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30/06/1993 | CANADA | N°[1993]_2_R.C.S._651

Canada | Flieger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651 (30 juin 1993)


Flieger c. Nouveau‑Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651

Gary Flieger et Terry McNutt Appelants

c.

La province du Nouveau‑Brunswick Intimée

Répertorié: Flieger c. Nouveau‑Brunswick

No du greffe: 22875.

1993: 26 avril; 1993: 30 juin.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Cory, McLachlin et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel du nouveau‑brunswick

POURVOI contre un jugement de la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick (1991), 125 R.N.‑B. (2e) 228, 316 A.P.R. 228, 87 D.L.R. (4th) 191

, qui a confirmé un jugement du juge Stevenson (1991), 117 R.N.‑B. (2e) 239, 295 A.P.R. 239, qui avait rejeté les action...

Flieger c. Nouveau‑Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651

Gary Flieger et Terry McNutt Appelants

c.

La province du Nouveau‑Brunswick Intimée

Répertorié: Flieger c. Nouveau‑Brunswick

No du greffe: 22875.

1993: 26 avril; 1993: 30 juin.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Cory, McLachlin et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel du nouveau‑brunswick

POURVOI contre un jugement de la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick (1991), 125 R.N.‑B. (2e) 228, 316 A.P.R. 228, 87 D.L.R. (4th) 191, qui a confirmé un jugement du juge Stevenson (1991), 117 R.N.‑B. (2e) 239, 295 A.P.R. 239, qui avait rejeté les actions intentées par les appelants pour licenciement injustifié. Pourvoi rejeté, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente.

J. Gordon Petrie, c.r., et Thomas Christie, pour les appelants.

Richard C. Speight, pour l'intimée.

//Le juge Cory//

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges La Forest, Sopinka, Cory, McLachlin et Iacobucci rendu par

Le juge Cory — Deux questions primordiales sont soulevées dans le présent pourvoi. La première est de savoir si l'impartition à la Gendarmerie royale du Canada ("GRC"), par la province, du travail effectué auparavant par la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick a constitué la «suppression d'une fonction» au sens de l'art. 26 de la Loi sur la Fonction publique du Nouveau‑Brunswick, L.N.‑B. 1984, ch. C‑5.1. La seconde consiste à savoir si les appelants ont reçu un préavis raisonnable de la cessation de leur emploi comme sergents de la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick.

1. Les faits

Les appelants se sont engagés dans la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick comme constables en 1981. En 1988, ils occupaient tous deux des postes de sergent. En juillet de la même année, la province a annoncé sa décision d'abolir la patrouille, dont les fonctions furent confiées à la GRC. Le 21 décembre 1988, les appelants ont reçu des préavis officiels de licenciement. Ces préavis citaient l'art. 26 de la Loi sur la Fonction publique et l'al. 9(1)b) du Règl. du N.‑B. 84‑229, et annonçaient que l'on ne retiendrait plus les services des appelants après le 8 février 1989 par suite de la suppression et de l'abolition de la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick. Les appelants ont continué à recevoir leur plein salaire jusqu'en avril 1989. La province du Nouveau‑Brunswick leur a offert d'autres postes au sein de sa fonction publique, à titre d'agents de correction, offre que les appelants ont acceptée. En outre, pendant l'année financière qui a débuté en avril 1989, ils ont reçu la somme de 5000 $ en sus de leur salaire régulier d'agents de correction.

Les appelants ont intenté séparément des actions en dommages‑intérêts pour licenciement injustifié, qui ont été entendues ensemble. Ils soutiennent que, puisque les fonctions précédemment exercées par la Patrouille routière sont maintenant assurées par des membres de la GRC en vertu d'un contrat conclu avec la province, il n'y a pas eu «suppression d'une fonction» au sens donné à cette expression à l'art. 26. Les appelants prétendent donc qu'ils auraient dû recevoir un préavis raisonnable lorsqu'ils ont été licenciés, plutôt que le préavis de 30 jours que prévoit le règlement provincial lorsqu'il y a suppression d'une fonction. Le juge de première instance a conclu qu'il y avait «suppression d'une fonction» et il a rejeté leurs demandes: (1991), 117 R.N.‑B. (2e) 239, 295 A.P.R. 239. Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick: (1991), 125 R.N.‑B. (2e) 228, 316 A.P.R. 228, 87 D.L.R. (4th) 191.

2. Les juridictions inférieures

La Cour du Banc de la Reine

Le juge Stevenson a noté qu'il n'y avait pas de «manque de travail» puisque les fonctions étaient maintenant exercées par un autre corps policier. Toutefois, en se fondant sur plusieurs décisions de la Cour fédérale portant sur des dispositions législatives fédérales semblables, il a déterminé qu'il y avait eu «suppression d'une fonction» et a rejeté les demandes. Il a conclu que les droits à un préavis que les demandeurs pourraient invoquer en common law avaient été abolis par la loi provinciale (la Loi sur la Fonction publique) qui autorise les licenciements.

La Cour d'appel

Le juge en chef Stratton a souligné qu'il n'était pas question d'un «manque de travail» puisque le travail était toujours effectué, quoique par un autre corps policier. Il s'agissait essentiellement selon lui de déterminer s'il y avait eu «suppression d'une fonction». Il a établi une distinction avec l'arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1990] 1 C.F. 428 (C.A.), confirmé par la suite par la Cour suprême du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941 ("AFPC"). Il a relevé le fait que, contrairement à l'arrêt AFPC qui portait sur la question de savoir s'il y avait violation d'une convention collective, aucune convention collective n'est en cause en l'espèce.

Il a conclu que le terme «fonction» dans la Loi sur la Fonction publique visait le titulaire d'un poste. Les appelants, précédemment titulaires de postes de sergents au sein de la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick, ont cessé d'occuper ces postes dès l'abolition de la patrouille. Il y a eu par conséquent «suppression d'une fonction». Selon lui, toute conclusion contraire aurait pour effet de restreindre indûment la marge de man{oe}uvre des employeurs dans la planification de leurs affaires.

Il estimait de toute façon que les appelants avaient eu un préavis raisonnable. Il a fait remarquer qu'ils ont obtenu un dédommagement (5000 $) et qu'ils ont accepté un autre emploi au sein des services correctionnels. Dans les circonstances, il a conclu qu'ils ont été suffisamment dédommagés.

Dans ses motifs de dissidence, le juge Hoyt (maintenant juge en chef du Nouveau‑Brunswick) a exprimé l'avis qu'il n'y avait pas eu «suppression d'une fonction» au sens de la Loi. Il était d'accord avec les remarques faites par le juge Mahoney de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt AFPC quant à l'effet de l'impartition. À son avis, ces remarques s'appliquent en l'espèce, même si elles ont été faites dans le contexte d'une affaire régie par une convention collective (à la p. 246 R.N.‑B.):

[traduction] . . . elles indiquent bien que lorsque le travail qui était antérieurement exécuté par l'employé licencié continue d'être exécuté, même à contrat, on ne peut affirmer qu'il y a suppression de la fonction de cet employé.

Selon le juge Hoyt, compte tenu des dispositions de l'art. 20 de la Loi sur la Fonction publique, les règles de common law s'appliquent. Il aurait renvoyé l'affaire devant le juge de première instance afin que soit fixé le montant des dommages‑intérêts pour le préjudice subi par suite de l'omission de donner un préavis raisonnable.

3. Les dispositions législatives applicables

Loi sur la Fonction publique, L.N.‑B. 1984, ch. C‑5.1

20 Sous réserve de la présente loi ou de toute autre loi, la cessation d'emploi d'un administrateur général ou d'un employé est régie par les règles contractuelles ordinaires.

26(1) Lorsque le manque de travail ou la suppression d'une fonction rend les services d'un employé inutiles, l'administrateur général peut, conformément aux règlements du Conseil, licencier l'employé.

26(2) Un employé cesse d'être un employé lorsqu'il est licencié conformément au paragraphe (1).

26(3) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, quand un employé a été licencié, il peut être inscrit par le secrétaire du Conseil sur les listes d'admissibilité pour lesquelles celui‑ci considère qu'il possède les compétences voulues.

26(4) Nonobstant le paragraphe (2), l'employé qui est licencié a le droit, pendant la durée fixée par le secrétaire du Conseil pour tout cas ou toute catégorie de cas, de prendre part à tout concours restreint auquel il aurait été admissible s'il n'avait pas été licencié.

Règlement général du Conseil de gestion ‑ Loi sur la Fonction publique, Règl. du N.‑B. 84‑229

9(1) Lorsque le manque de travail ou la suppression d'une fonction rend les services d'un employé inutiles, l'administrateur général doit,

a) avant le licenciement de l'employé, tenir compte des compétences et du rendement de l'employé et décider s'il pourrait ou non le garder dans le personnel de son ministère dans un autre poste idoine; et

b) s'il ne peut garder l'employé dans son ministère dans un autre poste idoine, lui donner ainsi qu'au secrétaire du Conseil un préavis de trente jours les avisant que les services de l'employé ne sont plus nécessaires.

Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.‑B. 1973, ch. P‑25:

6(2) Sous réserve de l'alinéa 102(3)a), aucune disposition de la présente loi ne porte atteinte au droit que possède l'employeur d'engager des entrepreneurs privés ou de passer des marchés avec des entrepreneurs pour faire effectuer des travaux à quelque fin que ce soit.

63(2) Aucune convention collective ne doit prévoir, directement ou indirectement, la modification ou la suppression d'une modalité ou condition d'emploi ou l'introduction d'une nouvelle modalité ou condition d'emploi

a) dont la modification, la suppression ou l'introduction, selon le cas, nécessiterait ou aurait pour effet de nécessiter l'adoption ou la modification d'une loi quelconque par la Législature, sauf aux fins d'affectation des crédits nécessaires à son application, ou

b) qui a été ou qui peut être introduite, selon le cas, en application d'une loi spécifiée à l'annexe II.

