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12/08/1993 | CANADA | N°[1993]_2_R.C.S._880

Canada | R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880 (12 août 1993)


R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880

Richard Potvin Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Potvin

No du greffe: 23110.

Jugement rendu oralement: 1993: 7 juin.

Motifs du jugement déposés: 1993: 12 août.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1992), 74 C.C.C. (3d) 111, 56 O.A.C. 139, qui a accueilli un appel interje

té contre la décision du juge Stortini de suspendre une accusation. Pourvoi rejeté.

Brian H. Greenspan et Sharon E. La...

R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880

Richard Potvin Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Potvin

No du greffe: 23110.

Jugement rendu oralement: 1993: 7 juin.

Motifs du jugement déposés: 1993: 12 août.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1992), 74 C.C.C. (3d) 111, 56 O.A.C. 139, qui a accueilli un appel interjeté contre la décision du juge Stortini de suspendre une accusation. Pourvoi rejeté.

Brian H. Greenspan et Sharon E. Lavine, pour l'appelant.

David Butt, pour l'intimée.

//Le juge McLachlin//

Version française des motifs du juge en chef Lamer et des juges McLachlin et Major rendus par

Le juge McLachlin — J'ai lu les motifs de mon collègue le juge Sopinka et je dois malheureusement exprimer mon désaccord avec son opinion sur la manière dont le délai d'appel est traité sous le régime de la Charte canadienne des droits et libertés.

Mon collègue conclut qu'il faut diviser le processus criminel en phases distinctes pour déterminer si un accusé a été privé du droit au déroulement sans délai excessif des poursuites criminelles intentées contre lui. Si je comprends bien ses motifs, la première phase est la période comprise entre le dépôt des accusations et l'inscription d'un verdict ou d'un arrêt des procédures. En ce qui a trait à cette phase, l'évaluation est fondée sur l'al. 11b) de la Charte qui garantit le droit d'être jugé dans un délai raisonnable. La phase suivante se situe entre l'inscription d'un verdict ou d'un arrêt des procédures et les décisions relatives aux appels interjetés contre le verdict ou l'arrêt des procédures. À ce stade, le délai est évalué selon des principes tout à fait différents, savoir l'abus de procédure visé à l'art. 7. Mais ce n'est pas tout. Si l'appel aboutit à une ordonnance prescrivant la tenue d'un procès (en cas d'arrêt des procédures) ou d'un nouveau procès (en cas de verdict), le délai recommence à courir. Mon collègue ne précise pas ce qu'il entend par là. Il est possible que tout le processus, même le délai écoulé pendant des procédures d'appel, fasse l'objet d'une évaluation fondée sur l'al. 11b). Il est aussi possible que les différentes parties du processus qui ont aboutit à l'ordonnance de procès fassent l'objet d'une analyse fondée sur différentes dispositions de la Charte: l'al. 11b), jusqu'à l'arrêt des procédures ou au verdict, l'art. 7, relativement à un abus de procédure, à partir de ce moment jusqu'à l'ordonnance de procès, et, de nouveau, l'al. 11b), après que cette ordonnance a été rendue.

Mon collègue reconnaît que les objets de l'al. 11b) — protéger le droit à la sécurité de la personne, le droit à la liberté et le droit à un procès équitable — s'appliquent à première vue aux délais d'appel écoulés après l'arrêt des procédures et après le verdict. Il affirme toutefois que le scénario compliqué qu'il propose est rendu nécessaire par le texte et le contexte de l'al. 11b), par la jurisprudence antérieure de notre Cour et par le fait que l'inscription d'un arrêt des procédures ou d'un verdict change radicalement les droits en jeu. À mon avis, aucune de ces considérations ne résiste à un examen approfondi. Tant qu'un règlement définitif de l'affaire ne vient pas soustraire l'inculpé à la possibilité d'autres procès et procédures, l'al. 11b) et les principes qui ont été énoncés sous son régime sont applicables. Il est certain que les facteurs examinés en vertu de l'al. 11b) peuvent avoir un poids différent selon les circonstances en présence et qu'il y a peut‑être lieu de tenir compte d'éléments différents lorsqu'il s'agit de procédures d'appel. De plus, la réparation peut varier, selon le stade auquel en est rendu le processus criminel. Mais j'estime que ces facteurs peuvent et devraient être tous appréciés en fonction du critère unique imposé par l'al. 11b) de la Charte.

Le texte et le contexte

Je m'arrête d'abord au texte et au contexte de l'al. 11b). Mon collègue affirme que les mots «inculpé» et «être jugé» donnent à penser que l'al. 11b) s'applique seulement au délai écoulé pendant le procès. En toute déférence, je ne suis pas de cet avis. Le terme «inculpé» devrait, selon moi, être interprété comme s'entendant d'une personne sous l'emprise du processus criminel. Cette personne demeure inculpée aux fins de l'al. 11b) jusqu'à ce qu'une décision finale sur les accusations portées contre elle vienne la soustraire définitivement au péril du processus criminel. Cette position est conforme aux observations formulées par le juge Lamer, maintenant Juge en chef, dans l'arrêt R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588, aux pp. 610 et 611:

. . . l'al. 11b) protège contre un assujettissement trop long à une accusation criminelle pendante et vise à soulager de la tension et de l'angoisse qui persistent jusqu'à ce que l'affaire soit finalement tranchée. . . Le calcul du délai ne cesse pas au moment de l'ouverture du procès, mais se poursuit plutôt jusqu'à la toute fin de l'histoire, et le tout doit se dérouler dans un délai raisonnable.

L'interprétation plus stricte du mot «accusation» que préconise mon collègue le juge Sopinka produit un phénomène de croissance et de décroissance des accusations. Il affirme qu'un arrêt des procédures ou un verdict met fin à l'accusation. Mais il est ensuite obligé de dire qu'une ordonnance subséquente de procès ou de nouveau procès «rétablit» l'accusation qui était vraisemblablement latente, même si elle était censée avoir disparu. Au moment où le verdict est prononcé à l'issue du procès, l'accusation décroît de nouveau pour être rétablie une fois de plus si une cour d'appel ordonne la tenue d'un autre procès. L'accusé est assujetti à un seul processus criminel au cours duquel sa liberté est compromise. Et pourtant, sur le plan du droit, il ne serait inculpé que durant une partie du temps, selon le stade du processus où il en est.

La façon dont mon collègue propose d'interpréter l'expression «être jugé» est également problématique. Il affirme que le droit d'être jugé dans un délai raisonnable que garantit l'al. 11b) prend fin à l'inscription d'un arrêt des procédures. Pourtant, cela peut se produire avant même que la personne ait subi son procès. Si l'arrêt des procédures est annulé en appel et que l'accusé se voit ordonner de subir son procès, il n'a pas le droit, en cas de délai exagéré imputable au ministère public au stade de l'appel, de se plaindre que son droit d'être jugé dans un délai raisonnable a été violé, même s'il n'a jamais subi son procès. La situation où un nouveau procès a été ordonné après un acquittement est elle aussi problématique. Le premier procès est déclaré invalide. En effet, l'accusé n'a pas subi de procès régulier. Un nouveau procès est ordonné. En dépit du fait que l'accusé n'a pas joui du droit que la Charte lui confère expressément, c.-à-d. le droit d'être jugé régulièrement dans un délai raisonnable, il lui serait interdit, selon l'interprétation de mon collègue, de prétendre que l'al. 11b) a été violé en raison d'un délai d'appel déraisonnable et il en serait réduit au recours beaucoup plus limité à la théorie de l'abus de procédure visée à l'art. 7. Cela ne saurait être, à mon avis, l'intention des rédacteurs de la Charte.

Le contexte de l'al. 11b) n'exige pas non plus l'interprétation que prône mon collègue. Il est vrai qu'un bon nombre des droits énumérés à l'art. 11 se limitent aux premiers stades du processus criminel. Mais d'autres, comme ceux énumérés aux al. 11h) et 11g), s'appliquent nettement après un verdict. Il ne s'ensuit donc pas, en toute déférence, que «[s]i l'expression «[t]out inculpé» à l'al. 11b) vise nécessairement l'accusé en tant que partie à un appel, la même conclusion devrait alors s'appliquer aux autres alinéas de cet article», comme le conclut mon collègue, à la p. 000. Puisque l'art. 11 vise à garantir l'équité à tous les stades du processus criminel, on ne saurait conclure que l'al. 11b) doit nécessairement être restreint à la phase antérieure à l'arrêt des procédures ou au verdict.

Mon collègue affirme que, parce que l'al. 11b) a été jugé non applicable au délai antérieur à l'accusation (arrêt R. c. Kalanj, [1989] 1 R.C.S. 1594), il ne saurait être jugé applicable au délai d'appel. À la p. 000, il conclut que «l'al. 11b) ne s'applique pas à moins que la restriction des droits que cet alinéa protège découle d'une accusation réelle.» Je suis d'accord avec cela. Mais je ne conviens pas qu'il faille en conclure que l'al. 11b) ne s'applique pas au délai d'appel postérieur à l'arrêt des procédures ou au verdict. Si l'on considère que le terme «inculpé» est synonyme de «personne assujettie au processus criminel», comme je le propose, il s'ensuit que l'al. 11b) s'appliquerait même après le verdict. Les procédures d'appel résultent nettement d'une accusation réelle; en fait, leur validité en dépend.

Les droits en jeu

Selon mon collègue le juge Sopinka, l'examen des droits protégés par l'al. 11b) amène à conclure que cet alinéa ne s'applique pas dans le cas des procédures d'appel postérieures à l'arrêt des procédures ou au verdict.

