon la preuve produite, la discipline suit, chez les huttérites, un modèle caractéristique. Lorsqu'une personne agit incorrectement, celui qui s'en aperçoit doit dire à cette personne que sa conduite est incorrecte et lui demander d'y mettre fin. Si le contrevenant refuse, la personne lésée discute alors de la question avec quelques autres personnes et va avec elles rencontrer le contrevenant. Si ce dernier refuse toujours de changer sa conduite, c'est toute la communauté qui est saisie de l'affaire et une punition est imposée.

Les punitions imposées chez les huttérites sont toutes fondées sur l'exclusion plus ou moins complète du contrevenant de la communauté. Ainsi, on peut lui interdire notamment de s'asseoir avec les autres à l'église ou aux repas. Dans sa forme la plus sévère, l'exclusion devient presque complète, si bien que pendant un certain temps les membres de la colonie n'adresseront pas la parole au contrevenant ou ne l'écouteront pas. C'est ce qu'on appelle l'isolement (shunning).

La réaction du contrevenant à la punition est censée en être une de repentir et de volonté de réconciliation. En fait, on dit que la punition lui est «offerte» et on s'attend à ce qu'il l'accepte. S'il ne le fait pas, il est considéré comme s'étant excommunié lui‑même étant donné qu'il a rejeté la possibilité de réconciliation.

2. Le rôle du doyen et de la conférence

On a mis en preuve le rôle que joue le doyen dans les différends qui surviennent entre un huttérite et sa colonie, ou encore entre des colonies. Tout huttérite a apparemment la possibilité de déposer un grief devant le doyen, lequel décide alors s'il y a matière à enquête. Dans l'affirmative, le doyen demande à un certain nombre de ministres d'enquêter sur l'affaire et une autre assemblée des ministres peut être tenue pour régler définitivement l'affaire. Le nombre des ministres saisis est laissé à la discrétion du doyen et dépend de la gravité de l'affaire.

Mis à part ce processus plus formel, le doyen est souvent consulté par les colonies sur toute question à propos de laquelle elles veulent obtenir son avis. En pareil cas, l'avis que donne le doyen ne lie pas la colonie en cause.

3. Le vote

Selon la preuve, les assemblées huttérites sont orientées vers la recherche d'un consensus plutôt que vers le recours constant au vote formel. Ainsi, lorsque le président de l'assemblée exprime un certain point de vue et qu'aucune objection n'est soulevée, on considère qu'il y a consensus.

E. La relation entre les sources de pouvoirs

Il convient d'analyser un peu plus en profondeur les relations entre ces différentes sources du cadre institutionnel de la colonie de Lakeside.

1. La relation entre la constitution et les statuts

Du point de vue de la constitution de l'Église, les statuts sont des règles envisagées à l'al. 2f) de la constitution et ne sont donc valides que dans la mesure où ils sont compatibles avec celle‑ci. Bien que les membres de l'association se soient liés entre eux à l'égard des statuts, ils se sont également liés entre eux et avec les autres colonies à l'égard de la constitution. Les statuts et la constitution sont donc tous deux la source d'obligations juridiques entre les membres de la colonie locale. Le même raisonnement s'applique à d'autres organisations dont les associations locales sont elles‑mêmes associées, comme le juge Blair l'a fait observer dans l'arrêt Organization of Veterans of the Polish Second Corps of the Eighth Army c. Army, Navy & Air Force Veterans in Canada (1978), 20 O.R. (2d) 321 (C.A.), à la p. 341:

[traduction] La relation entre les organisations nationales et leurs sections locales constituées est d'ordre contractuel. En adhérant à l'organisation nationale, les membres de l'association locale sont considérés comme en ayant accepté la constitution comme un contrat les liant eux‑mêmes ainsi que tous les membres tant au niveau local que national: voir Carrothers, Collective Bargaining Law In Canada (1965), pp. 515 à 519; Brian G. Hansen (1978), 61 R. du B. can., commentaire sur l'arrêt Canadian Union of Public Employees et al. c. Deveau et al. (1977), 19 N.S.R. (2d) 24.

Puisque les statuts et la constitution créent tous deux des obligations qui lient les membres, la stipulation à l'al. 2f) de la constitution que celle‑ci l'emporte en cas d'incompatibilité doit simplement être appliquée à la lettre. Par conséquent, une disposition des statuts serait invalide si elle était incompatible avec la constitution.

2. La relation entre la constitution et la Loi

La relation entre la constitution et la Loi est une question complexe. Les défendeurs ont fait valoir qu'aux termes de la Loi, seuls les neuf membres du conseil de gestion de l'Église ont le pouvoir d'expulser un huttérite. Cet argument trouve un certain appui dans le texte exhaustif de l'art. 5 de la Loi, qui prévoit que le dogme et la discipline ecclésiastiques sont «administrés, gérés, exercés, opérés, conduits et contrôlés» par le conseil de gestion. On soutient que tout pouvoir non assujetti à un contrôle que confèrent la constitution ou les statuts à la conférence ou à la colonie constitue une subdélégation non autorisée par la Loi et est, par conséquent, invalide.

Toutefois il appert rapidement qu'il est tout à fait absurde que la Loi ait une telle conséquence. Il n'est guère réaliste de s'attendre à ce qu'un conseil de gestion composé de neuf membres contrôle activement toutes les questions de discipline qui se posent dans les centaines de colonies huttérites concernées. Cela est d'autant plus vrai que les trois conférences fonctionnent vraiment séparément, ce que reflète le fait que les décisions du conseil de gestion, autres que celles de nature purement administrative, doivent être ratifiées par chaque conférence. En fait, comme je l'ai déjà souligné, il n'entre pas dans la coutume des huttérites que le conseil de gestion s'intéresse à des cas individuels de discipline.

Si la loi avait réellement pour effet de réserver au conseil de gestion toutes les questions de discipline, on ne pourrait peut‑être pas éviter les absurdités qui pourraient en découler. Comme l'a souligné Ogilvie dans «The Legal Status of Ecclesiastical Corporations» (1989), 15 Can. Bus. L.J. 74, à la p. 81, la loi du Parlement aurait vraisemblablement préséance sur la pratique institutionnelle:

[traduction] Enfin, en ce qui concerne le droit ecclésiastique, il y a lieu de souligner que certaines lois constitutives d'intérêt privé contiennent des dispositions qui diffèrent des principes de gouvernement ecclésiastique de l'organisme religieux constitué. Dans ces cas, le principe de la souveraineté parlementaire signifie vraisemblablement que les dispositions d'une loi privée l'emportent sur une loi ecclésiastique interne, peu importe les faiblesses de rédaction à l'origine de la difficulté.

Comme le souligne le professeur Ogilvie dans une note de renvoi accompagnant ce passage, ces lois privées sont habituellement rédigées par les organisations religieuses elles‑mêmes, de sorte que s'il s'ensuit une absurdité, ce n'est pas le gouvernement qui la leur impose:

[traduction] Étant donné que les lois privées sont habituellement rédigées par les organismes religieux eux‑mêmes, c'est eux qui doivent assumer l'entière responsabilité des résultats d'une piètre rédaction.

La Loi, toutefois, peut ne pas avoir véritablement pour effet de réserver toutes les questions de discipline au conseil de gestion. En cour d'appel, le juge Huband a laissé entendre que la personne morale créée par la loi et l'association créée par la constitution n'étaient tout simplement pas la même entité (à la p. 209):

[traduction] Cette entité légale a été formée par les colonies canadiennes des trois branches de la religion huttérite pour s'occuper des questions d'intérêt commun et, en particulier, s'opposer aux restrictions ou aux règlements gouvernementaux qui pourraient être imposés aux huttérites. La personne morale fédérale ne s'intéresse pas, toutefois, au fonctionnement du groupe Schmeiden‑Leut ou des colonies individuelles. Son appellation est erronée car la véritable Église huttérite existe indépendamment de l'entité légale.

Cela est compatible avec la brève mention de la Loi que fait le juge Pigeon, dissident, dans l'arrêt Hofer c. Hofer, précité (la majorité n'ayant pas abordé la question de la personne morale). Le juge Pigeon dit ceci, à la p. 982:

Il est clair que l'Église dont il s'agit dans cette disposition des statuts est la communion religieuse non constituée en corporation. Il ne faut pas la confondre avec la corporation constituée sous le nom de «The Hutterian Brethren Church» par loi du Parlement canadien (1951, 15 Geo. VI, c. 77).

Cette observation reflète la conclusion à laquelle en était venu le juge Dickson (plus tard Juge en chef de notre Cour) qui avait entendu cette affaire en première instance (à la p. 8 de la partie non publiée de ces motifs):

[traduction] La fonction de l'association est principalement de représenter l'Église huttérite lorsque des questions d'intérêt commun, telle l'introduction d'une loi restrictive dans la province, constitue un danger commun. L'association n'a aucun pouvoir quant aux affaires touchant l'organisation interne des trois groupes qui la constituent.

Si la personne morale et l'association volontaire étaient effectivement distinctes, le problème serait réglé car la Loi ne s'appliquerait pas à l'association. Cependant, l'argument voulant que les deux entités soient distinctes ne cadre pas très bien avec un certain nombre d'aspects de la Loi et de la constitution. Les deux organisations portent le même nom. Leur siège social est situé dans la même ville. Elles ont toutes deux un conseil de gestion composé de neuf membres auxquels sont conférés essentiellement les mêmes pouvoirs. La plupart des premiers membres des conseils semblent être les mêmes personnes et le fait que leur composition ne soit pas tout à fait identique pouvait s'expliquer par les dates différentes d'entrée en vigueur de la Loi et de la constitution.

Tout cela pourrait amener à croire que la Loi et la constitution renvoient en fait à la même organisation. La constitution aurait vraisemblablement alors le statut de règlement pris en vertu de la Loi. Toutefois, ce point de vue soulève aussi des difficultés. La constitution n'est pas formulée sous forme de règlements, mais plutôt sous forme de statuts. En fait, son adoption a précédé celle de la Loi.

Le procès‑verbal de la première assemblée du conseil de gestion nous éclaire un peu sur la question. Cette assemblée s'est tenue le 7 novembre 1951. On y a fait lecture de la Loi, ainsi que de la constitution de l'Église qui a été «adoptée» à l'unanimité, sous réserve de certaines modifications. De nouvelles congrégations du Montana ont été admises comme membres de l'Église, ce qui était prévu dans la constitution, mais non dans la Loi. On y a adopté également des règlements généraux qui traitaient surtout de questions de nature procédurale.

Il ressort clairement de cette assemblée que la constitution n'a pas le statut de règlement. Toutefois, il est aussi évident que le conseil de gestion était censé agir en conformité tant avec la Loi qu'avec la constitution au cours de cette même assemblée. La même conduite a été suivie lors des assemblées subséquentes et jusqu'à ce jour. À titre d'exemple, le procès‑verbal de l'assemblée du 8 octobre 1987 de l'Église huttérite mentionne la personne morale comme étant une création de la «constitution» et de la «loi»:

[traduction] 1. Il a été reconnu que l'Église huttérite avait reçu à l'occasion le nom de Hutterian Brethren Church of Canada, et il a été résolu par les membres de l'assemblée qu'il conviendrait à l'avenir de se servir de l'appellation Hutterian Brethren Church of Canada pour désigner la personne morale, et ce, conformément à la constitution et à la loi à l'origine de la personne morale. Il a été reconnu que toute colonie aux États‑Unis ou ailleurs dans le monde pouvait adhérer à l'Église huttérite. [Je souligne.]

La personne morale et l'association créée par la constitution ne semblent donc ni totalement identiques ni totalement distinctes. Si on analyse la relation entre la Loi et la constitution, il appert d'emblée que la Loi ne fait que donner forme législative à la couche supérieure de la structure établie par la constitution. Cela est compatible avec le point de vue selon lequel l'objet poursuivi par la personne morale était de contrer les menaces extérieures auxquelles était exposée également chacune des conférences huttérites. À cette fin, seul l'échelon supérieur de la structure institutionnelle se devait d'être constitué en personne morale. La raison pour laquelle la constitution d'une personne morale a été jugée nécessaire à cette fin n'est pas claire, mais il semble que ce soit là une conclusion logique.

Il convient donc de considérer la personne morale ecclésiastique et l'Église comme deux entités théoriquement distinctes qui, en pratique, ont les mêmes membres et sont dirigées par les mêmes gestionnaires, aux mêmes assemblées.

Le pouvoir existant au sein de l'Église d'expulser un membre ne serait donc pas limité au conseil de gestion, étant donné que la personne morale régie par la Loi est une entité distincte de l'Église régie par la constitution.

3. La question de la tradition et de la coutume

Le recours à la tradition et à la coutume ainsi que la relation entre celles‑ci et les autres sources de pouvoirs constituent une autre question complexe. Par exemple, les défendeurs font valoir que la coutume suivant laquelle le doyen renvoie des questions à un petit groupe de ministres pour qu'ils rendent une décision ayant force exécutoire constitue une subdélégation inacceptable du pouvoir conféré au conseil de conférence par la constitution. On fait valoir que c'est le conseil de conférence au complet qui doit exercer un pouvoir de cette nature, et non un comité spécial restreint constitué par le doyen.

Il serait toutefois peu judicieux de s'en remettre exclusivement aux documents écrits sans se reporter à la tradition et à la coutume des huttérites. Vues de l'intérieur de la société huttérite, il semble probable que la tradition et la coutume constituent en fait la plus haute source de pouvoirs, les documents écrits n'étant que des tentatives imparfaites de les circonscrire. Le doyen de l'Église huttérite a d'ailleurs témoigné en ce sens (à la p. 537 du dossier d'appel):

[traduction] Nous avons nos propres pratiques, qui peuvent être fondées sur des coutumes non écrites remontant aux origines de l'Église au XVe siècle et qui sont demeurées inchangées depuis. Il ne s'agit pas de règles écrites avec toutes les subtilités juridiques qu'on trouve aujourd'hui dans le pays.

C'est uniquement d'un point de vue extérieur que les documents écrits et les pouvoirs qu'ils énoncent semblent avoir une importance primordiale. Il est en effet difficile pour un tribunal d'en venir à une conclusion ferme quant à ce que dictent la tradition et la coutume, et d'autant plus facile d'analyser les documents juridiques formels. Cela est d'autant plus vrai lorsque la tradition ou la coutume est contestée, comme c'est souvent le cas lorsqu'un tribunal est appelé à intervenir. Dans ce domaine en particulier de l'interprétation de la tradition et de la coutume des sociétés religieuses, le tribunal risque fort de tomber dans ce que le professeur Chafee a appellé le [traduction] «sombre marécage des règles et des principes obscurs» (dans «The Internal Affairs of Associations Not for Profit» (1930), 43 Harv. L. Rev. 993, à la p. 1024). Le professeur Chafee fait à cet égard la remarque suivante (aux pp. 1023 et 1024):

[traduction] Dans un grand nombre de cas, les tribunaux sont intervenus dans ces [controverses ecclésiastiques] et ont donc été forcés de rédiger de très longues opinions sur des questions qu'ils ne pouvaient pas bien saisir. Il en résulte souvent que le contrôle judiciaire du plus haut tribunal ecclésiastique consiste en réalité en un appel formé contre un organisme bien instruit devant un organisme qui ne l'est pas.