4. Analyse

a) La suppression d'une fonction

Il s'agit en premier lieu de trancher la question de savoir si la décision prise par la province de conclure un contrat avec la GRC pour lui confier les fonctions de la Patrouille routière constituait la «suppression d'une fonction». Aucune définition de cette expression ne figure dans la Loi sur la Fonction publique du Nouveau‑Brunswick ou dans son règlement d'application. Il y a donc lieu de se demander si une définition satisfaisante en a été donnée dans la jurisprudence. L'expression «suppression d'une fonction» figure au par. 29(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P‑33, et l'expression «suppression d'un poste» au par. 242(3.1) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2 (auparavant «cessation d'une fonction» à l'al. 61.5(3)a) S.R.C. l970, ch. L-1 (modifiée par S.C. 1984, ch. 39, art. 11)), et les tribunaux en ont examiné le sens dans le contexte de ces lois. Une étude de cette jurisprudence montre qu'il y a deux points de vue différents; l'un fondé sur le concept d'un «poste» et l'autre sur celui des «activités».

Dans Transport Guilbault Inc. c. Scott, décision inédite de la Cour d'appel fédérale, no A‑618‑85, le 21 mai 1986 (autorisation de pourvoi refusée le 29 janvier 1987, [1987] 1 R.C.S. xiii), le juge Pratte a écrit ce qui suit, aux pp. 2 et 3:

La cessation d'une fonction, au sens de l'alinéa 61.5(3)a) [du Code canadien du travail (maintenant le par. 242(3.1))], c'est la cessation d'une fonction au sein de l'entreprise d'un employeur donné. Cette cessation peut résulter de la décision prise par cet employeur de confier à un entrepreneur les travaux qu'il faisait jusque‑là accomplir par ses employés. Dès lors que cette décision est réelle et n'a rien de simulé, on ne saurait interpréter autrement l'alinéa 61.5(3)a) sans limiter indûment la liberté de l'employeur de structurer et organiser son entreprise comme il l'entend.

Cet arrêt est l'un des rares à traiter précisément de l'impartition. Une proposition clé de cet arrêt est «au sein de l'entreprise d'un employeur». Cela permet de supposer qu'il n'est pas nécessaire que la fonction en soi cesse d'être exercée, mais qu'il suffit que l'employeur ait aboli cette fonction particulière au sein de son entreprise.

L'arrêt Gonthier c. Canada (1986), 77 N.R. 386 (C.A.F.), ne peut s'appliquer que de façon limitée puisqu'il porte plus sur la question de savoir ce qui constitue un «manque de travail» que sur le sens à donner à l'expression «suppression d'une fonction». Dans cette affaire, les employés étaient des professeurs de langue mis en disponibilité en raison de compressions budgétaires. Aucun autre employé n'a été engagé pour faire leur travail et l'employeur n'a pas eu recours à l'impartition. Les employés qui sont restés dans la direction générale ont plutôt assumé une plus grande proportion des mêmes tâches dont ils devaient s'acquitter auparavant, et l'ensemble de la Direction générale de la formation linguistique a dû réduire ses activités. La Cour d'appel fédérale a conclu que dans de telles circonstances, il y avait licenciement valide «faute de travail».

Dans l'affaire Mudarth c. Canada, (Ministre des Travaux publics), [1989] 3 C.F. 371 (1re inst.), la demanderesse avait fourni des services de secrétariat à une équipe de projet particulière composée d'ingénieurs et d'architectes. Son poste fut aboli et le travail qu'elle effectuait auparavant fut réparti entre les membres d'un service central de secrétariat. Aucune autre secrétaire n'a été engagée pour exercer les fonctions qu'elle exécutait, et aucun autre poste n'a été créé ailleurs pour qu'une autre secrétaire exerce ses fonctions. En fait, en raison de compressions budgétaires, le chef de l'équipe spéciale a décidé de mettre fin à l'emploi occupé par la demanderesse afin de libérer une «année‑personne» supplémentaire qui pourrait servir à retenir les services d'un autre architecte ou d'un autre ingénieur. La cour a conclu que cela constituait la «suppression d'une fonction». La défenderesse employeur a fait valoir que la fonction était liée à l'employée elle‑même. Après redistribution à d'autres des tâches qu'elle exerçait auparavant, sa «fonction» cessait d'exister, selon la position de la défenderesse. Pour établir le sens à donner au terme «fonction», le juge de première instance s'est référé à un certain nombre de définitions dans les dictionnaires et à la jurisprudence. Le juge Addy, dont les motifs ont été confirmés par la Cour d'appel (1990), 113 N.R. 159, a alors déclaré, à la p. 378:

Donner effet à l'argument formulé par la demanderesse au sujet du sens à accorder au mot «fonction» empêcherait le gouvernement d'abolir quelque poste que ce soit et de renvoyer l'employé, à moins qu'une partie des tâches ou du travail effectués par cet employé soit complètement supprimée et qu'elle ne soit plus exécutée par une autre personne ou un autre groupe de la Fonction publique. Cela nuirait évidemment beaucoup à la réorganisation des ministères et des directions générales de la Fonction publique par la redistribution de tâches et paralyserait dans une large mesure toute mise à jour des procédures administratives. Une interprétation aussi radicale du paragraphe 29(1) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique n'est pas du tout requise pour donner pleinement effet à l'économie et l'esprit de la loi. La Loi empiète évidemment sur les pouvoirs généraux de gestion qui sont accordés au gouvernement du Canada et à ses divers ministères et restreint les pouvoirs en question, mais l'empiétement devrait se limiter à ce qui est nécessaire pour donner effet aux objets et aux dispositions de la Loi.

Le point de vue adopté dans l'arrêt Mudarth établit un lien entre le mot «fonction» et le «poste» occupé par la demanderesse. Son poste consistait en un ensemble de tâches et de responsabilités dont elle devait s'acquitter en sa qualité de secrétaire. Cet ensemble de tâches n'était plus exécuté. Par conséquent, son poste avait cessé d'exister et il y avait donc eu «suppression d'une fonction».

Une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale est particulièrement utile. Dans l'affaire Coulombe c. La Reine, C.F. 1re inst., no T‑390‑84, le 5 avril 1984, inédite, le demandeur était greffier et directeur général du Conseil canadien des relations du travail. Si les parties n'arrivaient pas à s'entendre sur les motifs qui avaient entraîné l'abolition du poste occupé par le demandeur, elles reconnaissaient que les activités dont celui‑ci s'était acquitté avaient été transférées aux directeurs des six régions du Canada de même qu'au président. La cour a conclu que cela constituait la «suppression d'une fonction».

En arrivant à cette conclusion, le juge Cattanach a ainsi défini la fonction (à la p. 6):

Une fonction correspond à une action. On entend par fonction le genre d'action qui incombe au titulaire d'un poste. Par conséquent, la fonction équivaut à l'exécution des tâches inhérentes à ce poste. Du titulaire d'un poste qui exécute les tâches inhérentes à un poste, on dit qu'il remplit sa fonction. Les fonctions correspondent donc aux pouvoirs et aux tâches inhérentes à un poste.

Par conséquent, je suis d'avis que lorsque les fonctions inhérentes à un poste sont transférées par suite d'une réorganisation et que le poste est aboli sans, pour cela, que les fonctions soient supprimées, il en résulte la suppression de la fonction du titulaire du poste. De ce fait, les services fournis par un employé qui occupait ce poste ne seront plus requis en raison de la suppression de la fonction qu'il remplissait auparavant . . .

Il convient de noter que dans l'affaire Coulombe, les activités autrefois exécutées par le demandeur furent réparties entre un certain nombre de personnes au sein de l'organisme. Aucune personne n'a continué à exécuter tout le groupe d'activités qui avaient auparavant été exercées par le demandeur. Si chacune des activités continuait d'être exercée, la particularité selon laquelle elles étaient toutes accomplies par une personne, celle du «poste» que le demandeur avait occupé, avait effectivement cessé d'exister. Par conséquent, la cour a conclu que la «fonction» du demandeur avait été supprimée.

Les définitions données dans les dictionnaires ajoutent peu puisqu'elles permettent de concevoir la fonction comme fondée soit sur un «poste» soit sur des «activités». Les dictionnaires juridiques offrent les définitions suivantes du terme anglais «function»:

Dans Black's Law Dictionary, (6e éd. 1990), le mot «function» est ainsi défini:

[traduction] La nature et l'action propre de toute chose; activité appropriée à toute entreprise ou profession. [. . .] Poste; tâche; accomplissement d'une fin ou d'un ensemble de fins précises, par l'adéquation des moyens. Le fait d'occuper un poste. Par l'accomplissement de ses tâches, l'agent est réputé exercer sa fonction . . .

De même, le Dictionary of Canadian Law (1991), définit ainsi le mot «function»:

[traduction] n. 1. Un mandat, un pouvoir ou une tâche, ou un ensemble de ceux‑ci. [. . .] 4. Emploi; le fait d'occuper un poste.

Les définitions données dans les dictionnaires plus généraux ne sont pas plus utiles. Le Petit Robert 1 (1990), définit ainsi le mot «fonction»:

1. Action, rôle caractéristique d'un élément, d'un organe dans un ensemble. [. . .] 1o Exercice d'un emploi, d'une charge; par ext. Ce que doit accomplir une personne pour jouer son rôle dans la société, dans un groupe social. V. Activité, devoir, ministère, mission, occupation, office, rôle, service, tâche, travail. [. . .] 2o Profession considérée comme contribuant à la vie de la société. V. Charge, emploi, métier, poste, profession, situation. [. . .] Les fonctions de qqn: l'ensemble des obligation de sa profession.