Comme nous l'avons vu, les droits protégés par l'al. 11b) sont le droit à la sécurité de la personne, le droit à la liberté et le droit à un procès équitable: R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771. Mon collègue étudie d'abord le cas de l'appel contre un acquittement. À la p. 000, il conclut que, durant cette période, «[a]ucune procédure visant à inculper la personne acquittée n'est en branle», et il dit que «[l]a personne acquittée se trouve dans la même situation critique que celle visée par un acte gouvernemental susceptible d'entraîner le dépôt d'une accusation.» En toute déférence, cela minimise la gravité de la situation de la personne acquittée qui fait face à un appel. Avant qu'une accusation soit déposée, le suspect ne souffre pas en général de la stigmatisation rattachée à des procédures criminelles. On ne peut pas en dire autant d'un accusé qui fait l'objet d'un appel postérieur à un acquittement. Il a effectivement été inculpé. Le droit continue de l'obliger à se défendre contre les accusations portées. Il doit retenir les services d'avocats et plaider devant des juges. Bien qu'il ait été acquitté, la poursuite continue d'affirmer publiquement que l'acquittement est invalide. Et il est exposé à la nette possibilité qu'une ordonnance soit rendue, infirmant l'acquittement et le déclarant coupable ou prescrivant la tenue d'un nouveau procès, ce qui représente non pas une simple hypothèse, mais un danger réel. L'angoisse que l'accusé acquitté éprouve pendant qu'il attend de savoir s'il subira un second procès doit être considérable. À tous ces égards, la situation d'un accusé dont l'acquittement fait l'objet d'un appel ressemble plus à celle d'un accusé qui attend de subir son procès qu'à celle d'une personne qui n'a pas été inculpée. En toute déférence, je ne puis être d'accord avec la conclusion de mon collègue selon laquelle «[i]l serait absurde d'accorder une protection pendant la période d'appel à l'accusé qui a été acquitté et non au suspect qui attend le dépôt d'une accusation . . .» (p. 000).

La situation d'une personne déclarée coupable qui interjette appel, quoiqu'elle suscite moins de sympathie que celle de la personne acquittée qui fait face à un appel, fait néanmoins intervenir les préoccupations visées par l'al. 11b). Techniquement parlant, les accusations portées contre l'accusé ont fait l'objet d'une décision, mais elles n'ont pas disparu. L'accusé peut réussir à démontrer que le procès était inéquitable ou invalide et que la solution apparemment retenue à l'égard des accusations, savoir la déclaration de culpabilité, était nulle. Finalement, espère‑t‑il, il obtiendra le procès auquel il avait droit au départ. Il ne serait pas tellement rassurant de lui dire que le délai nécessaire pour obtenir ce procès ne tombe pas sous le coup de l'al. 11b) et qu'il y a lieu d'y remédier, le cas échéant, au moyen de l'application plus restrictive de la théorie de l'abus de procédure visée à l'art. 7.

La situation de la personne qui fait face à un appel contre un arrêt des procédures n'est pas meilleure. Selon mon collègue, un arrêt des procédures ne saurait être différencié d'un acquittement. Si c'était le cas, je répondrais que, tout comme la personne qui a été acquittée, la personne qui fait l'objet de l'arrêt des procédures est exposée à un danger qui fait entrer en jeu l'al. 11b). Mais je doute qu'un arrêt des procédures et un acquittement puissent être assimilés aussi simplement. S'exprimant au nom de la Cour dans l'arrêt R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128, le juge en chef Dickson met en garde contre une telle hypothèse (à la p. 148):

Nous nous intéressons en l'espèce à une suspension d'instance fondée sur un abus de procédure commis par la poursuite. Même si une telle suspension d'instance entraîne le même résultat qu'un acquittement et même si elle a pour effet de trancher les questions en litige de façon définitive au point de justifier un plaidoyer d'autrefois acquit, elle ne doit être assimilée à un acquittement qu'aux seules fins de permettre à la poursuite d'interjeter appel. Ces deux concepts ne sont par ailleurs pas assimilables. La suspension d'instance pour abus de procédure est accordée au lieu d'un acquittement lorsque, sur le plan du fond, il se peut que l'accusé ne mérite pas d'être acquitté, et que la poursuite est incapable d'obtenir une déclaration de culpabilité en raison de l'abus de procédure qu'elle a commis. Aucun examen au fond de l'affaire, c'est‑à‑dire de la question de savoir si l'accusé est coupable indépendamment d'un examen de la conduite de la poursuite, n'est nécessaire pour justifier une suspension.

Sous un aspect important, la personne qui fait face à un appel interjeté contre un arrêt des procédures est exposée à un plus grand danger que la personne acquittée ou déclarée coupable. Elle n'a subi aucun procès. Aucun témoin n'a été assigné, ni aucun élément de preuve versé au dossier. Le risque d'être incapable de présenter une bonne défense quand le procès aura enfin lieu peut être plus grand que lorsqu'un procès, si inéquitable soit‑il, a été tenu.

Bref, les droits que l'al. 11b) vise à protéger jouent tous durant la période comprise entre le verdict ou l'arrêt des procédures et la décision finale relative aux accusations criminelles. La sécurité de la personne et le droit à la liberté sont en cause. La personne qui a été acquittée, c'est‑à‑dire déclarée non coupable, risque d'être déclarée coupable et incarcérée. La personne qui fait l'objet d'un arrêt des procédures fait face à la même éventualité. La personne déclarée coupable, si elle a gain de cause en appel et si la déclaration de culpabilité est jugée invalide, peut également soutenir que le délai écoulé avant d'en arriver à cette conclusion l'a privée de son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne durant la période d'appel. Le droit à un procès équitable est lui aussi mis en jeu. Dans les trois cas, savoir l'acquittement, la déclaration de culpabilité et l'arrêt des procédures, la personne assujettie aux procédures criminelles fait face à la possibilité d'un nouveau procès, dont le caractère équitable peut être compromis par un délai excessif.

En toute déférence, la réparation limitée que mon collègue propose pour le délai postérieur à l'arrêt des procédures ou au verdict ne permettrait pas de dissiper ces préoccupations. Il conclut que l'art. 7 s'applique quand le délai est long au point de constituer un abus de procédure. L'accusé aurait droit à une réparation seulement s'il pouvait démontrer qu'un nouveau procès serait inéquitable au point de constituer un abus de procédure judiciaire. J'ai beaucoup de difficulté à accepter cette conclusion.

Je souligne entre parenthèses, que cette conclusion présume résolue la question du rapport entre l'art. 7 et la théorie de l'abus de procédure, à laquelle le juge Wilson n'a pas répondu dans l'arrêt R. c. Keyowski, [1988] 1 R.C.S. 657, à la p. 661. Si toutefois, pour les fins de la discussion, on accepte la conclusion du juge Sopinka selon laquelle seul le délai postérieur à l'arrêt des procédures ou au verdict qui constitue un abus de procédure peut donner lieu à une réparation en vertu de l'art. 7, les difficultés suivantes se posent alors.

La théorie de l'abus de procédure est une théorie limitée qui n'a que rarement procuré une réparation aux accusés pris trop longtemps dans les mailles du processus criminel. Elle a pour objet premier non pas les droits de l'accusé, mais la considération dont jouit le système de justice. Comme le dit le juge Lamer (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903, à la p. 942, en considérant la provocation policière comme un abus de procédure:

La suspension profite de toute évidence à l'inculpé, mais la cour s'intéresse d'abord à une question plus large: le maintien de la confiance publique dans la procédure légale et judiciaire. De cette manière, le bénéfice qu'en retire l'inculpé n'est en réalité qu'incident.

De surcroît, on a maintes fois décidé que la théorie de l'abus de procédure ne devrait s'appliquer que dans les cas les plus manifestes: R. c. Keyowski, précité, aux pp. 659 et 660. On a considéré que cela imposait à l'accusé une norme de preuve plus rigoureuse que celle applicable pour une violation de droits garantis par la Charte: voir les motifs du juge en chef Bayda dans R. c. Keyowski (1986), 49 Sask. R. 64 (C.A.). Sans trancher cette question définitivement, il n'en reste pas moins que la théorie de l'abus de procédure a rarement, au cours de sa longue histoire, servi de recours pour les délais écoulés dans le processus criminel. Elle a été appliquée strictement et avec modération. Comme le dit un auteur: [traduction] «bien que l'abus de procédure ait souvent été invoqué et ait de plus en plus été tenu pour applicable, dans le cas des accusés, la réparation n'a pas été facilement accordée»: Morgan, «Controlling Prosecutorial Powers — Judicial Review, Abuse of Process and Section 7 of the Charter» (1986), 29 Crim. Law Q. 15, à la p. 38. Conclure que le seul recours pour le délai écoulé dans le processus criminel après l'arrêt des procédures ou l'acquittement réside dans la théorie de l'abus de procédure reviendrait à créer une anomalie dans le droit. Les droits en cause et le danger couru sont semblables tant avant qu'après l'arrêt des procédures ou le verdict. Pourtant, avant l'arrêt des procédures ou le verdict, on dispose d'un recours complet qui peut être exercé facilement; après, il n'y a qu'un espoir restreint et circonscrit.

Si on accepte la conclusion de mon collègue que l'al. 11b) de la Charte ne s'applique pas au délai postérieur à l'arrêt des procédures ou au verdict, il y a alors deux façons possibles de remédier à ce délai sous le régime de la Charte. La première réside dans le fait qu'on considère que la théorie de common law de l'abus de procédure visée à l'art. 7 peut permettre de remédier au délai postérieur à l'arrêt des procédures ou au verdict. C'est la solution choisie par le juge Sopinka. Comme je l'ai laissé entendre en toute déférence, elle est trop restreinte pour représenter une réparation convenable ou juste dans bien des situations qui peuvent résulter d'un délai postérieur à un arrêt des procédures ou à un verdict. L'autre façon pourrait consister à demander une réparation distincte et plus générale pour un tel délai en application de l'art. 7 de la Charte. Mais on ne doit recourir à une telle méthode que si la disposition de la Charte qui vise expressément les délais écoulés dans le processus criminel est inapplicable ou peu appropriée; il n'y a pas lieu de compliquer le droit inutilement. J'ai affirmé jusqu'à maintenant que, de par son texte et ses objets, l'al. 11b) n'est pas inapplicable au délai postérieur à l'arrêt des procédures ou au verdict. J'arrive maintenant à l'opportunité, en pratique, d'examiner un tel délai sous le régime de l'al. 11b) de la Charte.

Application de l'al. 11b) au délai d'appel postérieur à l'arrêt des procédures ou au verdict

J'ai conclu non seulement que le langage et le contexte de l'al. 11b) n'exigent pas qu'il soit limité à la période du processus criminel antérieure à l'arrêt des procédures ou au verdict, mais encore que les objets qui sous‑tendent cet alinéa donnent à penser qu'il s'applique aux délais postérieurs à l'arrêt des procédures ou au verdict. Dans cette section, j'affirme qu'il n'est pas nécessaire, d'un point de vue pratique, d'adopter une méthode complexe qui fasse appel à deux principes pour apprécier les délais écoulés dans le processus criminel; les mêmes principes généraux peuvent et devraient s'appliquer pendant tout le processus, même si leur incidence peut varier selon les considérations particulières qui entrent en jeu à divers stades. Le processus judiciaire étant ce qu'il est, les procédures interlocutoires de première instance et d'appel peuvent être entrelacées à tel point que, dans un cas donné, il est illogique de tenter d'appliquer des règles de droit distinctes selon le stade où l'on se trouve.