Toutefois, comme le reconnaît également le professeur Chafee, la difficulté à comprendre la tradition et la coutume est vraiment un motif d'éviter d'assumer compétence au départ. Dès que le tribunal assume compétence, il n'a pas d'autre choix que d'arriver à la meilleure compréhension possible de la tradition et de la coutume applicable. Même dans d'autres contextes, on a décidé qu'une tradition ou une coutume bien établie pouvait être considérée comme une condition implicite du contrat composant les statuts d'une association volontaire. Ainsi, dans l'arrêt John c. Rees, [1970] Ch. 345, le juge Megarry laisse entendre, à la p. 388, qu'un long usage peut conférer à un ensemble de règles une autorité suffisante même si elles n'ont pas été formellement adoptées:

[traduction] Dans le cas d'un club, si nul ne peut produire la preuve qu'il y a eu adoption d'un ensemble particulier de règles par résolution formelle, mais qu'interrogés à ce sujet, les dirigeants présenteraient ces règles comme étant celles sur lesquelles le club s'appuie habituellement pour agir, je ne crois pas qu'il serait alors loisible au membre de les rejeter pour la seule raison qu'on n'a pas pu prouver l'existence d'une résolution.

Dans cette affaire, il s'agissait de règles écrites et non de règles issues de la pure tradition, mais la question véritable porte sur l'autorité de règles, écrites ou non, qui n'ont pas fait l'objet d'une adoption formelle.

Une longue tradition constitue pour les membres une sorte d'avis quant aux règles que l'association va suivre. Il ne faut pas oublier non plus que les associations volontaires sont généralement censées se gouverner elles‑mêmes, avec souplesse. Par conséquent, une tradition ou une coutume qui est suffisamment bien établie peut être considérée comme une règle d'association, pour le motif qu'elle constitue une condition implicite des statuts. Dans bien des cas, le tribunal aura recours à des témoignages d'experts pour l'aider à comprendre la tradition et la coutume pertinentes.

À ce titre, la tradition suivant laquelle un groupe de ministres désignés par le doyen peut trancher définitivement des litiges que ce dernier leur a soumis est une règle valide. Personne ne conteste l'existence de cette tradition. La constitution n'interdit pas expressément une telle délégation. Elle ne fait que conférer un certain pouvoir au conseil de conférence, sans préciser la façon de l'exercer. La tradition incontestée est suffisante pour autoriser la nouvelle délégation de ce pouvoir.

III. Les conditions d'expulsion

A. Les règles applicables

1. Qui peut expulser un membre?

Il ressort clairement de l'art. 46 de la constitution ainsi que de l'art. 39 des statuts que la colonie peut expulser un membre de ses rangs. Il semble également logique que l'art. 23 de la constitution investisse la conférence du pouvoir d'expulser un membre de l'Église, ce qui signifierait son expulsion automatique de la colonie en vertu de l'art. 39 des statuts. C'est l'avis qu'a exprimé le juge Ritchie dans l'arrêt Hofer c. Hofer, aux pp. 970 et 971:

Je crois que ces dispositions et le préambule des statuts impliquent que quiconque n'est pas un fidèle de l'Église huttérite ne peut demeurer membre de la colonie et que l'expulsion de l'Église emporte automatiquement l'expulsion de la colonie.

En réalité, ce qui était considéré comme implicite dans les statuts examinés par le juge Ritchie dans cette affaire est devenu explicite à l'art. 39 des statuts en cause en l'espèce.

2. Les conditions d'expulsion d'un membre

Aux articles 39 des statuts et 46 de la constitution, il est question à la fois d'un vote d'expulsion et de différents motifs possibles d'expulsion tels que la désobéissance. Il ressort assez clairement des statuts que les deux conditions doivent être remplies, savoir qu'un membre peut, pour différents motifs, être expulsé à la suite d'un vote majoritaire. Naturellement, bien qu'un motif soit exigé, son bien‑fondé ne fera habituellement pas l'objet d'un examen du tribunal.

Il y a curieusement incompatibilité sur ce point entre la constitution et les statuts. En vertu de l'art. 46 de la constitution, un membre peut être expulsé à la suite d'un vote majoritaire, ou à la suite de différents événements (et non pour différents motifs). Bien que ce ne soit là qu'une petite différence de formulation, cela laisse supposer que l'expulsion peut être automatique à la suite de certains événements, sans qu'il ne soit nécessaire de procéder à un vote.

Cette supposition serait compatible avec la conception huttérite voulant qu'un membre s'expulse lui‑même. Il serait toutefois exagéré d'affirmer qu'elle concorde entièrement avec la pratique huttérite. Par exemple, nul n'a laissé entendre que certaines choses entraînent automatiquement l'expulsion. En fait, même si, du point de vue huttérite, ce n'est pas la colonie qui expulse un membre mais le membre qui s'expulse lui‑même, c'est tout de même la colonie qui doit décider si, dans une situation donnée, un membre s'est effectivement expulsé lui‑même.

L'économie de la règle est claire sur ce point: un vote est normalement jugé nécessaire, à moins qu'il soit clairement stipulé qu'une certaine conduite emporte automatiquement l'expulsion. Cette question s'est précisément posée à l'égard d'une colonie huttérite de l'Alberta dans l'affaire Hofer c. Waldner, [1921] 1 W.W.R. 177 (C.S. Alb.). Le juge Walsh a traité l'argument de la manière suivante, à la p. 182:

[traduction] On fait valoir que les demandeurs ont, en quittant la colonie à Raley et en réclamant une part des biens de l'Église, violé la condition de leur adhésion et donc cessé d'être membres. Cet argument m'a causé un certain étonnement en raison de l'attitude adoptée sur ce point par les autorités ecclésiastiques, et pour leur compte, pendant toute l'instruction. J'avais l'impression que, même si les demandeurs avaient, par leur conduite dans cette affaire, enfreint les règles de l'Église et donné eux‑mêmes ouverture à leur exclusion, les autorités n'avaient pris aucune mesure à cette fin et que les demandeurs, quoiqu'ayant contrevenu à la discipline ecclésiastique, étaient toujours considérés comme ayant des intérêts que les autorités avaient toujours reconnus et étaient encore disposées à reconnaître. L'expression souvent utilisée était qu'ils n'avaient pas été mis à la porte de l'Église mais qu'ils s'y étaient mis eux‑mêmes. Je ne crois pas que la perprétation de l'infraction ait entraîné automatiquement la déchéance de tous les droits accessoires à leur statut de membre de l'Église. J'estime qu'il appartenait aux autorités compétentes de prendre certaines mesures à cette fin, mesures qui n'ont jamais été prises.

Même s'il est sous‑entendu dans la constitution que certains motifs sont suffisants pour justifier l'expulsion sans la tenue d'un vote, elle ne précise pas la manière dont l'existence de ces motifs doit être établie. Par conséquent, les statuts ne sont pas incompatibles avec la constitution lorsqu'ils exigent qu'un vote soit tenu pour établir le motif en cause. En prescrivant un vote, ils ne font que combler une lacune de la constitution.

Il doit donc y avoir un vote pour que la colonie puisse expulser un membre. La question de savoir si un vote a été tenu est essentiellement une question de fait, et ce vote n'a pas à être formel. Vu que les huttérites préfèrent recourir au consensus plutôt qu'au vote formel lorsque cela est possible, ce sera une question de fait de savoir si, dans une situation donnée, il y a eu un consensus suffisamment clair pour valoir un vote.

Il convient de souligner qu'il est possible de démissionner d'une association volontaire en adoptant une conduite manifestant l'intention de le faire, mais, en l'espèce, on ne prétend pas qu'une telle intention se dégageait de la conduite des défendeurs.

3. Les conditions d'expulsion d'un non‑membre

Les articles 39 des statuts et 46 de la constitution traitent de l'expulsion de membres de la colonie. Ces articles ne s'appliquent pas à l'expulsion physique de non‑membres de leur résidence dans la colonie.

Au départ, l'expulsion des non‑membres n'est pas une question qu'il appartient à la cour de trancher. Toutefois, l'article 33 des statuts et son équivalent, l'article 41 de la constitution, donnent aux conjoints et aux enfants des membres, qui ne sont pas eux‑mêmes membres, le droit de résider dans la colonie, mais uniquement [traduction] «tant et aussi longtemps qu'ils obéissent et se soumettent aux règles, prescriptions, exigences et règlements de ladite colonie.»

Il ne peut donc y avoir expulsion de non‑membres que pour l'omission d'obéir et de se soumettre aux règles, prescriptions, exigences et règlements de la colonie. Les statuts et la constitution sont silencieux quant à la question de savoir à qui revient cette décision. Pour les fins de la présente espèce, il n'est pas nécessaire de résoudre ce point.

B. Les exigences de la justice naturelle

Le contenu des principes de justice naturelle est souple et dépend des circonstances dans lesquelles la question se pose. Toutefois, les exigences les plus fondamentales sont la nécessité d'un avis, la possibilité de répondre et l'impartialité du tribunal.

1. L'avis

Un membre doit être avisé du motif pour lequel on veut l'expulser. Il ne suffit pas qu'on l'avise simplement que sa conduite sera examinée à une assemblée. C'est ce qui avait été fait dans l'affaire Cohen c. The Congregation of Hazen Avenue Synagogue (1920), 47 N.B.R. 400 (C.S.). Le membre avait à maintes reprises perturbé des assemblées de la synagogue et on avait donné avis de la tenue d'une assemblée pour examiner sa conduite. La cour a jugé, à la p. 409, que cet avis était insuffisant pour les fins d'une expulsion:

[traduction] Avant qu'il puisse être dûment déclaré coupable d'une infraction justifiant sa suspension à vie, le demandeur aurait dû, conformément aux principes les plus élémentaires de droit et de justice, être informé de la nature de l'accusation pesant contre lui et avoir la possibilité d'y répondre.

De même dans l'affaire Young c. Ladies' Imperial Club, [1920] 2 K.B. 523 (C.A.), l'avis se bornait à indiquer que la conduite d'un certain membre serait dénoncée et examinée. La cour a jugé que cet avis était insuffisant pour permettre une décision d'expulser. Le lord juge Sterndale a convenu que l'avis aurait été suffisant s'il avait indiqué très clairement à tous ce qui se passerait à la réunion, mais il a conclu que l'avis en cause ne communiquait même pas l'essentiel de ce qui se produirait (à la p. 531):

[traduction] Je souscris entièrement à l'argument voulant qu'on ne devrait pas examiner cet ordre du jour et ces avis de réunion trop méticuleusement et avec trop de soin; s'ils communiquent aux membres du comité l'essentiel de ce qui va être fait, cela est suffisant même si d'aucuns auraient pu penser qu'on aurait pu mieux s'y prendre.

Comme il ressort de l'arrêt Young, l'avis suffisant donné en temps voulu est important pour deux raisons. En premier lieu, il donne à la personne qui risque l'expulsion l'occasion d'examiner sa situation et soit de reconnaître son erreur et de chercher la réconciliation, soit de préparer sa défense. En second lieu, l'avis suffisant donné en temps voulu permet aux membres du groupe appelés à prendre la décision de s'assurer qu'ils pourront assister à la réunion et participer à la discussion, ou encore de demander un ajournement s'ils ne peuvent y assister.

2. Possibilité de répondre

Il faut également donner au membre qu'on veut expulser la possibilité de répondre aux allégations qui pèsent contre lui. Une certaine latitude existe quant à l'étendue de cette possibilité, mais il n'est pas nécessaire d'examiner cette question en l'espèce.

3. Un tribunal impartial

Comme Forbes le souligne dans «Judicial Review of the Private Decision Maker: The Domestic Tribunal» (1977), 15 U.W.O. L. Rev. 123, aux pp. 139 à 141, l'exigence d'un tribunal impartial dans le contexte de l'expulsion d'une association volontaire pose un certain nombre de difficultés. Il ne fait aucun doute que l'impartialité du tribunal est l'une des principales exigences de la justice naturelle. Cependant, vu les liens étroits qui existent entre les membres d'associations volontaires, il semble assez probable que les membres du tribunal pertinent auront déjà eu connaissance jusqu'à un certain point de la question en litige et, compte tenu de la structure de l'association volontaire, il est presque inévitable que les décideurs auront à tout le moins un intérêt indirect dans cette question. De plus, la procédure énoncée dans les règles de l'association peut souvent exiger que certaines personnes prennent certaines décisions sans que soit prévue une procédure de rechange en cas de partialité.

Bien que les défendeurs aient effectivement soulevé la question de la partialité, j'hésiterais à me prononcer d'une manière définitive sur cette question étant donné que les parties n'ont pas débattu devant nous la norme qu'il convient d'appliquer dans le contexte des associations volontaires. Compte tenu des conclusions auxquelles j'arrive par ailleurs, il ne sera pas nécessaire d'examiner la question de la partialité.

IV. La suite des événements

A. L'historique de la colonie de Lakeside

La colonie de Lakeside s'est trouvée en difficulté en 1979: elle était pratiquement en faillite et ses membres avaient dérogé, à certains égards, aux pratiques de la religion huttérite. Une assemblée de l'Église huttérite a donc été tenue le 4 avril 1979 pour discuter de la situation. Étaient présents à cette assemblée tous les membres de la colonie de Lakeside ayant droit de vote, ainsi que 46 ministres de la conférence Schmieden‑Leut dont relève la colonie de Lakeside.

Plusieurs résolutions ont été adoptées à cette assemblée. Les membres de la colonie de Lakeside virent leur adhésion suspendue jusqu'à nouvel ordre. Les administrateurs et les dirigeants de la colonie furent destitués et un président, un vice‑président et un secrétaire furent désignés à titre intérimaire. Il s'agissait de Michael Wollmann, Jake Hofer et David Waldner, tous membres d'autres colonies huttérites.

Les trois nouveaux dirigeants de la colonie ont été appelés «surveillants» («overseers») devant les tribunaux d'instance inférieure et les résolutions adoptées à l'assemblée du 4 avril 1979 ont, dit‑on, «suspendu» les statuts. Il peut être commode de qualifier de «surveillants» les nouveaux dirigeants. Toutefois, le procès‑verbal de l'assemblée précise seulement qu'ils sont les dirigeants intérimaires de la colonie. Bien qu'aucune disposition des statuts ne prévoie la désignation de dirigeants intérimaires, l'article 23 de la constitution de l'Église semble autoriser amplement ce qui a été fait. Par conséquent, même si l'assemblée du 4 avril 1979 a certainement eu une incidence sur l'application des statuts, il semble que ceux‑ci continuent de s'appliquer sous réserve des aménagements nécessaires pour tenir compte des décisions qui y ont été prises.

Cette interprétation cadre mieux avec les événements subséquents. Les membres suspendus de la colonie ont renouvelé leurs v{oe}ux baptismaux en 1981, ont été réadmis comme membres à part entière de la colonie et ont signé à nouveau les statuts. Les surveillants ont continué de diriger la colonie et ils étaient encore en poste lorsque sont survenus tous les événements pertinents, à l'exception de David Waldner qui avait démissionné pour des raisons de santé avant 1986. L'opinion voulant que les statuts continuaient de s'appliquer est également plus compatible avec le témoignage du doyen (à la p. 546 du dossier d'appel):

[traduction]

Q.Monsieur, pendant cette période, la colonie a‑t‑elle continué à être régie par ses statuts?

R.Oui, dans la mesure où cela est conforme à la doctrine de l'Église huttérite.