Le Dictionnaire Quillet de la langue française (1975), définit ainsi le mot «fonction»:

Tout ce que l'on fait pour s'acquitter des obligations, des devoirs qu'impose un emploi, une charge. [. . .] L'emploi, la charge même.

Comment alors devrait‑on définir l'expression «suppression d'une fonction»? Le mot «suppression» indique manifestement la fin de quelque chose qui est appelé une fonction. Une «fonction» doit être le «poste», c'est‑à‑dire l'ensemble de responsabilités, de tâches et d'activités dont s'acquitte un employé en particulier ou un groupe donné d'employés.

C'est cette définition du mot «fonction», au sens de «poste», qui s'accorde le mieux avec l'environnement du milieu de travail. Le mot «emploi» en soi indique l'existence d'un employé et d'un employeur. Un terme comme «fonction» ou «poste» doit avoir un sens pour l'une et l'autre de ces parties. Par exemple, une personne peut occuper le «poste» de surintendant d'usine. La personne qui agit comme surintendant d'usine exerce un groupe ou un ensemble d'activités et de tâches qui forme ce poste. L'employeur comme l'employé comprennent ce qui est nécessaire pour que soit occupé ou rempli ce poste précis. De même, le «poste» de secrétaire ou de mécanographe comporte un ensemble particulier d'activités et de tâches. Il faut posséder un ensemble donné d'habiletés pour être en mesure d'exercer les tâches et les activités exigées par chacun de ces postes. Encore une fois, l'employeur et l'employé connaissent exactement ce qui est nécessaire pour l'exercice des activités du poste particulier.

Par conséquent, il y a «suppression d'une fonction» lorsque cet ensemble d'activités qui constitue un poste n'est plus exécuté par suite de la décision arrêtée de bonne foi par l'employeur. Par exemple, si un ensemble donné d'activités est tout simplement confié intégralement à une autre personne, ou si l'activité ou la tâche reçoit simplement un titre nouveau et différent de façon à pouvoir figurer dans une autre description de poste, alors on ne pourrait parler de la «suppression d'une fonction». En revanche, si les activités qui font partie de l'ensemble ou du groupe d'activités sont réparties entre d'autres personnes, comme ce fut le cas dans Mudarth, précité, il y aurait «suppression d'une fonction». Il y aurait également «suppression d'une fonction» si les responsabilités sont décentralisées, comme ce fut le cas dans Coulombe, précité.

b) L'application de ces définitions aux faits de l'espèce

Les appelants exécutaient l'ensemble d'activités et de tâches appartenant aux membres de la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick. Lorsque la Patrouille routière a été abolie, la «fonction» ou le «poste» d'agent a cessé d'exister. Il va sans dire que la province ne pouvait pas renoncer à la surveillance policière des routes. Le Nouveau‑Brunswick a fort à propos confié cette activité à la GRC. La province était expressément habilitée à le faire en vertu du par. 6(2) de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics. La province avait le droit de s'entendre avec la GRC pour que celle‑ci exerce toutes les activités nécessaires à la surveillance des routes. Il incombait à la GRC d'établir le mode d'exécution de ces activités, sous réserve des modalités imposées par la province dans les clauses du contrat.

Dès lors, le travail de patrouille serait effectué par des agents de la GRC, dans des véhicules de la GRC et à l'aide du matériel de la GRC. Dès le moment où elle a entrepris de remplir ses obligations contractuelles, la GRC est devenue responsable de tout ce que ce travail policier peut entraîner. C'est la GRC qui est responsable de l'embauche, de la formation, de la discipline et de la promotion des agents. C'est la GRC qui détermine leur lieu et leurs heures de travail, leur rémunération et leurs pensions, qui leur fournit le matériel nécessaire et qui voit à son entretien. C'est la GRC qui est obligée de fournir tout ce qui est nécessaire pour assurer le respect des clauses du contrat. La méthode retenue pour effectuer la patrouille peut fort bien être différente des méthodes qu'employait la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick. Pourtant, la province a sans aucun doute déterminé qu'il serait préférable, et même avantageux pour elle, de confier la patrouille des routes à la GRC. Cette décision peut avoir été prise pour nombre de raisons valides. La bonne foi de la décision n'est certainement pas mise en cause.

La décision prise par la province d'abolir sa propre Patrouille routière et de conclure avec la GRC un contrat pour la prestation du service était une décision administrative légitime. Cette décision a aboli le «poste» du personnel de la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick. Cela signifie que la «fonction», c'est‑à‑dire l'ensemble de tâches et d'activités, des appelants à titre de sergents de la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick a été abolie. Leur poste a cessé d'exister.

L'avocat des appelants a soutenu avec insistance que la décision rendue par notre Cour dans AFPC, précité, indique que l'impartition de travaux effectués par les employés ne peut constituer la «suppression d'une fonction». Je ne puis accepter cet argument. Cette décision n'est tout simplement pas applicable à l'espèce. En premier lieu, je mentionnerais que dans AFPC, il a été précisément noté que certains cas d'impartition pourraient valablement constituer la «suppression d'une fonction». J'ai dit, à la p. 974:

Sans doute l'art. 29 s'appliquera‑t‑il à certains cas d'impartition, mais, dans la présente affaire, les employés dits contractuels faisaient exactement le même travail, dans les mêmes locaux, avec le même matériel et exécutaient les mêmes instructions que l'avaient fait antérieurement à l'impartition les employés nommés pour une période indéterminée, à cette seule différence près que le nouvel employeur était l'entrepreneur plutôt que la fonction publique. Voilà qui, selon moi, ne peut constituer la suppression d'une fonction. Cela ne veut toutefois pas dire qu'il ne pourrait pas y avoir de cas de recours à un entrepreneur qui entraîneraient légitimement la suppression d'une fonction et qui, en conséquence, justifieraient des mises en disponibilité en vertu de l'art. 29. [Je souligne.]

On peut constater que les faits diffèrent beaucoup de l'impartition qui a eu lieu dans la présente instance. En l'espèce, la GRC pouvait s'acquitter de ses obligations contractuelles de la façon qu'elle le jugeait approprié conformément aux directives et aux ordres des officiers supérieurs. Elle utiliserait son personnel, ses véhicules et son matériel. Fait plus important encore, dans AFPC, il n'y avait pas eu suppression du «poste» même ou de la «fonction» même comme ce fut le cas en l'espèce en raison de l'abolition de la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick.

En deuxième lieu, et c'est peut‑être l'aspect le plus important, dans l'arrêt AFPC, la convention collective comportait une disposition expresse qui imposait certains devoirs et obligations à l'employeur en cas d'impartition. C'est l'omission de respecter ces devoirs et obligations prévus dans la convention collective qui a été déterminante pour l'issue de cette affaire. À la page 975, on trouve les motifs suivants:

Il faut se rappeler qu'en l'espèce la politique impose à l'employeur une obligation dans le cas de recours à un entrepreneur, obligation que la Commission a su formuler avec exactitude:

La Politique obligeait l'employeur à réexaminer la sous‑traitance et, lorsque c'était possible, à y mettre fin afin de préserver les emplois des fonctionnaires nommés pour une période indéterminée au sein de la fonction publique. (Je souligne.)

À mon avis, la conclusion de la Commission qu'en l'espèce l'employeur a manqué à cette obligation ne peut certainement pas être qualifiée de manifestement déraisonnable.

En l'espèce, aucune obligation semblable ne liait l'employeur. Par conséquent, le facteur même qui a été déterminant pour l'issue de l'arrêt AFPC ne se retrouve pas en l'espèce. Je mentionnerais que le par. 63(2) de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics du Nouveau‑Brunswick interdit expressément toute dérogation, dans une convention collective, à l'exigence du préavis de 30 jours prévu au par. 9(1) du Règl. du N.‑B. 84‑229. Une distinction peut donc facilement être faite d'avec l'arrêt AFPC, qui n'est certainement pas déterminant dans la présente instance.

En conclusion, la province employeur a pris de bonne foi la décision d'abolir la Patrouille routière. Cette décision a entraîné la suppression de la fonction des appelants comme sergents de la patrouille. Il reste à déterminer quel préavis les appelants auraient dû recevoir au sujet de la cessation de leur emploi.

c) Le préavis de cessation d'emploi

En ce qui a trait à cet aspect de l'affaire, les appelants se fondent sur les motifs de dissidence du juge Hoyt. En substance, celui‑ci estimait que l'art. 26 de la Loi sur la Fonction publique n'abrogeait pas le droit de chaque employé d'exiger que la cessation de son emploi soit régie par les règles contractuelles ordinaires, comme le prévoit l'art. 20 de la même loi. À son avis, il s'ensuit que les appelants avaient droit à un préavis raisonnable au sujet de la cessation de leur emploi.

Je ne puis malheureusement souscrire à cette opinion. L'article 20 porte:

20 Sous réserve de la présente loi ou de toute autre loi, la cessation d'emploi d'un administrateur général ou d'un employé est régie par les règles contractuelles ordinaires.

Il y a lieu de souligner que l'article prévoit qu'il s'applique «[s]ous réserve de la présente loi . . .». Le paragraphe 26(1) de la Loi porte:

26(1) Lorsque le manque de travail ou la suppression d'une fonction rend les services d'un employé inutiles, l'administrateur général peut, conformément aux règlements du Conseil, licencier l'employé.

Le paragraphe 9(1) du Règl. du N.‑B. 84‑229, adopté en vertu de la Loi sur la Fonction publique, dispose:

9(1) Lorsque le manque de travail ou la suppression d'une fonction rend les services d'un employé inutiles, l'administrateur général doit,

. . .

b) s'il ne peut garder l'employé dans son ministère dans un autre poste idoine, lui donner ainsi qu'au secrétaire du Conseil un préavis de trente jours les avisant que les services de l'employé ne sont plus nécessaires.

