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25/03/1993 | CANADA | N°[1993]_1_R.C.S._980

Canada | Peter c. Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980 (25 mars 1993)


Peter c. Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980

Catherine Peter Appelante

c.

William Beblow Intimé

Répertorié: Peter c. Beblow

No du greffe: 22258.

1992: 12 novembre; 1993: 25 mars.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel de la Colombie‑Britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de Colombie‑Britannique (1990), 50 B.C.L.R. (2d) 266, [1991] 1 W.W.R. 419, 29 R.F.L. (3d) 268, 39 E.T.R. 113, qui a accueilli un appel d'une décision du juge A

rkell (1988), 10 A.C.W.S. (3d) 229. Pourvoi accueilli.

G. William Wagner et R. C. Bernhardt, pour l'appelante.

N...

Peter c. Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980

Catherine Peter Appelante

c.

William Beblow Intimé

Répertorié: Peter c. Beblow

No du greffe: 22258.

1992: 12 novembre; 1993: 25 mars.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel de la Colombie‑Britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de Colombie‑Britannique (1990), 50 B.C.L.R. (2d) 266, [1991] 1 W.W.R. 419, 29 R.F.L. (3d) 268, 39 E.T.R. 113, qui a accueilli un appel d'une décision du juge Arkell (1988), 10 A.C.W.S. (3d) 229. Pourvoi accueilli.

G. William Wagner et R. C. Bernhardt, pour l'appelante.

Nuala J. Hillis et Jessie MacNeil, pour l'intimé.

//Le juge McLachlin//

Version française du jugement des juges La Forest, Sopinka, McLachlin et Iacobucci rendu par

Le juge McLachlin — J'ai eu l'avantage de lire les motifs du juge Cory. Bien que je sois d'accord avec sa conclusion et la majeure partie de son analyse, mes motifs diffèrent à certains égards relativement à deux éléments critiques du présent pourvoi: les questions soulevées par l'exigence de l'absence de motif juridique à l'enrichissement, et la nature et l'application de la fiducie par interprétation à titre de réparation.

Au cours des dernières décennies, les tribunaux canadiens ont adopté le concept de l'enrichissement sans cause reconnu en equity, notamment comme moyen de remédier à l'injustice qui survient lorsqu'une personne apporte, sans recevoir de rémunération, une contribution importante à l'avoir d'une autre personne. Cette théorie a été appliquée à tout un éventail de situations, que ce soit par suite de demandes résultant de paiements effectués par erreur ou d'une union conjugale. Bien que les tribunaux ne se soient pas montrés défavorables à l'application du concept de l'enrichissement sans cause dans des circonstances nouvelles, ils ont insisté pour respecter les principes fondamentaux qui sous‑tendent depuis longtemps la théorie de l'enrichissement sans cause reconnue en equity. Comme l'a affirmé le juge La Forest (maintenant juge de notre Cour) dans l'arrêt White c. Central Trust Co. (1984), 54 R.N.‑B. (2e) 293, à la p. 309: [traduction] «. . . les catégories bien établies de l'enrichissement sans cause doivent être considérées comme des exemples clairs d'un principe plus général qui les transcende».

Les notions de base sont fort simples. Une action pour enrichissement sans cause doit satisfaire à trois exigences: (1) un enrichissement, (2) un appauvrissement correspondant, et (3) l'absence de tout motif juridique à l'enrichissement. Une fois ces exigences remplies, il y a cause d'action et le droit à la réparation existe. Ce qui mène à l'examen d'une autre question de doctrine, celle de la nature de la réparation. En equity, "l'enrichissement sans cause" donnait lieu à un certain nombre de réparations, selon les circonstances. L'une d'elle était le paiement pour services rendus sur la base du quantum meruit ou quantum valebat. Une autre, applicable traditionnellement lorsqu'une personne possédait le titre en common law d'un bien sur lequel une autre avait un intérêt, était la fiducie par interprétation. Quoiqu'il faille tout d'abord examiner la possibilité du versement d'une indemnité, la jurisprudence canadienne a reconnu que, dans certains cas, cela ne sera pas suffisant. À cet égard, le juge La Forest dit dans l'arrêt Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, à la p. 678: «il n'y a lieu de conférer une fiducie par interprétation qu'en présence d'un motif pour accorder au demandeur les droits supplémentaires découlant de la reconnaissance d'un droit de propriété». Ou, selon le juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans l'arrêt Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, à la p. 852: «sa contribution [à la propriété] était‑elle suffisamment importante et directe pour lui [la demanderesse] donner droit à une partie des profits réalisés sur la vente de la propriété». En d'autres termes, le recours à la fiducie par interprétation existe lorsque le versement de dommages‑intérêts n'est pas suffisant et qu'il existe un lien entre la contribution à la base de l'action et le bien qui serait grevé d'une fiducie par interprétation.

Même si ces principes de doctrine sont assez simples, leur application a parfois été difficile. Certains considèrent l'action pour enrichissement sans cause comme un moyen de faire ce qui peut sembler équitable entre les parties. Le désir de rendre justice quant au fond fait parfois oublier les principes. Les questions de principe jouent souvent un rôle important, donnant lieu à l'examen de questions aussi simples que celle de savoir si le défendeur a bénéficié d'un «avantage» ou si le demandeur a subi un «désavantage». En ce qui concerne la réparation, on minimise parfois les exigences de la fiducie par interprétation à titre de réparation propriétale spéciale. Comme le professeur Palmer l'a affirmé: [traduction] «L'idée de la fiducie par interprétation stimule l'imagination des juges d'une façon que l'assumpsit, le quantum meruit et d'autres expressions associées aux quasi‑contrats n'ont jamais réussi à reproduire» (George E. Palmer, The Law of Restitution, vol. 1, à la p. 16). À l'occasion, on confond la notion réparatrice de la fiducie par interprétation avec l'enrichissement sans cause lui‑même, comme si l'un découlait nécessairement de l'autre.

Ces difficultés ont dans une certaine mesure compliqué le présent pourvoi. Dans la doctrine, les simples questions d'«avantage» et de «désavantage» ont soulevé les questions de morale et de principe de savoir quand la prestation de services ménagers dans une relation quasi matrimoniale peut donner lieu à une obligation légale. En ce qui concerne la réparation, le juge de première instance a examiné la question comme s'il allait octroyer une indemnité puis, sans expliquer à fond comment il prenait sa décision, s'est fondé sur l'existence d'une fiducie par interprétation pour accorder à l'appelante le droit intégral au foyer conjugal. C'est seulement en examinant de nouveau les principes fondamentaux énoncés dans les arrêts Pettkus c. Becker et Lac Minerals, précités, que l'on peut comprendre les conclusions et prétentions contradictoires relatives à ces questions et déterminer si l'appelante a bien établi qu'il y a eu enrichissement sans cause et, dans l'affirmative, quelle est la réparation dont elle devrait bénéficier.

1. L'appelante a‑t‑elle établi qu'il y avait eu enrichissement sans cause?

Tout comme le juge Cory, j'estime que l'on a prouvé en l'espèce l'existence des trois exigences dont dépend l'enrichissement sans cause: l'enrichissement, un appauvrissement correspondant et l'absence de motif juridique à l'enrichissement. Les services d'entretien ménager et de soin des enfants fournis par l'appelante ont constitué un avantage pour l'intimé (1er élément), en ce qu'il a obtenu, sans rémunération, des services ménagers, ce qui lui a permis d'éteindre son hypothèque et d'autres créances. Ces services ont également donné lieu à un désavantage correspondant pour l'appelante (2e élément), car elle a fourni des services sans être rémunérée. Enfin, puisqu'il n'existait entre les parties aucune obligation qui justifierait l'enrichissement sans cause et qu'aucun autre argument n'a été présenté sous ce chapitre, il n'y a pas de motif juridique à l'enrichissement (3e élément). Ayant satisfait aux trois critères, la demanderesse a établi un enrichissement sans cause ouvrant droit à restitution.

Dans le présent pourvoi, les principaux arguments visaient à déterminer si l'on devrait reconnaître en droit les services fournis par l'appelante comme fondement possible d'une action pour enrichissement sans cause. Par exemple, on a soutenu que ces services ne peuvent donner lieu à une réparation fondée sur l'enrichissement sans cause parce que l'appelante a volontairement assumé le rôle d'épouse et de belle‑mère. On a également affirmé que le droit en matière d'enrichissement sans cause ne devrait pas reconnaître ces services parce qu'ils sont offerts par amour et affection naturels. Ces arguments soulèvent des questions de morale et de principe et exigent de notre Cour qu'elle porte des jugements de valeur.

La première question est la suivante: où se situent ces arguments? Font‑ils partie de l'analyse relative aux avantages et aux désavantages ou doivent‑ils être examinés par rapport à la troisième condition, l'absence de motif juridique à l'enrichissement sans cause? La Cour d'appel a conclu, par exemple, que ces motifs n'établissaient pas de «désavantage». À mon avis, ces facteurs peuvent le mieux être examinés par rapport à la troisième condition, l'absence de motif juridique. Notre Cour a toujours utilisé une analyse économique simple relativement aux deux premiers éléments du critère: voir les arrêts Pettkus c. Becker, précité; Sorochan c. Sorochan, [1986] 2 R.C.S. 38; Peel (Municipalité régionale) c. Canada, [1992] 3 R.C.S. 762 (ci‑après «Peel»). C'est dans le cadre du troisième élément — l'absence de motif juridique à l'enrichissement — que ces arguments peuvent le mieux être examinés. C'est à cette étape que le tribunal doit vérifier si l'enrichissement et le désavantage, moralement neutres en soi, sont «injustes».

Quelles questions faut‑il examiner pour déterminer s'il y a absence de motif juridique à l'enrichissement? Le critère est souple, et les facteurs peuvent varier selon la situation sur laquelle doit se prononcer le tribunal. Par exemple, dans un cas comme l'affaire Peel, précitée, à la p. 803 où l'on soutenait qu'il y avait eu enrichissement sans cause de divers ordres de gouvernements, divers facteurs pourraient être plus pertinents que dans une affaire de droit de la famille.

Dans tous les cas, la préoccupation fondamentale est l'attente légitime des parties: Pettkus c. Becker, précité. En matière familiale, cette préoccupation peut soulever les questions accessoires suivantes:

(i) Le demandeur a‑t‑il conféré l'avantage à titre de don valide ou conformément à une obligation valide que la common law, l'equity ou la loi lui imposaient envers le défendeur?

(ii) Le demandeur a‑t‑il acquiescé à la demande honnête du défendeur ou a‑t‑il fait des compromis à cet égard?

(iii) L'ordre public favorise‑t‑il l'enrichissement?

En l'espèce, l'argumentation a porté sur les premier et troisième facteurs. On a tout d'abord soutenu que l'appelante avait fourni les services en cause conformément à une obligation de common law ou d'equity qu'elle avait assumée. Ces services constituaient une contrepartie du marché qu'elle avait conclu avec l'intimé lorsqu'elle est allée vivre avec lui. Il allait fournir à l'appelante et à ses enfants un foyer et d'autres services maritaux et, en contrepartie, elle allait s'occuper du foyer et de la famille.

Notre Cour a statué qu'un conjoint de fait n'est généralement pas tenu en common law, en equity ou par la loi de travailler pour son conjoint ou de lui fournir des services. Comme le juge en chef Dickson, s'exprimant au nom de notre Cour, l'affirme dans l'arrêt Sorochan c. Sorochan, précité, à la p. 46, la conjointe de fait «n'avait aucune obligation, contractuelle ou autre, de travailler au foyer ou sur la terre». Donc, la loi n'impose à un conjoint de fait aucune obligation générale de travailler pour son conjoint.

Par ailleurs, en l'espèce, aucune obligation ne découlait de la situation des parties. Le juge de première instance a conclu que l'appelante [traduction] «n'avait aucune obligation d'exécuter le travail et d'aider au foyer sans avoir une attente raisonnable de recevoir en retour quelque chose autre que les agressions dont elle a été victime quand l'intimé était en état d'ébriété.» Cela enlève toute validité à l'argument que les services en question avaient été fournis conformément à une obligation et qu'ils constituaient un «don» de l'appelante à l'intimé. La principale caractéristique d'un don en droit, c'est‑à‑dire le fait de donner volontairement à autrui sans attente de rémunération, n'est tout simplement pas présente.