Les principes applicables en vertu de l'al. 11b) ont été énoncés dans l'arrêt R. c. Morin, précité. Ce sont les suivants: (1) la longueur du délai; (2) la renonciation, s'il en est, à invoquer certaines parties du délai; (3) les raisons du délai; (4) le préjudice subi par la personne assujettie au processus criminel. À mon avis, ces principes sont assez larges et souples pour s'appliquer au stade du processus criminel qui suit l'arrêt des procédures ou le verdict.

Il faut toujours tenir compte de la longueur du délai pour déterminer s'il est raisonnable, que ce soit le délai écoulé en première instance ou en appel. Il peut être moins facile de fixer une longueur «normale» pour le délai d'appel, étant donné le besoin qu'ont les juges de délibérer. Mais en ce qui concerne le délai antérieur au verdict ou à l'arrêt des procédures, certains délais seront clairement normaux, certains seront clairement exagérés, sauf justification, et d'autres, les plus difficiles à apprécier, se situeront entre ces deux extrêmes.

La renonciation s'applique pareillement au délai antérieur à l'arrêt des procédures et au verdict, et au délai postérieur à ceux‑ci.

Les raisons du délai peuvent être semblables, qu'il soit antérieur ou postérieur à l'arrêt des procédures ou au verdict. Des systèmes de justice surchargés, une organisation déficiente, la négligence, les atermoiements de l'accusé — tous ces facteurs et d'autres peuvent jouer un rôle à tous les stades du processus judiciaire. Mais parmi les raisons du délai d'appel, il y en a certaines qui ne se retrouvent pas ou ont une incidence moins grande aux paliers inférieurs. En plus de chercher la solution juste au litige dont elle est saisie, la cour d'appel a l'obligation d'établir et de formuler des principes de droit qui transcendent les besoins de l'affaire en question. Cela exige plus de préparation et de recherche, des motifs plus étoffés, des discussions plus longues entre les juges qui composent la cour et, par conséquent, plus de temps. Le fait qu'un certain nombre de personnes ayant des opinions divergentes puissent prendre part à la décision est susceptible d'allonger le délai requis pour que l'appel soit tranché définitivement. Dans certains cas, les avocats peuvent avoir besoin de plus de temps pour préparer un dossier à cause de la complexité des questions soulevées. Par exemple, des intervenants sont souvent parties aux appels. La formulation adéquate du droit applicable est un objectif important qu'il faut poursuivre, même si cela doit causer certains délais supplémentaires dans le déroulement de l'affaire. Cela doit être pris en considération en examinant les raisons du délai.

Le dernier facteur énuméré dans l'arrêt Morin, le préjudice causé à l'accusé, est pertinent tant avant qu'après que l'arrêt des procédures est ordonné ou que le verdict est prononcé. C'est le droit de l'accusé à un procès équitable et prompt qui est protégé à tous les stades. Comme nous l'avons vu, la stigmatisation, l'angoisse et les restrictions à la liberté peuvent avoir un effet préjudiciable sur la personne assujettie aux procédures tout autant après qu'avant l'arrêt des procédures ou le verdict. De même, la possibilité qu'elle a de présenter une défense pleine et entière au cours d'un procès postérieur à un appel peut être minée par le délai postérieur au verdict ou à l'arrêt des procédures. Les répercussions de ces effets préjudiciables doivent être prises en compte pour déterminer si le délai dont on se plaint était raisonnable.

Voilà qui m'amène à la question de la réparation. Notre Cour a décidé, dans des affaires de délai écoulé antérieurement au verdict en première instance qu'un arrêt des procédures est la réparation minimale qu'il convient généralement d'accorder: R. c. Rahey, précité, à la p. 614. Toutefois, une fois le verdict inscrit, il ne convient peut‑être pas d'arrêter les procédures. Par exemple, un arrêt des procédures serait inutile pour une personne déclarée coupable qui se plaindrait du délai écoulé pendant un appel; en effet, ce serait lui refuser une juste réparation que de l'empêcher de poursuivre son appel. La solution qui se rapproche le plus de l'arrêt des procédures, soit l'annulation de la déclaration de culpabilité, pourrait sembler peu appropriée étant donné qu'on se trouverait à mettre en liberté, non pas une personne présumée innocente comme au stade antérieur au procès, mais un criminel déclaré coupable qui n'a pas purgé sa peine. Ainsi, remettre en liberté un tueur qui a été reconnu coupable, mais qui n'a pas purgé sa peine, seulement parce que l'appel qu'il a choisi d'interjeter a pris plus de temps que ce qui est raisonnable, reviendrait à accorder une réparation qui serait fort disproportionnée avec le tort causé et qui ne tiendrait pas compte de l'intérêt important qu'a la société dans la sécurité publique. Face à ces choix possibles, le juge qui conclurait à un délai déraisonnable en pareil cas pourrait préférer rendre une ordonnance différente. Il pourrait ordonner, par exemple, que l'appel se déroule promptement. Je n'écarterais pas non plus d'autres réparations comme des dommages‑intérêts visant à indemniser de la perte de liberté ou des souffrances morales subies, encore que j'estime que la question de savoir quelle réparation peut convenir devrait être tranchée en fonction de chaque cas.

En raison des nombreuses circonstances différentes qui peuvent exister au stade postérieur au verdict ou à l'arrêt des procédures, il est nécessaire d'aborder de façon souple la question de la réparation. Dans certains cas, il peut être opportun d'arrêter les procédures. Dans d'autres cas, il sera nécessaire d'examiner d'autres réparations. La Charte habilite le tribunal à accorder la réparation qui peut être juste eu égard à toutes les circonstances. En choisissant une réparation, le juge devrait tenir compte de facteurs comme la durée et la nature du délai, la gravité de l'infraction, la nature du préjudice subi par l'accusé et de tout préjudice inhérent au délai causé à l'accusé sur le plan de sa défense: voir les motifs du juge La Forest dans R. c. Rahey, précité, à la p. 648.

Je préconise la souplesse quant au choix du tribunal qui doit accorder la réparation. S'il appert à la Cour d'appel que les droits de l'accusé ont été violés à cause de délais excessifs écoulés avant le verdict et pendant les procédures d'appel, par exemple, la cour devrait être habilitée à connaître des deux types de délai sans renvoyer au juge de première instance la nouvelle question du délai d'appel. Par ailleurs, il n'y a pas lieu d'empêcher la personne assujettie au processus criminel de saisir un juge de première instance de tout délai, y compris d'un délai d'appel. Dans la pratique, je le répète, les délais antérieurs à l'arrêt des procédures ou au verdict et les délais d'appel sont souvent entrelacés et influent les uns sur les autres. Dire que seuls les tribunaux de première instance peuvent connaître du premier type de délai et seules les cours d'appel peuvent connaître du second type reviendrait à tronquer et à compliquer inutilement les procédures.

Application à la présente affaire

Appliquant l'al. 11b) à l'espèce, je conclus, comme l'a fait mon collègue le juge Sopinka, qu'on n'a pas établi l'existence d'un délai déraisonnable. Quant au délai antérieur à l'arrêt des procédures, le laps de temps écoulé était certes trop long, mais il pouvait s'expliquer en grande partie par une série de procédures interlocutoires rendues nécessaires par la complexité de la cause. Une grande partie du délai était donc justifiée. La renonciation n'entre pas en ligne de compte. Pour ce qui est du préjudice, je souscris à l'opinion de la Cour d'appel que le préjudice qui peut être inféré est minime.

À mon avis, le délai d'appel qui a suivi l'arrêt des procédures en l'espèce n'était pas déraisonnable non plus. Le délai le plus long durant cette période a été l'intervalle entre le 21 juin 1991, date de la signification du dossier d'appel, et le 15 janvier 1992, date à laquelle l'intimée a fixé l'audience. Par la suite, l'appel s'est déroulé avec une rapidité raisonnable, compte tenu de certains problèmes découlant du fait que l'avocat de l'appelant n'était pas libre pour la première date d'audience fixée. Toutefois, rien ne laisse croire que l'appelant a subi un préjudice à cause d'une partie quelconque de ce délai ni qu'il a voulu accélérer la procédure. Il ne demandait probablement pas mieux que de voir l'arrêt des procédures durer le plus longtemps possible. Dans ces circonstances, il n'a pas été établi que le délai postérieur à l'arrêt des procédures était déraisonnable. Je souligne que la Cour d'appel a ordonné qu'un procès soit tenu promptement afin d'éviter tout nouveau délai.

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

//Le juge La Forest//

Version française des motifs rendus par

Le juge La Forest — Je suis d'accord avec le juge Sopinka pour dire que l'al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés ne s'applique pas aux délais d'appel. J'affirme cela en m'appuyant sur la version française de la Charte et sur la décision de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Wemhoff, arrêt du 27 juin 1968, série A no 7, que cite mon collègue; voir les motifs que j'ai rédigés dans R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588, aux pp. 632 et 633. Cependant, je suis d'avis, compte tenu de la corrélation de l'art. 7 et de l'al. 11b), que l'art. 7 peut dans certains contextes fournir, aux intérêts que le droit garanti à l'al. 11b) est destiné à protéger, une protection résiduelle allant au-delà de la protection précise qu'il offre; voir Thomson Newspaper Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425. Par conséquent, ces intérêts peuvent aussi bénéficier d'une protection au stade de l'appel, mais sous réserve des considérations spéciales propres au processus d'appel et donc au choix d'une réparation convenable. En particulier, l'arrêt des procédures ne devrait pas servir de réparation convenable aux délais d'appel aussi souvent qu'aux délais de première instance. Au sujet de ces questions, il est évident que je partage généralement le point de vue du juge McLachlin. Je suis aussi de son avis en ce qui concerne le tribunal approprié pour examiner les délais.