L'article 20 établit donc manifestement et clairement qu'il s'applique sous réserve de l'art. 26 de la Loi. Le paragraphe 9(1) du règlement adopté en vertu de la Loi indique que, lorsque la suppression d'une fonction rend inutiles les services d'un employé, l'employeur n'est tenu de donner à l'employé que le préavis de 30 jours. Il s'agit là en effet d'une condition d'emploi des fonctionnaires dans la province du Nouveau‑Brunswick. En vertu de cette condition d'emploi, les employés n'ont droit qu'à un préavis de 30 jours.

Il peut paraître excessivement dur de permettre qu'un fonctionnaire loyal, compétent et consciencieux pouvant justifier de nombreuses années d'expérience soit licencié après un simple préavis de 30 jours. Les conséquences d'un préavis si bref pour un employé de longue date, qu'il soit sergent de police ou sous‑ministre, peuvent très bien être source d'angoisse, c'est le moins que l'on puisse dire.

L'iniquité est aggravée par la disposition selon laquelle une convention collective ne peut, dans les conditions qu'elle stipule, modifier l'obligation relative au préavis de 30 jours. Malgré cela, il s'agit d'une loi valide. La Charte ne garantit aucun droit à un préavis raisonnable de cessation d'emploi. En fait, en common law, les employés de l'État occupent leur poste à titre amovible, de sorte que leur emploi peut être aboli sans préavis. Il s'ensuit que les appelants n'avaient pas droit à davantage qu'un préavis de 30 jours.

En dépit de la sévérité de cette disposition législative, il y a lieu de noter que les appelants ont été traités équitablement. Ils savaient plusieurs mois avant de recevoir le préavis officiel de cessation d'emploi que leurs postes allaient être supprimés. Ils ont accepté l'offre qu'on leur a faite de devenir des agents de correction et ils ont reçu 5000 $ en sus de leur rémunération à titre d'agents de correction.

5. Dispositif

Le pourvoi doit être rejeté, avec dépens si demande en est faite.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Les motifs suivants ont été rendus par

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente) — M. Flieger et M. McNutt étaient agents de la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick. Ils furent tous deux licenciés après que leur employeur, la province du Nouveau‑Brunswick, eut décidé d'abolir la patrouille et d'en confier les tâches à la Gendarmerie royale du Canada ("GRC"). Mon collègue conclut que cette impartition est la «suppression d'une fonction» au sens du par. 26(1) de la Loi sur la Fonction publique, L.N.‑B. 1984, ch. C‑5.1, que cette disposition remplace les règles contractuelles ordinaires et, en conséquence, que MM. Flieger et McNutt n'avaient droit qu'à un préavis de 30 jours. Je ne puis souscrire à ces conclusions.

Cet appel porte sur deux points: En premier lieu, les appelants ont-ils été licenciés par suite de la «suppression d'une fonction»? En second lieu, si tel est le cas, ont-ils droit à un préavis raisonnable de cessation d'emploi? La réponse à ces deux questions dépend essentiellement de l'interprétation de la Loi sur la Fonction publique, en particulier l'art. 20 et le par. 26(1), et du par. 9(1) du Règl. du N.‑B. 84‑229. À cette fin, j'examinerai d'abord le cadre législatif plus large régissant la cessation d'emploi, puis le sens de l'expression «suppression d'une fonction», et je déterminerai si, dans les faits, cette suppression s'est réalisée ici. Je traiterai enfin du droit des employés de recevoir un préavis de cessation d'emploi.

Avant d'aborder la première de ces questions, je tiens toutefois à établir clairement que cette cause ne porte pas sur le pouvoir d'un employeur de recourir à l'impartition. Le droit du gouvernement du Nouveau‑Brunswick de confier la patrouille de ses routes à la GRC n'a jamais été contesté en l'espèce. Il s'agit simplement de déterminer si MM. Flieger et McNutt avaient le droit de recevoir un préavis raisonnable de la cessation de leur emploi.

1. Le cadre législatif

Les articles 20 à 27 de la Loi sur la Fonction publique prévoient les modalités qui régissent l'emploi des fonctionnaires, dont les appelants. La première de ces dispositions mérite tout particulièrement d'être soulignée:

20 Sous réserve de la présente loi ou de toute autre loi, la cessation d'emploi d'un administrateur général ou d'un employé est régie par les règles contractuelles ordinaires.

Cet article modifie radicalement la position des employés de la Couronne selon la common law. Suivant une longue tradition en common law, les règles contractuelles ordinaires ne s'appliquaient pas aux employés de la Couronne. Bien au contraire, les fonctionnaires étaient nommés «à titre amovible» et, en l'absence de convention collective ou de modification de cette règle par voie législative, ils pouvaient être licenciés sans motif et sans préavis. Il est intéressant de noter qu'en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique fédérale, L.R.C. (1985), ch. P‑33, par exemple, le principe de l'emploi à titre amovible s'applique toujours. Au Nouveau‑Brunswick, toutefois, l'adoption de l'art. 20 de la Loi sur la Fonction publique a introduit l'application des règles contractuelles ordinaires et étendu la protection de ces règles aux employés de la Couronne.

En quoi donc consistent les règles contractuelles ordinaires régissant la cessation d'emploi? La règle générale veut que, sauf dans les cas où l'employé a donné à l'employeur un motif de renvoi, l'employeur soit tenu de donner à l'employé un préavis raisonnable de cessation d'emploi. Dans Sweet & Maxwell's Encyclopedia of Employment Law (1992), vol. 1, aux pp. 1616 et 1624, deux aspects de cette règle générale sont ainsi résumés:

[traduction]

1.2 CESSATION AVEC PRÉAVIS

1.2.1 Principe général

Un «contrat de travail» est traité comme un contrat à durée indéterminée, auquel on peut mettre fin par «préavis» (expressément ou implicitement) sauf s'il s'agit d'un «contrat pour une durée fixe» ou d'un contrat pour la «réalisation d'une tâche précise», ou d'un contrat qui comprend une énumération exhaustive des motifs pouvant donner lieu à sa cessation.

. . .

1.3 CESSATION SANS PRÉAVIS

1.3.1 Principes généraux

(1) Cessation sans préavis en common law

En common law, une cessation sommaire du contrat de travail par l'une ou l'autre des parties donne à la partie innocente le droit d'intenter des poursuites pour rupture de contrat. La partie défenderesse peut avoir un moyen de défense si le tribunal est convaincu que la partie demanderesse a eu une conduite correspondant à une rupture grave du contrat ou à une répudiation du contrat.

En résumé, l'employeur peut décider de mettre fin au contrat sans donner de préavis, mais il est alors tenu de verser à l'employé un montant correspondant à la rémunération qu'il aurait gagnée pendant la période appropriée de préavis.

Il y a lieu de souligner qu'en common law les réalités économiques auxquelles les employeurs doivent faire face ne sont pas une cause de résiliation du contrat de travail, et qu'elles ne libèrent que rarement l'employeur de l'obligation normale qui lui incombe de donner un préavis raisonnable de cessation. Christie, England et Cotter résument bien ce principe dans Employment Law in Canada (2e éd. 1993), aux pp. 661 et 662:

[traduction] . . . chaque fois que l'employeur prend l'initiative de licencier un employé sans lui donner de préavis ni lui verser un montant correspondant, l'employé a le droit de réclamer des dommages‑intérêts pour renvoi injustifié à moins d'avoir donné motif à renvoi. L'employeur peut avoir nombre de raisons très valables pour cesser d'engager l'employé, mais il n'en est pas moins tenu de donner un préavis approprié. À moins que le contrat de travail ne prévoie expressément ou implicitement la cessation sommaire ou le licenciement pour manque de travail, l'employeur n'est pas affranchi par quelque motif commercial de son obligation de donner un préavis approprié. Les réorganisations internes, par exemple, si nécessaires qu'elles soient sur le plan économique, ne justifient pas la résiliation du contrat de travail sans préavis approprié. Les cas de licenciement déguisé examinés plus haut illustrent de façon particulièrement claire ce qui semble être l'évidence même, à savoir que le «motif» du licenciement sommaire doit se trouver dans la conduite de l'employé et non dans les besoins économiques de l'employeur. Lorsqu'il y a dissolution ou liquidation d'une entreprise, ou encore réduction de ses opérations, il y a inévitablement licenciement de ses employés; lorsqu'il y a vente ou fusion d'entreprises, il y a souvent disparition d'emplois. Dans tous ces cas, la réaction de l'employeur peut fort bien être de dire «les affaires sont les affaires, je ne puis rien contre la perte d'emplois», mais l'état du droit maintient depuis toujours qu'aucun de ces événements ne constitue un motif de renvoi. Ce n'est que lorsque le contrat de travail est tenu pour inexécutable plutôt que rompu intentionnellement par l'employeur que le défendeur sera exonéré de toute responsabilité dans une action en dommages‑intérêts pour licenciement sommaire sans motif valable. [Renvois omis; je souligne.]

Bref, en vertu des règles contractuelles ordinaires, les impératifs commerciaux ne dispensent tout simplement pas l'employeur de son obligation de donner à l'employé un préavis raisonnable de cessation d'emploi.

L'article 20 de la Loi sur la Fonction publique a pour effet d'incorporer ces principes dans les conditions qui régissent la relation employeur‑employé. Comme le note mon collègue, ces principes sont incorporés «[s]ous réserve de la présente loi ou de toute autre loi». Par cette réserve, les règles contractuelles sont modifiées et amplifiées par des lois telles que la Loi sur les normes d'emploi, L.N.‑B. 1982, ch. E‑7.2, et la Loi sur les droits de la personne, L.R.N.‑B. 1973, ch. H‑11. Par exemple, les règles contractuelles ordinaires ne permettent pas d'examiner les motifs qui ont poussé l'employeur à licencier un employé. En revanche, les lois susmentionnées modifient cet état du droit en permettant de s'enquérir des «motifs» de l'employeur et en empêchant des cessations d'emploi fondées, notamment, sur le fait qu'un employé a fait une «dénonciation» ou qu'il a décidé de se marier ou d'avoir des enfants.

