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21/01/1993 | CANADA | N°[1993]_1_R.C.S._252

Canada | Reid Crowther & Partners Ltd. c. Simcoe & Erie General Insurance Co., [1993] 1 R.C.S. 252 (21 janvier 1993)


Reid Crowther & Partners Ltd. c. Simcoe & Erie General Insurance Co., [1993] 1 R.C.S. 252

Simcoe and Erie General Insurance Company Appelante

v.

Reid Crowther & Partners Limited Intimée

Répertorié: Reid Crowther & Partners Ltd. c. Simcoe & Erie General Insurance Co.

No du greffe: 22372.

1992: 13 octobre; 1993: 21 janvier.

Présents: Les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1991), 70 Man. R. (2d)

36, 77 D.L.R. (4th) 243, 47 C.C.L.I. 309, [1992] I.L.R. ¶1‑2703, avec motifs supplémentaires (1991), 73 Ma...

Reid Crowther & Partners Ltd. c. Simcoe & Erie General Insurance Co., [1993] 1 R.C.S. 252

Simcoe and Erie General Insurance Company Appelante

v.

Reid Crowther & Partners Limited Intimée

Répertorié: Reid Crowther & Partners Ltd. c. Simcoe & Erie General Insurance Co.

No du greffe: 22372.

1992: 13 octobre; 1993: 21 janvier.

Présents: Les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1991), 70 Man. R. (2d) 36, 77 D.L.R. (4th) 243, 47 C.C.L.I. 309, [1992] I.L.R. ¶1‑2703, avec motifs supplémentaires (1991), 73 Man. R. (2d) 128, qui a accueilli un appel de la décision du juge De Graves (1990), 66 Man. R. (2d) 142, 45 C.C.L.I. 172, [1990] I.L.R. ¶1‑2642. Pourvoi rejeté.

David I. Marr, pour l'appelante.

Leonard M. French et Dennis Ringstrom, pour l'intimée.

//Le juge McLachlin//

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge McLachlin — Le présent pourvoi porte sur l'interprétation d'une police d'assurance responsabilité «sur la base des réclamations» et soulève deux questions:

(1) Des réclamations successives en dommages‑intérêts découlant du même acte négligent constituent‑elles des réclamations distinctes? Dans l'affirmative:

(2) La seconde réclamation présentée en l'espèce a‑t‑elle été faite pendant la durée de validité de la police?

1. Les faits

L'appelante («Simcoe and Erie») a assuré, pendant dix années consécutives entre le 1er octobre 1971 et le 30 septembre 1981, la firme d'ingénierie intimée («Reid Crowther») en vertu de sa police‑cadre d'assurance responsabilité professionnelle des ingénieurs L55470. Les dispositions de la police prévoyaient que Simcoe & Erie acceptait d'indemniser Reid Crowther à l'égard de la responsabilité envers les tiers. Il s'agissait d'une police d'assurance «sur la base des réclamations», en ce sens que Simcoe & Erie était tenue d'indemniser Reid Crowther seulement lorsqu'une réclamation était présentée «pour la première fois» contre l'assurée pendant la période d'assurance. En d'autres termes, les obligations de Simcoe & Erie en vertu de la police se rattachaient plutôt à la date de présentation de la réclamation qu'à celle de l'acte négligent y donnant lieu. La police prévoyait notamment:

[traduction]

Partie I

Ententes d'assurance

I.Garantie

La compagnie paiera pour le compte de l'assuré toutes les sommes que celui‑ci devient légalement tenu de payer à titre de dommages‑intérêts si sa responsabilité juridique est engagée par suite de services professionnels rendus à autrui, en sa qualité d'architecte ou d'ingénieur, et si cette responsabilité juridique résulte d'une erreur, d'une omission ou d'un acte négligent.

IV.Période d'assurance, territoire

La présente police vise seulement les erreurs, les omissions ou les actes négligents qui se produisent [. . .] a) pendant la période d'assurance, pourvu qu'il y ait réclamation pour la première fois contre l'assuré pendant la période d'assurance, ou b) qui se sont produits avant la date de prise d'effet de la police, pourvu qu'il y ait réclamation pendant la période d'assurance et: (1) que l'assuré n'ait pas été au courant de l'erreur, de l'omission ou de l'acte négligent à la date de prise d'effet de la police . . .

Partie IV

Conditions

1.Avis de réclamation ou de poursuite

Dès que possible après avoir reçu des renseignements concernant ses présumés erreurs, omissions ou actes négligents, l'assuré doit en donner avis écrit à la compagnie, préciser tous les détails qu'il possède relativement à toute réclamation en découlant. [. . .] Dans le cas où une poursuite est intentée, l'assuré doit immédiatement faire parvenir à la compagnie toute assignation ou autre document qu'il reçoit.

En juin 1974, Reid Crowther a conclu un contrat avec la Commission des services d'approvisionnement en eau du Manitoba relativement à la prestation de services d'ingénierie pour la construction d'un réseau de collecte des eaux usées et de distribution d'eau dans la ville de Stonewall, au Manitoba («la ville»). Reid Crowther avait comme mandat d'assurer la conception du réseau, d'en superviser la construction et de garantir la qualité de l'exécution ainsi que des matériaux fournis par l'entrepreneur général. Le réseau a été construit en 1974 et 1975. Le réseau d'égouts et le réseau de distribution d'eau ont respectivement été approuvés et acceptés le 14 novembre 1975 et le 16 juin 1976.

Le nouveau réseau a causé de nombreux problèmes et la ville a déposé une plainte auprès de Reid Crowther et de la Commission des services d'approvisionnement en eau du Manitoba. Il y a également eu des communications directes entre la Commission et Reid Crowther relativement aux problèmes que la ville éprouvait avec le nouveau réseau. En 1978, Reid Crowther a convenu avec la ville que l'installation était insatisfaisante et a reconnu que sa supervision de l'entrepreneur général avait été inadéquate. Les travaux de réparation ont été entrepris aux frais de Reid Crowther. Une réclamation d'indemnité contre Simcoe & Erie a été réglée et une quittance a été signée en janvier 1981. La quittance initialement rédigée par les avocats de Simcoe & Erie visait d'une façon générale [traduction] «les travaux de réparation des réseaux d'eau et d'égouts ainsi que les travaux connexes dans la Ville de Stonewall». Reid Crowther a insisté pour que la quittance soit rédigée en termes moins généraux et vise seulement [traduction] «les travaux de réparation relatifs au gel des tuyaux des services domestiques d'eau et d'égouts, installés à une profondeur insuffisante dans la Ville de Stonewall».

La ville a continué à avoir des problèmes avec le réseau. Le 25 septembre 1981, dans le cadre de travaux d'expansion du réseau, d'autres dommages antérieurs ont été découverts. Le contremaître de la ville a montré à l'ingénieur de chantier de Reid Crowther les lacunes de l'installation initiale ainsi que les dommages nouvellement découverts; il a aussi mentionné à l'ingénieur que l'installation de cette partie du réseau était représentative du travail effectué par l'entrepreneur général, que Reid Crowther avait jugé satisfaisant. Par la suite, le 29 septembre, en présence d'ingénieurs de chantier de Reid Crowther, des travailleurs de la ville ont filmé sur bande magnétoscopique d'importantes parties du tuyau d'égout afin d'évaluer les dommages causés par l'installation fautive. Le contremaître de la ville se trouvait également sur les lieux pendant le filmage et a de nouveau indiqué aux représentants de Reid Crowther qu'il était fort insatisfait de l'état de la conduite d'égout et du travail qui avait été effectué.

Reid Crowther a considéré ces communications comme une demande d'indemnisation. Le 1er octobre 1981, le jour même de l'expiration de la police, le bureau de Winnipeg de Reid Crowther a envoyé une note à son siège social à Calgary, dans laquelle on indiquait que d'autres dommages venaient d'être découverts dans le réseau. Cette note est arrivée à destination le 5 octobre 1981. Le même jour, le bureau de Calgary de Reid Crowther a avisé le représentant de Simcoe & Erie des dommages additionnels.