Le troisième facteur mentionné soulève directement la question de l'ordre public. Bien qu'il puisse être formulé de diverses façons, l'argument est tout simplement que certains types de services dans certains types de relations ne devraient pas, pour des raisons d'ordre public, être reconnus comme fondement d'une réclamation. Plus particulièrement, les services d'aide ménagère et de soins des enfants ne devraient pas, dans une relation matrimoniale ou quasi matrimoniale, donner lieu à une réclamation en equity contre l'autre conjoint.

J'admets dès le départ qu'il existe une certaine jurisprudence à l'appui de cet argument. Le professeur Marcia Neave reconnaît généralement que [traduction] «[l]'analyse des principes appliqués par les tribunaux britanniques, australiens et canadiens ne réussit parfois pas à cerner directement cette question. [. . .] Les tribunaux qui refusent ou accordent une réparation n'expriment habituellement pas de jugements de valeur quant aux exigences doctrinales.» (Marcia Neave, «Three Approaches to Family Property Disputes — Intention/Belief, Unjust Enrichment and Unconscionability», dans T. G. Youdan, dir., Equity, Fiduciaries and Trusts (1989), à la p. 251). D'une façon plus directe, le professeur Farquhar a fait remarquer que de nombreux tribunaux se sont écartés du cadre établi dans l'arrêt Sorochan pour des motifs d'ordre public: [traduction] «depuis l'arrêt Sorochan, les tribunaux ont tenu à préciser que certains aspects des relations ne doivent pas être analysés par rapport à l'enrichissement sans cause et à la fiducie par interprétation.» (Keith B. Farquhar, «Causal Connection in Constructive Trust After Sorochan v. Sorochan» (1989), 7 Can. J. of Fam. L. 337, à la p. 343). Voici comment le professeur Neave, op. cit., résume cette question d'ordre public, à la p. 251: [traduction] «[il s'agit de] déterminer si une réparation, sous forme d'indemnité ou d'intérêt propriétal, devrait être conférée à une personne qui a contribué aux ressources de la famille.» Dans la jurisprudence, le point de vue de l'intimé est exprimé de façon significative par le vice‑chancelier Browne‑Wilkinson dans l'arrêt Grant c. Edwards, [1986] 2 All E.R. 426, à la p. 439:

[traduction] Le fait d'habiter ensemble, d'avoir un bébé et de contribuer aux dépenses domestiques courantes [. . .] pourrait bien résulter de l'amour et de l'affection que se témoignent les parties et non spécifiquement de la croyance de la plaignante qu'elle a un intérêt sur la maison.

Selon le professeur Neave, op. cit., à la p. 253 les tenants de cette position: [traduction] «considèrent comme déplacé d'évaluer les services fournis par amour et dévouement pour la relation. À leur avis, il est injuste pour le bénéficiaire de contributions indirectes ou non financières d'être forcé de fournir un dédommagement au titre de ces contributions.» À l'appui de cette position, l'auteur cite plusieurs décisions: Kshywieski c. Kunka (1986), 50 R.F.L. (2d) 421 (C.A. Man.); Hougen c. Monnington (1991), 37 R.F.L. (3d) 279 (C.A.C.‑B.); Prentice c. Lang (1987), 10 R.F.L. (3d) 364 (C.S.C.‑B.); Hyette c. Pfenniger, C.S.C.‑B., 19 décembre 1991, inédite.

À mon avis, cet argument n'est plus défendable au Canada, que ce soit du point de vue de la logique ou de la jurisprudence. Du point de vue de la logique, je partage l'opinion des professeurs Hovius et Youdan dans The Law of Family Property, à la p. 136, qu'[traduction] «il n'y a aucune raison logique d'établir une distinction entre les services ménagers et les autres contributions». La notion que les services d'entretien ménager et de soin des enfants ne méritent pas d'être reconnus par les tribunaux omet de reconnaître que ces services sont fort utiles non seulement pour la famille, mais pour l'autre conjoint. Comme l'a fait remarquer lord Simon il y a près de 30 ans: [traduction] «L'oiseau mâle peut «se remplumer» précisément parce qu'il n'est pas tenu de passer la majeure partie de son temps sur le nid» («With All My Wordly Goods,» Holdsworth Lecture (University of Birmingham, 20 mars 1964), à la p. 32). En outre, cette notion est préjudiciable en ce qu'elle dévalue systématiquement les contributions que les femmes apportent généralement aux finances de la famille. Elle contribue au phénomène de la féminisation de la pauvreté dont notre Cour a parlé dans l'arrêt Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813, le juge L'Heureux‑Dubé, aux pp. 853 et 854.

Par ailleurs, cet argument n'est plus défendable compte tenu de la jurisprudence établie par notre Cour et d'autres tribunaux. Aujourd'hui, les tribunaux reconnaissent fréquemment la valeur des services ménagers. Ce fait ressort clairement de notre arrêt Sorochan et a amené un auteur à affirmer que: [traduction] «[l]a Cour suprême du Canada a finalement reconnu que la contribution domestique a autant de valeur qu'une contribution financière dans une fiducie de biens dans le contexte familial» (Mary Welstead, «Domestic Contribution and Constructive Trusts: The Canadian Perspective», [1987] Denning L.J. 151, à la p. 161). Si l'on entretenait encore des doutes quant à la nécessité en droit de reconnaître honnêtement la valeur des services ménagers, on doit considérer que l'arrêt Moge c. Moge, précité, les a dissipés. Bien que cet arrêt porte sur la Loi sur le divorce, L.R.C. (1985), ch. 3 (2e suppl.), la valeur des services ne change pas en fonction de la réparation demandée.

Je ne peux ajouter foi à l'argument que la reconnaissance juridique de la valeur des services domestiques fera violence au droit et à notre structure sociale. Il est établi depuis un certain temps que ces services peuvent faire l'objet d'une reconnaissance et d'une indemnisation en vertu de la Loi sur le divorce et des lois provinciales régissant le partage des biens matrimoniaux. Ce qui n'a pas pour autant porté préjudice à la société. Je ne crois pas qu'une reconnaissance similaire dans la théorie de l'enrichissement sans cause en equity aura un effet différent.

Enfin, j'aborde l'argument que, parce que le législateur a choisi de priver les couples non mariés du droit de réclamer sur les biens matrimoniaux un intérêt calculé par rapport à la contribution des parties, le tribunal ne devrait pas appliquer la théorie de l'enrichissement sans cause reconnue en equity pour remédier à la situation. Cet argument semble également imparfait. C'est précisément dans les cas où une injustice ne peut pas être réparée en vertu de la loi que l'equity joue un rôle. Le présent pourvoi présente à cet égard des appuis beaucoup plus solides que l'arrêt Rawluk c. Rawluk, [1990] 1 R.C.S. 70, dans lequel j'ai exprimé une dissidence au motif que la loi prévoyait expressément un recours relativement à la demande que l'on avait fondée sur l'equity.

Par conséquent, je crois, comme le juge Cory, qu'il y a absence de motif juridique à l'enrichissement sans cause et que la troisième exigence est remplie. Comme lui, je conclus qu'il y a eu enrichissement du défendeur, au détriment de la demanderesse, et qu'il n'existe pas de motif justifiant le rejet de la demande fondée sur l'enrichissement sans cause. La demande fondée sur l'enrichissement sans cause est en conséquence établie et il ne reste qu'à déterminer la réparation qui convient.

2. La réparation — Indemnité ou fiducie par interprétation?

L'autre difficulté soulevée par le présent pourvoi touche la question de savoir si les principes applicables à l'action fondée sur l'enrichissement sans cause justifient la réparation accordée par le juge de première instance, soit le titre de propriété sur le foyer conjugal. Il y a deux réparations possibles: une indemnité calculée en fonction de la valeur des services rendus, c'est‑à‑dire le quantum meruit et celle accordée par le juge de première instance, soit le titre de propriété sur la maison, fondée sur une fiducie par interprétation.

Au Canada, le concept de la fiducie par interprétation a été utilisé comme moyen de remédier à l'enrichissement sans cause. Si on la compare à la fiducie formelle reconnue en equity, la fiducie par interprétation est un concept qui repose sur la propriété. On reconnaît au demandeur un intérêt sur un bien. La conclusion que le demandeur a droit à une réparation pour remédier à l'enrichissement sans cause n'implique pas qu'il existe une fiducie par interprétation. Comme je l'ai écrit dans l'arrêt Rawluk, précité, pour qu'il y ait fiducie par interprétation, le demandeur doit établir qu'il a, du fait de sa contribution, un lien direct avec le bien qui se trouve grevé d'une fiducie. Si je ne m'abuse, c'est la notion qui sous‑tend la fiducie par interprétation imposée dans les arrêts Pettkus c. Becker et Sorochan c. Sorochan, précités. Cette notion a également été confirmée par le juge La Forest dans l'arrêt Lac Minerals, précité.

Selon mon collègue le juge Cory, bien que l'existence d'une fiducie par interprétation en matière commerciale dépende de l'existence d'un lien entre la contribution et le bien en question, ce lien pourrait bien ne pas être nécessaire dans le contexte de relations familiales. Il dit, à la p. 1022:

. . . le juge La Forest a conclu [dans l'arrêt Lac Minerals, précité] que la fiducie par interprétation devrait être imposée seulement dans les cas où la réparation d'ordre pécuniaire ne serait pas suffisante, c'est‑à‑dire dans les cas où il existe des motifs d'accorder au demandeur les droits additionnels découlant de la reconnaissance d'un droit de propriété.

Comme ma collègue, j'estime qu'il y a lieu de restreindre le recours à la fiducie par interprétation dans un contexte commercial. Toutefois, je ne crois pas qu'il devrait en être de même dans le cas d'une relation de famille.

Je ne suis pas sûre qu'il soit opportun de diviser les affaires d'enrichissement sans cause en deux catégories — contextes commercial ou familial — lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a lieu d'avoir recours à la fiducie par interprétation. L'existence d'une règle spéciale qui serait applicable au contexte familial ne trouve aucun appui dans la jurisprudence. Ni l'arrêt Pettkus, ni l'arrêt Rathwell, ni l'arrêt Sorochan ne laissent sous‑entendre qu'il faudrait procéder ainsi. En outre, la notion voulant qu'il ne soit pas nécessaire d'établir un lien entre les services rendus et le bien revendiqué est incompatible avec la nature propriétale de la fiducie par interprétation. Enfin, l'établissement de règles spéciales applicables à des situations particulières risque d'avoir une incidence négative sur l'évolution de ce nouveau domaine de l'equity. Les mêmes principes généraux devraient s'appliquer à tous les contextes, sous la seule réserve des adaptations nécessaires. Dans l'arrêt Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, [1989] 1 R.C.S. 426, à la p. 519 (approuvé par le juge La Forest dans l'arrêt Lac Minerals, précité, à la p. 675), le juge Wilson met en garde contre le risque de limiter la fiducie par interprétation aux affaires de famille: «une telle restriction ferait obstacle à l'évolution et nuirait à la souplesse qui sont essentielles au développement des principes d'equity.» Je crains que le même résultat découlerait de l'élaboration de règles spéciales visant à établir l'existence de fiducies par interprétation dans les affaires de famille. Bref, le souci de clarté et d'uniformité de la doctrine dans ce domaine, qui préoccupe notre Cour depuis longtemps, veut que les principes fondamentaux régissant les droits et les réparations demeurent les mêmes dans tous les cas.

Il ne paraît pas non plus nécessaire d'établir une distinction entre les affaires dites «commerciales» ou «familiales» relativement au recours à la fiducie par interprétation. Dans les cas où une indemnité suffit, il n'est pas nécessaire de recourir à la fiducie par interprétation. En matière familiale, dans les cas où une indemnité n'est pas suffisante, c'est généralement parce que le plaignant a développé, par ses efforts, un lien spécial avec le bien en question, auquel cas il faut avoir recours à la fiducie par interprétation.

Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis qu'il y a lieu d'imposer une fiducie par interprétation, que ce soit dans un contexte familial ou autre, si une indemnité n'est pas suffisante et s'il existe un lien entre les services rendus et le bien qui serait grevé d'une fiducie. Cela étant dit, je fais miens les propos du juge Cory, à la p. 1023, que les tribunaux doivent faire preuve de souplesse et de bon sens lorsqu'ils appliquent les principes d'equity à des questions relevant du droit de la famille, tout en tenant bien compte des circonstances particulières de chaque cas.