Les règles contractuelles ordinaires sont aussi modifiées et amplifiées par d'autres dispositions de la Loi sur la Fonction publique. La disposition qui est au c{oe}ur du présent litige est l'art. 26, qui porte:

26(1) Lorsque le manque de travail ou la suppression d'une fonction rend les services d'un employé inutiles, l'administrateur général peut, conformément aux règlements du Conseil, licencier l'employé.

26(2) Un employé cesse d'être un employé lorsqu'il est licencié conformément au paragraphe (1).

26(3) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, quand un employé a été licencié, il peut être inscrit par le secrétaire du Conseil sur les listes d'admissibilité pour lesquelles celui‑ci considère qu'il possède les compétences voulues.

26(4) Nonobstant le paragraphe (2), l'employé qui est licencié a le droit, pendant la durée fixée par le secrétaire du Conseil pour tout cas ou toute catégorie de cas, de prendre part à tout concours restreint auquel il aurait été admissible s'il n'avait pas été licencié. [Je souligne.]

Le règlement pertinent, le par. 9(1) du Règl. du N.‑B. 84‑229 porte:

9(1) Lorsque le manque de travail ou la suppression d'une fonction rend les services d'un employé inutiles, l'administrateur général doit,

a) avant le licenciement de l'employé, tenir compte des compétences et du rendement de l'employé et décider s'il pourrait ou non le garder dans le personnel de son ministère dans un autre poste idoine; et

b) s'il ne peut garder l'employé dans son ministère dans un autre poste idoine, lui donner ainsi qu'au secrétaire du Conseil un préavis de trente jours les avisant que les services de l'employé ne sont plus nécessaires.

L'article 26 et son règlement d'application entrent en jeu lorsque les services d'un employé ne sont plus nécessaires par suite d'un manque de travail ou de la suppression d'une fonction. En vertu de ces dispositions, les employés ont droit à des mesures qui ne font pas partie des règles contractuelles ordinaires. Ils ont le droit d'être appelés à d'autres fonctions au sein du ministère en vertu de l'al. 9(1)a) du règlement. Les paragraphes 26(3) et 26(4) de la Loi sur la Fonction publique prévoient que, même après la rupture formelle de la relation de travail, l'employé peut être inscrit sur des listes d'admissibilité et prendre part à des concours restreints pour obtenir d'autres postes au sein de la fonction publique. Ce ne sont pas là des droits ou des obligations qui font ordinairement partie du droit des contrats. Je reviendrai plus tard sur la question du préavis mentionné à l'al. 9(1)b) du règlement, mais je voudrais noter dès maintenant que ces dispositions semblent ajouter à la protection accordée aux employés en vertu des règles contractuelles ordinaires.

Je soulignerais, en outre, que le par. 26(1) ne se veut pas une liste exhaustive des circonstances dans lesquelles l'employeur peut licencier un employé. Aucun des termes du par. 26(1) n'indique que l'employeur peut licencier un employé uniquement lorsqu'il y a manque de travail ou suppression d'une fonction. Ces dispositions ajoutent aux règles contractuelles ordinaires régissant la résiliation des contrats dans ces circonstances particulières, mais elles ne modifient en rien la règle fondamentale, à savoir qu'en l'absence d'une convention collective ou de dispositions législatives portant le contraire, l'employeur est libre de rompre un contrat de travail en donnant un préavis raisonnable, même si la cessation a lieu dans le but de faciliter l'impartition du même travail. L'article 26 de la Loi et le règlement prévoient simplement que des règles supplémentaires entrent en jeu lorsque la cessation d'emploi découle d'un manque de travail ou de la suppression d'une fonction.

Je soulève cette question parce que l'interprétation donnée à l'expression «suppression d'une fonction» semble avoir à l'occasion été motivée par la crainte sous‑jacente qu'une interprétation restrictive entraîne la paralysie de l'État employeur, ce qui l'empêcherait de prendre les mesures nécessaires pour rationaliser son fonctionnement ou pour réduire ses frais généraux. Il est possible de déceler des indices de cette crainte et de cette préoccupation sous‑jacentes dans l'arrêt Transport Guilbault Inc. c. Scott, C.A.F., no A‑618‑85, le 21 mai 1986, où le juge Pratte, de la Cour d'appel fédérale, exprime à la p. 3, sa conviction qu'une autre interprétation de la suppression d'une fonction pourrait avoir pour effet de «limiter indûment la liberté de l'employeur de structurer et organiser son entreprise comme il l'entend». De même, dans la décision Mudarth c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1989] 3 C.F. 371 (1re inst.), confirmée par (1990), 113 N.R. 159 (C.A.F.), le juge de première instance Addy affirme, dans son commentaire à la p. 378, qu'une interprétation plus restrictive «empêcherait le gouvernement d'abolir quelque poste que ce soit», «nuirait [. . .] beaucoup à la réorganisation» et «paralyserait dans une large mesure toute mise à jour des procédures administratives».

Il est important d'établir clairement la situation sur laquelle la Cour est appelée à se prononcer. L'État en tout temps est habilité à procéder par impartition. Ce «droit» lui appartient en vertu des règles contractuelles ordinaires, et aucune disposition de la Loi sur la Fonction publique n'indique qu'il existe quelque restriction que ce soit en matière d'impartition. Ce droit a même fait l'objet d'une sorte de protection statutaire dans d'autres dispositions législatives tel le par. 6(2) de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.‑B. 1973, ch. P‑25. Dans ce contexte, rien ne justifie d'adopter une interprétation démesurément large ou déformée de la suppression d'une fonction, qui serait motivée par une crainte ou une préoccupation à l'égard des droits de l'employeur. L'État était et est habilité à abolir des postes, de même qu'à réorganiser et à mettre à jour des procédures administratives. Compte tenu de ces commentaires, j'aborde maintenant l'interprétation à donner à l'expression «suppression d'une fonction».

2. Suppression d'une fonction

Comme le fait remarquer mon collègue, la Loi sur la Fonction publique ne donne aucune définition des expressions «manque de travail» et «suppression d'une fonction». Selon l'intimée, ces expressions doivent être lues à travers le prisme de l'employeur. Je ne suis pas d'accord. À défaut de toute indication contraire dans le texte de la loi, ces deux expressions devraient recevoir une interprétation objective. La résiliation d'un contrat de travail est une question qui intéresse deux parties, et l'interprétation des deux expressions «manque de travail» et «suppression d'une fonction» doit nécessairement tenir compte non seulement de l'une ou l'autre des parties, mais encore du contexte plus global de la situation de l'emploi. Ces deux expressions doivent être interprétées d'une façon qui tienne compte de ce qui unit l'employé et l'employeur, à savoir le travail en soi.

Même si la présente affaire a été présentée sous l'angle de la suppression d'une fonction sans qu'on donne à entendre que la situation porte sur un «manque de travail», il pourrait être utile d'examiner le sens de ces deux expressions, puisque le sens de l'une peut permettre d'éclairer le sens de l'autre, et que la présence de l'une ou l'autre déclenche les garanties supplémentaires prévues au par. 26(1). À mon avis, les deux expressions ont un sens relativement évident, qui peut facilement être déterminé dans le contexte de l'emploi.

On décrit par «manque de travail» la situation qui existe lorsqu'un employeur détermine que le travail actuellement en cours peut être accompli par un nombre plus restreint d'employés. L'expression «manque de travail» ne suppose pas nécessairement que l'entreprise ait réduit ses activités, ni que les employés ne soient pas occupés. Cependant, l'employeur a le droit d'établir le nombre d'employés à engager pour accomplir le travail nécessaire et de déterminer si le travail peut être accompli par un nombre plus restreint d'employés. Lorsque l'employeur décide de réduire le nombre d'employés, pour quelque motif que ce soit, les cessations d'emploi qui en découlent sont liées au manque de travail. Il devrait être clair que le manque de travail n'est pas simplement la description de la situation qui existe après la mise à pied d'un employé.

Il y a «suppression d'une fonction» lorsque l'employeur décide d'abolir un service ou une fonction dans son intégralité. Mon collègue emploie l'expression «poste» pour éclairer le sens à donner au terme «fonction». Je ne crois pas que cette expression soit d'une grande utilité pour nous guider. J'estime, au contraire, que le fait de concentrer l'attention sur le «poste» peut nous détourner de la question centrale qui porte sur l'existence de la «fonction». Je suis d'accord avec les commentaires du juge Hoyt, maintenant juge en chef du Nouveau‑Brunswick, portant que:

[traduction] . . . le terme «fonction» vise le travail effectué par l'employé licencié et non, de façon abstraite, le poste qu'occupe l'employé qui effectue le travail. À défaut, il y aurait à l'occasion de chaque licenciement, suppression d'une fonction puisque la personne en question n'effectuerait plus le travail.

((1991), 125 R.N.‑B. (2e) 228, à la p. 245.)

Même s'il faut tenir compte de l'ensemble des tâches accomplies par un employé en particulier, il faut aussi prendre en considération le contexte plus global et le travail dans lequel l'employeur est engagé. Cette considération élargie simplifie la tâche de déterminer si les employés ont été licenciés parce qu'il y avait manque de travail ou suppression d'une fonction.