Le 7 janvier 1982, la ville a demandé de rencontrer Reid Crowther afin d'examiner la question de l'indemnisation relative aux dommages additionnels, informant ainsi officiellement Reid Crowther de ses nouvelles exigences. Finalement, d'autres travaux de réparation ont été effectués aux frais de Reid Crowther, pour un montant total de 250 564,44 $ (y compris les intérêts jusqu'au 31 mars 1989). En outre, Reid Crowther a versé la somme de 62 023,76 $ en règlement de la poursuite que lui avait intentée la province du Manitoba relativement au réseau d'égouts défectueux. Reid Crowther a donc assumé des dépenses totales de 312 588,20 $ (y compris les intérêts jusqu'au 31 mars 1989) au titre de sa responsabilité à l'égard des dommages additionnels. Simcoe & Erie a refusé d'indemniser Reid Crowther de cette somme au motif qu'elle ne se rapporte pas à une réclamation présentée avant la date d'expiration de la police. Il est à signaler que, pour les fins du présent pourvoi, aucune distinction n'a été faite entre la ville et la province.

II. Les questions en litige

1. Lorsqu'une réclamation a été présentée en vertu de la police et qu'une demande d'indemnisation au titre de dommages additionnels découlant du même acte négligent est ultérieurement présentée après l'expiration de la police, les dommages additionnels font‑ils partie de la première réclamation?

2. Si la demande d'indemnisation subséquente ne fait pas partie de la réclamation initiale mais constitue plutôt une réclamation distincte, cette réclamation, compte tenu des faits de l'espèce, a‑t‑elle, de toute façon, été présentée à l'intérieur de la période d'assurance?

Comme on pourra le constater, j'ai conclu qu'il fallait répondre par l'affirmative à ces deux questions.

III. Examen

1.La seconde demande d'indemnisation fait‑elle partie de la même réclamation que la demande initiale?

Contexte: Polices «sur la base des réclamations» et polices «sur la base des événements»

Avant d'examiner les principales questions soulevées en l'espèce, il convient d'examiner la distinction entre les polices d'assurance responsabilité «sur la base des événements» et les polices «sur la base des réclamations».

Toute police d'assurance doit prévoir un mécanisme visant à déterminer les réclamations dont l'assureur se porte garant du point de vue temporel. On a traditionnellement retenu l'événement donnant lieu à la réclamation. Par exemple, la plupart des polices d'assurance automobile offrent une garantie à l'égard des accidents causés par la négligence de l'assuré au cours de la période d'assurance. Si l'acte négligent s'est produit au cours de la période d'assurance, l'assureur est tenu d'indemniser l'assuré de toutes les pertes qui en découlent, quel que soit le moment où la réclamation est présentée contre l'assuré relativement à cette perte. Ce genre d'assurance est une police «sur la base des événements».

Par ailleurs, l'accent peut être mis dans la police sur le moment où la réclamation est présentée par le tiers contre l'assuré. En vertu d'une police «sur la base des réclamations», l'assureur est tenu d'indemniser l'assuré des réclamations présentées au cours de la durée de validité de la police, quel que soit le moment où a pu se produire la négligence donnant lieu à la réclamation. Les actes négligents antérieurs à l'entrée en vigueur de la police sont protégés pourvu qu'une réclamation soit présentée pendant la période d'assurance. Par contre, les actes négligents commis au cours de la période d'assurance ne sont protégés que si une réclamation est présentée contre l'assuré à ce titre pendant la période d'assurance. Comme l'indique John K. Parker dans «The Untimely Demise of the `Claims Made' Insurance Form? A Critique of Stine V. Continental Casualty Company», [1983] Det. C.L. Rev. 25, à la p. 27:

[traduction] En règle générale, les polices «sur la base des événements» couvrent les événements entraînant la responsabilité, qui se produisent au cours de la période d'assurance, quel que soit le moment où est présentée la réclamation. Par contre, les polices «sur la base des réclamations» (ou «sur la base de la découverte des sinistres») couvrent les événements entraînant la responsabilité pourvu qu'une réclamation soit présentée pendant la période d'assurance, quel que soit le moment où se sont produits les événements.

Il importe également de signaler que les expressions «sur la base des réclamations» et «sur la base des événements» ne sont pas des qualifications juridiques qui entraîneront un résultat juridique donné selon la qualification retenue. Il s'agit toujours de déterminer ce que prévoit la police en question, quelle que soit la qualification qu'on lui donne. Cela est d'autant plus vrai qu'il existe un désaccord entre les auteurs sur ce que sont les «véritables» polices «sur la base des réclamations» et les «véritables» polices «sur la base des événements». Par exemple, on se demande si dans l'expression «sur la base des réclamations» les réclamations sont celles que présente un tiers contre l'assuré ou celles que présente l'assuré contre son assureur en vertu de sa police. Dans le cas des «véritables» polices «sur la base des événements», on se demande si l'«événement» est l'acte négligent ou le dommage qui en résulte, ou les deux.

On peut peut‑être trancher ces différends en reconnaissant qu'il peut y avoir différents types de polices d'assurance «sur la base des réclamations» et de polices «sur la base des événements», ainsi que des polices hybrides qui comprennent certains éléments de ces deux types de police. L'important n'est pas la qualification de la police, mais bien son libellé. Les tribunaux doivent dans chaque cas examiner le libellé de la police en question et ne doivent pas simplement tenter de la classer dans l'une ou l'autre catégorie. L'interprétation des polices contestées dans ces cas dépend davantage du libellé même de la police que d'une qualification générale qu'on lui attribue.

Cela dit, il importe de comprendre ce que les parties cherchent à accomplir lorsqu'elles concluent une police «sur la base des réclamations» ou une police hybride, puisque cette compréhension peut aider à interpréter les dispositions de ce genre de police. Comme point de départ de cette analyse, je ferai maintenant un examen du contexte historique de l'utilisation répandue des polices «sur la base des réclamations» et des polices hybrides.

Bien qu'il soit établit que les polices «sur la base des réclamations» et les polices hybrides sont utilisées au Canada, du moins dans une certaine mesure, depuis des décennies, et depuis la première moitié du siècle aux États‑Unis, c'est seulement au cours des quelque 25 dernières années, dans le cas des États‑Unis, et apparemment un peu plus récemment au Canada, que l'utilisation de ces types de police s'est répandue dans l'industrie de l'assurance responsabilité. Les compagnies d'assurances ont commencé à utiliser davantage les polices «sur la base des réclamations» et les polices hybrides en réponse aux graves problèmes auxquels donnait lieu l'utilisation des polices «sur la base des événements». Ces problèmes étaient liés au caractère à long terme des réclamations en matière de responsabilité contre certains types d'assurés.

Les polices d'assurance responsabilité «sur la base des événements» fonctionnement assez bien pour ce qui est des assurés comme les propriétaires d'automobile et les conducteurs. Lorsque le conducteur d'une automobile est négligent et cause des dommages, la nature de l'acte négligent et les dommages qui s'ensuivent sont presque toujours connus au moment où se produit l'acte négligent ou peu de temps après. Toutefois, dans le cas d'assurés qui sont des professionnels comme les médecins, les avocats, les ingénieurs et autres, les dommages peuvent se produire (ou être découverts) de nombreuses années après l'acte négligent. Cela est d'autant plus vrai pour les fabricants et les autres types d'assurés qui peuvent causer des dommages en produisant des produits dangereux ou des déchets toxiques. Par conséquent, pour chacun de ces types d'assurés, les assureurs se portent garants d'un nombre inconnu de réclamations susceptibles d'être présentées longtemps après l'expiration d'une police particulière d'assurance responsabilité «sur la base des événements».

