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21/01/1993 | CANADA | N°[1993]_1_R.C.S._416

Canada | Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416 (21 janvier 1993)


Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416

Sa Majesté la Reine,

le procureur général du Canada

et l'honorable Otto Jelinek, en sa qualité

de ministre du Revenu national Appelants

c.

Berl Baron et Howard Baron, C.A. Intimés

et

Le procureur général de l'Ontario et

le procureur général du Québec Intervenants

Répertorié: Baron c. Canada

No du greffe: 22298.

1992: 6 février; 1993: 21 janvier.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Cory, McLachlin, Stevenson* et Iacobucci.

en

appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1991] 1 C.F. 688, [1991] 1 C.T.C. 125 (1990), 91 D.T.C. 50...

Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416

Sa Majesté la Reine,

le procureur général du Canada

et l'honorable Otto Jelinek, en sa qualité

de ministre du Revenu national Appelants

c.

Berl Baron et Howard Baron, C.A. Intimés

et

Le procureur général de l'Ontario et

le procureur général du Québec Intervenants

Répertorié: Baron c. Canada

No du greffe: 22298.

1992: 6 février; 1993: 21 janvier.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Cory, McLachlin, Stevenson* et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1991] 1 C.F. 688, [1991] 1 C.T.C. 125 (1990), 91 D.T.C. 5055, 122 N.R. 47, (motifs supplémentaires, [1991] 1 C.F. 712, [1991] 1 C.T.C. 408 (1991), 91 D.T.C. 5134), qui a accueilli l'appel interjeté contre un jugement du juge Reed, [1990] 2 C.F. 262, [1990] 1 C.T.C. 84 (1989), 30 F.T.R. 188, 90 D.T.C. 6040. Pourvoi rejeté. Le paragraphe 231.3(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu viole l'art. 8 de la Charte et est inopérant.

John R. Power, c.r., Pierre Loiselle, c.r., et Robert Frater, pour les appelants.

Guy Dupont, Basile Angelopoulos et Ariane Bourque, pour les intimés.

Janet E. Minor et Tanya Lee, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.

Yves Ouellette, Judith Kucharsky et Diane Bouchard, pour l'intervenant le procureur général du Québec.

//Le juge Sopinka//

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Sopinka --

I.Introduction

Le présent pourvoi a été entendu en même temps que Kourtessis c. M.R.N., C.S.C., no 21654. Les deux portent sur la validité des mandats de perquisition décernés et exécutés en application de l'art. 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63 et ses modifications [ci‑après la LIR]. Dans chaque cas, les personnes qui ont fait l'objet de perquisitions et de saisies ont demandé au tribunal de les invalider, de les annuler et de remettre les biens saisis, pour le motif que l'art. 231.3 de la LIR viole les art. 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés et que, par conséquent, l'article ainsi que les mandats, perquisitions et saisies contestés sont inopérants. L'affaire Kourtessis soulève également une autre question quant à la compétence de la Cour d'appel et de notre Cour pour entendre le pourvoi. Le jugement dans ce pourvoi sera rendu en temps utile.

Le présent pourvoi porte essentiellement sur la restriction qu'impose la LIR sur le pouvoir discrétionnaire du juge qui décerne le mandat par l'emploi de l'indicatif présent (le mot «shall» dans le texte anglais) dans le par. 231.3(3). Je conclus, pour les motifs qui vont suivre, que l'art. 231.3 de la LIR viole l'art. 8 de la Charte dans la mesure où il enlève au juge qui décerne le mandat le pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser de décerner un mandat de perquisition dans les circonstances appropriées, même si les critères de la Loi relatifs à la délivrance de celui‑ci ont été respectés. En raison de cette violation et conformément au par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, l'art. 231.3 est inopérant et les mandats de perquisition décernés et exécutés en application de celui‑ci contre les intimés sont également invalides et inopérants.

À mon avis, le pourvoi peut être réglé entièrement sur le fondement de l'art. 8 de la Charte. Par conséquent, il n'est pas nécessaire d'examiner l'argument des intimés selon lequel il y a également eu violation de l'art. 7. Je ne compte pas non plus examiner séparément la question de savoir si l'article contesté entrave d'une manière inappropriée l'indépendance judiciaire. À mon avis, il s'agit simplement d'un autre moyen qui justifie ma conclusion relative à l'importance du pouvoir discrétionnaire résiduel du juge.

Ni les parties, ni les intervenants n'ont présenté d'arguments ou d'éléments de preuve en l'espèce ou dans le pourvoi Kourtessis relativement à l'article premier de la Charte, ni n'ont été en mesure de démontrer que la violation de l'art. 8 est justifiée au sens de l'article premier. Il ne sera donc pas nécessaire d'examiner s'il est possible de démontrer que ce texte législatif qui permet d'effectuer des perquisitions abusives est justifiable comme limite raisonnable au droit d'être protégé contre les perquisitions abusives.

II.Les faits

Après une enquête, les fonctionnaires de Revenu Canada se sont rendu compte que certains documents appartenant aux intimés Berl et Howard Baron pouvaient constituer des éléments de preuve de diverses infractions à la LIR qui auraient été commises. On alléguait que Xentec Laboratories Inc. avait fait des inscriptions fausses ou trompeuses dans ses livres de comptes et s'était soustraite ou avait tenter de se soustraire à l'application de la LIR, contrairement aux al. 239(1)c) et d) de la LIR. Le 7 août 1986, le juge Strayer de la Cour fédérale, Section de première instance, a décerné des mandats pour perquisitionner dans les résidences et les locaux d'affaires des Baron (le cabinet d'avocats Baron et Abrams et le bureau de comptables Baron, Merton). Les mandats ont été exécutés et un grand nombre de documents ont été saisis.

Le 21 juin 1989, Berl et Howard Baron ont présenté trois requêtes et intenté une action en Cour fédérale, Section de première instance. Les requêtes visaient à obtenir des ordonnances:

a)annulant les mandats de perquisition;

b)déclarant que l'art. 231.3 de la LIR est inopérant en vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, parce qu'il n'est pas conforme aux art. 7, 8 et 15 de la Charte;

c)enjoignant de remettre aux Baron tous les documents saisis et les extraits ou copies de ceux‑ci;

d)enjoignant de remettre tous les résumés, notes ou diagrammes tirés des documents saisis;

e)interdisant au Ministère d'utiliser les documents ou résumés, notes, diagrammes ou renseignements tirés de ceux‑ci; et

f)enjoignant de détruire tous les résumés, copies, notes ou diagrammes non remis aux Baron.

Les requêtes étaient fondées sur le motif que les perquisitions et les saisies étaient abusives parce que l'art. 231.3 de la LIR est incompatible avec les art. 7, 8 et 15 de la Charte et, par conséquent, inopérant.

La réparation demandée dans l'action intentée en même temps que les requêtes visait le même résultat. Les Baron ont sollicité un jugement déclarant que l'art. 231.3 de la LIR était incompatible avec les art. 7, 8 et 15 de la Charte et inopérant, et que les mandats et les perquisitions et saisies qui ont suivi étaient abusifs et donc inopérants. Ils ont également cherché à obtenir une ordonnance enjoignant de remettre, de ne pas utiliser ou de détruire les documents saisis ainsi que les copies et résumés de ceux‑ci, ce qui correspond aux alinéas c) à f) de la réparation demandée dans les requêtes susmentionnées.

Comme l'a résumé le juge Reed en première instance, [1990] 2 C.F. 262, aux pp. 266 et 267, les intimés ont soutenu que les dispositions relatives aux perquisitions et aux saisies contenues à l'art. 231.3 étaient invalides pour les motifs suivants:

. . . (1) le paragraphe 231.3(3) n'accorde au juge aucun pouvoir discrétionnaire de prévenir les fouilles et perquisitions abusives; il impose au juge l'obligation de délivrer un mandat s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise et qu'il est vraisemblable de trouver la preuve de cette infraction dans certains endroits; (2) le paragraphe 231.3(5) permet les fouilles et perquisitions générales sans autorisation appropriée et ne respecte donc pas les exigences d'un pouvoir de fouille et de perquisition constitutionnellement valide qui sont énoncées dans Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145 . . .; (3) les conditions énoncées au paragraphe 231.3(3) ne respectent pas les critères de l'arrêt Hunter c. Southam (précité), parce qu'elles exigent simplement l'existence de motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise, ce qui constitue un critère moins sévère que l'existence de motifs «raisonnables et probables»; (4) les dispositions de l'article 231.3 contreviennent à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés . . . parce qu'il existe deux façons d'obtenir des mandats . . . et que les dispositions relatives à l'appel diffèrent selon la solution choisie; . . . [Souligné dans l'original.]

Les intimés ont également contesté certains des mandats pour le motif qu'ils ne contenaient pas une clause protégeant les documents visés par le secret professionnel de l'avocat ou rédigés dans le cadre de la relation confidentielle entre un comptable et son client.

Les requêtes et l'action visant à obtenir un jugement déclaratoire ont été rejetés dans une seule série de motifs rédigés par le juge Reed. Ces jugements ont fait l'objet d'un appel devant la Cour d'appel fédérale qui a accueilli tous les quatre appels: Baron c. Canada, [1991] 1 C.F. 688. Le juge Hugessen (au nom de la cour) a examiné les quatre appels ensemble parce qu'ils soulevaient des questions identiques. Il a conclu que l'art. 231.3 violait les art. 7 et 8 de la Charte et était donc inopérant, et il a annulé les mandats de perquisition. Avec le consentement des Baron, le Ministre a demandé l'autorisation de se pourvoir devant notre Cour contre un seul des arrêts de la Cour d'appel. L'autorisation de pourvoi devant notre Cour a été accordée le 16 mai 1991, date à laquelle il a été ordonné que l'affaire Baron soit entendue le même jour que l'affaire Kourtessis.

III.Les questions en litige

Le 20 juin 1991, le juge en chef Lamer a énoncé la question constitutionnelle suivante qui devrait être examinée par notre Cour:

L'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, modifié par S.C. 1986, ch. 6, limite‑t‑il les droits et libertés garantis par les art. 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11, et est‑il, par conséquent, inopérant conformément à l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11?