Un exemple permettrait peut‑être de mieux cerner les distinctions entre le manque de travail, la suppression d'une fonction et l'impartition. Supposons qu'une entreprise informatique est formée de quatre divisions: les ventes de matériel informatique, la comptabilité, la cafétéria (qui fournit le repas du midi à tous les employés, cinq jours par semaine) et les services informatiques. Dans une conjoncture économique difficile, l'entreprise se réorganise en quatre étapes dans un but de plus grande efficacité. En premier lieu, elle décide de réduire le nombre de ses employés des ventes de matériel informatique et de fermer un de ses points de vente. En deuxième lieu, elle achète un logiciel capable de produire automatiquement les comptes et les chèques. Grâce à son efficacité et à son exactitude, ce logiciel peut accomplir le travail de tout le personnel de la comptabilité, qui tenait les livres comptables selon les méthodes traditionnelles. Ces tâches comptables traditionnelles sont donc dépassées par cette percée technologique, et tout le personnel de la comptabilité est licencié. En troisième lieu, l'entreprise décide que la prestation des services de cafétéria à tous ses employés est trop coûteuse. Elle ferme donc la cafétéria et licencie le personnel qui y travaillait. En dernier lieu, l'entreprise décide de réduire ses frais généraux en confiant la partie services informatiques à une société de services informatiques très spécialisée, et de licencier tous les employés de ces services. L'entreprise continue à fournir des services informatiques à ses clients, mais en ayant recours à des employés contractuels.

Dans ce scénario, les employés des ventes de matériel informatique sont licenciés par suite d'un manque de travail. La fermeture du point de vente ne modifie en rien cette qualification. Le travail des ventes de matériel informatique se poursuit, mais il est le fait d'un nombre moins grand de personnes travaillant en moins d'endroits qu'auparavant. Le personnel de la cafétéria est licencié par suite de la suppression d'une fonction. Le repas du midi n'est plus fourni. Quant aux employés des services informatiques, ils ne sont licenciés ni par suite d'un manque de travail, ni en raison de la suppression d'une fonction. Ils sont licenciés simplement parce que l'entreprise a décidé de procéder à l'impartition des tâches dont ils s'acquittaient. L'entreprise a réorganisé la façon de fournir les services informatiques, mais elle n'a pas supprimé la fonction comme telle. La question du licenciement du personnel comptable est un peu plus complexe, mais j'estime que la cause en est le manque de travail. Il y a lieu de noter que la fonction production de comptes se poursuit, mais d'une façon grandement modifiée. Il est toutefois possible de conclure que la fonction comptabilité est exécutée de façon si radicalement différente qu'elle a été supprimée. Cette situation s'apparente à celle de l'arrêt Mudarth, précité. Dans cette affaire, un poste de secrétariat avait été éliminé et le travail qui était accompli par la secrétaire avait été assumé par d'autres employés. Même si l'on a supposé qu'il s'agissait de la suppression d'une fonction, j'estime que cette affaire s'explique peut‑être mieux par un manque de travail étant donné que toutes les tâches dont s'acquittait auparavant la secrétaire étaient toujours accomplies.

Je n'entends pas définir de façon concluante tous les scénarios ou toutes les situations susceptibles de se produire. De plus, même si les expressions «manque de travail» et «suppression d'une fonction» peuvent théoriquement conserver des sens distincts, elles ne constituent pas des catégories étanches, et une certaine fluidité peut fort bien exister entre elles. Il est sans aucun doute des réorganisations d'entreprise qui peuvent participer de plus d'une catégorie. De toute évidence, l'application pratique des ces expressions à des problèmes commerciaux particuliers peut à l'occasion être très complexe. En revanche, en mettant l'accent sur une perspective plus vaste, il est possible de réduire bon nombre des problèmes de qualification.

Que ce soit l'étiquette «manque de travail» ou «suppression d'une fonction» qui convienne le mieux à une affaire donnée, il importe de ne pas conclure à l'existence d'une de ces situations du seul fait qu'il y a eu impartition. Même si un cas d'impartition peut entraîner le licenciement du personnel de toute une division, cela ne signifie pas nécessairement que l'employeur n'est plus engagé dans ce domaine. Cela peut tout simplement indiquer qu'il y a eu réorganisation. L'examen doit toujours continuer de porter sur la fonction et être suffisamment vaste pour viser non seulement la relation particulière employé‑employeur, mais aussi le contexte plus large qui encadre le contrat de travail individuel.

Il y a lieu de souligner, encore une fois, que la présente interprétation ne limite pas le pouvoir de l'employeur de procéder à l'organisation de ses affaires économiques. En l'absence de toute disposition contraire dans une convention collective, l'employeur a le choix des options économiques habituelles: réduction, fermeture ou impartition. L'employeur a le droit de décider s'il y a suffisamment de travail pour les employés, de déterminer s'il est opportun de continuer à offrir un service donné et d'établir la façon de le fournir. Le paragraphe 26(1) de la Loi sur la Fonction publique ne modifie pas les choix qui s'offrent à l'employeur. Il prévoit seulement un ensemble de règles qui s'appliquent lorsqu'il y a nécessité de procéder à une cessation d'emploi par suite d'un manque de travail ou de la suppression d'une fonction.

3. Application

L'impartition en l'espèce constitue‑t‑elle la «suppression d'une fonction»? Au cours de l'interrogatoire préalable, William O'Connor, solliciteur général adjoint du Nouveau‑Brunswick, a été appelé à répondre à certaines questions au sujet de Gallagher c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de gestion) (1990), 105 R.N.‑B. (2e) 181 (B.R.), décision rendue par le juge Stevenson le 28 février 1990. Le bureau du solliciteur général adjoint était l'intimé dans cette demande de contrôle judiciaire engagée par suite du licenciement d'agents de la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick. L'échange suivant est révélateur:

[traduction] Q. À la page [187] de cette décision, le juge Stevenson a déclaré: «En plus des faits pertinents énoncés plus haut, les parties ont reconnu qu'à compter du 1er février 1989, le travail ou les fonctions dont s'étaient jusqu'alors acquittés les membres de la Patrouille routière avaient été confiés aux membres de la Gendarmerie royale du Canada.»

. . .

Q. Les propos du juge Stevenson reflètent‑ils fidèlement l'accord des parties dans cette décision?

. . .

R. Oui.

Q. On peut y lire, au début du dernier paragraphe: «La preuve montre que la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick a été instituée en 1980. La Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick avait pour première fonction de faire appliquer les lois se rapportant aux véhicules automobiles sur les routes de la province.»

Et je suppose que le ministère serait d'accord avec cette proposition, à partir de ce que vous avez affirmé plus tôt aujourd'hui?

R. Oui. Oui.

Q. Et que cette fonction est maintenant exercée par la GRC?

R. Oui.

En l'espèce, la «fonction» était l'application du code de la route. La province a pris la décision de confier cette fonction à la GRC. Elle n'a pas pris la décision de la supprimer. Au contraire, il ressort clairement des commentaires de M. O'Connor que la province entendait absolument que se poursuive la fonction de surveillance des routes. En fait, il s'imposait impérieusement que cette fonction se poursuive.

Pour appuyer sa conclusion qu'il y a eu suppression d'une fonction, mon collègue souligne que la GRC aurait un contrôle sur la façon d'exercer les activités de patrouille des routes. À mon avis, un tel contrôle n'est pas un élément déterminant. Deux employés chargés respectivement de la même fonction, peuvent en fait s'acquitter de leurs tâches de façons très différentes. Si la façon de s'acquitter de ses responsabilités n'est pas sans pertinence, elle ne change pas nécessairement la fonction assumée par l'employé. Les décisions relatives à l'embauche, au licenciement et à l'avancement ne modifient pas de façon significative la nature du travail. De même, les décisions relatives aux heures précises de patrouille routière ou à l'emplacement de pièges pour contrôle de vitesse n'influent pas sur la nature fondamentale de la fonction. Même si elle avait le contrôle administratif, la GRC n'avait pas le pouvoir de modifier la fonction elle‑même. Au contraire, ses agents étaient tenus aux termes de leur entente de principe d'exécuter une fonction précise: la prestation de services de patrouille routière.

Mon collègue affirme aussi qu'après le 1er février 1990, la fonction de patrouille routière était effectuée dans des véhicules de la GRC, avec du matériel de la GRC. Cette affirmation n'est exacte que parce que la propriété du matériel et des locaux, qui appartenaient à la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick, est passée à la GRC. Aux termes du paragraphe 5 de l'accord entre la province et le Canada, la province a accepté:

a)de remettre à la GRC, sans qu'il n'en coûte rien au Canada, du matériel évalué à environ 2,2 millions de dollars, et l'ancien immeuble du détachement de Doaktown de la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick, évalué à environ 0,3 million de dollars;

b)d'assumer l'entière responsabilité des frais de mise en marche, soit 2 millions de dollars au chapitre des mutations de personnel et des coûts connexes et 0,3 million de dollars pour l'acquisition de matériel additionnel.

Dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, le juge Cory faisait le commentaire suivant, à la p. 974:

. . . dans la présente affaire, les employés dits contractuels faisaient exactement le même travail, dans les mêmes locaux, avec le même matériel et exécutaient les mêmes instructions que l'avaient fait antérieurement à l'impartition les employés nommés pour une période indéterminée, à cette seule différence près que le nouvel employeur était l'entrepreneur plutôt que la fonction publique. Voilà qui, selon moi, ne peut constituer la suppression d'une fonction.

Il peut y avoir des circonstances spéciales où coexistent une impartition et la suppression d'une fonction, mais tel n'est pas le cas en l'espèce. En fait, la situation ici semble correspondre en tous points à la situation de l'arrêt Alliance de la Fonction publique du Canada, précité. La GRC assume le même travail, dans les mêmes locaux, et utilise le même matériel. Je suis d'accord avec le juge Hoyt de la Cour d'appel, à la p. 245:

[traduction] Comme la fonction antérieurement exécutée par MM. Flieger et McNutt l'est aujourd'hui par la GRC, il n'y a donc pas eu suppression. Elle est tout simplement accomplie par d'autres sur une base différente. Si la surveillance policière sur les routes avait cessé par exemple, peut‑être y aurait‑il eu suppression d'une fonction. Mais ce n'est évidemment pas le cas en l'espèce.

