Murphy c. Welsh; Stoddard c. Watson, [1993] 2 R.C.S. 1069
Lorna Stoddard Appelante
c.
Wanda Watson et Tilden
Rent‑a‑Car Intimées
et
Sharon‑Leigh Murphy (également connue sous le nom
de Sharon Murphy) et Jamie Murphy, par sa
tutrice à l'instance Sharon‑Leigh Murphy
et
Frederick Welsh (également connu sous le nom de
Fred Welsh)
et
Hastings, Charlebois, Feltmate,
Fur et Delibato Intervenants
Répertorié: Murphy c. Welsh; Stoddard c. Watson
No du greffe: 22601.
1993: 31 mai; 1993: 2 septembre.
Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (Stoddard c. Watson) (1991), 3 O.R. (3d) 182, 81 D.L.R. (4th) 475, 50 O.A.C. 246, 4 C.P.C. (3d) 301, qui a accueilli l'appel interjeté contre la décision du juge Osborne d'accueillir l'action de l'appelante. Pourvoi accueilli.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (Murphy c. Welsh) (1991), 3 O.R. (3d) 182, 81 D.L.R. (4th) 475, 50 O.A.C. 246, 4 C.P.C. (3d) 301, qui a accueilli l'appel interjeté contre la décision de la Cour divisionnaire (1967), 62 O.R. (2d) 159 n, 44 D.L.R. (4th) 192 n, 31 C.P.C. (2d) 209, de rejeter l'appel interjeté contre le jugement du juge Rosenberg (1986), 57 O.R. (2d) 622, 33 D.L.R. (4th) 762, 15 C.P.C. (2d) 173, qui avait rejeté l'appel interjeté contre une ordonnance du juge Stayshyn accordant une prorogation rétroactive du délai imparti pour intenter l'action. Pourvoi accueilli relativement à l'action de Jamie Murphy; pourvoi rejeté relativement à l'action de Sharon Murphy et à l'action oblique de Jamie Murphy.
W. L. N. Somerville, c.r., et R. B. Bell, pour l'appelante.
William S. Zener, pour les intimées.
William Morris, c.r., et Michael W. Kelly, pour les intervenants Sharon‑Leigh Murphy et Jamie Murphy, par sa tutrice à l'instance Sharon‑Leigh Murphy.
Ian Scott, c.r., Thomas D. Galligan et Andrew K. Lokan, pour l'intervenant Frederick Welsh.
W. L. N. Somerville, c.r., pour l'intervenant le cabinet Hastings, Charlebois, Feltmate, Fur et Delibato.
//Le juge Major//
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Major --
I.Les faits
Les pourvois Stoddard c. Watson et Murphy c. Welsh (C.S.C., no du greffe 22542) portent sur l'interprétation des dispositions législatives en matière de prescription. Le régime de l'Ontario en matière de prescription est établi par la Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1980, ch. 240, et diverses autres lois. D'une manière générale, l'art. 45 de la Loi sur la prescription des actions établit un délai de prescription de six ans pour les actions fondées sur la négligence, à moins qu'un délai plus court ne soit prévu ailleurs. Aux termes du Code de la route, L.R.O. 1980, ch. 198, par. 180(1), (ci-après le «par. 180(1)») le délai de prescription est réduit à deux ans. Voici le texte de l'art. 180:
180 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), il est interdit d'intenter une action en dommages‑intérêts contre une personne pour des dommages occasionnés par un véhicule automobile après l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date où les dommages ont été subis.
(2) Si un décès est causé par un véhicule automobile, l'action peut être intentée dans les délais prescrits par la Loi portant réforme du droit de la famille.
(3) Par dérogation aux paragraphes (1) et (2), lorsqu'une action en dommages‑intérêts est intentée dans les délais fixés par la présente loi pour des dommages occasionnés par un véhicule automobile et qu'une demande reconventionnelle est déposée ou qu'un défendeur fait appel en garantie simple à l'égard des dommages occasionnés dans le même accident, le laps de temps fixé dans la présente n'invalide pas la demande reconventionnelle ou l'appel en garantie simple.
Toutefois, l'art. 47 de la Loi sur la prescription des actions (ci-après «l'art. 47») reporte le moment où le délai de prescription commence à courir, lorsque la partie demanderesse est frappée d'une incapacité juridique:
47 Lorsqu'une personne ayant le droit d'intenter une action mentionnée à l'article 45 ou 46 est, à la date où la cause d'action prend naissance, mineure, déficiente ou incapable mentale, ou faible d'esprit, le délai de prescription se calcule à compter de la date à laquelle cette personne a atteint sa majorité ou est devenue saine d'esprit.