Je me permets d'ajouter, cependant, que je ne partage pas ses préoccupations concernant un système à deux volets. En examinant le délai écoulé en appel, je ne vois pas pourquoi il n'y a pas lieu d'accorder de l'importance au délai antérieur à l'appel, ni pourquoi il ne pourrait pas y avoir un examen du délai d'appel lorsque les plaintes au sujet du délai d'appel sont formulées au procès à la suite d'un examen en appel. L'article 7 et l'al. 11b) ne s'excluent pas mutuellement. La Charte est un instrument organique.

Je conviens que le délai écoulé en l'espèce n'était pas déraisonnable et je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi.

//Le juge Sopinka//

Version française du jugement des juges L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et Iacobucci rendu par

Le juge Sopinka — Le présent pourvoi porte sur l'application du droit constitutionnel d'être jugé dans un délai raisonnable que garantit l'al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés. L'importante question de droit à résoudre est de savoir si l'al. 11b) s'applique aux procédures d'appel.

Les faits

Dans une dénonciation faite sous serment le 15 septembre 1988, l'appelant a été accusé de négligence criminelle causant la mort. Il a été remis en liberté en échange d'une promesse de comparaître et, avec le consentement des parties, l'affaire a été ajournée au 25 octobre 1988. À cette date, l'avocat de l'appelant (qui n'était pas Me Greenspan qui a représenté l'accusé devant notre Cour et devant la Cour d'appel) a informé le juge de la Cour provinciale que l'enquête était en cours et qu'on ne disposait pas d'un dossier d'information. À la suggestion du substitut du procureur général, l'affaire a été ajournée au 8 novembre 1988. Le 8 novembre, un représentant de l'avocat de l'appelant a sollicité un ajournement afin de permettre à l'avocat de la défense de prendre des dispositions pour la tenue d'une conférence préparatoire au procès et l'affaire a donc été ajournée au 6 décembre 1988.

Le 6 décembre 1988, la mise en accusation a été ajournée au 31 janvier 1989 afin de permettre la tenue d'une conférence préparatoire. L'avocat de l'appelant estimait que cinq jours seraient nécessaires pour procéder à l'enquête préliminaire et que de nombreux éléments de preuve scientifique seraient probablement produits à ce moment. Le substitut du procureur général a demandé que le juge présidant la conférence préparatoire soit autorisé à lire le dossier du ministère public avant la tenue de la conférence. La cour a considéré que cette requête était compatible avec la «procédure habituelle». L'avocat de l'appelant au procès a donné son consentement à la requête, mais il a informé la cour qu'on ne disposait pas encore de tous les rapports scientifiques du ministère public et que ces éléments de preuve étaient essentiels pour statuer sur l'affaire. Il a également indiqué qu'il faudrait probablement deux jours au juge présidant la conférence pour lire le dossier du ministère public. Les avocats des deux parties se sont entendus pour fixer au 31 janvier 1989 la tenue de la conférence préparatoire.

La conférence préparatoire a eu lieu le 31 janvier 1989 dans le cabinet du juge qui la présidait et on ne dispose d'aucune transcription de cette procédure. Cependant, la cour a recommencé à siéger une fois terminée la conférence préparatoire et les avocats du ministère public et de la défense ont parlé avec le juge de la Cour provinciale de fixer une date pour le procès ou l'enquête préliminaire. Le juge a indiqué que cinq jours seraient nécessaires pour procéder à l'enquête préliminaire et il a proposé qu'elle ait lieu en septembre ou en octobre 1989, à la condition que les avocats soient libres à ce moment‑là. Du fait que l'appelant ne s'est pas présenté en cour à cette date, l'audience a été ajournée au 7 février 1989 pour fixer la date du procès.

Le 7 février 1989, l'avocat de l'appelant a informé la cour qu'il ferait comparaître huit ou neuf témoins, en sus des sept témoins convoqués par le ministère public, et qu'il était disposé à choisir une date tombant dans la première semaine du mois d'octobre 1989. La date du 2 au 6 octobre 1989 a été fixée pour le procès ou l'enquête préliminaire. L'avocat de l'appelant a refusé d'opter pour la tenue d'un procès ou d'une enquête préliminaire à cette date parce qu'il n'avait pas reçu tous les documents, ce qui semble indiquer qu'une partie seulement de la preuve avait été communiquée. L'appelant a comparu le 14 février 1989 et le choix de la semaine du 2 au 6 octobre a été confirmé.

Le 2 octobre 1989, l'appelant a choisi de subir son procès devant juge et jury et l'enquête préliminaire a commencé. Le 5 octobre 1989, l'appelant a été renvoyé à son procès et il a choisi cette fois d'être jugé par un juge seul.

L'acte d'accusation a été signé le 20 octobre 1989. Le 7 novembre 1989, l'appelant s'est présenté pour la première fois à l'audience de fixation du rôle de la Cour de district. La transcription de l'enquête préliminaire n'était pas encore terminée à ce moment‑là. Elle ne l'a été que le 14 novembre 1989. Le 7 novembre, les avocats des deux parties ont reconnu qu'il vaudrait la peine de tenir une conférence préparatoire et la cour a proposé qu'elle ait lieu le 13 décembre 1989. Toutefois, comme l'avocat de l'appelant n'était pas libre à cette date, la conférence a été fixée au 17 janvier 1990.

Le 17 janvier 1990, le substitut du procureur général a été incapable d'assister à la conférence préparatoire en raison d'un autre engagement, et celle‑ci a été ajournée. Le 6 février 1990 a été choisi pour fixer une nouvelle date de conférence préparatoire. Ce jour‑là, la conférence a été fixée au 2 mai 1990. Il n'existe aucune transcription ni aucune autre preuve permettant d'expliquer le choix de cette date. De plus, bien que Kelly Annet, une secrétaire du cabinet représentant l'appelant, ait déclaré dans son affidavit qu'on lui avait dit que le substitut du procureur général avait informé la cour qu'il voulait une conférence préparatoire, l'affidavit du ministère public indique que le substitut du procureur général ne se rappelle pas s'il souhaitait une telle conférence.

La conférence préparatoire a eu lieu le 2 mai 1990. Les questions litigieuses ont été examinées et l'affaire a été ajournée au 5 juin 1990 afin de choisir une date de procès.

À l'audience de fixation du rôle, le 5 juin 1990, l'avocat de la défense a indiqué à la cour que le procès durerait probablement dix jours et qu'il devrait être présidé par un juge de l'extérieur de la ville. Selon l'avocat de l'appelant, il était nécessaire de recourir aux services d'un juge de l'extérieur de la ville parce que tous les juges du district judiciaire connaissaient la famille du défunt. On convient que, dans les circonstances, cette requête était raisonnable. Le coordonnateur des rôles a indiqué clairement que la date du procès serait fixée et qu'un juge de l'extérieur de Sudbury serait ensuite choisi pour présider le procès. On a proposé que le procès ait lieu le 3 décembre 1990, mais l'avocat de la défense a indiqué qu'il préférait qu'il se déroule en janvier 1991 parce qu'il avait d'autres engagements en décembre. À la suggestion de ce dernier, l'affaire a été ajournée au 3 juillet 1990 afin de permettre aux avocats de prendre les dispositions nécessaires pour fixer une date.

En juin 1990, les avocats de l'appelant et de l'intimée ont rencontré le juge Loukidelis dans son cabinet et ils ont convenu que le procès se déroulerait du 3 au 10 décembre. Dans son affidavit, Greg Rodgers, substitut adjoint du procureur général, déclare que [traduction] "[s]i l'affaire avait duré moins longtemps et si elle avait pu être entendue par un juge local, le procès aurait pu avoir lieu dans les trois mois". Le 3 juillet 1990, il a été décidé que le procès commencerait le 3 décembre 1990.

Le 3 décembre 1990, l'appelant a fait valoir qu'il y avait eu violation de son droit d'être jugé dans un délai raisonnable et il a invoqué le par. 24(1) de la Charte pour demander un arrêt des procédures. Subsidiairement, il a sollicité une ordonnance écartant la déposition d'un certain témoin pour le motif qu'elle avait été communiquée tardivement. Le 4 décembre 1990, le juge du procès a ordonné l'arrêt des procédures pour cause de violation du droit d'être jugé dans un délai raisonnable que garantit l'al. 11b) de la Charte.

Comme l'a souligné l'intimée dans son mémoire, aucune requête visant le dépôt de nouveaux éléments de preuve au sujet du délai d'appel ni aucune preuve par affidavit relative à ce délai n'ont été soumises à la Cour d'appel ou à notre Cour. En conséquence, notre Cour n'a été saisie d'aucun élément de preuve relatif au délai écoulé pendant la période d'appel, mais afin d'indiquer quels ont été les délais, les dates suivantes tirées du mémoire de l'appelant sont tenues pour avérées. Le 24 décembre 1990, le procureur général a interjeté appel contre l'arrêt des procédures. La transcription des plaidoiries ainsi que le jugement ont été signifiés à l'avocat de l'appelant le 13 février 1991 et le dossier d'appel a été signifié le 21 juin 1991. Le 15 janvier 1992, l'intimée a fixé une date d'audience, proposant que l'audition de l'appel ait lieu le 13 mars 1992. Comme l'avocat de l'appelant n'était pas libre à cette date, l'avocat de l'intimée a proposé diverses dates à compter du 6 avril 1992, et on a alors déterminé que le 24 avril 1992 était la date la plus rapprochée à laquelle il était possible de procéder. Le 24 avril, la Cour d'appel de l'Ontario a entendu l'appel au cours duquel la question des délais d'appel a été soulevée. Le 22 juin 1992, elle a accueilli l'appel, annulé l'arrêt des procédures et renvoyé l'affaire pour qu'un procès soit tenu promptement. Le 30 juillet 1992, l'appelant a déposé son avis de pourvoi devant notre Cour.