Il convient de souligner que seuls les art. 7 et 8 de la Charte sont invoqués devant notre Cour. L'argument fondé sur la garantie d'égalité de l'art. 15 a été abandonné comme moyen de contester l'art. 231.3 et les mandats. L'article 231.3 porterait atteinte aux art. 7 et 8 de la Charte de la manière suivante:

1.Le paragraphe (3) est invalide car il enlève au juge qui décerne le mandat un pouvoir discrétionnaire résiduel;

2.Le paragraphe (3) est invalide parce que l'expression «motifs raisonnables» ne satisfait pas à la norme constitutionnelle minimale des «motifs raisonnables et probables»;

3.L'alinéa (3)b) est invalide parce que les termes «peuvent constituer des éléments de preuve» ne satisfont pas à la norme constitutionnelle minimale en matière de communication de la preuve;

4.Le paragraphe (5) est invalide parce qu'il autorise une perquisition et une saisie générales.

IV.Les dispositions législatives pertinentes

A.Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, modifiée par S.C. 1986, ch. 6, art. 121

La disposition en vertu de laquelle les mandats de perquisition ont été demandés et décernés dans les deux affaires et qui constitue l'élément central du présent litige est l'art. 231.3 de la LIR, dont voici le texte intégral:

231.3 (1) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut décerner un mandat écrit qui autorise toute personne qui y est nommée à pénétrer dans tout bâtiment, contenant ou endroit et y perquisitionner pour y chercher des documents ou choses qui peuvent constituer des éléments de preuve de la perpétration d'une infraction à la présente loi, à saisir ces documents ou choses et, dès que matériellement possible, soit à les apporter au juge ou, en cas d'incapacité de celui‑ci, à un autre juge du même tribunal, soit à lui en faire rapport, pour que le juge en dispose conformément au présent article.

(2) La requête visée au paragraphe (1) doit être appuyée par une dénonciation sous serment qui expose les faits au soutien de la requête.

(3) Le juge saisi de la requête décerne le mandat mentionné au paragraphe (1) s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire ce qui suit:

a) une infraction prévue par la présente loi a été commise;

b) il est vraisemblable de trouver des documents ou choses qui peuvent constituer des éléments de preuve de la perpétration de l'infraction;

c) le bâtiment, contenant ou endroit précisé dans la requête contient vraisemblablement de tels documents ou choses.

(4) Un mandat décerné en vertu du paragraphe (1) doit indiquer l'infraction pour laquelle il est décerné, dans quel bâtiment, contenant ou endroit perquisitionner ainsi que la personne accusée d'avoir commis l'infraction. Il doit donner suffisamment de précisions sur les documents ou choses à chercher et à saisir.

(5) Quiconque exécute un mandat décerné en vertu du paragraphe (1) peut saisir, outre les documents ou choses mentionnés à ce paragraphe, tous autres documents ou choses qu'il croit, pour des motifs raisonnables, constituer des éléments de preuve de la perpétration d'une infraction à la présente loi. Il doit, dès que matériellement possible, soit apporter ces documents ou choses au juge qui a décerné le mandat ou, en cas d'incapacité de celui‑ci, à un autre juge du même tribunal, soit lui en faire rapport, pour que le juge en dispose conformément au présent article.

(6) Sous réserve du paragraphe (7), lorsque des documents ou choses saisis en vertu du paragraphe (1) ou (5) sont apportés à un juge ou qu'il en est fait rapport à un juge, ce juge ordonne que le ministre les retienne sauf si celui‑ci y renonce. Le ministre qui retient des documents ou choses doit en prendre raisonnablement soin pour s'assurer de leur conservation jusqu'à la fin de toute enquête sur l'infraction en rapport avec laquelle les documents ou choses ont été saisis ou jusqu'à ce que leur production soit exigée aux fins d'une procédure criminelle.

(7) Le juge à qui des documents ou choses saisis en vertu du paragraphe (1) ou (5) sont apportés ou à qui il en est fait rapport peut, d'office ou sur requête sommaire d'une personne ayant un droit dans ces documents ou choses avec avis au sous‑procureur général du Canada trois jours francs avant qu'il y soit procédé, ordonner que ces documents ou choses soient restitués à la personne à qui ils ont été saisis ou à la personne qui y a légalement droit par ailleurs, s'il est convaincu que ces documents ou choses;

a) soit ne seront pas nécessaires à une enquête ou à une procédure criminelle;

b) soit n'ont pas été saisis conformément au mandat ou au présent article.

(8) La personne à qui des documents ou choses sont saisis conformément au présent article a le droit, en tout temps raisonnable et aux conditions raisonnables que peut imposer le ministre, d'examiner ces documents ou choses et d'obtenir reproduction des documents aux frais du ministre en une seule copie.

B.Charte canadienne des droits et libertés

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

V.Jugements des tribunaux d'instance inférieure

A.Cour fédérale, Section de première instance (le juge Reed)

Le juge Reed a examiné à tour de rôle chaque attaque des intimés contre l'art. 231.3. Premièrement, il y a eu la question du pouvoir discrétionnaire judiciaire. Elle s'est sentie liée par l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Solvent Petroleum Extraction Inc. c. Canada (M.R.N.), [1990] 1 C.F. 20 (C.A.), conf. [1988] 3 C.F. 465, autorisation de pourvoi refusée, [1989] 2 R.C.S. xi [ci‑après Solvent Petroleum], dans lequel le juge Desjardins (aux motifs duquel ont souscrit les juges Pratte et Stone) a dit, à la p. 24, que lorsque les conditions prescrites par la Loi sont remplies, le juge qui est appelé à le faire doit décerner le mandat. Le juge Reed a ensuite cité d'autres arrêts et ouvrages de doctrine portant sur l'interprétation du mot «shall» en anglais, où tantôt on juge que ce terme a un caractère obligatoire, tantôt on juge qu'il s'agit d'une erreur du législateur qui avait voulu dire «may» («peut» ou «peuvent»). Elle a ensuite reproduit un long extrait de l'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique Kourtessis c. M.R.N. (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 1, dans lequel le juge Locke a conclu que, bien que le par. 231.3(3) prive le juge qui décerne le mandat du pouvoir discrétionnaire de refuser un mandat lorsque les critères prescrits par la Loi sont respectés, il préserve la fonction cruciale de pondération du juge, qui consiste à décider si les faits qui lui sont présentés sont suffisants pour justifier une atteinte à la vie privée, et par conséquent, ne contrecarrent pas les normes établies dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145. De toute façon, le juge Locke a conclu que le juge peut assortir de conditions l'exécution du mandat. Le juge Reed était d'avis que l'art. 2 de la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), app. III, ou le pouvoir inhérent de la cour de contrôler l'utilisation abusive de ses propres procédures pourrait peut‑être permettre à un juge de refuser de décerner un mandat abusif. Elle a convenu que le juge qui décerne le mandat pouvait certainement fixer des conditions au mandat. Toutefois, elle a finalement refusé de trancher la question de savoir si le par. 231.3(3) enlevait au juge appelé à décerner le mandat le pouvoir discrétionnaire de refuser de le décerner lorsqu'il serait abusif de le faire, puisque, à son avis, il n'y a pas eu en l'espèce de perquisition ou de saisie abusive en violation de l'art. 8 de la Charte et que l'argument n'était pas fondé sur des faits (p. 275).

Elle a ensuite abordé la question des perquisitions et des saisies générales aux termes du par. 231.3(5). Le juge Reed a mentionné l'exigence générale de l'autorisation préalable énoncée dans l'arrêt Hunter, précité, et l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535, qui a annulé, pour le motif qu'il était trop large et trop général, le pouvoir de perquisition que conférait la disposition qui a précédé l'art. 231.3 (le par. 231(4) qui permettait la saisie de toutes choses pouvant servir de preuve de la violation de toute disposition de la LIR ou d'un règlement). Elle a ensuite cité de longs extraits de l'arrêt Solvent Petroleum, précité, dans lequel la Cour d'appel fédérale a conclu que la saisie «d'objets bien en vue» autorisée par la LIR satisfaisait au critère du caractère raisonnable et donc de la validité. Le juge Reed a conclu qu'elle était liée par cet arrêt.

La question suivante était de savoir s'il était suffisant de n'exiger que des «motifs raisonnables de croire» (par. 231.3(3)) plutôt que des «motifs raisonnables et probables». Le juge Reed a cité largement l'arrêt Kourtessis, précité, de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, où on a conclu que le terme «raisonnable», dans le contexte du par. 231.3(3), respecte la «norme de la probabilité plus grande que l'improbabilité» prescrite par l'arrêt Hunter, précité. Elle a ensuite mentionné l'arrêt R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495, où on a dit, à la p. 523, que le critère de l'arrêt Hunter est l'existence de «motifs raisonnables et probables» et on l'a juxtaposé à la conclusion tirée dans l'arrêt Solvent Petroleum, précité (qui a adopté la conclusion du juge Lysyk dans l'arrêt Kourtessis, précité) que l'absence d'une exigence légale de motifs probables aussi bien que raisonnables de croire n'était pas fatale du point de vue constitutionnel étant donné que la seule exigence explicite de l'art. 8 est celle du caractère raisonnable qui comprend une exigence de probabilité.

Le juge Reed a ensuite rejeté l'argument des intimés fondé sur l'art. 15 et leurs arguments fondés sur le secret professionnel de l'avocat ou du comptable. Elle a rejeté la demande en n'accordant qu'un seul mémoire de frais.

B.Cour d'appel fédérale (le juge Hugessen, à l'avis duquel ont souscrit les juges Pratte et Marceau)

Le juge Hugessen a rédigé les motifs de jugement de la cour. Il a d'abord examiné la caractérisation des dispositions de la LIR en matière de perquisitions et de saisies afin de déterminer quelles sont les attentes raisonnables du contribuable en matière de vie privée aux termes de l'art. 8 de la Charte. Il a rejeté l'argument selon lequel les procédures constituaient le mécanisme administratif d'application décrit dans l'arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, concluant plutôt que ces procédures portaient sur la détection du crime et la poursuite des coupables. Aucun adoucissement des normes de la Charte n'était donc justifié; au contraire, «rien de moins que la pleine protection offerte par la Charte serait convenable» (à la p. 694).