L'évolution du droit et de la science est venue accroître l'incertitude que ces risques à long terme créent pour les assureurs. L'avancement de la science entraînant l'amélioration, tant quantitative que qualitative, de la preuve scientifique de la cause du préjudice, l'évolution du droit en matière de responsabilité juridique (par exemple, les mesures législatives concernant l'établissement d'un fonds de dépollution) et les modifications apportées au droit relativement au montant des dommages‑intérêts n'ont fait qu'intensifier l'incertitude des assureurs quant au nombre de réclamations susceptibles d'être présentées contre leurs assurés et au montant probable des dommages par réclamation relativement auxquels un assureur devra verser une indemnité.

Le caractère à long terme des risques associés aux polices «sur la base des événements» donne lieu à un autre problème dans le cas où les défendeurs ont, au fil des ans, été couverts par des polices d'assurance responsabilité d'assureurs différents. Dans ces cas, il se produisait des différends entre les assureurs quant au moment de l'«événement» — et, partant, quant à l'assureur qui était tenu à l'indemnisation de la perte. Ces différends intensifiaient davantage l'incertitude dans le calcul du risque actuariel des assureurs et entraînaient pour l'industrie de l'assurance des dépenses additionnelles au titre de ces poursuites.

En raison de ces problèmes, les assureurs ont cherché à se protéger contre l'incertitude actuarielle en augmentant considérablement les primes ou en abandonnant carrément le domaine de l'assurance responsabilité pour certains types d'assurés.

Les polices «sur la base des réclamations» (et les polices hybrides) sont apparues comme un moyen de fournir de l'assurance responsabilité à un prix abordable, et d'éviter les problèmes liés au caractère à long terme des risques liés aux polices d'assurance «sur la base des événements». On a jugé d'une part, qu'il serait plus facile de déterminer la date de présentation d'une réclamation que celle de l'«événement» et d'autre part, ce qui est plus important, que les assureurs pourraient faire de meilleures prévisions quant aux réclamations payables en vertu des polices d'assurance responsabilité.

Toutefois, les polices «sur la base des réclamations» et les polices hybrides (tout particulièrement ces dernières), tout en accroissant la prévisibilité pour les assureurs et en réduisant les primes des assurés, ont un côté négatif — une diminution de la garantie. Comme je l'ai déjà fait remarquer, les polices «sur la base des réclamations» sont parfois appelées polices «sur la base de la découverte». Prévoir que la «découverte» d'un sinistre est l'événement qui déclenche la garantie permet de résoudre les problèmes liés à l'utilisation des polices «sur la base des événements», tout en évitant certains des trous de garantie qui sont créés par une police qui prévoit que c'est la «présentation» d'une réclamation qui déclenche la garantie.

L'attitude des assureurs à l'égard de la responsabilité éventuelle connue des assurés (ou des assurés éventuels) donne lieu à une diminution encore plus importante de garantie. Par exemple, la découverte par un fabricant, à la suite d'une réclamation présentée même par un seul consommateur, du fait qu'il a produit des milliers d'unités d'un produit dangereux, soulève d'importantes répercussions quant à l'assurabilité future de ce fabricant. Compte tenu du risque connu de réclamations futures de nature similaire contre ce fabricant, celui‑ci devra payer des primes d'assurance exorbitantes ou se verra catégoriquement refuser toute garantie ou renouvellement de celle‑ci. Par ailleurs, les assureurs peuvent accepter de lui accorder une police d'assurance responsabilité ou de renouveler la police existante, mais exclure du champ d'assurance le type de défectuosité découvert. Bref, les polices «sur la base des réclamations» ou «sur la base de la découverte» permettent aux assureurs d'obtenir des renseignements détaillés sur les réclamations éventuelles avant même d'offrir une garantie (ou son renouvellement) à une personne et, ainsi, d'éviter d'avoir à indemniser des assurés d'une partie importante des réclamations éventuelles qui existent à la date de prise d'effet de la garantie (ou de son renouvellement).

Pour refuser d'accorder une garantie dans certains cas de responsabilité éventuelle de leurs assurés, les assureurs ont plus fréquemment recours à une disposition standard qui exclut de la garantie les réclamations découlant d'un acte négligent dont l'assuré était au courant à la date de prise d'effet de la garantie (ou du renouvellement). Cette façon de procéder est incompatible avec le fondement théorique des véritables polices «sur la base des réclamations». Puisque c'est la réclamation même qui est l'élément principal d'une véritable police «sur la base des réclamations» — et non l'acte négligent —, le fait que l'assuré soit au courant avant la prise d'effet de la garantie (ou de son renouvellement) de l'existence d'un acte négligent antérieur ne devrait pas constituer un obstacle à la garantie. On peut dire que les polices assorties de ce genre de disposition sont davantage des polices hybrides que de véritables polices «sur la base des réclamations». L'assureur se trouve en fait à avoir incorporé dans sa police un élément d'une police «sur la base des événements».

Les polices dites «sur la base des réclamations présentées et déclarées» sont un autre type de restriction de garantie à l'égard des polices «sur la base des réclamations» et des polices hybrides. Dans le cadre de ces polices, la garantie s'applique seulement aux réclamations qui sont à la fois présentées à l'assuré et déclarées à l'assureur pendant la période d'assurance. Ce type de police crée des problèmes évidents pour les assurés relativement aux réclamations découvertes ou présentées par des tiers juste avant la date d'expiration de la police. Dans son article intitulé: «Professional Liability Insurance: The Claims Made and Reported Trap» (1991), 19 W. St. U. L. Rev. 165, Lee Roy Pierce, Jr. affirme, à la p. 171:

[traduction] Les polices sur la base des réclamations présentées et déclarées sont moins coûteuses parce que, du point de vue statistique, il est probable qu'un certain nombre d'assurés estimeront impossible de déclarer leurs réclamations à temps. En conséquence, les primes du groupe sont moins élevées parce que, du point de vue statistique, il est probable que de nombreux assurés (qui ont effectivement subi la perte assurée) renonceront à la garantie.

Selon Pierce, cette situation va à l'encontre de l'objet même de l'achat d'une police d'assurance responsabilité, qui, pour l'assuré, consiste à échanger une perte éventuelle (l'incertitude) contre une perte certaine (la prime versée à l'assureur).

De la même manière, une police normalisée diffusée en 1986 par le Bureau d'assurance du Canada a été critiquée par Thomas R. M. Davis dans «The New IBC Standard Form Commercial General (Claims‑Made) Liability Policy» (1987), 5 Can. J. Ins. 77. De l'avis de Davis, à la p. 78:

[traduction] L'objectif de la formule d'assurance sur la base des réclamations est de permettre aux assureurs de prévoir les responsabilités en cours plutôt que de garantir des responsabilités imprévisibles à long terme (base des événements). Il n'y a pas de doute que cette formule permettra d'atteindre cet objectif, principalement en plaçant sur les épaules de l'assuré une grande partie du risque des responsabilités à long terme imprévisibles.

Bref, s'il est raisonnable de soutenir qu'une certaine partie de la diminution des primes (et de l'offre plus importante de garantie) que l'on associe aux polices «sur la base des réclamations» et aux polices hybrides s'explique par une plus grande certitude sur le plan des risques, il demeure que ces types de police sont moins coûteux et plus faciles à obtenir que les polices «sur la base des événements» principalement parce qu'ils comportent en soi d'importants trous de garantie.