La principale question soulevée, dans les présents pourvois, est de savoir si l'art. 47 reporte le moment où commence à courir le délai de prescription établi au par. 180(1).
L'appelante Lorna Stoddard a subi des blessures lors d'un accident d'automobile survenu en novembre 1984. Madame Stoddard était âgée de 17 ans au moment de l'accident. Le recours en dommages‑intérêts pour les blessures qu'elle a subies a été intenté le 18 février 1987, plus de deux ans après la date de l'accident, mais moins de deux ans avant qu'elle n'atteigne l'âge de la majorité. L'instance s'est déroulée par voie d'exposé conjoint des faits. Les intimées Wanda Watson et Tilden Rent‑a‑Car (ci-après «Tilden») ont reconnu leur responsabilité et toutes les parties se sont entendues pour fixer les dommages‑intérêts à 33 917,75 $. Watson et Tilden n'ont invoqué d'autre préjudice que la prescription de l'action. Le juge du procès s'est fondé sur l'arrêt Papamonolopoulos c. Board of Education for the City of Toronto (1986), 56 O.R. (2d) 1 (C.A.), pour conclure que Stoddard avait intenté son action dans les délais. L'arrêt Papamonolopoulos c. Board of Education for the City of Toronto portait sur l'art. 47 et un délai de prescription établi par la Loi sur l'immunité des personnes exerçant des attributions d'ordre public, L.R.O. 1980, ch. 406.
Les faits dans le pourvoi Murphy c. Welsh sont un peu plus complexes. L'appelant Jamie Murphy a subi des blessures lors d'un accident d'automobile en juin 1984. Il était âgé de huit ans au moment de l'accident. Sa mère, l'appelante Sharon Murphy, a été blessée lors du même accident. Le premier avocat des Murphy a avisé l'intimé Frederick Welsh de l'action en septembre 1984. Le cabinet Hastings, Charlebois, Feltmate, Fur et Delibato a pris en charge le dossier Murphy en avril 1986. Le dossier a été égaré et la déclaration n'a été déposée que le 11 juillet 1986, plus de deux ans après la date de l'accident, mais alors que Jamie Murphy était toujours mineur. La déclaration désignait Sharon Murphy et Jamie Murphy à titre de parties demanderesses et comportait une action oblique intentée par Jamie Murphy aux termes de ce qui est devenu la Loi de 1986 sur le droit de la famille, L.O. 1986, ch. 4.*
Une demande de prorogation rétroactive du délai imparti pour intenter l'action a été présentée en octobre 1986. La Cour de district de l'Ontario a fait droit à la demande de prorogation sans donner de motifs. Welsh a interjeté appel contre l'ordonnance devant la Cour suprême de l'Ontario. La Cour suprême de l'Ontario s'est fondée sur l'arrêt Papamonolopoulos c. Board of Education for the City of Toronto pour conclure que l'action de Jamie Murphy n'était pas prescrite en vertu du par. 180(1). La Cour suprême de l'Ontario a ensuite conclu qu'il y avait des «circonstances spéciales» qui faisaient en sorte qu'il était possible d'effectuer une modification afin d'ajouter Sharon Murphy à titre de partie à l'action de Jamie Murphy. Finalement, l'affaire a été soumise par voie d'exposé de cause à la Cour d'appel de l'Ontario, avec le cabinet Hastings, Charlebois, Feltmate, Fur et Delibato comme intervenant.
La Cour d'appel ((1991), 3 O.R. (3d) 182) a rendu sa décision dans Stoddard c. Watson en même temps que sa décision dans Murphy c. Welsh. La Cour d'appel a conclu que le par. 180(1) excluait l'art. 47. La Cour d'appel s'est fondée sur des principes fondamentaux d'interprétation législative pour conclure que le par. 180(1) ne s'appliquait que sous réserve des par. (2) et (3). La Cour d'appel s'est également appuyée sur l'historique législatif du par. 180(1) et sur son arrêt antérieur Martin c. Kingston City Coach Co., [1947] O.W.N. 110, conf. [1946] O.W.N. 915. Dans l'arrêt Martin c. Kingston City Coach Co., on a conclu que le Code de la route s'appliquait pour écarter les actions intentées après deux ans peu importe que la partie demanderesse soit frappée ou non d'une incapacité juridique. Tout en reconnaissant que l'art. 47 ne s'appliquait pas uniformément aux délais de prescription spéciaux, la Cour d'appel était d'avis qu'il s'agissait d'une question de réforme législative. La Cour d'appel a conclu que l'action de Sharon Murphy tombait avec celle de Jamie Murphy.