Le juge Hugessen a ensuite abordé les questions de fond. Quant à la première question du pouvoir discrétionnaire judiciaire et de l'emploi de l'indicatif présent (l'expression «shall issue» dans le texte anglais) au par. 231.3(3), il a conclu que tout texte qui exclut expressément le pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser de décerner un mandat lorsque les circonstances ne justifient pas une atteinte à la vie privée «contrevient, pour ce seul motif, aux articles 7 et 8 de la Charte, puisqu'il permet des fouilles, perquisitions ou saisies abusives et qu'il constitue une violation des principes de justice fondamentale» (à la p. 695). Il a rejeté la proposition du juge de première instance qu'il pourrait y avoir «interprétation atténuée» du par. 231.3(3) afin de préserver un pouvoir discrétionnaire résiduel et il a conclu que le contexte de l'art. 231.3 et le fait que l'emploi de l'indicatif présent dans l'article soit unique dans la législation canadienne sur les mandats de perquisition indiquent que cette expression était destinée à être obligatoire et impérative. Il a mentionné, tout en la rejetant, la conclusion de l'arrêt Kourtessis, précité, de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, selon laquelle le pouvoir discrétionnaire du juge de déterminer si les critères établis par la Loi sont respectés satisfait à la norme de l'arrêt Hunter et que, de toute façon, le juge qui décerne le mandat peut l'assortir de conditions. Il a accordé beaucoup d'importance à l'arrêt de notre Cour Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, et en a déduit que l'existence du pouvoir discrétionnaire judiciaire est une condition préalable au caractère raisonnable d'une perquisition et à nos principes de justice fondamentale. De plus, à son avis, l'arrêt Descôteaux établit que toute tentative du législateur de définir de façon exhaustive à quel moment une perquisition sera raisonnable est vouée à l'échec. Il a conclu que c'est le pouvoir de refuser de décerner un mandat, même lorsque toutes les conditions prescrites par le Parlement sont remplies, qui protège ultimement le citoyen contre les perquisitions abusives.

Le juge Hugessen a ensuite examiné les autres moyens d'appel. Il a notamment cité la déclaration du juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans l'arrêt Hunter, précité, à la p. 167, que les critères de l'art. 443 du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34 («motif raisonnable») et le Quatrième amendement des États‑Unis («motif plausible») sont identiques. Il en a conclu à la p. 707 que les termes «motifs raisonnables», au par. 231.3(3), respectent la norme de la probabilité «plus probable qu'improbable» requise pour qu'une perquisition soit raisonnable. Ensuite, il a conclu à la p. 708 que l'al. 231.3(3)b) n'était pas acceptable sur le plan constitutionnel car, en raison de l'emploi des termes «peuvent constituer des éléments de preuve», il ne respecte pas la norme de l'arrêt Hunter, précité, selon laquelle il doit y avoir des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve seront découverts. Finalement, il a conclu qu'il n'y avait aucune raison de modifier la conclusion précédente de la cour, dans Solvent Petroleum, précité, que le par. 231.3(5) n'autorise pas les perquisitions et les saisies «générales» abusives. Par conséquent, les appels ont été accueillis, l'art. 231.3 a été déclaré inopérant et les mandats de perquisition ont été annulés.

VI.Analyse: la constitutionnalité de l'art. 231.3

A.Historique législatif

L'article 231.3 a été adopté par le Parlement en 1986 à la suite d'un certain nombre d'arrêts de cours d'appel qui ont conclu que les dispositions précédentes de la LIR en matière de mandats de perquisition violaient l'art. 8 de la Charte. Voici le texte de l'article qui a précédé l'art. 231.3:

231. . . .

(4) Lorsque le Ministre a des motifs raisonnables pour croire qu'une infraction à cette loi ou à un règlement a été commise ou sera probablement commise, il peut, avec l'agrément d'un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de comté, agrément que le juge est investi par ce paragraphe du pouvoir de donner sur la présentation d'une demande ex parte, autoriser par écrit tout fonctionnaire du ministère du Revenu national ainsi que tout membre de la Gendarmerie royale du Canada ou tout autre agent de la paix à l'assistance desquels il fait appel et toute autre personne qui peut y être nommée, à entrer et à chercher, usant de la force s'il le faut, dans tout bâtiment, contenant ou endroit en vue de découvrir les documents, livres, registres, pièces ou choses qui peuvent servir de preuve au sujet de l'infraction de toute disposition de la présente loi ou d'un règlement et à saisir et à emporter ces documents, livres, registres, pièces ou choses et à les retenir jusqu'à ce qu'ils soient produits devant la cour.

(5) Une demande faite à un juge en vertu du paragraphe (4) sera appuyée d'une preuve fournie sous serment et établissant la véracité des faits sur lesquels est fondée la demande.

Dans l'arrêt Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., précité, on a conclu que le par. 231(4) contrevenait à l'art. 8 de la Charte parce qu'il donnait au Ministre, lorsqu'il croyait qu'une infraction avait été commise, le pouvoir d'autoriser une perquisition et une saisie générales relativement à une infraction à toute disposition de la Loi ou de son règlement d'application. La Cour d'appel de l'Ontario a fait sienne cette conclusion dans l'arrêt Re Print Three Inc. and The Queen (1985), 20 C.C.C. (3d) 392, autorisation de pourvoi refusée [1985] 2 R.C.S. x, et a trouvé des motifs supplémentaires pour lesquels l'article violait l'art. 8 (à la p. 396):

[traduction] À notre avis, il existe des motifs qui s'ajoutent à ceux invoqués par la Cour d'appel fédérale pour statuer que le paragraphe contrevient à l'art. 8. Il est clair que pour respecter les normes du caractère raisonnable, il doit y avoir tout d'abord un arbitre indépendant (juge) qui est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise (voir Hunter et autres c. Southam Inc., précité). Dans les paragraphes 231(4) et (5), c'est le Ministre qui doit avoir les motifs raisonnables et probables et il n'existe pas de précédent quant aux normes ou conditions sur lequel le juge peut fonder son appréciation de la question de savoir si la croyance du Ministre est bien fondée. Monsieur Kelly soutient que la seule interprétation raisonnable du par. 5 réside dans ce que les faits doivent être présentés au juge afin qu'il puisse être convaincu que le Ministre a des motifs raisonnables et probables. Même si le paragraphe peut être ainsi interprété, il existe, ainsi que nous l'avons souligné, des vices qui entachent les par. 231(4) et (5). Il n'est pas nécessaire que le Ministre ait des motifs de croire qu'un élément de preuve est susceptible d'être découvert au lieu où la perquisition a été effectuée, et il n'est pas nécessaire qu'il présente ces motifs au juge. De même, il n'existe aucune directive sur ce que le juge doit décerner en accordant son «agrément». C'est le Ministre qui décerne ce qui est essentiellement le mandat. En dernier lieu, le Ministre n'est pas tenu d'indiquer dans son autorisation les choses qui doivent faire l'objet de la perquisition.

La nouvelle version corrige ces défauts. Le paragraphe 231.3(3) prévoit maintenant clairement qu'avant de décerner un mandat de perquisition en vertu de la Loi, un juge doit être convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une infraction particulière à la Loi a été commise et qu'un document ou une chose qui peut constituer un élément de preuve de la perpétration de cette infraction est susceptible d'être découvert dans le bâtiment, contenant ou endroit précisé dans la demande. De plus, le par. 231.3(4) exige que le mandat précise ce qui peut faire l'objet de la perquisition et de la saisie.

La constitutionnalité de l'art. 231.3 de la LIR a été examinée dans un certain nombre de décisions des cours d'instance inférieure et des cours d'appel. La majorité de celles‑ci ont maintenu l'art. 231.3: voir, par exemple, Kohli c. Moase (1987), 86 N.B.R. (2d) 15 (B.R.), conf. pour d'autres motifs par (1989), 55 D.L.R. (4th) 740 (C.A.N.-B.), Solvent Petroleum et Kourtessis, précités. Toutefois, j'estime que la loi modifiée est toujours inadéquate.

B.Application de l'article 8 de la Charte

(1)Le refus d'accorder un pouvoir discrétionnaire résiduel: par. (3)

Pour trancher cette question, il faut déterminer si le texte législatif qui autorise une perquisition ou une saisie doit prévoir un pouvoir discrétionnaire résiduel pour l'officier de justice qui décerne le mandat. Les intimés soutiennent, et c'est ce que la Cour d'appel fédérale a conclu, que le texte législatif qui ne le prévoit pas viole l'art. 8 de la Charte. On se fonde sur l'arrêt Hunter, précité, de notre Cour et sur les décisions qui l'ont suivi. Les appelants soutiennent qu'il ne s'agissait pas en l'espèce d'une des conditions énoncées par l'arrêt Hunter, que, si c'était le cas, elle ne s'appliquerait pas en l'espèce et que, de toute façon, la disposition contestée prévoit un pouvoir discrétionnaire qui respecte les exigences de l'art. 8.

À mon avis, il ressort d'une analyse des principes sur lesquels l'arrêt Hunter était fondé que l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire judiciaire de décider d'accorder ou de refuser l'autorisation d'un mandat de perquisition était essentiel au régime d'autorisation préalable qui, selon le juge Dickson, constituait une condition indispensable du respect de l'art. 8 dans cette affaire. Il ressort très clairement de cet arrêt que la décision d'accorder ou de refuser le mandat exige de soupeser deux droits: celui du particulier d'être libre de toute ingérence de l'État et celui de l'État de s'immiscer dans la vie privée du particulier en vue d'appliquer la loi. Aux pages 158 à 160 de l'arrêt, le juge Dickson affirme:

À mon avis, les droits protégés par l'art. 8 ont une portée plus large que ceux qui sont énoncés dans l'arrêt Entick v. Carrington. L'article 8 est une disposition constitutionnelle enchâssée. Les textes législatifs ne peuvent donc pas empiéter sur cet article de la même façon que sur la protection offerte par la common law. En outre, le texte de l'article ne le limite aucunement à la protection des biens ni ne l'associe au droit applicable en matière d'intrusion. Il garantit un droit général à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.

. . .

À l'instar de la Cour suprême des États‑Unis, j'hésiterais à exclure la possibilité que le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives protège d'autres droits que le droit à la vie privée mais, pour les fins du présent pourvoi, je suis convaincu que la protection qu'il offre est au moins aussi étendue. La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu'une attente raisonnable. Cette limitation du droit garanti par l'art. 8, qu'elle soit exprimée sous la forme négative, c'est‑à‑dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies «abusives», ou sous la forme positive comme le droit de s'attendre «raisonnablement» à la protection de la vie privée, indique qu'il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'application de la loi. [Souligné dans l'original.]