À mon avis, l'impartition de la surveillance policière des routes n'est pas la «suppression d'une fonction» au sens du par. 26(1) de la Loi sur la Fonction publique. Compte tenu de cette conclusion, j'estime que ce paragraphe et l'art. 9 du règlement ne s'appliquent pas à l'espèce. Le licenciement de ces employés était régi par les règles contractuelles ordinaires telles qu'elles sont incorporées par l'art. 20. Par conséquent, les appelants avaient droit à un préavis raisonnable de licenciement.

Cependant, même si j'avais conclu à la suppression de cette fonction, je n'en serais pas venue à la conclusion, comme l'a fait mon collègue, que la Loi sur la Fonction publique établit un délai maximal de 30 jours pour le préavis. C'est cette dernière question que j'aborde maintenant.

4. Le préavis requis

Selon mon collègue, le par. 26(1) de la Loi et l'art. 9 du règlement prévoient expressément le licenciement sommaire d'un employé à la suite d'un préavis de 30 jours, et l'employé n'a par la suite droit à aucune autre indemnité. Selon ce point de vue, il n'y a aucune distinction à établir entre l'employé qui n'a que six mois d'expérience et celui qui a 25 ans d'ancienneté. Ils ne recevraient l'un et l'autre que le même préavis de 30 jours. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce résultat est surprenant et plutôt draconien. Dans le choix qu'il a fait d'une interprétation qu'il reconnaît comme sévère et inéquitable, mon collègue souligne que les employés de la Couronne étaient, à une certaine époque, engagés à titre amovible, et qu'ils n'avaient donc droit à aucun préavis. Si vraie qu'elle puisse être, j'estime que cette affirmation passe à côté de la question. Les employés de la Couronne au Nouveau‑Brunswick ne sont pas engagés à titre amovible. En vertu de l'art. 20 de la Loi sur la Fonction publique, ils jouissent des garanties qu'offrent aux autres employés les règles contractuelles ordinaires.

Puisque ces règles ordinaires sont, bien sûr, assujetties aux autres dispositions de la Loi, il s'agit essentiellement de déterminer si le règlement a éliminé cette protection. Je reprends la teneur de la disposition réglementaire:

9(1) Lorsque le manque de travail ou la suppression d'une fonction rend les services d'un employé inutiles, l'administrateur général doit,

. . .

b) s'il ne peut garder l'employé dans son ministère dans un autre poste idoine, lui donner ainsi qu'au secrétaire du Conseil un préavis de trente jours les avisant que les services de l'employé ne sont plus nécessaires. [Je souligne.]

À mon avis, la formulation de cette disposition, bien qu'impérieuse pour le secrétaire du Conseil, n'entraîne pas inexorablement la conclusion que le préavis de 30 jours est un maximum. L'article ne dit pas «doit lui donner un préavis n'excédant pas 30 jours». En revanche, il ne dit pas non plus «doit lui donner un préavis d'au moins 30 jours». La formulation de l'article comporte un élément d'ambiguïté. Si, toutefois, le règlement avait pour but de priver les employés de leur droit par ailleurs normal à un préavis raisonnable en vertu de l'art. 20 de la Loi sur la Fonction publique, le règlement se devait d'être rédigé de façon à l'exprimer clairement et sans ambiguïté.

En outre, il paraît peu logique de limiter le préavis de 30 jours aux employés licenciés dans certaines circonstances tandis que des employés licenciés pour d'autres motifs bénéficient de la protection de la common law. Je ne vois aucune justice dans ce traitement ni absolument aucune raison d'interpréter le par. 26(1) de cette façon. En l'absence de directive législative claire en ce sens, il serait inopportun d'adopter une interprétation qui annule les avantages offerts par l'art. 20.

On a fait valoir que l'interprétation susmentionnée aurait pour effet d'enlever tout sens à l'art. 9 du règlement. Je ne suis pas d'accord. À mon avis, cet article se prête à une interprétation qui étend plutôt que ne limite la protection que peut normalement invoquer un employé. Il y a lieu de se rappeler qu'en vertu des règles contractuelles ordinaires l'employeur a deux options: donner un préavis raisonnable de cessation, ou procéder à la cessation sans préavis et verser à l'employé un montant correspondant au délai du préavis. Cette «option» entre le préavis et le paiement est aussi prévue dans la Loi sur les normes d'emploi du Nouveau‑Brunswick. Le paragraphe 30(1) de cette loi prévoit qu'un employeur ne peut licencier ou mettre à pied un employé sans lui avoir donné un avis écrit. Le paragraphe 34(1) modifie cette règle, en prévoyant que l'employeur peut en fait mettre fin à la relation sans préavis en versant une somme égale au salaire que l'employé aurait gagné pendant le délai de l'avis prévu.

Le règlement d'application de la Loi sur la Fonction publique ne prévoit pas expressément cette option entre le préavis ou le paiement. Selon moi, tout en ne privant pas l'employé du droit d'obtenir une indemnité, le règlement rend obligatoire une forme de notification. En vertu de l'al. 9(1)b), l'employeur est tenu de donner un préavis de 30 jours avant la cessation d'emploi. Le règlement ne dit pas que l'employé qui reçoit ce préavis n'a pas droit à une indemnité au moment de la cessation. Il énonce simplement que l'employé doit effectivement recevoir le préavis de 30 jours avant la cessation de son emploi. Il n'existe aucune formulation indiquant que, par suite de la cessation, les règles ordinaires qui régissent les indemnités ne doivent pas s'appliquer. Selon cette interprétation, les employés licenciés en vertu du par. 26(1) ont le droit de profiter de l'avantage d'une période effective de préavis de 30 jours. Ils ne sont toutefois pas privés des recours normaux qui leur sont ordinairement reconnus par le droit des contrats.

Loin de limiter les droits des employés en vertu du par. 26(1), cette interprétation leur confère un avantage additionnel. Elle s'accorde beaucoup mieux avec la législation dans son ensemble, qui étend expressément plutôt que de réduire les protections ordinairement reconnues en droit des contrats. Comme je l'ai souligné plus haut, les par. 26(3) et 26(4) de la Loi, de même que l'al. 9(1)a) du règlement prévoient des recours supplémentaires qui n'existent pas ordinairement en vertu du droit des contrats. Dans ce contexte, il semble étrange d'adopter une interprétation régressive de l'al. 9(1)b), plus particulièrement si l'on considère que les protections supplémentaires prévues au par. 26(1) ne s'appliquent que lorsqu'il y a manque de travail ou suppression d'une fonction. Ce sont là des situations qui se produisent le plus souvent dans des circonstances de bouleversements économiques, où l'on peut facilement déduire que l'employé éprouvera plus de difficultés à trouver un autre emploi.

Je trouve un appui additionnel dans l'al. 30(1)a) de la Loi sur les normes d'emploi, où le délai minimum de préavis prévu pour les personnes ayant une expérience de moins de cinq ans n'est que de deux semaines. Malgré cela, l'al. 9(1)b) du règlement rend obligatoire le préavis de 30 jours pour tous les employés, y compris ceux qui n'ont travaillé que peu de temps. Si le but visé par l'al. 9(1)b) était de réduire les avantages, il serait assez inhabituel de ne les réduire que pour les employés de longue date et d'élargir par ailleurs la protection offerte aux employés récents. Cet aperçu donne à penser, en outre, que l'al. 9(1)b) ne vise pas à limiter les avantages, mais plutôt à les étendre.

Enfin, il est important de situer le processus d'interprétation dans le contexte de la réalité du monde du travail. La jurisprudence illustre de façon éloquente le fait que les règles contractuelles ordinaires ont rarement dérogé aux droits des employeurs d'organiser leurs affaires comme bon leur semble. Traditionnellement, les employés ont joui de très peu de droits en matière de sécurité ou de garantie d'emploi et ont dû organiser leurs affaires personnelles et financières en tenant compte des caprices des marchés de l'emploi. Avec les années, on a élaboré la notion de préavis raisonnable afin de tempérer la dureté générale du régime contractuel pour les employés qui sont, dans une large mesure, exposés à toute la force des vents du changement économique. Même si elle ne confère pas une grande protection, la doctrine du préavis raisonnable constitue souvent le seul moyen à la disposition de ceux qui n'ont ni la force économique ni le pouvoir de se faire entendre pour négocier collectivement une protection plus poussée.

L'interprétation proposée par mon collègue réduirait sensiblement cette protection déjà minimale. Une interprétation aussi sévère ne devrait être adoptée que lorsqu'il existe une disposition législative claire et non équivoque. En l'espèce, toutefois, la formulation de l'article est ambiguë, et d'autres interprétations peuvent tout aussi bien s'imposer, compte tenu tout particulièrement du contexte législatif et de l'historique de la loi, de même que des recours de common law qui s'appliquent maintenant à la Couronne. J'estime donc qu'il serait inopportun d'interpréter le par. 26(1) de la Loi sur la Fonction publique et l'al. 9(1)b) de son règlement d'application d'une manière qui fasse reposer tout le fardeau économique de la restructuration directement sur les épaules de ceux qui ont le moins de pouvoir de s'adapter ou de se protéger, lorsqu'une autre interprétation pourrait se justifier sans faire violence à l'esprit ou à la lettre de la loi.