Les juridictions inférieures

Cour de justice de l'Ontario (Division générale), le juge Stortini

Le juge Stortini a statué qu'il y avait eu violation des droits garantis à l'appelant par l'al. 11b). Il a souligné qu'en l'espèce il s'était écoulé au total deux ans et deux mois et demi entre la première comparution et le procès, et quatre mois entre l'arrestation de l'accusé et la tenue de la conférence préparatoire au procès. Ce dernier délai était principalement imputable au système alors en vigueur qui visait à permettre de s'entendre avec les avocats pour organiser des conférences préparatoires au procès et il ne pouvait être uniquement imputé à la poursuite ou à un délai systémique ou institutionnel. Le juge a examiné l'argument selon lequel le délai était raisonnable compte tenu de la complexité de l'affaire sur les plans de la preuve scientifique, du nombre de témoins, de la durée de l'enquête préliminaire et du procès, et de la nécessité d'avoir recours à un juge de l'extérieur de la ville. Soulignant que les affaires complexes justifient des délais plus longs que les affaires simples, il a néanmoins déclaré que la pénurie de ressources institutionnelles ne devrait pas constituer une excuse acceptable pour des délais déraisonnables. Il a conclu que le délai était déraisonnable car il était trop long, et que les explications permettant de le justifier étaient soit inexistantes soit insuffisantes.

Cour d'appel de l'Ontario (1992), 74 C.C.C. (3d) 111, le juge en chef adjoint Morden et les juges Osborne et Weiler

Le juge Osborne, qui a rédigé les motifs de la cour, a conclu que l'appel devait être accueilli. Après avoir déterminé que la renonciation était une question décisive dans cette affaire, il s'est concentré sur deux périodes: la période de sept mois et demi antérieure à l'enquête préliminaire, qui a commencé le 2 octobre 1989, et la période de six mois antérieure au procès, qui a commencé le 3 décembre 1990. La cour a conclu qu'[traduction] «il n'a pas été démontré qu'il y a eu renonciation pendant toute la période du 31 janvier au 2 octobre 1989». Elle a toutefois jugé que l'intimé avait renoncé à son droit de se plaindre du délai d'un mois écoulé entre le 13 décembre 1989 et le 17 janvier 1990, parce qu'il a indiqué qu'il préférait le 17 janvier à la date du 13 décembre qui avait été fixée. La cour n'a toutefois pas conclu que l'intimé avait renoncé à son droit de se plaindre du délai de six mois écoulé entre les mois de juin et de décembre 1990, même si l'avocat de l'appelante a effectivement consenti à ce que le procès ait lieu en décembre. Quoique la cour n'ait été saisie d'aucun élément de preuve concernant d'autres dates auxquelles le procès aurait pu avoir lieu, le juge Osborne a conclu que le 3 décembre était probablement la première date disponible pour un procès de 10 jours.

Quant aux raisons du délai, la Cour d'appel a conclu que la période de quatre mois écoulée entre l'arrestation de l'appelant et la conférence préparatoire au procès était attribuable à un délai inhérent à la nature de l'affaire, dont un certain délai préparatoire. Elle a jugé qu'un délai de deux mois et quelques entre l'incarcération et la première date fixée pour la conférence préparatoire constituait aussi un délai inhérent. Le juge Osborne estimait que ni le ministère public ni l'accusé ne pouvaient être tenus responsables d'une grande partie du délai, sauf que ce sont les problèmes d'horaire du substitut du procureur général qui ont nécessité l'ajournement de la conférence préparatoire du 17 janvier 1990 au 2 mai 1990. Il a jugé que la période du 7 février 1989 (jour de la fixation de la date de l'enquête préliminaire) au 2 octobre 1989 (jour d'ouverture de l'enquête préliminaire) et celle du 5 juin 1990 (jour de la fixation de la date du procès) au 3 décembre 1990 (jour où devait s'ouvrir le procès) constituaient des délais systémiques, quoiqu'il ait souligné que les longues périodes de présence en cour requises justifiaient des délais plus longs que ceux qui seraient acceptables dans une affaire moins complexe.

Quant à la question du préjudice, le juge Osborne s'est dit d'accord avec le juge du procès pour affirmer que l'intimé n'avait subi aucun préjudice réel ou spécial par suite du délai écoulé entre le moment où la dénonciation a été faite sous serment en septembre 1988 et l'ouverture de son procès en décembre 1990.

Afin de déterminer si le délai était déraisonnable, la Cour d'appel a soupesé les explications du délai et le préjudice causé à l'accusé pour établir s'il y avait eu violation du droit constitutionnel de l'appelant d'être jugé dans un délai raisonnable. Le juge Osborne a souligné que notre Cour avait statué, dans l'arrêt R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771, que, même si le préjudice n'est que l'un des facteurs dont il faut tenir compte dans le processus d'évaluation, la conclusion qu'il n'y a eu aucun préjudice ou que celui‑ci était minime est importante. Les raisons pour lesquelles on accorde une importance primordiale au préjudice ont été jugées compatibles avec l'objet de l'al. 11b), qui est de protéger les droits de l'accusé et le double intérêt de la société à ce qu'un accusé soit traité de façon humaine et équitable et à ce que les personnes accusées de crimes soient traduites en justice.

Après avoir soupesé tous les facteurs, le juge Osborne a statué que le délai n'était pas déraisonnable. Il a conclu que le préjudice dont on pouvait déduire l'existence était minime et que rien dans le dossier ne donnait à penser que l'intimé avait jamais tenté d'obtenir une date plus rapprochée pour la tenue des conférences préparatoires, de l'enquête préliminaire ou du procès. Tout en soulignant que [traduction] «la ligne de démarcation peut être très mince entre l'acceptation de l'impossibilité de modifier le rythme des procédures et la satisfaction de la rapidité avec laquelle elles se déroulent», le juge Osborne a statué que les lignes directrices formulées dans l'arrêt Morin n'établissent pas un délai de prescription et que l'appréciation de tous les aspects du délai en l'espèce amenait à conclure qu'il n'était pas déraisonnable.

Le juge Osborne a donc conclu qu'il y avait lieu d'accueillir l'appel, d'annuler l'arrêt des procédures et de renvoyer l'affaire pour qu'un procès soit tenu promptement.

Les questions en litige

Deux questions sont en litige: (1) le délai écoulé avant la fin du procès était‑il déraisonnable au point de violer les dispositions de l'al. 11b) de la Charte? Et (2) l'al. 11b) s'applique‑t‑il au délai résultant des procédures d'appel?

Le délai antérieur au procès

Le juge Osborne de la Cour d'appel a analysé en détail les faits relatifs à cette question en fonction des principes formulés par notre Cour dans l'arrêt R. c. Morin, précité. Compte tenu de la façon d'aborder l'examen des arrêts des tribunaux d'appel relativement à l'application de l'al. 11b), que notre Cour a adoptée dans l'arrêt R. c. Stensrud, [1989] 2 R.C.S. 1115, je ferais miens les motifs et les conclusions du juge Osborne et je rejetterais ce moyen d'appel.

Le délai d'appel

Cette question a été soulevée devant la Cour d'appel mais elle n'a pas été examinée. J'en suis venu à la conclusion que l'al. 11b) ne s'applique pas au délai écoulé dans le cas d'un appel interjeté par l'accusé contre sa déclaration de culpabilité ou dans le cas d'un appel interjeté par le ministère public contre un acquittement. De plus, il n'existe pas à mon avis de différence à cet égard entre un arrêt des procédures et un acquittement prononcé à la suite d'un procès.

L'article 11 de la Charte doit être interprété d'une manière qui s'harmonise autant que possible avec tous ses alinéas. Dans l'arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, à la p. 353, le juge La Forest affirme, au nom de la majorité:

Comme je l'ai fait observer dans l'arrêt Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500, on doit prêter à l'expression «Tout inculpé», au début de l'article, un sens fixe qui soit en harmonie avec les différents alinéas de cet article. Il me paraît évident qu'aux fins de l'art. 11 il ne siérait pas du tout de conclure qu'une personne reconnue coupable d'une infraction se voit inculper d'une autre infraction lorsqu'elle fait l'objet d'une demande fondée sur la partie XXI. Comment peut‑on prétendre que le droit d'être présumé innocent tant qu'on n'est pas déclaré coupable (al. 11d)) et le droit d'être mis en liberté sous caution (al. 11e)), par exemple, pourraient jouer dans le contexte de la procédure spéciale prévue à la partie XXI pour des cas où il y a déjà eu déclaration de culpabilité? [Souligné dans l'original.]

Plusieurs des droits énoncés à l'art. 11 ne peuvent pas s'appliquer aux appels et se limitent au procès ou aux procédures préparatoires au procès. Si l'expression «[t]out inculpé» à l'al. 11b) vise nécessairement l'accusé en tant que partie à un appel, la même conclusion devrait alors s'appliquer aux autres alinéas de cet article. Or, un examen des différents alinéas montre clairement que les al. 11a), c), f) et i) ne s'appliquent pas aux appels. L'alinéa 11e) ne pourrait pas s'appliquer à un appelant qui a été acquitté et les autres alinéas concernent principalement ce qui se passe au procès même s'ils pourraient exceptionnellement s'appliquer dans une certaine mesure lors d'un appel.

Je conclus de ce qui précède qu'en règle générale l'expression «[t]out inculpé» au sens de l'al. 11 ne vise pas un accusé qui est partie à un appel. Un alinéa donné peut s'appliquer aux procédures d'appel par exception à la règle générale si son objet et son texte justifient cette conclusion. Après avoir examiné l'objet et le texte de l'al. 11b), j'ai conclu que l'interprétation qui permet de mettre à exécution ces deux éléments et qui s'harmonise le mieux avec les autres alinéas est qu'il s'applique à la période antérieure au procès et au procès lui‑même, mais non aux procédures d'appel. Quoique, dois‑je avouer avec un certain embarras, j'aie exprimé un point de vue différent dans la dissidence que j'ai rédigée dans l'arrêt R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S 1659, j'en suis venu à cette conclusion compte tenu de l'expérience additionnelle considérable que notre Cour a acquise en matière d'application de l'al. 11b) depuis l'arrêt Conway. Je mentionne, en particulier, l'arrêt R. c. Kalanj, [1989] 1 R.C.S. 1594, et les arrêts qui l'ont suivi quant à l'objet de l'al. 11b).

Les objets généraux de l'al. 11b) ont récemment été exposés de nouveau dans l'arrêt R. c. Morin, précité, à la p. 786:

Les droits individuels que l'alinéa cherche à protéger sont: (1) le droit à la sécurité de la personne, (2) le droit à la liberté et (3) le droit à un procès équitable.

L'alinéa 11b) protège le droit à la sécurité de la personne en tentant de diminuer l'anxiété, la préoccupation et la stigmatisation qu'entraîne la participation à des procédures criminelles. Il protège le droit à la liberté parce qu'il cherche à réduire l'exposition aux restrictions de la liberté qui résulte de l'emprisonnement préalable au procès et des conditions restrictives de liberté sous caution. Pour ce qui est du droit à un procès équitable il est protégé par la tentative de faire en sorte que les procédures aient lieu pendant que la preuve est disponible et récente.