Cela ne veut pas dire que les polices «sur la base des réclamations» ou les polices hybrides qui comportent de tels trous de garantie sont nécessairement injustes pour l'assuré. Il appartient à l'assuré d'accepter de conclure une entente d'indemnisation assortie de risques accrus (si cette expression n'est pas antinomique) en échange d'une prime moins élevée. La question de l'équité se pose seulement si l'assuré ne sait pas qu'il achète une police «assortie de risques accrus». Toutefois, je tiens à préciser que la plupart des assurés achètent une assurance responsabilité en tenant pour acquis qu'ils sont assurés contre tous les types de responsabilité, sans se rendre compte qu'il peut exister des trous de garantie dans leur assurance. Il ressort donc de ces considérations qu'il faut examiner avec prudence les polices dites «sur la base des réclamations» afin de déterminer si, globalement, elles placent clairement sur les épaules de l'assuré le risque de la responsabilité à long terme. Plus particulièrement — compte tenu toujours de l'application du principe de la découverte dont l'objet est d'éviter les problèmes que présentent les polices «sur la base des événements» —, les tribunaux devraient prendre soin de ne pas interpréter les polices «sur la base des réclamations» ou les polices hybrides de façon à exclure les réclamations découvertes par l'assuré au cours de la période d'assurance au motif que la réclamation est entachée d'une erreur de forme. S'ils le faisaient, ils pourraient injustement priver des personnes de la garantie qu'elles croyaient, de manière raisonnable, avoir contractée.

Qualification de la police de Simcoe & Erie

La police en cause est à première vue une police «sur la base des réclamations», mais elle comporte des caractéristiques d'une police «sur la base des événements». Elle peut donc être considérée plutôt comme une police hybride.

La clause IV de la partie I de la police est un type de clause que l'on rencontre dans les polices «sur la base des réclamations». L'assureur cherche à se porter garant seulement des réclamations présentées à l'assuré au cours de la période d'assurance. Toutefois, dans cette même clause, l'assureur établit une catégorie de réclamations présentées au cours de la période d'assurance dont il ne se portera pas garant — les réclamations découlant d'actes antérieurs à la police dans le cas où l'assuré était [traduction] «au courant de l'erreur, de l'omission ou de l'acte négligent à la date de prise d'effet de la police . . .» L'assureur cherche ainsi à obtenir un avantage qu'il aurait en vertu d'une police «sur la base des événements», en excluant de la garantie les réclamations découlant de certains actes négligents survenus avant la date de prise d'effet de la police.

On peut également soutenir, par interprétation, que les parties ont, dans la police qu'elles ont conclue, accordé à l'acte ou à l'omission négligent davantage d'importance qu'elles ne l'auraient fait en vertu d'une véritable police «sur la base des réclamations». Je fonde cet argument non seulement sur l'exclusion des réclamations se rapportant à des actes négligents antérieurs dont l'assuré était au courant, mais aussi sur d'autres parties de la police. L'intitulé de la clause I de la partie IV, [traduction] «Avis de réclamation ou de poursuite», indique que l'on y traitera des avis de ce genre de réclamations. Toutefois, la clause en question prévoit que l'assuré doit donner sans tarder un avis écrit [traduction] «de ses présumés erreurs, omissions ou actes négligents» «[d]ès que possible après avoir reçu des renseignements [les] concernant». On laisse donc entendre qu'une «réclamation» est assimilée à l'acte ou à l'omission négligent dont elle découle. À tout le moins, le libellé de cette clause crée une ambiguïté dans la police quant à savoir s'il s'agit d'une véritable police «sur la base des réclamations» ou d'un autre type de police.

Interprétation de la police de Simcoe & Erie

Cela m'amène à l'examen de la première question en litige: le terme «réclamation» utilisé à la clause IV de la partie I de la police comprend‑il une demande d'indemnisation présentée après l'expiration de la police relativement à une erreur, à une omission ou à un acte négligent qui avait déjà donné lieu à une réclamation pendant la période d'assurance?

Comme nous l'avons déjà indiqué, la distinction entre les polices «sur la base des réclamations» et les polices «sur la base des événements» ne permet pas de résoudre cette question. Dans chaque cas, les tribunaux doivent examiner les dispositions de la police contestée (et les circonstances qui l'entourent) afin de déterminer si les actes en question sont visés par la garantie de cette police. Je ne veux pas dire qu'il n'existe pas de principes applicables à ce type d'analyse. Loin de là. Dans chaque cas, les tribunaux doivent interpréter les dispositions de la police contestée en fonction des principes généraux d'interprétation des polices d'assurance, y compris notamment:

(1) la règle contra proferentum;

(2) le principe que les dispositions concernant la garantie doivent recevoir une interprétation large, et les clauses d'exclusion une interprétation restrictive;

(3) le fait qu'il est souhaitable, tout au moins dans les cas où la police est ambiguë, de donner effet aux attentes raisonnables des parties.

Voir Brown et Menezes, Insurance Law in Canada (2e éd. 1991), aux pp. 123 à 131, et Brissette, Succession c. Westbury Life Insurance Co., [1992] 3 R.C.S. 87.

S'il s'agissait d'une véritable police «sur la base des réclamations», on aurait des arguments plus solides pour soutenir que les dommages additionnels ne sont pas visés par la garantie. Dans ce cas, il suffirait de se demander quand a été présentée à l'assuré la demande d'indemnisation des dommages découverts en 1981. On pourrait alors soutenir que l'origine de la réclamation (l'acte ou l'omission négligent) et l'existence d'une demande antérieure d'indemnisation relativement à d'autres dommages résultant du même acte négligent n'ont aucun rapport avec la question de savoir si la nouvelle demande d'indemnisation a été présentée pendant la période d'assurance. Le résultat obtenu ne serait pas injuste; l'assuré n'aurait qu'à présenter sa réclamation en vertu de la police subséquente qu'il aurait conclue sur la même base. Comme elle tient à la fois d'une police «sur la base des réclamations» et d'une police «sur la base des événements», la police de Simcoe & Erie ne permet pas d'avancer ces arguments, mais donne plutôt à entendre que l'acte ou l'omission qui a donné lieu à la réclamation est une question d'une importance considérable.

Certaines dispositions de la police indiquent que l'acte ou l'omission qui a donné lieu à la réclamation revêt une importance considérable. Premièrement, comme je l'ai déjà indiqué, dans le cas où l'acte ou l'omission s'est produit avant la date d'effet de la police, on doit se demander si l'assuré était au courant — non pas de la réclamation — mais de l'acte ou de l'omission qui y a donné lieu.

Deuxièmement, dans des cas comme en l'espèce, si l'acte négligent s'est produit au cours de la période d'assurance, les dispositions concernant l'avis à donner laissent entendre que la «réclamation» dont il est question dans la clause IV de la partie I, peut être l'acte ou l'omission négligent. Une disposition exigeant de l'assuré qu'il donne un avis relativement à des questions qui ne constituent pas une réclamation n'est pas incompatible avec une véritable police «sur la base des réclamations»; l'assureur peut demander ce qu'il veut pour évaluer les risques qu'il prend. Toutefois, comme il est question d'«erreurs, omissions ou actes négligents» sous la rubrique intitulée «Avis de réclamation ou de poursuite», on soutient que le terme «réclamations» utilisé dans la police comprend, tout au moins en partie, une allégation d'acte ou d'omission négligent.

Une troisième source d'ambiguïté dans la police est liée à l'emploi, à la clause IV de la partie I, des expressions «pourvu qu'il y ait réclamation» et «pourvu qu'il y ait réclamation pour la première fois». Le terme «réclamation» n'est précédé d'aucun article ni défini ni indéfini. Dans le contexte de la clause IV de la partie I, l'expression aurait un sens tout à fait différent si elle était précédée d'un article défini ou indéfini. Dans les passages cités, si l'expression était précédée d'un article indéfini (a ou une), alors le libellé de la police semblerait offrir une garantie relativement à chacune des réclamations découlant de la même erreur, de la même omission ou du même acte négligent dans la mesure où au moins «une» réclamation a été présentée pendant la période d'assurance. Par contre, si l'expression était précédée d'un article défini (the ou la), Simcoe & Erie aurait été en meilleure position pour soutenir que la réclamation présentée en 1978 n'a rien à voir avec la question de savoir si les dommages découverts en 1981 sont visés par la garantie offerte en vertu de sa police.

Ces ambiguïtés, interprétées conformément à la règle contra proferentum, militent en faveur d'une interprétation de la police qui favoriserait l'assuré plutôt que l'assureur qui a rédigé la police. On arrive au même résultat en appliquant la règle que les dispositions en matière de garantie doivent recevoir une interprétation large.