Notre Cour a autorisé le pourvoi dans les deux affaires. L'affaire Murphy c. Welsh a été ajournée afin de bien examiner la question constitutionnelle qui y était soulevée. Cependant, toutes les parties dans cette affaire ont obtenu le statut d'intervenantes dans Stoddard c. Watson, afin que la Cour puisse trancher les autres questions soulevées dans les deux affaires.
II.Les questions en litige
Les questions soulevées dans Stoddard c. Watson sont les suivantes:
[traduction]
[1.] Dans les actions en dommages‑intérêts intentées, au nom de mineurs et de personnes frappées d'une incapacité juridique, pour des dommages causés par un véhicule automobile, le délai de prescription sera‑t‑il calculé à compter de la date à laquelle la personne atteint l'âge de la majorité ou cesse d'être incapable, ou à compter de la date de l'accident?
[2.] Sur le plan de l'interprétation législative, les termes «sous réserve de» placés au début des dispositions en matière de prescription qui figurent dans un article d'une loi comme le Code de la route ont‑ils pour effet d'exclure les lois d'application générale en faveur des mineurs ou des personnes frappées d'une incapacité juridique, comme la Loi sur la prescription des actions?
[3.] L'article 15 de la Charte exige‑t‑il d'interpréter les lois (peu importe le bien-fondé de l'analyse relative à la «juste interprétation» ou à l'expression «sous réserve de») de façon à permettre aux personnes qui ont des caractéristiques personnelles comme celles des mineurs ou d'autres personnes frappées d'une incapacité juridique d'être traitées différemment des adultes non frappés d'incapacité, afin d'éviter toute inégalité devant la loi applicable aux redressements?
Voici les questions non constitutionnelles qui ont été formulées dans Murphy c. Welsh:
[traduction]
[4.] La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l'art. 47 de la Loi sur la prescription des actions (la clause de «l'incapacité») ne s'appliquait pas au délai de prescription établi à l'art. 180 du Code de la route, L.R.O. 1980?
[5.] Si l'action du demandeur Jamie Murphy est autorisée, celle de Sharon Murphy doit‑elle également être autorisée en fonction du pouvoir discrétionnaire qu'a la cour de remédier aux conséquences d'un délai de prescription lorsqu'on conclut à l'existence de «circonstances spéciales»?
Compte tenu du résultat de ces pourvois, il ne sera nécessaire d'examiner que les première, quatrième et cinquième questions.
III.Analyse
A. Interprétation du par. 180(1) et de l'art. 47
Les présents pourvois portent sur le rapport qui existe entre des dispositions de différentes lois. Les intimés soutiennent que les premiers mots du par. 180(1) définissent ce rapport et excluent l'application de l'art. 47: «Sous réserve des paragraphes (2) et (3), il est interdit d'intenter une action . . .» Toutefois, la conclusion que les paragraphes (2) et (3) constituent les seules exceptions au par. 180(1) suppose que l'on interprète le par. 180(1) comme s'il contenait les mots «sous réserve seulement des paragraphes (2) et (3)». En vertu des règles d'interprétation, il ne convient pas d'ajouter des mots à moins que l'ajout ne précise l'intention implicite du législateur. Comme Pierre‑André Côté l'affirme dans Interprétation des lois (2e éd. 1990), aux pp. 257 à 259:
La fonction du juge étant d'interpréter la loi et non de la faire, le principe général veut que le juge doive écarter une interprétation qui l'amènerait à ajouter des termes à la loi: celle‑ci est censée être bien rédigée et exprimer complètement ce que le législateur entendait dire:
. . .