Si ces objets étaient formulés sans réserve à l'al. 11b), il serait difficile de soutenir que l'article ne s'applique pas aux appels. Cet article a toutefois été interprété de manière à protéger ces droits non pas contre les conséquences de tous les délais, mais seulement contre les conséquences d'un délai résultant d'une inculpation formelle. En l'absence d'une telle inculpation, des conséquences analogues découlant d'autres aspects de l'activité gouvernementale dans le processus criminel ne déclenchent pas la protection garantie par cette disposition. Par conséquent, dans l'arrêt Kalanj, précité, notre Cour était saisie d'une situation où les accusés avaient été arrêtés après une longue enquête. Le jour de leur arrestation, les accusés ont été soumis à la prise des empreintes digitales et remis en liberté; on les a toutefois informés qu'ils ne devaient pas quitter la ville, que des accusations seraient portées contre eux et qu'ils seraient assignés à comparaître. Les accusations ont été portées plus de huit mois plus tard. Notre Cour était invitée à statuer que l'al. 11b) devrait s'appliquer au délai antérieur à l'accusation en raison des droits qui le sous‑tendent. On pourrait certainement assimiler l'atteinte aux droits garantis par l'art. 11 au sens large aux conséquences du dépôt d'une accusation. L'opprobre et l'angoisse découlant de l'arrestation et de la prise des empreintes digitales seraient plus importantes que les conséquences du dépôt d'une accusation suivie d'une assignation à comparaître. La restriction de la liberté était analogue à celle qui se produit lorsqu'une accusation est portée et que l'accusé est libéré sous caution. Le délai antérieur au procès a le même effet sur le caractère nouveau de la preuve que le délai postérieur au dépôt d'une accusation. Notre Cour a néanmoins statué que les accusés n'étaient pas inculpés tant qu'une accusation officielle n'avait pas été déposée, et que l'al. 11b) ne s'appliquait pas. Cet arrêt a été appliqué pour écarter l'examen du délai antérieur au dépôt d'une accusation à moins que l'accusé ne puisse établir qu'il y a eu violation de l'art. 7. Voir l'arrêt R. c. L. (W.K.), [1991] 1 R.C.S. 1091.

Il s'ensuit de l'arrêt Kalanj que l'al. 11b) ne s'applique pas à moins que la restriction des droits que cet alinéa protège découle d'une accusation réelle. Les circonstances qui engendrent les mêmes conséquences ne peuvent faire l'objet de la protection de cette disposition à moins que ces conséquences ne découlent du dépôt d'une accusation officielle. La question en litige dans le présent pourvoi est de savoir si l'on peut établir une distinction entre les conséquences du délai résultant d'un appel interjeté contre un acquittement ou une déclaration de culpabilité et le délai antérieur à l'accusation, et si elles sont imputables à l'existence d'une accusation officielle.

Évidemment, pendant la période qui suit un acquittement et la signification d'un avis d'appel, la personne acquittée n'est pas inculpée. Aucune procédure visant à inculper la personne acquittée n'est en branle. Une fois l'appel interjeté, il existe une possibilité, plus ou moins forte selon le cas, que l'acquittement soit annulé et que l'accusation soit rétablie. La personne acquittée se trouve dans la même situation critique que celle visée par un acte gouvernemental susceptible d'entraîner le dépôt d'une accusation. À cet égard, l'ancien accusé est comme le suspect qui a fait l'objet d'une enquête et au sujet duquel des accusations sont envisagées en attendant que la poursuite prenne une décision. En fait, l'accusé acquitté est moins susceptible que le suspect de faire l'objet d'une accusation. Dans le premier cas, aucune accusation ne peut être rétablie tant que l'acquittement n'est pas annulé en raison d'une erreur de droit qui, d'après ce que la cour détermine avec une certitude raisonnable, a influé sur la décision rendue au procès. Dans le deuxième cas, le seul obstacle entre le suspect et le dépôt d'une accusation est la décision ex parte de la poursuite. Il serait absurde d'accorder une protection pendant la période d'appel à l'accusé qui a été acquitté et non au suspect qui attend le dépôt d'une accusation qui, il le sait, ne dépend que de la décision de la poursuite.

Il y a encore moins de raisons d'accorder la protection de l'al. 11b) à la personne reconnue coupable qui interjette appel. L'appel n'est pas en soi un acte gouvernemental. Dans l'arrêt R. c. CIP Inc., [1992] 1 R.C.S. 843, le juge Stevenson a déclaré au nom de la Cour, aux pp. 864 et 865:

Nous examinons la décision qui a été rendue le 1er novembre 1988. Après cette date, le délai est attribuable à la procédure d'appel et, en grande partie, à la décision de l'appelante d'interjeter appel. C'est l'appelante qui a engagé les procédures dont elle se plaint maintenant et elle doit accepter les inconvénients inhérents à un examen complet par les tribunaux d'appel. Aucun élément de preuve n'a été produit ni aucun argument avancé à l'appui de l'existence de quelque circonstance extraordinaire ayant prolongé ce processus d'examen.

Le délai imputable à quelque circonstance extraordinaire dont parle le juge Stevenson serait attribué non pas au fait que l'accusé est inculpé, mais plutôt à la déclaration de culpabilité. Une personne reconnue coupable d'une infraction n'est pas un inculpé. Voir l'arrêt Lyons, précité, à la p. 353. L'effet d'une telle circonstance extraordinaire devrait, selon l'art. 7, être apprécié en fonction de ses répercussions sur l'équité des procédures.

Notre analyse a été axée sur l'interprétation de l'expression «[t]out inculpé» de l'al. 11b), en fonction de l'objet de cet alinéa. L'utilisation du terme «jugé» étaye la conclusion que cette expression limite l'application de l'alinéa au procès. Il semblerait que, si on avait voulu que cet alinéa s'applique non seulement au procès mais encore à la décision finale, on aurait eu recours à une formulation plus appropriée. C'est ce qu'illustre la décision de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Wemhoff, arrêt du 27 juin 1968, série A no 7. La cour y a examiné deux dispositions de la Convention: les par. 5(3) et 6(1). Le premier paragraphe prévoyait que «[t]oute personne [. . .] a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable . . .», tandis que le deuxième prévoyait que «[t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement [. . .] par un tribunal [. . .] qui décidera [. . .] du bien‑fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle». La cour a statué que le premier paragraphe s'appliquait uniquement au procès alors que le deuxième visait également la décision finale même si celle‑ci avait été portée en appel. Il ne fait aucun doute que les rédacteurs de la Charte connaissaient ces textes et le choix de termes plus restrictifs est révélateur.

Cela ne signifie pas que l'al. 11b) ne peut plus être invoqué lorsqu'un appel est interjeté contre une décision portant sur une accusation. En effet, si le jugement est annulé en appel et si l'affaire est renvoyée pour la tenue d'un procès, l'accusé redevient un inculpé. Comme l'a affirmé D.H. Doherty (maintenant juge à la Cour d'appel de l'Ontario) dans «More Flesh on the Bones: The Continued Judicial Interpretation of s. 11(b) of the Canadian Charter of Rights and Freedoms» (1984), Association du Barreau canadien — Ontario; Annual Institute on Continuing Legal Education, à la p. 9:

[traduction] L'alinéa 11b) ne semble pas s'appliquer au stade de l'appel. Il garantit qu'un procès sera tenu dans un délai raisonnable, mais non qu'une décision finale sera rendue en appel dans ce même délai. Toutefois, lorsqu'un nouveau procès est ordonné en appel ou si quelque autre ordonnance enjoint de poursuivre le procès, le délai prévu par la Constitution devrait recommencer à courir au moment où le tribunal d'appel rend son ordonnance.

La Cour suprême des États‑Unis est arrivée à une conclusion analogue. Dans l'arrêt United States c. Loud Hawk, 474 U.S. 302 (1986), on alléguait que la garantie d'un procès rapide au Sixième amendement s'appliquait à un appel interjeté par le gouvernement contre le rejet d'accusations avant la tenue d'un procès sur le fond en raison du trop long délai qui s'était écoulé avant que les poursuites ne soient engagées. La cour affirme, aux pp. 311 et 312:

[traduction] Pendant une grande partie du litige, les intimés n'ont fait l'objet d'aucun acte d'accusation et n'ont pas dû fournir de cautionnement. Il aurait fallu engager d'autres procédures judiciaires pour les soumettre à quelque restriction que ce soit [. . .] Comme nous l'avons dit dans l'arrêt MacDonald: «(Q)uand aucune accusation n'est pendante, l'atteinte à la liberté individuelle n'est certainement pas la même que lorsqu'une personne a été arrêtée et qu'on attend le dépôt d'accusations. Une fois que les accusations portées contre lui sont rejetées, le "citoyen ne se voit imposer aucune restriction à sa liberté et il (ne fait plus) l'objet d'une accusation publique: sa situation ne se compare pas à celle d'un défendeur qui a été arrêté et détenu pour répondre à des accusations"» . . .

Les intimés soutiennent que la garantie d'un procès rapide devrait s'appliquer à cette période parce que la volonté du gouvernement de les poursuivre était connue du public. Toutefois, les soupçons du public ne suffisent pas pour justifier le délai au profit d'une demande de procès rapide présentée par un défendeur. Nous estimons qu'après que la Cour de district eut rejeté l'acte d'accusation contre les intimés et que ces derniers eurent été libérés sans condition, ils étaient «dans la même situation que toute autre personne faisant l'objet d'une enquête criminelle» [. . .] La clause prévoyant la tenue d'un procès rapide n'a pas pour objet de protéger un défendeur contre toutes les conséquences d'un délai écoulé avant le procès. Par exemple, elle ne limite pas la durée d'une enquête criminelle antérieure à la mise en accusation même si «la connaissance (par le suspect) qu'une enquête criminelle en cours causera un stress, un malaise et peut‑être une certaine perturbation de la vie normale» . . . [Je souligne].