Passons maintenant à l'examen du troisième principe pertinent d'interprétation, celui des attentes raisonnables des parties. Sans me prononcer sur la portée de ce principe, j'estime qu'il est établi qu'en cas d'ambiguïté les tribunaux doivent tenir compte des attentes raisonnables des parties: Wigle c. Allstate Insurance Co. of Canada (1984), 49 O.R. (2d) 101 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée [1985] 1 R.C.S. v. L'assuré s'attend raisonnablement, à tout le moins, que le régime d'assurance lui fournira, sur une base continue, une garantie au titre de réclamations légitimes. On doit présumer que les parties ont l'intention soit de fournir, soit d'obtenir, sur une base continue, une garantie relativement à toutes les réclamations légitimes, que ce soit par le renouvellement d'une police avec le même assureur ou la conclusion d'un nouveau contrat d'assurance avec un assureur différent. Cette présomption est compatible avec le principe de la découverte que j'ai déjà examiné en ce que l'assureur bénéficie d'une certaine certitude dans le calcul de ses risques, sans créer injustement de trous de garantie. Toutefois, l'interprétation de la police que l'assureur préconise pourrait bien aller à l'encontre de cet objectif.

Soutenir qu'une indemnité réclamée après l'expiration de la police ne fait pas partie de la réclamation équivaudrait à affirmer qu'un assuré comme Reid Crowther ne pourrait pas, dans certaines circonstances, être indemnisé d'une perte. À supposer pour le moment que la firme Reid Crowther ait, le 1er octobre 1981, renouvelé sa garantie avec Simcoe & Erie, comme elle l'avait fait au cours des dix années précédentes, elle n'aurait peut‑être pas pu être indemnisée des autres dommages découverts pendant la durée de validité de la police renouvelée. Cela aboutit à l'absurdité que Reid Crowther n'avait peut‑être aucune garantie relativement aux dommages découverts en 1981, même si elle avait été continuellement assurée par Simcoe & Erie. Reid Crowther n'aurait pu présenter de réclamation en vertu de la police en vigueur au moment de la découverte de l'acte négligent et de la première «réclamation» de dommages si l'on accepte l'argument de Simcoe & Erie que la réclamation n'est pas visée par la police en question. Par ailleurs on peut soutenir que Reid Crowther n'aurait pas pu présenter de réclamation en vertu de la police renouvelée parce qu'elle était au courant de l'acte négligent donnant lieu à la réclamation avant la date de prise d'effet de la nouvelle police. Reid Crowther n'aurait donc bénéficié d'aucune garantie. Elle ferait alors partie du nombre prévisible du point de vue actuariel des assurés qui, selon Pierce, ne peuvent obtenir une indemnisation d'assurance parce qu'ils se retrouvent assis entre deux chaises. Par conséquent, si l'on estime que la police de Simcoe & Erie fait partie d'un système d'assurances successives visant à fournir une assurance responsabilité d'une année à l'autre, on ne saurait adopter l'interprétation que nous propose l'assureur.

Je conclus que la Cour d'appel a eu raison de décider que les dommages découverts en 1981 faisaient partie de la réclamation initiale présentée au cours de la période d'assurance.

2.Si les dommages de 1981 constituent une réclamation distincte, la réclamation a‑t‑elle été présentée pendant la période d'assurance?

Vu la conclusion à laquelle j'arrive relativement à la première question en litige, il est techniquement inutile d'examiner la seconde. Néanmoins, compte tenu de l'importance de la seconde question relativement à l'interprétation des polices «sur la base des réclamations» et des polices hybrides, notre Cour ne devrait pas, à mon avis, s'abstenir de statuer sur cette question. À supposer, pour les fins de notre analyse, que j'aie conclu que les dommages découverts subséquemment donnent lieu à une réclamation distincte contre l'assuré, il s'agit alors de déterminer si la réclamation a été présentée le 25 septembre 1981 lorsque le contremaître de la ville a montré les dommages additionnels au représentant de Reid Crowther ou le 29 septembre 1981 lorsque l'on a, en présence des représentants de Reid Crowther, filmé sur bande magnétoscopique la conduite d'égout endommagée.

Selon la jurisprudence et la doctrine, en règle générale, pour qu'une «réclamation» soit présentée, le tiers doit d'une façon quelconque communiquer à l'assuré l'existence d'une demande d'indemnisation ou d'un autre type de réparation ou encore, il doit tout au moins lui communiquer qu'il a clairement l'intention de tenir l'assuré responsable des dommages en question: Jeanine Dumont, "What Every Professional Should Know Before Buying Claims‑Made Liability Insurance" (1985), 35 Fed. Ins. Couns. Q. 363, à la p. 374; Continental Casualty Co. c. Enco Associates, Inc., 238 N.W. 2d 198 (Mich. App. 1975); Williamson & Vollmer Engineering, Inc. c. Sequoia Insurance Co., 134 Cal.Rptr. 427 (App. 1976). Voir également: Gordon Hilliker, Liability Insurance Law in Canada (1991), aux pp. 136 et 137; Rowland H. Long, The Law of Liability Insurance (1992), vol. 2, à la p. 12C‑54; San Pedro Properties, Inc. c. Sayre & Toso, Inc., 21 Cal.Rptr. 844 (App. 1962); Hoyt c. St. Paul Fire and Marine Insurance Co., 607 F.2d 864 (9th Cir. 1979); Phoenix Insurance Co. c. Sukut Construction Co., 186 Cal.Rptr. 513 (App. 1982); Mt. Hawley Insurance Co. c. Federal Savings & Loan Insurance Corp., 695 F.Supp. 469 (C.D.Cal. 1987); Jensen c. Snellings, 841 F.2d 600 (5th Cir. 1988); Safeco Title Insurance Co. c. Gannon, 774 P.2d 30 (Wash. App. 1989), requête en révision refusée 782 P.2d 1069 (Wash. 1989); Stevenson c. Simcoe & Erie General Insurance Co., [1981] I.L.R. ¶1‑1434 (B.R. Alb.); St. Paul Fire and Marine Insurance Co. c. Guardian Insurance Co. of Canada (1983), 2 C.C.L.I. 275 (C.A. Ont.); Peacock c. Roberts (1985), 15 C.C.L.I. 36 (C.S.C.‑B.), conf. par (1990), 42 C.C.L.I. 196 (C.A.C.‑B.); McNish & McNish c. American Home Assurance Co. (1989), 39 C.C.L.I. 200 (H.C. Ont.), conf. par (1991), 5 C.C.L.I. (2d) 222 (C.A. Ont.); Defrancesco c. Stivala, [1989] I.L.R. ¶1‑2524 (H.C. Ont.), inf. par [1992] I.L.R. ¶1‑2896 (C.A. Ont.).

La jurisprudence et la doctrine font une distinction entre, d'une part, la communication d'une demande ou d'une déclaration de responsabilité qui suffit à déclencher l'application de la garantie en vertu d'une police sur la base des réclamations, et, d'autre part, (1) les simples demandes de renseignements, (2) le dépôt d'une action en justice sans qu'elle soit signifiée à l'assuré ou sans qu'il soit informé de la réclamation contenue dans la poursuite, et (3) les expressions d'insatisfaction qui n'ont clairement pas comme objet de transmettre une demande d'indemnisation pour les dommages. Ce sont là des distinctions valides.

La règle selon laquelle il doit y avoir communication d'une demande ou d'une déclaration de responsabilité pour qu'il y ait «présentation» d'une réclamation soulève toutefois d'autres questions quant à savoir ce qui constitue une demande ou une déclaration de responsabilité et si les faits permettent de prouver cette demande ou déclaration. Les arrêts américains et canadiens que j'ai mentionnés, dans lesquels les tribunaux ont conclu qu'il n'y avait pas eu réclamation, se distinguent par rapport à l'un ou l'autre des facteurs suivants ou aux deux: (1) le libellé des polices en question, qui précisait qu'une «réclamation» signifiait une demande expresse; ou (2) les faits, qui ne permettaient pas d'établir qu'il y avait eu présentation d'une réclamation au sens de la règle générale. J'examinerai maintenant ces arrêts et le présent pourvoi dans ce contexte.