La prochaine question est de déterminer quelle est l'étendue de la contribution requise aux fins du recours à la fiducie par interprétation. Une contribution mineure ou indirecte ne suffit pas. Selon le juge Dickson (plus tard Juge en chef)dans l'arrêt Pettkus c. Becker, précité, à la p. 852, la question est la suivante: «[la] contribution [de la demanderesse] était‑elle suffisamment importante et directe pour lui donner droit à une partie des profits réalisés sur la vente de la propriété». Une fois cette condition remplie, le montant de la contribution déterminera l'étendue de la fiducie par interprétation. Comme le dit le juge Dickson dans l'arrêt Pettkus c. Becker, précité aux pp. 852 et 853:

Bien que l'on dise que l'equity favorise l'égalité, l'arrêt Rathwell dit que toute contribution ne donnera pas droit à l'époux à une moitié des biens. La part de propriété doit être proportionnelle à la contribution, directe ou indirecte, du requérant. Là où les contributions sont inégales, les parts seront inégales. [Je souligne.]

Le juge Cory préconise une démarche souple lorsque l'on doit déterminer si le recours à la fiducie par interprétation est approprié; la décision doit être prise «suivant le bon sens et avec le désir de régler équitablement le différend entre les parties» (à la p. 1023). Bien que je reconnaisse également que les tribunaux doivent éviter de devenir trop formalistes relativement à des questions non susceptibles de donner lieu à une évaluation pécuniaire précise, le principe demeure que l'étendue de la fiducie doit être fonction de l'étendue de la contribution.

Avant de clore l'examen des principes régissant le recours à la fiducie par interprétation, j'aborderai la façon de déterminer l'étendue de la fiducie. Le débat porte principalement sur la question de savoir s'il est suffisant d'examiner la valeur des services rendus par la demanderesse (la méthode fondée sur la «valeur reçue»), ou s'il faut s'intéresser à la valeur des améliorations apportées au bien (la méthode fondée sur la «valeur accumulée»). Le juge Cory exprime une préférence pour la méthode fondée sur la «valeur accumulée». Toutefois, il dit aussi, à la p. 1025: «rien n'empêche d'utiliser la méthode du quantum meruit ou de la valeur reçue pour calculer la valeur de la fiducie par interprétation». Avec égards, je ne partage pas ce point de vue. À mon avis, il existe de très bonnes raisons, tant dans la doctrine qu'en pratique, qui militent en faveur de l'utilisation de la «valeur accumulée» aux fins de la détermination de la valeur d'une fiducie par interprétation.

Du point de vue de la doctrine, «[l]a part de propriété doit être proportionnelle à la contribution»: arrêt Pettkus c. Becker, précité, à la p. 852. Comment doit‑on déterminer la contribution à un bien? Par la force des choses, on doit tout d'abord commencer par définir le bien pour déterminer ensuite quelle part est imputable aux efforts du requérant. C'est l'analyse fondée sur la «valeur accumulée». Dans le cas du versement d'une indemnité, il convient d'utiliser la méthode fondée sur la «valeur reçue»; la valeur conférée au bien n'est pas pertinente. Toutefois, dans le cas où le requérant demande un intérêt sur le bien, il faut nécessairement, il me semble, déterminer quelle part de la valeur du bien réclamé est imputable aux services du requérant.

À l'instar de mon collègue, je fais remarquer qu'il peut y avoir des raisons pratiques de favoriser une méthode fondée sur la «valeur accumulée». Le juge Cory a fait allusion aux problèmes pratiques de soupeser les avantages et les désavantages, qu'exige la méthode fondée sur la «valeur reçue», amenant certains auteurs à se demander si cette méthode ne serait pas la moins intéressante dans la plupart des cas où il s'agit de biens familiaux (voir Davidson c. Worthing (1986), 6 R.F.L. (3d) 113, le juge en chef McEachern; Hovius et Youdan, op. cit., aux pp. 136 et suiv.). Par ailleurs, on peut soutenir que c'est la méthode fondée sur la «valeur accumulée» qui sera le plus compatible avec les attentes de la plupart des parties; un couple s'attendra davantage à participer à la richesse générée par la relation qu'à être indemnisé des services rendus pendant la durée de la relation.

En résumé, il me semble qu'il faille tout d'abord, dans l'examen de la réparation qui convient, déterminer si une simple indemnité est insuffisante pour remédier à l'enrichissement sans cause et si le lien entre la contribution et le bien, décrit dans l'arrêt Pettkus c. Becker, a été établi. Si ces questions reçoivent une réponse affirmative, le demandeur a droit à la réparation sous forme d'intérêt propriétal que constitue la fiducie par interprétation. Lorsqu'il se demande si l'indemnité est insuffisante, le tribunal peut tenir compte de la probabilité du paiement de l'indemnité en question ainsi que de l'intérêt spécial sur le bien acquis au moyen des contributions: voir le juge La Forest dans l'arrêt Lac Minerals. La valeur de la fiducie doit être calculée en fonction de la valeur réelle du bien matrimonial — la méthode fondée sur la «valeur accumulée». Cette méthode permet d'arriver à la meilleure estimation de ce que le tribunal considère comme équitable par rapport à la contribution que les services du requérant ont apportée à la valeur accumulée, si l'on tient compte de la difficulté en pratique de calculer avec une précision mathématique la valeur des contributions particulières apportées aux biens familiaux.

J'examinerai maintenant l'application de ces principes en l'espèce. Le juge de première instance a commencé par faire une estimation de la valeur reçue par l'intimé (le quantum meruit). Il a décidé qu'un jugement de nature pécuniaire ne serait pas suffisant. L'intimé possédait peu de biens à part sa caravane flottante et sa fourgonnette et ne recevait aucun revenu, sauf ses allocations d'anciens combattants. Le juge était d'avis, selon l'interprétation que je donne à ses motifs, qu'il y avait un lien direct suffisant entre les services rendus et le bien‑fonds pour appuyer l'existence d'une fiducie par interprétation; il a dit que [traduction] «[l'appelante] a établi avoir contribué à la valorisation de la propriété de Sicamous.» Par conséquent, il a déterminé que le recours à la fiducie par interprétation avait été établi. Cette méthode est compatible avec les principes qui ont été analysés précédemment. En effet, le juge de première instance a conclu qu'une indemnité ne serait pas suffisante d'une part, parce qu'elle ne serait pas payée et, d'autre part, parce qu'il y avait eu une contribution spéciale au bien en question. Ces conclusions appuient le recours à la fiducie par interprétation relativement au bien en cause.

Il reste à trancher la question de la quantification de la fiducie. Le juge de première instance a évalué à 350 $ par mois le quantum meruit des services domestiques rendus pendant 12 ans, montant qu'il a ensuite réduit de 50 pour 100 pour tenir compte «des avantages reçus» par la demanderesse. Le montant obtenu s'élevait à 25 200 $. Le juge a alors fait le raisonnement que l'appelante devrait recevoir le titre du bien‑fonds de l'intimé, évalué à 23 200 $, puisque la valeur des services rendus s'élevait à 25 200 $. Le maillon manquant dans ce raisonnement est l'absence de lien entre la valeur reçue et la valeur accumulée. Il ressort de ce qui précède que la quantification d'une fiducie par interprétation n'est pas le résultat d'une simple addition de la valeur des services rendus; le tribunal doit examiner dans quelle mesure les services rendus ont contribué à l'avoir des parties.

Bien que le juge de première instance ait omis de faire ce lien, sa conclusion que l'appelante avait établi l'existence d'une fiducie par interprétation lui conférant un titre de propriété sur la maison familiale peut être maintenue pourvu que la preuve appuie l'existence d'une fiducie de cette amplitude. Je m'écarterai des méthodes utilisées devant les juridictions inférieures. Les parties et la Cour d'appel semblent avoir considéré la maison comme un bien isolé et non comme un élément d'une entreprise familiale, ce qui a mené à l'argument que l'appelante ne pouvait avoir droit à la pleine propriété de la maison parce que l'intimé avait aussi contribué à sa valeur. La méthode que je préconise — qui est aussi, à mon avis, celle que le juge de première instance a implicitement adoptée — consiste à examiner la part de l'ensemble du patrimoine familial qui revient à l'appelante. En effet, cette coentreprise familiale n'est pas différente de la ferme qui a été grevée d'une fiducie dans l'arrêt Pettkus c. Becker.

Cela dit, j'examinerai maintenant la preuve établissant l'étendue de la contribution. L'appelante a fourni d'importants services ménagers, pendant une période de 12 ans, et s'est occupée du soin des enfants pendant que ceux‑ci vivaient au foyer ainsi que de l'entretien de la propriété. Le témoignage du fils de la demanderesse donne une idée générale de la contribution qu'elle a apportée à l'entreprise familiale:

[traduction]

Q. Quelles sortes de choses faisait‑elle?

R. Elle remplissait toutes les fonctions d'une mère pour nous tous.

. . .

R. Lorsque les deux fils [du défendeur], mon frère et moi vivions encore à la maison, même lorsque mes s{oe}urs y étaient, il y a de cela très longtemps, j'étais bien jeune, ce n'était pas si mal alors, mais lorsque mes s{oe}urs sont parties, elle faisait tout, la cuisine, le ménage et la lessive. Elle avait une machine à laver avec essoreuse, elle travaillait dans le potager, des choses comme ça. Elle s'occupait de tout dans la maison, surtout quand il était parti.

. . .

Q. Vous souvenez‑vous de ce que votre mère faisait à l'extérieur?

R. Mhm, tous les deux travaillaient dans le potager, lui, il s'occupait du rotoculteur, tous les deux s'occupaient de faire la plantation et de choses comme ça; quand il était parti, elle s'occupait d'arracher les mauvaises herbes et de l'entretien. Tous les deux s'occupaient de l'arrosage du potager. Elle faisait trois ou quatre jardins de fleurs et s'en occupait toute seule, sauf pour ce qui est du travail très dur, comme l'enlèvement des roches, lorsqu'elle a commencé, ce à quoi nous avons tous participé, y compris les enfants.

Le fils a dit que les jeunes enfants avaient de menues tâches, comme couper le bois ou faire les lits, mais que la mère s'occupait de toutes les autres tâches importantes. Les autres témoignages, y compris ceux de Catherine Peter et de William Beblow, appuient le tableau dressé de la contribution de l'appelante. Le juge de première instance a dit qu'à l'époque où l'intimé travaillait dans la construction,

[traduction] . . . il n'était pas à la maison pendant la semaine et y retournait si possible la fin de semaine. Pendant son absence, la demanderesse s'occupait de l'entretien des biens et du soin des enfants.

. . .

En fait, en déménageant dans la maison de l'intimé, la demanderesse est devenue sa bonne à temps plein sans la moindre rémunération, si l'on exclut les aliments et l'hébergement qu'elle et les enfants ont reçus jusqu'à ce que les enfants aient quitté le foyer.

L'intimé a aussi contribué à l'accumulation de la valeur de l'entreprise familiale telle qu'elle existait au moment de la rupture; en effet, il gagnait la majeure partie du revenu et aidait à l'entretien de la propriété.

De toute évidence, la contribution de l'appelante — la «valeur reçue» par l'intimé — a été considérable. Toutefois, qu'en est‑il alors de la «valeur accumulée»? Il semble évident que l'entretien de l'entreprise familiale, que l'on parle de cuisine, de nettoyage ou d'aménagement paysager, a aidé à préserver le bien et à épargner à l'intimé d'importantes sommes d'argent qu'il a pu utiliser pour éteindre son hypothèque et acheter une caravane flottante et une fourgonnette. Quant à l'appelante, elle avait acheté un terrain avec des revenus gagnés à l'extérieur. Tous ces biens peuvent être considérés comme ceux de l'entreprise familiale, auxquels l'appelante a apporté une contribution considérable.

La question est de savoir, compte tenu des contributions respectives des parties aux biens familiaux et à la valeur de ces biens, si le juge de première instance a commis une erreur en accordant à l'appelante la pleine propriété de la maison. À mon avis, la preuve appuie la conclusion que la valeur de la maison représente une approximation équitable de la valeur de la contribution de l'appelante au patrimoine familial. En conséquence, je ne modifierais pas la réparation accordée.

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi avec dépens.