B. Le litige entourant les distributeurs de moulée pour porcs

Daniel Hofer, père, travaillait à l'atelier d'usinage de la colonie de Lakeside. Il a mis au point une nouvelle forme de distributeur de moulée pour porcs dont l'innovation consistait en un «secoueur» que le porc pouvait régler pour obtenir de la nourriture. Il a étudié la possibilité d'obtenir un brevet et a envoyé à cette fin des croquis de ce modèle de «secoueur» à un agent de brevets.

Au cours de l'expérimentation du «secoueur», Daniel Hofer, père, a découvert que les porcs avaient tendance à enlever une plaque de métal qui faisait partie du modèle, ce qui leur permettait de choisir de consommer de la nourriture humide ou de la nourriture sèche. C'est donc par accident que le procédé «sec et humide» qui en a résulté a été inventé.

Entre‑temps, un certain nombre de personnes de la colonie de Crystal Springs avaient inventé un distributeur de moulée pour porcs qui faisait aussi appel au procédé «sec et humide». La colonie de Crystal Springs a retenu les services du même agent en vue d'obtenir un brevet pour ce modèle, lequel brevet fut finalement délivré.

Daniel Hofer, père, a fini par envoyer des croquis de son modèle de type «sec et humide» à l'agent de brevets, lequel l'a informé qu'il ne pouvait agir pour lui à l'égard de ce modèle en raison du brevet qu'avait obtenu la colonie de Crystal Springs. Daniel Hofer, père, a fait plusieurs allégations quant à savoir lequel des deux modèles était le premier à comporter le dispositif «sec et humide» et quant à la régularité de la façon dont le brevet avait été obtenu, étant donné que la colonie de Crystal Springs et lui‑même avaient communiqué avec le même agent de brevets. Il est nécessaire non pas de résoudre ces questions en l'espèce, mais simplement d'en souligner l'existence. Le doyen était au courant des accusations portées par Daniel Hofer, père, et il s'est assuré qu'elles n'étaient pas fondées (voir pp. 564 et 565 du dossier d'appel).

La colonie de Crystal Springs a cédé le brevet dont elle était titulaire à une compagnie étrangère à la colonie, C & J Jones Ltd., qui possédait une bonne expérience dans le commerce des brevets. Les conditions de la cession prévoyaient que 50 pour 100 des profits générés par le brevet seraient versés à la colonie de Crystal Springs. La cession était également révocable, même si, d'après les témoignages, une telle révocation eut été une mesure inhabituelle.

La compagnie C & J Jones a découvert qu'une autre colonie, Grand Colony, fabriquait des distributeurs de moulée pour porcs visés par le brevet. C & J Jones l'a informée de cette situation et lui a réclamé des dommages‑intérêts. Les dirigeants de cette colonie allèrent rencontrer le doyen pour qu'il les conseille sur ce qu'ils devaient faire au sujet de cette réclamation.

Comme je l'ai indiqué précédemment, le fait de demander l'avis du doyen sur une question de ce genre était une pratique usuelle chez les colonies huttérites. Il y avait toutefois une complication en l'espèce. Le doyen de la conférence Schmieden‑Leut est Jacob Kleinsasser, ministre et donc président de la colonie de Crystal Springs qui avait été la première à détenir le brevet. Les autres colonies huttérites savaient cela et le doyen les a informées que le brevet avait été cédé à C & J Jones. Toutefois, il n'a informé aucune des colonies huttérites que la colonie de Crystal Springs continuait de toucher 50 pour 100 des profits du brevet, ni que la cession du brevet était théoriquement révocable.

Le doyen a encouragé Grand Colony à en venir à un règlement avec C & J Jones, ce qui fut fait. Grand Colony a donc versé à C & J Jones la somme de 25 000 $, dont une partie a finalement été remise à la colonie de Crystal Springs.

Au cours du mois d'août 1986, les surveillants de Lakeside ont été mis au fait du litige opposant Grand Colony et C & J Jones. Ils savaient que Daniel Hofer, père, fabriquait certains distributeurs de moulée et, après enquête, ils lui ont ordonné de cesser la fabrication du distributeur de moulée de type «sec et humide». Ils lui ont dit qu'il pouvait continuer à fabriquer le distributeur de moulée de type «secoueur» qu'il avait inventé, mais non celui de type «sec et humide». Daniel Hofer, père, a cependant refusé de cesser la production des distributeurs de moulée de type «sec et humide», affirmant qu'il en était l'inventeur et que c'était donc la colonie de Lakeside qui, en fait, avait droit au brevet délivré à tort à la colonie de Crystal Springs.

Après avoir examiné les distributeurs de moulée de type «sec et humide» de Lakeside, la compagnie C & J Jones a intenté une action en contrefaçon de brevet. Au cours d'une rencontre avec l'agent de brevets et C & J Jones, les surveillants ont examiné les croquis que Daniel Hofer, père, avait fait parvenir à l'agent et ont conclu qu'il avait bien inventé le modèle de type «secoueur». Toutefois, ils en sont aussi venus à la conclusion que Daniel Hofer, père, et la colonie de Lakeside n'avaient aucun droit au brevet concernant le modèle de type «sec et humide». Il n'appartient pas à notre Cour de décider en l'espèce si tel était bien le cas. Nous constatons seulement que les surveillants ont tiré cette conclusion à leur propre satisfaction.

À l'origine, C & J Jones réclamait 25 000 $ pour régler l'action en contrefaçon de brevet, somme que les surveillants ont ramené à 10 000 $ à la suite de négociations. Les surveillants ont ensuite consulté le doyen. Affirmant qu'il [traduction] «n'était pas en cause» dans cette affaire et que les surveillants étaient les mieux en mesure de savoir quoi faire, il a toutefois indiqué que les règlements à l'amiable étaient préférables aux règlements en justice. Il a aussi félicité les surveillants d'avoir négocié à la baisse la réclamation initiale (voir dossier d'appel, pp. 292 et 575). La colonie a donc convenu avec C & J Jones de verser la somme de 10 000 $, qu'elle lui a fait parvenir sous forme de chèque.

Daniel Hofer, père, était mécontent que sa colonie ait payé 10 000 $ pour une contrefaçon de brevet, convaincu qu'il était que la colonie de Lakeside avait droit au brevet. Il estimait également que les surveillants auraient dû consulter davantage les membres de la colonie pour savoir s'il y avait lieu de poursuivre leur revendication du brevet. Il semble que, dans des circonstances ordinaires, les membres d'une colonie et en particulier les administrateurs seraient consultés avant que des décisions de cette nature soient prises, mais les choses se sont passées différemment à Lakeside à cause de la présence des surveillants (voir le témoignage de Michael Wollmann, aux pp. 1352 à 1356 du dossier d'appel).

Quoi qu'il en soit, Daniel Hofer, père, a recueilli certains appuis parmi les membres de la colonie. Il leur a fait signer un document dont il s'est servi pour convaincre la banque de faire opposition au chèque tiré pour payer la somme convenue, ce qu'il n'avait pas le pouvoir de faire. Toutefois, grâce à l'intervention des surveillants et du doyen, le chèque a été encaissé.

C. Assemblée de la colonie, le 21 janvier 1987

Les surveillants ont convoqué une assemblée des membres de la colonie le 21 janvier 1987 pour expliquer la situation et examiner la question de la conduite de Daniel Hofer, père, qui, malgré les avertissements reçus, continuait à fabriquer les distributeurs de moulée. L'assemblée a été décrite comme une assemblée annuelle. Chacun en avait reçu avis, bien qu'il n'ait pas été question explicitement de l'ordre du jour. Cependant, comme l'a souligné la Cour d'appel, il ne pouvait réellement y avoir de doute dans l'esprit de Daniel Hofer, père, quant à l'objet de cette assemblée (aux pp. 213 et 214):

[traduction] Daniel Hofer, père, n'a pas été prévenu à l'avance que l'assemblée du 21 janvier porterait sur le fait qu'il continuait à fabriquer des distributeurs de moulée pour porcs. Mais il pouvait difficilement s'agir pour lui d'une surprise. Sa décision de faire opposition au chèque tiré pour payer la somme convenue, le 20 janvier, avait précipité la crise. Il était inévitable que l'assemblée serait axée principalement sur le conflit dont il était à l'origine. Daniel Hofer, père, ne prétend pas avoir été pris au dépourvu. Au contraire, il paraissait être tout à fait prêt à dénoncer ceux qui lui reprochaient sa conduite.

Daniel Hofer, père, et Daniel Hofer, fils, ont assisté à l'assemblée. Larry Hofer était absent parce qu'en sa qualité de célibataire, il n'avait pas droit de vote. David Hofer et un autre membre ayant droit de vote étaient également absents. Par conséquent, des douze membres de la colonie qui avaient droit de vote à l'époque, 10 étaient présents au départ.

À l'assemblée, on a commencé par examiner la question du brevet. Le président a tenté de donner lecture d'une partie de la documentation concernant les distributeurs de moulée pour porcs. Daniel Hofer, père, est devenu très en colère et a interrompu le président à maintes reprises, en clamant que nul ne pouvait l'arrêter de fabriquer les distributeurs de moulée. Après quelques vifs échanges, on lui a demandé de quitter la salle parce qu'il perturbait le déroulement de l'assemblée. Michael Wollmann agissait à titre de président. Voici ce qu'il a déclaré concernant la conduite de Daniel Hofer, père, à l'assemblée (aux pp. 1229 à 1232 du dossier d'appel):

[traduction] R. . . .

Et nous ‑- J'ai dit à l'audience et à mes frères:

«Je vais vous lire et vous montrer les documents que nous avons, vous exposer la situation dans laquelle nous nous trouvons et puis nous prendrons une décision.»

Q.«. . . Et puis nous . . .» quoi?

R.Puis nous prendrons une décision en conséquence.

Q.Oui?

R.Eh bien, nous n'en sommes pas arrivés là. Daniel, et sa vanité, on ne pouvait pas le contrôler. Je l'ai averti:

«Daniel, laisse‑moi lire aux membres ce qu'il en est.»

Il ne cessait d'interrompre, disant que nous ne savions pas ce que nous faisions, que nous ne comprenions pas.

«Tout ça, c'est de la foutaise.»

Je lui ai dit:

«Mon vieux, ce sont les mêmes documents que ceux que tu as reçus de la même compagnie. Nous sommes très surpris de ce que nous avons vu hier, de ce que tu as fait de ta propre initiative. Nous étions tellement secoués que pendant plusieurs minutes nous osions à peine nous regarder. Dans quelle voie Daniel s'engage-t‑il?

Nous avons à nouveau essayé de l'arrêter et j'ai dit:

«Daniel, écoute‑moi. Je suis le président, j'aime que les assemblées se déroulent dans l'ordre, sans cris ni hurlements ni provocation.»

Je n'aime pas cela, aussi ai-je dit:

«Daniel, nous te donnons une dernière chance. Si tu ne me laisses pas lire et finir de dire ce que j'ai à dire, je devrai prendre des mesures.»

Il s'en foutait. Il a dit simplement:

«D'accord. De toute façon vous ne savez pas ce que vous faites. Vous n'avez rien fait d'autre que de causer du tort ici.»

«Très bien mes frères, il est coupable. Qu'il quitte la salle.»

Nous étions tous d'avis qu'il était coupable et qu'il devait quitter la salle.

Q.Et comment avez‑vous pris cette décision?

R.Comment?

Q.Oui.

R.Dans l'Église, si le président ou le ministre très respecté présente une motion, s'il conclut à la culpabilité, il ordonne au fidèle de quitter la salle. Ce dernier peut alors revenir, se repentir et promettre qu'il ne troublera plus l'ordre et obéira au président, comme un martyr, et alors il sera pardonné.

Q.Avez‑vous demandé qu'on lève la main ou avez‑vous seulement dit: «Je vous trouve rebelle et provocateur et je vous ordonne de quitter la salle»?

R.S'ils — nous étions tous d'accord — nous avons tous agi -- cela nous rendait déjà tous malades.

Q.Comment avez‑vous su ce que les autres pensaient?

R.Eh bien, comme je l'ai dit, si personne ne se lève et n'oppose son veto, alors c'est adopté.

Michael Wollmann a réitéré, aux pp. 1274 et 1275 de son témoignage, qu'on avait demandé à Daniel Hofer, père, de partir uniquement à cause du dérangement qu'il causait.

Alléguant que la discussion au sujet de son père l'avait mis mal à l'aise, Daniel Hofer, fils, a, à son tour, demandé et reçu la permission de quitter. À ce moment donc, 8 des 12 membres ayant droit de vote étaient présents.

Il a été convenu entre les membres que Daniel Hofer, père, devait être puni au moyen d'une forme modérée d'isolement et qu'il devrait, pendant un certain temps, manger seul et faire séparément les exercices du culte.

Lorsqu'on a rappelé Daniel Hofer, père, qu'on l'a informé de la décision et qu'on lui a demandé de se repentir et de l'accepter, celui‑ci a refusé d'accepter cette décision et a dit aux surveillants de rentrer chez eux. Au cours de la discussion qui a suivi, il s'est fait dire qu'en refusant de se plier à cette mesure disciplinaire, il [traduction] «s'expulsait lui‑même». Après d'autres discussions, le président lui a dit qu'«il n'est plus membre, il ne fait plus partie de l'Église», et les membres ont endossé cette décision. La conclusion précise du juge de première instance sur ce point se trouve à la p. 200:

[traduction] Après avoir discuté de nouveau avec lui -‑ qu'il prenait sur lui d'agir ainsi, qu'il s'expulsait lui‑même -‑ et en l'absence de repentir -‑ le président lui a dit «il n'est plus membre, il ne fait plus partie de l'Église», et les membres ont endossé cette décision.

Malgré la conclusion du juge de première instance selon laquelle les membres avaient «endossé» la décision, la Cour d'appel, à la p. 212, a laissé entendre qu'il n'y avait pas eu de vote formel:

[traduction] Il ne semble pas qu'un vote formel ait été tenu pour confirmer l'excommunication de Daniel Hofer, père, de la congrégation. On s'est entendu simplement pour dire que si quelqu'un ne se soumettait pas à l'«absonderung» [isolement modéré], il ne restait d'autre choix que l'excommunication.

Toutefois, d'après le témoignage de Jacob Hofer, l'un des surveillants, l'excommunication a été endossée à l'unanimité (à la p. 846 du dossier d'appel).

Selon le procès‑verbal, Daniel Hofer, père, a alors exigé d'être entendu par «une instance supérieure», ce qui a été qualifié de non-sens étant donné qu'un autre examen ne pouvait être exigé, seulement demandé. Tous reconnaissent que Daniel Hofer, père, faisait référence à l'appel à l'autorité du doyen, décrit précédemment.

La Cour d'appel a souligné, à la p. 212, que le président avait répondu en ces termes à la demande d'audition devant une instance supérieure:

[traduction] Eh bien, c'est votre privilège. Cela demeure. Vous avez reçu un ordre. Nous n'avons rien à faire avec vous. Si vous voulez aller devant une autre instance, vous êtes libre de le faire. Quiconque le souhaite peut s'adresser à une instance supérieure.

Il semble clair que, par ce langage, le président de l'assemblée n'accordait pas à Daniel Hofer, père, un autre examen de son cas. Il semble en effet que cette décision appartenait au doyen.