Les circonstances dans lesquelles ces droits opposés doivent être soupesés varient beaucoup. Des questions comme la nature de l'infraction alléguée, la nature de l'ingérence demandée y compris l'endroit devant faire l'objet de la perquisition, le moment de la perquisition et la ou les personnes visées par la perquisition influeront sur la force de ces droits. Le caractère variable des facteurs qui influent sur la décision du juge qui accorde l'autorisation a été souligné par le juge Lamer (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Descôteaux c. Mierzwinski, précité. Il s'agit d'une affaire antérieure à la Charte, dans laquelle notre Cour a conclu que l'art. 443 (maintenant l'art. 487) prévoyait un pouvoir discrétionnaire lorsqu'un mandat était demandé à un juge aux termes du Code criminel. À la page 889, le juge Lamer dit:

J'opte en faveur de la discrétion, car elle permet un contrôle judiciaire plus efficace des forces de l'ordre. La perquisition est une exception aux principes les plus anciens et les plus fondamentaux de la common law et le pouvoir de perquisition doit être contrôlé strictement. Il va de soi que le juge de paix peut être parfois mal placé pour juger d'avance du besoin de perquisitionner. Après tout, la perquisition, tout en étant un véhicule de preuve, est aussi un instrument d'enquête. Il sera souvent difficile de déterminer péremptoirement la valeur probante d'une chose avant la fin de l'enquête policière. Quoi qu'il en soit, il y a des endroits dont on ne devrait de façon générale permettre la fouille qu'avec réticence et, le cas échéant, avec plus de manières que pour d'autres endroits. On n'entre pas à l'église comme on le fait chez le loup; ni à l'entrepôt comme chez l'avocat. On ne perquisitionne pas chez le tiers qu'on n'allègue pas avoir participé à la commission du crime comme chez celui qui fait l'objet d'une telle allégation.

Pour tenir compte des divers facteurs qui influent sur l'appréciation des deux droits, le juge qui donne l'autorisation doit être habilité à examiner toutes les circonstances. Aucune série de critères ne sera toujours déterminante ou suffisante pour l'emporter sur le droit d'un particulier à la protection de sa vie privée. Il est donc impérieux que l'officier qui donne l'autorisation jouisse d'une latitude suffisante pour que justice soit rendue à l'égard des droits respectifs visés.

Dans les arrêts Société Radio‑Canada c. Lessard, [1991] 3 R.C.S. 421, et Société Radio‑Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1991] 3 R.C.S. 459, notre Cour a examiné les facteurs dont devrait tenir compte un juge de paix au moment de déterminer s'il doit décerner un mandat de perquisition visant les locaux d'un média conformément à l'art. 487 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. On a soutenu que deux exigences étaient enchâssées dans la Constitution, savoir que le juge de paix doit être convaincu qu'il n'y avait pas d'autre moyen d'enquêter pour obtenir les documents et que, s'il y en avait un, on y avait eu recours. Lors du rejet de l'enchâssement de ces deux exigences dans la Constitution, notre Cour, à la majorité, a souligné l'importance d'évaluer le caractère raisonnable d'une perquisition compte tenu de tous les facteurs qui l'entourent. Le juge Cory a dit dans l'arrêt Société Radio‑Canada c. Nouveau Brunswick (Procureur général), à la p. 475:

Il est certain que toute perquisition dans des locaux entraîne des ennuis et des désagréments. L'atteinte au droit à la vie privée qu'une perquisition entraîne constitue une préoccupation importante pour tous les membres d'une société démocratique. Certaines perquisitions sont de toute évidence plus envahissantes et désagréables que d'autres. Par exemple, la perquisition dans une résidence est susceptible d'avoir des conséquences plus graves qu'une perquisition dans des locaux commerciaux qui peuvent être assujettis à une réglementation et à une inspection prévue par la loi. En raison de sa nature envahissante, un mandat de perquisition dans quelque endroit que ce soit ne doit être décerné que lorsqu'un juge de paix est convaincu que toutes les exigences de la loi ont été respectées. Dans de telles situations, lorsque tous les préalables prévus par la loi ont été établis, le juge de paix doit encore examiner toutes les circonstances pour déterminer s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire de décerner un mandat. Ce n'est pas une mesure qui doit être prise à la légère. C'est particulièrement vrai lorsque la perquisition doit être effectuée dans les bureaux d'un média et que les conséquences sont susceptibles de gêner son rôle, qui consiste à réunir et à publier des informations. [Je souligne.]

De plus, en réponse à l'argument selon lequel ces deux exigences constituent des conditions préalables à la perquisition visant les locaux d'un média, qui sont enchâssées dans la Constitution, le juge Cory a fait l'observation suivante, à la p. 478:

À mon avis, on ne peut pas dire que l'évaluation du caractère non abusif d'une perquisition repose uniquement sur ces deux facteurs. On doit plutôt évaluer tous les facteurs en tenant compte de la situation de fait particulière qui est présentée. Les facteurs qui peuvent être importants pour évaluer si une perquisition est abusive peuvent ne pas être pertinents à l'égard d'une autre. Simplement, il est impossible d'isoler deux facteurs des nombreux éléments qui ont une incidence sur cette évaluation et de les identifier comme des préalables. La question essentielle peut être formulée de la manière suivante: si on a tenu compte de toutes les circonstances et si on les a examinées avec justesse et objectivité, peut‑on dire que la perquisition n'était pas abusive?

L'article 8 de la Charte garantit le caractère non abusif global d'une perquisition. De toute évidence, la possibilité que la perquisition et la saisie aient des effets préjudiciables sur la liberté et le fonctionnement de la presse est très pertinente dans l'évaluation du caractère non abusif de la perquisition. Toutefois, ni l'al. 2b) ni l'art. 8 de la Charte n'exigent qu'on ait toujours satisfait aux deux exigences établies dans l'arrêt Pacific Press [Re Pacific Press Ltd. and The Queen (1977), 37 C.C.C. (2d) 487 (C.S.C.-B.)] pour qu'une perquisition soit permise et valide sur le plan constitutionnel. Il est essentiel que le processus de pondération conserve une certaine souplesse de manière que tous les facteurs pertinents relativement à l'affaire donnée soient pris en compte et convenablement évalués. [Je souligne.]

Dans certaines situations, ce pouvoir discrétionnaire ne sera exercé que si certaines conditions précises sont remplies et sous réserve des restrictions et des conditions relatives à l'exécution du mandat qui sont précisées dans l'autorisation. Par exemple, ce serait le cas pour la perquisition éventuelle dans une habitation privée. J'ai mentionné cette situation dans R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111, relativement aux autorisations de faire de l'écoute électronique dans une habitation. Le juge qui donne l'autorisation doit examiner la possibilité d'imposer des conditions. Le juge Lamer a, dans l'arrêt Descôteaux, souligné l'importance du pouvoir d'imposer des conditions et des restrictions, dont l'exercice dépendait de l'existence d'un pouvoir discrétionnaire résiduel (p. 891).

Non seulement l'existence d'un pouvoir discrétionnaire est‑elle indispensable à l'appréciation des droits envisagés dans l'arrêt Hunter, mais l'exigence que l'officier qui autorise la saisie soit indépendant et ait la capacité d'agir judiciairement est incompatible avec la notion que l'État peut lui dicter les circonstances précises dans lesquelles le droit du particulier peut être ignoré. Je fais mienne la déclaration du juge Morden, dans l'arrêt Minister of National Revenue c. Paroian, [1980] C.T.C. 131, à la p. 138, que [traduction] «La fonction du juge est la plus importante garantie. Il ressort implicitement de la disposition que le juge ne doit pas approuver sans discussion.» Cette déclaration a été citée et approuvée dans la décision Selye c. Québec, [1982] R.D.F.Q. 173, à la p. 176. Cette déclaration, qui a été faite dans une affaire antérieure à la Charte, s'appliquerait avec plus de force à l'époque de la Charte. Le concept d'un rôle d'approbation sans discussion serait complètement incompatible avec le rôle conféré à la magistrature comme l'a exprimé le juge Dickson dans Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, à la p. 72:

Deuxièmement, l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés (bien que, de toute évidence, elle ne soit pas pertinente en l'espèce à cause de sa date d'entrée en vigueur) a conféré aux tribunaux un autre rôle vraiment important: la défense des libertés individuelles fondamentales et des droits de la personne contre les ingérences de tout palier et organe de gouvernement. Encore une fois, l'indépendance judiciaire est essentielle pour jouer ce rôle profondément constitutionnel.

Après avoir conclu qu'un pouvoir discrétionnaire résiduel est une exigence constitutionnelle, il faut ensuite se demander si le par. 231.3(3) retire ce pouvoir discrétionnaire ou le restreint d'une manière inacceptable. À mon avis, il est clair qu'il faut répondre par l'affirmative à cette question. Je suis d'avis d'adopter le raisonnement de la Cour d'appel fédérale sur ce point, de préférence à celui de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique dans l'arrêt Kourtessis, précité. Le paragraphe 231.3(1) prévoit que, sur requête ex parte, un juge «peut» décerner un mandat de perquisition. Toutefois, le par. 231.3(3) prévoit que le juge «décerne» le mandat s'il est convaincu que les trois conditions qui y sont énoncées sont remplies. Comme l'a souligné le juge Hugessen, le terme «shall» doit normalement s'interpréter comme exprimant une obligation. Cette règle d'interprétation est contenue à l'art. 11 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21. Le terme employé au par. 231.3(3) a clairement l'effet mentionné par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Solvent Petroleum, précité, à la p. 24 (cité dans l'arrêt Baron, à la p. 695):

Le paragraphe 231.3(1) dit que «un juge peut décerner». Le paragraphe 231.3(3) énonce que «Le juge saisi de la requête décerne». En conséquence, il ressort, semble‑t‑il du texte du paragraphe 231.3(3) que si le juge qui décerne le mandat parvient à la conclusion que les conditions posées par les alinéas 231.3(3)a), b) et c) sont remplies, il n'a pas ni n'est autorisé à examiner si, auparavant, le contribuable s'est volontairement conformé à la demande de production de documents, si d'autres documents pourraient être remis volontairement, ou si le demandeur de mandats a pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir les renseignements d'une autre source avant de solliciter les mandats. En bref, si les conditions sont remplies, il doit décerner le mandat.

Comme notre Cour l'a dit dans le Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, à la p. 737, il convient de présumer que le terme anglais «shall» est obligatoire à moins que:

cette interprétation du terme «shall» ne soit absolument incompatible avec le contexte dans lequel il a été employé et ne rende les articles irrationnels ou vides de sens.

Le juge Hugessen a conclu qu'il n'y avait aucune raison de déroger à cette présomption et je souscris à ce qu'il a dit à cet égard, à la p. 697:

Il me semble qu'il n'y a absolument rien dans le contexte de l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu qui rendrait l'interprétation impérative de l'indicatif présent au paragraphe 231.3(3) incompatible avec le reste de l'article ou qui rendrait ce paragraphe dénué de sens ou de portée. En fait, je ne vois rien dans l'article qui indiquerait qu'il faut donner un sens permissif ou discrétionnaire à l'indicatif présent. Au contraire le rédacteur législatif a employé le terme permissif «peut» lorsque celui‑ci convenait (par exemple aux paragraphes 231.3(1) et (5)) tandis que l'emploi de l'indicatif présent au paragraphe 231.3(3) (de même, peut‑on souligner, au paragraphe 231.3(6)) semble bien résulter d'un choix délibéré.