//Le juge Cory//

Version française des motifs des juges L'Heureux-Dubé, Gonthier et Cory rendus par

Le juge Cory — Le présent pourvoi vise à déterminer si la prestation de services domestiques pendant 12 ans de cohabitation dans le cadre d'une union de fait suffit pour établir le lien qui doit exister avec le bien avant que l'on puisse accorder la réparation qu'est la fiducie par interprétation dans le cas où il y a enrichissement sans cause de l'une des parties à l'union. Il nous faut également examiner quelle devrait être l'étendue de la fiducie par interprétation, sous le rapport du montant ou de la proportion.

Les faits

En avril 1973, l'intimé a demandé à l'appelante de venir vivre avec lui. Au cours du même mois, l'appelante et ses quatre enfants sont déménagés dans la maison de l'intimé à Sicamous (C.‑B.). À l'époque, deux enfants de l'intimé vivaient encore au foyer. Les parties ont vécu comme conjoints de fait pendant plus de 12 ans; elles se sont séparées en juin 1985. Pendant toute la durée de la relation, l'appelante s'est comportée comme l'épouse de l'intimé. Elle a tenu lieu de mère à ses enfants jusqu'en 1977, pendant tout le temps qu'ils sont demeurés au foyer. Elle s'est également occupée de ses propres enfants, le dernier ayant quitté le foyer en 1980.

Pendant ces 12 années, l'appelante a fait la cuisine, le nettoyage, la lessive et s'est occupée du potager. Elle a également mené à bien certains travaux à la propriété de Sicamous: peint les clôtures, planté une haie de cèdres, acheté des fleurs et des arbustes et construit une rocaille. Elle a aussi construit une porcherie. Elle a fait l'élevage de poulets pendant quelques années et s'est occupée de leur abattage pour nourrir la famille. Pendant l'hiver, l'appelante pelletait la neige, coupait du bois et préparait le bois d'allumage. L'intimé n'a pas rémunéré l'appelante pour ce travail. Ils ont tous deux contribué, quoique dans une plus grande mesure pour l'intimé, à l'achat de l'épicerie et des fournitures domestiques.

Au cours de la première année de la relation, l'appelante ne travaillait pas à l'extérieur et consacrait huit heures par jour aux travaux ménagers et à l'entretien de la propriété de Sicamous. Au cours des années qui ont suivi, elle a commencé à travailler à temps partiel comme cuisinière entre les mois de juin et d'octobre, à raison de six heures par jour au taux horaire de 4,50 $. Tous les hivers, sauf celui où elle a travaillé dans une boulangerie, l'appelante recevait des prestations d'assurance‑chômage.

Tout au long de la relation, l'intimé a travaillé plus ou moins à temps plein comme opérateur de niveleuse. Il a fréquemment dû aller travailler à l'extérieur de la ville à divers endroits en Colombie‑Britannique.

Avant de rencontrer l'appelante, l'intimé avait vécu dans une union de fait avec une autre femme pendant cinq ans. À la rupture de cette union, l'intimé a engagé des aides ménagères. La dernière recevait un salaire de 350 $ par mois.

Le juge de première instance a accepté le témoignage de l'appelante que l'intimé lui a demandé de vivre avec lui parce qu'il avait besoin de quelqu'un pour s'occuper de ses deux enfants. Ce besoin s'était fait sentir lorsque les services de l'aide sociale se sont inquiétés du fait que les enfants étaient laissés seuls à la maison pendant que l'intimé travaillait à l'extérieur.

Lorsque les parties se sont rencontrées, l'appelante avait des économies de 100 $. En 1976, elle a acheté une propriété en Saskatchewan pour la somme de 2 500 $. Elle l'a vendue en 1980 pour la somme de 8 000 $ et en acheté une autre située au 100 Mile House pour la somme de 6 500 $. Avec le solde du prix de vente, elle a fait un voyage à Reno. Au moment du procès, l'appelante était toujours propriétaire du 100 Mile House.

L'intimé a acheté la propriété de Sicamous en 1971 pour la somme de 8 500 $, dont 900 $ au comptant et le solde de 7 600 $ garanti par hypothèque. L'intimé a éteint l'hypothèque en 1975. En 1987, la valeur marchande estimative du bien‑fonds s'élevait à 17 800 $ et sa valeur imposable, à 23 200 $. Cette année‑là, l'intimé a loué la propriété. Les locataires avaient une option d'achat pour 28 000 $, qu'ils n'ont pas exercé.

Au fil des ans, l'intimé a commencé à boire beaucoup et à se montrer verbalement et physiquement violent envers l'appelante. Celle‑ci a quitté le foyer de Sicamous le 7 juin 1985. Lors du procès, elle était bénéficiaire de l'aide sociale et vivait dans un parc pour caravanes à Sicamous. L'intimé, lui, était à la retraite et vivait dans une caravane flottante à Enderby (C.‑B.). La maison et le bien‑fonds de Sicamous n'étaient pas occupés.

L'appelante a intenté une action fondée sur l'enrichissement sans cause de l'intimé pendant les années de la relation en raison du travail qu'elle a effectué au foyer sans la moindre rémunération. Elle a cherché à se faire déclarer bénéficiaire d'une fiducie par interprétation à l'égard de la propriété de Sicamous ou, subsidiairement, à obtenir des dommages‑intérêts à titre d'indemnisation pour le travail et les services qu'elle a fournis à l'intimé.

Les juridictions inférieures

En première instance

Se fondant sur l'arrêt Sorochan c. Sorochan, [1986] 2 R.C.S. 38, le juge de première instance a conclu que, pour établir l'existence d'un enrichissement sans cause, la demanderesse devait faire la preuve:

(1) d'un enrichissement;

(2) d'un appauvrissement correspondant; et

(3) de l'absence de tout motif juridique à l'enrichissement.

Il a aussi conclu qu'il doit y avoir un lien de causalité évident entre la contribution du conjoint à la base de l'enrichissement sans cause et le bien à l'égard duquel une fiducie par interprétation devrait être imposée.

Le juge de première instance a conclu qu'il y avait eu enrichissement de l'intimé puisqu'il avait obtenu sans rémunération les services d'une aide ménagère, d'une personne au foyer et d'une mère pour ses enfants. Il a également affirmé que la demanderesse avait été privée de toute indemnisation pour son travail puisqu'elle avait consacré la majeure partie de son temps et de son énergie, ainsi qu'une partie de l'argent qu'elle avait gagné au bénéfice de l'intimé, de ses enfants et de la propriété de Sicamous. Enfin, il a affirmé qu'il n'existait aucun motif juridique à l'enrichissement, c'est‑à‑dire que la demanderesse n'avait aucune obligation d'effectuer le travail en question, sans une attente raisonnable de rémunération. Il a précisé que l'appelante avait droit à autre chose qu'aux agressions dont elle a été victime quand l'intimé était en état d'ébriété. Il a aussi conclu que l'intimé aurait dû savoir que l'appelante s'attendrait raisonnablement à être rémunérée. À son avis, l'appelante a établi qu'elle avait contribué à la valorisation de la propriété de Sicamous.

Le juge de première instance a ensuite examiné ce qui constituerait une réparation juste et équitable. À cette fin, il a tenu compte des circonstances de la relation ainsi que de l'avoir et du revenu des parties. Si l'appelante avait été employée comme aide ménagère pendant 12 ans, en contrepartie d'une rémunération de 350 $ par mois (salaire de la dernière aide ménagère de l'intimé), elle aurait gagné la somme de 50 400 $. Le juge a ensuite réduit cette somme de moitié afin de tenir compte des avantages que l'appelante avait tirés de la relation et fixé à 25 200 $ le montant qui devait lui être versé.

Il a ensuite conclu que la réparation la plus équitable serait d'accorder à l'appelante la propriété de Sicamous. Il a fait remarquer que l'intimé vivait à Enderby, sur une caravane flottante. Il a aussi indiqué qu'il possédait une fourgonnette, qu'il est bénéficiaire d'allocations aux anciens combattants et qu'il est à la retraite. Le juge de première instance a précisé que de toute évidence un jugement de nature pécuniaire ne serait pas pratique, ni vraisemblablement réaliste, ni raisonnable dans les circonstances. En conséquence, il a conclu que le partage le plus équitable serait la cession à l'appelante, libre et quitte de toute charge, de la maison et du terrain de Sicamous.

La Cour d'appel (1990), 50 B.C.L.R. (2d) 266

En appel, l'intimé a soutenu que le juge de première instance a commis une erreur, d'une part, en concluant qu'il avait bénéficié d'un enrichissement sans cause et, d'autre part, même à supposer qu'il y avait eu enrichissement sans cause, que le juge a commis une erreur en ordonnant la cession à l'appelante de la propriété de Sicamous.

Le juge Macdonald, s'exprimant au nom de la cour, fait remarquer qu'il a été admis que l'intimé s'est enrichi en profitant du travail et des services de l'appelante. En conséquence, la première condition établie dans l'arrêt Sorochan a été remplie. Toutefois, il conclut que les autres conditions ne l'ont pas été. La Cour d'appel n'est pas d'accord avec le juge de première instance pour dire que l'appelante a subi un appauvrissement puisque ses enfants et elle ont vécu dans la résidence de l'intimé sans devoir payer de loyer et que l'intimé a contribué pour une plus grande part qu'elle à l'achat de l'épicerie pour la famille. À son avis, l'achat d'une propriété par l'appelante prouve qu'elle n'a subi aucun appauvrissement.

Le juge Macdonald estime aussi que, même s'il existait entre les parties un déséquilibre suffisant pour conclure à un appauvrissement de l'appelante, la revendication fondée sur l'enrichissement sans cause ne satisfaisait pas à la troisième condition, savoir l'absence de tout motif juridique à l'enrichissement. À son avis, l'appelante n'a pas réussi à établir, comme l'exige l'arrêt Sorochan, qu'elle s'est causé un préjudice dans l'attente raisonnable de recevoir quelque chose en contrepartie de son travail et de ses services. Il fait remarquer qu'il n'y a pas eu, comme dans d'autres arrêts, promesse de mariage. Même si l'intimé, lorsqu'il buvait, demandait à l'appelante de l'épouser, elle n'a jamais pris ces propositions au sérieux.

Enfin, même si toutes les conditions de l'enrichissement sans cause étaient réunies, le juge Macdonald n'est pas d'accord avec la décision du juge de première instance. À son avis, il n'y a pas de lien suffisant entre la contribution de l'appelante et la propriété de Sicamous pour conférer à celle‑ci le droit de recevoir, à titre de réparation, le bien‑fonds même au lieu d'une somme d'argent. Il a décidé, à la p. 272, que [traduction] «les activités de jardinage, les tâches ménagères et les dépenses relativement peu importantes faites par l'appelante au cours des 12 années de cohabitation» ne permettent pas d'établir une contribution positive à l'acquisition, à la préservation, à l'entretien ou à l'amélioration de la propriété. En conséquence, il a conclu qu'il n'existait aucun fondement juridique justifiant une ordonnance de cession de la propriété à l'appelante. L'appel a été accueilli et l'action de l'appelante rejetée.

La position de l'intimé

L'intimé a reconnu l'enrichissement sans cause, mais a soutenu qu'il n'y avait pas eu appauvrissement correspondant de l'appelante. Il a affirmé avoir suffisamment indemnisé l'appelante de ses services en l'hébergeant gratuitement et en payant une grande partie de la facture d'épicerie.

Deuxièmement, il a soutenu qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre les services domestiques fournis par l'appelante et la propriété de Sicamous, ni d'ailleurs d'intérêt propriétal.

La Cour d'appel était clairement d'accord avec l'intimé sur ces questions. Avec égards, je crois qu'elle a commis une erreur dans ces conclusions.

Les principes de l'enrichissement sans cause et de la fiducie par interprétation devraient‑ils être appliqués à une union de fait?

Il peut être utile d'examiner encore une fois l'application et l'étendue des principes de la fiducie par interprétation. Dans leur ouvrage The Law of Trusts, vol. 5 (4e éd. 1989), à la p. 304, Scott donnent la définition suivante:

[traduction] Il y a fiducie par interprétation lorsque le titulaire du droit de propriété est assujetti à l'obligation en equity de le transférer à une autre personne parce qu'il s'enrichirait injustement s'il lui était permis de le conserver.