On a soulevé la question de savoir s'il y avait quorum au moment pertinent de l'assemblée. Il est clair que la décision d'expulser exige le quorum puisqu'il s'agit d'une décision qui doit expressément être prise par vote au cours d'une assemblée. Il y avait quorum au début de l'assemblée, vu la présence de 10 des 12 membres ayant droit de vote. La forme modérée d'isolement a été imposée en l'absence de Daniel Hofer, père, et de Daniel Hofer, fils, et la peine plus sévère a été imposée après le retour du père. Quant au fils, il n'est pas certain qu'il fût lui aussi revenu.

La Cour d'appel a conclu que la question du quorum n'était pas importante puisque la colonie n'était de toute façon pas dirigée conformément aux statuts. Vu l'analyse qui précède, nous ne pouvons suivre cette voie. Toutefois, étant donné que j'en arrive à la conclusion que les expulsions doivent être annulées pour cause d'avis insuffisant, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur l'existence du quorum.

D. Les assemblées du 31 janvier 1987

Dans l'espoir que Daniel Hofer, père, se repentirait, les surveillants observèrent, avant de prendre toute autre mesure, une période d'apaisement de 10 jours et convoquèrent une autre assemblée pour le 31 janvier, à midi. Daniel Hofer, père, fut prié d'y assister. Il demanda s'il s'agissait de l'instance supérieure qu'il avait sollicitée, ce à quoi on lui répondit par la négative. Il refusa alors de se présenter.

Daniel Hofer, père, n'avait reçu aucun avis précis de ce qui serait discuté. Cependant, la Cour d'appel a souligné qu'il était absolument impossible qu'il n'ait pas su que son expulsion serait le principal point à l'ordre du jour. En fait, son refus de se présenter pour le motif qu'il ne s'agissait pas de l'instance supérieure demandée démontre qu'il savait ce dont il serait question (à la p. 214):

[traduction] J'estime qu'il ne fait aucun doute que Daniel Hofer, père, savait que son expulsion de la colonie serait le principal point à l'ordre du jour. Dans son propre témoignage, il dit qu'il a choisi de ne pas se présenter parce qu'il croyait que cela ne serait d'aucune utilité vu sa demande que la question soit confiée à une instance supérieure. Il s'ensuit qu'il savait ce qui était à l'ordre du jour ce soir‑là.

Daniel Hofer, fils, et David Hofer ont quant à eux assisté à l'assemblée. Il y a eu un débat général. Un certain nombre de membres de la colonie qui avaient initialement participé au projet de faire opposition au chèque tiré à l'ordre de C & J Jones se sont repentis et ont décidé de se ranger du côté de l'Église et de respecter l'autorité des surveillants. Ils reçurent une sanction ecclésiastique mineure et réintégrèrent par la suite la communauté (voir le témoignage de Michael Wollmann, à la p. 1245 du dossier d'appel). Il fut décidé de consulter le doyen au sujet des actes de Daniel Hofer, père.

Les surveillants ont consulté le doyen au cours de l'après‑midi. Celui‑ci a donné son avis à la colonie dans une lettre dont lecture fut par la suite donnée aux membres. Après avoir fait l'historique du litige relatif au brevet et décrit les actes de Daniel Hofer, père, il a poursuivi en ces termes (à la p. 2099 du dossier d'appel):

[traduction] En conséquence, Daniel Hofer et tous ses partisans devraient être séparés de Lakeside, de sorte que si Daniel persiste, Lakeside puisse peut‑être rester libre. Mais la question demeure. À mon avis, il n'est que juste que cette rébellion soit matée avec tous ceux qui suivent Daniel.

Les surveillants avaient transmis au doyen la demande de Daniel Hofer, père, visant à obtenir la convocation d'une «instance supérieure», mais le doyen a décidé que cela n'était pas nécessaire. Voici ce qu'il a déclaré à ce sujet dans son témoignage, à la p. 286 du dossier d'appel (voir également les pp. 349 et 618):

[traduction] Et voilà ce que j'ai dit concernant cette affaire ‑- puis j'ai écrit une courte lettre d'encouragement pour ses gens dans laquelle j'affirme qu'en ce qui me concerne, à mon avis personnel — je ne vois pas la nécessité en ce moment de convoquer 30, 40 ministres et il doit se soumettre à la décision de tous ces frères, quelle qu'elle soit et surtout à cause de cette révélation qu'il a osé faire opposition au paiement de 10 000 $, qu'est‑ce qui l'aurait empêché de retirer les 10 000 $. C'est ainsi que j'ai examiné la question et que je l'ai analysée. J'ai donc rédigé cette courte lettre d'encouragement où j'ai exprimé mon opinion en leur disant de retourner auprès de leurs frères de Lakeside. C'est ainsi que je voyais les choses et telle était mon opinion. C'est tout ce que je suis disposé à faire à ce sujet.

À 19 heures, une autre assemblée a eu lieu à laquelle Daniel Hofer et ses fils ont refusé d'assister. On y a donné lecture de la réponse du doyen. La conduite de David Hofer, père, et de Daniel Hofer, fils, a également fait l'objet d'une discussion. Les trois cas ont ensuite été traités ensemble. Voici la conclusion du juge de première instance sur ce point (à la p. 201):

[traduction] Le procès‑verbal (confirmé par les révérends Wollmann et Hofer) indique qu'«il a ensuite été convenu par les autres membres que les trois personnes susmentionnées (Daniel Hofer, père, Daniel Hofer, fils, et David Hofer) n'étaient plus membres et n'appartenaient plus à l'Église». D'après les témoins, cette décision était finale pour ces trois personnes, particulièrement Daniel Hofer, père, le choix étant de «se repentir ou de s'en aller et nous laisser en paix», ils ne faisaient plus partie de la colonie. Les membres ne pouvaient pas leur parler, manger et faire les exercices du culte avec eux, ils ne faisaient plus partie de la colonie. Seuls les membres en paix mangeaient, faisaient les exercices du culte et travaillaient ensemble. Tous trois ont été ultérieurement relevés de leurs fonctions au sein de la colonie.

E. La situation dans la colonie au début de février

La situation dans la colonie s'est brusquement détériorée au cours des premiers jours de février 1987. Daniel Hofer, père, estimait que sa demande d'examen supplémentaire avait été accueillie par le président de l'assemblée le 21 janvier 1987. Il était également d'avis que sa demande ayant été accueillie, les surveillants n'avaient plus aucune autorité sur la colonie en attendant la tenue de cet examen (voir pp. 1610 et 1674 du dossier d'appel).

Ces deux opinions sont absolument indéfendables. Comme il a été souligné précédemment, la demande d'examen supplémentaire n'a pas été accordée le 21 janvier 1987 et il ne semble guère possible qu'elle ait pu l'être étant donné que cette décision relevait du doyen et non du président de la colonie. Quoi qu'il en soit, même si la demande d'examen supplémentaire avait été accueillie, cela n'aurait d'aucune façon pu avoir pour effet de suspendre automatiquement l'autorité des surveillants. Tout au plus, la décision d'accorder un autre examen aurait pu suspendre automatiquement la décision d'expulser et équivaloir, à cet égard, à un sursis. Toutefois, même en déployant les plus grands efforts d'imagination, on ne saurait conclure qu'une telle décision pouvait mettre fin automatiquement à l'autorité des surveillants.

Quoi qu'il en soit, Daniel Hofer et ses fils ont accompli un certain nombre d'actes conformes à leur conclusion que les surveillants n'avaient plus autorité. La colonie étant sans chef, on a jugé nécessaire de tenir une réunion d'urgence en vue d'élire de nouveaux dirigeants. Seuls les sympathisants à la cause de Daniel Hofer, père, ont été invités à cette réunion. Daniel Hofer, père, a été élu président de la colonie et Daniel Hofer, fils, secrétaire‑trésorier. Le tout s'est déroulé d'une manière non prévue par les statuts. Selon les statuts, le président de la colonie est le ministre désigné par l'Église. Depuis lors, Daniel Hofer, père, continue de se prétendre président de la colonie et refuse à quelque égard que ce soit de reconnaître l'autorité des surveillants.

Le groupe de Daniel Hofer, père, a dû également prendre des dispositions concernant les finances de la colonie et la poursuite de ses activités économiques. Ils ont ouvert leur propre compte bancaire dans lequel ils ont versé l'argent provenant de la vente de porcs (voir p. 854 du témoignage de Jacob Hofer). À ce stade, selon la déposition de Jacob Hofer (aux pp. 869 à 871 du dossier d'appel), Daniel Hofer, père, et son groupe mangeaient au réfectoire principal et dirigeaient un certain nombre d'entreprises sur le territoire de la colonie. Étant donné que les membres de Lakeside qui avaient pris parti pour les surveillants ne pouvaient pas s'associer avec Daniel Hofer, père, ils étaient forcés de manger chez eux. Les recettes des entreprises exploitées par le groupe de Daniel Hofer, père, n'étaient pas versées à la colonie, mais conservées par ce groupe.

La colonie s'était divisée à cette époque en deux groupes distincts qui ne pouvaient se fréquenter. Jacob Hofer a témoigné que les jeunes défendeurs avaient été interrogés au sujet de leur participation aux actes du groupe de Daniel Hofer, père, et qu'ils avaient répondu qu'ils prenaient parti pour lui et son groupe. On leur a alors dit qu'ils devaient quitter la demeure de leurs parents parce qu'ils seraient soumis à un isolement. Ils ont obtempéré, mais Daniel Hofer, père, les a fait emménager dans la caravane qu'avaient occupée les surveillants et il a fait changer les serrures (aux pp. 875 et 876 du dossier d'appel):

[traduction]

Q.Et Leonard Hofer, John Gerald Hofer et Paul Hofer, fils, étaient‑ils soumis aux dirigeants de la colonie?

R.Non, ils nous étaient soumis jusqu'à ce que Danny les fasse travailler pour son entreprise.

Q.Dites‑moi, monsieur, en quoi ils ont été insoumis.

R.Je vais revenir un peu en arrière, monsieur le juge, au moment où nous avons mis les garçons à l'épreuve en même temps que les membres. Nous les avons convoqués au bureau de la caravane.

Q.Quand était‑ce?

R.Je ne saurais vous donner la date. Après que Danny eut révélé qu'il avait fait opposition au chèque. Nous voulions savoir combien de jeunes enfants étaient associés à ce geste. Ils ont répondu gentiment, sans réprimande, il n'y a pas de doute, ils étaient dans le camp de Danny. Et nous avons dit «Merci beaucoup, mais vous ne pouvez plus vivre ainsi dans la colonie, ni dans votre maison. Vous devrez quitter la maison de vos parents. Vos parents font encore partie de l'Église.» Les garçons n'ont rien dit, mais ils ont accepté de s'en aller.

Mais voilà que Danny est venu à notre bureau et a dit: «Je vous prie d'enlever d'ici tous vos effets personnels». J'ai demandé pourquoi. «Les garçons vont s'installer ici». J'ai dit: «Que voulez‑vous dire?» «Mais où devraient‑ils aller?» «Qu'ils reviennent à l'Église, qu'ils se désistent de ce qu'ils ont fait. Ils n'ont à aller nulle part.» «Non, ils ne se désistent pas.»

Et nous n'avions pas aussitôt quitté notre bureau que la serrure a été changée et nous n'avons jamais pu y avoir accès par la suite. J'ai tenté plusieurs fois d'y retourner. Je me souviens qu'une fois Leonard n'était pas dans la caravane mais il m'avait vu entrer. Il a couru vers la caravane en me demandant: «Que cherchez‑vous?»

Les actes provocateurs des trois jeunes défendeurs ont été confirmés par le témoignage de Michael Wollmann (aux pp. 1263 à 1265 du dossier d'appel). Apparemment, ils avaient été menaçants envers les surveillants. Michael Wollmann a également confirmé (à la p. 1304) que les surveillants avaient dit aux trois jeunes gens qu'ils ne pouvaient plus habiter avec leurs parents et que leur intention était de les voir quitter la colonie.

F. Assemblée de 81 ministres à Milltown, le 10 février 1987

Une assemblée régulière, à laquelle ont assisté 81 ministres, a eu lieu le 10 février 1987 dans la colonie de Milltown. Le doyen, qui s'était montré réticent à convoquer une assemblée extraordinaire pour discuter de l'affaire de Lakeside, avait accepté d'inscrire la question à l'ordre du jour de cette assemblée régulière (voir p. 302 du dossier d'appel). Aucun des défendeurs n'a été avisé de cette assemblée. Les surveillants et le doyen ont exposé les événements aux ministres réunis.

Le doyen a témoigné (aux pp. 303 et 304) qu'il avait été décidé, à cette assemblée, d'inviter Daniel Hofer, père, à assister à une autre assemblée tenue dans la colonie de Woodlands pour examiner l'affaire, afin de pouvoir prendre en considération ses explications. Le doyen s'était montré peu disposé à faire cette invitation, mais quelques autres personnes proposaient de le faire et il a acquiescé. Le recours à l'«instance supérieure» qu'avait réclamé Daniel Hofer, père, était donc maintenant accordé.

G. Les lettres et la déclaration

Malgré la décision d'inviter Daniel Hofer, père, à l'assemblée de Woodlands, celui‑ci, Daniel Hofer, fils, et David Hofer ont reçu le 16 février 1987 une lettre des avocats de la colonie les avisant qu'ils avaient été expulsés et les sommant de quitter la colonie au plus tard le 19 février, soit avant l'assemblée de Woodlands. Ils n'ont pas quitté la colonie et la déclaration relative à la présente action a été déposée le 25 février 1987.

La tentative de faire partir les défendeurs a conduit à une recrudescence de la désobéissance civile et de l'agitation dans la colonie. Selon le juge de première instance, les actes des défendeurs ont perturbé considérablement la vie dans la colonie. Daniel Hofer, père, et les autres ont également lancé une campagne de lettres dans lesquelles ils portaient des accusations plus générales de mauvaise administration des affaires des huttérites au Manitoba. Ces accusations étaient d'ailleurs partiellement à la base de la demande reconventionnelle présentée en l'espèce, laquelle a été rejetée en première instance et n'a pas fait l'objet d'un appel.

Il pourrait sembler étrange que les lettres enjoignant aux défendeurs de partir aient été envoyées et la déclaration délivrée en dépit du fait que la question devait être examinée à l'assemblée prochaine des ministres à la colonie de Woodlands. Toutefois, il faut se rappeler que l'expulsion est au départ le fait de la colonie et que c'est au nom de la colonie que la déclaration a été délivrée. L'examen supplémentaire est effectué par la conférence. Il est possible que la décision d'accorder un autre examen ait pour effet de suspendre la décision d'expulsion initiale, mais ce n'est pas nécessairement le cas. On a demandé à Michael Wollmann, l'un des surveillants, d'expliquer la chose. Il ressort de son témoignage que la décision initiale de la colonie est, selon la pratique huttérite, exécutoire jusqu'à ce qu'elle soit infirmée par la conférence (aux pp. 1242 et 1243 du dossier d'appel):

[traduction]

Q.La décision de l'Église, la décision de la congrégation a‑t‑elle force obligatoire ou exécutoire même s'il a demandé un autre examen? Y a‑t‑il sursis, ou la décision s'applique‑t‑elle dès lors?

R.Cela a été appliqué et il est déclaré coupable, et la décision a été appliquée et exécutée. S'il veut s'adresser au doyen et que le doyen voit que nous n'avions peut‑être pas tout à fait raison, c'est au doyen et à quelques autres que revient cette décision, non pas à moi ou à lui.