De plus, l'ensemble de l'article 231.3 constitue une modification d'un texte législatif antérieur [par. 231(4)], qui était formulé dans des termes clairement permissifs et qui laissait un pouvoir discrétionnaire au juge devant autoriser la saisie. Au surplus, comme il a été mentionné auparavant, le texte du paragraphe 231.3(3) est unique et diffère substantiellement de toutes les dispositions législatives canadiennes concernant les mandats de perquisition [qui sont toutes permissives]. Je ne peux considérer pareil changement tant à la pratique antérieure qu'à celle qui existe à l'heure actuelle comme n'étant pas vraiment voulu.

Je conviens également avec le juge Hugessen que l'existence d'un pouvoir discrétionnaire est indispensable pour imposer des conditions à la délivrance du mandat. Comme il le dit, cette conclusion découle de ce que le juge Lamer a dit dans l'arrêt Descôteaux, précité. Bien que je n'irais pas jusqu'à conclure que le Parlement, en l'absence de termes exprès, a retiré le pouvoir de préciser les modalités d'exécution du mandat, je conviens que le pouvoir d'assortir de conditions préalables la délivrance du mandat ne saurait être exercé lorsque les critères fixés par la Loi relativement à la délivrance du mandat ont été respectés.

De plus, je n'accepte pas la position adoptée par le juge Reed en première instance et par les appelants, selon laquelle le pouvoir inhérent d'un juge d'empêcher un recours abusif aux procédures de la cour ou la violation d'un droit constitutionnel continue de conférer au juge appelé à décerner le mandat le pouvoir discrétionnaire de refuser de le décerner dans ces circonstances. Comme l'a conclu le juge Hugessen, à la p. 698, si les conditions énoncées dans le paragraphe comprennent toutes les conditions préalables à une perquisition raisonnable, «une requête qui satisfait à ces conditions ne peut être considérée comme abusive».

Finalement, je remarque que la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a conclu dans l'arrêt Kourtessis, précité, que le par. 231.3(3) préservait la fonction cruciale de pondération du juge qui décerne le mandat et que le retrait du pouvoir discrétionnaire de refuser de décerner un mandat lorsque tous les critères fixés par la Loi sont respectés est sans conséquence. Je suis d'accord avec le juge Hugessen qu'il faut rejeter ce raisonnement. Comme je l'ai déjà indiqué, afin de remplir convenablement le rôle de «pondération» qu'exige l'art. 8 de la Charte, un juge doit être en mesure d'apprécier toutes les circonstances pour déterminer si, dans chaque cas, les intérêts de l'État sont supérieurs au droit du particulier à la protection de sa vie privée. Lorsqu'il a limité les facteurs qu'un juge peut examiner, le Parlement a limité à tort la capacité d'un juge d'évaluer le caractère raisonnable d'une perquisition. Par exemple, comme l'a fait remarquer le juge Reed, le par. 231.3(3) empêche un juge d'examiner s'il existe d'autres sources raisonnables pour obtenir les renseignements recherchés dans le cadre de la perquisition effectuée dans un cabinet d'avocat, malgré l'exigence, énoncée dans l'arrêt Descôteaux, précité, que ce facteur soit examiné avant qu'un mandat de perquisition puisse être décerné en application de ce qui est maintenant l'art. 487 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Ayant tout cela à l'esprit, je conclus que le par. 231.3(3), par l'utilisation de l'indicatif présent «décerne», enlève au juge appelé à décerner le mandat le pouvoir discrétionnaire de refuser de le décerner lorsque, selon toutes les circonstances, une perquisition ou une saisie serait abusive. En fait, le paragraphe permet qu'un juge soit tenu par la Loi d'autoriser une perquisition ou une saisie abusive. Pour ce motif, l'emploi de l'indicatif présent crée un conflit entre le par. 231.3(3) et l'art. 8 de la Charte.

Toutefois, on a soutenu que la conclusion qui précède, bien qu'elle puisse convenir dans une situation comme celle de l'arrêt Hunter c. Southam Inc., ne s'applique pas à la LIR parce qu'il s'agit d'une mesure de réglementation et que le critère établi dans l'arrêt Hunter doit être assoupli. Je reconnais que la Cour, à la majorité, a qualifié la LIR de mesure de réglementation dans l'arrêt McKinlay Transport Ltd. c. La Reine, précité. À mon avis, toutefois, dans les circonstances très différentes de l'espèce, bien qu'elle puisse influer sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge qui donne l'autorisation, cette qualification ne permet pas d'interpréter l'art. 8 comme prescrivant un pouvoir discrétionnaire résiduel. Le juge Wilson, dans ses motifs majoritaires, a clairement établi la distinction qui existe entre la nature de l'ingérence de l'État dans l'arrêt McKinlay et l'espèce. Aux pages 649 et 650, elle dit:

À mon sens, le par. 231(3) [sic] prescrit la méthode la moins envahissante pour contrôler efficacement le respect de la Loi de l'impôt sur le revenu. Elle n'entraîne pas la visite du domicile ni des locaux commerciaux du contribuable, elle exige simplement la production de documents qui peuvent être utiles au dépôt des déclarations d'impôt sur le revenu.

À la page 649, le juge Wilson a reconnu que l'adoucissement des normes de l'arrêt Hunter relativement aux dispositions concernant la demande, en raison de la qualification de la disposition législative comme mesure de réglementation, ne validerait pas toutes les formes de perquisitions et de saisies effectuées sous le régime de la LIR. Elle a poursuivi:

L'intérêt qu'a l'État à contrôler le respect de la Loi doit être soupesé en fonction du droit des particuliers à la protection de leur vie privée. Plus grande est l'atteinte aux droits à la vie privée des particuliers, plus il est probable que des garanties semblables à celles que l'on trouve dans l'arrêt Hunter seront nécessaires. Ainsi, le fait pour des agents du fisc de pénétrer dans la propriété d'un particulier pour y faire une perquisition et une saisie constitue une immixtion beaucoup plus grande que la simple demande de production de documents. [Je souligne.]

Il convient de dire que la qualification de certaines infractions et de certains régimes législatifs comme étant des «mesures de réglementation» ou des «mesures pénales», bien qu'il s'agisse d'un facteur utile, n'est pas décisive aux fins de l'analyse fondée sur la Charte. Dans l'arrêt R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, où l'infraction de publicité fausse ou trompeuse prévue dans la Loi sur la concurrence, S.R.C. 1970, ch. C‑23 et ses modifications, a été contestée sur le fondement de l'art. 7 et de l'al. 11d) de la Charte, le juge La Forest a dit, à la p. 209, que «ce qui importe en fin de compte, ce ne sont pas les étiquettes (bien qu'elles soient sans doute utiles), mais les valeurs en jeu dans le contexte particulier», et il a conclu que la possibilité d'une peine d'emprisonnement de cinq ans à la suite d'une déclaration de culpabilité est une privation de liberté qui nécessite des garanties beaucoup plus importantes que les dispositions visées dans l'arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, pour respecter l'art. 7 ou l'al. 11d).

À mon avis, cette logique s'applique en l'espèce. L'article 231.3 prévoit et autorise l'entrée et la perquisition, contre le gré de l'occupant, dans des locaux privés, même ceux occupés par des tiers innocents à l'égard desquels il n'y a aucune allégation d'infraction. La perquisition a pour but de fournir des éléments de preuve qui seront utilisés dans les poursuites relatives à des infractions à la LIR. La perquisition dans des locaux privés (je veux dire privés au sens de propriété privée peu importe si le public y a accès pour faire des affaires) constitue la plus grave atteinte à la vie privée, abstraction faite de l'atteinte à l'intégrité physique. Cela est tout à fait différent que d'obliger une personne à comparaître lors d'un interrogatoire sous serment et à apporter avec elle certains documents, en vertu d'un subpoena duces tecum (Thomson Newspapers, précité) ou à produire des documents sur demande (McKinlay Transport, précité). Les juges La Forest et L'Heureux‑Dubé ont tous deux reconnu dans l'arrêt Thomson Newspapers, précité, aux pp. 520 et 594 respectivement, que le pouvoir d'effectuer une perquisition dans un endroit porte plus atteinte à la vie privée d'un particulier que le simple pouvoir d'ordonner la production de documents.

La nature envahissante d'une perquisition a été reconnue par notre Cour à diverses occasions: voir, par exemple, Société Radio‑Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), précité. Les mandats de perquisition constituent une atteinte importante à la vie privée d'un particulier qui est à la fois contrariante et perturbatrice. Des documents confidentiels qui n'ont rien à voir avec l'infraction qui fait l'objet de l'enquête, peuvent être examinés par des étrangers. Il ne faudrait pas oublier que l'art. 231.3 permet les perquisitions non seulement dans les locaux commerciaux mais également dans les foyers des contribuables ainsi que dans les locaux de tiers innocents. En outre, les locaux de particuliers dont les rapports avec le contribuable visé peuvent être assujettis au secret professionnel et dont les bureaux peuvent également contenir des renseignements confidentiels relatifs à d'autres personnes pourraient également faire l'objet d'une perquisition.

Compte tenu de la nature envahissante des perquisitions et de leur objet correspondant qui est de recueillir des éléments de preuve afin de poursuivre un contribuable, je ne vois aucune raison de s'écarter de façon radicale des lignes directrices et des principes exposés dans l'arrêt Hunter, précité. Toute réduction des attentes en matière de protection de la vie privée en raison de la nature de la LIR influera sans doute sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge appelé à donner l'autorisation, mais ne saurait en justifier l'élimination.

Cela est suffisant pour trancher le pourvoi. Toutefois, j'examinerai les autres moyens invoqués pour contester ou défendre la disposition car ils ont été discutés à fond. La façon de statuer sur ces moyens additionnels pourrait influer sur la réparation qui convient.

(2) Les «motifs raisonnables» de croire: par. (3)

Le deuxième argument soulevé par les contribuables dans ces deux pourvois porte sur la distinction entre «motifs raisonnables» et «motifs raisonnables et probables». On soutient que l'exigence, au par. 231.3(3), de «motifs raisonnables» de croire qu'il y a respect des critères établis par la Loi n'est pas suffisante du point de vue constitutionnel car il s'agit d'une norme inférieure à celle des «motifs raisonnables et probables» et que seule cette dernière satisfera aux exigences de l'art. 8. Cet argument doit son existence (précaire) en partie à des passages de l'arrêt Hunter, précité, qui sont invoqués par les deux parties. D'une part, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) affirme, à la p. 168, que «l'existence de motifs raisonnables et probables . . . constitue le critère minimal». D'autre part, il dit, à la p. 167, que les expressions «un motif raisonnable pour croire» à l'art. 443 du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34 (maintenant L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 487) et «un motif plausible» dans le Quatrième amendement de la Constitution américaine sont identiques.