Cette définition, qui reprend celle des éditions antérieures de l'ouvrage, a été citée et approuvée par le juge Laskin (plus tard Juge en chef) dans ses motifs dissidents, dans l'arrêt Murdoch c. Murdoch, [1975] 1 R.C.S. 423. Dans des arrêts ultérieurs de notre Cour, cette définition a servi de fondement à l'application de la fiducie par interprétation à titre de réparation dans les causes matrimoniales.

Dans l'arrêt Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, le juge Dickson (plus tard Juge en chef), s'exprimant au nom de la Cour, à la majorité, a appliqué les principes de la fiducie par interprétation à une union de fait. Il a indiqué qu'un tribunal devait tout d'abord déterminer si l'on a établi l'enrichissement sans cause. Dans l'affirmative, le tribunal doit alors examiner si, dans les circonstances de l'espèce, la fiducie par interprétation est la réparation appropriée pour remédier à l'enrichissement sans cause. Afin de déterminer s'il y a eu enrichissement sans cause, trois conditions doivent être réunies:

(1) il doit y avoir eu enrichissement;

(2) la personne qui a fourni l'enrichissement doit avoir subi un appauvrissement correspondant; et

(3) il doit y avoir absence de tout motif juridique à l'enrichissement.

Dans l'arrêt Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, [1989] 1 R.C.S. 426, notre Cour a fait ressortir l'importance de l'arrêt Pettkus c. Becker. Le juge en chef Dickson affirme à la p. 471:

La fiducie par interprétation existe depuis plus de deux cents ans à titre de redressement en equity contre certaines formes d'enrichissement sans cause. [. . .] Jusqu'à l'arrêt de cette Cour Pettkus c. Becker, la fiducie par interprétation était perçue surtout sous l'angle du droit des fiducies, d'où la nécessité d'une relation fiduciaire. Dans l'arrêt Pettkus c. Pecker, cette Cour a choisi d'adopter un point de vue plus conforme aux principes de restitution en reconnaissant explicitement que la fiducie par interprétation constitue l'un des redressements contre l'enrichissement sans cause.

Par la suite, notre Cour a clairement indiqué que la fiducie par interprétation peut également être appliquée dans les cas où le conjoint a contribué non pas à l'acquisition du bien, mais plutôt à sa préservation, à son entretien ou à son amélioration. Dans l'arrêt Sorochan c. Sorochan, précité, le juge en chef Dickson a rédigé les motifs de notre Cour à l'unanimité. Dans cette affaire, les parties ne s'étaient jamais mariées, mais avaient cohabité sur une ferme en Alberta de 1940 à 1982. Fait important à signaler, avant que les parties ne commencent à habiter ensemble, le défendeur et son frère étaient propriétaires de la ferme. Les bien‑fonds n'avaient donc pas été acquis pendant la période de cohabitation. Pendant leur union, les parties ont eu six enfants. La demanderesse s'est occupée de tout le travail domestique relié au ménage et a pris soin des enfants. Les deux parties travaillaient à la ferme. On a admis que la demanderesse a travaillé fort. Pendant de nombreuses années, le défendeur a été commis voyageur, et, en son absence, la demanderesse avait fréquemment l'entière responsabilité de tous les travaux de la ferme.

Notre Cour a déterminé qu'il y avait eu enrichissement sans cause du défendeur et que cet enrichissement découlait du fait qu'il avait bénéficié pendant de nombreuses années du labeur de la demanderesse tant au foyer qu'à la ferme. Le défendeur avait de toute évidence réalisé d'importantes économies. On a fait remarquer que la demanderesse, par son labeur pendant toutes ces années, avait contribué à l'entretien et à la préservation de la ferme, qui n'a pas perdu de valeur pour avoir été négligée ou abandonnée. Notre Cour a conclu que l'entretien et la préservation de la ferme constituaient un avantage important conféré au défendeur.

On peut donc constater que la réparation offerte par la fiducie par interprétation peut, dans les cas appropriés, être appliquée à une union de fait si la contribution du demandeur à un bien‑fonds se limite à son entretien et à sa préservation. Les contributions qui ont été jugées suffisantes pour justifier l'application d'une fiducie par interprétation ont été les contributions financières indirectes comme dans Pettkus c. Becker, précité, et le travail qui a contribué à l'entretien de la propriété, comme dans Sorochan, précité.

La fiducie par interprétation devrait‑elle être appliquée en l'espèce?

1. L'enrichissement

Il ne faut pas oublier que le juge de première instance a spécifiquement conclu qu'il y avait eu enrichissement de l'intimé [traduction] «puisqu'il a obtenu sans rémunération les services d'une aide ménagère, d'une personne au foyer et en fait d'une belle‑mère». On a admis devant notre Cour que l'intimé s'était enrichi du fait du travail et des contributions de l'appelante.

2. Un appauvrissement correspondant

Il importe de signaler tout d'abord la conclusion du juge de première instance sur ce point:

[traduction] . . . la demanderesse a été privée de toute indemnisation pour son travail puisqu'elle a consacré la majeure partie de son temps et de son énergie, ainsi qu'une partie de l'argent qu'elle a gagné, au bénéfice de l'intimé, de ses enfants et de ses biens.

Cette constatation semble suffisante en soi pour justifier la conclusion que l'appelante a subi un appauvrissement correspondant à l'enrichissement de l'intimé.

En fait, j'aurais cru qu'un enrichissement donnerait presque invariablement lieu à un appauvrissement correspondant de la personne qui a contribué à l'enrichissement. La proposition que l'enrichissement d'un conjoint entraînera presque automatiquement un appauvrissement correspondant de l'autre a de nombreux appuis. Dans l'arrêt Sorochan, précité, le juge en chef Dickson a affirmé que l'enrichissement et l'appauvrissement sont essentiellement comme les deux côtés d'une pièce de monnaie (à la p. 45):

Au surplus, il ressort de la jurisprudence qu'il n'y a aucune difficulté à considérer comme un appauvrissement la contribution à plein temps et sans compensation de son travail et de ses revenus. Par exemple, dans l'arrêt Murray v. Roty (1983), 41 O.R. (2d) 705 (C.A. Ont.), portant sur une exploitation commerciale et agricole conjointe, le juge Cory a souligné (à la p. 710): [traduction] «Pendant huit années de sa vie elle a consacré tout son temps et toute son énergie et la quasi‑totalité de son salaire au bénéfice de Roty. L'appauvrissement est évident.»

Appliquant l'arrêt Sorochan, la Cour d'appel de la Saskatchewan affirme dans l'arrêt Everson c. Rich (1988), 16 R.F.L. (3d) 337, à la p. 342:

[traduction] Les services fournis par l'appelante à son conjoint étaient des services ayant une valeur pécuniaire et constituent un avantage conféré à l'intimé. La prestation de ces services a causé un préjudice à la demanderesse parce qu'elle y a consacré son temps et son énergie.

Je suis d'accord avec ce raisonnement. En règle générale, si l'on constate que le défendeur s'est enrichi du fait des efforts de la demanderesse, cette dernière subira presque certainement un appauvrissement. Comme le professeur James McLeod l'indique ((1988), 16 R.F.L. (3d) 338) dans son commentaire concernant l'arrêt Everson c. Rich, précité, [traduction] «on a satisfait à l'exigence d'un appauvrissement s'il est établi que la partie demanderesse a déployé des efforts ou ne possède pas ce qu'elle avait ou aurait pu avoir». Plus particulièrement, dans un mariage ou dans une union de fait de longue durée, on devrait, en l'absence d'une preuve contraire forte, conclure que l'enrichissement d'une partie donnera lieu à l'appauvrissement de l'autre.

Dans le cadre de relations d'affaires de nature commerciale, un tribunal peut, par suite de la conduite de l'une des sociétés concernées, accorder comme réparation la fiducie par interprétation. Celle‑ci a été utilisée à bon escient pour compenser un gain découlant d'un abus de confiance dans une relation commerciale ou d'affaires (voir, par exemple, Canadian Aero Service Ltd. c. O'Malley, [1974] R.C.S. 592). Une union de fait de longue durée arrive certainement à créer des liens de confiance beaucoup plus étroits. Dans le mariage ou une relation assimilée au mariage, les questions commerciales constitueront un élément parmi tant d'autres dont s'occuperont les parties. De toute évidence, les parties à une relation familiale partageront, dans un sens commercial, des fonds et des objectifs financiers. Fait encore plus important, les couples comme les parties en l'espèce s'efforceront de se constituer un foyer. Je veux dire un endroit où régneront la sécurité et l'amour et l'endroit où, souvent, des enfants pourront recevoir les soins nécessaires. Dans une relation de couple, les conjoints non seulement vivront et dormiront ensemble, mais partageront aussi leurs pires craintes et frustrations ainsi que leurs aspirations et leurs rêves les plus profonds. Ensemble, ils feront des projets et travailleront à atteindre leurs buts. À l'instar des parties à un mariage officiel, les parties à une union de fait de longue durée agiront dans un climat d'amour et de confiance mutuels. Elles aussi ont droit, dans les circonstances appropriées, à la réparation qu'est la fiducie par interprétation.

Ce redressement devrait être accordé même si les familles tiendront rarement les mêmes registres financiers que des associés en affaires. Néanmoins, elles doivent en toute équité pouvoir bénéficier de la fiducie par interprétation, sans examen approfondi de leur contribution financière respective. En fait, dans une situation comme en l'espèce, il pourrait bien être fort difficile d'attribuer une valeur à l'établissement d'un foyer et au partage de l'éducation des enfants pour en faire des adultes responsables.

En l'espèce, bien qu'il ne se soit pas marié officiellement, le couple a vécu et travaillé dans l'union la plus intime. Les parties ont partagé le travail ainsi que les revenus. Les contributions n'ont peut‑être pas été égales. Pourtant, le fait même que l'appelante, en plus de s'acquitter des tâches domestiques, apportait une partie de son revenu gagné à l'extérieur comme contribution aux dépenses du ménage indique clairement qu'il y eu un véritable partage du revenu. En raison même de l'union, la propriété de Sicamous a été entretenue et préservée, ce qui n'aurait pas été possible sans les efforts de l'appelante.

On ne pourrait certainement pas affirmer que l'union a été trop éphémère pour créer des droits et obligations mutuels. Une relation fondée sur la confiance mutuelle d'une durée de 12 ans revêt certainement de l'importance. Dans ces circonstances, il existe une forte présomption que les services fournis par une partie ne serviront pas seulement à l'enrichissement de l'autre. Tant les attentes raisonnables des parties que l'equity exigent qu'elles reçoivent, au moment de la rupture de la relation, une indemnisation appropriée, en fonction de leur contribution respective.

Selon l'intimé, puisque l'appelante l'aimait, elle n'a pas pu s'attendre à recevoir une rémunération ou un intérêt sur le bien‑fonds en échange de sa contribution au foyer et à la famille. Toutefois, dans la société d'aujourd'hui, on ne peut raisonnablement supposer que l'amour implique nécessairement qu'une partie fera don de ses services à l'autre. Il est également raisonnable de soutenir que la partie qui s'acquitte des travaux domestiques nécessaires à l'établissement d'un foyer s'attend à partager les biens des parties au moment de la rupture de la relation. On ne s'attend plus que les femmes travaillent exclusivement au foyer. Il faut reconnaître que lorsqu'elles le font, les femmes renoncent à un emploi extérieur pour fournir des services domestiques et s'occuper des enfants. Accorder au pourvoyeur des services domestiques un redressement, sous forme d'indemnité ou d'intérêt de propriété, devrait permettre de reconnaître que la capacité d'une partie de gagner sa vie et d'acquérir des biens s'est trouvée améliorée en raison des services domestiques non rémunérés fournis par l'autre. Marcia Neave dans «Three Approaches to Family Property Disputes — Intention/Belief, Unjust Enrichment and Unconscionability», dans T. G. Youdan, dir., Equity, Fiduciaries and Trusts (1989), énonce clairement la situation, à la p. 254:

[traduction] Qualifier les services domestiques de dons traduit une conception des relations familiales, qui est maintenant désuète et entraîne une incidence différente sur les femmes, puisque ce sont elles qui fournissent principalement ces services. Les femmes ne travaillent plus exclusivement au foyer. Lorsqu'elles le font, elles sacrifient le revenu qu'elles pourraient tirer d'un travail rémunéré. Les couples qui décident que l'une des deux parties, habituellement la femme, abandonnera son emploi rémunéré pour fournir les services domestiques et s'occuper des enfants, croient vraisemblablement que cette entente maximisera leurs ressources financières. L'octroi d'un redressement, sous forme d'indemnité ou d'intérêt propriétal, au pourvoyeur de ces services reconnaîtrait que la capacité d'une partie de gagner sa vie et d'acquérir des biens s'est trouvée accrue par suite des services non rémunérés fournis par l'autre et que ces services lui ont été fournis gratuitement en croyant que la relation se poursuivrait.