5. Conclusion

En conclusion, j'estime que MM. Flieger et McNutt n'ont pas été licenciés par suite de la suppression d'une fonction au sens du par. 26(1) de la Loi sur la Fonction publique. Ils ont, par conséquent, le droit d'être dédommagés en vertu des règles contractuelles ordinaires par le versement d'un montant correspondant à un délai de préavis raisonnable. Si, par ailleurs, j'avais conclu qu'il y a eu suppression d'une fonction, j'estime que l'al. 9(1)b) du règlement ne prévoit pas une cessation sommaire sans indemnisation. Au contraire, cette disposition exige uniquement que les employés qui sont licenciés en vertu du par. 26(1) de la Loi sur la Fonction publique reçoivent au moins un préavis de 30 jours avant la cessation prévue. Même si ce préavis de 30 jours a été donné en l'espèce, il ne prive pas les employés de leur droit à une indemnité de départ.

Je serais d'avis d'accueillir le pourvoi avec dépens et de recommander de renvoyer le dossier au juge de première instance pour qu'il détermine quel préavis raisonnable aurait dû être donné et quelle indemnité s'impose dans les circonstances.

Pourvoi rejeté avec dépens, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente.

Procureurs des appelants: Petrie Richmond Goss, Fredericton.

Procureur de l'intimée: Le Bureau du Procureur général, Fredericton.


Synthèse
Référence neutre : [1993] 2 R.C.S. 651 ?
Date de la décision : 30/06/1993
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Relations de travail - Fonction publique - Suppression d'une fonction - Impartition de travail - Abolition par la province de la patrouille routière et impartition des tâches à la GRC - Les patrouilleurs ont‑ils été licenciés en raison de la «suppression d'une fonction»? - Les patrouilleurs ont‑ils reçu un préavis raisonnable de la cessation de leur emploi? - Loi sur la Fonction publique, L.N.‑B. 1984, ch. C‑5.1, art. 20, 26 - Règlement général du Conseil de gestion ‑- Loi sur la Fonction publique, Règl. du N.‑B. 84‑229, art. 9(1).

Les appelants, qui étaient membres de la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick, furent licenciés après que la province eut décidé d'abolir la patrouille et d'en confier les tâches à la GRC. Les appelants ont alors accepté d'autres postes à titre d'agents de correction et, pendant une année, ils ont reçu la somme de 5000 $ en sus de leur salaire. Ils ont par la suite poursuivi la province pour congédiement injustifié. Ils ont prétendu que l'impartition à la GRC des tâches exécutées auparavant par la patrouille routière ne constituait pas la «suppression d'une fonction» au sens du par. 26(1) de la Loi sur la Fonction publique du Nouveau‑Brunswick. Ils auraient donc dû recevoir un préavis raisonnable lorsqu'ils ont été licenciés, plutôt que le préavis de 30 jours que prévoit le par. 9(1) du Règl. du N.‑B. 84‑229 lorsqu'il y a suppression d'une fonction. Le juge de première instance a conclu qu'il y avait suppression d'une fonction et il a rejeté leurs demandes. Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel. Le présent pourvoi vise à déterminer (1) si l'impartition à la GRC, par la province, du travail effectué auparavant par la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick a constitué la «suppression d'une fonction» et (2) si les appelants ont reçu un préavis raisonnable de la cessation de leur emploi.

Arrêt (le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Cory, McLachlin et Iacobucci: Il y a «suppression d'une fonction» au sens du par. 26(1) de la Loi sur la Fonction publique lorsqu'un ensemble de tâches ou d'activités qui constitue un poste n'est plus exécuté par suite d'une décision arrêtée de bonne foi par l'employeur. En l'espèce, la décision prise par la province d'abolir sa propre patrouille routière et de conclure avec la GRC un contrat pour la prestation du service était une décision administrative légitime, qui a entraîné la «suppression d'une fonction» au sens du par. 26(1). Les appelants exécutaient l'ensemble d'activités et de tâches appartenant aux membres de la Patrouille routière du Nouveau‑Brunswick et, lorsque la patrouille a été abolie, leur «fonction» ou «poste» d'agent a cessé d'exister. C'est maintenant la GRC qui doit surveiller les routes et fournir tout ce qui est requis pour assurer le respect des clauses du contrat.

Les appelants n'avaient pas droit à davantage qu'un préavis de 30 jours. L'article 20 de la Loi sur la Fonction publique, qui prévoit que la «cessation d'emploi [. . .] d'un employé est régie par les règles contractuelles ordinaires», indique clairement qu'il s'applique sous réserve des dispositions de la Loi. Selon le par. 9(1) du règlement adopté en vertu de la Loi, l'employeur n'est tenu de donner à l'employé que le préavis de 30 jours lorsque la suppression d'une fonction rend inutiles les services d'un employé. Il s'agit là en effet d'une condition de l'emploi.

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente): Le droit de la province du Nouveau‑Brunswick de confier la patrouille de ses routes à la GRC n'est pas contesté en l'espèce. En l'absence d'une convention collective ou de dispositions législatives portant le contraire, la province, en tant qu'employeur, est libre de rompre un contrat de travail en donnant un préavis raisonnable, même si la cessation a lieu dans le but de faciliter l'impartition du même travail. L'article 26 de la Loi et le par. 9(1) du règlement prévoient simplement que des règles supplémentaires entrent en jeu lorsque la cessation d'emploi découle d'un manque de travail ou de la suppression d'une fonction.

L'impartition de la surveillance policière des routes dans la présente affaire n'est pas la «suppression d'une fonction» au sens du par. 26(1). Il y a «suppression d'une fonction» au sens de ce paragraphe lorsque l'employeur décide d'abolir un service ou une fonction dans son intégralité. Une fonction vise le travail effectué par l'employé licencié et non un «poste». Même s'il faut tenir compte de l'ensemble des tâches accomplies par l'employé, il faut aussi prendre en considération le contexte plus global qui encadre le contrat de travail individuel et le travail dans lequel l'employeur est engagé. En l'espèce, la fonction antérieurement exécutée par les appelants n'a pas été supprimée. Elle est exécutée aujourd'hui, bien que sur une base contractuelle, par la GRC, dans les mêmes locaux et avec le même matériel. Même si elle a le contrôle administratif, la GRC n'a pas le pouvoir de modifier la fonction elle‑même, car elle est tenue aux termes de son contrat d'exécuter une fonction précise. Comme les appelants n'ont pas été licenciés en raison de la «suppression d'une fonction», le par. 26(1) de la Loi et l'art. 9 du règlement ne s'appliquent pas à l'espèce. Le licenciement des appelants était régi par les règles contractuelles ordinaires telles qu'elles sont incorporées par l'art. 20 de la Loi. Par conséquent, ils avaient droit à un préavis raisonnable de licenciement.

Même si la fonction avait été supprimée, l'al. 9(1)b) du règlement ne prévoit pas une cessation sommaire sans indemnisation. Cet alinéa étend plutôt qu'il ne limite la protection que peut normalement invoquer un employé et exige uniquement que les employés qui sont licenciés en vertu du par. 26(1) de la Loi reçoivent au moins un préavis de 30 jours avant la cessation prévue. Ces employés possèdent encore les recours normaux qui leur sont ordinairement reconnus par le droit des contrats. Par conséquent, le préavis de 30 jours donné en l'espèce ne priverait pas les appelants de leur droit à une indemnité de départ.


Parties
Demandeurs : Flieger
Défendeurs : Nouveau-Brunswick

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Distinction d'avec l'arrêt: Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, conf. [1991] 1 C.F. 428 (C.A.)
arrêts mentionnés: Transport Guilbault Inc. c. Scott, C.A.F., no A‑618‑85, le 21 mai 1986, inédit, autorisation de pourvoi refusée, [1987] 1 R.C.S. xiii
Gonthier c. Canada (1986), 77 N.R. 386
Mudarth c. Canada (Ministre des Travaux publics) (1990), 113 N.R. 159 (C.A.F.), conf. [1989] 3 C.F. 371 (1re inst.)
Coulombe c. La Reine, C.F. 1re inst., no T‑390‑84, le 5 avril 1984, inédit.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente)
Transport Guilbault Inc. c. Scott, C.A.F., no A‑618‑85, le 21 mai 1986, inédit
Mudarth c. Canada (Ministre des Travaux publics) (1990), 113 N.R. 159 (C.A.F.), conf. [1989] 3 C.F. 371 (1re inst.)
Gallagher c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de gestion) (1990), 105 R.N.‑B. (2e) 181
Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941.
Lois et règlements cités
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2, art. 242(3.1) [ad. ch. 9 (1er suppl.), art. 16].
Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.‑B. 1973, ch. P‑25, art. 6(2), 63(2).
Loi sur la Fonction publique, L.N.‑B. 1984, ch. C‑5.1, art. 20, 26.
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P‑33, art. 29(1).
Loi sur les droits de la personne, L.R.N.‑B. 1973, ch. H‑11.
Loi sur les normes d'emploi, L.N.‑B. 1982, ch. E‑7.2, art. 30(1) [mod. 1988, ch. 59, art. 10], 34(1) [idem, art. 12].
Règlement général du Conseil de gestion ‑ Loi sur la Fonction publique, Règl. du N.‑B. 84‑229, art. 9(1).
Doctrine citée
Black's Law Dictionary, 6th ed. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1990, "function".
Christie, Innis, Geoffrey England and Brent Cotter. Employment Law in Canada, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1993.
Dictionary of Canadian Law. By Daphne A. Dukelow and Betsy Nuse. Scarborough, Ont.: Thomson Professional Publishing Canada, 1991, "function".
Dictionnaire Quillet de la langue française. Paris: Librairie Aristide Quillet, 1975, «fonction».
Petit Robert 1. Paris: Le Robert, 1990, «fonction».
Sweet & Maxwell's Encyclopedia of Employment Law, vol. 1. London: Sweet & Maxwell, 1992 (feuilles mobiles).

Proposition de citation de la décision: Flieger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651 (30 juin 1993)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-06-30;.1993..2.r.c.s..651 ?
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