Cette présomption contre l'addition de mots doit être appliquée avec prudence, car la communication légale est, comme toute autre communication, composée de deux éléments, l'exprès (la formule) et l'implicite (le contexte global de l'énonciation). La présomption étudiée insiste uniquement sur l'élément exprès de la communication. Elle dit que le juge qui ajoute des mots légifère, usurpe la fonction du législateur. Or, dans la mesure où le juge ajoute des mots pour rendre explicite ce qui est implicite dans le texte, on ne peut pas dire qu'il s'écarte de sa mission d'interprète. La question, dans les cas d'espèce, n'est donc pas tellement de savoir si le juge peut ajouter ou non des mots, mais si les mots qu'il ajoute ont un autre effet que d'expliciter l'élément implicite de la communication légale.
Pour déterminer l'intention du législateur, une présomption de cohérence entre des lois connexes s'applique. Des dispositions ne sont présumées incompatibles que si elles ne peuvent coexister. Le paragraphe 180(1) et l'art. 47 ne sont pas incompatibles à première vue. Le paragraphe 180(1) fixe la durée du délai de prescription. L'article 47 précise le moment où le délai de prescription commence à courir. Leur coexistence n'entraîne pas de résultats absurdes. Le seul fait que le par. 180(1) établisse un court délai de prescription n'empêche pas le report en cas d'incapacité. Les alinéas 45(1)h) et i) de la Loi sur la prescription des actions fixent des délais de prescription de deux ans et l'al. 45(1)m), un délai de prescription d'un an, lesquels sont tous assujettis à l'application de l'art. 47. La coexistence d'un court délai de prescription et d'une règle en prévoyant le report ne constitue pas un résultat absurde.
Notre Cour a récemment décrit l'objet d'une disposition législative en matière de prescription dans l'arrêt M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6. Cet arrêt portait sur une action en dommages‑intérêts pour inceste qui avait été intentée bien après l'expiration du délai de prescription, alors même que la demanderesse avait atteint l'âge de la majorité. Le juge La Forest affirme, aux pp. 29 et 30:
Afin de déterminer quand sa cause d'action a pris naissance d'une façon compatible avec les objets de la Loi sur la prescription des actions, j'estime utile d'en examiner d'abord les justifications sous‑jacentes. Il y en a trois et elles peuvent être décrites comme la certitude, la preuve et la diligence; voir Rosenfeld, "The Statute of Limitations Barrier in Childhood Sexual Abuse Cases: The Equitable Estoppel Remedy" (1989), 12 Harv. Women's L.J. 206, à la p. 211.
On affirme depuis longtemps que les lois sur la prescription des actions sont des lois destinées à assurer la tranquillité d'esprit; voir Doe on the demise of Count Duroure v. Jones (1791), 4 T.R. 301, 100 E.R. 1031, et A'Court c. Cross (1825), 3 Bing. 329, 130 E.R. 540. Le raisonnement est assez simple. Il arrive un moment, dit‑on, où un éventuel défendeur devrait être raisonnablement certain qu'il ne sera plus redevable de ses anciennes obligations . . .
La deuxième justification se rattache à la preuve et concerne la volonté d'empêcher les réclamations fondées sur des éléments de preuve périmés. Une fois écoulé le délai de prescription, le défendeur éventuel ne devrait plus avoir à conserver des éléments de preuve se rapportant à la réclamation; . . .
Enfin, on s'attend à ce que les demandeurs agissent avec diligence et ne «tardent pas à faire valoir leurs droits»; la prescription incite les demandeurs à intenter leurs poursuites en temps opportun.
Bien que le défendeur éventuel profite de ces justifications, la Cour a également reconnu que la partie demanderesse doit également être traitée de manière équitable. D'où la règle de la possibilité raisonnable de découvrir le préjudice subi qui évite l'injustice qui résulterait de la prescription d'une action avant même que la partie demanderesse ne prenne conscience de l'existence de sa cause d'action: Kamloops (Ville de) c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2; Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147; M. (K.) c. M. (H.), précité. Un régime de prescription doit tenter d'établir un équilibre entre les intérêts des deux parties.