Le même raisonnement a récemment été appliqué dans le contexte d'un divorce dans l'arrêt Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813. Il convient de reconnaître que le même principe devrait s'appliquer aux unions de fait de longue durée.

En l'espèce, contrairement à ce que soutient l'intimé, on ne peut affirmer que les contributions de l'appelante ont été mineures ou qu'elles ont été compensées par l'hébergement gratuit. Certes, l'appelante n'a pas consacré toute son énergie au foyer ou à la famille comme l'ont fait Mary Sorochan et Charlotte Murray. Toutefois, le simple fait que l'appelante a pu travailler à temps partiel n'empêche pas qu'elle a fourni des services considérables à l'intimé, pour lesquels elle n'a reçu aucune rémunération.

On ne peut oublier que le juge de première instance a reconnu que l'appelante a travaillé à créer un «foyer» pour l'intimé. La preuve indique clairement la nature et l'étendue de ses efforts; une indication plutôt touchante de son dévouement est qu'elle a aidé les enfants à faire des cadeaux de Noël. On ne devrait pas sous‑estimer la valeur du dévouement d'une personne au foyer comme l'appelante. La partie qui fournit les services domestiques travaille souvent beaucoup plus de 40 heures par semaine à l'établissement d'un «foyer». La femme qui travaille au foyer a peut‑être abandonné une carrière ou un travail qui lui permettrait d'améliorer sa capacité de gagner sa vie. Ce sont là des questions dont on devrait tenir compte dans l'examen des avantages conférés et de l'appauvrissement subi par une personne qui a été partie à une union de fait de longue durée.

On ne peut soupeser exactement les avantages conférés et reçus dans un mariage ou une union de fait. Bien qu'il puisse être essentiel dans une relation commerciale d'examiner soigneusement les contributions faites par chacun des partenaires à l'acquisition des biens, il ne serait pas réaliste ni juste de procéder ainsi dans un contexte de relation familiale. En règle générale, c'est le juge de première instance qui est le mieux placé pour apprécier l'ensemble de la preuve présentée et évaluer la contribution de chacune des parties. Il faut tenir compte de la nature de la relation, de sa durée et des contributions des parties. L'équité devraient constituer le fondement de l'appréciation. En l'espèce, la preuve présentée était amplement suffisante pour justifier la conclusion du juge de première instance relativement à l'appauvrissement de l'appelante.

L'absence de motif juridique à l'enrichissement

Dans l'arrêt Pettkus c. Becker, précité, le juge Dickson a tenu les propos qui suivent relativement aux motifs juridiques de l'enrichissement (à la p. 849):

. . . je suis d'avis que lorsqu'une personne, liée à une autre dans une relation qui équivaut à une union conjugale, se cause un préjudice dans l'expectative raisonnable de recevoir un droit de propriété et que l'autre personne accepte librement les avantages que lui procure la première, alors qu'elle connaît ou devrait connaître cette expectative raisonnable, il serait injuste de permettre au bénéficiaire de conserver cet avantage.

Le critère proposé est objectif. Les parties qui se marient ou vivent dans une union de fait auront rarement examiné la question de l'indemnisation des avantages reçus. Si on leur pose une question à ce sujet, elles répondraient probablement qu'elles ont, par amour pour l'autre, travaillé ensemble à atteindre l'objectif commun de créer un foyer et de se faire une vie confortable. Il est juste et raisonnable d'examiner la situation d'une façon objective et de déduire que, jusqu'à preuve contraire, les parties s'attendent d'obtenir, à la rupture d'une relation matrimoniale ou quasi matrimoniale, une part des biens accumulés pendant la durée de la relation.

L'arrêt Kshywieski c. Kunka (1986), 50 R.F.L. (2d) 421, a été rendu par la Cour d'appel du Manitoba. Celle‑ci a conclu qu'en l'absence d'une preuve de promesse de mariage, d'une promesse de rémunération ou d'une preuve d'attente de rémunération de la part de la demanderesse, il n'était pas injuste pour le défendeur ou sa succession de conserver les avantages qui lui ont été conférés par la demanderesse. Voici comment le professeur McLeod résume dans son commentaire ((1986), 50 R.F.L. (2d) 421) la conclusion rendue dans cet arrêt (à la p. 422):

[traduction] En l'absence d'une conduite préjudiciable comme une demande, une incitation, un acquiescement ou l'offre d'un avantage futur, il ne saurait exister de restitution.

En l'espèce, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique s'est fondée sur l'arrêt Kshywieski. À son avis, parce que l'intimé était en état d'ébriété quand il lui a fait des promesses de mariage, l'appelante ne saurait les avoir prises au sérieux. En conséquence, elle a conclu que l'appelante n'avait pas subi de préjudice. À mon avis, la Cour d'appel a commis une erreur en arrivant à cette conclusion.

Il n'est pas nécessaire d'établir qu'il y a eu promesse de mariage ou de rémunération relativement aux services fournis. Dans le cas où une personne fournit à l'autre les «services d'un conjoint», on doit plutôt considérer que ces services ont été fournis dans l'attente d'une rémunération, sauf preuve contraire. C'est la démarche que la Cour d'appel de la Saskatchewan a adoptée dans l'arrêt Everson c. Rich, précité.

En l'espèce, le juge de première instance a eu raison de déduire que l'appelante, compte tenu de la durée de la relation et de sa contribution au foyer et aux biens, avait une attente raisonnable de profiter de la richesse qu'elle avait aidé à créer. Il a conclu:

[traduction] . . . il n'y avait pas de motif juridique à l'enrichissement. Elle n'avait aucune obligation d'exécuter le travail et d'aider au foyer sans avoir une attente raisonnable de recevoir en retour quelque chose autre que les agressions dont elle était victime quand l'intimé était en état d'ébriété.

Si une personne n'a aucune obligation contractuelle, légale ou autre d'exécuter un travail et de fournir des services à une autre, il y aura absence de motif juridique à l'enrichissement. Voir les arrêts Murray c. Roty (1983), 41 O.R. (2d) 705; Pettkus c. Becker et Sorochan c. Sorochan, précités.

Bref, il y a eu enrichissement sans cause de l'intimé en raison du travail accompli par l'appelante, et celle‑ci a subi un appauvrissement correspondant. Il n'y a pas de motif juridique à l'enrichissement, c'est‑à‑dire que l'appelante n'avait aucune obligation de fournir des services à l'intimé. Il s'ensuit que le juge de première instance a eu raison de conclure qu'il y avait eu enrichissement sans cause, appauvrissement correspondant et absence de tout motif juridique à l'enrichissement. Il reste à examiner la réparation qui aurait dû être accordée dans les circonstances. Aurait‑il été approprié d'accorder une réparation pécuniaire ou aurait‑il fallu avoir recours à la fiducie par interprétation?

La réparation appropriée

Dans l'arrêt Sorochan c. Sorochan, notre Cour a précisé que la fiducie par interprétation est un moyen important pour un tribunal de remédier à l'enrichissement sans cause, mais qu'il existe également d'autres réparations, comme une indemnité pécuniaire. Il faut tout d'abord déterminer la réparation appropriée dans les circonstances de l'espèce. Dans l'arrêt Sorochan, notre Cour a affirmé que le tribunal doit examiner s'il existe un lien de causalité entre l'appauvrissement du requérant et les biens en cause, parce qu'il doit, pour justifier l'application d'une fiducie par interprétation, être convaincu que les services rendus «se rapportent clairement» aux biens en cause. Cet arrêt confirme que l'on devrait faire preuve de souplesse dans l'application d'une fiducie par interprétation et approuve expressément la position adoptée par d'autres tribunaux dans les arrêts Murray c. Roty, précité; Hussey c. Palmer, [1972] 1 W.L.R. 1286; Lawrence c. Lindsey (1982), 28 R.F.L. (2d) 356. Le juge Dickson affirme à la p. 50:

Selon moi, le redressement qu'est la fiducie par interprétation ne doit pas être accordé uniquement dans les affaires où il y a eu acquisition de biens. Certes, il importe d'exiger un certain lien entre l'appauvrissement du requérant et les biens en cause, mais il n'est pas nécessaire que ce lien revête toujours la forme d'une contribution à l'acquisition comme telle des biens. Une contribution reliée à la préservation, à l'entretien ou à l'amélioration des biens peut également suffire.

Outre l'exigence d'un lien de causalité, le juge en chef Dickson a précisé que le requérant devait raisonnablement s'attendre à recevoir un intérêt sur les biens et que l'intimé devait être au courant de cette attente. Il a aussi précisé qu'il faut tenir compte de la durée de la relation lorsque l'on examine si la fiducie par interprétation est la réparation appropriée.

La difficulté d'établir un lien de causalité entre l'enrichissement sans cause découlant de la prestation de services domestiques et les biens en question a fait l'objet d'un débat de la part des spécialistes (voir par exemple: Ralph E. Scane, «Relationships "Tantamount to Spousal", Unjust Enrichment, and Constructive Trusts» (1991), 70 R. du B. can. 260; Keith B. Farquhar, «Causal Connection in Constructive Trusts (1986‑88), 8 Est & Tr. Q. 161; Berend Hovius et Timothy G. Youdan, The Law of Family Property (1991); Ian Narev, «Unjust Enrichment, and De Facto Relationships» (1991), 6 Auck. U.L. Rev. 504). Comme le dit le professeur Ralph Scane (loc. cit., à la p. 289), il est difficile d'établir un lien de causalité dans ces cas [traduction] «parce que l'enrichissement sans cause découlant de la prestation de services [domestiques] [. . .] se répercute sur tous les biens du défendeur». En conséquence, l'apport qui a indirectement contribué à la valorisation des biens de la famille ne peut être associé à aucun bien en particulier. Cependant, je ne crois pas que le lien requis entre l'appauvrissement et les biens en question soit aussi difficile à établir qu'il le semble.

Notre Cour a expressément reconnu que les contributions financières indirectes reliées à l'entretien des biens suffisent à établir le lien avec le bien requis pour l'application d'une fiducie par interprétation. Dans l'arrêt Pettkus c. Becker, précité, Mme Becker avait payé le loyer, acheté de la nourriture et des vêtements et assumé d'autres dépenses courantes, permettant ainsi à M. Pettkus d'économiser la totalité de son revenu; il avait ensuite utilisé cette importante somme d'argent pour acheter un bien‑fonds. Bien que la contribution financière de Mme Becker n'ait pas directement servi à financer l'achat du bien‑fonds, notre Cour a conclu que sa contribution financière indirecte suffisait à lui conférer, lors de la rupture de l'union, un intérêt propriétal sur le bien acheté par M. Pettkus.

À mon avis, dans une relation de famille, il n'est pas nécessaire que le travail, les services et les contributions fournis par une partie soient clairement et directement reliés à un bien précis. Dans la mesure où la partie qui a fourni le travail et les services n'a pas reçu de rémunération, on peut déduire qu'elle a permis à l'autre partie d'acquérir un bien‑fonds ou de l'améliorer. En l'espèce, le travail de l'appelante a permis à l'intimé d'éteindre son hypothèque et d'acheter une caravane flottante et un bateau de croisière. Dans les circonstances, le juge de première instance a eu raison d'appliquer la fiducie par interprétation au bien qui, selon lui, constituait la meilleure réparation pour l'enrichissement sans cause et permettait de traiter les deux parties de façon juste et équitable.