La réponse de Michael Wollmann ne dissipe toutefois pas toute équivoque quant au statut intérimaire de la décision initiale une fois accueillie la demande d'examen supplémentaire. En l'absence d'autres éléments de preuve sur ce point, il est difficile d'établir quelle serait la pratique huttérite à cet égard. Il semble cependant que c'était là tout au moins ce que comprenait la colonie, étant donné qu'autrement les lettres demandant aux défendeurs de partir seraient prématurées.

H. Assemblée de 41 ministres à Woodlands, le 11 mars 1987

Les défendeurs ont été avisés de l'assemblée de Woodlands, mais ils ont refusé d'y assister. Ils ont fait parvenir à l'assemblée une lettre dans laquelle ils soulignaient que certains ministres avaient déjà fait appel au système judiciaire. Ils indiquaient qu'ils n'étaient pas prêts à assister à l'assemblée et qu'ils aviseraient les ministres au moment où ils seraient disposés à le faire.

Les ministres ont ratifié les mesures qu'avait prises antérieurement la colonie et ils ont décidé qu'il y avait lieu d'accroître le degré d'isolement des défendeurs de façon à bannir toute association avec eux.

I. Assemblée de la colonie de Lakeside, le 26 septembre 1987

Les défendeurs n'ont pas été avisés de l'assemblée de la colonie de Lakeside le 26 septembre 1987, ni des assemblées subséquentes de la colonie. Cela n'a rien de surprenant étant donné que, du point de vue de la colonie, les défendeurs n'en faisaient plus partie. La situation de Lakeside a fait l'objet d'une assez longue discussion et on a demandé à chaque membre pour qui il prenait parti, pour l'Église ou pour le groupe de Daniel Hofer, père.

J. Assemblée de la colonie de Lakeside, le 9 avril 1988

Il est indiqué au procès‑verbal que la situation de Daniel Hofer, père, et de ses «garçons» dans la colonie ne pouvait plus être tolérée. Suivant le témoignage de Jacob Hofer, Daniel Hofer, père, et son groupe exploitaient toujours, en se servant des biens de la colonie, diverses entreprises dont les profits n'étaient pas remis à la colonie.

Après avoir discuté de la situation en cours, les membres ont convenu que l'expulsion imposée le 21 janvier 1987 était [traduction] «juste et équitable» (voir p. 879 du dossier d'appel). Selon le procès‑verbal, huit membres ont acquiescé par leur signature à l'excommunication de Daniel Hofer, père, Daniel Hofer, fils, et David Hofer.

K. Assemblée de 106 ministres à la colonie de Milltown, le 17 mai 1988

Les défendeurs ont été avisés de cette assemblée, mais ont refusé d'y assister. Leur refus est lié au litige alors en cours. Afin d'étayer leur demande reconventionnelle, les défendeurs cherchaient à obtenir accès à différents dossiers des colonies huttérites du Manitoba, ce qui leur était refusé. Ils ont demandé une ordonnance judiciaire d'accès et ces procédures ont été ajournées dans l'espoir que les parties en viennent à une entente. Les défendeurs ont cru que les demandeurs avaient accepté de leur donner accès et de tenir ensuite une assemblée pour examiner les accusations qui avaient été portées. Les demandeurs ont accepté de tenir une assemblée mais n'ont pas donné accès aux dossiers avant qu'elle ait lieu. Compte tenu de ces circonstances, les défendeurs n'ont pas voulu y assister. Ils ont cependant laissé des messages sur le pare‑brise des voitures d'un bon nombre des participants.

On note au procès‑verbal que le nom de Larry Hofer a été ajouté à ceux des Daniel Hofer, père, Daniel Hofer, fils, et David Hofer à titre de coauteur des plaintes en cause. La discussion a porté sur les événements entourant ces quatre personnes et il a été décidé que Daniel Hofer, père, ainsi que [traduction] «ceux qui sont associés avec lui» ne pouvaient être membres de l'Église et devraient quitter la colonie.

Le lendemain, un plus petit groupe de ministres ont rencontré les dirigeants et les vérificateurs des entreprises huttérites conjointes du Manitoba afin d'examiner les plaintes qui avaient été portées. Ils ont décidé, à leur propre satisfaction, que ces plaintes n'étaient pas fondées.

L. Assemblée de la colonie de Lakeside, le 21 juillet 1988

Une fois de plus, les défendeurs n'ont pas été avisés de l'assemblée du 21 juillet 1988. À cette assemblée, les membres de la colonie ont passé en revue l'ensemble de la situation et ont décidé qu'ils n'avaient aucune raison de se plaindre que ce soit à l'égard de la question du brevet ou à l'égard des accusations plus générales portées par Daniel Hofer, père. L'excommunication de Daniel Hofer, père, Daniel Hofer, fils, David Hofer, Larry Hofer ainsi que de [traduction] «tous ceux qui sont associés avec eux» a été [traduction] «ratifiée, sanctionnée et confirmée.»

V. Conclusion

A. Y a‑t‑il eu un vote d'expulsion?

La question de savoir si un vote d'expulsion a été tenu est une question compliquée en raison de plusieurs aspects des pratiques huttérites. La discipline huttérite se caractérise par une série de mesures visant à couper les contacts avec un membre, de l'isolement modéré à l'absence totale de contact. À l'extrême, il est difficile de distinguer l'isolement complet, pendant une certaine période, d'une personne qui est toujours membre, de son expulsion. Le doyen le reconnaît dans son témoignage (à la p. 610 du dossier d'appel):

[traduction]

Q.Puis vous notez, à la phrase suivante: «Il a ensuite été décidé à l'unanimité que Danny Hofer, père, et tous ceux qui lui sont associés ne seront plus considérés comme frères ou membres.»

Est‑ce là l'excommunication?

R.C'est possible. Cela dépend de la situation. S'il n'est plus membre, il perd son statut. S'il n'est plus frère, il se peut qu'il soit exclu de la fraternité. Mais perdre son statut de membre est assez fort.

En fait, il semble que même après avoir expulsé un membre, les huttérites ont coutume de ne pas lui demander immédiatement de quitter la colonie. On donne en effet à l'ancien membre l'occasion de se repentir et de réintégrer la colonie. C'est uniquement lorsque cela semble impossible qu'on lui demande vraiment de partir. Cette pratique a été confirmée par Jacob Hofer, à la p. 934 du dossier d'appel:

[traduction] LA COUR: Partir? S'il est exclu de l'Église, il y a un vote et il est excommunié. S'il ne s'amende pas, il est exclu de l'Église et expulsé.

LE TÉMOIN: Oui.

Même dans le cas où une personne est sommée de partir, les huttérites ne l'expulsent pas physiquement, conformément au principe huttérite de la non-résistance. Cette non-résistance a toutefois placé la colonie dans une situation difficile devant la conduite de Daniel Hofer, père, et de son groupe. Cela ressort clairement du témoignage de Joshua Hofer en ce qui concerne l'incident qui s'est produit lorsque Daniel Hofer, père, et les autres étaient en train de charger des porcs pour les emmener au marché, contre la volonté de la colonie (aux pp. 1088 et 1089 du dossier d'appel):

[traduction]

R.Votre honneur, ce matin‑là lorsque Dan Hofer, père, prenait des porcs pour les emmener à la ville, nous avons remarqué qu'il était en train de procéder à un chargement de porcs et nous savions qu'ils agissaient sans l'autorisation de la direction. J'ai donc téléphoné à Mike et à Jake, à Starlight [la colonie] je crois, et je leur ai dit -‑ je leur ai demandé quelle était la meilleure façon d'empêcher que les porcs soient emmenés au marché sans l'autorisation de la direction. Physiquement, nous ne pouvions pas faire grand-chose.

Q.Pourquoi? Pourriez‑vous expliquer à la cour, s'il‑vous‑plaît, pourquoi vous ne pouviez pas faire grand-chose physiquement?

R.Eh bien, nous n'allions pas nous mettre à nous battre pour les empêcher de charger les porcs.

Q.Pourquoi pas?

R.C'est contre notre religion et tout le système huttérite de se battre.

Nous avons donc décidé de rapporter cela comme un vol à la GRC locale . . .

Le fait de rapporter l'incident à la GRC comme un vol au lieu de les empêcher d'agir par la force physique est en tous points analogue au fait d'intenter la présente action au lieu d'expulser les défendeurs de la colonie par la force. Michael Wollmann a confirmé, dans son témoignage, que les huttérites s'attendent à ce qu'un membre expulsé parte sans être physiquement contraint de le faire (aux pp. 1252 et 1253 du dossier d'appel).

Par conséquent, bien qu'il soit surprenant, au départ, que l'expulsion de Daniel Hofer, père, ait fait l'objet de discussions lors d'assemblées tenues bien après l'assemblée initiale du 21 janvier 1987, ce débat continu est conforme à la pratique huttérite. À supposer que Daniel Hofer, père, ait été expulsé le 21 janvier 1987, il est conforme à la pratique huttérite que sa présence dans la colonie ait été tolérée pendant un certain temps pour voir s'il pourrait se repentir, et qu'on ait tenu d'autres assemblées pour débattre la situation et confirmer la décision initiale. En fait, de telles discussions sont presque inévitables si le membre expulsé refuse de partir — les huttérites ne pouvant le contraindre physiquement à partir, la discussion est le seul moyen dont ils disposent.

1. Daniel Hofer, père

Le juge de première instance a tenu pour avéré, à la p. 203, que Daniel Hofer, père, avait été expulsé lors des assemblées de janvier, sans toutefois décider si l'expulsion avait eu lieu le 21 ou le 31 janvier:

[traduction] Dans mon esprit, il ne fait aucune différence que l'excommunication véritable ait eu lieu à l'assemblée du 21 janvier 1987, à laquelle il était présent, ou à la deuxième assemblée du 31 janvier 1987, à laquelle il a refusé d'assister et après que les surveillants eurent consulté le ministre en chef de toutes les colonies. Les membres de la colonie qui ont assisté à ces assemblées savaient tous très bien ce qu'ils faisaient et, conformément à l'article 39, précité, de leur constitution, ils ont voté pour dire: «Daniel Hofer, père, et tous ceux qui l'appuient (les autres défendeurs) ne sont plus frères, qu'ils s'en aillent et nous laissent en paix.» Dans mon esprit et dans celui des ministres, des surveillants, des aînés et des membres, cela ne pouvait avoir qu'un seul sens. Daniel Hofer, père, était expulsé de l'Église pour cause de désobéissance totale aux v{oe}ux baptismaux qu'il avait prononcés à deux reprises, d'abord à son baptême puis à nouveau en 1981, lorsque tous ceux qui étaient alors membres de la colonie de Lakeside ont demandé la fin de leur suspension et renouvelé leurs v{oe}ux devant toute la congrégation.

La Cour d'appel s'est dite d'accord avec cela, aux pp. 212 et 213, et a décidé expressément que l'expulsion avait eu lieu le 21 janvier:

[traduction] À mon avis, Daniel Hofer, père, a perdu son statut de membre de la colonie de Lakeside et, partant, de l'Église huttérite, le 21 janvier 1987. De même, il était généralement entendu qu'en suivant son père et en l'appuyant, Daniel Hofer, fils, perdait lui aussi son statut de membre. En tout état de cause, la perte de leur statut de membre a été confirmée lors d'une autre assemblée des membres de la colonie le 31 janvier 1987. À cette assemblée, un dénommé David Hofer a également été exclu parce qu'il avait décidé de faire cause commune avec Daniel Hofer, père. Larry Hofer a subi le même sort lorsqu'il s'est rallié ultérieurement au groupe dissident.

La conclusion suivant laquelle Daniel Hofer, père, a été expulsé lors de l'assemblée du 21 janvier est étayée par la preuve. Le doyen a témoigné, aux pp. 611 et 612 du dossier d'appel, qu'après avoir examiné le procès‑verbal de cette assemblée, il en était venu à la conclusion que Daniel Hofer, père, avait été expulsé.

[traduction]

Q.Avez‑vous la conviction, à la lecture du dernier paragraphe de la page 4 qu'à ce moment précis après les événements, Daniel Hofer, père, a été excommunié de la colonie de Lakeside?

R.Oui, avec l'autre information communiquée lorsqu'à l'origine ils avaient voulu qu'il soit exclu de la fraternité, qu'il ne puisse plus être en communion avec les frères au réfectoire ou aux exercices du culte.

Et après il a rejeté cela, puis il est parti malgré le fait qu'il aurait pu rester si seulement il s'était comporté décemment, s'il avait obéi et accepté d'être suspendu de la fraternité et d'aller prendre ses repas à l'écart des frères fidèles. Il aurait pu rester mais comme il ne l'a pas fait, c'était en définitive une expulsion et une exclusion non seulement partielle mais totale, et c'est lui qui l'a choisie et non les frères. On lui a demandé de faire un choix.

Cela est également confirmé par Jacob Hofer, à la p. 937 du dossier d'appel. Soulignons qu'on a insisté, lors du contre‑interrogatoire de ce dernier, sur le fait qu'il avait déclaré, lors de l'interrogatoire préalable, que l'expulsion de Daniel Hofer, père, n'avait pas eu lieu le 21 janvier 1987, mais que seule la première démarche avait été faite à ce moment là. Voilà assurément un point de vue qu'on peut dégager de la preuve, mais il existe des éléments à l'appui de l'opinion de la Cour d'appel voulant que l'expulsion de Daniel Hofer, père, ait eu lieu le 21 janvier et c'est la position qu'a finalement adoptée Jacob Hofer au procès.

2. Daniel Hofer, fils, David Hofer et Larry Hofer

Daniel Hofer, fils, et les autres n'ont pas été expulsés le 21 janvier 1987. Cela est confirmé par le doyen, à la p. 614 de son témoignage. Daniel Hofer, fils, et David Hofer ont toutefois été expulsés à l'assemblée du 31 janvier. Le juge de première instance a tenu pour avéré ce fait qui est d'ailleurs confirmé par le procès‑verbal de cette assemblée ainsi que par le témoignage de Jacob Hofer, l'un des surveillants (à la p. 857 du dossier d'appel). Quant à Larry Hofer, il a été expulsé par vote à l'assemblée du 21 juillet 1988. C'est la première assemblée à laquelle il est fait expressément mention de son expulsion.

3. Paul Hofer, fils, John Gerald Hofer et Leonard Hofer

Comme on l'a indiqué précédemment, les jeunes défendeurs ont été sommés par les surveillants de quitter la colonie au cours des premiers jours de février. Il s'agit de savoir si les statuts confèrent au président de la colonie le pouvoir de décider si les enfants de membres ont violé les conditions auxquelles ils peuvent résider dans la colonie. Il se peut que la décision appartienne aux administrateurs ou à la colonie dans son ensemble. Aucune preuve ni aucun argument n'ont toutefois été présentés sur ce point. Nous présumerons donc, aux fins de la présente affaire, que c'est en conformité avec les règles pertinentes que les jeunes défendeurs ont été expulsés au cours des premiers jours de février 1987.

B. Y a‑t‑il eu avis suffisant?

1. Daniel Hofer, fils, David Hofer et Larry Hofer

Rien dans la preuve n'indique que Daniel Hofer, fils, David Hofer et Larry Hofer ont été avisés que la question de leur expulsion serait abordée à l'une des assemblées de la colonie. Ils n'ont pas été avisés de l'ordre du jour de l'assemblée du 31 janvier 1987 ni de l'assemblée du 21 juillet 1988. Le pourvoi doit par conséquent être accueilli à leur égard.