Le délai de prescription établi au par. 180(1) favorise le défendeur parce qu'il répond aux justifications en matière de certitude et de preuve. L'élément de la diligence ne saurait servir à justifier le par. 180(1). Implicitement, la diligence suppose qu'une personne est au courant des droits qu'elle possède. Les personnes frappées d'une incapacité juridique sont présumées ignorer leurs droits et les recours dont elles disposent et il serait injuste de s'attendre à ce qu'elles fassent preuve de diligence en la matière. Quel que puisse être l'intérêt d'un défendeur dans l'application universelle du délai de prescription de deux ans relatif aux véhicules automobiles, cet intérêt doit être soupesé en fonction des soucis d'équité envers la partie demanderesse frappée d'une incapacité juridique. Si le par. 180(1) excluait l'application de l'art. 47, la personne frappée d'une incapacité juridique serait privée de tout recours à moins que l'incapacité ne prenne fin dans les deux années qui suivent l'accident. Seuls les mineurs de plus de 16 ans et les personnes frappées d'une incapacité mentale à court terme seraient en mesure de mettre à exécution leurs recours. Le préjudice subi par les parties demanderesses frappées d'une incapacité juridique l'emporte sur les avantages qu'il y a à offrir un moyen de défense procédural en matière de responsabilité.
Certes, en raison des dispositions en matière de responsabilité du fait d'autrui et d'inversion du fardeau de la preuve, un défendeur peut, plusieurs années plus tard, faire l'objet d'une action pour un accident causé par autrui. Toutefois, la conduite et la propriété d'un véhicule automobile comportent des risques connus. Le délai de prescription établi au par. 180(1) réduit la responsabilité. Le législateur n'a sûrement pas voulu éliminer complètement ces risques.
B. Circonstances spéciales
Même s'il y a des circonstances spéciales en l'espèce, elles ne sont d'aucune utilité pour l'action de Sharon Murphy. Comme notre Cour l'a conclu dans Basarsky c. Quinlan, [1972] R.C.S. 380, la cour autorisera, dans des circonstances spéciales, la modification d'une déclaration afin d'ajouter une autre partie après l'expiration d'un délai de prescription. Toutefois, l'action de la nouvelle partie ne pourra viser une période antérieure à la date de la déclaration. En l'espèce, même si Sharon Murphy est ajoutée comme partie à l'action de Jamie Murphy, son action est hors délai. Même si la déclaration a été produite à temps dans le cas du mineur, il était trop tard pour l'adulte. Le redressement accordé par la Cour suprême de l'Ontario était inefficace.
Le seul redressement qui permettrait à Sharon Murphy d'intenter son action est une prorogation de délai. En fait, c'est ce que les Murphy ont d'abord demandé aux termes des Règles de procédure civile de l'Ontario. Les paragraphes 3.02 (1) et (2) permettent à un tribunal de «proroger ou [d']abréger le délai fixé par les présentes règles . . . à des conditions justes . . . avant ou après l'expiration du délai prescrit.» Toutefois, le délai de prescription en l'espèce est régi par le Code de la route. L'article 3.02 ne peut être utilisé pour proroger le délai de prescription. Contrairement aux par. 2(5) et 61(4) de la Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3, et à l'art. 46 de la Loi sur les ingénieurs, L.R.O. 1990, ch. P.28, qui prévoient la prorogation des délais de prescription, le Code de la route ne prévoit pas de prorogation du délai imparti pour intenter une action. L'action de Sharon Murphy est irrémédiablement hors délai.
IV.Conclusion
Les mineurs Lorna Stoddard et Jamie Murphy ont intenté leurs actions dans le délai prescrit par le Code de la route et la Loi sur la prescription des actions. Les pourvois sont accueillis sur ce point et les ordonnances de la Cour d'appel déclarant que les actions des mineurs étaient prescrites sont annulées. L'action de Sharon Murphy est prescrite; par conséquent, l'action oblique que Jamie Murphy a intentée en vertu de la Loi sur le droit de la famille tombe elle aussi.
Pourvoi (Stoddard c. Watson) accueilli.
Pourvoi (Murphy c. Welsh) accueilli relativement à l'action de Jamie Murphy; pourvoi rejeté relativement à l'action de Sharon Murphy et à l'action oblique de Jamie Murphy.
Procureurs de l'appelante: Borden & Elliot, Toronto.
Procureurs des intimées: Lipman, Zener & Waxman, Toronto.
Procureur des intervenants Sharon‑Leigh Murphy et Jamie Murphy, par sa tutrice à l'instance Sharon‑Leigh Murphy: William Morris, Hamilton.
Procureurs de l'intervenant Frederick Welsh: Paul Lee & Associates, Toronto.
Procureurs de l'intervenant le cabinet Hastings, Charlebois, Feltmate, Fur et Delibato: Borden & Elliot, Toronto.
* Voir Erratum [1993] 3 R.C.S. iv
* Voir Erratum [1993] 3 R.C.S. iv