Commençons tout d'abord par le libellé des polices. Dans l'arrêt Safeco Title Insurance Co. c. Gannon, précité, le tribunal a conclu que l'indication plutôt claire donnée par le tiers de son intention d'intenter une poursuite ne constituait pas une réclamation, car la police établissait une distinction explicite entre les «réclamations» et [traduction] «les faits et circonstances susceptibles de donner lieu à une réclamation subséquente». De même, dans les arrêts Jensen c. Snellings et Hoyt c. St. Paul Fire and Marine Insurance Co., précités, ainsi que dans certains autres arrêts que je n'ai pas cités, les tribunaux américains ont affirmé non seulement qu'une réclamation signifie habituellement une demande d'un type quelconque, mais aussi que le libellé de la police donnée appuie la conclusion que l'on a voulu donner aux termes leur sens ordinaire.

Dans le présent pourvoi, la police est loin d'être claire sur le sens du terme «réclamation». Comme je l'ai déjà affirmé, la police laisse supposer que l'allégation de négligence peut constituer une réclamation et elle n'établit pas de distinction entre une demande officielle et une expression moins officielle d'une intention d'intenter une poursuite que la personne raisonnable interpréterait comme une réclamation. En conséquence, la jurisprudence permet de conclure qu'il peut y avoir réclamation en l'absence d'une demande officielle. En fait, dans un arrêt américain dans lequel le libellé de la police visée était fort semblable à celui de la police de Simcoe & Erie (J. G. Link & Co. c. Continental Casualty Co., 470 F.2d 1133 (9th. Cir. 1972), certiorari refusé 414 U.S. 829 (1973)), le tribunal a conclu que la police était ambiguë quant au sens du terme «réclamation» — et qu'il considérait donc la réclamation comme ayant été présentée pendant la période d'assurance lorsque l'architecte assuré a reçu, au cours de la période en question, une plainte relative au craquement d'un plancher.

Dans l'application de la jurisprudence, il importe aussi d'examiner les faits de l'affaire en question. On exige une certaine forme de demande ou de déclaration de responsabilité et non une demande ou une déclaration officielle de responsabilité, sauf dans le cas où la police l'exige expressément. En vertu d'une police comme en l'espèce, qui ne renferme aucune exigence explicite quant à une demande officielle ou à toute autre demande, la question de savoir s'il y a eu «présentation» d'une réclamation sera tranchée en fonction des faits de l'affaire. Il n'y a pas de formule magique. Il faut examiner ce que le tiers a communiqué à l'assuré par ses paroles et sa conduite. Si le message est clair, le fait que le tiers s'est, par politesse, abstenu de formuler en termes juridiques catégoriques sa demande ou son intention de tenir l'assuré responsable ne devrait pas empêcher la conclusion qu'il y a eu présentation d'une réclamation. Lorsqu'un assuré raisonnable conclurait, dans toutes les circonstances, qu'un tiers lui a présenté une réclamation en ce sens qu'il a compris qu'une poursuite serait intentée contre lui à défaut d'un paiement satisfaisant ou d'une autre forme de réparation, on peut affirmer qu'il y a eu présentation d'une réclamation, même sans demande ou déclaration de responsabilité officielles.

Certains arrêts appuient la nécessité de tenir compte des attentes raisonnables des parties lorsque l'on détermine s'il y a eu présentation d'une réclamation. Par exemple, dans l'arrêt Continental Casualty Co. c. Robert McLellan & Co., [1973] 5 W.W.R. 475 (C.S.C.‑B.), le juge Monroe a refusé de donner au terme «réclamation» une interprétation restreinte dans un cas où une telle interprétation aurait eu une incidence sur la franchise, parce que, à son avis, il ne faudrait pas interpréter le terme «réclamation» de façon à contrecarrer l'intention des parties (l'assuré et l'assureur) que l'on peut déduire des circonstances, à la p. 479:

[traduction] Les parties ne peuvent avoir eu l'intention que le retard mis par les réclamants à présenter une réclamation officielle contre le défendeur profite au demandeur au détriment du défendeur dans les circonstances que j'ai mentionnées.

Dans la jurisprudence américaine, l'arrêt Hoyt c. St. Paul Fire and Marine Insurance Co., précité, présente un intérêt particulier en l'espèce. L'assuré était un avocat poursuivi pour négligence dans la rédaction d'un testament. Dans cet arrêt, il s'agissait de savoir si une lettre envoyée par l'avocat de la succession demandant une explication de l'erreur contenue dans le testament pouvait être considérée comme une réclamation au sens de la police. La cour, à la majorité, a conclu que le libellé de la police exigeait une demande plus officielle, faisant une distinction d'avec l'arrêt J. G. Link & Co. c. Continental Casualty Co., précité. (Dans le présent pourvoi, le libellé de la police ressemble davantage à celui dont il était question dans l'arrêt Link qu'à celui de l'arrêt Hoyt.) Le juge dissident n'aurait pas établi de distinction par rapport à l'arrêt Link et il était d'avis qu'il y avait eu présentation d'une réclamation sur le fondement de ce que l'assuré pouvait raisonnablement comprendre, dans les circonstances, des intentions de l'avocat de la succession (aux pp. 867 et 868):

[traduction] Hoyt soutient que la lettre du 5 avril constitue une réclamation au sens large, soit un simple avis établissant une possibilité de négligence de sa part dans la prestation d'un service juridique.

Bien que je ne sois pas entièrement d'accord avec la définition libérale donnée au terme «réclamation» par Hoyt, j'estime, comme lui, qu'une réclamation pour inconduite professionnelle a été présentée contre lui en raison du contenu même de la lettre du 5 avril envoyée pendant la période d'assurance. La lettre du 5 avril établit clairement que la succession Cope a subi une perte financière en raison d'une pratique professionnelle douteuse de Hoyt. Il serait téméraire pour tout avocat raisonnable d'interpréter la demande polie de renseignements sur la question adressée par Henry à Hoyt comme autre chose qu'une réclamation visant à obtenir de lui qu'il justifie la conduite professionnelle contestée ou qu'il paie.

On a aussi adopté un point de vue non technique de ce qui constitue une réclamation dans l'arrêt St. Paul Fire and Marine Insurance Co. c. Guardian Insurance Co. of Canada, précité. Dans cette affaire, il s'agissait de savoir si une réclamation avait été présentée dans le cas où une action en justice avait été déposée, mais non signifiée à l'assuré (ou autrement portée à son attention). Dans ses motifs, le juge Goodman affirme, à la p. 286:

[traduction] Une réclamation, autre qu'une action en justice, ne peut être présentée que par un avis à la personne contre qui elle est dirigée.

Il importe de signaler que le juge Goodman n'a pas proposé qu'il doit s'agir d'un avis officiel ou explicite. Le juge Thorson (avec l'appui du juge Houlden) a par ailleurs exprimé l'opinion suivante, à la p. 294:

[traduction] . . . une réclamation [. . .] est «présentée» si elle est notifiée à la personne contre qui elle est dirigée ou autrement portée à son attention. Toutefois, quelle que soit la façon dont la réclamation est présentée, il s'agit essentiellement de vraiment en «faire comprendre» la substance à cette personne. [Je souligne.]

Pour une analyse semblable, voir l'arrêt Peacock c. Roberts, précité.