Les tribunaux américains semblent recourir non pas à l'arrêt des procédures, mais plutôt au rejet des accusations final ou sous toutes réserves («dismissal with or without prejudice»). Le rejet final des accusations («dismissal with prejudice») est analogue à un arrêt des procédures et les accusations ne peuvent être portées de nouveau que si l'ordonnance les rejetant est annulée en appel. Le rejet des accusations sous toutes réserves («dismissal without prejudice») permet de porter de nouveau les accusations sans intenter une autre action. Alors que la garantie d'un procès rapide au Sixième amendement s'applique aux appels interjetés contre des ordonnances interlocutoires qui ne rejettent pas les accusations, la réparation relative aux délais d'appel, en cas de rejet final des accusations, réside dans la garantie de procédure équitable prévue au Quatorzième amendement. Voir: Simmons c. Reynolds, 898 F.2d 865 (2nd Cir. 1990), à la p. 868; United States c. Antoine, 906 F.2d 1379 (9th Cir. 1990), à la p. 1382; United States c. Kimmons, 917 F.2d 1011 (7th Cir. 1990), aux pp. 1013 à 1015; Burkett c. Cunningham, 826 F.2d 1208 (3rd Cir. 1987), à la p. 1221; DeLancy c. Caldwell, 741 F.2d 1246 (10th Cir. 1984), à la p. 1248; United States c. Johnson, 732 F.2d 379 (4th Cir. 1984), aux pp. 381 à 383; United States c. Pratt, 645 F.2d 89 (1st Cir. 1981); Rheuark c. Shaw, 628 F.2d 297 (5th Cir. 1980), aux pp. 300 à 304, certiorari refusé 450 U.S. 931 (1981); Roque c. Puerto Rico, 558 F.2d 606 (1st Cir. 1976); People c. Cousart, 444 N.E.2d 971 (N.Y. 1982).

Ma conclusion s'applique tant aux appels interjetés contre des acquittements qu'à ceux interjetés contre des déclarations de culpabilité. De plus, je ne vois aucun motif valable de faire une distinction entre un acquittement sur le fond et un arrêt des procédures. Compte tenu du droit garanti par l'al. 11b), les différences entre un acquittement et un arrêt des procédures sont purement techniques. Dans les deux cas, l'accusé peut invoquer le moyen de défense d'autrefois acquit et aucune procédure ne peut être engagée à l'égard de la même accusation à moins que l'acquittement ou l'arrêt des procédures ne soit annulé en appel. En attendant l'appel, la liberté de l'ancien accusé ne peut faire l'objet d'aucune restriction. Rien ne permet de présumer que l'existence théorique d'une accusation suspendue crée un opprobre plus grand pour l'intimé ou lui cause plus d'angoisse dans un appel interjeté contre un arrêt des procédures que dans un appel interjeté contre un acquittement. Il n'y a certes aucune preuve sur ce point. Je doute que le public saisisse la différence. Un acquittement impopulaire suscite autant d'indignation au sein du public qu'un arrêt des procédures. Le degré d'angoisse dépend davantage de la force des moyens d'appel que du verdict prononcé. Le juge Estey a bien résumé ces observations dans l'arrêt Amato c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 418, à la p. 457:

Bien qu'on puisse dire que l'accusation pèse encore sur l'accusé, c'est une observation purement théorique puisqu'elle ne peut être poursuivie devant aucune cour.

L'application de l'article 7

Cette conclusion ne prive pas l'appelant ou l'intimé, dans une affaire criminelle, de tout recours lorsque le délai écoulé pendant les procédures d'appel a une incidence sur l'équité du procès. Quoique l'al. 11b) ne s'applique pas, l'art. 7 peut, dans certains cas appropriés, offrir une réparation. Dans l'arrêt R. c. L. (W.K.), précité, notre Cour a statué qu'en ce qui concerne le délai antérieur à l'accusation, il est possible de recourir à l'art. 7 si les circonstances particulières de l'affaire indiquent que le délai a eu une incidence sur l'équité du procès. Il s'agit là simplement de l'application au délai du pouvoir de la cour de remédier à un abus de procédure, qui est consacré comme principe de justice fondamentale à l'art. 7. Le principe général applicable a été énoncé dans l'arrêt R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128, aux pp. 136 et 137. Le juge en chef Dickson a fait sien l'extrait suivant de la décision du juge Dubin (maintenant Juge en chef de l'Ontario) dans l'arrêt R. c. Young (1984), 40 C.R. (3d) 289, à la p. 329:

[traduction] . . . le juge du procès a un pouvoir discrétionnaire résiduel de suspendre l'instance lorsque forcer le prévenu à subir son procès violerait les principes de justice fondamentaux qui sous‑tendent le sens du franc‑jeu et de la décence qu'a la société, ainsi que d'empêcher l'abus des procédures de la cour par une procédure oppressive ou vexatoire.

Ce critère a été énoncé de nouveau dans l'arrêt R. c. Keyowski, [1988] 1 R.C.S. 657.

Outre l'art. 7, les règles d'appel en matière criminelle et les dispositions du Code criminel offrent à une partie à un appel, dans une affaire criminelle, divers recours à presque toutes les étapes du processus d'appel. Cela permet à la partie intéressée à ce qu'un appel soit tranché promptement d'éliminer tout délai important de la part de la partie adverse. Quant au délai systémique, il est possible de recourir à l'art. 7 dans les cas où un préjudice réel est causé.

Cela soulève la question du tribunal approprié pour entendre une demande de réparation fondée sur l'art. 7 relativement au délai d'appel. Dans l'arrêt R. c. Gallagher, [1993] 2 R.C.S. 000, l'avocat de l'intimée a soutenu qu'une cour d'appel ne devrait pas trancher des questions de première instance qui peuvent nécessiter des conclusions de fait. Certes, aucune solution n'est parfaite, mais je suis d'avis que le tribunal approprié est celui où le délai est survenu. C'est ce tribunal qui est le mieux placé pour évaluer les conséquences du délai. En outre, cette façon de faire évite d'avoir à renvoyer la question à un tribunal de première instance chaque fois qu'il est déterminé qu'il y a eu un délai grave. Elle évite aussi la situation embarrassante qu'entraînerait inévitablement le fait pour une instance inférieure de commenter les procédures d'une instance supérieure, qui doit, à son tour, les réviser. Bien qu'en règle générale les affaires de première instance ne soient pas tranchées en cour d'appel, la nature des questions et de la documentation à l'appui ne serait pas radicalement différente de celle des questions et de la documentation des autres requêtes dont une cour d'appel est saisie. Si un autre appel peut être interjeté contre la décision du premier tribunal d'appel, la question du délai peut être examinée par le deuxième tribunal d'appel en même temps que les conséquences de ce délai additionnel causé par le deuxième appel. Comme c'est le cas des autres questions portées en appel, notre Cour ne croit pas que des questions litigieuses devraient être soulevées pour la première fois lors d'un pourvoi formé devant elle.

Application à la présente affaire

Lors du présent pourvoi, on n'a fourni aucune preuve ni tenté de démontrer que le délai d'appel a causé un préjudice réel. L'avocat de l'appelant a admis tout à fait à juste titre qu'il n'était pas possible d'établir l'existence d'une violation de l'art. 7 et je n'en constate aucune. Le pourvoi est donc rejeté.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l'appelant: Greenspan, Humphrey, Toronto.

Procureur de l'intimée: Procureur général de l'Ontario, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Procès dans un délai raisonnable - Délai de vingt‑six mois écoulé avant la tenue du procès, incluant les délais pour satisfaire aux demandes de la défense et du ministère public - Arrêt des procédures accordé - Délai d'appel de dix‑huit mois écoulé à compter du moment où l'arrêt des procédures a été accordé - Le délai antérieur au procès contrevient-il à l'art. 11b) de la Charte? - L'article 11b) s'applique‑t‑il au délai d'appel? - L'article 7 (abus de procédure) s'applique‑t‑il au délai d'appel? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11b).

Droit criminel - Droit constitutionnel - Charte des droits - Procès dans un délai raisonnable - Délai de vingt‑six mois écoulé avant la tenue du procès, incluant les délais pour satisfaire aux demandes de la défense et du ministère public - Arrêt des procédures accordé - Délai d'appel de dix‑huit mois écoulé à compter du moment où l'arrêt des procédures a été accordé - Le délai antérieur au procès contrevient-il à l'art. 11b) de la Charte? - L'article 11b) s'applique‑t‑il au délai d'appel? - L'article 7 (abus de procédure) s'applique‑t‑il au délai d'appel? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11b).

Dans une dénonciation faite sous serment le 15 septembre 1988, l'appelant a été accusé de négligence criminelle causant la mort. Il a été remis en liberté en échange d'une promesse de comparaître. Il y a eu une série de longs délais (en partie pour satisfaire aux demandes du ministère public et de la défense) relativement à des questions préalables à un procès et une date de procès a finalement été fixée au 3 décembre 1990. Ce jour‑là, l'appelant a fait valoir qu'il y avait eu violation du droit d'être jugé dans un délai raisonnable que lui garantissait l'al. 11b) de la Charte et il a invoqué le par. 24(1) de la Charte pour demander et obtenir un arrêt des procédures. Le 24 décembre 1990, le procureur général a interjeté appel contre l'arrêt des procédures et l'audition de l'appel a été fixée au 24 avril 1992. Le 22 juin 1992, la Cour d'appel a accueilli l'appel, annulé l'arrêt des procédures et renvoyé l'affaire pour qu'un procès soit tenu promptement. Les questions dont a été saisie notre Cour étaient de savoir si le délai écoulé avant la fin du procès était déraisonnable au point de violer les dispositions de l'al. 11b) de la Charte et si l'al. 11b) s'appliquait au délai résultant des procédures d'appel.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et Iacobucci: L'appel fondé sur le délai antérieur au procès a été rejeté pour les motifs exposés par le juge Osborne.

L'alinéa 11b) ne s'applique pas au délai écoulé dans le cas d'un appel interjeté par l'accusé contre sa déclaration de culpabilité ou dans le cas d'un appel interjeté par le ministère public contre un acquittement ou un arrêt des procédures. Il n'existe pas de différence à cet égard entre un arrêt des procédures et un acquittement prononcé à la suite d'un procès.