La raison pour laquelle Daniel Hofer, fils, David Hofer et Larry Hofer n'ont pas été avisés de leur expulsion est qu'aux yeux des membres de la colonie, il ne semblait pas nécessaire de le faire. Il était clair après l'assemblée du 21 janvier 1987 que ceux qui avaient suivi l'exemple de Daniel Hofer, père, seraient expulsés, ce qui était manifestement le cas de ces trois défendeurs. Il n'était nullement nécessaire de les aviser, car leur expulsion était automatique.

Michael Wollmann a confirmé que c'était ce qu'avait compris la colonie (aux pp. 1358 et 1359 du dossier d'appel):

[traduction]

Q.Il fût alors entendu avec les autres membres que les trois défendeurs précités [les fils] n'étaient plus membres de l'Église. Maintenant, est‑ce que cela est conforme à votre souvenir du déroulement de l'assemblée, le soir du 31 janvier?

R.Ils se sont rangés dans le camp de leur père, automatiquement ils étaient exclus. Il n'était pas nécessaire de les entendre, nous n'avons pas à le faire. S'ils se rangent ainsi volontairement du côté de leur père, ils sont exclus.

Cette manière de voir a été confirmée par le doyen au cours de son témoignage, lorsqu'on lui a donné l'exemple hypothétique d'un autre huttérite s'associant avec Daniel Hofer, père (à la p. 633 du dossier d'appel):

[traduction]

Q.Êtes‑vous en train de me dire, monsieur, qu'il n'y avait pas besoin d'audition, de conseil, d'accusation, d'approche, de discussion; du simple fait que Paul Hofer, père, par exemple, s'associait avec Daniel Hofer, père, il était excommunié?

R.Il a fait son choix.

Cela a également été confirmé par Jacob Hofer (à la p. 1010 du dossier d'appel):

[traduction]

Q.Monsieur, après le 31 janvier 1987, la politique de l'Église voulait que si quelqu'un prenait partie pour Daniel Hofer, père, il faisait l'objet d'une excommunication?

R.Ils s'excommuniaient eux‑mêmes en faisant cause commune avec un excommunié.

Joshua Hofer a également accepté que c'était là le résultat de l'assemblée du 31 janvier 1987, à la p. 1147 du dossier d'appel.

Cependant, il faut se rappeler que la justice naturelle prescrit l'équité en matière de procédure, quelque évidente que puisse être la décision à prendre. Il n'importe pas qu'il ait été tout à fait évident que Daniel Hofer, fils, David Hofer et Larry Hofer seraient expulsés. La justice naturelle exige qu'ils soient avisés de la tenue d'une assemblée afin d'examiner l'affaire et qu'ils aient l'occasion de répondre. Il se peut que cela ne change rien mais c'est ce qu'exige la loi.

2. Daniel Hofer, père

La question de savoir si Daniel Hofer, père, a reçu un avis suffisant soulève des questions différentes. Celui‑ci n'a pas été avisé que son expulsion était à l'ordre du jour de l'assemblée du 21 janvier étant donné que la colonie n'avait pas, à ce moment‑là, l'intention de l'expulser. Comme l'a dit la Cour d'appel, Daniel Hofer, père, doit s'être rendu compte qu'il serait question de sa conduite à cette assemblée. Lorsqu'il a été question de l'expulser en raison de son comportement à l'assemblée et de son refus d'accepter la sanction légère qui lui était imposée, on l'a expressément averti, comme l'a conclu le juge de première instance, qu'il [traduction] «s'expulserait lui‑même» s'il ne se repentait pas. Malgré cet avertissement, Daniel Hofer, père, n'a pas accepté la sanction légère et il a été expulsé.

En un sens, Daniel Hofer, père, a été avisé de l'accusation qui pesait contre lui et il a eu l'occasion de répondre quant à l'opportunité de son expulsion. En réalité cependant, l'avertissement n'a précédé que de quelques instants la décision. On peut se demander si, compte tenu de l'importance de la décision à prendre, un avis aussi court est vraiment suffisant. Rien ne donne à penser qu'il était urgent de procéder à l'expulsion elle‑même, quoiqu'il soit clair qu'une certaine mesure disciplinaire s'imposait pour réprimer le comportement de Daniel Hofer, père.

Si on le considère du point de vue des deux membres ayant droit de vote qui étaient absents de l'assemblée du 21 janvier 1987, l'avis semble encore plus insuffisant. Ces deux membres n'avaient pas été avisés qu'il y serait question de l'expulsion d'un de leurs frères. Naturellement, cela s'explique par le fait que la question de l'expulsion ne s'est posée qu'en raison de la conduite adoptée pendant l'assemblée, mais cela ne change rien au fait que les deux membres absents ont été ainsi privés de l'occasion de participer à ces discussions. S'ils avaient su qu'une décision de cette importance serait prise, il est fort possible qu'ils se seraient efforcés davantage d'assister à l'assemblée.

Il aurait été préférable de reporter l'examen de la question de l'expulsion à une assemblée subséquente convoquée pour cette raison après avoir donné un avis suffisant à tous les membres de la colonie ayant droit de vote. On peut comprendre que cela n'a pas été fait en l'espèce parce que la colonie considérait que Daniel Hofer, père, s'était expulsé lui‑même par sa conduite. Cependant, même si l'affaire est perçue ainsi, il fallait que les membres prennent la décision de reconnaître l'expulsion, pour que celle‑ci devienne exécutoire. La justice naturelle exigeait qu'un préavis suffisant de cette décision soit donné à tous les intéressés.

Il y a une certaine ironie à conclure que la colonie a agi de façon trop précipitée en expulsant Daniel Hofer, père, à l'assemblée du 21 janvier 1987, étant donné qu'elle était consciente de la nécessité d'une période d'«apaisement» et avait fixé la tenue d'une autre assemblée au 31 janvier suivant. Toutefois, l'objet de cette assemblée était de voir si Daniel Hofer, père, se repentirait et solliciterait sa réadmission dans la colonie. Cela laisse supposer que la décision prise à l'assemblée antérieure était régulière. Lorsqu'il a été invité à cette assemblée, Daniel Hofer, père, a fait savoir qu'il n'était pas disposé à se repentir puisqu'il contestait la décision initiale et avait demandé un autre examen. Vu que l'assemblée du 31 janvier n'a pas été convoquée dans le but de réexaminer la décision du 21 janvier, on ne peut considérer qu'elle a remédié aux lacunes procédurales de l'assemblée précédente. Cette conclusion s'applique à toutes les autres assemblées, compte tenu surtout du fait qu'elles ont toutes été tenues après le dépôt de l'action en justice.

En conséquence, en raison de l'insuffisance de l'avis d'expulsion le 21 janvier 1987, le pourvoi doit également être accueilli à l'égard de Daniel Hofer, père.

3. Paul Hofer, fils, John Gerald Hofer et Leonard Hofer

Il n'y a aucune preuve que les jeunes défendeurs ont été avisés que la question de leur expulsion serait examinée à l'assemblée à laquelle ont participé les surveillants au début de février 1987. On leur a demandé quel camp ils appuyaient et lorsqu'ils ont répondu qu'ils prenaient parti pour Daniel Hofer, père, ils ont immédiatement été sommés de quitter la colonie. Ils n'ont même pas été avertis, comme l'a été Daniel Hofer, père, qu'ils encouraient l'expulsion s'ils ne changeaient pas d'avis. En conséquence, le pourvoi doit également être accueilli à leur égard.

C. Conclusion

Même s'il s'agit d'une affaire compliquée, toute la suite des événements découle de prises de position erronées de part et d'autre. La colonie s'est trompée en présumant que Daniel Hofer, père, pouvait être expulsé immédiatement à l'assemblée du 21 janvier 1987 et qu'une fois expulsé, tous ceux qui joignaient son groupe pouvaient l'être sans avis ni audition. Daniel Hofer, père, et son groupe ont présumé à tort qu'une fois un autre examen demandé, l'autorité des surveillants prenait immédiatement fin et ils étaient alors libres de diriger eux‑mêmes la colonie. Compte tenu de ces prises de position, il n'est pas étonnant que la situation dans la colonie se soit détériorée comme ce fut le cas. Peut‑être les parties sont‑elles en mesure de résoudre leurs difficultés maintenant que le litige est terminé et que ces positions peuvent être écartées.

Les tribunaux, toutefois, ne sont pas en mesure de garantir que les différends survenus dans la colonie de Lakeside connaîtront un dénouement heureux. En fait, comme le souligne Stoljar dans son article «The Internal Affairs of Associations» paru dans Legal Personality and Political Pluralism, le rôle des tribunaux n'est pas d'intervenir en faveur d'un groupe ou l'autre lorsqu'un conflit naît dans une association volontaire, mais plutôt d'énoncer les règles susceptibles de régir leurs relations (aux pp. 66 et 67):

[traduction] Les gens, comme l'a dit Kant quelque part, sont insociablement sociables. Il leur arrive de s'associer dans un but quelconque puis de se quereller. Le groupe — la majorité de ses membres ou ses dirigeants — peut vouloir expulser le fauteur de troubles; ce dernier, à son tour, peut se plaindre d'être traité injustement. Les deux camps peuvent avoir de bons arguments même si un observateur impartial peut considérer que la querelle soulève beaucoup d'émoi pour rien et que l'infraction ne vaut peut‑être pas l'expulsion. Mais il se peut que l'observateur soit réticent à prendre partie lorsque le différend oppose un individu à un grand nombre de personnes. Ce grand nombre de personnes peuvent sembler trop empressées ou sévères, mais elles représentent également, si tant est qu'on peut représenter quelqu'un, la volonté ou le but collectif du groupe. D'où le profond dilemme de l'intervention judiciaire: d'une part, vous ne voulez pas intervenir parce que vous n'êtes pas en mesure de préciser, et souvent de comprendre, les mérites respectifs des parties; d'autre part, étant ouverts à tous, les tribunaux peuvent être appelés à intervenir, c'est‑à‑dire à accorder ou à refuser le «droit» d'expulsion. Mais peu importe que les tribunaux reconnaissent ou refusent ce droit, leur tâche est difficile et délicate. Il ne s'agit pas d'une tâche politique de protéger le «plus grand nombre» ou de sauvegarder le droit de l'individu à la différence. Leur tâche consiste à formuler des règles neutres et applicables également à toutes les parties.

VI. Dispositif

En définitive, le pourvoi doit être accueilli, les jugements des tribunaux d'instance inférieure infirmés et l'action rejetée. Cela signifie que Daniel Hofer et ses fils n'ont pas été expulsés de la colonie, qu'ils en sont demeurés membres en tout temps et que les trois jeunes défendeurs ont conservé le droit d'y rester.

Le statut des biens qu'ont accumulés les défendeurs soulève une question accessoire. La colonie a demandé une ordonnance leur enjoignant de lui restituer tous les biens lui appartenant. Vu les dispositions des statuts relatives à la propriété des biens, il semble possible que la colonie ait le droit d'obtenir une telle ordonnance même si les défendeurs n'ont pas été validement expulsés. Toutefois, la demande d'ordonnance de restitution des biens a été faite en tenant pour acquis non pas que les défendeurs étaient toujours membres, mais au contraire qu'ils avaient été expulsés. Par conséquent, il y a lieu simplement de rejeter l'action, sans préjudice du droit de la colonie d'entamer, au besoin, d'autres procédures en vue de protéger ses biens.

Les défendeurs ayant eu gain de cause, ils ont droit aux dépens en notre Cour et devant les tribunaux d'instance inférieure. Il y a lieu toutefois de rejeter leur demande de dépens sur la base procureur‑client, faute de circonstances particulières justifiant d'accorder de tels dépens.

//Le juge McLachlin//

Version française des motifs rendus par

Le juge McLachlin (dissidente) — Je partage en grande partie les excellents motifs de mon collègue le juge Gonthier, mais je ne puis souscrire à sa conclusion voulant que les appelants n'aient pas reçu un avis suffisant et, partant, qu'ils aient été expulsés injustement, contrairement aux exigences de la justice naturelle dont les circonstances imposaient le respect en l'espèce.

Comme le souligne le juge Gonthier, le contenu des principes de justice naturelle est souple et dépend des circonstances dans lesquelles la question se pose. Il s'ensuit que, dans l'examen de la décision soumise à son contrôle, le tribunal doit s'assurer de saisir pleinement le cadre institutionnel et factuel dans lequel cette décision a été prise. La question ultime est donc de savoir si la procédure suivie a été équitable en toutes circonstances.

La procédure que prescrit la justice naturelle varie selon les faits de l'instance. Comme l'expliquent en effet les professeurs Jones et de Villars, [traduction] «ce qui est inéquitable dans un contexte peut être équitable dans un autre contexte» (Jones et de Villars, Principles of Administrative Law à la p. 240). À la page 118 de l'arrêt Russell c. Duke of Norfolk, [1949] 1 All E.R. 109, à la p. 118, le lord juge Tucker traite de cette conception souple:

[traduction] J'estime qu'il n'y a pas de mots qui s'appliquent universellement à tous les types d'enquêtes et à toutes les sortes de tribunaux internes. Les exigences de la justice naturelle doivent varier selon les circonstances de l'affaire, la nature de l'enquête, les règles qui régissent le tribunal, la question traitée, etc.

Le juge Dickson a fait siennes et développé ces observations dans Martineau c. Comité de discipline de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, aux pp. 630 et 631:

Le contenu des principes de justice naturelle et d'équité applicables aux cas individuels variera selon les circonstances de chaque cas, comme l'a reconnu le lord juge Tucker dans Russell v. Duke of Norfolk, précité, à la p. 118.

. . . En conclusion, la simple question à laquelle il faut répondre est celle‑ci: compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a‑t‑il agi équitablement à l'égard de la personne qui se prétend lésée? Il me semble que c'est la question sous‑jacente à laquelle les cours ont tenté de répondre dans toutes les affaires concernant la justice naturelle et l'équité.

Le juge Le Dain reprend cette méthode contextuelle dans Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la p. 654:

Évidemment, il s'agit de déterminer ce que l'obligation de respecter l'équité dans la procédure peut raisonnablement exiger des autorités en tant que droit précis en matière de procédure dans un contexte législatif et administratif donné et ce qui devrait être considéré comme une violation de l'équité dans des circonstances particulières.

Somme toute, le tribunal doit décider s'il existe une exigence particulière selon les circonstances de l'affaire.

En ce qui concerne l'exigence particulière d'un avis, il ressort de la doctrine et de la jurisprudence qu'il n'est pas nécessaire d'aviser à l'avance qu'une décision sera prise, lorsque l'objectif de l'exigence d'un avis est atteint. Dussault et Borgeat décrivent avec justesse l'objectif important et manifeste de l'avis dans leur Traité de droit administratif, 2e éd., t. III, 1989, à la p. 393: «Le droit pour une personne de faire valoir ses moyens à l'encontre d'une décision touchant ses droits ou ses intérêts implique qu'elle soit d'abord prévenue et informée des faits sur lesquels se fonde cette décision.» Voir C.D. c. Tramble (1985), 68 N.S.R. (2d) 53; R. c. Halifax‑Dartmouth Real Estate Board; Ex parte Seaside Real Estate Ltd. (1964), 44 D.L.R. (2d) 248; Camac Exploration Ltd. c. Oil and Gas Conservation Board of Alberta (1964), 47 W.W.R. 81.