Goff et Jones appuient l'imposition de la fiducie par interprétation aux situations de famille dans les cas où l'on ne peut associer à un bien précis l'apport du demandeur (The Law of Restitution (3e éd. (1986)). Les auteurs se fondent sur l'arrêt Chase Manhattan Bank N.A. c. Israel‑British Bank (London) Ltd., [1981] Ch. 105; dans cette affaire, la demanderesse avait par erreur versé plus de deux millions de dollars à la défenderesse; celle‑ci s'est rendu compte de l'erreur deux jours plus tard, mais n'a rien fait pour y remédier et a été mise en liquidation quatre semaines plus tard. Le juge Goulding a conclu que la défenderesse se trouvait fiduciaire par interprétation de l'argent qu'elle avait reçu par erreur. Toutefois, il ne s'est pas prononcé sur la question de savoir si les règles traditionnelles d'equity quant à l'origine des biens devraient être appliquées au paiement de la demanderesse. Selon Goff et Jones, si ces règles sont applicables, il est fort peu probable que la partie demanderesse puisse avoir gain de cause. Toutefois, comme ils l'indiquent, il semblerait injuste de permettre aux créanciers ordinaires de la défenderesse de bénéficier du paiement effectué par erreur alors qu'elle était au courant de l'erreur et n'a rien fait pour y remédier. En conséquence, les auteurs soutiennent, à la p. 80:

[traduction] Pour protéger un demandeur, le tribunal devra grever des biens libres de charge du défendeur d'une fiducie ou d'un privilège au profit du demandeur même si l'origine de ces biens ne peut être «retracée» par l'application des règles traditionnelles d'equity en la matière. Si un tribunal arrive à cette conclusion, il le fera parce qu'il estime nécessaire d'imposer une fiducie ou un privilège simplement parce que les biens du défendeur se sont trouvés valorisés par suite du paiement erroné.

Dans l'arrêt Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, notre Cour a conclu que la fiducie par interprétation n'est pas limitée aux situations dans lesquelles il y a reconnaissance d'un droit de propriété. Comme mesure de réparation, la fiducie par interprétation peut servir à créer un droit de propriété, ce qui écarte la nécessité de conclure à l'existence d'un droit de propriété préexistant par application des règles d'equity quant à l'origine de biens. Toutefois, le juge La Forest a dit qu'une demande de restitution sous forme de biens ne devrait pas être accordée automatiquement À son avis, puisque les droits propriétaux confèrent au demandeur un rang prioritaire par rapport aux réclamations légitimes des créanciers en tierce partie, il faut expliciter davantage les situations où il serait juste d'imposer une réparation fondée sur les biens. En conséquence, le juge La Forest a conclu que la fiducie par interprétation devrait être imposée seulement dans les cas où la réparation d'ordre pécuniaire ne serait pas suffisante, c'est‑à‑dire dans les cas où il existe des motifs d'accorder au demandeur les droits additionnels découlant de la reconnaissance d'un droit de propriété.

Comme ma collègue, j'estime qu'il y a lieu de restreindre le recours à la fiducie par interprétation dans un contexte commercial. Toutefois, je ne crois pas qu'il devrait en être de même dans le cas d'une relation de famille. Dans une relation matrimoniale ou quasi matrimoniale, je crois que les attentes des parties quant à leurs contributions et à leur intérêt sur les biens acquis sont fort différentes de celles des parties dans une opération commerciale. Comme je l'ai dit, il est peu probable que les couples examinent, au commencement de leur mariage ou de leur union de fait, la question des attentes concernant leurs droits juridiques. À mon avis, si on le leur demandait expressément, la plupart des couples répondraient probablement qu'ils ne s'attendent pas à être indemnisés de leur contribution. Ils diraient plutôt qu'ils s'attendraient, si jamais il y avait rupture, à un partage des biens ou de la richesse qu'ils ont contribué à créer. Ainsi, plutôt que s'attendre à être rémunérés pour leurs services, selon leur valeur marchande, les couples s'attendraient plutôt à avoir droit, en cas de dissolution de la relation, à une part équitable des biens ou de la richesse que leur contribution a aidé à acquérir, à améliorer ou à entretenir. C'est la réparation de la fiducie par interprétation qui semble le mieux adaptée aux attentes raisonnables des parties à un mariage ou à une relation quasi matrimoniale. Néanmoins, lorsque l'imposition d'une fiducie par interprétation nuirait aux droits de tiers de bonne foi, il n'y aurait pas lieu de l'accorder. (Voir Berend Hovius et Timothy G. Youdan, The Law of Family Property, op. cit., à la p. 146.)

En conséquence, dans une relation quasi matrimoniale, dans les cas où les droits des tiers ne sont pas en cause, le choix d'une réparation d'ordre pécuniaire ou d'une fiducie par interprétation relèvera du pouvoir discrétionnaire du tribunal, qui devra l'exercer avec souplesse. Habituellement, les deux parties auront un intérêt sur le bien acquis, amélioré ou entretenu au cours de la relation. Il relève également du pouvoir discrétionnaire du tribunal de décider sur quel bien portera la fiducie par interprétation. Cette décision doit aussi être prise suivant le bon sens et avec le désir de régler équitablement le différend entre les parties.

Il y aura certes des situations où l'octroi d'une indemnité pourrait être la réparation la plus appropriée. Par exemple, lorsque la relation est de courte durée ou qu'il ne reste plus de biens au moment de la rupture de la relation. Les professeurs Berend Hovius et Timothy Youdan (The Law of Family Property, op. cit., à la p. 147) énumèrent la liste suivante de facteurs qui, à mon avis, sont utiles pour déterminer quand une somme d'argent pourrait convenir davantage qu'une fiducie par interprétation:

Est‑ce que:

[traduction]

a) «le droit du demandeur est relativement petit par rapport à la valeur de l'ensemble du bien en question»;

b) «le défendeur est en mesure de satisfaire à la demande sans vendre le bien" en question;

c) «le demandeur [n'a aucun] attachement spécial au bien en question»;

d) «le défendeur risque de subir un préjudice si le demandeur [obtient] un intérêt sur le bien».

En l'espèce, l'appelante a contribué à l'entretien et à la préservation du foyer. Elle a peint les clôtures, planté une haie de cèdres, installé une rocaille et construit un poulailler. Néanmoins, sa principale contribution a été la prestation de services domestiques. L'appelante s'est occupée de la maison et du soin des enfants et a de ce fait économisé à l'intimé les dépenses liées à l'embauche d'une aide ménagère et d'une personne pour s'occuper des enfants. Il a donc pu utiliser l'argent épargné pour acheter d'autres biens et éteindre l'hypothèque sur la propriété de Sicamous.

Le juge de première instance a conclu qu'il [traduction] «ne serait pas pratique, ni vraisemblablement réaliste, ni raisonnable dans les circonstances» d'exiger de l'intimé, retraité et bénéficiaire d'allocations aux anciens combattants, qu'il verse une réparation d'ordre pécuniaire, et il a grevé la propriété de Sicamous d'une fiducie par interprétation. À mon avis, il a eu raison de le faire. On pouvait raisonnablement déduire que l'appelante, compte tenu du travail qu'elle a exécuté, s'attendait à recevoir une part de la propriété de Sicamous au moment de la rupture de la relation. Par ailleurs, bien que rien ne prouvait en particulier que l'appelante s'était attachée sentimentalement au bien, il n'aurait pas été déraisonnable de la part du juge de première instance de le déduire compte tenu du travail qu'elle y a effectué. En outre, le bien‑fonds n'était pas occupé à ce moment et l'intimé vivait à la retraite dans une autre localité et avait comme moyen de subsistance sa pension d'ancien combattant. De toute évidence, il n'a aucun attachement particulier au bien en question. Il ne serait pas logique d'attribuer une réparation d'ordre pécuniaire. Par conséquent, il était à la fois raisonnable et approprié de choisir la propriété de Sicamous pour appliquer la fiducie par interprétation. Dans les circonstances, la réparation sous forme de la fiducie par interprétation convenait parfaitement.

La valeur conférée à l'intérêt de l'appelante a‑t‑elle été calculée d'une façon raisonnable?

Il existe en général deux façons de calculer la contribution d'une partie à une relation matrimoniale. La première consiste à se fonder sur la valeur reçue, le quantum meruit, soit le montant que, du point de vue purement commercial, le défendeur aurait dû payer une autre personne pour obtenir les services qu'il a reçus du demandeur. Subsidiairement, on peut aussi se fonder sur la méthode de la «valeur accumulée» qui consiste à partager les biens accumulés par le couple en fonction de la contribution des parties. C'est cette méthode qui a traditionnellement été utilisée dans les cas de fiducie par interprétation. Toutefois, rien n'empêche d'utiliser la méthode du quantum meruit ou de la valeur reçue pour calculer la valeur de la fiducie par interprétation. La réparation devrait être souple, de façon à pouvoir l'adapter facilement à la situation dans un contexte donné. Il arrive souvent que les parties n'ont pas les moyens de retenir les services d'experts et de présenter leur témoignage quant à la valeur du bien et, parfois, cette solution n'est pas du tout pratique. C'est pourquoi il faut continuer à faire preuve de souplesse dans l'octroi de la réparation.

En l'espèce, le juge de première instance s'est fondé sur le même genre d'analyse quantum meruit que celle utilisée dans l'arrêt Herman c. Smith (1984), 42 R.F.L. (2d) 154 (B.R. Alb.). Il a calculé les contributions de l'appelante en fonction de ce que l'intimé aurait dû payer à une aide ménagère. Je tiens à préciser que ses calculs ont été favorables à l'intimé en ce que le juge a utilisé, comme base du calcul, le montant versé avant le début de l'union de fait et qu'il l'a ensuite réduit de 50 pour 100 pour tenir compte de la valeur de l'hébergement fourni à l'appelante. C'est une façon équitable de calculer le montant dû à l'appelante.

Néanmoins, je tiens à faire remarquer que la méthode de la valeur accumulée sera souvent la meilleure façon de déterminer le montant de la part d'un demandeur. Cette méthode sera habituellement plus équitable et se rapprochera davantage de l'attente des parties quant à la façon dont les biens accumulés devraient être partagés au moment de la rupture de la relation. Par ailleurs, en empruntant la méthode de la valeur accumulée, on évite la difficile tâche d'attribuer une valeur pécuniaire précise aux services fournis par une personne qui s'est consacrée à l'éducation des enfants et à l'entretien du foyer. Avec cette méthode, les contributions des parties sont plutôt exprimées, de façon plus exacte, en pourcentage de la richesse accumulée qui existe au moment de la rupture de la relation. En conséquence, pour des raisons pragmatiques, il sera préférable d'utiliser dans de nombreux cas la méthode de la valeur accumulée. Quelle que soit la méthode utilisée, c'est l'équité et l'impartialité qui devraient guider le tribunal dans son calcul de la valeur des biens et de la contribution de chacune des parties. En l'espèce, l'attribution à l'appelante de la propriété de Sicamous constituait une évaluation équitable de sa contribution à la relation.

Dispositif

En définitive, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'ordonnance de la Cour d'appel et de rétablir la décision du juge de première instance. L'appelante a droit aux dépens dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l'appelante: Nixon, Wenger, Vernon.

Procureurs de l'intimé: Schroeder, Pidgeon & Company, Vancouver.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit de la famille - Fiducies - Fiducie par interprétation - Union de fait de longue durée - Personne au foyer non rémunérée - Entretien et amélioration de la propriété par la personne au foyer - Doit‑on établir qu'il existe un lien avec le bien avant que puisse être accordée la fiducie par interprétation? - Y a‑t‑il lieu d'examiner quelle devrait être l'étendue de la fiducie par interprétation, sous le rapport du montant ou de la proportion?.

Fiducies - Fiducie par interprétation - Union de fait de longue durée - Personne au foyer non rémunérée - Entretien et amélioration de la propriété par la personne au foyer - Doit‑on établir qu'il existe un lien avec le bien avant que puisse être accordée la fiducie par interprétation? - Y a‑t‑il lieu d'examiner quelle devrait être l'étendue de la fiducie par interprétation, sous le rapport du montant ou de la proportion?.

L'appelante a vécu dans une union de fait avec l'intimé pendant 12 ans, s'occupant des travaux domestiques et de l'éducation des enfants des deux familles réunies, sans recevoir de rémunération. L'intimé avait acheté la maison occupée par le couple, et l'appelante a mené à bien, pendant la durée de la relation, un certain nombre de projets — potager, haie, peinture — aux fins de l'entretien ou de l'amélioration de la propriété. Pendant la relation, l'intimé a pu éteindre l'hypothèque de la maison et acheter une caravane flottante et une fourgonnette; l'appelante a acheté un terrain avec de l'argent gagné à l'extérieur du foyer. La maison est demeurée vacante après la séparation des parties.