En l'espèce, on peut soutenir avec conviction qu'une personne raisonnable dans la situation de Reid Crowther aurait sûrement déduit que la ville présentait une réclamation contre elle lorsque le contremaître de la ville a, le 25 septembre, montré à l'ingénieur de chantier les autres dommages qui avaient été découverts et qu'il lui a dit qu'ils étaient représentatifs du travail effectué par l'entrepreneur général dans le cadre du projet et approuvé par Reid Crowther. Cet argument est encore plus convaincant par rapport aux événements qui se sont produits le 29 septembre — c'est ce jour là que les dommages ont été filmés sur bande magnétoscopique et que le contremaître de la ville a fait aux représentants de Reid Crowther d'autres commentaires critiquant le travail de l'entrepreneur général et la supervision des travaux par Reid Crowther. Une réclamation avait déjà été présentée contre Reid Crowther pour négligence dans l'inspection des travaux réalisés dans le cadre du même projet. Reid Crowther avait reconnu sa négligence dans la supervision de l'entrepreneur général et avait assumé le coût des réparations antérieures à la demande de la ville. Il ne pouvait y avoir aucun doute quant aux intentions de la ville à la fin de septembre relativement aux dommages qui venaient d'être découverts; la ville s'attendait que Reid Crowther assume le coût des réparations comme elle l'avait fait pour les autres réparations. C'est ce qu'a compris Reid Crowther; son bureau de Winnipeg a immédiatement communiqué avec son siège social, qui, lui, a immédiatement communiqué avec son représentant d'assurance. Tout le monde savait ce qui s'était passé lors des rencontres sur le chantier — c'est‑à‑dire, qu'il y avait eu une déclaration de la responsabilité de Reid Crowther et une demande d'indemnisation. Pour reprendre les propos de l'arrêt St. Paul Fire and Marine Insurance Co. c. Guardian Insurance Co. of Canada, précité, on a fait comprendre à Reid Crowther la substance de la réclamation avant l'expiration de la police.

Simcoe & Erie aurait pu rédiger la police de façon à exiger une demande écrite officielle pour déclencher l'application de la garantie. Comme elle ne l'a pas fait, elle doit accepter que les faits et circonstances peuvent servir à établir une demande ou une déclaration de responsabilité qui permettront de constituer une «réclamation» au sens de la police. À mon avis, c'est ce qui se passe en l'espèce. En concluant que la réclamation n'avait pas été présentée pendant la période d'assurance, le juge de première instance n'a pas examiné si une réclamation pouvait être présentée autrement que par une demande explicite de la ville. Notre Cour peut donc substituer sa propre conclusion sur cette question.

Mes conclusions de droit et de fait sur cette question ne sont pas incompatibles avec les arrêts Stevenson c. Simcoe & Erie General Insurance Co. et Defrancesco c. Stivala, précités. Dans Stevenson c. Simcoe & Erie General Insurance Co., on a conclu qu'une lettre d'insatisfaction quant à la supervision du chantier par l'assuré ne constituait pas une réclamation. La lettre ne renfermait aucune demande d'indemnisation ni de menaces de poursuites. Elle précisait en outre que le gouvernement ne lui donnerait plus de travail s'il se présentait d'autres indices de mauvaise supervision. Ce dernier aspect de la lettre semblerait indiquer que le gouvernement (qui était l'auteur de la plainte) n'avait pas l'intention au moment de l'envoi de la lettre de chercher à obtenir une indemnisation relativement à l'objet de sa plainte.

Dans l'arrêt Defrancesco c. Stivala, précité, un courtier d'assurances était protégé par une assurance responsabilité entre septembre 1981 et le 5 octobre 1982 relativement [traduction] «aux réclamations présentées pour la première fois contre l'assuré pendant la période d'assurance». Le courtier a agi avec négligence relativement à l'obtention, en avril 1982, d'une assurance automobile pour le compte d'un client dont l'assurance n'était pas, de ce fait, valide. Le client a été impliqué dans un accident d'automobile le 23 septembre 1982. Le courtier a été informé de l'accident le 4 octobre 1982. Il savait alors, par suite d'une demande de renseignements que l'épouse du client lui avait adressée à la fin de septembre, que l'assurance posait un problème. Toutefois, aucune demande d'indemnisation ne lui avait été adressée. En fait, il n'avait pas encore été avisé que le client estimait que c'était sa faute si l'assurance n'était pas valide. Le courtier n'a mis ses assureurs en responsabilité au courant de la réclamation possible qu'après l'expération de la police. Pour ce qui est de savoir si la réclamation avait été présentée pour la première fois contre le courtier pendant la période d'assurance, le juge Rutherford a conclu en première instance que, parce que le courtier savait le 4 octobre qu'il avait commis une erreur, la réclamation avait été «présentée» (qu'on l'avait «fait comprendre» au courtier) à cette date. Appliquant l'arrêt St. Paul Fire and Marine Insurance Co. c. Guardian Insurance Co. of Canada, précité, la Cour d'appel de l'Ontario a exprimé un avis contraire à la p. 2107:

[traduction] La police constitue de toute évidence une police sur la base des réclamations. Elle prévoit le versement d'une indemnité seulement dans le cas où une réclamation est présentée au cours de la période d'assurance. En pratique, cela signifie qu'une réclamation devait être présentée après le 23 septembre 1982, date de l'accident de Stivala, mais avant le 5 octobre 1982, date d'expiration de la police. Aucune réclamation n'a été présentée au cours de cette période. Le fait que l'intimé s'est rendu compte de son erreur au cours de la période d'assurance ne signifie pas qu'une réclamation a été présentée au sens où on l'entend habituellement dans le contrat d'assurance.

Les faits dans cette affaire sont clairement différents de ceux de l'espèce. Non seulement la firme Reid Crowther était au courant de sa négligence, elle savait également que la ville considérait qu'elle avait été négligente; elle avait auparavant reconnu sa négligence relativement au projet; elle avait payé une indemnisation au titre de la réclamation antérieure découlant de la même négligence, et enfin, elle savait que la ville estimait que les dommages additionnels découverts en septembre 1981 résultaient de la même négligence. D'après les faits, il y a eu davantage qu'une simple demande de renseignements ou qu'un simple doute dans l'esprit de l'assuré quant à la possibilité d'une demande future.

V. Conclusion

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l'appelante: Campbell, Marr, Winnipeg.

Procureurs de l'intimée: Fillmore & Riley, Winnipeg.


Synthèse
Référence neutre : [1993] 1 R.C.S. 252 ?
Date de la décision : 21/01/1993
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Assurance - Responsabilité - Police tenant à la fois d'une police «sur la base des réclamations» et d'une police «sur la base des événements» - Réclamation subséquente découlant du même acte négligent - Des réclamations successives en dommages‑intérêts découlant du même acte négligent constituent‑elles des réclamations distinctes? - Dans l'affirmative, la seconde réclamation présentée en l'espèce a‑t‑elle été faite pendant la durée de validité de la police?.

L'appelante a assuré la firme d'ingénierie intimée à l'égard de la responsabilité envers les tiers. Il s'agissait d'une police d'assurance «sur la base des réclamations», en ce sens que l'assureur était tenu d'indemniser l'intimée seulement lorsqu'une réclamation était présentée pour la première fois contre l'assurée pendant la période d'assurance. La police comportait cependant des caractéristiques d'une police «sur la base des événements», en ce qu'elle ne couvrait pas les actes antérieurs à la police.

L'intimée s'est occupée de la conception d'un réseau municipal d'égout et de distribution d'eau et en a supervisé la construction en 1974 et 1975. Toutefois, l'installation était défectueuse et l'intimée a reconnu avoir mal supervisé le projet. L'appelante a indemnisé l'intimée en janvier 1981 et a reçu une quittance limitée aux travaux de réparation exécutés. Dans le cadre de travaux d'expansion du réseau en septembre 1981, d'autres dommages ont été découverts et les plaintes présentées ont été considérées par l'intimée comme une demande d'indemnisation. L'intimée a fait effectuer d'autres travaux de réparation à ses frais. L'appelante a refusé d'indemniser l'intimée de cette somme au motif qu'elle ne se rapportait pas à une réclamation présentée avant la date d'expiration de la police. La décision de première instance rejetant l'action de l'intimée a été infirmée en appel. Le présent pourvoi soulève deux questions: (1) Des réclamations successives en dommages‑intérêts découlant du même acte négligent constituent‑elles des réclamations distinctes? (2) Dans l'affirmative, la seconde réclamation présentée en l'espèce a‑t‑elle été faite pendant la durée de validité de la police?