À mon avis, l'omission du terme «probable» au par. 231.3(3) est sans conséquence. La norme que ce paragraphe établit est celle de la probabilité fondée sur la crédibilité, qui est la norme prescrite par l'art. 8 de la Charte. En toute déférence, je ne suis pas d'accord avec la conclusion du juge Locke dans l'arrêt Kourtessis, précité, que le terme «raisonnable» ne correspond pas à l'expression «raisonnable et probable», et je suis d'avis que son recours à une façon d'interpréter le terme de manière à le rendre conforme aux exigences de la Constitution revient à en forcer inutilement le sens. Je préfère le raisonnement du juge Lysyk de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique sur ce point. Le juge Lysyk a souligné que l'arrêt Hunter, précité, ne sème aucun doute quant à la formulation «motifs raisonnables» qu'on trouve à l'art. 443 (maintenant l'art. 487) du Code criminel, qui est identique à cet égard au par. 231.3(3) de la LIR. Il a conclu que la distinction invoquée par les contribuables était une [traduction] «distinction subtile» du genre qu'on trouve dans la jurisprudence américaine relative au Quatrième amendement, avec sa clause sur les mandats qui parle d'un «motif plausible», et qui doit être évitée dans l'interprétation de l'art. 8 de la Charte: R. c. Rao (1984), 12 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi refusée, [1984] 2 R.C.S. ix.

À mon sens, l'arrêt Hunter, précité, ne soulève pas une controverse légitime sur ce point. Cet arrêt exigeait des motifs raisonnables «et probables» et établissait en même temps que les deux termes faisaient intervenir la même norme. Le «caractère raisonnable» comprend une exigence de probabilité. Comme le juge Wilson l'a dit dans l'arrêt R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140, à la p. 1166, conf. (1986), 30 C.C.C. (3d) 207 (C.A. Ont.), à la p. 219, la norme applicable pour déterminer s'il existe des motifs raisonnables d'effectuer une perquisition est la «probabilité raisonnable». Il semblerait que l'expression législative normale au Canada soit «motifs raisonnables» et que, par souci d'uniformité pourrait‑on penser, certaines des exceptions restantes qui exigent des «motifs raisonnables et probables» aient été modifiées au cours des dernières années, par l'abandon des termes «et probables»: voir les motifs du juge Locke dans l'arrêt Kourtessis, aux pp. 24 et 25. Cet emploi de l'expression «motifs raisonnables» pour justifier la délivrance des mandats de perquisition n'est pas fatal du point de vue constitutionnel. Il satisfait plutôt aux exigences de l'art. 8.

(3)La norme applicable à la communication de la preuve: al. (3)b)

L'autre point que soulèvent les contribuables est que l'al. 231.3(3)b) édulcore la norme constitutionnelle minimale relative à la probabilité que la perquisition permettra de découvrir des éléments de preuve. La Cour d'appel fédérale a retenu cet argument. Les contribuables se fondent sur le passage suivant des motifs du juge Dickson dans l'arrêt Hunter, à la p. 167:

La difficulté réside dans la stipulation d'une conviction raisonnable que des éléments de preuve peuvent être découverts au cours de la perquisition. Une fois de plus, il est utile, à mon avis, de considérer le but recherché. L'établissement d'un critère objectif applicable à l'autorisation préalable de procéder à une fouille, à une perquisition ou à une saisie a pour but de fournir un critère uniforme permettant de déterminer à quel moment les droits de l'État de commettre ces intrusions l'emportent sur ceux du particulier de s'y opposer. Relier ce critère à la conviction raisonnable d'un requérant que la perquisition peut permettre de découvrir des éléments de preuve pertinents équivaudrait à définir le critère approprié comme la possibilité de découvrir des éléments de preuve. Il s'agit d'un critère très faible qui permettrait de valider une intrusion commise par suite de soupçons et autoriserait des recherches à l'aveuglette très étendues. Ce critère favoriserait considérablement l'État et ne permettrait au particulier de s'opposer qu'aux intrusions les plus flagrantes. Je ne crois pas que ce soit là un critère approprié pour garantir le droit d'être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.

Cet extrait souligne la nécessité de protéger les particuliers contre les perquisitions abusives sous forme de «recherches à l'aveuglette» effectuées par l'État. Notre Cour a établi dans l'arrêt Hunter que c'est la norme de la probabilité fondée sur la crédibilité plutôt que la norme du simple soupçon qui devrait être appliquée pour déterminer quand le droit d'un particulier à la protection de sa vie privée est subordonné aux besoins en matière d'application de la loi.

À mon avis, l'argument des contribuables et la conclusion du juge Hugessen que l'al. 231.3(3)b) ne satisfait pas à ce critère reposent sur une interprétation erronée de l'alinéa. Il existe des différences importantes entre le texte législatif visé en l'espèce et celui dont il est question dans l'arrêt Hunter, précité. L'article contesté dans l'arrêt Hunter prévoyait que lorsque le directeur des enquêtes et recherches de la direction des enquêtes sur les coalitions croit qu'il «peut exister des preuves» se rapportant à une enquête, les fonctionnaires peuvent effectuer une perquisition et saisir tout ce qui est «susceptible de fournir une preuve»: Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C‑23, par. 10(1). La disposition attaquée en l'espèce exige des motifs raisonnables de croire, notamment, qu'il est vraisemblable de trouver des choses qui «peuvent constituer des éléments de preuve». Cette formulation ne respecte pas la norme de la «possibilité de découvrir des éléments de preuve», qui a été rejetée parce qu'elle était trop faible dans l'arrêt Hunter (à la p. 167; souligné dans l'original). Elle respecte plutôt la norme de la «probabilité fondée sur la crédibilité» que prescrit l'art. 8. L'alinéa, par l'utilisation du terme «vraisemblable» relativement aux chances de découvrir la chose recherchée, fait intervenir le critère de la probabilité. La disposition législative dans l'arrêt Hunter, précité, recourait au seuil moins élevé du terme «peut» relativement aux chances de découvrir la chose recherchée, ce qui a été jugé inacceptable. Il faut se rappeler que, lorsque le juge Dickson a dit qu'il devait y avoir au moins des motifs raisonnables et probables de croire que des éléments de preuve se trouvent à l'endroit de la perquisition (p. 168), qu'il examinait l'exigence législative que «des éléments de preuve [puissent] être découverts», qui établissait comme critère la simple possibilité de découvrir des éléments de preuve. Il ressort clairement des motifs du juge Dickson dans l'arrêt Hunter que la norme déterminante est la probabilité fondée sur la crédibilité et non pas la simple possibilité. Le terme «vraisemblable» respecte cette norme. L'emploi de ce terme à l'al. 231.3b) est renforcé par les termes explicites de l'al. 231.3c).

Le terme «peuvent» est utilisé dans un sens différent à l'al. 231.3(3)b), c'est‑à‑dire en ce qui concerne la valeur probante de la chose recherchée. L'emploi du terme «peut» ou «peuvent» en ce qui concerne l'utilisation des choses découvertes comme éléments de preuve dans une poursuite ne déroge pas à la norme de la probabilité de découvrir la chose recherchée; il reconnaît plutôt la nature du processus d'enquête. Dans l'arrêt Hunter, on se préoccupait de la probabilité de découvrir les choses recherchées et non pas de la certitude que les choses découvertes seraient utilisées en preuve. Toutefois, les contribuables ne limitent pas leur argumentation à l'arrêt Hunter. Ils mentionnent également des décisions qui ont déclaré invalide le par. 111(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), qui utilisait les termes «à la présence»: voir, par exemple, Goguen c. Shannon (1989), 50 C.C.C. (3d) 45 (C.A.N.‑B.); Nima c. McInnes (1988), 45 C.C.C. (3d) 419 (C.S.C.‑B. en chambre). Toutefois, ils se fondent à tort sur ces décisions. Le texte contestable de la Loi sur les douanes concernait la norme applicable pour découvrir les choses recherchées et non pour permettre de prouver l'infraction.

L'emploi du terme «peut» concernant l'utilisation de la chose découverte comme élément de preuve dans une poursuite reflète simplement l'une des réalités élémentaires de la procédure d'enquête relative aux infractions. Il est impossible de savoir avec certitude au début d'une enquête quels articles particuliers constitueront des éléments de preuve lors d'un procès. J'admets que, dans certaines enquêtes policières ou d'autres enquêtes officielles, il y a certains éléments dont la valeur probante est connue au préalable et dont on peut dire en toute confiance que «cet élément sera probablement découvert et, servira le cas échéant, d'élément de preuve au procès». Toutefois, on ne peut s'attendre à ce que cette norme s'applique à chaque élément qui peut être pertinent relativement à la perpétration de l'infraction. De plus, même dans ce qui semble être un cas évident, il est souvent impossible de connaître avec certitude la valeur probante des choses recherchées. Cela dépendra souvent d'une enquête et d'une analyse additionnelles après l'exécution du mandat de perquisition. En conséquence, exiger un critère plus strict limiterait indûment l'enquête et on ne peut avoir voulu qu'il constitue une condition préalable à une perquisition et à une saisie valides.

Par conséquent, je conclus que la norme «peuvent constituer des éléments de preuve», lorsqu'elle est conjuguée à l'exigence d'une probabilité, fondée sur la crédibilité, que les choses recherchées seront vraisemblablement découvertes est acceptable du point de vue constitutionnel. J'appuie cette conclusion sur le fait qu'en common law l'expression «peuvent constituer des éléments de preuve» a été considérée comme un critère suffisant pour décerner un mandat. Comme un juge l'a dit dans une affaire de fraude:

[traduction] Il n'est pas nécessaire que le magistrat soit convaincu que les documents dont la recherche est demandée en l'espèce puissent démontrer la fraude qui aurait été commise. Il n'a pas à trancher la question de savoir si l'infraction a été commise au moment où il a décerné le mandat de perquisition, ni celle de savoir si les documents recherchés peuvent en fait aider à établir la perpétration de l'infraction. Il suffit qu'il soit convaincu de l'existence de motifs raisonnables de croire que ces documents pourraient aider à établir la perpétration de l'infraction et qu'ils se trouvaient dans les lieux à l'égard desquels le mandat de perquisition est demandé. [Wiens c. The Queen (1973), 24 C.R.N.S. 341 (B.R. Man.), à la p. 347.] [Je souligne.]