Vue sous cet angle, l'exigence d'un avis a‑t‑elle été respectée dans les circonstances dont notre Cour est saisie? À mon avis, oui. Il ressort en effet de l'analyse du contexte qu'il n'était pas nécessaire d'aviser formellement les appelants pour qu'ils puissent présenter leur défense; en fait, la question de l'avis formel ne se pose pas parce que les appelants se sont essentiellement expulsés eux‑mêmes, qu'ils ont choisi librement de le faire en connaissant parfaitement les conséquences de leur geste. Subsidiairement, si l'on devait décider qu'une forme quelconque de décision d'expulser a été prise par la colonie, force serait de conclure que les appelants savaient parfaitement à l'avance ce qui devait faire l'objet d'une décision et qu'ils ont eu pleinement l'occasion de se défendre.

J'examine d'abord la fonction de l'avis formel dans le présent contexte. La majorité des juges de la Cour d'appel a tenu pour acquis qu'il s'agissait non pas d'un cas d'expulsion par la colonie, mais bien d'un cas d'auto‑expulsion. Cette conclusion est amplement étayée par la preuve et, en fait, reconnue par mon collègue le juge Gonthier (à la p. 000). Comme l'a conclu le juge de première instance, Daniel Hofer, père, a ouvertement et continuellement désobéi à sa colonie et à son Église. Suivant la doctrine de l'Église, cette conduite entraînait certaines conséquences, ce que tous les appelants comprenaient.

L'Église repose sur la soumission volontaire aux décisions des aînés qui exercent l'autorité, de façon à maintenir l'idéal de vie pacifique et harmonieuse. Il est en tout temps loisible à un membre de se retirer de la colonie. (J'utilise délibérément le masculin puisque seuls les hommes peuvent être membres.) Lorsqu'un membre fait preuve d'insoumission, on convoque une assemblée pour examiner s'il y a lieu de le punir. La punition prend habituellement la forme d'un isolement, ou séparation temporaire, appelé «absonderung». Par exemple, on a dit à Daniel Hofer, père, qu'il devrait, pendant un certain temps, se tenir à l'écart des autres membres pour prendre ses repas et faire les exercices du culte.

Il importe, à ce stade, de souligner divers points. En premier lieu, la «punition» n'est pas imposée, mais offerte. Elle est considérée comme une offre qui permet au contrevenant qui l'accepte de se réconcilier avec les autres membres. En second lieu, la nature de la punition, soit la séparation temporaire, souligne le fondement sur lequel reposent l'Église et les colonies — l'harmonie absolue et l'unité d'intérêts entre tous les membres. Si l'isolement est accepté et pratiqué, l'harmonie est restaurée et l'ancien contrevenant reste membre à part entière.

Si, cependant, le contrevenant rejette la punition, comme il en a le droit, il devient impossible de rétablir l'harmonie. Le contrevenant se coupe de ses frères. Il choisit de s'excommunier lui‑même. La question du vote formel d'expulsion ne se pose donc jamais. Il s'agit simplement de savoir ce que lui, le contrevenant, choisit de faire. Comme l'a écrit le juge Huband au nom de la Cour d'appel à la majorité (1991), 70 Man. R. (2d) 191, à la p. 212:

[traduction] Il ne semble pas qu'un vote formel a été tenu pour confirmer l'excommunication de Daniel Hofer, père, de la congrégation. On s'entendait simplement sur le fait que si quelqu'un ne se soumettait pas à l'absonderung, il n'y avait pas d'autre choix que de procéder à l'excommunication [. . .] L'isolement est conçu comme une mesure temporaire, qui dure jusqu'à ce que l'individu soit disposé à se plier à la volonté de la communauté et à reprendre sa place au sein de celle‑ci. Mais s'il devient évident qu'il n'y a aucune volonté d'accepter l'isolement et donc aucun espoir de réconciliation, il n'y a alors d'autre choix que de procéder à l'excommunication et à l'expulsion de la colonie. Daniel Hofer, père, a reconnu cela en demandant d'être entendu par une «instance supérieure». Les membres de la colonie l'ont aussi reconnu, sans qu'il soit nécessaire de procéder à un vote formel. Comme l'a fait valoir l'avocat de la colonie de Lakeside, Daniel Hofer, père, s'est excommunié lui‑même en refusant de se soumettre à l'absonderung. [Je souligne.]

L'avis formel n'a pas de place ni de raison d'être dans ce processus. Il en est ainsi parce que les membres ne prennent aucune décision qui requerrait un avis. Les membres ont seulement décidé d'offrir la possibilité de réconciliation grâce à l'absonderung ou isolement. Cette offre a renvoyé la balle dans le camp de Daniel Hofer, père. C'est à lui, et à lui seul, qu'il appartenait d'accepter l'absonderung et de se réconcilier avec la communauté, ou de le rejeter et d'être excommunié.

J'ai déjà fait allusion au principe voulant que s'il ne sert à rien de donner un avis formel, l'omission d'aviser ne sera pas alors considérée comme une violation des règles de justice naturelle. En l'espèce, il n'aurait servi à rien de donner avis puisque la seule décision en cause était celle de l'appelant Daniel Hofer, père. Il est illogique d'exiger que la colonie donne avis d'un débat concernant une décision qu'il ne lui appartient pas de prendre. S'il n'y a pas de décision à prendre, il n'y a pas matière à avis. Le juge Gonthier évoque ce point à la p. 000 de ses motifs lorsqu'il fait remarquer qu'on peut comprendre qu'un avis n'a pas été donné «parce que la colonie considérait que Daniel Hofer, père, s'était expulsé lui‑même par sa conduite.»

Toutefois, le juge Gonthier conclut ensuite (à la p. 000) qu'un avis était nécessaire, en partant du principe que la colonie se devait de prendre une autre décision après que Daniel Hofer, père, eut décidé de rejeter l'offre d'absonderung et, partant, qu'il se fut expulsé lui‑même: celle de «reconnaître» l'expulsion:

Cependant, même si l'affaire est perçue ainsi, il fallait que les membres prennent la décision de reconnaître l'expulsion, pour que celle‑ci devienne exécutoire. La justice naturelle exigeait qu'un préavis suffisant de cette décision soit donné à tous les intéressés.

En toute déférence, la preuve n'appuie pas la conclusion qu'il devait y avoir ratification de l'expulsion pour que celle‑ci devienne exécutoire. Les membres peuvent offrir au contrevenant une autre occasion de changer d'avis, comme ils l'ont fait en l'espèce en convoquant l'assemblée du 31 janvier, mais il n'y a aucune preuve qu'ils ont voté ou par ailleurs décidé de «ratifier» l'auto‑expulsion d'un contrevenant. Comme le souligne le juge Gonthier à la p. 000, il semble que même après avoir expulsé un membre, les huttérites ont coutume de ne pas lui demander de quitter immédiatement la colonie. Je note de plus que la constitution de l'Église paraît reconnaître, à l'art. 46, que l'expulsion peut avoir lieu sans vote majoritaire. Le juge Gonthier cite l'arrêt Hofer c. Waldner, [1921] 1 W.W.R. 177 (C.S. Alb.) à l'appui de la proposition voulant que la simple perpétration d'une infraction par un huttérite n'entraîne pas son expulsion définitive. Il se peut qu'il en soit ainsi. Cependant, nul n'a laissé entendre que les infractions de désobéissance de Daniel Hofer, père, ont à elles seules entraîné son expulsion. Ce qu'on dit, avec preuve à l'appui, c'est qu'il a choisi de s'expulser lui‑même lorsqu'il a rejeté l'offre d'absonderung que la colonie lui a faite à l'assemblée du 21 janvier. Dans ces circonstances, les membres n'avaient aucune autre décision à prendre pour compléter le processus.

Subsidiairement, si on adopte le point de vue selon lequel les membres ont pris la décision d'expulser Daniel Hofer, père, à l'assemblée du 21 janvier, il est clair que celui‑ci était parfaitement conscient que s'il maintenait son attitude provocatrice, il ne pourrait pas rester membre de la colonie, qui n'aurait alors d'autre choix, vu ses croyances théologiques, que de le considérer comme expulsé. Comme l'a conclu la Cour d'appel et comme le souligne le juge Gonthier (à la p. 000), «Daniel Hofer, père, doit s'être rendu compte qu'il serait question de sa conduite à cette assemblée.» En tant que membre de l'Église baptisé deux fois, il devait également savoir quelle serait la conséquence inévitable de son refus d'accepter l'offre faite à la suite de l'assemblée. Nulle part n'est‑il allégué qu'il n'a pas pris ces éléments en considération. Bref, comme il était parfaitement au courant de ce qui allait se passer; un avis formel n'était pas nécessaire.

Enfin, la convocation le 31 janvier d'une autre assemblée destinée à permettre à Daniel Hofer, père, de revenir sur sa décision de rejeter l'offre de la colonie a remédié pour l'essentiel à toute omission antérieure de donner avis, étant donné que les membres lui donnaient ainsi une autre chance de venir se réconcilier. Tout ce qu'il aurait pu dire au sujet de l'expulsion à l'assemblée du 21 janvier aurait aussi bien pu l'être avec autant d'effet le 31 janvier. Pour ce motif également, il semble que l'objectif de toute exigence d'avis ait été atteint et qu'il n'y ait aucune inéquité de fond.

J'ai surtout parlé de Daniel Hofer, père. À mon avis, la situation des jeunes hommes qui l'ont suivi n'est guère différente. Tout comme lui, c'est volontairement qu'ils ont choisi de partir. Comme l'a dit Michael Wollman, l'un des aînés, au sujet des fils de Daniel Hofer: [traduction] «... s'ils se rangent ainsi volontairement du côté de leur père, ils sont exclus.» Ils connaissaient les conséquences de leur conduite, comme le déclare le juge Gonthier au sujet des fils de Daniel Hofer (à la p. 000): «Il était clair après l'assemblée du 21 janvier 1987 que ceux qui avaient suivi l'exemple de Daniel Hofer, père, seraient expulsés . . .» Ils ont néanmoins choisi de le suivre. Il ne pouvait pas non plus y avoir d'erreur de leur part. Si l'un de ces jeunes gens avait voulu soutenir qu'il ne partait pas volontairement, il aurait pu le faire savoir. Les membres excommuniés se sont vu offrir le droit d'appel, mais, comme l'a fait observer le juge Huband de la Cour d'appel, les appelants n'ont pas profité de l'occasion qui leur était offerte, à deux reprises. Dans ces circonstances, l'absence d'avis formel n'était au mieux qu'un détail.

Dans l'ensemble, l'Église a traité les appelants de façon ouverte, réfléchie et fort équitable. À maintes reprises tout au long de cette histoire interminable, les membres ont offert à Daniel Hofer, père, et à ceux qui ont choisi de le suivre l'occasion, non seulement d'être entendus, mais aussi de changer d'idée et de réintégrer la communauté ecclésiastique. À maintes reprises, les membres ont vu leurs offres rejetées. Dans ces circonstances, je ne puis souscrire à la conclusion que la colonie a, par sa conduite envers les appelants, contrevenu aux principes de justice naturelle. En réalité, c'est le précepte ecclésiastique fondamental de la soumission pacifique et le fort esprit d'indépendance de Daniel Hofer, père, qui se sont heurtés de plein fouet. L'Église a suivi obstinément la voie de la discussion et des offres de réconciliation. Daniel Hofer, père a tout aussi obstinément rejeté ces ouvertures pour le motif qu'il n'appartenait pas à l'Église de le juger. Comme Luther avec Rome, le problème ne réside pas dans l'inéquité de la procédure suivie ou l'absence d'occasion de se faire entendre; il réside dans la divergence fondamentale qui oppose les parties, divergence qui vouait à l'échec toute procédure quelque juste qu'elle ait pu être.

Je tiens à ajouter un dernier commentaire. À l'instar de la Cour d'appel, je suis sensible à l'inéquité qui paraît résulter du fait que des membres qui, avec leur femme et leurs enfants, ont contribué à l'actif d'une colonie, en soient exclus sans pouvoir en récupérer une partie. Je conviens toutefois avec la Cour d'appel à la majorité que la question des biens n'a pas été soumise à la cour. Les appelants ont intenté des poursuites afin de pouvoir continuer à résider dans la colonie et de pouvoir ainsi conserver la possession de leur part de ses biens. S'ils avaient réclamé le partage des biens et un jugement leur accordant leur part, la cour aurait pu être appelée à revoir la question soulevée dans l'arrêt Hofer c. Hofer, [1970] R.C.S. 958, où notre Cour, à la majorité, a jugé que les personnes expulsées devaient quitter la colonie sans toucher aucune part de ses biens. Mais à ce stade, les appelants réclament seulement le droit de demeurer membres de la colonie. C'est sur ce fondement qu'il nous faut trancher l'affaire.

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi accueilli avec dépens, le juge McLachlin est dissidente.

Procureurs des appelants: Thompson, Dorfman, Sweatman, Winnipeg.

Procureurs des intimés: Baker, Zivot & Company, Winnipeg.


Synthèse
Référence neutre : [1992] 3 R.C.S. 165 ?
Date de la décision : 29/10/1992
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit administratif - Justice naturelle - Audience équitable - Avis suffisant - Appartenance à une Église - Interaction de la Loi, de la constitution de l'Église, des statuts et de la tradition de l'Église - Tradition de réconciliation dans l'Église par l'acceptation des mesures disciplinaires offertes par l'Église, la non‑acceptation entraînant l'auto‑expulsion - Un membre ayant refusé des mesures disciplinaires a été considéré comme expulsé - Est‑ce le conseil constitué en vertu de la Loi ou bien l'Église agissant selon ses traditions qui détient le pouvoir d'expulsion? - A‑t‑on donné un avis suffisant des assemblées de l'Église lors desquelles la question a été examinée?.

Les membres de l'Église huttérite vivent dans des colonies et possèdent leurs biens en commun. Seuls les hommes baptisés ont le droit de voter aux assemblées de la colonie, où le quorum est de quatre cinquièmes des membres ayant droit de vote et où la plupart des décisions sont prises au moyen d'un consensus, sans vote formel. Le cadre institutionnel de l'Église provient a) de la tradition et de la coutume des huttérites, b) des statuts auxquels ont adhéré les membres de la colonie, c) de la constitution de l'Église huttérite et des règles concernant la communauté de biens, et d) de la Loi constituant en corporation «The Hutterian Brethren Church».

Les huttérites s'efforcent de vivre une vie communautaire de paix et d'harmonie, notamment en se soumettant aux décisions des doyens de l'église. Parmi les principes auxquels croient les huttérites figure celui de la punition et de la réconciliation par l'acceptation de cette punition par le contrevenant. La punition traditionnelle est l'Absonderung ou isolement — l'intéressé étant soumis par les membres de la congrégation à différents degrés d'exclusion allant de l'obligation de prendre ses repas et d'exercer le culte tout seul jusqu'à l'exclusion totale. Une personne qui n'accepte pas sa punition et, partant, la réconciliation, est considérée comme s'étant retirée de l'Église et non pas comme en ayant été expulsée.