Le juge de première instance a conclu qu'il y avait eu enrichissement de l'intimé, que l'appelante avait été privée de toute indemnisation et qu'il n'existait aucun motif juridique à l'enrichissement. Il a accordé la propriété à l'appelante. La Cour d'appel a accueilli l'appel interjeté contre cette décision. Il s'agit en l'espèce de déterminer si la prestation de services domestiques pendant 12 ans de cohabitation dans le cadre d'une union de fait suffit pour établir le lien qui doit exister avec le bien avant que l'on puisse accorder la réparation qu'est la fiducie par interprétation dans le cas où il y a enrichissement sans cause de l'une des parties à l'union. Il faut également examiner quelle devrait être l'étendue de la fiducie par interprétation, sous le rapport du montant ou de la proportion.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Les juges La Forest, Sopinka, McLachlin et Iacobucci: Le choix de la réparation appropriée — une réparation d'ordre pécuniaire ou l'imposition d'une fiducie par interprétation — ne doit être effectué que lorsqu'est établi un enrichissement sans cause ouvrant droit à restitution. Le recours à la fiducie par interprétation existe lorsque le versement de dommages‑intérêts n'est pas suffisant et qu'il y a un lien entre la contribution à la base de l'action et le bien qui serait grevé d'une fiducie par interprétation.

En déterminant s'il y a eu enrichissement sans cause, les questions de principe doivent être examinées sous le chapitre de l'absence de motif juridique à l'enrichissement. Les services fournis par une personne parce qu'elle a volontairement assumé le rôle d'épouse et de belle‑mère donnent lieu à une réparation fondée sur l'enrichissement sans cause. Généralement, un conjoint de fait n'est pas tenu en common law, en equity ou par la loi de travailler pour son conjoint ou de lui fournir des services. Les services d'aide ménagère et de soins des enfants peuvent, dans une relation matrimoniale ou quasi matrimoniale, donner lieu à une réclamation en equity contre l'autre conjoint. Il n'est pas injuste pour le bénéficiaire de contributions indirectes ou non financières d'être forcé de fournir un dédommagement au titre de ces contributions. Les services domestiques ne peuvent en toute logique se distinguer des autres contributions. Le critère qui sert à déterminer s'il y a absence de motif juridique à l'enrichissement sans cause est souple et les facteurs dont il faut tenir compte varient. Aucune obligation ne découlait en l'espèce de la situation des parties et les caractéristiques d'un don en droit n'étaient pas présentes.

C'est dans les cas où une injustice ne peut pas être réparée en vertu de la loi que l'equity joue un rôle. Les tribunaux peuvent appliquer la théorie de l'enrichissement sans cause reconnue en equity pour remédier à la situation même si le législateur a choisi de priver les couples non mariés du droit de réclamer sur les biens matrimoniaux un intérêt calculé par rapport à la contribution des parties.

L'existence d'une fiducie par interprétation dépend de l'existence d'un lien direct entre la contribution et le bien en question, en matière tant commerciale que familiale. Il n'est pas nécessaire de diviser les affaires d'enrichissement sans cause comme étant d'ordre commercial ou familial; il n'y a pas de règles spéciales applicables au contexte familial. Le souci de clarté et d'uniformité de la doctrine dans ce domaine veut que les principes fondamentaux régissant les droits et les réparations demeurent les mêmes dans tous les cas. Même dans un contexte familial, la notion voulant qu'il ne soit pas nécessaire d'établir un lien entre les services rendus et le bien revendiqué est incompatible avec la nature propriétale de la fiducie par interprétation. En matière familiale, cependant, dans les cas où une indemnité n'est pas suffisante, c'est généralement parce que le plaignant a développé, par ses efforts, un lien spécial avec le bien en question, auquel cas il faut avoir recours à la fiducie par interprétation. Bien qu'une contribution mineure ou indirecte ne suffise pas à donner lieu à une fiducie par interprétation, c'est le montant de la contribution qui détermine l'étendue de la fiducie par interprétation, une fois remplie la condition du montant suffisant.

Aux fins de la détermination de la valeur d'une fiducie par interprétation, il faut préférer la méthode fondée sur la «valeur accumulée» (le montant de valorisation du bien) à celle de la «valeur reçue» (la valeur des services fournis par le requérant). Dans le cas où le requérant demande un intérêt sur le bien, il faut déterminer quelle part de la valeur du bien réclamé est imputable aux services du requérant. Vu qu'il est difficile en pratique de calculer avec une précision mathématique la valeur des contributions particulières apportées aux biens familiaux, il faut préférer une méthode fondée sur la «valeur accumulée».

Il faut calculer la part de l'appelante à l'égard de l'ensemble du patrimoine familial: la maison, la caravane flottante, la fourgonnette, les allocations aux anciens combattants et un terrain acheté par elle. Sa contribution à l'entreprise familiale a été considérable car elle a permis à l'intimé d'épargner d'importantes sommes d'argent qu'il a pu utiliser pour éteindre son hypothèque et accumuler des biens composant le patrimoine familial. La valeur de la maison représente une approximation équitable de la valeur de la contribution de l'appelante au patrimoine familial.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Gonthier et Cory: Pour qu'il y ait enrichissement sans cause, il doit y avoir eu enrichissement, appauvrissement correspondant de la personne qui a fourni l'enrichissement et absence de tout motif juridique à l'enrichissement. Un enrichissement donne presque invariablement lieu à un appauvrissement correspondant de la personne qui a contribué à l'enrichissement. Dans un mariage ou dans une union de fait de longue durée, on devrait, en l'absence d'une preuve contraire forte, conclure que l'enrichissement d'une partie donnera lieu à l'appauvrissement de l'autre.

La fiducie par interprétation peut être appliquée dans les cas où le conjoint, y compris le conjoint de fait, a contribué non pas directement à l'acquisition du bien, mais plutôt à sa préservation, à son entretien ou à son amélioration. En l'espèce, l'intimé a admis s'être enrichi du fait du travail et des contributions de l'appelante.

On ne peut pas s'attendre qu'une personne renonce à une rémunération ou à un intérêt sur le bien‑fonds en échange de sa contribution au foyer et à la famille simplement parce qu'elle aime l'autre partie à la relation. Il n'est pas nécessaire d'établir qu'il y a eu promesse de mariage ou de rémunération. Dans le cas où une personne fournit à l'autre les «services d'un conjoint», on doit plutôt considérer que ces services ont été fournis dans l'attente d'une rémunération, sauf preuve contraire. Il faut tenir compte de la nature de la relation, de sa durée et des contributions des parties. Accorder un redressement, sous forme d'indemnité ou d'intérêt de propriété, devrait permettre de reconnaître que la capacité d'une partie de gagner sa vie et d'acquérir des biens s'est trouvée améliorée en raison des services domestiques non rémunérés fournis par l'autre.

Dans une relation de famille, il n'est pas nécessaire que la contribution soit directement reliée à un bien précis pour que puisse être appliquée une fiducie par interprétation. Il n'y a pas lieu de restreindre le recours à cette réparation d'une façon aussi rigoureuse dans une relation de famille que dans un contexte commercial puisque les attentes des parties dans les deux situations sont fort différentes. La fiducie par interprétation s'adapte bien à une situation de famille car les parties à la relation, plutôt que s'attendre à être rémunérés pour leurs services, selon leur valeur marchande, s'attendent plutôt à avoir droit, en cas de dissolution de la relation, à une part équitable des biens ou de la richesse accumulés par leurs efforts conjoints. Toutefois, lorsque l'imposition d'une fiducie par interprétation nuirait aux droits de tiers de bonne foi, il pourrait ne pas être approprié de l'accorder.

Dans une relation quasi matrimoniale, dans les cas où les droits des tiers ne sont pas en cause, le choix d'une réparation d'ordre pécuniaire ou d'une fiducie par interprétation relèvera du pouvoir discrétionnaire du tribunal, qui devra l'exercer avec souplesse. Il relève également du pouvoir discrétionnaire du tribunal de décider sur quel bien (s'il y en a plusieurs) portera la fiducie par interprétation. Cette décision doit aussi être prise suivant le bon sens et avec le désir de régler équitablement le différend entre les parties.

Il peut y avoir des situations où l'octroi d'une indemnité pourrait être la réparation la plus appropriée. Il faut tenir compte d'un certain nombre de facteurs: a) le droit du demandeur est‑il relativement petit par rapport à la valeur de l'ensemble du bien en question? b) le défendeur est‑il en mesure de satisfaire à la demande sans vendre le bien en question? c) le demandeur a‑t‑il un attachement spécial au bien en question? d) le défendeur risque‑t‑il de subir un préjudice si le demandeur obtient un intérêt sur le bien en question?

Il existe deux façons de calculer la contribution d'une partie à une relation: la valeur reçue (le montant que, du point de vue purement commercial, le défendeur aurait dû payer une autre personne pour obtenir les services), et la valeur accumulée (la répartition des biens accumulés par le couple en fonction de la contribution des parties). Bien que c'est la méthode de la valeur accumulée qui ait traditionnellement été utilisée dans les cas de fiducie par interprétation, rien n'empêche d'utiliser la méthode de la valeur reçue pour calculer la valeur de la fiducie par interprétation. La réparation devrait être souple.

La méthode fondée sur la valeur accumulée est souvent préférable. Cette méthode est habituellement plus équitable et se rapproche davantage de l'attente des parties quant à la façon dont les biens acquis ensemble devraient être partagés. On évite également ainsi la difficile tâche d'attribuer une valeur pécuniaire précise aux services domestiques. Avec cette méthode, les contributions des parties sont plutôt exprimées, de façon plus exacte, en pourcentage de la richesse accumulée qui existe au moment de la rupture de la relation.

En l'espèce, l'imposition d'une fiducie par interprétation constituait la réparation la plus appropriée parce qu'il ne serait pas pratique d'exiger de l'intimé qu'il verse une réparation d'ordre pécuniaire puisqu'il est retraité et bénéficiaire d'allocations aux anciens combattants.


Parties
Demandeurs : Peter
Défendeurs : Beblow

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge McLachlin
Arrêts mentionnés: White c. Central Trust Co. (1984), 54 R.N.‑B. (2e) 293
Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574
Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834
Sorochan c. Sorochan, [1986] 2 R.C.S. 38
Peel (Municipalité régionale) c. Canada, [1992] 3 R.C.S. 762
Grant c. Edwards, [1986] 2 All E.R. 426
Kshywieski c. Kunka (1986), 50 R.F.L. (2d) 421
Hougen c. Monnington (1991), 37 R.F.L. (3d) 279
Prentice c. Lang (1987), 10 R.F.L. (3d) 364
Hyette c. Pfenniger, C.S.C.‑B., 19 décembre 1991, inédit
Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813
Rawluk c. Rawluk, [1990] 1 R.C.S. 70
Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, [1989] 1 R.C.S. 426
Davidson c. Worthing (1986), 6 R.F.L. (3d) 113.
Citée par le juge Cory
Arrêts examinés: Sorochan c. Sorochan, [1986] 2 R.C.S. 38
Chase Manhattan Bank N.A. c. Israel‑British Bank (London) Ltd., [1981] Ch. 105
Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574
arrêts mentionnés: Murdoch c. Murdoch, [1975] 1 R.C.S. 423
Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834
Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, [1989] 1 R.C.S. 426
Everson c. Rich (1988), 16 R.F.L. (3d) 337
Canadian Aero Service Ltd. c. O'Malley, [1974] R.C.S. 592
Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813
Kshywieski c. Kunka (1986), 50 R.F.L. (2d) 421
Murray c. Roty (1983), 41 O.R. (2d) 705
Hussey c. Palmer, [1972] 1 W.L.R. 1286
Lawrence c. Lindsey (1982), 28 R.F.L. (2d) 356
Herman c. Smith (1984), 42 R.F.L. (2d) 154.
Doctrine citée
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Farquhar, Keith B. «Causal Connection in Constructive Trust After Sorochan v. Sorochan» (1989), 7 Can. J. of Fam. L. 337.
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Welstead, Mary. «Domestic Contribution and Constructive Trusts: The Canadian Perspective», [1987] Denning L.J. 151.

Proposition de citation de la décision: Peter c. Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980 (25 mars 1993)


Origine de la décision
Date de la décision : 25/03/1993
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1993] 1 R.C.S. 980 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-03-25;.1993..1.r.c.s..980 ?
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