Bien que l'avocat du procureur général du Canada ait raison d'admettre, comme il l'a fait dans son mémoire, que la norme de common law ne saurait dicter la norme constitutionnelle, je souscris à son argument selon lequel la logique des décisions fondées sur la common law s'applique avec une force accrue aux affaires complexes de fraude commerciale et d'évasion fiscale de l'époque moderne. Comme le juge Hartt l'a affirmé dans la décision R. c. Burnett, [1985] 2 C.T.C. 227 (H.C. Ont.), aux pp. 238 et 239:

[traduction] Lorsqu'on allègue l'existence d'une inconduite de nature complexe en vertu de laquelle des fonds seraient détournés par l'entremise d'un certain nombre de sociétés intimement liées afin de dissimuler leur aliénation, il me semble que le nombre de documents susceptibles de constituer des éléments de preuve d'une telle violation puisse être effectivement très élevé. Dans un tel cas, toute une catégorie de documents peut en fait être nécessaire pour retracer les opérations. Il va de soi qu'il se peut, en dernière analyse, que bien des documents dans un dossier ne soient pas pertinents en ce qui concerne une fraude fiscale. Toutefois, il est impossible d'en écarter la pertinence sans un examen détaillé de tous les documents saisis.

De plus, dans l'arrêt Re Print Three Inc., précité, à la p. 397, le juge en chef adjoint McKinnon de l'Ontario affirme, au nom de la cour (avec l'appui des juges Martin et Thorson):

[traduction] . . . en raison de l'étendue et de la complexité des affaires commerciales, à cause de la technologie et des méthodes commerciales modernes, il est impossible de définir avec précision les documents qui sont recherchés dans les affaires de fraude ou d'évasion fiscale.

Étant donné les difficultés qu'il y a à préciser les éléments particuliers qu'on demande à saisir, et à déterminer de quelle façon ils s'inscrivent dans un ensemble complexe d'activité économique, la justesse du critère «peuvent constituer des éléments de preuve» est évidente dans le contexte des enquêtes en matière d'impôt sur le revenu.

En toute déférence, je suis par conséquent en désaccord avec l'acceptation par le juge Hugessen de l'argument des contribuables sur ce point (à la p. 708), et je conclus que le texte de l'al. 231.3(3)b) est conforme au droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives que garantit l'art. 8 de la Charte.

(4)Les perquisitions et les saisies générales: par. (5)

Finalement, le par. 231.3(5) est contesté parce qu'il permet le même genre de «perquisitions et de saisies générales» sans l'autorisation préalable qui, sous le régime de la disposition législative précédente, a été jugée contraire à l'art. 8 de la Charte. Le procureur général du Canada et les intervenants ont fait valoir que, compte tenu de la nature des documents visés, la disposition constitue un élargissement raisonnable voire un reflet de la théorie des «objets bien en vue» qui permet la saisie des objets bien en vue. Les contribuables soutiennent que le par. 231.3(5) va plus loin que les saisies d'objets bien en vue parce qu'il sera rarement évident qu'un document particulier constitue un élément de preuve de la violation de la LIR. Le problème que soulève cette question est qu'elle se pose dans l'abstrait car il n'y a aucune indication que des documents ont été saisis sur le fondement de cette disposition. Nous n'aimons jamais trancher des questions constitutionnelles en l'absence de fondement factuel: Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086; MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, aux pp. 361 et 366; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, aux pp. 762, 767 et 768. Je crois que la question devrait être tranchée lorsque notre Cour aura à se prononcer sur une situation dans laquelle on se sera fondé sur la disposition pour saisir des documents. Compte tenu de la réparation que j'ai adoptée, l'art. 231.3 devra être adopté de nouveau et, par conséquent, il pourra être justifié de revoir le texte de cet article. De plus, je crois que la disposition est rédigée en des termes susceptibles d'être interprétés de manière conforme aux limites constitutionnelles établies par le juge Lamer (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la p. 1078. Pour ce motif, le pouvoir de saisie pourrait être limité aux documents susceptibles d'être saisis selon la théorie des «objets bien en vue» en effectuant les adaptations qui s'imposent en raison des circonstances spéciales d'une enquête en matière d'impôt sur le revenu.

C.L'article premier

Comme je l'ai dit au début de mes motifs, je n'ai pas l'intention de m'engager dans une analyse fondée sur l'article premier étant donné que ni les appelants ni les intervenants en l'espèce, ni même l'intimé ou les intervenants dans l'arrêt Kourtessis ne nous ont présenté d'arguments ou d'éléments de preuve susceptibles de démontrer que l'art. 231.3, s'il est abusif aux fins de l'art. 8, est toutefois raisonnable et que sa justification peut se démontrer aux fins de l'article premier. Il incombait au gouvernement de démontrer que la loi constituait une limite raisonnable et il n'a pas tenté de le faire. Comme le juge Dickson l'a fait remarquer dans l'arrêt Hunter, la question de savoir «quelle autre prépondérance des droits, s'il y a lieu, peut être envisagée par l'art. 1 outre celle qu'envisage l'art. 8» (à la p. 170) pose un problème. C'est vraisemblablement pour la même raison que notre Cour n'a pas abordé l'article premier dans d'autres arrêts qui ont porté sur l'art. 8 de la Charte.

D.Réparation

La Cour d'appel fédérale a, par son ordonnance formelle, annulé les mandats de perquisition et ordonné la remise des documents saisis en vertu des mandats. Toutefois, les motifs contiennent [traduction] «une déclaration que l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu est inopérant». Cette déclaration est omise dans l'arrêt formel mais je présume qu'il s'agit là d'un oubli. Les appelants n'ont présenté aucun argument selon lequel, en cas de rejet du pourvoi, la réparation accordée par la Cour d'appel devrait être modifiée. L'ordonnance demandée dans le mémoire des appelants est que [traduction] «le pourvoi soit accueilli avec dépens et que la demande d'annulation du mandat de perquisition soit rejetée». Le procureur général du Canada soutient également qu'il convient de répondre à la question constitutionnelle par la négative. Donc, techniquement, nous ne sommes pas régulièrement saisis de la question d'une réparation autre que celle qui a été accordée par la Cour d'appel.

En outre, il est évident que l'annulation de l'art. 231.3 constitue une réparation appropriée, voire la réparation la plus appropriée. Le paragraphe qui, à mon avis, est inadéquat du point de vue constitutionnel est celui qui prescrit les conditions préalables à la délivrance d'un mandat. Tout le régime est fondé sur la délivrance du mandat et toutes les autres parties de l'article dépendent, pour ce qui est de leur pertinence, de la délivrance valide d'un mandat de perquisition et sont inextricablement liées à celle‑ci. En l'absence du pouvoir de décerner un mandat, le reste de l'article est dépourvu de sens. Dans certains cas, il peut être à propos de donner une «interprétation atténuée» en modifiant l'intention manifeste d'une disposition législative. Une telle décision exige qu'on détermine que cette réparation constituera l'ingérence la moins importante dans le rôle du législateur qui correspond au maintien des valeurs et des objectifs de la Charte. Voir l'arrêt Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69, à la p. 104, et l'arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, à la p. 707. Il s'agit d'une décision que je ne suis pas prêt à prendre en l'absence d'arguments, avancés par le procureur général du Canada pour le compte du gouvernement du Canada, selon lesquels l'interprétation atténuée constituera une ingérence moins importante.

VII. Dispositif

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens. L'arrêt de la Cour d'appel est rétabli mais il y a lieu de modifier son ordonnance formelle de manière à inclure le jugement déclaratoire relatif à l'invalidité de l'art. 231.3. Je suis d'avis de répondre à la question constitutionnelle de la manière suivante:

Question:L'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, modifié par S.C. 1986, ch. 6, limite‑t‑il les droits et libertés garantis par les art. 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11, et est‑il, par conséquent, inopérant conformément à l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11?

Réponse:Oui, du fait que le par. 231.3(3) viole l'art. 8.

Pourvoi rejeté avec dépens. Le paragraphe 231.3(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu viole l'art. 8 de la Charte et est inopérant.

Procureur des appelants: John C. Tait, Ottawa.

Procureurs des intimés: Phillips & Vineberg, Montréal.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le procureur général de l'Ontario, Toronto.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Québec: Le procureur général du Québec, Montréal.

* Le juge Stevenson n'a pas pris part au jugement.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté. L'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu viole l'art. 8 de la Charte et est inopérant

Analyses

Impôt sur le revenu - Mise en application - Perquisition et saisie - Exécution d'un mandat qui autorise une perquisition et une saisie - Restriction du pouvoir discrétionnaire judiciaire de décerner des mandats par une disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu qui autorise la délivrance de mandats - L'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu porte‑t‑il atteinte aux art. 7 et 8 de la Charte? - Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, art. 231.3 [aj. S.C. 1986, ch. 6, art. 121] - Charte canadienne des droits et libertés, art. 8.

Les fonctionnaires de Revenu Canada croyaient que certains documents appartenant aux intimés pouvaient constituer des éléments de preuve de diverses infractions à la Loi de l'impôt sur le revenu qui auraient été commises. La Cour fédérale, Section de première instance, a décerné des mandats, en vertu de l'art. 231.3 de la Loi, afin de perquisitionner dans les résidences et les locaux d'affaires des intimés, et un grand nombre de documents ont été saisis. Cet article prévoit que le juge saisi de la demande "décerne le mandat" s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une infraction prévue par la Loi a été commise, qu'il est vraisemblable de trouver des documents ou choses qui peuvent constituer des éléments de preuve de la perpétration de l'infraction, que l'endroit qui doit faire l'objet de la perquisition contient vraisemblablement de tels documents ou choses.

En 1989, les intimés ont présenté trois requêtes et intenté une action en Cour fédérale, Section de première instance, en vue d'obtenir des ordonnances annulant les mandats de perquisition, déclarant que l'art. 231.3 viole les art. 7, 8 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, enjoignant de remettre ou de détruire tous les documents saisis ainsi que les résumés, notes ou diagrammes tirés de ces documents, et interdisant au Ministère d'utiliser ces documents.