Le pourvoi porte sur les tentatives d'une colonie huttérite devant les tribunaux de faire expulser Hofer, père, et ceux qui le soutenaient (trois autres membres et trois résidents n'ayant pas encore cette qualité). Plusieurs questions se sont posées concernant l'interaction des différents éléments du cadre formé par l'Église. Une question clé est celle de savoir si l'expulsion pouvait être imposée par le conseil de gestion agissant en vertu de la constitution de l'Église ou si elle pouvait l'être par un conseil traditionnel de l'Église non prévu dans la constitution.

Le différend menant à la situation faisant l'objet du pourvoi tire son origine d'un conflit de revendications des droits de brevet sur un distributeur de moulée pour les porcs. Hofer, père, de la colonie de Lakeside prétendait avoir découvert le mécanisme, mais une autre colonie huttérite avait breveté un distributeur similaire et le cessionnaire de ce brevet a introduit une action visant à faire respecter ses droits découlant du brevet. Quand sa colonie lui a demandé de cesser la fabrication de son distributeur, Hofer, père, a refusé. La question a été examinée au cours d'une assemblée générale des membres de la colonie qui avaient droit de vote. Quand Hofer, père, a persisté à vouloir se faire entendre, le président lui a demandé de quitter la salle et a proposé qu'il soit soumis à l'isolement pendant les repas et l'exercice du culte. Hofer, père, a refusé de se repentir et d'accepter cette sanction. Après d'autres discussions, il s'est fait dire qu'en refusant d'accepter cette mesure disciplinaire, il «s'expulsait lui‑même» et qu'il n'était plus membre de l'Église. Il n'y a pas eu de vote formel; il s'agissait d'un consensus de la part des membres présents. Une nouvelle assemblée a été tenue dix jours plus tard afin de déterminer si Hofer, père, se repentirait et demanderait à être réadmis dans la colonie. On tenait pour acquis que la décision prise à l'assemblée précédente n'était pas entachée d'irrégularité. Hofer, père, avait été informé de la nouvelle assemblée, mais n'y a pas assisté.

À la première assemblée, Hofer, père, a demandé qu'une «instance supérieure» de l'Église soit saisie de l'affaire. Des ministres de l'Église, réunis pour d'autres raisons, ont soulevé la question et ont accédé à la demande avec réticence, après beaucoup de temps et dans un contexte d'acrimonie dans la colonie. Les appelants ont refusé d'assister à l'assemblée prévue à cette fin et les ministres y participant ont décidé d'accroître le degré d'isolement de façon à interdire toute association avec les appelants. Les appelants n'étaient plus avisés des assemblées et la colonie a décidé que leur présence dans la colonie ne pouvait plus être tolérée.

Malgré la décision d'inviter Hofer, père, à une assemblée de «l'instance supérieure» de l'Église, celui‑ci et deux autres personnes ont reçu une lettre des avocats de la colonie les avisant qu'ils avaient été expulsés et les sommant de quitter la colonie à une date déterminée, laquelle était antérieure à celle fixée pour la séance de l'instance supérieure de l'Église. Ils n'ont pas quitté la colonie et la déclaration relative à la présente action a été déposée. La colonie a demandé à la cour d'ordonner aux appelants de quitter définitivement les terres de la colonie et de lui rendre tous les biens qui lui appartenaient. Elle a aussi demandé à la cour de rendre un jugement déclarant que certains appelants n'étaient plus membres de la colonie.

La colonie estimait que Hofer, père, avait renoncé au statut de membre de la colonie, que les trois membres qui le soutenaient étaient automatiquement déchus de ce statut en raison de ce soutien et qu'il n'était pas nécessaire de tenir d'assemblée pour étudier la question. Aucun avis de l'assemblée initiale ni des assemblées subséquentes n'a été donné à ces personnes. On a demandé aux trois jeunes gens, qui n'étaient pas encore membres et qui soutenaient Hofer, père, de quitter la colonie. Ils n'avaient pas été avisés de ce que la question de leur expulsion serait abordée à l'assemblée au cours de laquelle cette mesure a été ordonnée. De fait, on ne les avait même pas prévenus qu'ils risquaient l'expulsion s'ils ne s'amendaient pas.

En première instance, le juge Ferg a donné gain de cause à la colonie et son jugement a été confirmé en appel. La question en l'espèce est de savoir si la Cour devrait aider la colonie huttérite intimée à mettre à exécution l'expulsion des appelants. Pour trancher cette question, la Cour doit déterminer si l'expulsion a été décidée conformément aux règles applicables et aux principes de justice naturelle.

Arrêt (le juge McLachlin est dissidente): Le pourvoi est accueilli.

Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et Iacobucci: Les tribunaux hésitent à connaître de la question de l'appartenance à une association volontaire, particulièrement une association religieuse. Toutefois, ils ont exercé leur compétence lorsqu'un droit de propriété ou un droit civil dépendait de cette question. La colonie estime qu'il s'agit de propriété et les membres touchés qu'il s'agit de droits contractuels.

La personne morale et l'association créée par la constitution de l'Église ne sont ni totalement identiques ni totalement distinctes. La Loi ne donne forme législative qu'à la couche supérieure de la structure établie par la constitution, apparemment parce que la raison d'être de la personne morale était de contrer les menaces extérieures auxquelles était exposée également chacune des conférences huttérites. Il convient donc de considérer la personne morale ecclésiastique et l'Église comme deux entités théoriquement distinctes qui, en pratique, ont les mêmes membres et sont dirigées par les mêmes gestionnaires, aux mêmes assemblées. Le pouvoir existant au sein de l'Église d'expulser un membre ne se limite donc pas à une composante de la personne morale (le conseil de gestion), étant donné que la personne morale régie par la Loi est une entité distincte de l'Église régie par la constitution.

C'est uniquement d'un point de vue extérieur que les documents écrits et les pouvoirs qu'ils énoncent ont une importance primordiale. Une longue tradition constitue pour les membres une sorte d'avis quant aux règles que l'association va suivre. Les associations volontaires sont généralement censées se gouverner elles‑mêmes, avec souplesse. Par conséquent, une tradition ou une coutume qui est suffisamment bien établie peut être considérée comme une règle de l'association, pour le motif qu'elle constitue une condition implicite des statuts. Dans bien des cas, le tribunal aura recours à des témoignages d'experts pour l'aider à comprendre la tradition et la coutume pertinentes.

La tradition suivant laquelle un groupe de ministres désignés par le doyen peut trancher définitivement des litiges que ce dernier leur a soumis est une règle valide. La constitution n'interdit pas expressément une telle délégation. Elle ne fait que conférer un certain pouvoir au conseil de conférence, sans préciser la façon de l'exercer. La tradition incontestée est suffisante pour autoriser la nouvelle délégation de ce pouvoir.

L'article 46 de la constitution et l'art. 39 des statuts habilitent la colonie à expulser un membre de ses rangs. L'article 23 de la constitution investit la conférence du pouvoir d'expulser un membre de l'Église, ce qui signifierait son expulsion automatique de la colonie en vertu de l'art. 39 des statuts. L'article 39 des statuts et l'art. 46 de la constitution mentionnent un vote d'expulsion et différents motifs possibles d'expulsion tels que la désobéissance. Il ressort assez clairement des statuts quelles conditions doivent être remplies et qu'un membre peut être expulsé à la suite d'un vote majoritaire pour différents motifs. Il y a curieusement incompatibilité sur ce point entre la constitution et les statuts. En vertu de l'art. 46 de la constitution, un membre peut être expulsé à la suite d'un vote majoritaire, ou à la suite de différents événements (et non pour différents motifs). Cette petite différence de formulation laisse supposer que l'expulsion peut être automatique à la suite de certains événements, sans qu'il soit nécessaire de procéder à un vote. De toute évidence, la règle veut qu'un vote soit normalement nécessaire, à moins qu'il soit clairement stipulé qu'une certaine conduite emporte automatiquement l'expulsion.

Même s'il est sous‑entendu dans la constitution que certains motifs justifient l'expulsion sans la tenue d'un vote, elle ne précise pas comment l'existence de ces motifs doit être établie. Par conséquent, les statuts ne sont pas incompatibles avec la constitution lorsqu'ils exigent qu'un vote soit tenu pour établir le motif en cause. En prescrivant un vote, ils ne font que combler une lacune de la constitution. La question de savoir si un vote a été tenu est essentiellement une question de fait, et ce vote n'a pas à être formel. Vu que les huttérites préfèrent recourir au consensus plutôt qu'au vote formel lorsque cela est possible, ce sera une question de fait de savoir si, dans une situation donnée, il y a eu un consensus suffisamment clair pour valoir un vote.

Il est possible de démissionner d'une association volontaire en adoptant une conduite manifestant l'intention de le faire. Une telle intention ne se dégage cependant pas de la conduite des appelants.

Il ne peut y avoir expulsion de non‑membres que pour l'omission d'obéir et de se soumettre aux règles, prescriptions, exigences et règlements de la colonie. Les statuts et la constitution sont silencieux quant à la question de savoir à qui revient cette décision, mais il n'est pas nécessaire de résoudre ce point en l'espèce.

Le contenu des principes de justice naturelle est souple et dépend des circonstances dans lesquelles la question se pose. Toutefois, les exigences les plus fondamentales sont la nécessité d'un avis, la possibilité de répondre et l'impartialité du tribunal.

Un membre doit être avisé du motif pour lequel on veut l'expulser. Il ne suffit pas qu'on l'avise simplement que sa conduite sera examinée à une assemblée. Il faut également donner au membre qu'on veut expulser la possibilité de répondre aux allégations qui pèsent contre lui. Une certaine latitude existe quant à l'étendue de cette possibilité. Les défendeurs ont soulevé la question de la partialité, mais il n'est pas nécessaire de l'examiner en l'espèce.

La justice naturelle prescrit l'équité en matière de procédure, quelque évidente que puisse être la décision à prendre. La justice naturelle exige qu'un avis soit donné de la tenue d'une assemblée afin d'examiner l'affaire et que l'occasion de répondre soit accordée. Il se peut que cela ne change rien mais c'est ce qu'exige la loi. Hofer, père, n'a pas reçu un avis suffisant: la tenue de la deuxième assemblée n'a pas remédié aux lacunes procédurales de l'assemblée précédente puisque la deuxième n'a pas été convoquée dans le but de réexaminer la décision prise lors de la première. Cette conclusion s'applique à toutes les autres assemblées, compte tenu surtout du fait qu'elles ont toutes été tenues après le dépôt de l'action en justice. Les autres appelants n'ont pas été avisés du tout de la décision qui serait prise concernant leur statut dans la colonie. Daniel Hofer, père, et ses fils n'ont pas été expulsés de la colonie, ils en sont demeurés membres en tout temps et les trois jeunes défendeurs ont conservé le droit d'y rester.

Le statut des biens qu'ont accumulés les appelants soulève une question accessoire. La colonie a demandé une ordonnance leur enjoignant de lui restituer tous les biens lui appartenant. Vu les dispositions des statuts relatives à la propriété des biens, il semble possible que la colonie ait le droit d'obtenir une telle ordonnance même si les défendeurs n'ont pas été validement expulsés. Toutefois, la demande d'ordonnance de restitution des biens a été faite en tenant pour acquis non pas que les défendeurs étaient toujours membres, mais au contraire qu'ils avaient été expulsés. Par conséquent, il y a lieu simplement de rejeter l'action, sans préjudice du droit de la colonie d'entamer, au besoin, d'autres procédures en vue de protéger ses biens.

Le juge McLachlin (dissidente): La procédure que prescrit la justice naturelle varie selon les faits de l'instance. Il n'est pas nécessaire d'aviser à l'avance qu'une décision sera prise, lorsque l'objectif de l'exigence d'un avis est atteint. En l'espèce, il n'était pas nécessaire d'aviser formellement les appelants pour qu'ils puissent présenter leur défense. En fait, la question de l'avis formel ne se pose pas parce que les appelants se sont essentiellement expulsés eux‑mêmes, qu'ils ont choisi librement de le faire en connaissant parfaitement les conséquences de leur geste. La colonie n'est pas tenue de donner avis d'un débat concernant une décision qu'il ne lui appartient pas de prendre. Si une forme quelconque de décision d'expulser a été prise par la colonie, les appelants savaient parfaitement à l'avance ce qui devait faire l'objet d'une décision et ils ont eu pleinement l'occasion de se défendre.


Parties
Demandeurs : Lakeside Colony of Hutterian Brethren
Défendeurs : Hofer

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Gonthier
Arrêts mentionnés: Ukrainian Greek Orthodox Church of Canada v. Trustees of the Ukrainian Greek Orthodox Cathedral of St. Mary the Protectress, [1940] R.C.S. 586
Lee v. Showmen's Guild of Great Britain, [1952] 1 All E.R. 1175
Baird v. Wells (1890), 44 Ch. D. 661
Hofer c. Hofer, [1970] R.C.S. 958
Organization of Veterans of the Polish Second Corps of the Eighth Army v. Army, Navy & Air Force Veterans in Canada (1978), 20 O.R. (2d) 321
John v. Rees, [1970] Ch. 3451
Hofer v. Waldner, [1921] 1 W.W.R. 177
Cohen v. The Congregation of Hazen Avenue Synagogue (1920), 47 N.B.R. 400
Young v. Ladies' Imperial Club, [1920] 2 K.B. 523.
Citée par le juge McLachlin (dissidente)
Russell v. Duke of Norfolk, [1949] 1 All E.R. 109
Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602
Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643
C.D. v. Tramble (1985), 68 N.S.R. (2d) 53
R. v. Halifax‑Dartmouth Real Estate Board
Ex parte Seaside Real Estate Ltd. (1964), 44 D.L.R. (2d) 248
Camac Exploration Ltd. v. Oil and Gas Conservation Board of Alta. (1964) 47 W.W.R. 81
Hofer v. Waldner, [1921] 1 W.W.R. 177
Hofer c. Hofer, [1970] R.C.S. 958.
Lois et règlements cités
Articles of Association of the Lakeside Colony of Hutterian Brethren, art. 4 à 11, 13, 21, 32 à 35, 39, 42.
Constitution of the Hutterian Brethren Church and Rules as to Community of Property, art. 1, 2(a), (b), (f), 3 à 18, 6, 13, 19 à 32, 21, 23, 29, 33 à 47, 34, 35, 39, 40, 41, 43, 46.
Loi constituant en corporation «The Hutterian Brethren Church», S.C. 1951, ch. 77, art. 2, 3, 4, 5, 6, 7 à 15.
Doctrine citée
Chafee, Zechariah, Jr. "The Internal Affairs of Associations Not for Profit" (1930), 43 Harv. L. Rev. 993.
Dussault, René et Louis Borgeat. Traité de droit administratif, t. III, 2e éd. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 1989.
Forbes, Robert E. "Judicial Review of the Private Decision Maker: The Domestic Tribunal" (1977), 15 U.W.O. L. Rev. 123.
Jones, David Phillip and Anne S. de Villars. Principles of Administrative Law. Toronto: Carswell, 1985.
Ogilvie, M. H. "The Legal Status of Ecclesiastical Corporations" (1989), 15 Can. Bus. L.J. 74.
Stoljar, S. J. "The Internal Affairs of Associations". In Legal Personality and Political Pluralism. Edited by Leicester C. Webb. Melbourne: Melbourne University Press, 1958.

Proposition de citation de la décision: Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer, [1992] 3 R.C.S. 165 (29 octobre 1992)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1992-10-29;.1992..3.r.c.s..165 ?
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