En règle générale, l'expression «[t]out inculpé» au sens de l'art. 11 ne vise pas un accusé qui est partie à un appel. Un alinéa précis de l'art. 11 peut toutefois s'appliquer aux procédures d'appel par exception à la règle générale si son objet et son texte justifient cette conclusion. Cependant, l'al. 11b) a été interprété comme s'appliquant seulement aux conséquences d'un délai résultant d'une inculpation formelle et non pas aux conséquences de tous les délais. En l'absence d'une telle inculpation, des conséquences analogues découlant d'autres aspects de l'activité gouvernementale dans le processus criminel ne déclenchent pas la protection garantie par cette disposition.

Pendant la période qui suit un acquittement et la signification d'un avis d'appel, la personne acquittée n'est pas inculpée parce qu'aucune procédure visant à l'inculper n'est en branle. Une fois l'appel interjeté, il existe une possibilité que l'acquittement soit annulé et que l'accusation soit rétablie. La personne acquittée se trouve dans la même situation critique que celle visée par un acte gouvernemental susceptible d'entraîner le dépôt d'une accusation. À cet égard, l'ancien accusé est comme le suspect qui a fait l'objet d'une enquête et au sujet duquel des accusations sont envisagées en attendant que la poursuite prenne une décision. Il y a encore moins de raisons d'accorder la protection de l'al. 11b) à la personne reconnue coupable qui interjette appel, parce que l'appel n'est pas un acte gouvernemental.

L'utilisation du terme «jugé» étaye la conclusion que l'expression «[t]out inculpé» de l'al. 11b) limite l'application de l'alinéa au procès. Si on avait voulu que cet alinéa s'applique également à la décision finale, on aurait eu recours à une formulation plus appropriée.

L'alinéa 11b) peut encore être invoqué lorsqu'un appel est interjeté contre une décision portant sur une accusation. Si le jugement est annulé en appel et si l'affaire est renvoyée pour la tenue d'un procès, l'accusé redevient un inculpé.

L'appelant ou l'intimé, dans une affaire criminelle, n'est pas privé de tout recours lorsque le délai écoulé pendant les procédures d'appel a une incidence sur l'équité du procès. On applique simplement au délai le pouvoir de la cour de remédier à un abus de procédure, qui est consacré comme principe de justice fondamentale à l'art. 7. Les règles d'appel en matière criminelle et les dispositions du Code criminel offrent également à une partie à un appel, dans une affaire criminelle, divers recours permettant d'éliminer tout délai important de la part de la partie adverse.

Le tribunal approprié pour entendre une demande de réparation fondée sur l'art. 7 de la Charte est celui où le délai est survenu. C'est ce tribunal qui est le mieux placé pour évaluer les conséquences du délai. Si un autre appel peut être interjeté contre la décision du premier tribunal d'appel, la question du délai peut être examinée par le deuxième tribunal d'appel en même temps que les conséquences de ce délai additionnel causé par le deuxième appel. Notre Cour ne croit pas que des questions litigieuses devraient être soulevées pour la première fois lors d'un pourvoi formé devant elle.

Le juge en chef Lamer et les juges McLachlin et Major: Le terme «inculpé» s'entend d'une personne sous l'emprise du processus criminel. Cette personne demeure inculpée aux fins de l'al. 11b) jusqu'à ce qu'une décision finale sur les accusations portées vienne la soustraire définitivement au péril du processus criminel.

Un bon nombre des droits énumérés à l'art. 11 se limitent aux premiers stades du processus criminel. Mais d'autres, comme ceux énumérés aux al. 11h) et 11g), s'appliquent nettement après un verdict. Puisque l'art. 11 vise à garantir l'équité à tous les stades du processus criminel, on ne saurait conclure que l'al. 11b) doit nécessairement être restreint à la phase antérieure à l'arrêt des procédures ou au verdict.

Les droits que l'al. 11b) vise à protéger jouent tous durant la période comprise entre le verdict ou l'arrêt des procédures et la décision finale relative aux accusations criminelles. Le langage et le contexte de l'alinéa indiquent qu'il n'est pas limité à la période du processus criminel antérieure à l'arrêt des procédures ou au verdict. Même si la restriction des droits que l'al. 11b) protège doit découler d'une accusation réelle, il ne faut pas en conclure que l'al. 11b) ne s'applique pas au délai d'appel postérieur à l'arrêt des procédures ou au verdict. Si l'on considère que le terme «inculpé» est synonyme de «personne assujettie au processus criminel», l'al. 11b) s'appliquerait même après le verdict. Les procédures d'appel résultent d'une accusation réelle et leur validité en dépend. La personne qui fait face à la possibilité d'un nouveau procès à la suite du processus d'appel, peu importe qu'il y ait eu au départ un acquittement, une déclaration de culpabilité ou un arrêt des procédures, peut faire l'objet d'une injustice résultant d'un délai.

Compte tenu de ses objets, l'al. 11b) s'applique aux délais postérieurs à l'arrêt des procédures ou au verdict. Il n'est pas nécessaire, d'un point de vue pratique, d'adopter une méthode complexe qui fasse appel à deux principes pour apprécier les délais écoulés dans le processus criminel parce que les mêmes principes généraux peuvent et devraient s'appliquer pendant tout le processus, même si leur incidence peut varier selon les particularités et le stade du délai. Les procédures interlocutoires de première instance et d'appel peuvent être entrelacées à tel point qu'il est illogique de tenter d'appliquer des règles de droit distinctes selon le stade où en est le processus.

Les principes applicables en vertu de l'al. 11b) sont les suivants: (1) la longueur du délai; (2) la renonciation, s'il en est, à invoquer certaines parties du délai; (3) les raisons du délai; (4) le préjudice subi par la personne assujettie au processus criminel. Ces principes sont assez larges et souples pour s'appliquer au stade du processus criminel qui suit l'arrêt des procédures ou le verdict.

En raison des nombreuses circonstances différentes qui peuvent exister au stade postérieur au verdict ou à l'arrêt des procédures, il est nécessaire d'aborder de façon souple la question de la réparation. La Charte habilite le tribunal à accorder la réparation qui peut être juste eu égard à toutes les circonstances. En choisissant une réparation, il y a lieu de tenir compte de facteurs comme la durée et la nature du délai, la gravité de l'infraction, la nature du préjudice subi par l'accusé et de tout préjudice inhérent au délai causé à l'accusé sur le plan de sa défense.

Il y a lieu de faire preuve de souplesse quant au choix du tribunal qui doit accorder la réparation. Cela reviendrait à tronquer et à compliquer inutilement les procédures si seuls les tribunaux de première instance pouvaient connaître des délais antérieurs à l'arrêt des procédures ou au verdict et seules les cours d'appel pouvaient connaître des délais d'appel.

Le juge La Forest: L'alinéa 11b) de la Charte ne s'applique pas aux délais d'appel. Compte tenu de la corrélation de l'art. 7 et de l'al. 11b), l'art. 7 peut dans certains contextes fournir, aux intérêts que le droit garanti à l'al. 11b) est destiné à protéger, une protection résiduelle allant au‑delà de la protection précise qu'il offre. Ces intérêts peuvent aussi bénéficier d'une protection au stade de l'appel, mais sous réserve des considérations spéciales propres au processus d'appel et donc au choix d'une réparation convenable. En particulier, l'arrêt des procédures ne devrait pas servir de réparation convenable aux délais d'appel aussi souvent qu'aux délais de première instance. Le point de vue exprimé par le juge McLachlin au sujet de ces questions et du tribunal approprié pour examiner les délais est généralement partagé. Cependant, ses préoccupations concernant un système à deux volets ne sont pas partagées. En appel, on peut accorder de l'importance au délai antérieur à l'appel et il peut y avoir un examen du délai d'appel lorsque les plaintes au sujet du délai d'appel sont formulées au procès à la suite d'un examen en appel. L'article 7 et l'al. 11b) ne s'excluent pas mutuellement. La Charte est un instrument organique.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Potvin

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Sopinka
Arrêts mentionnés: R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771
R. c. Stensrud, [1989] 2 R.C.S. 1115
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659
R. c. Kalanj, [1989] 1 R.C.S. 1594
R. c. L. (W.K.), [1991] 1 R.C.S. 1091
R. c. CIP Inc., [1992] 1 R.C.S. 843
Cour eur. D. H., affaire Wemhoff, arrêt du 27 juin 1968, série A no 7
United States c. Loud Hawk, 474 U.S. 302 (1986)
Simmons c. Reynolds, 898 F.2d 865 (1990)
United States c. Antoine, 906 F.2d 1379 (1990)
United States c. Kimmons, 917 F.2d 1011 (1990)
Burkett c. Cunningham, 826 F.2d 1208 (1987)
DeLancy c. Caldwell, 741 F.2d 1246 (1984)
United States c. Johnson, 732 F.2d 379 (1984)
United States c. Pratt, 645 F.2d 89 (1981)
Rheuark c. Shaw, 628 F.2d 297 (1980), certiorari refusé 450 U.S. 931 (1981)
Roque c. Puerto Rico, 558 F.2d 606 (1976)
People c. Cousart, 444 N.E.2d 971 (1982)
Amato c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 418
R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128
R. c. Young (1984), 40 C.R. (3d) 289
R. c. Keyowski, [1988] 1 R.C.S. 657
R. c. Gallagher, [1993] 2 R.C.S. 000.
Citée par le juge McLachlin
Arrêts mentionnés: R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588
R. c. Kalanj, [1989] 1 R.C.S. 1594
R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771
R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128
R. c. Keyowski, [1988] 1 R.C.S. 657, conf. (1986), 49 Sask. R. 64
R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903.
Citée par le juge La Forest
Arrêts mentionnés: Cour eur. D. H., affaire Wemhoff, arrêt du 27 juin 1968, série A no 7
R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588
Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11a), b), c), e), f), g), h), i), 24(1).
Constitution des États-Unis, 6e et 14e amendements.
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 213 R.T.N.U. 223, art. 5(3), 6(1).
Doctrine citée
Doherty, D. H. "More Flesh on the Bones: The Continued Judicial Interpretation of s. 11(b) of the Canadian Charter of Rights and Freedoms" (1984), Association du Barreau canadien -‑ Ontario
Annual Institute on Continuing Legal Education.
Morgan, Donna C. "Controlling Prosecutorial Powers — Judicial Review, Abuse of Process and Section 7 of the Charter" (1986), 29 Crim. Law Q. 15.

Proposition de citation de la décision: R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880 (12 août 1993)


Origine de la décision
Date de la décision : 12/08/1993
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1993] 2 R.C.S. 880 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-08-12;.1993..2.r.c.s..880 ?
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