Ces procédures ont été rejetées dans une seule série de motifs. La Cour d'appel fédérale a examiné les quatre appels ensemble et a conclu que l'art. 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu était contraire aux art. 7 et 8 de la Charte, a accueilli les appels et annulé les mandats de perquisition pour le motif que l'art. 231.3 de la Loi violait les art. 7 et 8 de la Charte. Avec le consentement des intimés, le Ministre s'est pourvu devant notre Cour contre un seul des arrêts de la Cour d'appel. La question constitutionnelle dont est saisie notre Cour est de savoir si l'art. 231.3 limite les droits et libertés garantis par les art. 7 et 8 de la Charte.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté. L'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu viole l'art. 8 de la Charte et est inopérant.

L'article 8 de la Charte prescrit un pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser de décerner un mandat de perquisition dans les circonstances appropriées même si les critères de la Loi relatifs à la délivrance de celui‑ci ont été respectés, et le par. 231.3(3) a retiré ce pouvoir discrétionnaire résiduel.

L'exercice d'un pouvoir discrétionnaire judiciaire de décider d'accorder ou de refuser l'autorisation d'un mandat de perquisition était essentiel au régime d'autorisation préalable qui constituait une condition indispensable du respect de l'art. 8. La décision d'accorder ou de refuser le mandat exige de soupeser deux droits: celui du particulier d'être libre de toute ingérence de l'État et celui de l'État de s'immiscer dans la vie privée du particulier en vue d'appliquer la loi. Les circonstances dans lesquelles ces droits opposés doivent être soupesés varient beaucoup. Des questions comme la nature de l'infraction alléguée, la nature de l'ingérence demandée y compris l'endroit devant faire l'objet de la perquisition, le moment de la perquisition et la ou les personnes visées par la perquisition influeront sur la force de ces droits. Pour tenir compte des divers facteurs qui influent sur l'appréciation des deux droits, le juge qui donne l'autorisation doit être habilité à examiner toutes les circonstances. Aucune série de critères ne sera toujours déterminante ou suffisante pour l'emporter sur le droit d'un particulier à la protection de sa vie privée. Il est donc impérieux que l'officier qui donne l'autorisation jouisse d'une latitude suffisante pour que justice soit rendue à l'égard des droits respectifs visés. L'exigence que l'officier qui autorise la saisie soit indépendant et ait la capacité d'agir judiciairement est incompatible avec la notion que l'État peut lui dicter les circonstances précises dans lesquelles le droit du particulier peut être ignoré.

Le paragraphe 231.3(3) prévoit que le juge «décerne» («shall issue») le mandat s'il est convaincu que les trois conditions qui y sont énoncées sont remplies. Le terme «shall» doit normalement s'interpréter comme exprimant une obligation à moins qu'une telle interprétation ne soit absolument incompatible avec le contexte dans lequel il a été employé et ne rende les articles irrationnels ou vides de sens. Rien dans le contexte de l'art. 231.3 ne rend l'interprétation impérative de l'indicatif présent («shall issue») du par. 231.3(3) incompatible avec le reste de l'article ou ne rend ce paragraphe dénué de sens ou de portée.

En raison de ces termes exprimant une obligation, le pouvoir discrétionnaire du juge qui décerne le mandat d'en assortir la délivrance de conditions préalables ne saurait être exercé lorsque les critères fixés par la Loi relativement à la délivrance du mandat ont été respectés. De plus, le pouvoir inhérent d'un juge d'empêcher un recours abusif aux procédures de la cour ou la violation d'un droit constitutionnel ne confère pas au juge appelé à décerner le mandat le pouvoir discrétionnaire de refuser de le décerner dans ces circonstances. Si les conditions énoncées dans le paragraphe comprennent toutes les conditions préalables à une perquisition raisonnable, une requête qui satisfait à ces conditions ne peut être considérée comme abusive.

Le retrait du pouvoir discrétionnaire de refuser de décerner un mandat lorsque tous les critères fixés par la Loi sont respectés a pour effet de dépouiller le juge appelé à décerner le mandat de sa fonction de pondération. Afin de remplir convenablement le rôle de «pondération» qu'exige l'art. 8 de la Charte, un juge doit être en mesure d'apprécier toutes les circonstances pour déterminer si, dans chaque cas, les intérêts de l'État sont supérieurs au droit du particulier à la protection de sa vie privée. Lorsqu'il a limité les facteurs qu'un juge peut examiner, le Parlement a limité à tort la capacité d'un juge d'évaluer le caractère raisonnable d'une perquisition.

Le paragraphe 231.3(3) enlève au juge appelé à décerner le mandat le pouvoir discrétionnaire de refuser de le décerner lorsque, selon toutes les circonstances, une perquisition ou une saisie serait abusive et, en fait, peut exiger qu'un juge autorise une perquisition ou une saisie abusive. En raison de l'utilisation de l'indicatif présent «décerne» («shall issue»), le paragraphe porte atteinte à l'art. 8 de la Charte.

Bien qu'elle puisse influer sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge qui donne l'autorisation, la qualification d'une loi comme mesure de réglementation ne permet pas d'interpréter l'art. 8 comme prescrivant un pouvoir discrétionnaire résiduel. Ce qui importe en fin de compte, ce ne sont pas les étiquettes (bien qu'elles soient sans doute utiles), mais les valeurs en jeu dans le contexte particulier. Compte tenu de la nature envahissante des perquisitions et de leur objet correspondant qui est de recueillir des éléments de preuve afin de poursuivre un contribuable, il n'y a aucune raison de s'écarter de façon radicale des lignes directrices et des principes exposés dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145. Toute réduction des attentes en matière de protection de la vie privée en raison de la nature de la Loi de l'impôt sur le revenu influera sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge appelé à donner l'autorisation, mais ne saurait en justifier l'élimination.

On a rejeté l'argument voulant que la norme des «motifs raisonnables», au par. 231.3(3), n'est pas suffisante du point de vue constitutionnel car il s'agit d'une norme inférieure à celle des «motifs raisonnables et probables» et que seule cette dernière satisfait aux exigences de l'art. 8 de la Charte. L'omission du terme «probable» au par. 231.3(3) est sans conséquence. La norme que ce paragraphe établit est celle de la probabilité fondée sur la crédibilité, qui est la norme prescrite par l'art. 8. Le terme «raisonnable» correspond à l'expression «raisonnable et probable» et fait intervenir la même norme. Le «caractère raisonnable» comprend une exigence de probabilité. Le recours à une façon d'interpréter le terme de manière à le rendre conforme aux exigences de la Constitution revient à en forcer inutilement le sens. La prétendue distinction entre les deux expressions était une «distinction subtile» du genre qu'on trouve dans la jurisprudence américaine relative à la Constitution et doit être évitée dans l'interprétation de l'art. 8 de la Charte.

L'alinéa 231.3(3)b), qui exige que le juge appelé à donner l'autorisation soit convaincu qu'il est «vraisemblable de trouver» des documents ou choses qui «peuvent constituer des éléments de preuve», n'édulcore pas la norme constitutionnelle minimale relative à la probabilité que la perquisition permettra de découvrir des éléments de preuve. On a reconnu la nécessité de protéger les particuliers contre les perquisitions abusives sous forme de «recherches à l'aveuglette» effectuées par l'État. C'est la norme de la probabilité fondée sur la crédibilité plutôt que la norme du simple soupçon qui doit être appliquée pour déterminer quand le droit d'un particulier à la protection de sa vie privée est subordonné aux besoins en matière d'application de la loi. La formulation de l'al. 231.3(3)b) respecte la norme de la «probabilité fondée sur la crédibilité» que prescrit l'art. 8, par l'utilisation du terme «vraisemblable» qui fait intervenir le critère de la probabilité. L'emploi du terme «peut» concernant l'utilisation de la chose découverte comme élément de preuve dans une poursuite reflète simplement l'une des réalités élémentaires de la procédure d'enquête relative aux infractions. Il est impossible de savoir avec certitude au début d'une enquête quels articles particuliers constitueront des éléments de preuve lors d'un procès.

La question de savoir si le par. 231.3(5) permet le même genre de «perquisitions et de saisies générales» sans l'autorisation préalable qui, sous le régime de la disposition législative précédente, a été jugée au contraire à l'art. 8 de la Charte devrait être tranchée lorsque notre Cour aura à se prononcer sur une situation dans laquelle on se sera fondé sur la disposition pour saisir des documents.

Aucune analyse fondée sur l'article premier de la Charte n'a été effectuée. Il incombait au gouvernement de démontrer que la loi constituait une limite raisonnable et il n'a pas tenté de le faire.


Parties
Demandeurs : Baron
Défendeurs : Canada

Références :

Jurisprudence
Arrêts examinés: Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145
R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627
Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860
Société Radio‑Canada c. Lessard, [1991] 3 R.C.S. 421
Société Radio‑Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1991] 3 R.C.S. 459
arrêts mentionnés: Kourtessis c. M.R.N., C.S.C., no 21654, en appel de (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 1
Solvent Petroleum Extraction Inc. c. Canada (M.R.N.), [1990] 1 C.F. 20 (C.A.), conf. [1988] 3 C.F. 465 (autorisation de pourvoi refusée, [1989] 2 R.C.S. xi)
Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535
R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495
Re Print Three Inc. and The Queen (1985), 20 C.C.C. (3d) 392, autorisation de pourvoi refusée, [1985] 2 R.C.S. x
Kohli c. Moase (1987), 86 N.B.R. (2d) 15, conf. pour d'autres motifs par (1989), 55 D.L.R. (4th) 740
R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111
Minister of National Revenue c. Paroian, [1980] C.T.C. 131
Selye c. Québec, [1982] R.D.F.Q. 173
Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56
Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721
R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154
Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425
R. c. Rao (1984), 12 C.C.C. (3d) 97, autorisation de pourvoi refusée, [1984] 2 R.C.S. ix
R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140, conf. (1986), 30 C.C.C. (3d) 207
Goguen c. Shannon (1989), 50 C.C.C. (3d) 45
Nima c. McInnes (1988), 45 C.C.C. (3d) 419
Wiens c. The Queen (1973), 24 C.R.N.S. 341
R. c. Burnett, [1985] 2 C.T.C. 227
Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086
MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357
R c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713
Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038
Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69
Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 8, 11d), 15.
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 443 [maintenant L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 487].
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), app. III, art. 2.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52(1).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, art. 121, 231.3(1), (2), (3), (4), (5), (6), (7), (8) [aj. S.C. 1986, ch. 6] [auparavant art. 231(4)], 239(1)c), d), 443 [maintenant L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 487].
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 11.
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C‑23, art. 10(1).
Loi sur la concurrence, S.R.C. 1970, ch. C‑23.
Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), art. 111(1).

Proposition de citation de la décision: Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416 (21 janvier 1993)


Origine de la décision
Date de la décision : 21/01/1993
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1993] 1 R.C.S. 416 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-01-21;.1993..1.r.c.s..416 ?
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