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Les expressions «sur la base des réclamations» et «sur la base des événements» ne sont pas des qualifications juridiques qui entraîneront un résultat juridique donné selon la qualification retenue. Il s'agit toujours de déterminer ce que prévoit la police en question, quelle que soit la qualification qu'on lui donne. La police en cause est une police hybride, en ce sens qu'à première vue elle est une police «sur la base des réclamations», et que pourtant l'assureur ne se portait pas garant des réclamations découlant d'actes antérieurs à la police dans le cas où l'assuré était au courant de l'erreur, de l'omission ou l'acte négligent à la date de prise d'effet de la police.

Les tribunaux doivent interpréter les dispositions de la police contestée en fonction des principes généraux d'interprétation des polices d'assurance, y compris notamment: (1) la règle contra proferentum, (2) l'interprétation large des dispositions concernant la garantie et l'interprétation restrictive des clauses d'exclusion, et (3) le fait qu'il est souhaitable, tout au moins dans les cas où la police est ambiguë, de donner effet aux attentes raisonnables des parties.

Les ambiguïtés dans la police en cause, interprétées conformément à la règle contra proferentum, militent en faveur d'une interprétation qui favoriserait l'assuré plutôt que l'assureur qui a rédigé la police. On arrive au même résultat en appliquant la règle que les dispositions en matière de garantie doivent recevoir une interprétation large.

On doit présumer que l'assuré s'attend raisonnablement, à tout le moins, que le régime d'assurance lui fournira, sur une base continue, une garantie au titre de réclamations légitimes, que ce soit par le renouvellement d'une police avec le même assureur ou la conclusion d'un nouveau contrat d'assurance avec un assureur différent. Cette présomption est compatible avec le principe de la découverte en ce que l'assureur bénéficie d'une certaine certitude dans le calcul de ses risques, sans créer injustement de trous de garantie. Cependant, soutenir qu'une indemnité réclamée après l'expiration de la police ne fait pas partie de la réclamation équivaudrait à affirmer qu'un assuré ne pourrait pas, dans certaines circonstances, être indemnisé d'une perte.

Les dommages découverts en 1981 faisaient partie de la réclamation initiale présentée pendant la période d'assurance. Même si les dommages constituaient une réclamation distincte, la réclamation aurait été présentée pendant la période d'assurance.

En règle générale, pour qu'une «réclamation» soit présentée, le tiers doit d'une façon quelconque communiquer à l'assuré l'existence d'une demande d'indemnisation ou d'un autre type de réparation ou encore, il doit tout au moins lui communiquer qu'il a clairement l'intention de tenir l'assuré responsable des dommages en question. La police était loin d'être claire sur le sens du terme «réclamation». Elle laisse supposer que l'allégation de négligence peut constituer une réclamation et elle n'établit pas de distinction entre une demande officielle et une expression moins officielle d'une intention d'intenter une poursuite que la personne raisonnable interpréterait comme une réclamation. En conséquence, la jurisprudence permet de conclure qu'il peut y avoir réclamation en l'absence d'une demande officielle.

La police ne renferme aucune exigence explicite quant à une demande officielle ou à toute autre demande, et la question de savoir s'il y a eu «présentation» d'une réclamation devait être tranchée en fonction des faits de l'affaire. Certains arrêts appuient la nécessité de tenir compte des attentes raisonnables des parties lorsque l'on détermine s'il y a eu présentation d'une réclamation. Une personne raisonnable aurait sûrement déduit que l'on présentait une nouvelle réclamation si on lui avait montré les autres dommages qui avaient été découverts et dit qu'ils étaient représentatifs du travail effectué par l'entrepreneur général dans le cadre du projet et approuvé par l'intimée. La substance de la réclamation a été présentée avant l'expiration de la police. L'appelante aurait pu rédiger la police de façon à exiger une demande écrite officielle pour déclencher l'application de la garantie. Comme elle ne l'a pas fait, elle doit accepter que les faits et circonstances peuvent servir à établir une demande ou une déclaration de responsabilité qui permettront de constituer une «réclamation» au sens de la police.


Parties
Demandeurs : Reid Crowther & Partners Ltd.
Défendeurs : Simcoe & Erie General Insurance Co.

Références :

Jurisprudence
Arrêts examinés: Hoyt c. St. Paul Fire and Marine Insurance Co., 607 F.2d 864 (1979)
St. Paul Fire and Marine Insurance Co. c. Guardian Insurance Co. of Canada (1983), 2 C.C.L.I. 275
Stevenson c. Simcoe & Erie General Insurance Co., [1981] I.L.R. ¶1‑1434
Defrancesco c. Stivala, [1989] I.L.R. ¶1‑2524, inf. par [1992] I.L.R. ¶1‑2896
arrêts mentionnés: Brissette, Succession c. Westbury Life Insurance Co., [1992] 3 R.C.S 87
Wigle c. Allstate Insurance Co. of Canada (1984), 49 O.R. (2d) 101, autorisation de pourvoi refusée [1985] 1 R.C.S. v
Continental Casualty Co. c. Enco Associates, Inc., 238 N.W. 2d 198 (1976)
Williamson & Vollmer Engineering, Inc. c. Sequoia Insurance Co., 134 Cal.Rptr. 427 (1976)
San Pedro Properties, Inc. c. Sayre & Toso, Inc., 21 Cal.Rptr. 844 (1962)
Phoenix Insurance Co. c. Sukut Construction Co., 186 Cal.Rptr. 513 (1982)
Mt. Hawley Insurance Co. c. Federal Savings & Loan Insurance Corp., 695 F.Supp. 469 (1982)
Jensen c. Snellings, 841 F.2d 600 (1988)
Safeco Title Insurance Co. c. Gannon, 774 P.2d 30 (1989), requête en révision refusée 782 P.2d 1069 (1989)
Peacock c. Roberts (1985), 15 C.C.L.I. 36, conf. par (1990), 42 C.C.L.I. 196
McNish & McNish c. American Home Assurance Co. (1989), 39 C.C.L.I. 200, conf. par (1991), 5 C.C.L.I. (2d) 222
J. G. Link & Co. c. Continental Casualty Co., 470 F.2d 1133 (1972), cert. refusé 414 U.S. 829 (1973)
Continental Casualty Co. c. Robert McLellan & Co., [1973] 5 W.W.R. 475.
Doctrine citée
Brown, Craig, and Julio Menezes. Insurance Law in Canada, 2nd ed. Scarborough, Ont.: Carswell, 1991.
Davis, Thomas R. M. "The New IBC Standard Form Commercial General (Claims‑Made) Liability Policy" (1987), 5 Can. J. Ins. L. 77.
Dumont, Jeanine. "What Every Professional Should Know Before Buying Claims‑Made Liability Insurance" (1985), 35 Fed. Ins. Couns. Q. 363.
Hilliker, Gordon. Liability Insurance Law in Canada. Toronto: Butterworths, 1991.
Long, Rowland H. The Law of Liability Insurance, Vol. 2. New York: Matthew Bender, 1992.
Parker, John K. "The Untimely Demise of the `Claims Made' Insurance Form? A Critique of Stine V. Continental Casualty Company", [1983] Det. C.L. Rev. 25.
Pierce, Lee Roy, Jr. "Professional Liability Insurance: The Claims Made and Reported Trap" (1991), 19 W. St. U. L. Rev. 165.

Proposition de citation de la décision: Reid Crowther & Partners Ltd. c. Simcoe & Erie General Insurance Co., [1993] 1 R.C.S. 252 (21 janvier 1993)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-01-21;.1993..1.r.c.s..252 ?
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